SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Décès d'un ancien sénateur
(p.
1
).
3.
Fin de mission d'un sénateur
(p.
2
).
4.
Sénateur en mission
(p.
3
).
5.
Décision du Conseil constitutionnel
(p.
4
).
6.
Retrait de questions orales sans débat
(p.
5
).
7.
Questions orales
(p.
6
).
PLAN D'URGENCE POUR LES IUT (p. 7 )
Question de Mme Hélène Luc. - M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Hélène Luc.
MANQUE DE CADRES DANS L'ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
DU RESSORT DE L'ACADÉMIE DE STRASBOURG (p.
8
)
Question de M. Francis Grignon. - MM. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Francis Grignon.
MOYENS PERMETTANT LA SCOLARISATION
DES ENFANTS EN BAS ÂGE (p.
9
)
Question de Mme Nicole Borvo. - M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Nicole Borvo.
ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE-GÉOGRAPHIE
ET DE L'ÉDUCATION CIVIQUE (p.
10
)
Question de M. Alfred Foy. - MM. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Alfred Foy.
CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ
DES COMMUNAUTÉS DE COMMUNES AU FONDS
DE COMPENSATION POUR LA TVA (p.
11
)
Question de M. Alfred Foy. - MM. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation ; Alfred Foy.
SITUATION DES CADRES RECRUTÉS
PAR LA VOIE DU TROISIÈME COUCOURS
DES INSTITUTS RÉGIONAUX D'ADMINISTRATION (p.
12
)
Question de M. Marcel Deneux. - MM. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation ; Marcel Deneux.
CONSÉQUENCES FINANCIÈRES
DES FORTES CHUTES DE NEIGE DANS LA DRÔME (p.
13
)
Question de M. Bernard Piras. - MM. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation ; Bernard Piras.
SITUATION DES CHAUFFEURS DE TAXI PARISIENS (p. 14 )
Question de Mme Nicole Borvo. - M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale ; Mme Nicole Borvo.
SUPPRESSION DE LA CAISSE
D'ALLOCATIONS FAMILIALES D'ARPAJON (p.
15
)
Question de M. Xavier Dugoin. - MM. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale ; Xavier Dugoin.
RÉGLEMENTATION
APPLICABLE AU CUMUL EMPLOI-RETRAITE (p.
16
)
Question de M. Jean Chérioux. - MM. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale ; Jean Chérioux.
SITUATION DES PROFESSIONNELS
DE BIOLOGIE MÉDICALE (p.
17
)
Question de M. Marcel Deneux. - MM. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale ; Marcel Deneux.
PLAFONNEMENT DE LA TAXE PROFESSIONNELLE (p. 18 )
Question de M. Michel Mercier. - MM. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur ; Michel Mercier.
Suspension et reprise de la séance (p. 19 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
8.
Conférence des présidents
(p.
20
).
9.
Rappel au règlement
(p.
21
).
10.
Réforme de la procédure criminelle.
Discussion d'un projet de loi (p.
22
).
Discussion générale : M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la
justice.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
MM. Jean-Marie Girault, rapporteur de la commission des lois ; Jacques Larché,
président de la commission des lois ; Mme Nicole Borvo, MM. Guy Cabanel,
Bernard Plasait, Jean-Jacques Hyest, Philippe Marini, Robert Badinter, Paul
Girod, Pierre Fauchon, Mme Lucette Michaux-Chevry.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
11.
Communication de l'adoption définitive de propositions d'acte communautaire
(p.
23
).
12.
Dépôt d'un projet de loi
(p.
24
).
13.
Transmission de projets de loi
(p.
25
).
14.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
26
).
15.
Dépôt de propositions d'acte communautaire
(p.
27
).
16.
Dépôt d'un rapport
(p.
28
).
17.
Ordre du jour
(p.
29
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
2
DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR
M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Joseph Voyant, qui fut sénateur du Rhône de 1946 à 1977.
3
FIN DE MISSION D'UN SÉNATEUR
M. le président.
M. le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre lui annonçant la
fin, le 26 mars 1997, de la mission temporaire confiée à M. Philippe Richert,
sénateur du Bas-Rhin, auprès du ministre de l'éducation nationale, de
l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi que du ministre délégué pour
l'emploi, dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 144 du code
électoral.
Acte est donné de cette communication.
4
SÉNATEUR EN MISSION
M. le président.
M. le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 20 mars
1997 l'informant qu'il avait décidé de placer M. Jean-Louis Lorrain, sénateur
du Haut-Rhin, en mission temporaire auprès du ministre de l'éducation
nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Acte est donné de cette communication.
5
DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
M. le président.
M. le président a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par
lettre en date du 21 mars 1997, le texte de la décision rendue par le Conseil
constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi créant
les plans d'épargne retraite.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au
Journal
officiel
, édition des lois et décrets.
6
RETRAIT DE QUESTIONS ORALES
SANS DÉBAT
M. le président. J'informe le Sénat que les questions orales sans débat n° 583 de M. Josselin de Rohan, n° 584 de M. Marcel Charmant, n°s 587 et 589 de M. Pierre Martin sont retirées, à la demande de leurs auteurs, de l'ordre du jour de la séance de ce matin.
7
QUESTIONS ORALES
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales sans débat.
PLAN D'URGENCE POUR LES IUT
M. le président.
Mme Hélène Luc tient à attirer l'attention de M. le minisre de l'éducation
nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les conditions
d'études et de fonctionnement qui ne cessent de se dégrader pour les instituts
universitaires de technologie, les IUT, les insuffisances des dotations
budgétaires se cumulant d'année en année. Au moment où la voie technologique
est présentée comme étant prioritaire dans les études supérieures et alors que
les IUT ont apporté la preuve de leur efficacité et de leur performance en la
matière, on ne peut que s'étonner d'un tel traitement de la part des pouvoirs
publics.
C'est pourquoi elle lui demande de lui faire part de ses intentions quant à la
demande exprimée par la communauté des étudiants et des enseignants, et à
laquelle elle souscrit totalement, d'un plan d'urgence et de rattrapage pour
les IUT dès le premier trimestre 1997, qui constitue la condition indispensable
pour rétablir la situation de ces établissements. (N° 551.).
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le ministre, avec plus de 100 000 étudiants, des demandes
d'inscription qui ne cessent de croître - plus 4 % en 1996-1997, et les
préinscriptions pour la rentrée prochaine sont déjà très nombreuses - les
quatre-vingt-quinze IUT que compte notre pays ont apporté la preuve de leur
efficacité et de leur performance, de l'adéquation qu'ils assurent entre les
besoins économiques et les besoins des jeunes, de leur capacité à évoluer et à
innover en fonction des mutations technologiques.
De nombreux indicateurs en attestent : ainsi, le taux de chômage des anciens
élèves titulaires d'un diplôme universitaire de technologie est parmi les plus
faibles de toutes les formations, et le temps de recherche du premier emploi
est parmi les plus courts. Une pédagogie originale dans laquelle les stages en
entreprise, conçus comme de véritables séquences interactives avec
l'enseignement en IUT, aux antipodes des stages des contrats d'insertion
professionnelle de triste mémoire, constitue à l'évidence l'une des clés de la
réussite des IUT.
Depuis plusieurs années, par des restrictions budgétaires successives et un
véritable désengagement de l'Etat, la situation des IUT s'est particulièrement
dégradée, au point que beaucoup d'entre eux ne sont plus en mesure de délivrer
tous les enseignements conduisant à la délivrance d'un diplôme défini par les
programmes pédagogiques nationaux.
Le renouvellement du matériel pédagogique, la maintenance et l'entretien des
bâtiments sont remis en cause par ces restrictions budgétaires drastiques. Cela
est inacceptable.
Vous le savez, monsieur le ministre, à l'annonce des dotations pour 1997, en
baisse très sensible par rapport à l'année précédente, l'émotion et la colère
furent grandes parmi les directeurs des IUT, les étudiants et dans toute la
communauté éducative. Comment ne pas les comprendre et partager, comme je le
fais, leur indignation ?
Je prendrai l'exemple de l'IUT de Paris XII, dans le Val-de-Marne, que le
membre du conseil d'administration que je suis connait bien et pour lequel je
vous ai écrit le 29 janvier dernier : il manque 4 millions de francs de moyens
sur les 13 millions de francs nécessaires au regard des effectifs étudiants.
L'indignation - celle du président du conseil général Michel Germa, celle de
nombreux élus du Val-de-Marne et la mienne - est d'autant plus forte que le
conseil général, bien que ce ne soit pas de sa compétence, a tenu à effectuer
un effort particulier en finançant la réalisation d'un nouveau département
d'IUT à Vitry, qui a été crédité de 33,5 millions de francs.
Bien évidemment, la configuration de l'IUT de Paris XII, dont les
enseignements sont répartis sur quatre sites, comme c'est le cas de beaucoup
d'autres IUT ayant des formations diversifiées, entraîne un besoin légitime de
crédits supplémentaires pour couvrir les frais fixes et de logistique d'autant
plus importants.
Dimanche, je participais avec des dizaines de milliers d'enseignants, de
jeunes et de parents, à un puissant mouvement ayant pour exigence une formation
de qualité conduisant à un emploi pour chaque jeune. Les IUT répondent
pleinement à cet objectif.
Avec ces dizaines de milliers de parents, d'enseignants et de jeunes, les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous demandent d'établir
un plan d'urgence et de rattrapage immédiat, afin de mettre en place les
crédits dont ces établissements ont un impérieux besoin pour l'année 1997 et
d'annuler les fermetures de classes prévues.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Madame le sénateur, je tiens tout d'abord à rappeler la
dimension exceptionnelle de l'effort décidé pour l'ensemble du monde
universitaire en cette période de restrictions budgétaires : avec 6,8 %
d'augmentation, c'est le budget de l'enseignement supérieur qui a le plus
progressé de tous les budgets.
Ce budget a donné lieu à la création de 7 000 postes sur deux ans, alors que
le nombre des étudiants restait stable : d'une part, 3 500 postes d'enseignants
et d'enseignants-chercheurs et, d'autre part, pour la première fois, 3 500
postes de personnels IATOS, les personnels ingénieurs, administratifs,
techniciens, ouvriers et de service. L'équilibre entre les personnels IATOS et
les enseignants et enseignants-chercheurs constitue une novation à mon avis
bien reçue par la communauté universitaire.
Souvenez-vous, madame le sénateur, que, lors de ma prise de fonctions, un
certain nombre d'universités n'obtenaient pas même 50 % de leur dotation
théorique. Au bout d'un an, comme vous avez pu le constater, il n'y a plus
d'université disposant de moins de 90 % de sa dotation théorique. C'est dire
que nous avons conduit un très grand effort de remise à niveau.
J'en viens aux IUT.
Vous avez souligné à juste titre le rôle éminent qu'ils jouent dans la
formation. Je pense qu'ils seront le socle de la nouvelle voie technologique
que nous allons construire à l'université. En effet, c'est bien naturellement à
partir des réussites que l'on construit ; or les IUT sont un succès.
En liaison avec les universités - les IUT appartiennent en effet aux
universités - sachez qu'un plan a été mis en place pour que, comme les
universités, tous les IUT puissent obtenir leur dotation théorique.
Dès cette année, quarante IUT bénéficieront d'attributions complémentaires de
crédits pour un montant global de 16,5 millions de francs. L'IUT de Créteil
recevra quant à lui une dotation complémentaire de 1,71 million de francs.
Ce plan devrait nous permettre de faire jouer aux IUT le rôle précieux qui
doit être le leur en vue tant de la formation technologique des jeunes que d'un
meilleur équilibre à l'intérieur des formations universitaires.
Je compte sur les IUT pour prendre leur place dans la réforme de l'université
que nous allons mettre en oeuvre dès la rentrée prochaine, c'est-à-dire pour
permettre aux jeunes de se poser au moment pertinent la question de leur
orientation et pour pouvoir leur donner des choix nouveaux, que ces jeunes
prennent la voie technologique ou celle de l'enseignement général et souhaitent
en changer. C'est dire à quel point les IUT sont une pièce précieuse de
l'architecture de notre université.
Mme Hélène Luc.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le ministre, vous évoquez les restrictions budgétaires. Je les
connais, hélas ! et j'ai d'ailleurs voté contre, car je ne peux les accepter à
un moment où une augmentation des crédits publics est indispensable à la
France. Je les accepte d'autant moins quand elles concernent le budget du
ministère de l'éducation nationale, qui devrait être prometteur pour l'avenir
de la jeunesse en France. Vous me répondez en me présentant ce que vous appelez
un plan de rattrapage pour les IUT ; mais il s'agit plutôt, pour moi, de
premières mesures d'urgence qui restent très en deçà des besoins !
Ainsi, ce que vous annoncez pour l'IUT de Paris XII situé à Créteil, par
exemple, est loin de correspondre à la nécessité : alors que les besoins du
seul IUT de Paris XII s'élèvent à 20 millions de francs, une dotation de 4
millions de francs est vraiment insuffisante, d'autant plus que les IUT n'ont
pas bénéficié du plan d'urgence pour les universités.
Une précision s'impose : les engagements que vous annoncez sont-ils à
effectifs constants d'étudiants, comme cela doit être le cas ? Par ailleurs,
qu'est-il prévu pour l'encadrement des projets de tutorat et des stages, qui
font partie des actes pédagogiques prévus par l'arrêté du 20 avril 1994 et qui
devraient, à ce titre, recevoir des moyens en heures et en postes
correspondants ?
Monsieur le ministre, je doute que les directeurs d'IUT, les enseignants et
les étudiants se satisfassent des mesures que vous annoncez, même si elles
constituent un premier déblocage. Eu égard à leurs performances, les IUT
méritent vraiment mieux !
Est-ce ainsi que vous construirez la grande filière technologique qui a été
annoncée voilà peu ? Certainement pas ! A cet égard, je vous suggère
aujourd'hui qu'un débat soit organisé au Parlement sur cette filière, sur la
formation spécifique en IUT, voire sur l'enseignement supérieur, comme nous en
avions parlé. Cela intéressera le pays tout entier.
Manque de cadres
dans l'enseignement catholique
du ressort de l'académie de Strasbourg
M. le président.
M. Francis Grignon attire l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la situation
déficitaire en encadrement que connaît l'enseignement catholique en Alsace, en
particulier dans l'académie de Strasbourg.
Il souhaite en effet souligner que le ministre, dans sa réponse à la question
écrite n° 19064 du 28 novembre 1996 relative à ce sujet, ne s'est référé qu'à
l'enseignement privé dans sa globalité, qui souffrirait d'une situation, selon
lui, « légèrement déficitaire dans l'académie de Strasbourg ». Or, l'objet de
la question était d'attirer son attention sur l'enseignement catholique en
particulier, qui, lui, souffre d'une situation véritablement déficitaire.
Il souhaite lui préciser que, parmi les quatre postes supplémentaires accordés
pour l'année scolaire 1996-1997 à l'ensemble de l'enseignement privé alsacien,
un poste et demi était déjà réservé avant les négociations académiques,
réduisant d'autant le nombre de postes à attribuer.
Il lui fait ainsi remarquer que, puisqu'une des composantes de l'enseignement
privé avait préalablement fait connaître les besoins d'un de ses
établissements, il aurait été souhaitable d'ajouter cette dotation particulière
à la dotation générale, évitant ainsi son amputation.
Il lui demande, par conséquent, si cette méthode ne lui semblerait pas
envisageable pour les années à venir. (N° 586.)
La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
La question que j'ai l'honneur de vous poser ce matin, monsieur le ministre,
concerne le déficit d'encadrement constaté pour l'enseignement catholique en
Alsace en général, et pour le lycée Charles-de-Foucauld en particulier.
J'ai bien conscience de la difficulté de mon intervention, car je ne veux en
faire ni une question de favoritisme, ni une question de confession.
Nous constatons objectivement que, bien que l'Alsace soit normalement pourvue
pour l'enseignement privé en général, il manque un nombre important de postes
pour l'enseignement catholique.
Pourquoi ? Tout simplement parce que les dotations spécifiques pour les
filières minoritaires, qui sont fortes en consommation d'encadrement à faible
rendement - ce qui est d'ailleurs parfaitement compréhensible - sont
réintégrées dans le calcul global régional lorsqu'il s'agit d'établir les
statistiques nationales.
De ce fait, la filière majoritaire, celle de l'enseignement catholique, est
largement pénalisée par rapport aux autres, d'autant que les minorités sont
beaucoup plus nombreuses en Alsace que dans les autres académies.
Mon intervention n'a pas pour objet de fragiliser les filières minoritaires,
auxquelles j'attache la plus haute importance. Elle vise, monsieur le ministre,
à vous sensibiliser à un problème réel, engendré par une stricte appréciation
mécanique et comptable des moyens affectés à l'enseignement dans une région
riche de spécificités.
Le problème devient crucial pour un cas particulier, celui du lycée
Charles-de-Foucauld. Obligé de déménager pour des raisons d'urbanisme propres à
la ville de Strasbourg, ce lycée a pu être reconstruit grâce au concours
financier de la région, puisque c'est un établissement technique qui relève non
pas de la loi Falloux mais de la loi Astier de 1919.
Parfaitement conforme au schéma prévisionnel des formations, qui énonce que «
l'enseignement privé doit prendre sa part dans le développement de
l'enseignement technique » et parfaitement conforme aussi à l'analyse des
besoins qui avait été faite en concertation avec les services du rectorat, ce
lycée ne peut pas répondre à la demande parce que sa dotation en postes
d'encadrement est insuffisante.
Il manquera plusieurs postes à la rentrée de 1997, notamment pour la mise en
conformité des enseignements avec les règles de sécurité propres à ce lycée
technique industriel.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, de bien vouloir prendre en compte
la spécificité de notre région pour que la dotation globale qui lui est
attribuée permette à ce lycée de fonctionner normalement.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Monsieur Grignon, votre question appelle de ma part deux
observations.
Premièrement, dans la politique générale de vigilance budgétaire qui a été
retenue par le Parlement, et qui fait qu'un certain nombre de moyens sont
utilisés d'abord pour faire face à des besoins urgents, l'enseignement privé a,
bien entendu, sa part d'efforts à prendre.
Proportionnellement, cette part est toutefois moindre que celle de
l'enseignement public. En effet, que ce soit pour l'enseignement public ou
l'enseignement privé, j'ai donné pour consigne d'épargner au maximum les moyens
sur le terrain.
Or, proportionnellement, l'enseignement privé a plus de moyens sur le terrain
que l'enseignement public, notamment parce que ses moyens administratifs sont
plus légers. L'effort est donc équitable. Mais, de ce fait, l'enseignement
privé est mieux à même de faire face à la rigueur.
Deuxièmement, vous soulignez, à juste titre, que j'ai décidé, en Alsace,
d'aider un certain nombre de réseaux d'enseignement minoritaires. J'ai
notamment choisi de sauver l'établissement protestant Lucie-Berger, qui
connaissait de grandes difficultés, parce qu'il m'a semblé qu'il y avait un
consensus pour que la pluralité et la diversité de l'enseignement en Alsace ne
soient pas affectées. Notre aide s'étalera sur deux ans.
Mais cela - je vais vous le démontrer - ne s'est pas fait au détriment des
autres établissements.
En 1996, les calculs indiquaient que l'académie de Strasbourg était
déficitaire pour l'enseignement privé de deux contrats. Pour l'établissement
Lucie-Berger, il en fallait un et demi. En définitive, ce sont quatre contrats
que j'ai affectés à l'Alsace.
En 1997, les projections d'effectifs montrent que l'académie de Strasbourg
gagnera 56 élèves dans l'enseignement primaire - c'est précis, vous le voyez -
et 280 dans l'enseignement secondaire, ce qui correspond à une dotation de
trois contrats supplémentaires ; tous réseaux d'enseignement confondus.
Par ailleurs, pour mener à son terme l'opération concernant le lycée et
collège Lucie-Berger et pour poursuivre notre politique d'enseignement
bilingue, il fallait prévoir deux contrats et demi.
Eh bien ! j'ai décidé de cumuler ces dotations, si bien que, pour la rentrée
de 1997, l'académie de Strasbourg sera dotée de six contrats supplémentaires.
Ainsi, vous le voyez, l'effort consenti en faveur des uns ne pénalisera pas les
autres, ce qui est absolument normal.
Quant à l'établissement sur lequel vous attirez mon attention, je vous
promets, monsieur le sénateur, d'examiner son cas avec un soin particulier,
notamment de voir les contraintes qu'il subit et les atouts qui sont les siens,
de manière à pouvoir mener une politique équilibrée.
M. Francis Grignon.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, et notamment de
l'assurance que vous m'avez donnée en terminant.
C'est vrai, le consensus règne dans notre région, et il ne saurait être
question de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Cela étant, je constate que le rapport entre le nombre d'heures hebdomadaires
et le nombre d'élèves, qui devrait théoriquement être de 1,87, selon les
indications de votre ministère, n'est que de 1,49 pour le lycée que j'ai
évoqué.
Si donc, à la rentrée de 1997, six postes sont effectivement attribués, il en
restera deux et demi pour le Bas-Rhin. Or, ne serait-ce que pour assurer la
continuité de son enseignement, le lycée Charles-de-Foucauld aurait besoin de
4,2 postes.
Voilà pourquoi je me suis permis d'intervenir, monsieur le ministre, sachant
par ailleurs, d'après les documents que j'ai en ma possession, que,
globalement, il resterait encore une quinzaine de postes à attribuer sur
l'ensemble du territoire. Compte tenu de la fin de votre intervention, j'espère
que nous pourrons trouver une solution.
Moyens permettant
la scolarisation des enfants en bas âge
M. le président.
Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le fait que, pour
la rentrée de 1997, l'académie de Paris propose cinquante-huit fermetures de
classes, vingt-neuf blocages, mais seulement trente-deux ouvertures et
quarante-trois ouvertures réservées.
Si ces propositions sont moins provocatrices que celles de l'an dernier, elles
sont cependant loin de répondre aux besoins des écoles parisiennes.
En maternelle, c'est le
statu quo
puisqu'il est envisagé autant de
fermetures que d'ouvertures. Or, Paris est, depuis plusieurs années, à la
traîne pour la scolarisation des enfants de moins de trois ans,
particulièrement dans l'Est parisien.
Pour l'enseignement spécialisé, le solde est encore une fois négatif : quinze
fermetures sont annoncées contre seulement trois ouvertures et une ouverture
réservée. De telles propositions conduiraient à une nouvelle dégradation de
l'aide aux enfants en difficulté.
Cette carte scolaire ne permet pas d'améliorer sensiblement les conditions
d'enseignement dans les écoles parisiennes et risque de creuser encore les
inégalités.
Pour toutes ces raisons, elle lui demande ce qu'il compte entreprendre pour
mettre en place un collectif budgétaire qui permettrait de revoir à la hausse
le nombre de postes créés et de programmer des constructions d'écoles nouvelles
afin d'alléger les effectifs et de scolariser tous les enfants de deux ans à
trois ans actuellement sur liste d'attente. (N° 594.)
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le ministre, je veuxattirer votre attention sur la situation scolaire
à Paris.
Comme l'année dernière, les écoles, les collèges et les lycées parisiens
connaissent d'importants problèmes de moyens.
En effet, à l'issue du conseil départemental de l'éducation nationale pour la
rentrée de 1997, l'académie de Paris propose quarante fermetures de classes et
vingt-cinq blocages, contre seulement trente-deux ouvertures et quarante-deux
ouvertures réservées.
Si ces propositions sont moins provocantes que celles de l'an dernier, elles
sont cependant loin de répondre aux besoins des écoles parisiennes.
En maternelle, c'est le
statu quo
puisqu'il est envisagé autant de
fermetures que d'ouvertures. Or, Paris est, depuis plusieurs années, largement
à la traîne pour la scolarisation des enfants en bas âge, principalement ceux
de moins de trois ans, mais maintenant aussi ceux de plus de trois ans,
particulièrement dans l'Est parisien. Le plus souvent, dans les zones
d'éducation prioritaire, les ZEP, des enfants n'entrent en maternelle qu'à
trois ans et demi, voire à quatre ans. Les effectifs restent encore trop
chargés : 23 % des écoles maternelles implantées en ZEP comptent encore
vingt-six, voire vingt-huit, élèves par classe, et 35 % des écoles maternelles
en comptent plus de vingt-huit.
Pour l'enseignement spécialisé, le solde est encore une fois négatif : quinze
fermetures sont annoncées, contre seulement deux ouvertures et une ouverture
réservée. Par ailleurs, sont mises à l'étude et en attente de décision sept
fermetures en section d'éducation spécialisée, SES, et en établissement
régional d'enseignement adapté, EREA, pour une ouverture en EREA. De telles
propositions conduiraient à une nouvelle dégradation de l'aide aux enfants en
difficulté.
De plus, de nombreux postes de psychologue scolaire et de rééducateur,
manquent dans les réseaux d'aides.
Enfin, il n'est pas acceptable que des élèves soient affectés, après décision
des commissions compétentes au sein de l'académie, dans des classes
spécialisées confiées à des enseignants non formés, pour la plupart débutants,
qui ne reçoivent le plus souvent aucune aide particulière.
De telles mesures ne sont pas à la hauteur de l'amélioration nécessaire des
conditions d'enseignement dans les écoles parisiennes et risquent de creuser
encore les inégalités.
D'ailleurs, les parents et enseignants qui sont en lutte contre les fermetures
injustifiées ne s'y trompent pas. Ils demandent, vous le savez - vous avez pu
le constater dimanche - des ouvertures supplémentaires. Leurs exigences, parmi
lesquelles figure un collectif budgétaire qui permettrait de revoir à la hausse
le nombre de postes créés, ont le soutien des élus communistes.
Paris est le département le plus touché par les suppressions de postes :
quatre-vingts postes devraient être supprimés dans le second degré,
quarante-quatre lycées sur soixante-neuf ont une dotation budgétaire en baisse,
et la même situation prévaut pour plus de la moitié des collèges parisiens.
Ces coupes claires s'inscrivent dans une politique nationale d'ensemble
puisque près de 1 000 suppressions de postes sont envisagées dès la rentrée
prochaine dans les collèges et lycées, sans parler du primaire, où 2 900 postes
d'instituteur seraient supprimés dans les écoles.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour améliorer la situation dans
la capitale, qui, contrairement à ce qui est souvent dit, est loin d'être
idyllique ?
M. le président.
La parole et à M. le ministre.
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Madame le sénateur, je ne dis pas que la situation est
idyllique. Au demeurant, la définition de l'idylle en matière d'éducation
nationale me paraît assez difficile à établir ! Je vais tout de même vous
donner un certain nombre d'assurances et d'apaisements.
A la rentrée de 1997, il y aura vingt-trois postes supplémentaires à Paris, ce
qui porte à quatre-vingt-cinq le total de postes supplémentaires attribués
depuis 1994.
Pourquoi n'y-a-t-il pas de créations supplémentaires pour les écoles
maternelles ? Pour une raison simple que vous connaissez et qui s'impose à
tous, madame Borvo : à la rentrée de 1997, il y aura une diminution des
effectifs de 580 élèves dans le préélémentaire, soit, si je compte bien,
l'équivalent de ving-quatre classes de vingt-cinq élèves. L'effort sera porté
sur les écoles élémentaires et les écoles en zone d'éducation prioritaire.
Je vous confirme qu'à la rentrée 1997 les objectifs que j'ai fixés, voilà déjà
quatre ans pour les écoles maternelles en ZEP seront atteints : il y aura
vingt-cinq élèves par classe maternelle en moyenne en ZEP. Il s'agit là d'une
moyenne : il pourra y avoir vingt-six élèves dans une classe et vingt-quatre
dans une autre ! Ce seront donc au total plus de trente classes supplémentaires
qui seront ouvertes à Paris, après consultation au mois de juin, dans les
écoles maternelles. Je voudrais rappeler que 28 % des postes à Paris, comme
vous l'avez dit, madame le sénateur, sont situés en ZEP.
Je vous précise, en outre, que tous les enfants de moins de trois ans dont les
parents ont demandé qu'ils soient scolarisés l'ont été, ce qui n'a pas empêché
une baisse globale des effectifs de près de 500 élèves à ce niveau. Je répète
donc : « Tous les enfants de moins de trois ans dont les parents ont demandé
qu'ils soient scolarisés, l'ont été. » C'est du moins ce que me disent les
services chargés de cette scolarisation.
La rentrée de 1997 se prépare donc dans ces conditions et je suis heureux que
vous ayez souligné vous-même que, par rapport à l'année dernière, les choses se
présentent mieux. Je veux vous rappeler en effet que, l'an dernier, il n'y a
pas eu d'incident à la rentrée à Paris. C'était la première fois depuis très
longtemps, et vous savez pourquoi : c'est parce que nous avons adopté de
nouvelles procédures d'inscription des élèves, qui donnent à chacun l'assurance
que son enfant sera accueilli dans telle ou telle école, le choix de celle-ci
étant déterminé dès avant le mois de juin.
Enfin, je mentionnerai un chiffre : à Paris, en 1997, 6 945 maîtres
accueilleront les élèves, soit un maître pour vingt élèves. Il me semble que
nous avons atteint là un niveau d'encadrement satisfaisant, pour ne pas dire
excellent.
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
Je pense effectivement que la situation est moins dramatique que l'année
dernière. Cependant, je crois que vous ne saisissez pas bien la réalité de la
situation. A force de raisonner en moyenne, on perd de vue la réalité.
Je vais donc illustrer mon propos par des exemples concrets rencontrés dans le
quartier de la Goutte-d'Or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris.
Dans ce quartier de Paris, une trentaine d'enfants de trois ans étaient
toujours sur les listes d'attente en décembre 1996, ainsi que 67 enfants qui
auront trois ans entre janvier et mars. Vous constatez donc, monsieur le
ministre, que vous n'êtes pas informé de façon suffisamment précise par vos
services.
De plus, les écoles sont d'ores et déjà pleines pour la rentrée prochaine,
d'après les inscriptions déjà effectuées. Je vous pose la question, monsieur le
ministre : que fera-t-on des enfants qui vont arriver ?
Les prochaines créations de locaux ne seront réalisées qu'à partir de la
rentrée 1999 ; même si cela relève de la ville de Paris, il est bon que vous le
sachiez.
Tout cela rend plus urgente que jamais la nécessité de créer une vraie école
maternelle dans le secteur « Ernestine-Emile-Duployé ». Dans l'attente, il
serait urgent de créer une autre école provisoire, le temps que l'école de la
rue de la Goutte-d'Or soit construite.
Par ailleurs, le fait d'avoir créé, rue Richomme, un véritable monstre d'une
capacité totale de seize classes, alors qu'il a été demandé de scinder cette
école en deux, accroît les risques de violence. Il est bon que vous en soyiez
informé.
Nous le voyons bien à travers ces exemples concrets, que ce sont les problèmes
quotidiens de conditions de travail, de manque de personnel, de formation des
enseignants et de classes qui sont à l'origine de la situation difficile dont
vos services vous informent certainement.
Il me paraît nécessaire, monsieur le ministre, de réfléchir aux moyens
attribués notamment dans les quartiers défavorisés, ceux que l'on ne peut plus
appeler zones d'éducation prioritaires - car ce ne sont plus des zones
d'éducation prioritaires - si l'on a la volonté, comme aiment à le dire le
Président de la République et le Gouvernement, que l'école contribue à réduire
la fracture sociale.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Enseignement de l'histoire-géographie
et de l'éducation civique
M. le président.
M. Alfred Foy attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale,
de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les méfaits d'une réduction
du temps consacré à l'enseignement de l'histoire-géographie et de l'éducation
civique qui se produiraient en cas d'adoption de l'actuel projet relatif à
l'organisation des enseignements du cycle central de collège.
En effet, celui-ci prévoit la disparition d'une grille horaire nationale et la
remplace par des horaires modulables à l'intérieur d'une fourchette propre à
chaque discipline, soit entre trois et quatre heures hebdomadaires pour
l'histoire-géographie et l'éducation civique. Cet aménagement de rythmes
scolaires, tel qu'il est prévu, ne manquerait pas de porter atteinte, une fois
encore, à l'enseignement de l'instruction civique, dont on ne soulignera jamais
assez le rôle fondamental quant à sa mission d'éducation à la citoyenneté et
aux valeurs républicaines.
C'est pourquoi il lui demande de bien vouloir l'assurer que toutes les
dispositions seront prises afin de maintenir une programmation horaire
suffisante à l'enseignement de cette discipline. (N° 597.)
La parole est à M. Foy.
M. Alfred Foy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet
relatif à l'organisation des enseignements du cycle central de collège, qui
concerne les classes de cinquième et quatrième, prévoit la disparition de la
grille horaire nationale et son remplacement par des horaires « souples », à
l'intérieur d'une fourchette comprise entre trois et quatre heures
hebdomadaires, pour l'histoire-géographie et l'éducation civique. Il aboutit,
par voie de conséquence, à mettre en concurrence les différentes matières
enseignées et à accroître les inégalités, inadmissibles à mes yeux, entre les
élèves fréquentant des collèges différents et même entre les classes d'un même
établissement.
Cet aménagement des rythmes scolaires, tel qu'il est prévu, ne manquerait pas
de porter atteinte à l'enseignement de l'histoire-géographie et de l'éducation
civique, en privant cette matière d'un horaire dont elle a besoin. Face à
l'ampleur des programmes, les enseignants seront dès lors dans l'obligation de
sacrifier l'instruction civique au profit de l'histoire et de la géographie
afin de permettre à leurs élèves d'avoir le niveau culturel nécessaire à la
troisième. Une fois encore, l'instruction civique sera laissée pour compte.
Faut-il rappeler qu'elle a déjà été « victime » de la réforme de la classe de
sixième à la rentrée de 1996-1997, compte tenu d'une réduction de moitié de son
horaire.
L'école, dans son acception la plus large, ne doit pas être seulement le lieu
d'accumulation des connaissances. Elle a aussi pour mission de former les
citoyens de demain en leur inculquant les valeurs républicaines auxquelles nous
sommes tous attachés. Le succès rencontré par le concours « Sénateurs-juniors »
organisé par le Sénat, ou bien encore les rencontres organisées entre écoliers
et sénateurs dans le cadre de la semaine de la presse, démontrent à quel point
notre jeunesse a envie de connaître et de comprendre le fonctionnement de notre
démocratie. J'ai pu d'ailleurs souvent le constater
in situ
en me rendant dans les classes, sur invitation de professeurs, à
la rencontre de collégiens et d'élèves du primaire. Je pense même qu'il
faudrait aller plus loin et que l'institution judiciare devrait reprendre à son
compte, l'expérience du Sénat afin de familiariser les Français dès le plus
jeune âge à l'organisation judiciaire.
C'est en raison de toutes ces considérations que je vous demande, monsieur le
ministre, et vous en avez le pouvoir, d'assurer le nécessaire maintien d'une
programmation horaire suffisante à l'enseignement de cette discipline.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur, d'abord en
rappelant un principe qui est de bon sens : la souplesse est nécessaire.
Pourquoi ? Parce qu'il est évident, et chacun le sait, que des élèves de
cinquième peuvent avoir besoin d'un effort supplémentaire en mathématiques ou
en français. Tout dépend de la demande des élèves, des difficultés
particulières qui sont les leurs et de la réponse pédagogique que l'on peut y
apporter.
Il est inutile qu'un élève en perdition en français subisse un horaire
absolument fixe en histoire et en éducation civique. En effet, s'il rencontre
des difficultés pour s'exprimer et pour comprendre sa langue maternelle,
l'histoire, qui est transmise par le truchement du français, restera lettre
morte. Dans cette perspective, la souplesse, je le répète, s'impose.
Cette souplesse ne doit cependant pas modifier l'équilibre entre les
différentes disciplines. Nous avons prévu qu'il soit consacré à l'enseignement
de l'histoire, de la géographie et de l'éducation civique entre trois et quatre
heures. Le texte précédent prévoyait trois heures et demie. Nous avons donc
préservé le même équilibre sur un volume horaire global de vingt-cinq heures
trente.
Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, j'ai fait de
l'éducation civique une priorité. Elle figure désormais à titre privilégié dans
toutes les disciplines. Comme M. le Président de la République l'a souligné
l'autre jour, existent deux éducations civiques. Il y a d'abord l'information
civique à proprement parler, c'est-à-dire la démarche qui consiste à
familiariser les enfants avec nos institutions. Nous en avons eu récemment un
très bel exemple dans cet hémicycle, avec l'opération « sénateurs-juniors ». Je
m'en suis vivement réjoui et j'ai dit à M. le président du Sénat à quel point
j'étais heureux de cette initiative.
Il y a ensuite l'éducation à la citoyenneté, c'est-à-dire l'effort continu,
patient, qui consiste à transmettre aux enfants le sentiment de leurs
responsabilités dans le monde où ils vont vivre, le sentiment de leur
engagement dans ce monde, le sentiment du rôle qui est et sera le leur depuis
la cour de récréation jusqu'au stade en passant par la cité, le sentiment de
leur rôle dans la démocratie.
Et s'il est tout à fait légitime que le premier enseignement soit l'apanage
des professeurs d'éducation civique, le second enseignement, cette éducation à
la responsabilité, est du domaine de tous les enseignants, quelle que soit leur
discipline. A mes yeux, il ne peut pas y avoir d'enseignement, dans une
démarche pédagogique, qui n'ait pas l'objectif de conduire les enfants à ce
sentiment de la responsabilité.
Voilà pourquoi l'éducation civique est devenue partie intégrante de tous les
programmes, de toutes les disciplines, et je suis heureux de voir, monsieur le
sénateur, que vous l'avez noté et que c'est aussi ce pour quoi vous plaidez.
M. Alfred Foy.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Foy.
M. Alfred Foy.
Tout simplement, je voudrais remercier M. le ministre pour ses propos
rassurants, qui me satisfont pleinement.
Conditions d'éligibilité
des communautés de communes
au Fonds de compensation pour la TVA
M. le président.
M. Alfred Foy appelle l'attention de M. le ministre de la fonction publique,
de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur les conditions
d'éligibilité au fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, pour les
communautés de communes. A la suite de la promulgation de la loi n° 92-125 du 6
février 1992, de nombreuses communes ont été incitées à se regrouper, avec la
promesse d'un remboursement de la TVA l'année même de l'investissement sans
exclure aucun type d'investissement. L'article 42-3 de la loi de finances
rectificative pour 1988 n° 88-1193 du 29 décembre 1988 a prévu que les
immobilisations cédées ou mises à disposition au profit de tiers ne peuvent
donner lieu à l'attribution du FCTVA. La circulaire INT B 94 00257 C) du 23
septembre 1994 a malheureusement confirmé dans son article 2-2-2-2 que toute
opération réalisée pour le compte d'un tiers non éligible était exclue du champ
d'attribution de ce fonds.
Or de nombreuses communautés de communes, fortes des promesses qui leur
avaient été faites en 1992, ont, avant cette circulaire, engagé des dépenses
importantes pour équiper, par exemple, des terrains destinés à devenir zones
d'activités économiques. Elles ont aujourd'hui le sentiment d'avoir été mal
informées et se retrouvent souvent dans des situations difficiles, obligées
d'emprunter parce que leurs plans de financement initiaux avaient été calculés
hors taxe. Certes, grâce à l'intervention du Sénat, l'article 33 de la loi de
finances pour 1997 n° 96-1181 du 30 décembre 1996 a complété l'article L.
1615-2 du code général des collectivités territoriales par un alinéa prévoyant
que « les établissements de coopération intercommunale bénéficient, en lieu et
place des communes membres propriétaires, des attributions du FCTVA, à compter
du 1er janvier 1997, dans l'exercice de leurs compétences relatives à la voirie
». Mais ce geste, si nécessaire soit-il, demeure insuffisant pour compenser
l'amertume des communautés de communes face au désengagement de l'Etat ;
celles-ci sont en effet démotivées, ce qui est d'autant plus regrettable
qu'actuellement la France a besoin de mobiliser toutes les énergies.
Dans le cadre de l'aménagement du territoire et de la revitalisation des zones
rurales, il souhaiterait donc savoir s'il ne serait pas envisageable de
réexaminer les modalités d'attribution du FCTVA. (N° 593.)
La parole est à M. Foy.
M. Alfred Foy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
conditions d'éligibilité au fonds de compensation pour la TVA sont aujourd'hui
à l'origine des graves difficultés que connaissent un grand nombre de
communautés de communes.
A la suite de la promulgation de la loi du 6 février 1992, de nombreuses
communes ont été incitées à se regrouper, avec la promesse d'un remboursement
de la TVA l'année même de l'investissement, sans exclure aucun type
d'investissement.
L'article 42-3 de la loi de finances rectificative pour 1988 a prévu que les
immobilisations cédées, ou mises à disposition au profit de tiers, ne peuvent
donner lieu à l'attribution du FCTVA. La circulaire du 23 septembre 1994 a
malheureusement confirmé, dans son article 2-2-2-2, que toute opération
réalisée pour le compte d'un tiers non éligible était exclue du champ
d'attribution de ce fonds.
Or, de nombreuses communautés de communes, fortes des promesses qui leur
avaient été faites en 1992, ont, avant cette circulaire, engagé des dépenses
importantes pour équiper, par exemple, des terrains destinés à devenir zone
d'activités économiques.
Ainsi, la communauté rurale des Monts-de-Flandre, qui regroupe neuf villages
dans le département du Nord, se trouve actuellement en grave difficulté
financière. En effet, les dépenses qu'elle avait engagées pour la construction
du bâtiment industriel de METEREN sont inéligibles au FCTVA, ce qui représente
une perte de recettes de plus de 1 million de francs qu'elle devra compenser
par un emprunt. A cela s'ajoute le fait que cette communauté des
Monts-de-Flandre a perçu une dotation de développement rural calculée sur un
montant hors taxes de travaux !
Nombreux sont aujourd'hui les groupements de communes qui ont le sentiment
d'avoir été mal informés et qui se retrouvent dans des situations difficiles.
Certes, grâce à l'intervention du Sénat, l'article 33 du projet de loi de
finances pour 1997 a complété l'article L. 1615-2 du code général des
collectivités territoriales par un alinéa prévoyant que « les établissements de
coopération intercommunale bénéficient, en lieu et place des communes membres
prioritaires, des attributions du FCTVA, à compter du 1er janvier 1997, dans
l'exercice de leurs compétences relatives à la voirie ». Mais ce geste, si
nécessaire soit-il, demeure insuffisant pour compenser l'amertume des
communautés de communes face au désengagement de l'Etat.
Les communes sont en effet démotivées. Cela est d'autant plus regrettable
qu'actuellement la France a besoin de mobiliser toutes les énergies.
Dans le cadre de l'aménagement du territoire et de la revitalisation des zones
rurales, je souhaiterais donc savoir s'il ne serait pas envisageable de
réexaminer les modalités d'attribution du FCTVA.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le sénateur, comme vous l'avez rappelé, la loi
de 1992 a donné un avantage de trésorerie aux communautés de communes en leur
permettant, s'agissant des dépenses éligibles au FCTVA, de bénéficier de ce
fonds l'année même de la réalisation de la dépense éligible.
Toutefois, je voudrais préciser - vous l'avez d'ailleurs implicitement reconnu
- que cette loi de 1992 ne portait pas sur l'éligibilité ou la non-éligibilité
de tel ou tel investissement. L'avantage de trésorerie s'effectue, si je puis
dire, à droits constants, c'est-à-dire que les investissements doivent entrer
dans le patrimoine de la structure de la collectivité publique - commune ou
établissement public - ou doivent permettre de prolonger l'utilisation de ce
patrimoine. Cet avantage ne peut donc en aucun cas concerner des biens qui sont
ensuite mis à disposition ou utilisés par des tiers, lesquels ne sont pas
éligibles au FCTVA.
Cela a eu deux conséquences.
En premier lieu, s'agissant des compétences en matière de voirie, qui ont été
assez largement confiées par les communes aux structures intercommunales, le
Sénat avait relevé les difficultés qui se posaient et il avait pu régulariser
la situation de manière qu'à compter du 1er janvier dernier il y ait
effectivement « substitution » du bénéfice des sommes versées par le FCTVA de
chaque commune au profit des communautés de communes.
En second lieu, s'agissant des zones d'activité, la non-éligibilité de ces
dépenses n'a qu'une importance très relative dans la mesure où, comme vous le
savez sûrement, le droit commun fiscal peut s'appliquer. Ce type
d'investissements ouvre en effet droit à une récupération par la voie fiscale
de la TVA, puisqu'il s'agit de terrains qui sont ensuite vendus à des
industriels.
Le fait que ces investissements ne soient pas éligibles au FCTVA ne doit
normalement pas avoir de conséquences pour les communes et les communautés de
communes, sauf en termes de trésorerie, j'en conviens. En tant que maire, je
sais bien cependant que cette différence n'est pas tout à fait neutre dans la
mesure où la récupération par la voie fiscale peut prendre quelque temps.
Sur le fond, on ne peut pas, au titre de la politique d'intercommunalité,
modifier le partage entre les dépenses éligibles au FCTVA et celles qui ne le
sont pas. La règle d'éligibilité doit être la même quelle que soit la structure
publique qui réalise l'investissement.
J'ajoute, s'agissant de l'intercommunalité, dont nous avons eu l'occasion de
parler dans cette assemblée il n'y a pas si longtemps, que la progression de la
coopération intercommunale reste extrêmement forte, puisque nous avons encore
connu, entre 1996 et 1997, une augmentation de 20 % du nombre des structures
intercommunales mises en place.
Par conséquent, je crois que la dynamique que vous souhaitez, et que je
souhaite aussi, n'est pas perturbée par cette affaire du FCTVA.
M. Alfred Foy.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Foy.
M. Alfred Foy.
Monsieur le ministre, je vous remercie de vos explications très claires. Je
déplore malgré tout le manque d'information certain à l'égard de cette
communauté de communes qui, voulant impulser dans une zone rurale une certaine
dynamique, se trouve malheureusement pénalisée de 1 million de francs, ce qui
va peser lourd sur son avenir.
Situation des cadres
recrutés par la voie du troisième concours
des instituts régionaux d'administration
M. le président.
M. Marcel Deneux attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique,
de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la situation des cadres
recrutés par la voie du troisième concours des instituts régionaux
d'administration.
Ce concours, institué par la loi du 26 juillet 1991, a pour objectif de faire
bénéficier la fonction publique de personnels issus du secteur privé dont
l'expérience et les compétences sont de nature à faciliter et à accélérer la
réforme de l'Etat.
Bien entendu, pour que cet objectif soit effectivement atteint, il convient
d'assurer ces agents d'un traitement et d'un déroulement de carrière qui ne les
dissuadent pas de se présenter au concours ; il convient également que les
années passées dans le secteur privé ne soient pas perdues et oubliées.
Il faut rappeler que ces candidats exerçaient des responsabilités élevées dans
le secteur privé. D'ailleurs, les jurys d'admission ont reconnu leur haut
niveau de connaissances. Or, à ce jour, aucune disposition ne permet de prendre
en compte cette expérience professionnelle antérieure.
Il est donc souhaitable qu'un minimum d'ancienneté soit retenu en termes de
rémunération et d'avancement d'échelon. Cela s'effectue pour les candidats
issus des concours internes et ne pose aucun problème. La prise en compte d'un
minimum d'ancienneté permettrait en outre à ces fonctionnaires d'accéder, comme
leurs camarades, à des corps supérieurs pour lesquels les nominations au tour
extérieur s'effectuent notamment sur des critères d'ancienneté.
Il le remercie de bien vouloir lui faire part des mesures qu'il compte prendre
pour remédier à ce problème. (N° 596.)
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur la situation des
cadres de l'Etat recrutés par la voie du troisième concours des instituts
régionaux d'administration.
Vous le savez, monsieur le ministre, ce concours, institué par la loi du 26
juillet 1991, a pour objectif de faire bénéficier la fonction publique de
personnels issus du secteur privé dont l'expérience et les compétences sont de
nature à faciliter et à accélérer la réforme de l'Etat.
Bien entendu, pour que cet objectif soit effectivement atteint, il convient
d'assurer à ces agents un traitement et un déroulement de carrière qui ne les
dissuadent pas de se présenter au concours. Par ailleurs, il faut que les
années passées dans le secteur privé ne soient pas perdues et oubliées.
Rappelons que ces candidats exerçaient souvent des responsabilités élevées
dans le secteur privé ; les jurys d'admission ont d'ailleurs reconnu leur haut
niveau de connaissances. Or, à ce jour, aucune disposition ne permet de prendre
en compte cette expérience professionnelle antérieure.
Il serait donc souhaitable qu'un minimum d'ancienneté soit retenu en termes de
rémunération et d'avancement d'échelon. Cela se pratique pour les candidats
issus des concours internes et ne pose aucun problème. La prise en compte d'un
minimum d'ancienneté permettrait en outre à ces fonctionnaires d'accéder, comme
leurs camarades, à des corps supérieurs pour lesquels les nominations au tour
extérieur s'effectuent notamment selon des critères d'ancienneté.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir nous faire part des
mesures que vous entendez prendre pour remédier à ce problème.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Je voudrais tout d'abord m'associer, monsieur le
sénateur, à vos propos sur la qualité de ce type de recrutement, aussi bien
dans les instituts régionaux d'administration qu'à l'Ecole nationale
d'administration. Ce troisième concours est une réussite incontestable et c'est
une opportunité supplémentaire d'intégrer dans les fonctions publiques des
femmes et des hommes de grande qualité.
Ma première observation concerne la moyenne d'âge des personnes admises à ce
concours. Il s'agit d'un point important, et l'on constate que leur moyenne
d'âge est tout à fait comparable à celle des lauréats du concours interne.
Il faut savoir que ces agents débutent dans la carrière au troisième échelon
du premier grade lorsqu'ils ont accompli leur service national ou au deuxième
échelon dans le cas contraire. Ce qui veut dire qu'ils sont dans une situation
tout à fait comparable à celle qui est faite aux lauréats du concours externe,
il me paraît important de le rappeler. Les seuls cas de reprise d'ancienneté se
rencontrent lorsqu'il s'agit de services accomplis dans le secteur privé mais
au titre de certaines professions réglementées - infirmières, assistantes
sociales - ou encore dans des corps à technicité extrêmement marquée.
Evidemment, dans les corps de la filière administrative générale, une telle
reprise d'ancienneté n'existe pas. Vous la souhaitez.
Cependant, il nous faut nous interroger sur les conséquences, à terme, d'une
telle extension de la possibilité de reprise partielle d'ancienneté. En effet,
comme vous le savez, monsieur le sénateur, les concours externes de
l'administration, les concours « classiques » donc, sont aujourd'hui
accessibles jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans. Nous pourrions donc nous
trouver, selon les orientations que l'on prendrait sur le troisième concours,
devant une situation extraordinairement paradoxale dans laquelle les personnes
qui seraient intégrées au titre du troisième concours bénéficieraient d'un
certain nombre d'éléments de carrière positifs sous forme de reprise
d'ancienneté alors que des femmes et des hommes qui passeraient ce que l'on
appelle le concours externe, souvent le plus difficile, et qui pourraient avoir
jusqu'à quarante-cinq ans, ne bénéficieraient de rien du tout. Se poserait
alors un problème de rupture d'égalité des Français par rapport à l'accès à la
fonction publique et à ses conséquences.
De même, nombre de lauréats des concours internes, c'est-à-dire les deuxièmes
concours, comme on dit souvent, ont très fréquemment exercé des fonctions dans
le secteur privé avant d'exercer dans le secteur public, ce qui les a amenés à
pouvoir présenter le concours interne.
Je voudrais, à titre de comparaison, souligner que les administrateurs civils
issus du troisième concours d'accès à l'ENA ne bénéficient pas plus que ceux
des IRA d'une reprise d'ancienneté.
C'est la raison pour laquelle la solution que j'étudie serait un peu
différente, monsieur le sénateur : elle consisterait à instituer, à l'instar de
ce qui est prévu au profit des administrateurs civils issus du troisième
concours de l'ENA, une indemnité compensatoire qui pourrait être équivalente -
mais je ne dis cela qu'à titre d'exemple - à trois échelons de début de
carrière, ce qui, en termes de rémunération, correspondrait à une reprise de
cinq années d'ancienneté.
Nous travaillons sur cette hypothèse, qui ne mettrait pas en cause les grands
équilibres que j'évoquais tout à l'heure - comme le ferait de manière un peu
systématique la reprise d'ancienneté - tout en répondant à l'attente de ces
femmes et de ces hommes qui, en cours de vie professionnelle, font un choix qui
n'est pas facile et qui apportent leur expérience professionnelle antérieure à
nos administrations.
Tel est, monsieur le sénateur, l'esprit des travaux que nous menons
aujourd'hui pour essayer de régler cette difficulté.
M. Marcel Deneux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, qui éclaire bien le
problème : vous connaissez le dossier, mais, de cela, je ne doutais pas.
Je voudrais néanmoins vous dire qu'il est important d'adopter une solution
rapidement parce que quelques cas se posent. Je dois ajouter, parce qu'il m'est
arrivé dans une vie antérieure d'être membre du jury de ce troisième concours
de l'ENA, que le niveau d'entrée des candidats au concours de l'ENA n'est pas
tout à fait le même que le niveau des candidats à l'entrée dans les IRA et qu'à
compétences égales on crée des distorsions de concurrence.
Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour que vous trouviez rapidement
une solution.
Conséquences financières
des fortes chutes de neige dans la Drôme
M. le président.
M. Bernard Piras attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les
conséquences financières des fortes chutes de neige qui ont touché plus
particulièrement le département de la Drôme en janvier dernier.
Ces intempéries ont provoqué le blocage de tous les axes de communications en
vallée du Rhône et ont nécessité la mise en place d'un plan ORSEC. Elles ont,
par ailleurs, occasionné de très importants dommages tant aux particuliers
qu'aux collectivités locales.
Il semblerait que la reconnaissance de catastrophe naturelle, procédure régie
par la loi du 13 juillet 1982 modifiée, ne puisse s'appliquer en l'occurrence
ou du moins que de manière très partielle. En effet, cette procédure ne
concerne pas les dommages occasionnés par la neige, pour lesquels les personnes
pouvaient s'assurer.
Cependant, ces très fortes chutes de neige ont engendré directement ou
indirectement, pour les collectivités locales notamment, une surcharge
financière importante que, compte tenu de leur budget restreint, il leur est
impossible d'assumer.
C'est pourquoi il semble que la solidarité nationale doit dans cette hypothèse
jouer.
En 1992, 1993 et 1994, des fonds exceptionnels ont été versés à notre
département pour des dégâts dus aussi à des intempéries.
Il lui demande si, en la circonstance, il envisage de débloquer à nouveau des
fonds pour aider les communes concernées. (N° 591.)
La parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras.
J'ai tenu à attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les
conséquences financières des fortes chutes de neige qui ont touché plus
particulièrement le département de la Drôme au mois de janvier dernier.
Ces intempéries ont provoqué le blocage de tous les axes de communication dans
la vallée du Rhône et ont nécessité la mise en place d'un plan ORSEC. M. le
ministre de l'intérieur s'en souvient puisque, pendant plusieurs jours, un
grand nombre de véhicules ont été bloqués sur ces axes routiers. Elles ont, par
ailleurs, occasionné de très importants dommages tant aux particuliers qu'aux
collectivités locales.
Il semblerait que la reconnaissance de catastrophe naturelle, procédure régie
par la loi du 13 juillet 1982 modifiée, ne puisse s'appliquer en l'occurrence
ou du moins que de manière très partielle. En effet, cette procédure ne
concerne pas les dommages occasionnés par la neige, pour lesquels les personnes
pouvaient s'assurer.
Cependant, ces très fortes chutes de neige ont engendré directement ou
indirectement, pour les collectivités locales notamment, une surcharge
financière importante, que, compte tenu de leur budget restreint, il leur est
impossible d'assumer.
C'est pourquoi il semble que la solidarité nationale doit jouer dans cette
hypothèse.
En 1992, 1993 et 1994, des fonds exceptionnels ont été versés à notre
département pour des dégâts dus, eux aussi, à des intempéries.
Je demande donc à M. le ministre de l'intérieur si, en la circonstance, il
envisage de débloquer à nouveau des fonds pour aider les communes
concernées.
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser l'absence
de M. le ministre de l'intérieur, qui m'a demandé de vous présenter la réponse
qu'il avait fait préparer à votre intention.
Je vous rappellerai d'abord que les crédits ouverts au chapitre 67-54 de son
budget sont effectivemment destinés à compenser partiellement les dépenses que
les collectivités locales ont à engager suite à un certain nombre de dégâts
liés aux catastrophes naturelles.
Ces aides ponctuelles sont donc décidées, comme vous le savez sans doute, à
l'issue d'une commission interministérielle qui constate d'abord l'état de
catastrophe naturelle et qui, ensuite, permet l'octroi de subventions sous
forme de subventions d'équipement déléguées au département concerné.
Ces subventions ne peuvent être attribuées que pour la réparation de dommages
concernant la réhabilitation de biens communaux non assurables ou encore la
voirie communale et départementale.
S'agissant des taux de ces subventions, réglementairement, ils peuvent varier
de 15 à 45 % ; en général, ils sont de l'ordre de 20 %. En outre, le préfet du
département dispose d'une marge d'appréciation pour tenir compte de la
situation financière ou de la taille de la commune en question, et donc de la
part que les réparations peuvent prendre dans le budget municipal.
Monsieur le sénateur, votre département a bénéficié de 1992 à 1994, donc
pendant trois ans successifs, d'un certain nombre de subventions de ce type.
S'agissant du dossier plus récent, de janvier 1997, les éléments vont être
transmis par la préfecture au ministère. Dans la limite des règles qui
régissent le chapitre n° 67-54 que je viens de vous rappeler, votre département
bénéficiera des aides similaires à celles qu'il a perçues trois années de
suite.
M. Bernard Piras.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras.
Monsieur le ministre, votre réponse me satisfait partiellement, en tout cas en
ce qui concerne le déblocage des fonds.
J'attire votre attention sur la procédure et je souhaite que vous demandiez à
votre collègue le ministre de l'intérieur de l'accélérer, car les communes en
ont bien besoin.
Situation des chauffeurs de taxi parisiens
M. le président.
Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre du travail et des
affaires sociales sur la situation scandaleuse faite à un grand nombre de
chauffeurs de taxi parisiens qui sont victimes du système de la location.
Depuis 1973, ce système est à l'origine de la dégradation de la situation des
chauffeurs de taxi et de celle du taxi en général. En effet, dans le système de
la location, le patronat ne se pose plus en tant que tel, mais en tant que
propriétaire, et nie la notion de salaire, ce qui est inadmissible, car cette
notion recouvre toute la législation sociale contenue dans le code du
travail.
Cela a des effets redoutables pour les chauffeurs de taxi, victimes de ce
système féodal : la location est de plus en plus chère alors que les recettes
diminuent. Les chauffeurs sont obligés de travailler soixante à soixante-dix
heures par semaine pour un revenu net ne dépassant pas 20 F de l'heure. De
plus, ils n'ont ni droit au chômage ni droit aux congés payés. Cette situation
intolérable va également à l'encontre de l'intérêt du service au public que
constitue le taxi.
Pour toutes ces raisons, elle lui demande ce qu'il compte faire pour abroger
toutes les lois, ordonnances et décrets qui sont à l'origine du système de
location, et établir une obligation de contrat de travail entre les patrons et
les chauffeurs de taxi, rétablissant le rôle d'employeur que devraient avoir
ces patrons qui se comportent comme des rentiers. (N° 585.)
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais vous entretenir de la situation qui
est imposée aux locataires de taxi, dont le nombre est très important à Paris,
et qui est pour le moins anachronique, si ce n'est scandaleuse.
En effet, ce système de location qui, en 1934, avait déjà suscité une très
vive protestation - j'ai là une belle photographie de la manifestation des
cochers-chauffeurs en mars 1934 - permet depuis 1973 au patronat, qui est en
l'occurrence propriétaire, « d'échapper » au code du travail.
Mais voyons comment cela se passe dans la pratique.
Comme les autres chauffeurs, salariés ou artisans, les locataires doivent être
titulaires d'un certificat de capacité délivré par la préfecture. Le coût de la
préparation à l'examen varie de 5 000 à 15 000 francs selon les écoles. Sur 1
834 candidats en 1996, 44 % ont été reçus.
Une fois au volant, le locataire verse par avance de 4 200 à 4 500 francs par
semaine à son loueur. Sur cette somme, environ 1 800 francs servent à payer les
charges sociales et la TVA. La recette moyenne est actuellement de 800 à 1 000
francs par jour. Pour le locataire, c'est peu car il faut soustraire 2 000
francs mensuels de gazole et, en général, 1 700 francs de connexion à un réseau
d'appels clients. A la fin du mois, il ne lui reste souvent que 4 000 francs
pour des semaines de 75 heures de travail, ce qui fait un revenu net ne
dépassant pas 20 francs de l'heure. Certains chauffeurs finissent même le mois
avec une somme équivalente au RMI.
Ce système féodal, dont les locataires sont les premières victimes, devient
d'autant plus insupportable que la location est de plus en plus chère alors que
les recettes, pour cause de faible pouvoir d'achat, semble-t-il, diminuent.
Comment s'étonner, dès lors, que le dépassement des horaires de travail
constitue l'infraction qui est relevée le plus fréquemment ? Comment s'étonner
que quelque 3 000 taxis « irréguliers » circulent à Paris, selon diverses
organisations syndicales ? Comment s'étonner que ces chauffeurs, tricheurs par
obligation, travaillent deux fois dix heures par jour, sept jours sur sept ?
Comment s'étonner en effet quand on sait que le travail sept jours sur sept est
autorisé depuis l'ordonnance de 1973 ?
S'ajoute à cette situation inhumaine le fait que les locataires n'ont droit ni
au chômage ni aux congés payés, mesures prises par la préfecture de police que
les chauffeurs de taxi ressentent comme trop sévères, voire
discriminatoires.
Cette situation va également à l'encontre de l'intérêt des usagers, qui
subissent une dégradation forcée des conditions de transport par manque de
moyens du locataire.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, si
vous avez conscience de cette situation et ce que vous comptez faire pour
rendre obligatoire le contrat de travail entre les patrons et les chauffeurs de
taxi, rétablissant ainsi le rôle d'employeur qui est réel et que devraient
avoir ces patrons qui se comportent en réalité comme des rentiers.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale.
Madame le
sénateur, je vous prie d'excuser Jacques Barrot, ministre du travail et des
affaires sociales, qui m'a chargé de vous donner les éléments de réponse
suivants à votre question.
Comme vous l'avez vous-même indiqué, depuis 1973 la profession de chauffeur de
taxi à Paris s'exerce sous trois statuts différents : salarié, artisan et
locataire. Il est exact que la proportion des locataires s'est accrue,
puisqu'ils sont aujourd'hui au nombre de 6 500 sur 17 000 chauffeurs de taxis
parisiens.
La loi du 20 janvier 1995 et le décret du 17 avril 1995 ont donné une assise
juridique à l'exploitation des taxis par location, et il n'est pas dans
l'intention du Gouvernement à ce stade de modifier ce cadre juridique
récent.
Cela étant, le Gouvernement est bien évidemment extrêmement sensible à la
situation difficile que vous avez illustrée et que vivent certains chauffeurs
de taxi locataires, situation sur laquelle ils ont récemment attiré l'attention
des pouvoirs publics.
C'est pourquoi Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales,
et Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, ont décidé d'organiser une
concertation entre les chauffeurs et les entreprises de taxis.
La première réunion, qui s'est tenue le 19 mars, a rassemblé l'ensemble des
représentants des entreprises et des chauffeurs, quel que soit leur statut :
salariés, artisans ou locataires. Il a tout d'abord été décidé de reprendre les
négociations en vue d'élaborer une convention collective appliquable à
l'ensemble des entreprises de taxis qui emploient des chauffeurs salariés.
Par ailleurs, trois réunions de concertation entre loueurs et locataires ont
d'ores et déjà été programmées d'ici à la fin du mois de juin. Elles aborderont
toutes les questions relatives aux conditions de travail et d'emploi des
locataires que vous avez évoquées à juste titre.
Voilà, madame le sénateur, ce que le Gouvernement a décidé d'inciter les
parties responsables à faire. Nous espérons que la concertation qui vient de
s'engager débouchera dans les meilleurs délais sur d'importantes améliorations
pour le statut des chauffeurs de taxi locataires.
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse.
Cette négociation me paraît tout à fait utile parce qu'elle correspond à un
besoin réel ; il est donc inutile d'insister davantage.
Dans cette affaire, je pense qu'il est souhaitable que les pouvoirs publics
fassent valoir le caractère assez invraisemblable de la situation.
Je vous fais observer que le taxi est autre chose qu'une activité purement
commerciale. C'est un service au public complémentaire aux transports
publics.
Les usagers ne peuvent que trouver des avantages à l'établissement de
conditions de vie et de travail décentes des chauffeurs, quels qu'ils soient,
mais particulièrement des locataires, qui sont aujourd'hui très nombreux, comme
vous l'avez dit vous-même, puisqu'ils représentent un tiers des chauffeurs de
taxi.
L'amélioration des conditions de vie et de travail entraînera une plus grande
stabilité dans la profession, une plus grande expérience, un plus grand
professionnalisme.
Je ferai valoir concrètement que tous les chauffeurs devraient pouvoir
bénéficier de l'assurance chômage, locataires compris, ce qui implique
forcément un contrat de travail. Les patrons deviendraient responsables du
temps de travail des chauffeurs et seraient obligés de payer des cotisations
patronales. Cela ferait disparaître la concurrence déloyale entre les
entreprises et les artisans - vrai problème qui explique l'augmentation du
nombre de locataires - et serait, sans réduction des gains, bénéfique pour
l'emploi et pour tous les chauffeurs et usagers.
Il faut le dire, les chauffeurs de taxi ne sont pas des Kleenex ; ils ont
droit à autre chose qu'à la précarité et au système de
turn-over
qu'on
leur impose !
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande d'exercer sur les pouvoirs
publics une pression afin que ces négociations débouchent cette fois-ci sur des
éléments concrets.
Suppression de la caisse d'allocations
familiales d'Arpajon
M. le président.
M. Xavier Dugoin attire l'attention de M. le ministre du travail et des
affaires sociales sur le projet de suppression de l'antenne de la caisse
d'allocations familiales d'Arpajon.
Devant les conséquences graves et très préjudiciables tant pour le personnel
que pour les allocataires, il lui demande les mesures qu'il entend prendre afin
que soit maintenue sur Arpajon, un des pôles du département, cette antenne
répondant aujourd'hui rapidement et humainement par un service social de
qualité et de proximité aux besoins de ses usagers. (N° 592.)
La parole est à M. Dugoin.
M. Xavier Dugoin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question porte sur le projet de suppression
de l'antenne de la caisse d'allocations familiales d'Arpajon dans le cadre d'un
projet d'orientation et de restructuration de la CAF de l'Essonne baptisé
Horizon 2000.
Ce projet, s'il est maintenu, aura un certain nombre de conséquences graves au
niveau local, d'abord en termes d'emploi pour les salariés, puisque cela
provoquera des transferts géographiques importants, et ensuite pour les
usagers, puisque la qualité de service social de proximité baissera.
Nous souhaitons donc le maintien de cette antenne, le retrait de ce projet, en
particulier au motif qu'il est en complète contradiction avec une volonté
affirmée et réaffirmée par le Gouvernement en termes d'aménagement du
territoire - je pense notamment à tout ce qui concerne le maintien de services
de proximité de qualité, ainsi que le contact permanent avec la population.
Cette dernière augmente chaque année dans le secteur d'Arpajon. Elle est
jeune, nouvelle et souvent confrontée à des problèmes sociaux et familiaux
importants, lesquels relèvent de la compétence de la CAF.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale.
Monsieur Dugoin,
le projet de réorganisation de la caisse d'allocations familiales de l'Essonne,
intitulé « Horizon 2000 », s'articule autour de deux lignes de force : d'abord
la recherche d'une gestion plus efficace et, ensuite, le maintien et le
développement de services de proximité au plus près des usagers.
Le premier axe consiste en un regroupement des moyens de gestion de la caisse
sur la ville d'Evry. Actuellement, les services de la CAF sont répartis sur
deux immeubles situés à Evry et à Arpajon. Cette organisation, issue de
l'ancienne caisse d'allocations familiales de la région parisienne, induit des
surcoûts de gestion non négligeables.
En effet, les services logistiques doivent être dupliqués et les déplacements
des agents entre les deux sites sont nécessairement multipliés, sans que le
service rendu aux allocataires soit pleinement satisfaisant.
C'est d'ailleurs pour améliorer le service que le second axe de la
restructuration souhaitée par la caisse d'allocations familiales de l'Essonne
repose sur une organisation de la caisse autour de huit sites décentralisés sur
lesquels seraient implantés des pôles d'accueil.
Ces pôles d'accueil devraient être des structures légères d'une dizaine
d'agents, qui assureraient un meilleur service de proximité aux allocataires
grâce à une ouverture permanente des guichets du lundi au vendredi, alors
qu'ils ne sont ouverts qu'une journée ou qu'une demi-journée par semaine à
l'heure actuelle. Ces structures regrouperaient non seulement des
techniciens-conseils aptes à répondre aux questions portant sur les dossiers
des allocataires, mais également des travailleurs sociaux pouvant traiter
immédiatement une situation d'urgence.
Arpajon figure bien évidemment parmi les huit villes où seraient implantés ces
pôles d'accueil. Ce projet, qui s'inscrit dans le cadre du schéma directeur
d'action sociale de la caisse, a été adopté par le conseil d'administration de
la CAF. Les services de la direction régionale des affaires sanitaires et
sociales d'Ile-de-France, la DRASSIF, chargés de la tutelle de la caisse
d'allocations familiales de l'Essonne, ont porté une appréciation positive.
Néanmoins, il est apparu nécessaire d'approfondir encore la concertation avec
les divers partenaires intéressés, en particulier les élus des communes
concernées.
Pour cette raison, le préfet de la région d'Ile-de-France vient de demander au
président de la caisse d'allocations familiales de l'Essonne de poursuivre le
dialogue avec les élus locaux afin de mieux prendre en compte les impératifs
d'aménagement du territoire. Le président de la CAF a rencontré récemment le
président de l'Union des maires du département en vue de l'organisation d'une
réunion d'information avec les élus dans un délai très rapproché.
Parallèlement, la directrice de la caisse d'allocations familiales de
l'Essonne doit rencontrer les représentants du personnel afin de négocier la
mise en oeuvre de la réorganisation de la caisse, dont la réussite est bien
évidemment subordonnée à l'adhésion de tous. Une cellule d'appui vient d'être
constituée afin que chaque agent du site d'Arpajon puisse faire valoir les
contraintes que lui imposerait un regroupement des services à Evry.
Cette nécessaire concertation doit permettre de lever les malentendus qui sont
apparus et d'apporter au projet adopté par le conseil d'administration de la
caisse d'allocations familiales de l'Essonne toutes les adaptations
souhaitables.
Voilà, monsieur le sénateur, les éléments d'information que je suis en mesure
de vous donner ce matin.
M. Xavier Dugoin.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Dugoin.
M. Xavier Dugoin.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des premiers éléments de
réponse que vous venez de me fournir. Ils me rassurent et, surtout, ils vont
rassurer les très nombreux élus locaux qui s'étaient émus de cette
situation.
Je souhaiterais simplement insister sur deux points.
Tout à l'heure, je n'ai pas cité de chiffres, et je tiens à dire que la
nouvelle logique de la caisse d'allocations familiales entraînera le transfert
de quelque 350 personnes du secteur d'Arpajon vers celui d'Evry. Dans une
logique économique et financière, le nouveau projet aboutira de toute façon à
la fermeture de deux guichets d'accueil et à la disparition de vingt-huit
points de permanence. Ne resteront donc ouverts que huit pôles d'accueil et
deux permanences administratives.
Par ailleurs, j'ai bien noté que la situation allait changer en termes de
sensibilisation et de dialogue. Mais on ne peut que regretter que, jusqu'à
maintenant, sur ce dossier de restructuration géographique très important pour
un département comme le nôtre, aucune concertation n'ait eu lieu entre la CAF
et les élus locaux, qui, bien évidemment, se sentent très concernés - plus de
cinquante municipalités ainsi que le conseil général de l'Essonne ont déjà voté
des motions sur ce sujet.
En tout cas, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre démarche.
Réglementation
applicable au cumul emploi-retraite
M. le président.
M. Jean Chérioux appelle l'attention de M. le ministre du travail et des
affaires sociales sur les difficultés d'application de l'article 46 de la loi
n° 95-116 du 4 février 1995, qui a modifié, sur l'initiative du Sénat,
l'article L. 161-22 du code de la sécurité sociale relatif aux règles de cumul
emploi-retraite.
Cet article visait à permettre à des personnes exerçant une activité non
salariée de percevoir une pension de vieillesse à laquelle leur activité
salariée leur a ouvert droit, sans renoncer pour autant à leur activité non
salariée. Cette condition de cumul d'activités s'apprécie à la date d'effet de
la pension du régime des salariés.
Toutefois, la Caisse nationale d'assurance vieillesse - CNAVTS - considère que
les personnes qui, à cette date, relèvent du régime d'assurance chômage tout en
exerçant une activité non salariée ne peuvent bénéficier de cette disposition.
Or, les périodes de chômage sont assimilées à des périodes de travail effectif
pour la détermination des droits à pension en vertu de l'article L. 351-3 du
code de la sécurité sociale.
De plus, les statistiques publiées par la CNAVTS révèlent que les deux tiers
des personnes partant actuellement à la retraite sont déjà inactives et que,
parmi elles, 40 % sont des personnes au chômage. Il s'agit d'une réalité dont
cet organisme ne semble pourtant pas avoir tiré toutes les conséquences.
Par ailleurs, une circulaire en date du 1er décembre 1995 relative au cumul
emploi-retraite a admis que, dans certains cas, la condition de pluriactivité
simultanée pouvait être appréciée à la date de cessation des activités
salariées.
Enfin, il convient de tenir compte de l'esprit de la loi de 1995 tel que l'a
défini le législateur. Le rapporteur de ce texte au Sénat avait souligné la
nécessité de remédier à la situation inéquitable faite aux personnes exerçant
une activité mixte et le ministre en charge des affaires sociales avait même
déclaré qu'il fallait prendre en compte les « situations individuelles ».
En conséquence, il souhaite savoir si le Gouvernement entend prendre les
mesures de nature à permettre une application de la loi conforme à l'intention
du législateur ou s'il conviendrait de préciser, par voie d'amendement, la
portée de l'article 46 de la loi de 1995. (N° 599.)
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en
1995, sur l'initiative du Sénat, l'article L. 161-22 du code de la sécurité
sociale a été modifié pour permettre à des personnes exerçant simultanément des
activités salariées et des activités non salariées de bénéficier de leur
retraite de salarié et de continuer à exercer des activités non salariées dès
lors qu'elles ne demandent pas les retraites correspondant à ces dernières.
Cette mesure a été introduite pour mettre un terme à une situation injuste. En
effet, avant 1995, un salarié pouvait parfaitement faire liquider sa retraite
et reprendre une activité similaire chez un autre employeur, alors qu'un
travailleur non salarié, qu'il soit commerçant, artisan ou exploitant agricole,
était tenu de changer d'activité pour bénéficier de sa retraite, ce qui dans
son cas était beaucoup plus difficile.
Par ailleurs, lors de l'adoption de la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant
diverses dispositions d'ordre social, notre excellent rapporteur Claude Huriet
avait précisé que cette disposition visait à remédier à la « situation
inéquitable » dans laquelle se trouvaient ceux qui avaient exercé une activité
mixte. Ces personnes ne pouvaient poursuivre leur activité non salariée si une
pension de vieillesse leur avait été versée au titre de leur activité salariée.
Or le montant de cette pension est souvent relativement peu élevé compte tenu,
d'une part, de la durée de leur formation initiale et, d'autre part, de
l'exercice à mi-temps de cette activité.
Mme Simone Veil, alors ministre d'Etat chargé des affaires sociales, avait
déclaré à ce propos : « Il est des situations individuelles auxquelles nous ne
pouvons pas être insensibles. Il s'agit, en effet, non pas de questions
financières mais de problèmes d'activités. En effet, des personnes qui sont
encore en pleine forme pour exercer des activités ne peuvent le faire en raison
de la règle du non-cumul. »
Telle était donc initialement l'intention du législateur.
Force est de constater que certaines difficultés persistent. La principale
réside dans le fait que la caisse nationale d'assurance vieillesse considère
que les personnes qui, à la date d'effet de la pension du régime des salariés,
relèvent du régime d'assurance chômage, tout en exerçant parallèlement une
activité non salariée, ne peuvent bénéficier de cette disposition.
Or les périodes de chômage sont assimilées à des périodes de travail effectif
pour la détermination des droits à pension en vertu de l'article L. 351-3 du
code de la sécurité sociale.
Surtout, les statistiques publiées par cette même caisse révèlent que les deux
tiers des personnes partant actuellement à la retraite sont déjà inactives et
que, parmi elles, plus d'un tiers - soit 40 % - sont au chômage. Or la CNAVTS
n'a tiré aucune conséquence de cet état de fait.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite donc savoir si la circulaire n°
1/96 du 1er décembre 1995 relative au cumul emploi-retraite, qui avait déjà
permis une appréciation rétroactive de la qualité de « pluriactif simultané »,
ne pourrait pas être complétée pour tenir compte de ce type de cas, de plus en
plus fréquent, ou si la rédaction de l'article L. 161-22 du code de la sécurité
sociale doit être précisée afin de mettre un terme aux actuels conflits
d'interprétation.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale.
M. Jacques Barrot,
ministre du travail et des affaires sociales, qui vous prie d'excuser son
absence, m'a chargé, monsieur le sénateur, de vous livrer les éléments de
réponses suivants.
L'article 46 de la loi du 4 février 1995 permet effectivement à l'assuré qui
exerce simultanément des activités salariées et non salariées de bénéficier de
sa retraite de salarié et de continuer à exercer une activité non salariée dès
lors qu'il ne demande pas à jouir de la retraite correspondante.
L'exercice simultané d'une activité salariée et d'une activité non salariée
doit être constaté à la date à laquelle l'assuré fait valoir ses droits à
pension du régime général. De ce fait, ne peuvent bénéficier des mesures de
cumul emploi-retraite ceux qui avaient cessé leur activité salariée avant cette
date pour quelque raison que ce soit.
Il est toutefois vrai que, dans l'instruction du 1er décembre 1995, il a été
demandé que soit pris en compte, par mesure de bienveillance, le cas de
certaines personnes qui, par méconnaissance des textes, se sont privées d'un
droit légitime ou se trouvaient, avant la loi du 4 février 1995, dans une
situation où elles remplissaient les conditions pour en bénéficier.
Quant aux périodes de chômage, il est vrai qu'elles sont prises en compte pour
l'ouverture et le calcul des droits à pension ; néanmoins, elles ne peuvent en
rien être assimilées à des périodes de travail effectif au sens de la
législation relative au cumul emploi-retraite.
Ne peuvent dont pas bénéficier de ce dispositif les personnes en situation de
chômage au moment de leur demande de liquidation de pension de vieillesse du
régime général.
Limitée à son origine, l'autorisation du cumul emploi-retraite a déjà subi au
fil des années de nombreuses modifications visant à étendre les règles dans un
sens toujours plus favorable. Le dispositif actuel réalise un compromis
satisfaisant entre le souci de permettre la poursuite d'une activité tout en
percevant une retraite et la nécessité de ne pas peser davantage sur la
situation de l'emploi.
La législation relative au cumul emploi-retraite est définie par une loi de
1993 applicable jusqu'au 31 décembre 1998. En toute hypothèse, les règles de
cumul emploi-retraite seront donc réexaminées l'année prochaine. C'est à cette
occasion que de nouvelles dispositions dérogatoires pourraient, le cas échéant,
être étudiées.
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, mais je ne
peux pas dire qu'elle me donne satisfaction, loin de là !
Je constate avec regret que l'administration du travail et des affaires
sociales persiste dans son attitude et continue à interpréter de façon
restrictive la loi de février 1995, et cela en contravention évidente avec
l'intention du législateur. En tant que sénateur, je ne peux que m'élever
contre cette attitude, qui n'est pas tout à fait admissible.
Je dirai que M. le ministre lui-même va un peu dans mon sens, dans la mesure
où il estime qu'il existe des situations regrettables et que, en 1998, nous
serons amenés à revoir la législation en vigueur. Mais, monsieur le secrétaire
d'Etat, 1998, c'est loin et, en attendant, les situations délicates ne sont pas
réglées.
Pour ma part, je ne peux me satisfaire de cela.
Puisque l'on envisage de procéder à des modifications en 1998, je pense qu'à
l'occasion de la discussion d'un texte portant diverses dispositions d'ordre
social, par exemple, pourrait être déposé un amendement tendant à préciser la
loi de 1995 de façon à faire prévaloir la position du Parlement sur celle des
services administratifs.
J'en viens à ce que vous avez dit à propos du chômage.
En suivant la logique jusqu'au bout, nous en arrivons à une situation tout à
fait ubuesque. En effet, parmi les personnes qui relèvent de l'assurance
chômage, il n'y a pas seulement les chômeurs, il y a aussi tous les
préretraités. Cela signifie que les préretraités, qui, par définition, sont
sortis du système par anticipation, ne peuvent pas faire valoir leurs
droits.
Je souhaiterais donc vivement, monsieur le secrétaire d'Etat, que les services
revoient leur position, en particulier en ce qui concerne la situation des
préretraités.
Pour ma part, je m'emploierai, dans le courant de cette session, à déposer un
amendement visant à faire prévaloir l'interprétation du législateur.
Situation
des professionnels de biologie médicale
M. le président.
M. Marcel Deneux attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé et à
la sécurité sociale sur la situation des professionnels de la biologie
médicale, dont l'activité future semble gravement compromise par le projet
d'accord pour 1997 avec les caisses d'assurance maladie.
Ces professionnels de grande qualité, dont la compétence est reconnue par tous
et qui constituent un maillon essentiel de notre système de santé, sont en
effet durement frappés par la réduction des dépenses de santé.
Le principe de cette réduction n'est contesté par personne, mais il convient
qu'elle pèse équitablement sur les différentes composantes du système
relativement à leur poids en son sein.
Or, il apparaît que les biologistes ont été les premiers à prendre leurs
responsabilités dans la maîtrise des dépenses de santé et ont, par ailleurs,
subi indirectement les contraintes imposées aux prescripteurs.
Ces différents éléments ont très sensiblement fragilisé cette profession qui
se retrouve ainsi en péril avec le projet de convention pour 1997.
Il lui demande de bien vouloir le rassurer sur l'avenir de ces professionnels,
car en découle aussi l'avenir de notre santé publique. (N° 595.)
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais attirer votre attention sur la
situation des professionnels de la biologie médicale, dont l'activité future
semble gravement compromise par le projet d'accord avec les caisses d'assurance
maladie pour 1997.
Ces professionnels de grande qualité, dont la compétence est reconnue par tous
et qui constituent un maillon essentiel de notre système de santé, sont en
effet durement frappés par la réduction des dépenses de santé.
Le principe de cette réduction n'est contesté par personne, mais il convient
qu'elle pèse équitablement sur les différentes composantes du système
relativement à leur poids en son sein.
Or il apparaît que les biologistes ont été les premiers à prendre leurs
responsabilités dans la maîtrise des dépenses de santé et ont, par ailleurs,
subi indirectement les contraintes imposées aux prescripteurs.
Ces différents éléments ont très sensiblement fragilisé cette profession, qui
se retrouve ainsi en péril avec le projet de convention pour 1997.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie par avance de nous rassurer
sur l'avenir de ces professionnels ; il y va de l'avenir de notre santé
publique.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale.
Monsieur le
sénateur, l'accord tripartite fixant le montant des dépenses de biologie pour
l'année 1997 a été signé le 12 février dernier par l'Etat, les caisses
nationales d'assurance maladie et deux des syndicats de biologistes.
Il convient d'observer au préalable que l'accord pour 1996, qui avait été
signé par les six organisations syndicales de biologistes, prévoyait pour 1997
une baisse des tarifs - baisse de la valeur de la lettre-clé B - en conséquence
de la suppression des mesures de hausses du prix des actes prises précédemment
au titre des reversements effectués par l'assurance maladie aux laboratoires
d'analyses de biologie médicale. Cette suppression avait d'ailleurs constitué
l'un des éléments de préparation de la loi de financement de la sécurité
sociale qui a été adoptée ici même, en automne dernier.
Les négociations menées pour l'année 1997 ont conduit à écarter la baisse de
la valeur de la lettre-clé, unanimement refusée par les biologistes. En
contrepartie du maintien des tarifs à leur niveau issu des deux revalorisations
de 1994 et 1995, deux syndicats ont, en revanche, accepté un ajustement à la
baisse de la cotation de certains actes de pratique courante, qui a reçu un
avis favorable de la commission de la nomenclature. C'est sur cette base qu'a
pu être signé l'accord annuel.
L'accord conclu permet une progression de 0,5 % des dépenses de biologie pour
1997 par rapport à 1996, avec une marge supplémentaire qui offre la possibilité
d'une évolution plus importante des actes de biologie sans pénalisation pour
les laboratoires d'analyses de biologie médicale. Ainsi, il sera possible de
répondre à d'éventuelles augmentations des dépenses liées à des impératifs de
santé.
La voie dans laquelle les biologistes se sont engagés à partir de 1991,
montrant en cela leur sens des responsabilités, doit se poursuivre et s'insérer
dans le dispositif d'ensemble mis en place par les ordonnances du 24 avril
1996.
Les orientations dégagées par l'accord sur les dépenses de biologie permettent
donc de concilier la nécessaire maîtrise des dépenses de santé et une offre de
soins de qualité, servie par les avancées scientifiques et technologiques les
plus novatrices.
Les pouvoirs publics sont soucieux de voir la prescription des analyses de
biologie médicale continuer de répondre au mieux aux besoins des patients. Il a
donc été demandé au Conseil national de la formation continue de faire de ce
sujet un thème de formation continue prioritaire pour les médecins en 1997.
Par ailleurs, les références médicales opposables applicables dans le domaine
de la biologie ont été transmises à l'ANDE - Agence nationale pour le
développement de l'évaluation médicale - qui va bientôt devenir l'ANAES -
Agence nationale pour l'accréditation et l'évaluation en santé -, afin de
vérifier qu'elles répondent bien à l'état des connaissances scientifiques.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments d'information que je voulais
vous transmettre.
M. Marcel Deneux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie des éléments de réponse que
vous m'avez apportés et qui me rassurent en partie.
Je note tout de même que, pour 1997, la progression est de 0,5 %.
Je relève toutefois avec intérêt l'intervention prochaine du Conseil national
de la formation continue.
Plafonnement
de la taxe professionnelle
M. le président.
M. Michel Mercier attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des
finances sur le plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la
valeur ajoutée pour l'année 1996.
En effet, depuis 1996, la cotisation à retenir pour déterminer le montant du
plafonnement pour les entreprises dont le siège se situe dans une communauté de
communes créée en 1996 est, non pas la cotisation due au titre de l'année 1996,
mais une cotisation de référence calculée avec les bases de 1996 et les taux
d'imposition de 1995 ou de 1996 s'ils sont inférieurs.
L'article 34 de la loi de finances rectificative, qui supprime cet effet
pervers, ne paraît applicable qu'à compter de 1997, alors qu'il avait
précisément pour objet de supprimer cette conséquence de la loi de finances
pour 1996.
Aussi il lui demande s'il n'estime pas opportun qu'il soit remédié à cette
situation afin que le texte voté atteigne totalement son objectif. (N° 590.)
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le ministre, la taxe professionnelle est plafonnée en fonction de la
valeur ajoutée et la loi de finances pour 1996 a introduit dans ce régime de
plafonnement et de dégrèvement pris en charge par l'Etat une innovation qui va
dans le sens de la responsabilisation des élus locaux puisque, désormais, le
taux retenu pour calculer le dégrèvement est soit celui de 1995, soit celui de
1996 s'il est inférieur à celui de 1995.
On peut comprendre ce système, qui permet à l'Etat d'alléger ou au moins de
maîtriser la dépense qu'il engage au titre du plafonnement de la taxe
professionnelle et qui doit encourager chaque collectivité à se montrer aussi
modérée que possible lorsqu'elle vote les taux.
Toutefois, ce système fait que, parfois, la vertu n'est pas récompensée et
qu'elle peut même être pénalisée. C'est ce qui arrive lorsque se crée dans un
secteur une communauté de communes et que les communes membres de cette
dernière ont réduit, en 1996, leur taux de taxe professionnelle de manière que
l'addition du taux de la commune et du taux de la communauté de communes soit
égale au taux de 1995.
Or, dans un tel cas, le dégrèvement pris en charge par l'Etat sera calculé par
rapport au taux de 1996 de la commune, par définition inférieur à celui de
1995, et l'entreprise supportera entièrement le surplus dû à la fiscalité
additionnelle de la communauté de communes, bien que le taux de 1996 soit
globalement le même que celui de 1995.
Le Gouvernement et le législateur ayant pris conscience de cet effet pervers,
l'article 34 de la loi de finances rectificative pour 1996 a modifié ce système
en gommant l'« effet communauté de communes » et en prenant en compte le taux
global.
Néanmoins, l'administration fiscale, se fondant sur le principe de droit qui
veut que la loi ne dispose que pour l'avenir, considère que cet article 34 ne
s'applique qu'à la taxe professionnelle due à compter du 1er janvier 1997.
Il s'ensuit donc une pénalisation de la vertu des élus locaux, qui est
contraire tant à l'objectif du Gouvernement qu'à la volonté du législateur.
Il conviendrait, s'agissant d'une mesure fiscale plus douce, qu'instruction
soit donnée aux services des impôts afin qu'ils fassent de l'article 34 de la
loi de finances rectificative pour 1996 une interprétation plus favorable.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland,
ministre délégué aux finances et au commerce extérieur.
Monsieur le
sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de M. Arthuis, qui m'a
chargé de le remplacer pour vous répondre sur les modalités nouvelles de
plafonnement de la taxe professionnelle.
Le montant des cotisations de taxe professionnelle établies au titre de 1996
et des années suivantes, susceptible de plafonnement en fonction de la valeur
ajoutée, a été défini par l'article 16 de la loi de finances pour 1996 comme
étant égal au produit de la base d'imposition, pour l'année considérée, au
profit de chacune des collectivités bénéficiaires, par le taux de chaque
collectivité applicable pour 1995 ou par le taux de l'année d'imposition, s'il
est inférieur.
C'est ce que vous avez très justement qualifié d'innovation tendant à
responsabiliser les élus locaux dans la perspective d'une évolution fiscale que
nous voulons tous plus modérée.
Comme vous l'avez fait observer, les modalités de détermination des taux à
retenir en présence de communes adhérant à un groupement à fiscalité propre ont
été précisées par l'article 34 de la loi de finances rectificative pour 1996 du
30 décembre 1996.
Ces dispositions sont normalement applicables à compter de 1997, mais vous
souhaitez que cette applicabilité fasse l'objet d'une interprétation moins
stricte.
M. le ministre de l'économie et des finances est favorable, tout comme vous, à
l'application immédiate de cette mesure nouvelle pour le plafonnement des
cotisations établies au titre de 1996.
Toutefois, se pose un problème, tant il est vrai que les choses ne sont jamais
simples en matière fiscale : une telle décision est susceptible de rendre un
peu plus complexe, à la fois pour les entreprises et pour les services de la
direction générale des impôts, la procédure de dégrèvement contentieuse
habituelle au titre du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée.
C'est pourquoi les services concernés du ministère de l'économie et des
finances étudient actuellement les conditions dans lesquelles cette procédure
pourrait s'appliquer en essayant de limiter le plus possible les inconvénients
que je viens de signaler.
Cela fera très prochainement l'objet d'une instruction. Je peux vous indiquer
que M. le ministre de l'économie et des finances vous fera part immédiatement
des modalités qui auront été arrêtées.
Il est clair que le Gouvernement partage votre souci : il faut que la vertu
soit récompensée et non pénalisée.
M. Michel Mercier.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, des précisions que vous venez
de m'apporter. Ces informations rétabliront la confiance des contribuables et
des élus locaux envers une mesure qui doit emporter l'adhésion de tous, car
elle contribue à modérer la pression fiscale.
M. le président.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à seize heures dix, sous
la présidence de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président. La séance est reprise.
8
CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS
M. le président.
La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des
prochaines séances du Sénat :
A. -
Mercredi 26 mars 1997,
à quinze heures :
Ordre du jour prioritaire
1° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant
diverses dispositions relatives à l'immigration (n° 277, 1996-1997).
2° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme
de la procédure criminelle (n° 192, 1996-1997).
La séance sera prolongée jusqu'à vingt et une heures.
B. -
Jeudi 27 mars 1997,
à neuf heures trente et à quinze heures :
Ordre du jour prioritaire
Suite du projet de loi portant réforme de la procédure criminelle.
C. -
Mardi 15 avril 1997,
à neuf heures trente :
1° Dix-huit questions orales sans débat :
L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.
N° 583 de M. Josselin de Rohan à Mme le ministre de l'environnement (politique
en matière de déchets ménagers) ;
N° 600 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre du travail et des
affaires sociales (remboursement du dépistage du cancer du col de l'utérus)
;
N° 601 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme (tracé de raccordement de l'autoroute A
16 à la Francilienne) ;
N° 604 de Mme Marie-Madeleine Dieulangard à M. le ministre du travail et des
affaires sociales (difficultés de fonctionnement des centres d'interruption
volontaire de grossesse) ;
N° 605 de Mme Marie-Madeleine Dieulangard à M. le ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme (situation des marins russes
immobilisés sur des navires relâchant dans des ports français) ;
N° 607 de Mme Gisèle Printz à Mme le ministre de l'environnement (déraillement
d'un train contenant des matières nucléaires) ;
N° 608 de M. Jean Bernard à M. le ministre des petites et moyennes
entreprises, du commerce et de l'artisanat (disparité des taux de TVA sur les
produits alimentaires) ;
N° 609 de M. Claude Billard à M. le ministre du travail et des affaires
sociales (avenir de l'Institut Gustave-Roussy) ;
N° 611 de M. Gérard Delfau à M. le ministre du travail et des affaires
sociales (conséquences des réductions budgétaires imposées au centre
hospitalier universitaire de Montpellier) ;
N° 613 de M. Jean-Paul Hugot à M. le garde des sceaux, ministre de la justice
(protection de la jeunesse contre les comportements déviants ou dangereux) ;
N° 614 de M. Jean Bizet à M. le ministre de l'aménagement du territoire, de la
ville et de l'intégration (calcul des subventions allouées pour l'acquisition
de bâtiments industriels par les communes rurales) ;
N° 617 de M. Daniel Hoeffel à M. le ministre du travail et des affaires
sociales (situation des associations accueillant des objecteurs de conscience)
;
N° 619 de M. Daniel Hoeffel à M. le ministre des affaires étrangères
(conséquences de la création de la Conférence européenne permanente) ;
N° 620 de M. Jean-Claude Carle à M. le ministre de l'équipement, du logement,
des transports et du tourisme (abus relatifs à la publicité de certaines écoles
de conduite) ;
N° 621 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre délégué au logement
(situation des mal-logés) ;
N° 622 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre du travail et des
affaires sociales (retraite à cinquante-cinq ans) ;
N° 623 de M. Jean-Claude Carle à M. le ministe du travail et des afffaires
sociales (mise aux normes européennes des équipements de travail) ;
N° 625 de M. Claude Billard à M. le ministre de l'industrie, de la poste et
des télécommunications (déréglementation du secteur électrique).
A seize heures :
2° Scrutin pour l'élection d'un juge de la Haute cour de justice.
3° Scrutin pour l'élection d'un juge titulaire de la Cour de justice de la
République et de son suppléant.
Les candidatures devront être remises à la présidence - service de la séance -
avant le mardi 15 avril à douze heures ; ces scrutins se dérouleront
simultanément dans la salle des conférences ; les juges titulaires et le juge
suppléant élus seront appelés, aussitôt après le scrutin, à prêter le serment
prévu par les lois organiques.
4° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les collectivités
locales.
La conférence des présidents a fixé :
- à dix minutes les temps réservés au président de la commission des finances
et au président de la commission des lois ;
- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat,
les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront
être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 14
avril.
D. -
Mercredi 16 avril 1997,
à quinze heures :
Ordre du jour prioritaire
Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de
la procédure criminelle (n° 192, 1996-1997).
E. -
Jeudi 17 avril 1997,
à neuf heures trente et à quinze heures :
Ordre du jour prioritaire
1° Suite du projet de loi portant réforme de la procédure criminelle.
2° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale,
d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines (n° 244,
1996-1997).
La conférence des présidents a fixé au mercredi 16 avril, à dix-sept heures,
le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.
F. -
Mardi 22 avril 1997 :
Ordre du jour établi en application de l'article 48,
troisième alinéa, de la Constitution
A neuf heures trente et à seize heures :
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la
promotion de l'apprentissage dans le secteur public non industriel et
commercial (n° 225, 1996-1997).
2° Proposition de loi de M. Jacques Larché relative à la validation de
certaines admissions à l'examen d'entrée à un centre de formation
professionnelle d'avocats (n° 284, 1996-1997).
La conférence des présidents a fixé au lundi 21 avril, à dix-sept heures, le
délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux propositions de loi.
G. -
Mercredi 23 avril 1997,
à quinze heures :
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'aménagement du
territoire.
La conférence des présidents a fixé :
- à dix minutes le temps réservé au président de la commission des affaires
économiques ;
- à cinq heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les
orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront
être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mardi 22
avril.
H. -
Jeudi 24 avril 1997 :
A neuf heures quarante-cinq :
Ordre du jour prioritaire
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant création de
l'établissement public d'aménagement de l'étang de Berre (EPABerre) (n° 249,
1996-1997).
2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à
l'activité de mandataire en recherche ou achat de véhicules automobiles neufs
(n° 250, 1996-1997) ;
La conférence des présidents a fixé au mercredi 23 avril, à dix-sept heures,
le délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux propositions de
loi.
A quinze heures :
3° Questions d'actualité au Gouvernement :
L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la
séance avant onze heures.
Ordre du jour prioritaire
4° Eventuellement, deuxième lecture du projet de loi relatif à l'amélioration
des relations entre les administrations et le public.
5° Proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à
la fiscalité applicable en Polynésie française (n° 261, 1996-1997).
La conférence des présidents a fixé au mercredi 23 avril, à dix-sept heures,
le délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux textes.
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence
des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence
des présidents s'agissant de l'ordre du jour établi en application de l'article
48, troisième alinéa, de la Constitution ?...
Ces propositions sont adoptées.
9
RAPPEL AU RÈGLEMENT
Mme Hélène Luc.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde
sur l'article 36 de notre règlement.
La grève des internes, qui entre dans sa deuxième semaine, continue de se
propager. Vingt et un des vingt-six centres hospitaliers universitaires sont
aujourd'hui dans le mouvement.
Les assistants, les chefs de clinique, les externes et les étudiants en
médecine participent au mouvement, et trois syndicats de médecins de ville - le
Syndicat des médecins libéraux, la Fédération des médecins de France et la
Confédération des syndicats médicaux français - ont décidé de s'associer à la
journée d'action et à la manifestation nationale organisée jeudi à Paris et
soutenue par les usagers.
Tous dénoncent la convention médicale et la politique de rationnement des
soins. En effet, contrairement à ce qu'affirme M. le Premier ministre, il ne
s'agit pas d'un simple malentendu.
Certes, le Gouvernement dit que la convention médicale n'instaure pas de
quotas individuels d'activité, d'honoraires ou de prescriptions.
M. René-Pierre Signé.
Mais si !
Mme Hélène Luc.
Si chaque praticien libéral ne se verra pas appliquer un quota d'actes à
proprement parler, les pénalités seront individuelles au sein des régions qui
auront trop dépensé, selon le volume et l'évolution des honoraires et des
prescriptions de chaque médecin.
Donc, dans les faits, chaque médecin devra limiter ses prescriptions pour se
mettre à l'abri de sanctions financières. Comme l'a dit hier à la télévision un
interne : « Je n'ai pas fait dix ans d'études médicales pour devenir comptable,
mais pour soigner des malades, pour sauver des vies humaines. »
Ce sont non plus les besoins en matière de santé qui sont privilégiés, mais
des impératifs financiers. C'est ce que les internes n'acceptent pas, et nous
non plus.
Le Gouvernement écrit encore que « le reversement ne s'appliquera pas de
manière aveugle et confiscatoire ». Pourtant, plusieurs articles de la
convention stipulent que les sanctions seront financières et s'appliqueront
collectivement et sans discernement à tous les médecins.
Les internes, les médecins savent lire, monsieur le ministre ! L'accès aux
soins sera bien limité par des critères financiers. C'est bien la porte ouverte
à une médecine à deux vitesses.
Décidément, les gouvernements de droite qui se succèdent ne savent répondre
que par le mépris - comme au moment de la modification de la loi Falloux, comme
lors de la création du CIP, le contrat d'insertion professionnelle, ou pendant
les grèves de novembre et décembre 1995 - à ceux qui résistent à la mise en
oeuvre de leur politique.
Pourquoi ne pas avoir écouté les sénateurs du groupe communiste républicain et
citoyen et avoir repoussé tous leurs amendements quand ils affirmaient que le
plan Juppé allait aggraver les difficultés de notre système de sécurité sociale
?
Les réductions autoritaires des budgets dans les hôpitaux réduiront partout
les moyens. De 15 000 à 20 000 emplois y sont menacés. L'application du plan
Juppé remet en cause la qualité des soins, sacrifiée à la satisfaction des
critères d'austérité.
Le Gouvernement ne peut rester sourd plus longtemps aux exigences des internes
et des médecins. Il doit entamer une réelle renégociation de la convention
médicale.
Au-delà, notre pays a besoin d'un grand débat sur l'avenir de la protection
sociale, sur la santé et sur la prévention. Il n'est en effet pas concevable
que le Parlement demeure écarté de tout débat sur le contenu des ordonnances
alors que nous avons demandé à plusieurs reprises leur discussion. Mais le
Gouvernement craint ce débat et le repousse.
Il en va pourtant du respect des principes démocratiques. Le vote sans débat
des lois d'habilitation en décembre 1995 ne fut qu'un simulacre de consultation
des assemblées.
C'est pourquoi, au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et
citoyen, je demande que le Gouvernement inscrive au plus tôt à l'ordre du jour
du Parlement le projet de loi des six ordonnances réformant la sécurité
sociale, qui a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale voilà près
d'un an.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il serait temps !
Mme Hélène Luc.
Effectivement !
Il n'est pas supportable que des catégories sociales toujours plus nombreuses
s'élèvent contre le plan Juppé et que le Sénat et l'Assemblée nationale n'aient
pas été saisis de ces textes fondamentaux pour l'avenir de notre système de
santé.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
10
réforme de la procédure criminelle
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 192, 1996-1997),
adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de la procédure criminelle.
[Rapport n° 275 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, monsieur
le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, le projet de loi aujourd'hui soumis à la Haute
Assemblée a un objectif que l'on peut, sans manier l'hyperbole, qualifier
d'historique : il consiste en effet à modifier les règles fondamentales qui
gouvernent la justice criminelle en France depuis plus de deux siècles et à
préparer la procédure criminelle qui aura cours en France au XXIe siècle.
Si cette justice ne concerne certes qu'un petit nombre d'affaires - environ 2
500 par an - elle présente néanmoins une importance politique et sociale tout à
fait essentielle : parce qu'elle sanctionne les actes les plus graves, ceux qui
portent atteinte à la vie, à la dignité, aux valeurs les plus profondes de
notre civilisation, elle touche au socle même de l'organisation sociale, celui
des interdits fondamentaux de toute société, qu'elle se doit de célébrer dans
des conditions acceptées par tous. En effet, s'il est un domaine où la justice
doit être incontestée par le peuple au nom de laquelle elle est rendue, c'est
bien celui du jugement des crimes.
Or les conditions de cette adhésion générale ne sont plus aujourd'hui
remplies, même si les Français conservent pour la cour d'assises une sorte
d'attachement que, d'ailleurs, le sondage réalisé sur l'initiative du Haut
comité consultatif présidé par M. Jean-François Deniau a bien confirmé.
En effet, la démocratie s'est transformée : les conditions d'exercice du
pouvoir sont différentes de ce qu'elles étaient voilà un siècle. Les valeurs de
notre société ont évolué tant et si bien que la cour d'assises décidant du sort
d'un homme sans motif et sans appel, en premier et en dernier ressort, n'est
plus aujourd'hui, dans son fonctionnement, une institution acceptable.
Comment, en effet, justifier qu'une personne condamnée pour un crime jusqu'à
la peine de réclusion à perpétuité ne puisse pas bénéficier de la faculté de
voir sa situation examinée une seconde fois, alors même que cette faculté est
offerte aux personnes condamnées pour des délits et pour certaines
contraventions ?
Comment expliquer que, dans une société tout entière vouée à la transparence
et à l'information, l'on puisse décider du sort d'une personne sans indiquer à
cette dernière, à sa victime et au peuple au nom duquel le jugement est rendu
les raisons de cette décision ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
C'est pourquoi j'ai décidé, après avoir établi deux
avant-projets de texte, de charger un Haut comité consultatif composé de
représentants de la société civile et dont la présidence a été confiée à M.
Jean-François Deniau de réfléchir à ces questions et de tenter de dégager une
synthèse acceptable par tous.
Je tiens à souligner une nouvelle fois la qualité du travail accompli, tant
sur le plan historique que sur le plan conceptuel, par le Haut comité. Ce
dernier a en particulier explicité deux points : d'une part, la nécessité de
préserver à tous les niveaux l'institution du jury inscrite dans la tradition
républicaine en ce qu'elle noue le lien entre le peuple et sa justice ; d'autre
part, l'impossibilité de considérer le jury comme souverain au sens
constitutionnel du terme.
Le Haut comité a donc substitué à la notion de jury souverain celle de jury
citoyen et à la notion d'infaillibilité celle de légitimité, ouvrant ainsi la
voie à la réforme que le Gouvernement vous présente dans ce projet de loi qui a
été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, à la fin du mois de
janvier.
Il m'a alors semblé indispensable de mettre en place une architecture
maintenant la présence du jury tout au long de la procédure de jugement.
Le projet de loi qui vous est soumis vise donc à instituer une nouvelle
organisation judiciaire en matière criminelle : les crimes seront jugés par un
tribunal d'assises départemental composé de trois magistrats professionnels et
de cinq jurés ; ce jugement pourra faire l'objet d'un appel devant une cour
d'assises d'appel composée de trois magistrats professionnels et de neuf
jurés.
Ainsi se trouve à la fois conservé et modernisé ce formidable instrument de
justice que nous a légué la Révolution française et que constituent les cours
d'assises.
Cette nouvelle architecture judiciaire, qui a été élaborée à la suite d'une
longue concertation - près d'un an de travail - fait désormais l'objet d'un
large accord, à tel point, d'ailleurs, qu'elle n'a pas été contestée devant
l'Assemblée nationale. La commission des lois du Sénat n'envisage pas non plus
de mettre en cause cette architecture. Je m'en réjouis et l'en remercie.
Au-delà de l'institution du double degré de juridiction en matière criminelle,
qui est l'objet même de la réforme et que je développerai en premier, ce projet
de loi répond à deux autres soucis majeurs.
Le premier est le resserrement du lien entre la justice et le peuple citoyen,
ce qui m'a conduit à proposer d'abaisser l'âge des jurés à dix-huit ans.
Le second est l'institution d'une véritable transparence de la justice
criminelle, qui nécessite la mise en place d'une motivation spécifique des
décisions rendues par les tribunaux et les cours d'assises.
J'examinerai donc ces trois points au vu des propositions de la commission des
lois, pour aborder en dernier lieu la question des moyens de la réforme.
Mais, avant d'évoquer tous ces points, je tiens à rendre hommage à la qualité
du travail effectué par la commission et par son rapporteur, M. Jean-Marie
Girault.
Le rapport qui a été rédigé est en effet d'une particulière richesse, tant en
ce qui concerne sa partie descriptive et historique des dispositions actuelles,
que sa partie synthétisant les éléments du débat sur une réforme de la
procédure criminelle, sa partie commentant le texte adopté par l'Assemblée
nationale et, enfin, sa partie comportant les propositions de la commission
qui, pour l'essentiel, sont celles du rapporteur.
Je tiens surtout à souligner le souci de la commission des lois de recueillir
un éclairage complet sur ce projet de loi en procédant à de nombreuses
consultations, y compris auprès de lycéens, et en organisant, le 12 mars
dernier, une journée entière d'auditions publiques particulièrement
instructives que j'ai moi-même ouverte.
Cet approfondissement de la concertation effectuée par la commission des lois
confirme ce qui constitue, à mes yeux, une exigence majeure pour une réforme de
cette ampleur : je veux parler du consensus indispensable à sa compréhension et
à son acceptation.
L'institution du double degré de jugement en matière criminelle est l'objet
central de la réforme. C'est une question sur laquelle nombre de personnes
s'étaient penchées depuis de longues années. Je rappellerai simplement pour
mémoire la proposition faite en ce sens en 1983 par mon prédécesseur Robert
Badinter.
Je décrirai brièvement sur ce point les caractéristiques de l'appel que ce
projet de loi vise à instituer, avant d'examiner les conséquences sur la
procédure préalable au jugement qui en découlent.
Quelles sont les caractéristiques de l'appel ?
Le projet de loi prévoit que les décisions du tribunal d'assises sur l'action
publique pourront être frappées d'appel par l'accusé, s'il est condamné, et par
le ministère public, en cas d'acquittement ou en cas de condamnation.
Les décisions rendues sur l'action civile pourront être frappées d'appel par
le condamné et par la partie civile.
Le recours ainsi institué est donc - j'y tiens depuis le début - un droit
absolu et inconditionnel du condamné et du parquet. J'ai, à cet égard, repoussé
successivement toute une série de propositions tendant plus ou moins à créer
des filtres ou des procédures qui n'étaient pas de véritables procédures
d'appel.
Mais parce qu'il sera porté devant une juridiction d'assises, la cour
d'assises d'appel, cet appel aura certaines spécificités. En particulier, il ne
présentera pas le caractère dévolutif qui est le sien en matière
correctionnelle. Cela signifie qu'il ne pourra pas être limité à certains chefs
du jugement. Il n'apparaît pas en effet concevable qu'un appel du parquet ou du
condamné porte, par exemple, sur certaines peines complémentaires, obligeant
ainsi une cour d'assises à se prononcer sur ce seul point.
Pour la même raison, l'appel ne pourra porter sur la seule peine. La cour
d'assises devra en effet toujours examiner l'ensemble du dossier sur la
culpabilité et sur la peine et aura ainsi la possibilité de prononcer
l'acquittement ou la condamnation d'une personne condamnée ou acquittée en
première instance. C'est donc la reprise du dossier en son entier.
Certes, si l'accusé reconnaît les faits et s'il ne fait appel que parce qu'il
estime la peine trop lourde, il y a peu de chances qu'il soit acquitté par la
cour d'assises. Dans ce cas, la cour d'assises n'aura aucune difficulté à le
déclarer coupable et devra de toute façon procéder à un examen des faits pour
en apprécier l'exacte gravité et fixer la peine.
C'est pourquoi je ne suis pas favorable à l'amendement de la commission
prévoyant que l'accusé pourrait limiter son appel à la seule peine.
En dehors des motifs que je viens de présenter, je voudrais souligner qu'en
réalité cet amendement se présente comme le premier pas d'une réflexion
d'ensemble sur une procédure de « plaider coupable ».
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Très juste
!
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Or je crois qu'il faut être particulièrement prudent au
sujet de cette procédure transposée du droit anglo-saxon. Plusieurs raisons
militent en faveur de cette prudence, et je veux appeler votre attention sur ce
point.
La première tient au fait que le « plaider coupable », qui présente un intérêt
pour le procès dans la mesure où il centre le débat non pas sur les faits mais
sur la peine, se doit aussi de présenter un intérêt pour l'accusé. Or cet
intérêt se traduit, dans les procédures anglo-saxonnes, par un marchandage sur
les chefs d'accusation ou sur la peine
(M. le président de la commission
fait un signe de dénégation),
ce qui me paraît difficilement acceptable
dans notre pays.
Mais, surtout, en attachant des effets particuliers - c'est ce qui me paraît
le plus préoccupant - à un mode de preuve par rapport aux autres, cette
procédure donne à l'aveu - car c'est de cela qu'il s'agit - une place tout à
fait considérable et, à mes yeux, disproportionnée dans le procès pénal.
Mais si je suis défavorable à cette innovation, je suis favorable à
l'amendement de la commission qui prévoit, contrairement au projet de loi, que
les appels portés contre les condamnations pour délits connexes seront
également examinés par la cour d'assises, et non par la chambre des appels
correctionnels. En effet, seule la cour d'assises d'appel présente, de par sa
composition - notamment par le nombre plus élevé de jurés - la légitimité
permettant de remettre en cause la décision des tribunaux d'assises, légitimité
que la chambre des appels correctionnels, du fait de sa propre composition, ne
possède pas.
Sur ce point, d'ailleurs, la commission a également adopté un amendement
modifiant les règles de majorité devant la cour d'assises en portant de huit à
neuf le nombre de voix requis pour toute décision défavorable à l'accusé. Il
s'agit, dans l'esprit de M. le rapporteur, qui est à l'origine de cet
amendement, de faire en sorte que les décisions de condamnation reflètent
l'expression de la majorité des membres du jury, en première comme en seconde
instance.
D'un point de vue purement arithmétique, je ne conteste pas qu'une majorité de
six sur huit en première instance corresponde proportionnellement à une
majorité de neuf sur douze en appel.
Toutefois, la proportion de jurés par rapport aux magistrats professionnels
étant différente à chacun des deux degrés, je ne suis pas absolument certain
qu'il soit indispensable de procéder à ce raisonnement arithmétique et
mécanique, qui ne touche en rien au fond des choses, notamment pas à la
légitimité de la cour d'assises, mais qui a pour seul effet de rendre plus
difficiles des décisions défavorables à l'accusé. J'émettrai donc un avis
réservé sur cet amendement proposé par la commission et portant la majorité de
huit à neuf.
Après avoir traité des caractéristiques de l'appel et avoir indiqué mon
opinion notamment sur l'embryon de « plaider coupable » que propose la
commission, je voudrais aborder les conséquences procédurales de l'appel.
Les conséquences de l'institution d'un appel en matière de jugement des crimes
sont multiples en ce qui concerne la procédure préparatoire au jugement. J'en
citerai trois, qui ont pour objectif unique d'éviter un allongement excessif
des procédures.
La première conséquence est la suppression du double degré obligatoire
d'instruction, qui est, à mes yeux, le corollaire direct de l'institution d'une
voie de recours au stade du jugement. Les personnes accusées de crime seront
donc directement renvoyées devant le tribunal d'assises par le juge
d'instruction et non pas, comme aujourd'hui, après examen de l'ordonnance du
juge d'instruction par la chambre d'accusation.
Ainsi la chambre d'accusation, qui n'aura plus pour mission de mettre les
personnes en accusation, devra-t-elle changer de dénomination. L'Assemblée
nationale l'a dénommée « chambre d'appel de l'instruction ». La commission des
lois du Sénat préfère l'expression « chambre de contrôle de l'instruction » ;
je ne suis pas du tout opposé à cette dénomination.
La deuxième conséquence est l'institution d'un délai d'audiencement maximum
entre la décision de mise en accusation et la date du jugement, notamment
lorsque l'accusé est détenu.
La troisième conséquence est l'institution d'un délai de recevabilité de
certaines requêtes en nullité au cours de l'instruction. Il convient en effet
d'éviter qu'à la fin d'une instruction ne puisse être soulevée la nullité d'un
acte établi en début de procédure, ce qui obligerait, en cas d'annulation, à
recommencer l'intégralité de l'information.
Aussi est-il proposé de prévoir que la nullité des actes précédant une mise en
examen devra être invoquée dans les six mois de cette mise en examen.
Votre commission propose de supprimer cette disposition au motif que son
examen devrait intervenir en même temps que celui du projet de loi portant
diverses dispositions relatives à la justice. Je ne peux évidemment pas
souscrire à cette position, car le renforcement de la sécurité juridique de
l'instruction est une contrepartie nécessaire de la plus grande complexité de
la procédure de jugement en matière criminelle.
Comme je le disais en introduction, au-delà de l'instauration d'un double
degré de jugement en matière criminelle, ce projet de loi participe de la
volonté du Gouvernement de renforcer la justice citoyenne. C'est pourquoi ce
renforcement se traduit par le maintien, aux deux degrés de jugement, d'un jury
populaire, schéma qui fait désormais l'objet d'un consensus. Il se traduit
également, selon moi, par l'abaissement de l'âge minimum requis pour être juré,
de vingt-trois ans à dix-huit ans.
(Marques dubitatives sur les travées de l'Union centriste.)
Le renforcement de la justice citoyenne par l'abaissement à dix-huit ans
de l'âge minimum requis pour être juré est donc le deuxième volet de cette
réforme.
La commission des lois du Sénat a adopté plusieurs amendements, revenant ainsi
sur le vote émis par l'Assemblée nationale et maintenant l'âge minimum requis
pour être juré à vingt-trois ans, c'est-à-dire l'âge actuellement requis. Votre
commission a considéré qu'il était nécessaire de s'en tenir au droit positif,
compte tenu non seulement de la spécificité des procès d'assises, empreints
d'une forte émotivité, mais aussi de l'évolution du contentieux en matière
criminelle, qui concerne de plus en plus souvent des affaires à caractère
sexuel.
Le vote de votre commission a eu lieu à l'unanimité et je sais qu'il sera
difficile de vous convaincre sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je tiens cependant à vous dire avec beaucoup de force et de conviction les
raisons pour lesquelles je suis persuadé qu'une évolution sur cette question
est nécessaire.
En premier lieu, il faut parachever la démocratisation du jury, qui, depuis la
loi du 28 juillet 1978, est tiré au sort sur les listes électorales, alors
qu'il était auparavant choisi par le maire parmi les notabilités de la commune.
En abandonnant la conception d'un jury formé de sages - ou en tout cas
prétendus tels - et en fondant la légitimité de celui-ci sur le seul tirage au
sort entre tous les citoyens, entre tous les électeurs, le législateur me
semble avoir montré la voie à suivre dès 1978.
Il faut également avoir à l'esprit que le jury remplit une véritable fonction
d'intégration républicaine. A cet égard, le sondage qu'a fait réaliser, en
parallèle à ses travaux, le haut comité consultatif montre que, si 82 % des
Français sont favorables à la cour d'assises, c'est principalement - pour 70 %
d'entre eux - parce qu'ils jugent le système démocratique.
En deuxième lieu, il faut tenir compte de l'apport que peut représenter la
présence d'un jeune homme ou d'une jeune fille au sein d'un jury collégial dont
les membres sont, nous le savons - vous l'avez tous dit au cours des auditions
auxquelles vous avez procédé - transformés par la fonction qui leur est dévolue
et par la gravité de l'acte auquel ils sont appelés à participer.
Dans la dynamique que constitue la délibération du tribunal ou de la cour
d'assises, la voix de jeunes jurés me paraît susceptible de donner un éclairage
souhaitable, surtout lorsque la cour sera appelée à juger des accusés du même
âge.
En troisième lieu, cette proposition me paraît constituer un moyen pour que la
justice, en ces temps de contestation et de méfiance, soit mieux entendue et
mieux perçue. Aujourd'hui, la seule image de la justice qui passe, en
particulier à travers les médias, est très souvent celle qui caricature ou qui
désinforme. Pourtant, chaque fois que des citoyens participent au jugement de
leurs pairs, la crédibilité et la légitimité de la justice en sortent
renforcées. Faire participer des jurés dès l'âge de dix-huit ans au jugement
des affaires criminelles est donc une manière de leur dire que la justice est
faite non pas seulement pour ceux qui la subissent, mais pour tous ceux qui
sont reconnus comme citoyens, comme je l'ai moi-même indiqué avec force dès le
début de l'examen de ce texte.
Dans une période où l'on se plaint de la disparition des valeurs éducatives et
de l'affaiblissement des repères des jeunes, à l'heure où l'on mesure à quel
point ces mêmes jeunes peuvent être en situation de contestation à l'égard de
la loi, de l'ordre et de la justice, leur dire qu'ils peuvent participer à
l'oeuvre de justice est certainement de nature à leur faire mieux comprendre
que la justice n'est pas - contrairement à ce que beaucoup croient - uniquement
un instrument de répression, des jeunes en particulier, mais qu'elle est un
régulateur social, un arbitre, un protecteur des droits, en particulier de ceux
des victimes, et singulièrement des victimes les plus jeunes.
Enfin, il ne faut pas oublier que la logique de la procédure criminelle veut
qu'il s'agisse justement d'une justice dans laquelle l'accusé est jugé par ses
pairs. Les jeunes adultes sont, dès dix-huit ans, justiciables des juridictions
d'assises de droit commun dans les mêmes conditions que les adultes plus âgés.
Ils doivent donc pouvoir également en être membres.
Pour en terminer avec cette longue série d'arguments, je veux dire que je ne
suis pas tout à fait convaincu par les résultats du sondage qui a été réalisé
auprès des lycéens de trois établissements scolaires.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il ne s'agit pas d'un sondage : c'est une enquête d'opinion !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je rappelle la question posée : « Compte tenu de
l'émotivité qui imprègne les débats devant la cour d'assises, qui conduit
parfois à siéger à huis clos, et du fait que les juridictions d'assises peuvent
prononcer des peines allant jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité,
estimez-vous qu'un jeune de dix-huit ans puisse exercer les fonctions de juré ?
» Si la même question avait été posée à des adultes de plus de vingt-trois ans,
en remplaçant « dix-huit ans » par « vingt-trois ans », on aurait eu, j'en suis
presque certain, exactement la même proportion de réponses négatives.
Cette réaction me paraît tout à fait naturelle et compréhensible. A tout âge,
on appréhende d'avoir à juger un homme ou une femme alors que, précisément, on
n'a pas choisi d'exercer le métier de juge.
Les magistrats qui siègent en cour d'assises se font unanimement l'écho de
cette appréhension qui, selon les individus, disparaît ou ne disparaît pas au
cours des audiences.
Tout cela simplement pour dire que l'on ne peut pas tirer de ce sondage la
conclusion que les « jeunes de dix-huit ans » se sentent moins aptes que leurs
aînés à exercer la fonction de juré.
M. Hubert Haenel.
Ils sont tout de même plus fragiles !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
En tout cas, c'est la démonstration que ma proposition
n'a pas pour but, si ce sondage traduit une opinion exacte, de « racoler » les
jeunes de dix-huit ans !
Pour l'ensemble de ces raisons, je ne suis pas favorable à l'amendement de la
commission qui rétablit à vingt-trois ans l'âge minimum requis pour être
juré.
Mais, comme je sais fort bien que c'est un point sur lequel la Haute Assemblée
a marqué de manière très large une vive opposition, je souhaite tracer dès
maintenant quelques voies pour la suite du débat.
J'ai réfléchi, en particulier, aux propos qu'a tenus le bâtonnier Guy Danet
lorsqu'il a été entendu en audience publique par la commission, le 12 mars
dernier. Contrairement à l'idée reçue selon laquelle la citoyenneté ne se
divise pas, le bâtonnier Guy Danet a estimé que celle-ci comportait des degrés
et que ce n'est pas parce que l'on peut être jugé que l'on peut soi-même
juger.
De même, M. Jean-François Deniau a déclaré, lors de cette même journée
d'auditions publiques, qu'il fallait se référer, pour définir l'âge minimum des
jurés, aux conditions d'éligibilité, et non - c'était ma position et c'est ce
que prévoit le projet - aux conditions requises pour être électeur.
Dans ces conditions, si l'on voulait fonder la légitimité du juré sur un
autre critère que celui de la seule qualité de citoyen - cela conduit à ma
proposition, c'est-à-dire à fixer l'âge minimum des jurés à dix-huit ans - on
pourrait retenir le fondement de l'éligibilité aux fonctions de conseiller
municipal.
Il m'apparaît en effet que, si, à vingt et un ans, on est jugé apte à juger
les affaires d'une commune, ce qui suppose un sens des responsabilités certain,
on doit également être jugé capable d'exercer la fonction de juré.
Par ailleurs, une autre objection faite à l'abaissement de l'âge minimum
requis pour être juré, qui est qu'un adulte trop jeune n'aurait pas la maturité
tant psychologique que sociale nécessaire pour juger un crime, peut également
trouver une réponse. Il suffit de prévoir qu'en deçà d'un certain âge une
personne tirée au sort pour être juré pourra demander à être dispensée
d'assumer cette responsabilité. C'est très exactement ce que prévoient le droit
actuel et le projet de loi que je vous présente pour les personnes âgées de
plus de soixante-dix ans. Cette règle pourrait être transposée aux plus jeunes,
en dessous d'un certain âge, afin d'éviter qu'un étudiant en période d'examen
ou une personne venant de trouver une première embauche ne voie ses études ou
son insertion professionnelle remises en cause par l'obligation d'être juré.
En d'autres termes, les jeunes adultes ne seraient pas obligés d'être jurés,
mais le législateur ne leur interdirait pas de l'être.
Il y a là plusieurs pistes - le seuil à vingt et un ans, la possibilité de se
désister - auxquelles je vous demande, si vous persistez dans votre refus
d'abaisser l'âge minimum requis pour être juré à dix-huit ans, de réfléchir
pour l'avenir de notre débat. Ce projet manquerait en effet, une partie de son
objectif s'il ne contenait pas un signal du législateur envers la jeunesse
(M. Bernard Plasait s'exclame)
afin de renforcer son adhésion à la
justice de notre pays.
Enfin, comme je l'ai dit au cours de la séance d'auditions publiques, à partir
du moment où l'on se fonde sur des données incertaines - par exemple le
maintien de l'âge prévu aujourd'hui dans le code de procédure pénale - on peut
naturellement fixer la barre à n'importe quel âge, car il n'y a plus aucune
justification pour décider que la jeunesse, en ce domaine, s'arrête avant
trente-cinq, quarante ou cinquante ans. La maturité psychologique, chacun le
sait, n'a pas toujours à voir avec l'âge des artères !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas au Sénat !
(Sourires.)
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Il faut donc que nous rediscutions de ce sujet. En tout
cas, j'ai essayé de vous proposer quelques pistes qui me paraissent tenir
compte très largement de l'opinion générale qui s'est exprimée chez la plupart
des commissaires au cours des auditions en commission.
Le troisième objectif est d'assurer la transparence de la justice
criminelle.
Je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, une attention toute
particulière, car je vais évoquer là la question de la motivation.
C'est un problème à la fois très simple sur le fond et très complexe quant à
l'élaboration et à la rédaction, étant entendu que, dans cette affaire, ma
position est claire : la motivation répond aux attentes de notre société, qui
se satisfait de moins en moins d'observer le mythe d'une justice infaillible,
car populaire, et n'ayant de comptes à rendre à personne.
Aujourd'hui, dans tous les domaines, et dans celui-là en particulier, nos
concitoyens veulent savoir pourquoi et dans quelles conditions ceux qu'ils ont
investis ont décidé dans tel ou tel sens. La justice de l'intuition, de
l'impression, aujourd'hui, n'est plus acceptée.
M. Pierre Fauchon.
C'est cela, le jury !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
La motivation est, à mes yeux, indispensable pour
quatre raisons.
Elle renforce la transparence de la justice, qui est d'autant plus
indispensable qu'il s'agit des affaires les plus graves.
Elle tempère le caractère parfois irrationnel du procès d'assises.
Elle accroît les droits de la défense, ce qui me paraît avoir été quelque peu
négligé dans certaines discussions.
Enfin, l'exigence de la motivation n'est pas sans lien avec l'institution d'un
appel. Certes, je l'ai déjà dit, il pourrait exister un appel sans motivation.
Mais la motivation du jugement du tribunal d'assises permet au condamné de
faire appel en connaissance de cause et à la cour d'assises de mieux savoir sur
quels éléments devront porter les débats. Par ailleurs, si la cour d'assises
d'appel rend une décision différente de celle du tribunal - condamne au lieu
d'acquitter ou acquitte au lieu de condamner - l'exigence de transparence se
pose alors, bien entendu, avec une acuité toute particulière.
Pourtant, c'est vrai, la motivation suscite des réserves chez certains
praticiens, voire leur hostilité. Les auditions publiques auxquelles votre
commission a procédé ont clairement mis en évidence ces réticences. Celles-ci
me semblent toutefois devoir, et pouvoir, être surmontées.
Votre commission elle-même a reconnu qu'une certaine forme de motivation était
nécessaire et qu'il n'était plus possible « de se contenter des réponses
apportées aux questions posées à la cour d'assises sur la culpabilité », même
si ces réponses constituent en quelque sorte la première partie de
l'explication donnée par les juges à l'accusé, à la victime et au peuple de la
décision qui a été prise par eux.
Le mécanisme proposé par votre commission diffère toutefois très sensiblement,
sur ce point de la motivation, de celui qui a été adopté par l'Assemblée
nationale.
Ce dernier, très proche du texte du projet de loi - sous réserve d'une
modification terminologique puisque le terme de « raison » a remplacé celui de
« motivation » pour mettre en évidence le caractère tout à fait particulier de
la motivation d'assises - peut se résumer comme suit.
Le président du tribunal ou de la cour d'assises met en forme, à la fin du
délibéré et avant que la décision soit rendue en séance publique, les raisons
de cette décision, mentionnées sur une feuille signée par lui-même et le
premier juré ou le juré suivant. A cette fin, le dossier de la procédure est
présent dans la salle du délibéré. A titre exceptionnel, si la complexité de
l'affaire le justifie, ces raisons peuvent être mises en forme dans les quinze
jours suivant le prononcé de la décision.
Voilà le dispositif issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Le dispositif adopté par votre commission, mesdames, messieurs les sénateurs,
prévoit, quant à lui, qu'au cours du délibéré, avant - je dis bien « avant » -
de répondre aux questions sur la culpabilité puis sur la peine, le tribunal ou
la cour d'assises devra, par un questionnement spécifique, statuer sur les
principaux éléments de preuve. Il prévoit, par ailleurs, que le dossier ne
pourra être amené en salle des délibérations.
Ce mécanisme ne paraît pas satisfaisant, car il a pour conséquence, de fait,
de supprimer la motivation.
Le rapport de votre commission est d'ailleurs, à cet égard, révélateur. Dans
la partie « Exposé général » aux pages 87 et suivantes du rapport, nombreuses
sont en effet les formules qui ont pour objet de mettre en cause le principe de
la motivation, en expliquant qu'elle est soit inutile, soit impossible, soit
dangereuse. Seules quelques lignes - je reconnais bien là la
bene volens
admirable de votre rapporteur - viennent tempérer ces observations, en
précisant que le mécanisme proposé permettra au condammé de connaître les
motifs de la décision.
Les propositions de la commission induisent en effet trois modifications
fondamentales par rapport au texte qui vient de l'Assemblée nationale : la
motivation différée est supprimée ; la rédaction des motifs est remplacée par
un questionnement qui précède la décision ; seules les condamnations sont
motivées.
Je le dis tout de suite - j'y reviendrai tout à l'heure - le premier point
recueille, en définitive, mon accord. Autrement dit, par un acte de foi et de
volonté et non pas pour des raisons techniques, je suis d'accord pour supprimer
le différé de la motivation.
En revanche, les deux autres propositions me paraissent inacceptables.
Tout d'abord, la motivation, je l'ai dit, est remplacée par un questionnement
qui précède la décision sur la culpabilité et sur la peine. La commission a
donc prévu que les jurés répondraient à un questionnement sur les éléments de
preuve avant de statuer sur la culpabilité. Cette solution me paraît soulever
quatre types de problèmes, et c'est la raison pour laquelle je ne peux m'y
rallier.
En premier lieu, il y a, à mon avis, une confusion théorique entre la règle
selon laquelle les motifs précèdent nécessairement la décision et le fait
qu'une motivation est une mise en forme des motifs, qui existaient lorsque la
décision a été prise, mais qui ne peuvent, naturellement, être retraduits
qu'après que cette décision est intervenue. De plus, dans le cas présent, les
motifs ne peuvent pas, par hypothèse, être dégagés avant le vote, le principe
étant acquis que celui-ci demeure secret.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pourquoi ?
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
En deuxième lieu, faire voter sur les éléments de
preuve, par une majorité simple, avant de savoir si une majorité de votes, à
une majorité qualifiée cette fois, se prononcera pour la culpabilité et soulève
deux difficultés pratiques ; si le vote sur la culpabilité aboutit à
l'acquitement, le vote sur les éléments de preuve n'aura servi à rien - il peut
même être tout à fait contradictoire ; si le vote sur la culpabilité aboutit à
la condamnation alors que le vote sur les éléments de preuve n'a pas permis de
retenir de preuve, il y aura une contradiction impossible à résoudre.
En troisième lieu - c'est-là, à mon sens, une des critiques les plus fortes -
il est porté atteinte à la liberté des jurés. En effet, la récapitulation des
éléments de preuve à laquelle devra se livrer le président - puisque telle est
la proposition qui est faite - avant le vote sur la culpabilité revient, en
réalité, à demander à ce dernier de faire l'inventaire des éléments à charge
et, ainsi, d'influencer les jurés en faveur de la culpabilité. Cela s'apparente
en quelque sorte - disons les choses comme elles sont ! - au résumé des faits,
prévu par l'ancien article 366 du code d'instruction criminelle, que faisait le
président de la cour d'assises jusqu'à ce que ledit résumé soit supprimé en
1884, parce qu'il influençait les jurés.
En dernier lieu - quatrième objection ! - il n'est pas possible de considérer
qu'un questionnement sur les éléments de preuves équivaut à une motivation.
Il ne faut pas confondre - je m'en suis expliqué longuement à l'Assemblée
nationale voilà un mois et demi - le mécanisme des questions, qui est très
lourd et très formaliste, avec l'exigence d'une motivation.
Un formalisme analogue à celui des questions sur la culpabilité n'est
nullement nécessaire. La décision de condamnation est prise ; on ne sait pas
dans quel sens chacun des jurés a voté, mais cela n'a pas d'importance. Chaque
juré peut publiquement se prononcer sur tel ou tel élément de preuve même s'il
a voté, par exemple, l'innocence ; il ne risque plus d'être influencé. Il n'y a
donc aucune atteinte aux objectifs recherchés par le secret du vote - et vous
l'avez justement souligné dans votre rapport, monsieur le rapporteur - qui
permet à chaque juré, au moment où il vote, de voter en conscience absolue,
sans être influencé par les autres membres du tribunal.
Par ailleurs, comme l'ont indiqué plusieurs praticiens, et notamment le
Premier président de la Cour de cassation, M. Truche, la multiplication des
questions risquerait de multiplier les risques de cassation.
Enfin, je ne crois pas que les motifs de la décision puissent consister, en
quelque sorte, dans le « menu » des éléments de preuve ; ce n'est pas là une
proposition cohérente au regard de la nécessité d'une motivation criminelle.
Telles sont les objections à ce questionnement sur les éléments de preuve
avant la décision sur la culpabilité et la peine.
Le deuxième motif pour lequel je ne retiens pas votre système tient au fait
que vous limitez, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le
rapporteur, la motivation aux seules condamnations.
Le texte adopté par la commission des lois a pour conséquence de supprimer
toute motivation - même sous la forme très imparfaite d'un « menu » des
éléments de preuve, dont je viens de dire ce que j'en pensais - en cas
d'acquittement, puisque c'est seulement - ainsi que votre texte le prévoit - en
cas de condamnation qu'il existe un intérêt à demander à la juridiction quels
sont les éléments de preuve qui l'ont convaincue. Il n'y aurait donc pas de
motivation des acquittements ni de motivation du choix de la peine, ce qui ne
me semble pas admissible.
S'agissant de la motivation sur la peine, je vous rappelle les propos qui ont
été tenus, devant vous, d'ailleurs, par le Premier président de la Cour de
cassation, qui a déclaré qu'il pouvait être fait référence aux antécédents de
l'accusé et aux éléments de l'enquête de personnalité. Supprimer une telle
motivation n'est donc pas à mes yeux une solution satisfaisante.
Il en va de même s'agissant de la motivation des acquittements.
Certes, on peut observer, comme vous l'avez fait vous-même, monsieur Girault,
lors de la journée d'auditions publiques, qu'une telle motivation pose des
difficultés particulières. Certes. Mais comment accepter purement et simplement
l'absence de motivation en cas d'acquittement, au regard notamment des droits
légitimes des victimes et du principe de transparence auquel est attachée
l'opinion publique, c'est-à-dire le peuple, au nom duquel la justice est rendue
?
Cette absence de motivation serait en effet particulièrement choquante au
moins dans deux hypothèses d'acquittement.
La première est celle dans laquelle l'acquittement résulte de l'application
d'une cause d'irresponsabilité pénale, comme le trouble mental ou la légitime
défense.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est une question !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Dans un tel cas, la nécessité de motiver paraît
d'autant plus évidente que la juridiction aura répondu positivement à une
première question sur la commission matérielle des faits et qu'elle aura dû
motiver cette réponse.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est une question et une réponse !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
La seconde hypothèse est celle d'un acquittement
intervenant en appel après une condamnation, motivée elle, en premier
ressort.
Comment la cour d'assises pourrait-elle décider d'acquitter quelqu'un qui a
été condamné par le tribunal d'assises pour des motifs qui ont été explicités
et le faire sans dire à qui que ce soit les raisons pour lesquelles elle a
décidé d'infirmer la décision de condamnation et d'acquitter cette personne
?
A l'évidence, il est nécessaire de prévoir l'existence d'une motivation, et
d'une vraie motivation, chaque fois qu'une juridiction criminelle sera appelée
à statuer, quel que soit le sens de cette décision.
C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, pour ces deux raisons - d'une part, la
position et la nature des éléments de preuve et, d'autre part, la limitation du
champ d'application des éléments de preuve aux seules condamnations - je ne
peux accepter la solution proposée par votre commission.
En revanche, je suis d'accord sur la proposition qui tend à supprimer la
possibilité d'une motivation différée. La discussion a été longue sur ce point
à l'Assemblée nationale. J'ai su que la question avait été également longuement
évoquée au cours de vos auditions, sous ses aspects techniques et pratiques,
monsieur Fauchon, c'est vrai.
Sachez cependant, monsieur le rapporteur, que si j'accepte que la motivation
différée disparaisse du texte, c'est aussi pour des raisons plus fondamentales,
qui ne sont pas seulement pratiques.
Il est clair que la perspective de faire revenir un juré quinze jours après le
prononcé de la décision ne saurait emporter l'adhésion et qu'il faut donc y
renoncer.
Il demeure que la motivation immédiate vers laquelle je conviens que nous
devons tendre ne sera possible qu'à cinq conditions.
Il faudra qu'il s'agisse d'une motivation extrêmement simplifiée, spécifique à
la matière criminelle ; d'où le terme de « raisons » retenu dans le texte de
l'Assemblée nationale après une discussion fournie sur ce sujet - vous avez lu
le compte rendu.
Deuxième condition : il faudra mettre un terme à la pratique des délibérés
commençant en fin d'après-midi - le soir à vingt heures - pour se terminer
après minuit. Mais il ne s'agit là que d'une pratique : rien n'interdit en
effet de programmer. Je pense que cette nécessité s'imposera désormais si la
motivation différée n'était pas retenue. Nous aurions intérêt à programmer la
session d'assises de telle sorte que les dernières plaidoiries aient lieu dans
la matinée ; la juridiction disposerait ainsi de tout l'après-midi et, si
nécessaire, du début de la soirée pour délibérer.
Pourquoi même ne pas imaginer de suspendre la session pour se donner tout le
temps de délibérer d'une affaire complexe ? Ce n'est pas seulement une question
technique, mesdames, messieurs les sénateurs ; il s'agit en réalité, de marquer
notre volonté de changer l'état d'esprit et les pratiques actuelles.
Il faut également, troisième condition - et c'est encore un problème qui
relève beaucoup plus de la pratique judiciaire que de la loi - que les
assesseurs aient un rôle plus actif. Ils pourront prendre, pendant l'audience
par exemple, des notes précises sur les déclarations de tel ou tel témoin...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela ne leur est pas interdit !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je ne dis pas que cela leur
est défendu, je dis qu'il faudra leur recommander de prendre des notes qui
serviront ensuite, lors du délibéré, à la mise en forme des raisons, ce qui
ferait, je dirai gagner du temps.
Quatrième condition : il faudra distinguer le moment auquel les éléments de
preuve seront inscrits sur une feuille signée par le président et le premier
juré, - à savoir au cours de la délibération intervenant dans la continuité des
débats, - du moment de la reproduction de ces éléments sur l'original du
jugement, qui peut être déposé au greffe quelques jours plus tard, comme
d'ailleurs le prévoit déjà le texte du code de procédure pénale en matière
correctionnelle.
Cinquième condition, enfin, de la motivation immédiate : il faudra que le
dossier de la procédure puisse être apporté dans la salle des délibérations non
pas, comme le proposait le texte initial du Gouvernement, dès le début du
délibéré - j'accepte sur ce point la modification proposée par votre commission
- mais après les décisions sur la culpabilité et la peine : à ce moment-là, les
jeux sont faits, il n'y a plus de risque d'atteinte à l'oralité des débats ;
mais il faut, pour inscrire les éléments de preuve, pouvoir vérifier certains
points de détail, par exemple l'orthographe du nom d'un témoin. Le dossier doit
donc avoir été apporté. J'ai déposé un amendement en ce sens qui complète la
position prise par votre commission.
Il faudra enfin que le greffier de la juridiction puisse rejoindre les membres
du tribunal ou de la cour après qu'ils auront statué sur la culpabilité et sur
la peine, pour assister matériellement le président dans sa mise en forme de la
décision. J'ai également déposé un amendement en ce sens.
Si toutes conditions sont remplies - mais elles le seront toutes car à mon
avis les mentalités évolueront avec les modifications législatives - il sera
possible de mettre en forme immédiatement les raisons de la décision. J'ai donc
déposé un amendement supprimant la possibilité de procéder à cette mise en
forme différée des raisons, et je rejoins ainsi la position de la commission du
Sénat.
J'en termine par la question des moyens et de l'entrée en vigueur du texte.
Il est évident qu'une réforme de cette ampleur suppose des moyens nouveaux en
magistrats et en fonctionnaires comme en matériel.
M. Hubert Haenel.
Cent millions de francs !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Non, monsieur Haenel, 93 millions de francs ! Quant à
être renseigné, autant l'être avec exactitude !
M. Hubert Haenel.
On verra !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Il n'est pas question que cette réforme puisse entrer
en vigueur si ces moyens nouveaux ne sont pas réunis. Il en va, je l'ai dit à
l'Assemblée nationale et devant votre commission des lois lorsque j'ai été
entendu, de la crédibilité de la justice, en particulier de la justice
criminelle.
Il faut donc prévoir un délai minimum avant l'entrée en vigueur de la loi pour
installer tout ce qui est nécessaire à son application.
Toutefois, il n'est pas envisageable non plus que l'application d'une telle
réforme, qui constitue une avancée considérable au regard des libertés
individuelles et des droits de l'homme, puisse être indéfiniment reportée par
le Parlement. Il en va, je crois, de la crédibilité non plus de la justice mais
du législateur.
Depuis que j'ai décidé de présenter au Parlement cette réforme, c'est-à-dire
dès ma prise de fonctions, j'ai demandé à ce qu'il soit procédé à une
évaluation aussi rigoureuse que possible des moyens qu'elle nécessite.
J'ai ainsi demandé pour la première fois à l'ensemble des cours et tribunaux
non seulement leur avis sur les aspects juridiques du projet, mais également
leurs évaluations précises sur les moyens supplémentaires que sont application
paraissait devoir entraîner.
C'est au vu de cette masse considérable d'informations que les services du
ministère de la justice ont pu procéder à une évaluation globale mais également
détaillée, juridiction par juridiction, car il est évident que les problèmes ne
se poseront pas de la même façon dans les différentes juridictions.
Pour établir ces évaluations, il a été procédé à une estimation concernant,
d'une part, la diminution probable des correctionnalisations - donc
l'augmentation des procès criminels - et, d'autre part, le taux d'appel des
décisions du futur tribunal d'assises, qui a été estimé aux alentours de 30
%.
Au vu de ces estimations, et sans entrer dans le détail des calculs qui sont
précisément reproduits dans l'étude d'impact qui a été remise en Parlement avec
le projet de loi, étude dont le rapport de la commission des lois fait
d'ailleurs une analyse minutieuse, le coût de la réforme a été estimé à 93
millions de francs, correspondant à la création de cent emplois de magistrats,
de quarante emplois de greffiers, à l'indemnisation des jurés supplémentaires -
ceux du tribunal d'assises - au fonctionnement des cours d'appel d'assises et à
des travaux immobiliers dans un certain nombre de palais de justice.
Comme vous le savez, ces incidences financières seront prises en compte de
façon progressive à partir du projet de loi de finances pour 1998. C'est
pourquoi il est prévu que le projet de loi entrera en vigueur - c'est la date
qui a été arrêtée au cours du débat à l'Assemblée nationale - le 1er janvier
1999. Votre commission des lois propose de maintenir cette date, et je ne peux
que m'en féliciter.
Elle propose également de compléter le projet par une précision indiquant que
les moyens nécessaires à l'application de cette loi, ne sauraient s'imputer sur
les objectifs de la loi de programmation du 6 janvier 1984. Je suis, bien sûr,
tout à fait favorable à cette proposition.
En revanche, cet amendement a également pour effet de supprimer l'entrée en
vigueur différée des dispositions concernant l'institution du délai
d'audiencement. Cette conséquence ne me paraît pas acceptable. Il faut en effet
savoir raison garder car il existe actuellement des retards d'audiencement
considérables, qui ne pourront être résorbés que progressivement à partir de
l'entrée en vigueur de la loi.
Telles sont, monsieur le président, mesdames,messieurs les sénateurs, les
principales observations que je voulais faire sur ce projet de réforme.
Les problèmes de principe me semblent résolus, dès lors qu'on renonce, comme
je viens de le faire devant vous, à la motivation différée, à la motivation
décalée.
Je souhaiterais donc que le Sénat adopte le présent projet de loi avec, pour
l'essentiel, les amendements de la commission, sauf sur deux points : d'abord,
sur la question de l'âge des jurés - mais nous pourrons sans doute trouver un
accord en cours de navette - ensuite, sur la question de la motivation, pour
laquelle un rapprochement entre le Gouvernement et la commission doit pouvoir
être opéré au cours de la discussion.
Certains se sont interrogés sur l'opportunité ou l'urgence d'une telle
réforme. Je voudrais dire au Sénat républicain que rien ne me paraît plus
urgent que de promouvoir, jour après jour, au travers de grandes réformes ou de
petites décisions, la sauvegarde des droits de l'homme et la garantie des
libertés individuelles dans notre pays.
De ce point de vue, l'urgence se mesure non pas en temps, mais en termes de
nécessité. Aussi ai-je grandement apprécié la participation de la commission
des lois du Sénat tant sur le principe de cette réforme que sur la solution des
difficultés techniques, qui sont considérables, c'est vrai. Cette contribution
de la commission des lois et, je l'espère, de la Haute Assemblée, nous
permettra, plus de deux siècles après l'institution du jury populaire, de
progresser un peu plus vers ce que nous pouvons considérer comme un idéal de
justice, auquel doit tendre toute société démocratique.
Dans bien des cas - et celui-ci en est un - nous ne travaillons pas dans la
contingence et nous nous efforçons de légiférer pour que le progrès s'établisse
une fois de plus dans notre pays. En maintes occasions, le Sénat en a été
l'artisan, j'espère qu'encore une fois il sera à la hauteur de sa réputation.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c'est l'une des
premières fois que, rapporteur d'un texte,je n'ai pas jeté sur le papier des
notes pour mon intervention. Je tenais en effet à entendre les propos de M. le
garde des sceaux sur cette réforme de la procédure criminelle, qui correspond,
c'est vrai, dans nos démocraties, à une évolution qu'il convient d'accepter.
Je voudrais tout d'abord dire à M. Jacques Toubon que, depuis de longues
semaines, il a gagné le combat essentiel, celui de l'institution du double
degré de juridiction. Il a gagné, et si des divergences apparaissent sur les
modalités de la mise en application, elles ne changent rien quant au fond.
Voilà ce qu'il faut avoir présent à l'esprit.
Aujourd'hui, nous sommes amenés à parler moins du principe de la création du
deuxième degré de juridiction, que de la manière dont seront rendues les
décisions en première instance et en appel, c'est-à-dire que notre débat, s'il
est essentiel, porte cependant sur des éléments qui sont hiérarchiquement
secondaires, mais qui méritent quand même la sanction parlementaire.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Certes !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Vous avez gagné, monsieur le garde des sceaux.
La mise en oeuvre de l'idée que vous nous présentez avait été précédée,
pendant des années, de colloques, de réunions et de travaux de comités, et je
vous sais gré de nous proposer aujourd'hui un changement. Cependant, je
voudrais que mes collègues se rendent bien compte que celui-ci est déjà
accompli, parce que le double degré de juridiction que la commission des lois
conforte est virtuellement acquis.
Puisque je n'ai, selon le règlement, que vingt minutes pour exprimer l'opinion
de la commission, je laisserai de côté les conditions matérielles et
financières de l'entrée en vigueur de la réforme. Nous en discuterons à la fin
de nos débats, lorsque nous examinerons la question de la date d'entrée en
application de la réforme.
En revanche, je voudrais insister ici, comme chacun d'entre vous s'y attend,
sur le problème de l'âge minimumal des jurés et sur celui de la motivation.
Après avoir entendu bien des personnalités - dix-neuf le 12 mars, et dix-huit
auparavant - et indépendamment des sondages qui ont été réalisés auprès de
jeunes lycéens, la commission a considéré qu'abaisser à dix-huit ans l'âge
minimum des jurés n'était pas prudent.
Etre citoyen à dix-huit ans, voter pour des élections municipales ou
législatives, ne pose aucun problème, nous le savons depuis bien des années.
Mais la citoyenneté est une chose, et la connaissance, l'expérience des hommes,
une certaine maturité - que n'atteignent pas toujours les adultes ! - est une
autre chose. Connaissant la nature des affaires criminelles qui sont soumises
au jury, nous avons donc pensé qu'il n'était pas raisonnable de modifier l'âge
requis pour être juré, qui est actuellement de vingt-trois ans, pour l'abaisser
à dix-huit ans.
M. Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Je ne vais pas m'étendre sur ce thème, cela me paraît
inutile, car la commission des lois a été quasiment unanime sur ce point.
Ce n'est pas être contre la jeunesse que de penser ainsi, et c'est un
grand-père qui parle, dont les aînés des petits-enfants ont vingt-six ans et
vingt ans. A dix-huit ans, on n'a pas encore acquis cette expérience qui,
demain, dirait permettre de porter un jugement sur telles ou telles situations,
quelquefois horribles, présentées aux membres d'un jury.
Je pense donc que la sagesse consiste à en rester à l'âge de vingt-trois ans.
Je m'en tiens là. Mais, lorsque nous en arriverons à la discussion des articles
d'autres arguments seront probablement échangés sur ce thème.
J'en viens à la question de la motivation.
Un journal a rapporté les propos de parlementaires, en l'espèce ceux du
rapporteur, et j'ai retenu une formule parce qu'elle correspond en définitive
au fond de ma pensée : l'intime conviction, qui demeure dans la lettre de votre
projet,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Enlevez-la !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Oui, je sais, monsieur Dreyfus-Schmidt, nous ne sommes pas
d'accord sur ce point, mais c'est presque un détail !
L'intime conviction, disais-je, n'est-elle pas la meilleure des motivations
?
MM. Pierre Fauchon et Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Je sais que la formule est un peu brutale et qu'elle paraît
méconnaître la volonté de l'opinion publique d'aujourd'hui de voir motiver
toute chose de telle sorte qu'on ne doute de rien et qu'on sache exactement
pourquoi ceci... pourquoi cela...
La motivation, l'intime conviction, je les confonds presque, encore que
j'admette la solution à laquelle a abouti la commission des lois : une forme
intermédiaire de questionnement amélioré.
Ce dont il faut bien se rendre compte - et j'en sais gré au Gouvernement et au
garde des sceaux - c'est qu'on nous propose aujourd'hui une réforme de la
procédure criminelle en dehors de toute passion nationale, en dehors de toute
pression exercée par les médias pour obliger le Parlement à faire comme ci ou
comme ça, à l'instar de ce qui se passe dans certaines affaires.
Nous vivons à une époque où nous sommes tentés d'émettre des votes sur des
situations conjoncturelles...
M. Daniel Hoeffel.
Et voilà !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
... en dehors des principes fondamentaux qui devraient gérer
nos démocraties. Nous sommes trop perméables aux pressions du public.
Il y a peu - et vous connaissez tous le débat - à propos de la prescription de
l'abus de biens sociaux, les journalistes disaient : « Que le Parlement ne se
mêle pas de cette affaire parce qu'il pourrait être conduit à voter sans le
dire une amnistie qui pourrait profiter à tel ou tel !... »
Bien !
Et voilà que la chambre criminelle de la Cour de cassation - et je suis un
partisan fervent de la jurisprudence...
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quelle qu'elle soit ?
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
... autant que de la loi - ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous sommes d'accord !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
... vient de casser un arrêt sur la définition de l'abus de
biens sociaux en s'appuyant sur une lecture littérale d'un texte qui remonte à
soixante ans, un décret-loi de 1935, qui nous apprend que l'abus de biens
sociaux a pour effet de porter préjudice à la société dont on est responsable.
La chambre criminelle de la Cour de cassation, considérant l'affaire dont elle
était saisie - je ne citerai pas de nom, vous les connaissez - a cassé l'arrêt
et l'affaire sera donc portée devant une autre juridiction d'appel, puis,
éventuellement, devant la Cour de cassation réunie en assemblée plénière.
Et voilà qu'aujourd'hui lesdits journalistes souhaitent que le Parlement
intervienne au prétexte que l'on ne peut pas laisser faire ceci ou cela !
Je pense, mes chers collègues, que nous devons raison garder, que nous devons
nous en tenir aux règles de droit et laisser à la jurisprudence le droit de
s'affirmer et de changer de chemin lorsque l'évolution de la société y
conduit.
Je reviens à la motivation.
L'arrêt du 30 avril 1996, que nous avons abondamment commenté au sein de la
commission des lois, répondait à un pourvoi engagé par l'avocat d'un condamné -
peu importent, d'ailleurs, les raisons et le cas - qui consistait à dire
fondamentalement : premièrement, il n'y a pas de motivation - disons la censure
de la pratique actuelle - et, deuxièmement, l'absence de motivation n'est pas
conforme à la Convention européenne des droits de l'homme, donc censure.
La Cour de cassation répond - et qui s'en étonnerait ? - que les réponses
données aux questions posées dans l'arrêt de mise en accusation tenaient lieu
de motifs.
Ainsi, le système actuel, d'une certaine manière, est reconnu par la chambre
criminelle de la Cour de cassation comme prévoyant une motivation. Quelquefois
je me dis que, sauf à améliorer cette motivation pour ne pas s'en tenir à ces
principes énoncés par la chambre criminelle de la Cour de cassation, il est
quand même intéressant de savoir.
Nous vivons dans un système qui, présentement, n'est pas véritablement
contesté par l'opinion, et je me réjouis d'ailleurs que notre débat ait lieu en
dehors de toute passion nationale et politique.
Nous sommes en train de réfléchir sur un avenir, le deuxième degré de
juridiction ; or, sur la motivation, on s'accroche et je me demande bien
pourquoi. Croyez-vous qu'un condamné ne sache pas pourquoi il est condamné ?
L'opinion n'a jamais, de son propre chef, réclamé des explications.
La cour d'assises de Nice vient de rendre un arrêt sur une affaire délicate
dans laquelle la personne supposée morte n'a pas été retrouvée. Cela me
rappelle l'affaire Seznec, encore que je ne l'aie pas vécu personnellement.
Elle a commencé l'année de ma naissance et on continue d'en parler !
Que va-t-il se passer ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vingt ans au bénéfice du doute !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Nous avons le tribunal, cinq membres du jury, trois
magistrats. En cour d'assises, comme aujourd'hui, neuf jurés, trois
magistrats.
Chacun va voter, en fonction de son opinion, pour ou contre une condamnation
pour des motifs qui lui sont personnels et qui demeurent secrets. L'une des
vertus du jury que nous connaissons, c'est que son indépendance d'esprit est
associée à la notion de secret des délibérations. C'est fondamental !
M. Robert Badinter.
Exact !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
A partir du moment où l'on va parler d'une motivation qui se
traduirait par un texte écrit par un magistrat professionnel, on imagine bien
que tel juré pourrait dire : « J'abandonne ! » La motivation différée, monsieur
le garde des sceaux, merci ! Vous avez dit que tout devait se faire dans le
même moment ; vous avez raison et, sur ce point-là, nous sommes bien d'accord.
Mais notre juré pourrait dire : « Moi, j'ai voté pour la condamnation, mais ce
motif ne me convient pas. » On peut avoir des discussions difficiles. Lorsque
le juré sera rentré dans sa famille et parmi ses amis, on lui dira : « Dis
donc, là, il paraît que tu as retenu tel motif ? » Il aura beau répondre qu'il
n'était pas d'accord sur ce motif... Il y a pour le moins un problème !
S'agissant de l'acquittement en tribunal d'assises, trois votes blancs peuvent
interdire la condamnation. Comment va-t-on motiver l'acquittement alors que la
majorité de ceux qui ont voté ont voulu la condamnation ? Je n'ai jamais eu de
réponse à cette objection, parce qu'il n'y en a pas.
Pour les magistrats professionnels, le problème est différent : ce sont des
professionnels, des techniciens. Ils rédigent. En général, ils sont trois -
plus rarement il y a un juge unique. Lorsque deux disent : on est pour telle
décision, l'un d'entre eux rédige le jugement.
S'agissant du jury, qui lui est le peuple, alors que les juges professionnels
ne jugent qu'au nom du peuple français, le problème est fondamentalement
différent. Quelquefois, on me demande pourquoi on accepte le jury en première
instance et en appel, parce que, si c'est vraiment le peuple, celui-ci ne peut
pas se déjuger !
Mais le problème ne se pose pas ainsi. Les représentants du peuple prennent
une décision un jour ; cela n'exclut pas l'appel, qui fait partie de notre
démocratie, des droits de l'homme. Si un autre jury, composé d'autres hommes et
d'autres femmes, décide autrement, il n'y a rien à redire.
Aujourd'hui, il est admis, et je remercie le garde des sceaux de l'avoir dit,
que la motivation différée est impraticable. Faire revenir un jury, ce n'est
pas possible.
Entre-temps, surtout si l'affaire l'intéresse, l'opinion publique pourrait,
par la voie de la presse, influer sur la rédaction d'une décision de première
instance ou de cour d'assises. Ce n'est pas possible, et je pense que la
Chancellerie a raison d'abandonner cette thèse.
Aujourd'hui, on en revient à la motivation immédiate. Elle doit rester, selon
le garde des sceaux, « littéraire » et « descriptive ». On se comprend bien.
Tout à l'heure, j'entendais dire qu'il faudrait réglementer les horaires des
audiences, prévoir les plaidoiries à telle heure... C'était impraticable !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas un débat au Sénat !
(Sourires.)
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Je n'ai jamais été membre d'un jury, mais j'ai été avocat aux
assises et j'imagine mal que l'on puisse dire : « On a besoin de rédiger ; on
va donc reprendre à seize heures. »...
Une des vertus du système actuel, c'est que le débat est non seulement oral,
mais qu'il est continu et que la délibération se fait sans désemparer.
M. Jacques Machet.
Absolument !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Ainsi en est-il aux termes du code de procédure pénale et le
résultat est ce qu'il est.
A quoi va-t-on aboutir avec la motivation descriptive et littéraire ? S'il est
trois ou quatre heures du matin et que tout le monde est fatigué après trois
jours d'audience, ou au bout d'une journée, cela dépend de la nature des
affaires bien sûr, on verra des jugements réduits à quelques formules pour une
affaire considérable alors que, pour une affaire correctionnelle, des jugements
comportent deux ou trois pages ! Non !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
C'est trop !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
L'intime conviction, monsieur le garde des sceaux, c'est
quand même bien le fond des choses : la conscience d'un membre du jury, comme
d'un magistrat professionnel, qui ont leurs raisons...
Je vous prie de m'excuser, mes chers collègues, de faire une comparaison avec
l'acte législatif, le vôtre !
M. Hubert Haenel.
Il faut pas s'excuser !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Lorsque vous votez une loi, vous n'en explicitez pas le
motif. Vous la votez ou vous la rejetez. Vous en connaissez les motifs, parce
que vous vous êtes exprimés...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et il y a le compte rendu intégral !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
... ou parce que vous avez lu le compte rendu intégral qui
est publié au
Journal officiel.
C'est là toute la différence avec le jury. Alors que le vote de ce dernier est
secret, celui des parlementaires est public et l'acte législatif n'est pas
motivé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et les explications de vote ?
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Si l'on vous pose la question de savoir pourquoi telle loi
sur l'immigration ou sur l'interruption volontaire de grossesse a été votée,
vous vous reporterez au compte rendu des débats parlementaires et vous
découvrirez que, pour des raisons quelquefois très diverses, un vote « pour »
s'est affirmé.
Voilà quelque temps, la personne à qui j'indiquais que j'avais voté pour la
loi sur l'interruption volontaire de grossesse en raison des situations de
détresse me répondait qu'il y avait d'autres raisons pour voter un tel texte,
notamment le droit de la femme de choisir.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie que l'on peut adopter un texte de
cette nature pour des motifs qui peuvent être très différents !
De même, les membres du jury seront favorables à une condamnation ou à un
acquittement pour des motifs profondément différents, qui ne peuvent pas se
retrouver et se synthétiser dans la décision motivée. C'est ce qui m'amène à
penser qu'on ne peut pas motiver les décisions, comme le souhaite, comme en
rêve même le Gouvernement !
M. Hubert Haenel.
Sinon, on change de système !
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
En revanche, je suis favorable à l'élargissement du
questionnement qui précède la déclaration de culpabilité : untel était-il
présent à tel endroit ce jour-là et à telle heure ?
Ce n'est pas simple ! Mais sur ce dossier difficile, je suis persuadé,
monsieur le garde des sceaux, que la navette permettra d'approfondir la
réflexion. Dès lors que vous acceptez que la motivation ne soit pas différée,
nous avons déjà fait un grand pas ! Si elle est concomitante de la décision,
nous vous soumettons la solution du questionnement développé.
Vous préférez qu'un texte soit rédigé par un magistrat professionnel. Cette
formule ne suscitera pas nécessairement l'accord de tous les membres du jury
qui ont voulu la condamnation parce que chacun a ses raisons propres.
Le sujet ne me paraît pas épuisé.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais dire au début de ce débat
difficile, mais passionnant. Sans doute l'examen des amendements permettra-t-il
d'approfondir la discussion. Sur ces points fondamentaux que j'ai exposés,
j'espère toutefois que le Sénat suivra la commission des lois.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR,
de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le garde des sceaux, le rapport que mon collègue et ami
Jean-Marie Girault vient de nous présenter vous a, je crois, par sa clarté, par
sa concision, en même temps que par la vigueur de son expression, parfaitement
montré l'état d'esprit dans lequel la commission des lois a abordé l'étude et
l'analyse de cet important problème qui est aujourd'hui soumis à notre
délibération.
Cet état d'esprit, je me suis efforcé de le comprendre. Il se marque par une
double caractéristique : il traduit tout d'abord une volonté et, dans le même
temps, il fait apparaître une nécessité.
La volonté tout d'abord, j'en porte témoignage, dépasse les clivages
habituels. Elle est nettement majoritaire et tend à accepter le principe de la
réforme proposée. Notre décision sur ce point n'a pas été unanime, mais elle a
été fortement majoritaire : pour le plus grand nombre d'entre nous, le double
degré de juridiction doit être institué en matière criminelle.
Notre préoccupation principale dans l'examen de ce texte n'a pas été dictée -
cela pouvait être une considération - par le souci de se conformer aux
dispositions d'une convention internationale à laquelle la loi française
obéissait déjà. Elle a été de répondre à une exigence, monsieur le garde des
sceaux, que vous avez fait vôtre de longue date et qui a été aussi évoquée par
d'autres.
Les décisions des juges dans les domaines les plus graves de la décision
juridictionnelle peuvent mettre en cause, nous le savons, le destin d'un homme.
Ces décisions doivent pouvoir être l'objet d'une confirmation ou d'une
infirmation.
Dans le même temps, nous avons fini par penser - vous vous en êtes finalement
persuadé vous-même - que les deux décisions successives devaient faire
intervenir le jury populaire. Si l'on y réfléchit d'une manière un peu
abstraite, une telle règle peut ne sembler ni intellectuellement nécessaire ni
juridiquement indispensable, et on avait pu imaginer d'autres systèmes en
d'autres temps.
Cette règle correspond toutefois à une tradition très profonde de notre droit
qu'il n'y a pas lieu d'infirmer, et vous en êtes venu, monsieur le garde des
sceaux, à nous proposer cette démarche, que nous avons acceptée.
Il nous a semblé, toutefois, que le texte qui nous venait de l'Assemblée
nationale devait être revu sur des points importants. Ces différents points ont
été parfaitement énumérés par M. le rapporteur et je n'y reviendrai pas.
J'insisterai simplement sur le fait que le succès de cette réforme, succès
auquel nous sommes tous attachés, suppose la mise en oeuvre de moyens
considérables en juges, en greffiers, en aménagements de locaux, qui doivent
être évalués avec précision. Dans notre esprit, ces moyens ne doivent être en
aucune manière prélevés sur ceux qui sont également indispensables si l'on veut
améliorer d'une façon notable le fonctionnement de notre justice au
quotidien.
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Je voudrais faire simplement quelques
remarques sur la méthode de travail à laquelle nous nous sommes conformés et
sur laquelle on peut s'interroger.
Qu'en est-il exactement ?
Vous avez, monsieur le garde des sceaux, lancé cette idée force voilà bientôt
un an. De nombreux débats ont eu lieu dans la presse et dans les médias
audiovisuels. Un haut comité consultatif, présidé de manière éminente par
Jean-François Deniau, s'est réuni et a formulé des propositions. En bout de
course - parce qu'il s'agit malgré tout d'une loi - le Parlement intervient.
Monsieur le garde des sceaux, je voudrais vous dire simplement encore une
fois, compte tenu du climat qui a présidé à notre discussion préalable, que ce
projet de loi doit être abordé sans parti pris ni blocage intellectuel
préalable.
Il contient un certain nombre de propositions dont il y a lieu de débattre. Je
pense d'ailleurs que, pour la clarté du débat, il eût été préférable que l'on
s'en tienne au départ à l'exposé de quelques idées qui auraient pu nous
rassembler, pour réserver à la discussion des articles l'exposé des
considérations qui peuvent nous conduire les uns les autres à formuler des
objections.
Très sincèrement, monsieur le garde des sceaux, il nous semble que l'examen
effectué par l'Assemblée nationale sur un texte d'une telle importance a été
quelque peu rapide.
M. Pierre Fauchon.
Ils sont plus intelligents !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Nous avons voulu, de notre côté, écouter,
entendre, consulter. Nous avons procédé - vous nous avez fait le plaisir d'y
participer, monsieur le garde des sceaux, et M. le président du Sénat nous a
fait l'honneur d'inaugurer nos travaux - à une séance d'auditions publiques et
à de nombreuses autres auditions, effectuées avec la conscience à laquelle nous
a habitués notre rapporteur. Toutes ces auditions ont fait l'objet de comptes
rendus qui sont tenus à la disposition de chacun.
Monsieur le garde des sceaux, je ne sais pas si vous vous en rendez compte -
si tel est le cas un grand progrès est fait - mais je crois que, quelle que
soit l'influence qu'elle va avoir sur le fonctionnement de la justice au
quotidien, cette réforme n'est pas neutre. Elle est destinée à s'insérer
progressivement dans un ensemble de réformes de l'appareil judiciaire.
Il sera méritoire, certes, de faire en sorte que, demain, tout jugement rendu
en matière criminelle fasse l'objet d'un contrôle. L'opinion s'en satisfera et
elle aura raison. Toutefois, et je mesure mon propos, l'essentiel n'est pas là.
Ce progrès considérable ne doit pas nous dissimuler les autres pas que nous
devons accomplir pour que l'appareil judiciaire fonctionne mieux demain
qu'aujourd'hui.
Ce ne sont pas simplement des problèmes matériels - si ce n'était que cela ! -
qui devront être résolus mais aussi des problèmes de principe. J'émets là une
opinion personnelle qui n'est pas partagée par tous mais qui l'est au moins par
l'un d'entre nous.
Il faudra que nous nous interrogions un jour sur ce qui constitue la base même
de la décision judiciaire, c'est-à-dire l'intime conviction. Au cours du débat
que nous avons eu sur ce point, en toute clarté et dans un climat de
confrontation intellectuelle auquel, personnellement, j'ai été extrêmement
sensible, nous nous sommes demandé si « motivation » et « intime conviction »
étaient intellectuellement compatibles.
Nous souhaiterions - vous avez parfaitement noté, monsieur le garde des
sceaux, qu'il y a un petit piège dans notre système ; vous n'y êtes pas tombé :
nous allons vous y pousser - dans le même temps amorcer, à l'occasion de ce
débat, une réflexion sur une procédure simplificatrice et équitable du
déroulement du procès pénal, qui reposerait sur la reconnaissance de la
culpabilité. Mais attention au modèle anglo-saxon ! Nous n'avons aucune envie
de nous laisser influencer par un tel modèle, quoiqu'il y ait peut-être là des
voies qui devront un jour être explorées.
Bien évidemment, monsieur le garde des sceaux, toutes ces questions ne
pourront pas être traitées aujourd'hui, mais nous devrons un jour les aborder
d'une manière lucide et réfléchie.
En attachant votre nom à l'introduction d'un double degré dans la juridiction
criminelle, vous avez secoué l'appareil judiciaire dans son ensemble ; vous
l'avez non pas ébranlé, car le mot serait péjoratif, mais vous lui avez apporté
une modification à laquelle on ne pourra se tenir. En effet, d'autres seront
nécessaires.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Dans l'immédiat, cette réforme, comme notre
rapporteur l'a dit en termes excellents, aura notre soutien.
Ces réflexions à venir nous paraissent nécessaires et elles seront possibles
un jour, en dehors peut-être de commissions extraparlementaires, pour
lesquelles nous n'avons pas une faveur particulière, mais dans un cadre
approprié qu'il appartiendra au Gouvernement, à vous-même, monsieur le garde
des sceaux, de nous proposer. Vous nous y trouverez disposés.
En attendant que s'engage, conformément au rôle du Sénat, cette réflexion
nécessaire, nous sentons bien que, au-delà de telle ou telle affaire
circonstancielle, de telle ou telle nécessité matérielle, une analyse
d'ensemble s'imposera à nous.
La judiciarisation de notre société que nous voyons s'accentuer chaque jour
est-elle inéluctable ?
Dans le cadre de cette évolution, quelle est la place, quel est le rôle des
juges ? Cette place, ce rôle ne peuvent en aucune manière, à mes yeux, résulter
de la conception que le magistrat, que l'institution judiciaire a de son propre
rôle.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Tout à fait !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Le juge doit s'en tenir au rôle que la loi
lui assigne. Sommes-nous sûrs qu'il en est toujours ainsi ? Certains
comportements que l'on peut constater au niveau de l'institution judiciaire
sont de nature à susciter l'inquiétude. Dans une société où, de plus en plus,
tout se juge, un problème redoutable et qui devra un jour être tranché se pose
: qui jugera le juge ?
(Applaudissements sur les travées du groupe des
Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi
que sur les travées socialistes.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
avant d'en venir à l'objet de notre débat, je veux souligner que nous
regrettons que, au moment où une réflexion sur la justice est engagée par le
Président de la République, le Gouvernement nous propose la réforme par touches
successives. Ainsi, nous avons eu à débattre d'un texte sur la détention
provisoire ; un texte sur la Cour de cassation est en cours d'examen ; on nous
annonce un texte relatif à diverses dispositions d'ordre judiciaire et,
aujourd'hui, nous avons à nous prononcer sur la réforme de la procédure
criminelle.
A notre sens, il aurait été préférable qu'une réflexion globale soit menée,
débouchant peut-être sur un texte portant sur l'ensemble.
Pour en venir au sujet qui nous occupe aujourd'hui, disons d'emblée que le
jury populaire, qui a été institué, à l'imitation du droit anglais, par la loi
des 16 et 26 septembre 1791, correspond à un droit essentiel du citoyen, celui
d'être jugé par ses pairs. Chaque citoyen peut en effet se reconnaître dans
ceux qui sont appelés pour composer le jury. Ce mode de jugement a d'ailleurs
contribué à renforcer le lien du peuple avec la justice.
L'institution du jury populaire est donc entrée dans les moeurs et elle est
regardée en France comme l'expression la plus évidente de la démocratie.
Cependant, un grief essentiel est porté à cette institution par une grande
majorité de personnes : comment peut-on admettre qu'un individu condamné pour
un délit ou pour certaines contraventions puisse demander le réexamen de son
affaire alors que ce droit n'existe pas pour les crimes, qui constituent
pourtant les infractions les plus graves pour la société et pour les victimes
et entraînent les sanctions les plus sévères à l'encontre de leurs auteurs ?
C'est particulièrement insupportable au regard des éventuels risques
d'erreur.
S'il est vrai que le pourvoi en cassation est ouvert en cas de condamnation,
son unique objet est de vérifier la régularité juridique de la décision
attaquée : chacun le sait, la Cour de cassation ne peut critiquer
l'appréciation des faits eux-mêmes.
Par le présent projet de loi, il est donc proposé, pour remédier à cette
situation, d'instituer la possibilité de faire appel des délibérations en
matière criminelle, c'est-à-dire le droit de demander le réexamen au fond, afin
que soit infirmée, confirmée ou réformée la décision des premiers juges.
Il y aurait ainsi deux juridictions : un tribunal d'assises qui, dans chaque
département, serait appelé à juger en première instance et une cour d'assises
qui interviendrait en appel.
Le tribunal d'assises serait composé de cinq jurés seulement et de trois
magistrats. Quant à la cour d'assises d'appel elle serait composée comme le
sont aujourd'hui les cours d'assises, c'est-à-dire de neuf jutés et de trois
magistrats.
Si nous adhérons au principe d'un appel en matière criminelle, les conditions
de son application nous paraissent appeler plusieurs remarques.
Je n'évoquerai ici que les dispositions du projet de loi qui soulèvent le plus
de questions, car le temps va me manquer pour traiter des 145 articles que
contient ce projet de loi et que eux-mêmes renvoient à plus de 400
dispositions.
S'agissant tout d'abord de la composition du tribunal d'assises, il est
primordial d'y maintenir, tout comme en appel, le principe d'un jury populaire
; c'est, du reste, ce que prévoit le projet. Cependant, en réduisant à cinq le
nombre des jurés en première instance, ne risque-t-on pas de créer une sorte de
« mini-jury » ou de « sous-jury » ? Ne risque-t-on pas de voir les pouvoirs des
jurés diminuer au profit de ceux des magistrats professionnels ?
Ce qui est certain, c'est que la prise de décision à une majorité de six sur
huit implique nécessairement le vote favorable d'un magistrat pour arrêter la
décision, ce qui fait disparaître la primauté du jury, d'où un déséquilibre que
nous regrettons.
En réalité, du fait du nombre insuffisant de jurés en première instance, du
fait du poids incontestable des magistrats qui parviennent très souvent à faire
prendre la décision qu'ils souhaitent, même avec neuf jurés, du fait de leur
rôle prépondérant pendant l'audience publique préparatoire à la délibération,
du fait de la motivation des décisions, la réforme que vous nous proposez,
monsieur le garde des sceaux, risque de renforcer l'influence des magistrats
lors de la délibération et dans la décision qui sera rendue.
Ces raisons nous ont amenés à déposer un amendement prévoyant que le tribunal
d'assises est composé de neuf jurés et de trois magistrats, comme l'actuelle
cour d'assises.
Quant à l'âge requis pour être juré, il est ramené dans le projet de loi de
vingt-trois ans à dix-huit ans.
Si, à l'Assemblée nationale, l'abaissement de l'âge à partir duquel on peut
être juré a été voté, au Sénat, notamment au sein de la commission des lois,
des discussions ont fait ressortir la singulière complexité du sujet.
Les auditions publiques auxquelles la commission des lois a procédé ont mis en
relief les nombreux problèmes soulevés par la modification de la condition
d'âge, à tel point que cette disposition a été rejetée par la commission.
L'argument essentiel du Gouvernement sur ce point consiste à dire qu'être
électeur ou être juré sont des actes civiques de même nature et que « être
électeur ou être juré, c'est être investi d'une même responsabilité citoyenne
». Mais, à nos yeux, il y a, d'un côté, la participation à la vie de la
collectivité - le vote - et, de l'autre côté, une décision personnelle qui
concerne le destin d'un ou de plusieurs individus.
Les consultations effectuées çà et là, notamment dans certains lycées, auprès
des intéressés eux-mêmes font apparaître que, à une forte majorité, les jeunes
de dix-huit ans interrogés sont hostiles à cette proposition, estimant qu'ils
ne se sentent pas suffisamment mûrs pour assurer de telles responsabilités et
qu'ils ont d'autres priorités : scolaires, universitaires ou
professionnelles.
A cet égard, une évidence s'impose : faire siéger plusieurs jours, voire
plusieurs semaines, des jeunes gens scolarisés ou étudiants risque de leur
poser, en pratique, de nombreuses difficultés, surtout s'ils sont tirés au
sort, notamment lorsqu'ils sont en période d'examen. Il est donc probable que
les désistements seront très nombreux parmi les plus jeunes tirés au sort si le
texte n'est pas modifié.
Mais surtout, la participation à une session de cour d'assises pourrait être
la cause d'un trouble et d'un traumatisme profonds, difficilement surmontables
pour de jeunes majeurs. Cet aspect n'est pas à négliger : c'est même sans doute
le principal des arguments qui plaident pour le maintien de la situation
actuelle. Notre souci doit être, avant tout, de protéger les jeunes des
affaires particulièrement dures qui sont évoquées en cour d'assises.
S'il est vrai qu'il n'y a pas d'arguments convaincants pour dissocier la
majorité civile et l'âge requis pour être juré, s'il est vrai que des jeunes de
dix-huit ans font parfois preuve d'une maturité exceptionnelle, il est évident
que l'immense majorité d'entre eux est plus exposée à la violence du jugement
d'assises que ceux, plus âgés, qui ont fait l'expérience de la vie.
Dans, un article qu'il a récemment consacré à ce sujet, mon ami Charles
Lederman écrit fort justement : « Je souhaite que l'expérience qui sera faite -
si un jour la loi est appliquée - m'amène à penser que j'avais eu tort d'avoir
eu ce doute. »
Monsieur le ministre, vous avez ouvert une piste en évoquant la possibilité,
pour les jeunes appelés à siéger dans un jury, de se faire excuser ; c'est une
piste intéressante et elle mérite qu'on y réfléchisse.
J'en arrive à un autre élément important du projet de loi, la motivation des
décisions, qui implique elle-même la présence du dossier de la procédure dans
la chambre des délibérations.
Le texte adopté par les députés prévoit que le président ou un assesseur, donc
un magistrat, met en forme les raisons qui ont conduit au jugement et qu'il
peut, à titre exceptionnel, si la complexité de l'affaire le justifie, procéder
à cette mise en forme dans un délai de quinze jours au maximum.
Si nous estimons, nous aussi, que la justice d'assises doit être plus
explicite, plus transparente et mieux comprise, nous considérons, en revanche,
que le principe de la motivation, qui n'a d'ailleurs pas été retenu par la
commission des lois, soulève plus de problèmes qu'il n'est censé en
résoudre.
Cette obligation de motivation porte atteinte, qu'on le veuille ou non, au
principe de l'intime conviction des jurés.
Aujourd'hui, « la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels
ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils
doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une
preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes, dans le silence et le
recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle
impression ont faite sur leur raison les preuves rappportées contre l'accusé et
les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui
renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime
conviction ?" »
C'est un principe essentiel auquel il ne faut pas toucher.
Contrairement aux autres juridictions, qui rendent des décisions motivées, la
cour d'assises juge des crimes graves mais juridiquement simples ; les jurés
doivent apprécier les faits et se prononcer sur la culpabilité. Les jurés sont
donc, le temps d'un procès, juges sans avoir à être juristes.
Il serait incohérent d'exiger d'un jury populaire une motivation de ses
décisions alors que, contraitement aux juges professionnels, il représente le
peuple français : en sa qualité de souverain, il n'a pas à expliquer ses
motivations.
Il ne faudrait pas, par ailleurs, que la motivation empêche le jury de prendre
en toute liberté une décision pour la simple raison qu'il ne saurait la
motiver.
De plus, l'exigence d'une motivation est inconciliable avec le secret des
délibérations, justifié par l'intime conviction.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Mais non !
Mme Nicole Borvo.
En effet, à supposer que la motivation ne soit qu'un résumé de la
délibération, n'y-a-t-il pas un risque de trahir le secret de cette
délibération si la motivation est le reflet même des débats du jury ?
Qui dit disparition du secret des délibérations dit risque de pression sur les
jurés populaires.
Comment, en outre, peut-on rédiger les motifs d'une décision alors même que le
vote est secret ?
D'autre part, le délai de quinze jours imparti, dans certaines affaires, pour
la rédaction de la motivation rompt le principe de l'unité de temps du procès
criminel et le principe de la continuité des débats. Mais, monsieur le
ministre, vous semblez vouloir renoncer à ce délai.
Quoi qu'il en soit, l'exigence de la motivation risque de se révéler
rapidement inapplicable dans la pratique.
Comment rédiger une motivation collégiale ?
Peut-on être sûr que les jurés se retrouvent dans une motivation rédigée de
façon uniforme ?
Ne risque-t-il pas d'y avoir des contradictions dans les motifs au sein même
du jury ?
Ne doit-on pas craindre l'émergence de conflits entre le président et le
premier juré, qui empêcherait la rédaction de la motivation ?
Ne risque-t-on pas de voir les jurés se déclarer en désaccord avec la
motivation au moment où ils en prendront connaissance ?
Si la motivation de la décision n'intervient pas immédiatement, le rôle des
magistrats ne va-t-il pas s'en trouver renforcé ?
Pour remédier à ces inconvénients, des solutions ont été évoquées, telles que
des « trames de motivation », un « formatage de décisions », une «
préformalisation de la motivation ».
D'emblée, il faut souligner que le fait de préparer par avance des modèles de
motivations, des trames, des canevas de décisions, avant que les avocats
s'expriment, est contraire aux principes fondamentaux des droits de la
défense.
Par ailleurs, on peut légitimement craindre que, par ce système, la réflexion
des jurés ne soit orientée dans tel ou tel sens et qu'il n'y ait donc une
certaine manipulation lors du délibéré.
De plus, en conférant l'essentiel de la responsabilité à celui qui est chargé
de la rédaction, c'est-à-dire à un magistrat professionnel, on fait jouer aux
magistrats un rôle trop important et on abaisse considérablement le pouvoir de
jurés populaires, ce que nous ne pouvons accepter.
La motivation, enfin, implique de remettre le dossier au jury, et cela au
détriment des droits de la défense puisque pourrait s'instaurer un nouveau
débat lors des délibérations, en l'absence de l'accusé. Le principe même du
débat contradictoire serait alors bafoué, tout comme celui de l'oralité des
débats, qui caractérise pourtant les procès d'assises. Ce serait, purement et
simplement, la fin du caractère populaire de la justice.
En outre, la présence du dossier dans la chambre des délibérations serait la
porte ouverte à toutes les manipulations. En effet, aucune disposition ne
permet aux parties de s'assurer que le dossier ne sera consulté que pour la
vérification d'éléments matériels ou de points évoqués au cours des débats.
Par amendement, nous proposerons que soit supprimée la présence du dossier de
procédure en salle des délibérations.
Nous estimons donc que, pour ce qui est de la motivation, le
statu quo
s'impose, car elle porte à plusieurs titres atteinte à la souveraineté
populaire du jury.
Enfin, j'évoquerai brièvement les moyens nouveaux en magistrats, en
fonctionnaires et en matériels qu'une réforme de cette ampleur suppose.
C'est en effet d'une mobilisation effective de moyens que dépendra
l'application dans de bonnes conditions de la présente réforme.
Le coût de la réforme a été évalué par vos services, monsieur le garde des
sceaux, à 93 millions de francs, « correspondant à la création de 100 emplois
de magistrats, de 40 emplois de greffiers, à l'indemnisation supplémentaire des
jurés, au fonctionnement des cours d'assises d'appel et à des travaux
immobiliers dans les juridictions où cela s'avérerait nécessaire ».
D'ores et déjà, le nombre d'emplois nouveaux nécessaires, tel qu'il ressort de
l'étude d'impact, se révèle inférieur aux besoins. C'est pourquoi, tout en
approuvant bien entendu le recrutement exceptionnel de cent magistrats, nous
considérons néanmoins que cela constitue un minimum.
Quant au nombre de greffiers, il reste, à notre sens, largement en dessous des
nécessités réelles. Plusieurs des personnes entendues par la commission ont
avancé un chiffre de 150 nouveaux postes de greffier, indiquant que c'était là
une hypothèse réaliste.
Nous proposerons, par amendement, la création de 30 postes de magistrats du
parquet et de 150 postes de greffier.
Il est clair que, si des personnels nouveaux n'étaient pas recrutés en nombre
suffisant, la charge de travail des magistrat, des greffiers et des
fonctionnaires de justice, déjà lourde, s'accroîtrait considérablement avec le
double degré de juridiction.
L'encombrement actuel des juridictions, doublé de la création de nouveaux
tribunaux, appelle un effort pour doter la justice des moyens indispensables à
l'exercice de sa mission.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de cette réforme nécessite la réalisation
préalable de nouvelles infrastructures, ainsi que l'aménagement de locaux
existants, notamment pour procéder à l'enregistrement des débats.
Si les incidences financières de cette réforme n'étaient pas inscrites au
budget, le législateur n'aurait défini que des principes inadaptés dans les
faits, ce qui ne serait pas acceptable.
C'est pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, tout
en étant favorables au principe qui sous-tend le projet de loi, essentiellement
l'instauration d'une double juridiction en matière criminelle, espèrent
néanmoins que le débat permettra de lever les nombreuses interrogations qui
persistent à ce jour.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
« Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a
le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de
culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit [...] est régi par la
loi. » Ainsi dispose la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, à laquelle la France est partie, en
l'article 4 de son protocole 7.
Monsieur le garde des sceaux, en présentant au Sénat le projet de loi que nous
examinons aujourd'hui, vous mettez fin à un retard considérable acquis par la
France en matière de protection des droits de la défense.
Depuis le 1er novembre 1988, la Convention européenne des droits de l'homme
impose aux Etats signataires de se doter de juridictions d'appel en matière
pénale, et donc en matière criminelle.
C'est seulement dix ans après son entrée en vigueur que nous sommes en voie
d'adopter une législation conforme à cette obligation.
L'objectif que nous espérons atteindre avec ce projet de loi ne doit pas nous
faire oublier qu'il s'agit là d'une des nombreuses tentatives effectuées en vue
de la nécessaire réforme de la procédure criminelle.
En France, dès que l'on envisage de remanier le fonctionnement des jurys
populaires, on se heurte à un prudent scepticisme.
Si la Révolution nous a légué des valeurs auxquelles nous sommes tant
attachés, il faut reconnaître que le fonctionnement des institutions qu'elle a
créées a considérablement évolué au cours du temps, à l'exception d'un domaine
: celui de la justice criminelle.
Ainsi, le jury a su conserver son caractère originel à travers les âges. C'est
vraisemblablement l'une des raisons pour lesquelles la remise en cause de son
fonctionnement semble si difficile.
Les hésitations rencontrées trouvent également leur origine dans la façon dont
nous appréhendons la justice. Fille de notre démocratie, elle est rendue par le
peuple, au nom du peuple.
Ce caractère profondément républicain du système judiciaire français trouve sa
concrétisation dans le jury. C'est ainsi que la cour d'assises est la seule
juridiction essentiellement composée de magistrats citoyens, représentants du
peuple.
Doit-on, dès lors, considérer que l'appel des jugements rendus en matière
criminelle porte atteinte au principe de la souveraineté populaire ?
Je ne pense pas qu'il en soit ainsi. Cette légitimité ne peut s'opposer à ce
que d'autres citoyens-jurés remettent en cause les décisions prises par un
jury.
La loi, elle aussi, est l'expression de la volonté populaire. Pourtant, le
Parlement abroge des textes qu'il remplace par d'autres. Il ne lui en est pas
tenu grief dans la mesure où il ne fait que jouer son rôle constitutionnel.
Il me semble que ce raisonnement doit pouvoir être étendu aux décisions de
justice, sans que la souveraineté du jury s'en trouve amoindrie.
Incontestablement, parce qu'elle contient des mesures novatrices, la réforme
qui nous est proposée ouvre un réel débat. Elle est d'abord et avant tout
résolument progressiste.
Pour la première fois au cours de travaux parlementaires, nous sommes conduits
à admettre que la justice peut commettre des erreurs, et ce malgré la très
grande compétence des magistrats.
Pour qualifiés que soient nos juges et pour consciencieux que soient les
jurés, ils n'en demeurent pas moins des hommes, avec leurs forces et leurs
faiblesses. Il faut bien admettre que, même dans un domaine aussi grave que
celui de la justice, l'erreur est humaine, l'erreur est possible.
Cependant, une justice digne de ce nom doit être irréprochable, monsieur le
garde des sceaux. Je ne saurais affirmer que l'instauration d'un second degré
de juridiction balayera à jamais le spectre de l'erreur judiciaire. Je suis
néanmoins convaincu que la possibilité d'interjeter appel contribuera à lutter
contre la condamnation de l'innocence.
Mes chers collègues, qui peut affirmer avec certitude que Christian Ranucci
aurait été guillotiné s'il avait pu faire appel de l'arrêt de la cour d'assises
des Bouches-du-Rhône ?
Guillaume Seznec aurait-il séjourné à Cayenne si sa cause avait été réexaminée
par une juridiction supérieure ?
Le Président de la République lui-même n'a-t-il pas admis l'existence d'un
doute sur la culpabilité d'Omar Raddad en accueillant favorablement sa demande
de grâce ?
Tout récemment, l'affaire Turquin a laissé un sentiment de malaise : crime
sans cadavre - vous le rappeliez très justement, monsieur le rapporteur -
culpabilité reconnue, mais condamnation réduite, sans doute par crainte de
l'erreur judiciaire ! Ce procès est la dernière illustration anachronique de la
cour d'assises sans appel, ou plutôt il est la dernière illustration de
l'anachronique cour d'assises sans appel.
La seule évocation de ces quelques dossiers justifie l'impérieuse nécessité de
réformer le fonctionnement actuel de la cour d'assises.
En arrière-plan de ce texte se trouve le problème de l'aveu. Ne
conviendrait-il pas de profiter de nos travaux pour réexaminer avec attention
l'importance qu'il y a lieu d'accorder à ce que l'on qualifie, à tort ou à
raison, de reine des preuves ?
Le système inquisitoire que nous pratiquons depuis l'édit de Villers-Cotterêts
de 1539 accorde à l'aveu une place de choix dans la hiérarchie des éléments
susceptibles d'établir la culpabilité d'un individu.
De nombreuses affaires criminelles sont, en effet, résolues grâce aux aveux
recueillis lors de la garde à vue.
Il apparaît cependant que, dans une infirme minorité des cas, des révélations
reçues par les services de police sont le fait de personnes s'accusant à tort.
Les unes, volontairement et par des mensonges, couvrent le véritable coupable ;
les autres veulent échapper aux pressions dont elles font l'objet. Lorsque ces
dernières se rétractent devant le juge d'instruction, elles ne peuvent
malheureusement plus échapper aux poursuites dirigées contre elles, ce qui,
dans le pire des cas, peut les conduire aux assises.
Plutôt que l'aveu à tout prix, l'introduction de la notion de « plaider
coupable » permettrait de simplifier les débats. Toutefois, l'amendement
proposé par la commission des lois ne concerne que l'appel sur la peine
prononcée par les tribunaux départementaux d'assises, ce que, pour ma part, je
regrette.
Si l'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi à l'unanimité, ce n'est pas
sans s'être longuement interrogée sur plusieurs de ses dispositions, notamment
sur l'âge requis pour être juré et sur la motivation des décisions.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous proposez de ramener de vingt-trois ans
à dix-huit ans l'âge minimum requis pour être juré, indiquant que cette mesure
permettrait de renforcer les liens entre le peuple citoyen, en particulier la
jeunesse, et l'institution judiciaire.
Devant la commission des lois, vous avez précisé que les jeunes adultes, parce
qu'ils sont susceptibles d'être traduits devant une juridiction d'assises,
doivent pouvoir être appelés à y siéger.
L'argument paraît pertinent. Cependant, est-il raisonnable d'accorder aux
jeunes adultes toutes les prérogatives offertes par la citoyenneté au seul
motif qu'ils sont devenus légalement majeurs ?
Une certaine expérience de la vie semble nécessaire pour juger des
comportements humains. Comment considérer, en effet, qu'un jeune de dix-huit
ans, au sortir de l'adolescence, et alors qu'il n'a qu'une approche incertaine
de la vie de couple, puisse se prononcer sur la peine qu'il convient d'infliger
à l'auteur d'un crime passionnel ?
J'étais enclin à penser qu'il n'y a pas lieu d'abaisser l'âge des jurés qui,
pour beaucoup, semble déjà trop bas, mais votre proposition sur l'âge de vingt
et un ans appelle réflexion.
S'agissant de la motivation des jugements, elle s'avère indispensable pour
deux raisons au moins. D'une part, elle correspond à l'intérêt des condamnés en
évitant la crainte d'une décision arbitraire. D'autre part, elle permet à la
cour d'assises d'appel de disposer d'éléments utiles à la conduite de ses
débats.
Dans l'exposé des motifs du projet de loi présenté devant l'Assemblée
nationale, vous indiquiez avec justesse, monsieur le garde des sceaux, qu'en
exigeant les voix d'au moins six membres du tribunal d'assises pour prononcer
la condamnation de l'accusé, celle-ci serait au moins votée par un magistrat,
facilitant ainsi la rédaction de la motivation. Il paraît, en effet, difficile
de demander à un magistrat qui n'est pas convaincu par le jugement d'en rédiger
les attendus.
Ce raisonnement n'est, hélas ! pas applicable à la cour d'assises d'appel
puisqu'une décision de condamnation peut parfaitement intervenir sans la voix
d'un seul magistrat professionnel.
La voie ouverte par la commission des lois du Sénat en instituant un
questionnement du jury sur les éléments de preuve avant le vote sur le
principal, c'est-à-dire la culpabilité, me semblait, jusqu'à votre
réquisitoire, monsieur le garde des sceaux, de nature à résoudre cette
difficulté.
Je sais combien les objections liées à cette exigence de motivation sont
nombreuses. Je reste néanmoins convaincu que vous parviendrez, avec l'aide de
notre assemblée, à atteindre l'équilibre nécessaire à la mise en oeuvre de
cette mesure indispensable.
On ne peut que se réjouir de la mise en conformité de notre législation avec
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme par la création
d'une procédure d'appel.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue le fait que ce texte impose également
aux Etats de juger toute personne traduite devant l'une de ses juridictions
dans un délai raisonnable.
L'Assemblée nationale a fait preuve de sagesse en décidant de différer de
plusieurs mois l'entrée en vigueur de cette loi. Ce report devrait permettre
aux services de la Chancellerie, par redéploiement ou complément de moyens, de
prendre en compte l'exigence de délais raisonnables.
Monsieur le garde des sceaux, votre projet de loi est, selon moi, l'une des
mesures les plus importante depuis le vote, en 1981, de l'abolition de la peine
de mort. Il représente une avancée incontestable dans le domaine de la
protection des droits de la défense.
Les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, dans
leur majorité, sont d'accord sur le principe de ce projet de loi, même si
certaines de ses modalités peuvent faire l'objet de discussions. Pour ma part,
je suis heureux d'apporter mon soutien à votre projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues. «
Jusqu'à une époque récente, la procédure d'audience devant les juridictions
répressives de jugement de droit commun n'avait pas fait l'objet de critiques
majeures. On considérait généralement que cette procédure était dominée par
l'application de l'idée accusatoire, et donc publique, orale et contradictoire,
et que les traces d'inquisitoire qui persistaient dans son organisation, en
particulier le rôle directeur du président de la juridiction, n'étaient pas
suffisantes pour lui enlever ce caractère de faveur faite aux intérêts de la
personne poursuivie.
« Le mouvement de la défense sociale nouvelle l'avait certes critiquée, comme
ne permettant pas de procéder à une étude satisfaisante de la personnalité du
délinquant et, par voie de conséquence, de décider avec pertinence de la mesure
de traitement à lui appliquer. Aussi proposait-il de scinder le procès pénal de
jugement en deux phases, à l'imitation du système anglo-saxon, qui distingue la
phase de la "conviction" et celle de la sentence. Mais cette réforme,
qui devait de toute façon se faire dans les deux phases sous le signe de
l'accusation, ne remettait nullement en cause le principe accusatoire sur la
base duquel fonctionnait la procédure de jugement. »
C'est par ces mots que le professeur Raymond Gassin résumait, en mars 1995,
lors d'un colloque sur la procédure pénale, près de deux siècles
d'évolution.
Il faut bien reconnaître que si les réformes procédurales avaient été
réclamées depuis longtemps et en partie réalisées, elles visaient
essentiellement la phase de l'instruction préparatoire et de l'enquête dominées
par le principe inquisitoire. En matière d'instruction définitive et de
jugement, en dehors de la réforme des cours d'assises pratiquement achevée avec
la loi du 25 novembre 1941 qui avait institué le système de l'échevinage, on
demandait tout au plus des modifications qui portaient sur des problèmes situés
à la périphérie de ceux qui constituent le coeur de la procédure du jugement
pénal, c'est-à-dire le jugement de l'action publique, comme l'intervention
volontaire ou forcée, de l'assureur devant le juge répressif qui a été admise
par la loi du 8 juillet 1983.
Finalement, on se satisfaisait à peu près complètement de l'organisation de la
procédure d'audience mise en place en 1810 et reprise en 1959, parce qu'elle
paraissait assurer un équilibre satisfaisant entre les intérêts en présence
dans la manifestation de la vérité qui constituait le but traditionnel,
fondamental du procès pénal : vérité de l'infraction et vérité de la
culpabilité de l'agent, voire vérité de la personnalité du délinquant avec
l'introduction de l'examen de personnalité.
Mais, depuis quelques années, on assiste à une remise en cause radicale de la
procédure de l'instruction définitive et de la procédure du jugement elle-même,
parallèlement à celle de la « mise en état des affaires pénales ».
La raison essentielle de ce phénomène réside dans la modification de la
finalité du procès pénal. On assiste, à cet égard, à une sorte de glissement,
plus ou moins conscient et délibéré selon ses acteurs, depuis l'objectif
traditionnel de la recherche et de la manifestation de la vérité jusqu'à cette
idée selon laquelle le procès pénal doit être le reflet de la promotion des
droits de l'homme dans la société contemporaine. D'où l'apparition d'une
contradiction manifeste entre la notion des droits de l'homme telle qu'elle est
généralement comprise et celle de poursuites pénales.
Ce sont ces conditions générales que nous devons avoir à l'esprit pour bien
comprendre tant les évolutions récentes en matière de procédure de jugement que
l'enjeu de notre débat d'aujourd'hui.
En effet, depuis trois ans, pas moins de quatre lois ont été consacrées au
sujet qui nous occupe aujourd'hui : la loi du 4 janvier 1993 relative à
l'audience de jugement, dont ont eu raison les critiques d'ordre théorique et
les impossibilités d'ordre pratique, et qui a conduit à l'adoption de la loi du
24 août 1993, à la suite des recommandations du groupe de travail présidé par
le professeur Bouloc ; il faut aussi citer la loi du 1er février 1994, par
laquelle la procédure préparatoire aux sessions d'assises connaît une
amélioration ponctuelle des droits de la défense, et la loi du 8 février 1995
relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et
administrative.
Dans ces conditions, le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le
garde des sceaux, est réellement novateur, car, outre le maintien d'un jury, il
crée un double degré de juridiction en matière criminelle, ce qui répond à
notre souci d'améliorer les droits de la défense.
Le jury de la cour d'assises est en effet la seule forme de jury qui ait été
maintenue dans notre système juridictionnel.
Les révolutionnaires, à l'imitation de l'Angleterre, avaient généralisé le
jury non seulement dans toutes les juridictions de jugement, mais même au stade
de l'instruction préparatoire : c'était en effet un jury d'accusation qui
décidait s'il y avait ou non lieu de renvoyer en jugement. Ce système avait
donné de très mauvais résultats, et les codes napoléoniens ne laissèrent alors
subsister le jury que pour le jugement des crimes, solution maintenue jusqu'à
aujourd'hui.
Le nombre des jurés est resté totalement stable de l'origine de l'institution
jusqu'en 1940. Il était de douze membres. La pérennité de ce nombre est liée au
fait que, si l'on en croit les Ecritures, lorsque douze hommes de bonne volonté
sont assemblés, la lumière est nécessairement parmi eux.
A partir du moment où l'on renonce à ce nombre-là, toutes les discussions
théoriques et pratiques sont possibles. En témoigne d'ailleurs l'article que
signait, voilà un an, sous le titre de « jury or not jury », l'un de nos
éminents collègues. Après quelques spéculations sur les majorités de voix, il
concluait au maintien d'un jury au sein de la justice criminelle, ce qui
devrait le conduire, en toute logique, à voter ce projet de loi.
Cela étant, le nombre des jurés a été modifié à trois reprises dans notre
histoire : en 1941, il a été ramené à six en considération de la lourdeur d'une
procédure à douze jurés ; en 1945, il a été relevé à sept ; enfin, le code de
procédure pénale de 1958 a retenu le nombre de neuf jurés pour une raison
technique.
Dans notre procédure criminelle, une décision défavorable à l'accusé de la
cour et du jury - une décision le déclarant coupable, par exemple - ne peut
être prise que par une majorité de huit voix contre quatre à l'intérieur du
collège que forment ensemble la cour et le jury. On a donc retenu le nombre de
neuf jurés pour que ces décisions défavorables soient acquises par une majorité
à l'intérieur du jury.
Le nombre de neuf jurés sera désormais retenu pour la cour d'assises d'appel ;
le tribunal d'assises départemental, qui aura à juger les crimes en premier
ressort, sera quant à lui composé d'un président, de deux assesseurs et de cinq
jurés.
La majorité requise pour les décisions défavorables à l'accusé sera de six
voix sur huit, soit une proportion des trois quarts, devant le tribunal
d'assises.
Afin de préserver cette proportion, il convient de relever de huit à neuf le
nombre de voix requises devant la cour d'assises pour prendre une décision
défavorable, comme le propose très justement le rapporteur de la commission des
lois, notre collègue Jean-Marie Girault, dont je salue à la fois la pertinence
des suggestions et l'éloquence dont il a fait preuve tout à l'heure.
Mais, monsieur le garde des sceaux, plus sujettes à débat sont, je crois, les
conditions désormais requises pour être juré.
Pour être juré, il faut remplir deux séries de conditions : des conditions
positives et des conditions négatives.
Les conditions négatives sont assez strictes, car elles visent à garantir à la
fois la valeur morale et l'absence de prévention des jurés : inaptitude mentale
pour les personnes incapables majeures frappées d'une mesure de représentation
ou d'assistance ; inaptitude morale pour les jurés ayant fait l'objet d'une
interdiction de leurs droits civiques, civils et de famille ou de certaines
sanctions disciplinaires graves ; enfin, inaptitude juridique en présence de
toute une série d'incompatibilités attachées au rôle ou aux fonctions remplies
par l'intéressé.
Les conditions positives, quant à elles, sont très réduites, car le
législateur a voulu que le fait d'être juré soit la vocation du plus grand
nombre : il suffit d'être français, de satisfaire à une condition d'âge, de
savoir lire et écrire et de jouir de ses droits civils et civiques.
La condition d'âge est actuellement de vingt-trois ans. Est-il souhaitable de
l'abaisser à dix-huit ans par souci de mieux associer les jeunes à la justice
ou au motif que la citoyenneté ne se divise pas ? Je ne le crois pas, et je
partage pleinement en cela les observations de M. le rapporteur, que confirment
très opportunément les résultats de l'enquête effectuée à la demande du
président de la commission des lois, M. Jacques Larché. Cette heureuse
initiative témoigne de l'esprit d'ouverture et d'écoute dont fait preuve la
commission des lois.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je me souviens de mes
dix-huit ans, je vois comment mes enfants et leurs amis vivent les leurs.
Dix-huit ans, c'est l'âge de tous les doutes, la fin de l'adolescence, le début
de l'âge adulte, sans l'expérience des choses de la vie.
« Je n'ai pas encore assez vécu pour pouvoir juger », m'avait indiqué un jour
ma fille avec bon sens. « Dix-huit ans n'est pas le plus bel âge de la vie »,
disait Nizan. Il n'est sans doute pas non plus le plus propice pour affronter
une épreuve aussi dure que celle que constitue la participation à un jury
d'assises.
Dans le même esprit, je suis favorable au maintien de l'instruction lue aux
jurés par le président de la cour, prévue par l'article 353 du code de
procédure pénale. C'est en effet le plus beau texte de la littérature
juridique.
Il n'y a pas de contradiction apparente entre ce texte et l'obligation de
motivation.
Pour avoir le droit de se dire intimement convaincu, il faut avoir des raisons
de l'être, et c'est ce qu'indique l'instruction lue aux jurés, qui invite ces
derniers à rechercher quelle impression a fait sur leur raison la balance des
preuves. Il convient donc de la conserver en la complétant par le rappel de la
présomption d'innocence de l'accusé.
Le projet de loi vise également à renforcer la santion infligée au juré
défaillant, en portant à 25 000 francs le maximum de la contravention. Cette
proposition recueille mon assentiment, car la fonction de juré est
obligatoire.
Cependant, monsieur le garde des sceaux, je m'interroge sur la possibilité de
maintenir en l'état la récusation des jurés telle qu'elle a été pratiquée
depuis 1810. A cet égard, les arguments développés par Mme Rassat, dans son
rapport, me paraissent particulièrement saisissants.
« En effet, la récusation actuelle, compte tenu de ses caractères -
péremptoire et automatique - et des éléments qui sont portés à la connaissance
des accusés ne peut se faire qu'en considération de caractéristiques des
personnes en vertu desquelles le droit interne comme le droit supra-national
interdisent de discriminer : la couleur de la peau, le sexe, l'âge,
l'infirmité, l'état de santé perceptible, la catégorie socioprofessionnelle ou
l'état de prospérité apparent. Bien que cela ne crée pas une impossibilité mais
seulement une incongruité, la méthode est profondément vexatoire pour les jurés
exclus. » Je ne nie pas que certains jurés s'en réjouissent. Nombre d'avocats,
familiers des cours d'assises, en ont fait l'expérience : « Maître, rendez-moi
un service : récusez-moi, j'ai une affaire urgente à traiter », ont-ils entendu
des jurés leur demander.
Dès lors, seule serait concevable une récusation en forme d'examen, sur le
modèle anglo-saxon. Cependant, le Haut Comité consultatif sur la procédure de
jugement en matière criminelle a considéré, sans doute à juste titre, que ce
mécanisme serait trop lourd, compte tenu du nombre d'affaires à juger.
Enfin, il faut bien voir qu'une récusation a toujours été contraire au
fondement du jury, le jugement par les pairs reposant sur l'idée que la parité
réside, ici, dans la citoyenneté. Tous les jurés déclarés aptes sont égaux, et
permettre un choix revient à s'éloigner du schéma classique. Il est en effet
pour le moins suprenant de voir affirmer dans une salle d'audience où la
justice va être rendue avec une aussi grande solennité au nom et par le peuple
français qu'un homme n'est pas égal à un autre.
Etant donné que ce projet de loi fait le choix, à mon sens tout à fait
essentiel, de maintenir le jury populaire tant en première qu'en seconde
instance, je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, connaître vos
réflexions à ce propos.
Il est à mon avis un autre point tout aussi important, qui concerne l'exercice
du droit d'appel.
Selon l'article 232 du code de procédure pénale tel qu'il résultera de
l'article 3 du projet de loi, l'appel des jugements rendus sur le fond par le
tribunal d'assises est en principe porté devant la cour d'assises. Celle-ci
devient donc la juridiction du second degré de droit commun en matière
criminelle.
La faculté d'appeler d'un jugement rendu sur le fond est reconnue par le
projet de loi à différentes personnes : tout d'abord à l'accusé, que l'on peut
qualifier ici de condamné, car pèse dès lors sur lui une présomption de
culpabilité ; par ailleurs, à la personne civilement responsable et à la partie
civile quant aux intérêts civils seulement ; en outre, au procureur de la
République ; enfin, au procureur général.
Ce dispositif refuse donc aux victimes d'un crime un droit d'appel que l'on
estime indispensable d'instituer au bénéfice des criminels condamnés comme tels
en première instance.
Il me paraît difficilement concevable d'organiser un double degré de
juridiction pour améliorer la crédibilité de la justice en matière criminelle,
et, dans le même temps, de décider que cette amélioration doit profiter au
condamné, au présumé criminel mais que, en cas d'acquittement, elle doit être
refusée à la victime constituée partie civile. Accorder à une partie au procès
un droit que l'on refuse à l'autre est en soi exclusif de la notion de procès
équitable. Cette évidence se trouve aggravée lorsque c'est au présumé coupable
que l'on accorde ce droit qui est refusé à la victime.
Je rappelle que le Haut Comité, présidé par M. Jean-François Deniau, a proposé
que le droit d'appel soit conféré au ministère public, à la victime et à
l'accusé.
Mme Rassat, quant à elle, a suggéré que, en cas d'acquittement, la faculté de
faire appel appartienne au ministère public mais également à la victime
constituée partie civile.
En premier lieu, il me paraît nécessaire de distinguer clairement les notions
de « victime » et de « partie civile ».
Il me paraît souhaitable d'instituer un droit d'appel au bénéfice de personnes
physiques atteintes directement, physiquement ou moralement, par le crime,
c'est-à-dire victimes au sens le plus profond de ce mot.
Une distinction peut se justifier, sur le plan du droit d'appel, entre
victimes, personnes physiques constituées partie civile, et certains autres
intervenants pouvant avoir également la qualité de partie civile.
J'ai du mal à comprendre que, en globalisant, en confondant les uns et les
autres, on puisse aboutir à priver les victimes de leur droit d'appel.
Comment, par ailleurs, prétendre que la reconnaissance de ce droit
contreviendrait à une évolution séculaire alors que l'on a reconnu à la victime
le droit, en se constituant partie civile, de provoquer la mise en oeuvre de
l'action publique ?
Le droit d'appel, dès lors qu'est institué un double degré de juridiction,
n'est que la conséquence logique de ce droit que personne, à ma connaissance,
n'envisage de remettre en cause.
Il n'est pas nécessaire d'ajouter que les victimes réclament non pas la
vengeance, mais la justice.
En second lieu, on ne peut ajuster la procédure criminelle avec la procédure
correctionnelle. En effet, celle-ci, aussi bien au premier qu'au second degré,
se déroule devant des magistrats professionnels.
Dès lors, refuser un droit d'appel sur le fond à la victime, constituée partie
civile, c'est lui nier le libre accès à la cour d'assises dont elle bénéficie
actuellement.
Elle pourra certes faire appel pour ses intérêts civils. Mais cela ne
constitue pas en soi un progrès puisque, dans le système actuel, en cas
d'acquittement, la cour d'assises a une large liberté d'appréciation pour
estimer si les faits, tels qu'ils résultent de la décision intervenue, ne
permettent cependant pas une indemnisation de la victime dans le cadre du droit
civil.
Enfin, l'éventualité envisagée pour la victime de supplier les représentants
du parquet d'interjeter appel du jugement rendu, si telle n'est pas leur
intention, me paraît aussi humiliante pour la victime que singulière à l'égard
de magistrats qui, ainsi, modifieraient leur décision pour complaire à l'une
des parties.
Comment peut-on estimer que « convoquer » une cour d'assises est légitime si
c'est le condamné qui le demande mais que ce n'est pas souhaitable si c'est la
victime qui le sollicite ? Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de
rappeler ici cette phrase célèbre : « La clémence qui pardonne aux assassins
est une injustice faite aux victimes. » Si l'on veut, comme vous, resserrer le
lien entre la justice et les citoyens, il ne faut pas donner le sentiment que
les accusés sont mieux traités que les victimes.
A ces quelques interrogations, je ne doute pas que, dans leur sagesse, le
Sénat et l'Assemblée nationale apportent les réponses adaptées. Je voterai sans
réserve les amendements proposés par M. le rapporteur, en ce qui concerne en
particulier la possibilité de permettre aux parties, en cas d'appel sur
l'action publique, d'obtenir une copie de l'enregistrement des débats, la
préservation de l'oralité des débats d'assises, la motivation des jugements ou
encore les modifications sémantiques proposées.
Mais, je ne pourrai conclure, monsieur le garde des sceaux, sans m'associer
aux remarques précédemment formulées quant aux moyens nécessaires à
l'application de cette loi. Dans l'étude d'impact, on évalue son coût annuel à
93 millions de francs. Nous savons tous qu'il s'agit là d'un minimum. Et c'est
d'une manière récurrente que l'on demande ainsi les moyens indispensables au
fonctionnement de la justice. J'ajouterai que la formation des présidents et
des greffiers est également indispensable.
Telles sont les conditions
sine qua non
de la réussite de cette réforme
courageuse et équilibrée par laquelle l'établissement de la vérité demeure
l'objectif fondamental de la procédure pénale et les droits de l'homme le
butoir au-delà duquel il n'est pas possible d'aller.
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la
réforme de la procédure criminelle aura attendu deux siècles. Il doit bien y
avoir des raisons à cela. Que l'on n'ait pas touché à cette procédure malgré
les objections récurrentes qu'elle soulevait démontre bien que la tâche n'était
pas si facile ! En définitive, cette forme de justice a toujours plu au peuple
français, parce qu'il y est associé et parce qu'il a l'impression de rendre la
justice.
Dans le même temps, cependant, à l'occasion de certaines affaires, on peut se
sentir très insatisfait de la manière dont les choses se passent. Et certains
d'évoquer alors les conventions internationales, notamment la Convention
européenne des droits de l'homme. Mais elles ne sont que le résultat des
principes généraux du droit qui doivent être ceux de toute société
démocratique. C'est vrai, certaines décisions prises par les cours d'assises,
qui bien souvent choisissent sans choisir, décident la culpabilité mais sans
aller jusqu'au bout du raisonnement, laissent une impression de justice
imparfaite.
Il faut donc instaurer un double degré de juridiction.
L'idée - intéressante - nous fait entrer cependant de plain-pied dans les
difficultés les plus grandes. Si l'on estime que pour les crimes, c'est-à-dire
pour les infractions les plus graves, la participation des citoyens à la
décision de justice est fondamentale, faut-il alors pour autant prévoir un peu
plus de citoyens pour rendre une meilleure justice ?
De manière générale, ce sont des magistrats plus expérimentés qui jugent en
appel : on ne devient pas conseiller sans une certaine expérience. Et, parce
que ces magistrats sont meilleurs juristes, parce qu'ils ont une expérience
professionnelle plus grande, on en déduit que leurs décisions sont mieux
motivées que celles des juges de première instance.
Certes ! Mais alors nous sommes devant une réelle difficulté en ce qui
concerne les tribunaux et les cours d'assises.
Il suffit donc d'ajouter quelques citoyens de plus au sein de la formation
collégiale, et la justice sera incontestablement meilleure ? Soit ! D'ailleurs,
monsieur le garde des sceaux, les travaux réalisés par les commissions, comités
et hauts comités ont beaucoup tourné autour de cette question.
Certains avaient pensé - première réforme qui a vite suscité la révolution -
prévoir des juges professionnels au premier degré et le jury au second degré.
Mais était-il possible de faire éventuellement censurer des juges
professionnels par des jurés non professionnels ? Cela paraissait difficilement
acceptable. D'autres ont prévu des jurys tournants.
Evidemment, si l'on avait envisagé, comme certains l'ont fait à un moment,
d'ouvrir quelque peu les possibilités de révision par la Cour de cassation, on
aurait peut-être échappé à une réforme. Mais, il est vrai, c'était « tordre »
les principes qui fondent l'intervention de la Cour de cassation dans notre
droit.
Par conséquent, nous devons nous résoudre à cette réforme pour permettre une
meilleure justice. Il est vrai que, si une décision de cour d'assises paraît
injuste, il faut ouvrir la possibilité d'un second examen de l'affaire. Il
s'agit là d'un principe fondamental qui est reconnu par notre droit comme par
les conventions internationales.
Monsieur le garde des sceaux, bien entendu, cette réforme est justifiée, et,
comme l'a très bien dit M. le rapporteur, vous avez gagné à partir du moment où
l'ensemble des forces politiques acceptent le double degré de juridiction.
Reste que, parlant de libertés publiques, on peut aussi s'interroger sur la
manière dont la justice ordinaire est rendue en France, sur la manière dont 80
% des affaires, dans certaines juridictions, font l'objet d'un non-lieu...
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Non ! d'un classement !
M. Jean-Jacques Hyest.
... voire sur certaines audiences de comparution immédiate. Là aussi, il
s'agit de libertés publiques et de libertés fondamentales. Ce n'est pas parce
que, d'un côté, l'infraction est grave et la sanction lourde qu'il n'y a pas,
de l'autre, une possibilité d'atteinte grave aux libertés.
Ce projet de loi, monsieur le garde des sceaux - M. Jacques Larché l'a dit -
va non pas « saper » les fondements de l'institution judiciaire, mais justifier
d'autres réformes pour que la justice soit mieux assurée à tous les niveaux.
Mais nous n'en sommes pas là.
Nombre de collègues l'ont déjà dit et d'autres le diront sans doute, les
moyens qui seront nécessaires pour la mise en oeuvre de cette réforme doivent
être absolument mobilisés en sus de tout ce qui a été prévu par ailleurs dans
le cadre de la loi de programmation pour la justice. A défaut, on aurait,
certes, donné plus de moyens à la justice et au justiciable plus de droits,
mais à une certaine justice et à certains justiciables.
Et il serait tout de même bien extraordinaire que l'on ne réforme que la
procédure criminelle et que l'on ne donne de moyens qu'à cette justice-là. On
le sait, la cour d'assises est la vitrine de la justice. La procédure y est
solennelle - proche du drame antique - quand on la compare aux autres. On y
consacre beaucoup de moyens par rapport à ceux qui sont donnés aux autres
juridictions, souvent en grande difficulté pour assurer ne serait-ce que
l'instruction des affaires.
Monsieur le garde des sceaux, puisque la réforme est lancée, il faut en
discuter, nous en sommes d'accord. Alors, discutons-en !
Dans votre excellente plaidoirie en faveur de l'abaissement de l'âge minimum
requis pour être juré, vous avez pris comme élément de comparaison les
conseillers municipaux.
Veuillez m'excuser, monsieur le garde des sceaux, mais il y a une différence
fondamentale : le conseiller municipal est élu, lui. Il est donc choisi par le
peuple. Il n'est pas tiré au sort. D'ailleurs, à l'origine, pour la désignation
du jury d'assises, on sélectionnait les jurés. Ensuite, et pendant longtemps,
on les a bien tirés au sort, mais pas tout bêtement.
Monsieur le garde des sceaux, quand on veut donner des arguments, il faut les
donner tous !
En matière de législation comparée, j'ai retenu que, pour être juré d'assises
en Italie, où il y a un double degré de juridiction, il fallait être âgé de
trente ans et avoir le baccalauréat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le baccalauréat pour le tribunal et la licence pour la cour !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Et c'est parfait, en Italie ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Je ne dis pas que c'est parfait, mais cela prouve que les préoccupations sont
comparables d'un pays à l'autre, la législation comparée étant toujours
intéressante en la matière.
Quand on parle avec mépris de l'institution du jury, notamment telle qu'il
existe aux Etats-Unis, on oublie un peu vite que ceux-ci ont repris là-bas ce
que la Révolution française a introduit ici. C'est la même tradition, et cela
m'amuse parfois de voir que l'on critique des innovations que l'on a, en fin de
compte, « offertes » à d'autres. Mais je ferme la parenthèse !
Votre réforme est donc légitime, monsieur le garde des sceaux, mais j'ai dit
qu'elle ne me paraissait pas présenter, par rapport à d'autres, le caractère
d'urgence absolue.
Reste bien entendu le problème important de la motivation. Comme il est écrit
dans le code de procédure pénale, « la loi ne demande pas compte aux juges des
moyens par lesquels ils se sont convaincus ». C'est une tradition. Mais, en
même temps, et à partir du moment où l'on instaure l'appel, on sent bien qu'il
faut des motifs d'appel, et donc une motivation.
Or, M. le rapporteur l'a très bien dit, on ne voit pas très bien comment on
pourrait articuler une motivation juridique à la fois sur les faits et sur le
degré de culpabilité.
Certes, dans un document que je qualifierai d'excellent devoir de travaux
dirigés, la direction des affaires criminelles et des grâces nous a fourni
quelques indications. Mais, franchement, je préfère ne pas donner lecture de ce
document, d'abord parce que je n'en ai pas le temps, ensuite parce qu'il n'est
pas très convaincant. Et c'est le moins que l'on puisse en dire !
En revanche, si l'on s'en tient aux questions très précises que préconise la
Cour de cassation - reste à savoir, bien sûr, qui les établirait...
M. Jacques Toubon
garde des sceaux.
Vous l'avez compris, vous qui êtes toujours si
pertinent !
M. Jean-Jacques Hyest.
Reconnaissez, monsieur le garde des sceaux, que c'est une des difficultés de
ce texte, car il n'y a plus d'arrêt de renvoi.
M. Jacques Toubon
garde des sceaux.
C'est comme dans les sondages : les réponses viennent
des questions !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Moi, je me pose aussi un certain nombre de questions, monsieur le garde des
sceaux. Vous êtes sûr de la validité de tous vos arguments. Ce n'est pas mon
cas.
Pour réaliser une réforme de cette ampleur, il faut s'en donner les moyens au
risque, sinon, d'aggraver encore la situation. Imaginez que tous les jugements
des tribunaux d'assises soient frappés d'appel parce qu'il y aurait pléthore de
motifs ! On aurait ainsi abouti pour nos concitoyens à un désordre qui ne
serait pas à l'honneur de la justice.
M. Henri de Raincourt.
C'est sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est pourquoi, quand on fait une réforme de cette importance, il faut être
prudent et veiller à tout prévoir, ce qui, en procédure, est toujours
difficile.
Donc, je m'interroge sur un certain nombre de points, monsieur le garde des
sceaux, et je vous les ai indiqués. Et Pierre Fauchon s'interroge aussi sur
beaucoup d'autres aspects du texte. Nous sommes favorables à cette réforme,
avec tous les aménagements qui doivent y être apportés, et, à cet égard, bien
entendu, notre groupe soutiendra la position de la commission des lois du
Sénat.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux
avant toute chose rendre hommage au travail absolument magistral, j'allais dire
« monumental »,...
M. Henri de Raincourt.
Le mot n'est pas trop fort !
M. Philippe Marini.
... de la commission des lois, travail qui s'exprime dans un rapport...
M. Jean-Jacques Hyest.
... remarquable !
M. Philippe Marini.
... qui permet au profane que je suis de pénétrer quelque peu la dialectique
de ce vaste et angoissant sujet.
Pour nous faire partager son approche, M. le rapporteur commence d'ailleurs
par une analyse historique fort opportune, car il n'est pas possible de
comprendre l'organisation judiciaire, et notamment la procédure criminelle, si
l'on n'a pas en tête les conditions dans lesquelles les grands principes sont
nés, ces principes sur lesquels nous vivons depuis plus de deux cents ans.
Il est clair qu'à l'époque de la Révolution française le corps social, le
corps politique, a innové en réagissant : en réagissant contre les excès de
l'Ancien Régime, en réagissant contre le pouvoir des anciens parlements.
Cela s'est traduit par toute une série de conséquences, notamment par
l'irruption de la souveraineté de la nation, organisée sous forme de jurys, ces
jurys qui ont connu différentes formes au cours de notre histoire.
Il s'agit aujourd'hui, monsieur le ministre - c'est ce que vous nous proposez
- de toucher à cela, et de le faire après mûre réflexion, après s'être posé
beaucoup de questions, après un long débat, après des contributions multiples,
car - les dossiers à notre disposition le montrent - voilà une bonne quinzaine
d'années que cette problématique du double degré de juridiction en matière
criminelle se développe, jalonnée par les travaux de MM. Léauté, Braunschweig,
de toutes sortes d'hommes de doctrine, de magistrats et de parlementaires
éminents.
Plus récemment, monsieur le garde des sceaux, parce que vous avez en ce
domaine une préoccupation très particulière et, je le sais, une forte
conviction personnelle, vous avez confié à un haut conseil le soin de dégager
un certain nombre d'idées et de propositions.
C'est à la suite de cette démarche très ouverte que vous venez devant nous
avec ce projet de loi.
Ce projet de loi est important. Il l'est par son dispositif même, il l'est par
le contexte dans lequel il s'inscrit : par son dispositif, car il s'agit d'une
modification très substantielle dans notre procédure pénale ; par le contexte,
puisque le Président de la République - on l'a rappelé très utilement - a lancé
une réflexion, largement ouverte, sur un certain nombre de sujets fondamentaux
touchant à l'organisation judiciaire.
Nous nous posons la question de la place de la justice dans notre pays et des
conditions les meilleures pour susciter en sa faveur le plus possible de
confiance et d'adhésion. A cet égard, monsieur le garde des sceaux, nous
pouvons considérer que cette loi de procédure ne saurait anticiper sur les
décisions fondamentales qui pourraient être prises le moment venu sur un
certain nombre de sujets essentiels concernant notre organisation judiciaire et
bon nombre de principes importants.
Vous nous proposez donc de créer un double degré de juridiction en matière
criminelle.
Je crois pouvoir dire, sans trahir le sentiment de mes collègues, que notre
groupe ne peut qu'approuver l'économie générale de ce texte : la création du
tribunal d'assises à ressort départemental et la possibilité d'interjeter appel
de ses décisions devant une cour d'assises d'appel composée de trois magistrats
et de neuf jurés.
Cette adhésion de principe se fait, bien entendu, sur la base des travaux fort
pertinents, détaillés et approfondis réalisés par la commission des lois, en
particulier sur les points les plus cruciaux du débat, ceux qui ont suscité
l'attention de tous les groupes au cours de cette discussion générale.
Je relève d'ailleurs, monsieur le garde des sceaux - mais c'est la matière
elle-même qui le veut - que nous n'avons apparemment pas de débat de politique
politicienne sur ces sujets. Il s'agit de questions de fond, que nous tâchons -
pardonnez-moi de le dire, mes chers collègues - de traiter selon notre intime
conviction et en fonction de l'idée que nous nous faisons de notre rôle, de
notre mandat de législateur.
Deux points ont donc été particulièrement discutés et restent controversés,
deux points sur lesquels l'analyse de notre commission des lois ne rencontre
pas l'intégralité des arguments que vous avez présentés tout à l'heure avec une
forte conviction, je le répète, et avec le grand talent que nous vous
connaissons, monsieur le ministre : l'âge des jurés et la motivation des
décisions des juridictions d'assises.
S'agissant de l'âge des jurés, question de société, question fort délicate et
contradictoire, que peut-on dire ?
Mes chers collègues, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, M. le rapporteur
nous le dit, permettent à leurs citoyens de siéger dans un jury à partir de
dix-huit ans, mais l'Italie à partir de trente ans, et avec des conditions
d'ordre technique, que M. Dreyfus-Schmidt a rappelées. Chaque peuple organise
donc l'expression de sa souveraineté au sein du jury selon les modalités qui
lui semblent bonnes.
En ce qui nous concerne, l'âge plancher de vingt-trois ans a été retenu en
1972 parce qu'il correspondait, nous dit-on, à l'âge minimum alors requis pour
exercer les fonctions de magistrat. On considérait que la condition d'âge qui
vaut pour le magistrat devait également valoir pour le juré. Cela peut se
comprendre, compte tenu dufait que, depuis la dernière guerre, c'est bien une
oeuvre commune qui se réalise entre les jurés et les magistrats professionnels,
alors que, pendant des générations et des générations, chacun était à sa place
: les faits d'un côté, la peine de l'autre.
Nous avons donc à trancher ce problème, et vous avez entendu, monsieur le
garde des sceaux, quelle est la tonalité générale à son propos dans cette
assemblée.
A vrai dire, je me demande si ce problème ne doit pas être un peu relativisé.
En effet, a-t-on beaucoup plus de maturité à vingt-trois ans qu'à dix-huit ans
?
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Ou à quinze !
M. Philippe Marini.
Certains jeunes, compte tenu de l'évolution de la vie, ne sont-ils pas
susceptibles de s'impliquer tout aussi authentiquement dans des réflexions si
graves que des personnes de trente, quarante, cinquante, soixante ou
soixante-dix ans ? Tout est affaire de personnalité, de circonstances.
A titre strictement personnel, monsieur le garde des sceaux, j'ai tendance à
penser que le seuil de vingt-trois ans est déjà bien bas, alors que la mission
de juger nécessite l'expérience de la vie. L'a-t-on beaucoup plus, cette
expérience, à vingt-trois ans qu'à dix-huit ? Je ne sais pas, je le répète, et
je me demande si le souci d'une bonne administration de la justice ne devrait
pas se traduire plutôt par un recul de l'âge minimum requis pour être juré que
par un abaissement.
Chacun sait que la mission de juger est la chose la plus dramatique qui soit,
qu'elle est éprouvante sur le plan moral, qu'elle nécessite à la fois que l'on
adhère aux circonstances que l'on vous expose et que l'on prenne le recul
nécessaire en fonction de l'expérience dont on peut disposer.
La question reste ouverte. J'ai entendu avec grand intérêt vos arguments,
monsieur le garde des sceaux ; quand à ma réflexion, elle était, je le redis,
purement personnelle.
S'agissant de la motivation des décisions des juridictions d'assises, nous
aurions tort, me semble-t-il, d'indroduire dans la législation ce qui pourrait
être considéré comme une contradiction par rapport à ce très bel article 353 du
code de procédure pénale, l'un des plus beaux textes, en effet - un collègue
l'a dit tout à l'heure - de toute notre littérature juridique : « La loi ne
demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus,...
». La loi leur pose cette seule question, qui exprime toute la mesure de leur
devoir : avez-vous une intime conviction ?
Cette intime conviction, bien évidemment, doit être rationalisée ; elle doit
s'appuyer sur des preuves, sur des faits, sur une analyse, sur une discussion,
sur la réponse aussi claire et explicite que possible à des questions aussi
précises que possible.
Bien sûr, nous situant dans la logique d'un double degré de juridiction, le
problème de la motivation apparaît mécaniquement et doit bien être traité.
Vous avez fait une proposition dans le texte initial du projet de loi,
monsieur le garde des sceaux. L'Assemblée nationale est revenue sur cette
proposition, en adoptant une formulation un peu plus vague, ce qui traduit sans
doute une gêne sur ce sujet. Quant à la commission des lois, elle suggère -
sans doute est-elle sage de le faire - de considérer, comme le fait,
semble-t-il, la Cour de cassation, que le questionnement clair qui intervient
au sein des délibérations du jury, et dont compte rendu est fait, peut tenir
lieu de motivation.
Si j'ai bien compris votre approche, monsieur le rapporteur, et celle de la
commission, point n'est besoin de développer ou d'affiner le droit positif à
cet égard, cette pratique étant déjà une pratique de motivation
satisfaisante.
La question est très technique, et, pour n'être pas un spécialiste de la
procédure pénale, j'aurais beaucoup de peine à soutenir un débat avec arguments
et contre-arguments. Je crois cependant intuitivement que la voie empirique
suggéré par la commission des lois est satisfaisante.
Monsieur le garde des sceaux, comme nombre de collègues, je me suis également
préoccupé de certaines des conséquences que pourrait avoir l'adoption de ce
projet sur le plan budgétaire et sur le fonctionnement même de la justice,
notamment sur les délais.
En ce qui concerne les aspects matériels, le rapport d'impact, fort bien
rédigé, fort clair, fort utile, fait état de cent quarante créations d'emplois
et d'un coût annuel de 93 millions de francs.
Comme cela a été dit à plusieurs reprises, il doit être bien clair que ces 93
millions de francs s'inscrivent au-delà des chiffres qui figurent dans la loi
de programmation que nous avons récemment votée. (
M. le garde des sceaux
opine.
) Vous en avez d'ailleurs déjà donné l'assurance au Parlement.
Il est probablement utile qu'une loi de cette nature mette la pression
nécessaire pour que le garde des sceaux obtienne satisfaction à l'occasion des
arbitrages qui devront être rendus. De ce point de vue, sans doute pouvons-nous
être rassurés, mes chers collègues, par le fait que si le Gouvernement est
conséquent et il le sera - le vote de ce projet de loi se traduira, selon
l'échelonnement qui apparaîtra opportun - puisque l'entrée en vigueur n'est
prévue que pour le 1er janvier 1999, par cent quarante créations d'emplois
correspondant peu ou prou à l'état prévisionnel établi par le rapport
d'impact.
Un autre point me préoccupe peut-être davantage, celui qui correspond aux
observations qui ont été présentées par le procureur général Burgelin devant la
commission des lois.
Un allongement de la durée de la détention provisoire ne va-t-il pas résulter
du double degré de juridiction ? Sa mise en oeuvre retarde la décision
définitive, qui interviendra au bout de deux mois, au lieu de cinq jours
actuellement en l'absence d'appel. Par ailleurs, en cas d'appel, la durée
nécessaire au jugement de l'affaire augmentera.
Ne peut-on craindre, comme M. Burgelin, que la France ne voie le taux des
détentions provisoires augmenter, ce qui, dans les comparaisons
internationales, nous placerait en mauvais rang et accroîtrait l'encombrement
des maisons d'arrêt ? Monsieur le ministre, je pense que vous serez en mesure
d'apaiser les préoccupations qui peuvent être légitimement exprimées en ce
domaine.
Je terminerai cette intervention en évoquant un point de portée un peu plus
générale : nous parlons de procédure criminelle, nous nous apprêtons, dans un
souci de transparence et d'équité, à créer un double dégré de juridiction, mais
peut-être serait-il bon qu'ultérieurement une autre réflexion porte sur la
délimitation des délits et des crimes.
Le crime, c'est l'acte le plus grave en termes de préservation de l'ordre
social, en termes de défense de la société. Le crime n'est pas nécessairement
le crime de sang ; cela peut être n'importe quel comportement que nous jugeons
comme présentant une gravité exceptionnelle pour la société.
De ce point de vue, monsieur le ministre, il me semble qu'il serait bon de
s'interroger sur certaines formes de délinquance qui minent la confiance dans
les institutions, notamment la confiance que nos concitoyens doivent avoir dans
les représentants qui expriment la souveraineté populaire.
A cet égard, ayant ces derniers temps travaillé un peu sur le droit des
sociétés commerciales, je me demandais s'il ne serait pas bon, un jour, de
revenir sur la loi de 1943 qui a correctionnalisé la corruption et le trafic
d'influence alors que c'étaient des crimes depuis le code Napoléon.
M. Jean-Jacques Hyest.
Le faux en écriture publique l'était également.
M. Pierre Fauchon.
Très juste !
M. Philippe Marini.
Le faux en écriture publique était aussi un crime, comme le dit très justement
notre collègue M. Hyest.
Je crois qu'il y a lieu de s'interroger, en un temps où il est essentiel que
les extrémismes ne se développent pas, sur la méfiance vis-à-vis des corps
politiques. Il est absolument essentiel de traiter ces sujets et de considérer
que certains faits de nature économique ou financière portant très gravement
atteinte à l'oeuvre sociale pourraient être à nouveau qualifiés de crimes et,
de ce fait, justiciables de la prescription de dix ans, qui est la prescription
pour les crimes.
Si l'on a pu, en d'autres temps, se poser la question de savoir si le jury
populaire, c'était bien et s'il réagissait sainement par rapport à des faits de
cette nature, si des préventions pouvaient s'exprimer, elles doivent
disparaître dès lors que nous allons mettre en place un double degré de
juridiction, qui doit pouvoir faire obstacle aux emportements ou aux décisions
certes entourées de toutes les précautions nécessaires, mais prises dans un
climat de passion.
C'est un point sur lequel, monsieur le ministre, je souhaiterais que les
réflexions puissent se poursuivre et que vous puissiez, un jour ou l'autre,
nous confier votre propre approche.
Enfin, je ne peux pas terminer cette intervention sans dire combien j'adhère à
la conclusion de M. JacquesLarché, quand il lançait cette question : qui jugera
les juges ? Cela nous renvoie à la place du corps judiciaire dans notre pays et
au point de savoir si nous avons une « autorité judiciaire », ainsi que la
Constitution la définit et l'institue, ou si nous avons un « pouvoir judiciaire
», ce qui est d'une autre nature.
M. Jacques Larché nous incitait à réfléchir à un tel sujet et, pour poursuivre
sur cette lancée, je dirai que je m'interroge parfois sur les raisons pour
lesquelles, dans la révision de notre code pénal, de très vieilles dispositions
sur le crime de forfaiture ont disparu.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous avons déposé un amendement pour le rétablir.
M. Philippe Marini.
C'est un sujet sur lequel la discussion sera certainement vive et
intéressante.
Monsieur le garde des sceaux, je ne reprendrai pas les propos qui ont été fort
bien et fort opportunément formulés par mes collègues de la majorité
sénatoriale, car il est clair que ces observations, ces réflexions, se situent
dans le cadre d'une approbation générale de votre projet de loi, qui constitue,
j'en suis absolument convaincu, une utile innovation, une utile modernisation
de notre procédure criminelle en ces années qui précèdent de peu l'an 2000.
Monsieur le garde des sceaux, soyez félicité pour avoir porté cette réforme et
pour nous la soumettre.
Vous pouvez compter, bien entendu, sur le soutien du Rassemblement qui est à
vos côtés pour voter ce texte.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en
vérité, le sujet qui nous occupe ce soir n'est pas d'un mince intérêt.
Cependant, je marquerai tout de suite que le débat devant le Sénat ne saurait
revêtir à aucun moment un caractère politique.
Nous sommes ici en présence de vieilles institutions et, s'agissant des
institutions judiciaires, qui ne sauraient être confondues avec la politique
judiciaire qu'un Gouvernement est toujours libre de mener, on ne saurait être
trop attentif à ce que les réformes s'avèrent durables.
En ce qui concerne la réforme qui institue le double degré de juridiction en
cour d'assises, c'est-à-dire en matière criminelle, puisqu'il ne s'agit que de
cela, nous avons pu constater, au cours des travaux de la commission des lois,
qu'elle n'était pas sans soulever des questions juridiques et des problèmes de
pratique judiciaire extrêmement complexes.
Je dirai très simplement que j'aurais souhaité, pour ma part, que nous
puissions disposer d'un délai supplémentaire, au moins pour les travaux en
commission, afin d'approfondir nos réflexions et de procéder éventuellement à
d'autres auditions. Je salue néanmoins ici le travail qui a été conduit par
notre éminent rapporteur, M. Jean-Marie Girault.
Je rappelle au Sénat que, quantitativement, le texte concerne plusieurs
centaines d'articles du code de procédure pénale, qui en compte en tout 901.
C'est dire la diversité des questions soulevées.
En ce qui concerne la démarche que vous avez adoptée, monsieur le ministre,
j'avoue que j'ai regretté un certain manque de lisibilité.
En effet, à plusieurs reprises, au cours de l'année écoulée et même de l'année
précédente, vous avez fait état d'un projet de réforme d'ensemble de la
procédure pénale à partir du rapport demandé à Mme Rassat.
Si telle est votre ambition, il paraît difficile de penser que les choix
fondamentaux que vous pourriez être amené à nous proposer, concernant aussi
bien les règles d'instruction que celles des juridictions de jugement, seraient
sans conséquences sur la réforme dont nous discutons actuellement.
En particulier, j'ai été surpris de constater que, sur une question d'une
importance aussi extrême que l'instauration de la procédure pénale à deux temps
- premier temps, la règle de l'audience coupable ou non coupable ; deuxième
temps, selon le choix fait par le prévenu ou l'accusé, une procédure
éventuellement différente - option sur laquelle je ne me prononce pas en cet
instant et qui n'aurait pas été sans conséquence sur la procédure devant le
tribunal et la cour d'assises, c'est par voie incidente que nous avons cru
comprendre que vous y étiez hostile.
Reconnaissons qu'il aurait été préférable d'aborder cette mesure dans son
ensemble, puisqu'elle concerne toutes les juridictions de jugement et qu'elle
appelle une profonde réflexion.
La procédure pénale est une horlogerie très complexe et, avant de toucher un
rouage, mieux vaut s'assurer que la réfection s'inscrit bien dans le mécanisme
d'ensemble.
A cet égard, j'ai eu le sentiment, en suivant l'évolution de votre projet de
loi, que vous naviguiez, disons-le très franchement, quelque peu à vue.
Vous avez commencé par un avant-projet qui, lui, constituait véritablement une
rupture historique avec deux siècles de tradition : vous faisiez disparaître
les jurés du tribunal criminel de première instance. C'eût été la première
fois, dans notre pays, depuis la Révolution française, qu'on aurait jugé, en
première instance certes, autrement qu'avec une majorité de jurés. Là, on
aurait vraiment pu parler de rupture historique.
Vous avez alors soulevé un tel tollé que vous avez jugé utile - je crois que
vous avez bien fait - de reculer, et vous avez accepté de reconnaître que, dans
notre culture judiciaire - sans la compréhension de laquelle on ne peut rien
construire, telle est ma conviction absolue - aujourd'hui, la participation
prédominante du jury populaire au jugement des criminels, qu'il s'agisse d'un
tribunal ou d'une cour d'appel criminelle, est un élément fondamental.
A cet instant, vous avez appelé, sinon en renfort, du moins en consultation,
un haut comité présidé par Jean-François Deniau, dont on ne dira jamais assez
les qualités personnelles et la virtuosité en navigation hauturière
(Sourires),
et qui vous a évité le naufrage.
(Nouveaux sourires.)
De ces travaux est né, pour l'essentiel, le texte que vous nous
présentez.
Il a fait l'objet de substantielles modifications, d'amendements de la
commission des lois du Sénat. Nous en proposons d'autres. Nous en
discuterons.
A ce stade, j'irai simplement à l'essentiel, à savoir que votre projet repose
aujourd'hui, après les travaux du comité consultatif, sur trois piliers.
Le premier, c'est l'instauration d'un double degré de juridiction en matière
criminelle.
Le second, qui techniquement n'est pas sans conséquences - je ne suis pas sûr
qu'elles aient été absolument pesées, mais nous aurons l'occasion d'y revenir à
la fois lors du débat et au cours de la navette - c'est la suppression, par
voie de conséquence, du contrôle obligatoire de la chambre d'accusation - sur
l'instruction conduite par le juge, c'est-à-dire la saisine directe par le juge
de la juridiction de jugement. Enfin, et ce n'est pas le moins important, le
troisième pilier est le maintien de la présence, en majorité, des jurés aux
deux niveaux du procès criminel - j'y ai fait allusion il y a un instant - cinq
jurés pour le tribunal d'assises et neuf jurés pour la cour d'assises, associés
à trois magistrats.
Cette architecture de la réforme que vous nous proposez, monsieur le ministre,
est d'une grande clarté. Je vous dis très simplement que le groupe socialiste
et moi-même, évidemment, l'acceptons parfaitement, pour une raison simple
d'ailleurs : c'était déjà très exactement celle que proposait, il y a quinze
ans de cela - cela me ramène loin en arrière ! - la commission de réforme de la
procédure pénale présidée par le professeur Léauté. Je tiens à le rappeler ici
non point pour évoquer le passé, mais parce que j'aimais beaucoup le professeur
Léauté, qui était un très grand universitaire et un grand criminologue, de même
que celui qui en assumait la vice-présidence, le président Braunschweig, qui a
été pendant dix ans président de la cour d'assises à Paris, puis conseiller et,
ensuite président de la chambre criminelle. Je sais que cela ne leur aurait pas
été indifférent que l'on évoquât leurs travaux.
Aux travaux de cette commission se sont joints d'autres personnalités qui
n'étaient pas moins éminentes : le procureur général Arpaillange, Mme le
professeur Delmas-Marty, maître Jouffa et maître Leclerc, tous deux présidents
successifs de la Ligue des droits de l'homme.
Je rappellerai simplement les conclusions de leurs travaux.
Premièrement : « S'il est un domaine où le double examen de l'affaire trouve
sa pleine justification, c'est en effet celui du procès d'assises, dont l'issue
est déterminante non seulement pour le sort de l'accusé, mais aussi pour la
défense de la victime et la protection de la société ». C'est pourquoi il
apparaît nécessaire, en matière criminelle, d'instaurer un second degré de
juridiction.
Quel degré ? Comment ?
Réponse : « Il est proposé de créer, au chef-lieu de chaque département, un
"tribunal criminel" composé du président ou du vice-président et de
deux juges du tribunal de grande instance désignés par l'assemblée selon les
modalités actuelles, ainsi que de six jurés.
« La "Cour criminelle", instituée au siège de chaque cour d'appel,
est composée du premier président ou d'un président de chambre et de deux
conseillers désignés par l'assemblée générale de la Cour, ainsi que de neuf
jurés.
« A l'issue de l'information, » - même disposition que celle qui nous est
proposée aujourd'hui - « la saisine de la chambre d'accusation n'est plus
obligatoire. Le juge d'instruction rend une ordonnance de mise en accusation
devant le tribunal criminel [...]. L'ordonnance du juge [...] purge les
nullités... ».
Et cette mention particulière : « L'objet essentiel de la réforme consiste à
donner la possibilité à l'accusé, au procureur de la République et au procureur
général d'interjeter appel du jugement du tribunal criminel ».
A la lecture de ces conclusions - je n'ai pas besoin de dire que j'avais alors
opiné entièrement - vous comprendrez que nous n'avons aucune raison de ne pas
voter le texte qui nous est présenté tel qu'il a été amendé, je le souligne,
par la commission des lois du Sénat. Car, en définitive, les seules différences
que j'ai pu relever - je ne parle pas des détails, mais je vise l'essentiel -
portent sur le tribunal criminel, qui, tel qu'il était proposé par la
commission Léauté, comprenait six jurés - au lieu de cinq - et, s'agissant de
l'instruction, sur l'ordonnance du juge d'instruction clôturant l'information,
qui pouvait être frappée d'appel par l'inculpé. On reconnaîtra que ce n'est pas
structural !
Au regard de cette architecture, quels problèmes essentiels demeurent ? Je
m'en tiendrai aujourd'hui aux plus importants ; nous aurons l'occasion de
revenir sur les autres au cours du débat.
Evidemment, demeurent la question clef de la motivation, celle de l'âge des
jurés - qu'on a longuement évoquée - et, enfin, celle que je serai forcé
d'évoquer, hélas ! parce qu'elle a beaucoup pesé dans l'évolution de cette
réforme, à savoir les moyens nécessaires pour la réaliser.
S'agissant de la motivation, je vais être très clair : de quelque façon qu'on
l'aborde, le problème de la motivation des décisions d'assises est, en raison
de la présence conjointe des magistrats et des jurés, sinon impossible à
résoudre, en tous les cas certainement un des plus difficiles qui soit à
résoudre.
Traditionnellement, il est de règle que les jurés répondent « en leur âme et
conscience » - c'est la formule évoquée - aux questions qui leur sont posées
par oui ou par non sans avoir - on ne saurait trop le souligner - à expliquer
les motifs de leur vote. Et ce n'est pas la conséquence nécessaire du principe
de l'intime conviction, car ce principe n'est que l'expression procédurale de
la règle de la liberté des preuves en matière pénale, conquête du droit de la
Révolution sur le système des preuves légales de l'Ancien Régime. C'est la
rupture avec ce principe-là que caractérise l'apparition de l'intime
conviction.
L'intime conviction s'exerce à tous les niveaux de la justice pénale - nous
sommes tous d'accord là-dessus - y compris en matière correctionnelle, où l'on
motive. Par conséquent, le fait de dire qu'à cause de l'intime conviction on ne
peut pas motiver ne saurait emporter la conviction du juriste.
Mais si - c'est la vraie question - la règle de l'intime conviction n'interdit
pas, en son principe, la motivation des décisions en matière criminelle, ce
n'est pas parce qu'il y a possibilité qu'il y a obligation. Si elle n'est pas
impérative, est-elle préférable ? Ce sont les deux questions qu'il faut
examiner et que je m'efforcerai pour ma part de présenter avec beaucoup de
précision.
La première est une question de pur droit. Le droit conventionnel, dont on dit
qu'il est supérieur constitutionnellement au droit interne, ne fait-il pas
obligation aux tribunaux, au regard de l'article 6, paragraphe 1, de la
Convention européenne des droits de l'homme et de la notion de « procès
équitable », de motiver leurs décisions ? On invoque, à l'appui de cette thèse,
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et plus
particulièrement les arrêts Ruiz Torija et Balani contre l'Espagne du 9
décembre 1994.
Je rappelle que ces deux décisions ne concernaient pas la motivation de
décisions de juridictions criminelles. Mais ce qui est essentiel ici, c'est le
raisonnement de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, à ces occasions,
a rappelé que « l'article 6, paragraphe 1, oblige les tribunaux à motiver leurs
décisions », mais qu'il « ne peut se comprendre comme exigeant une réponse
détaillée à chaque argument. L'étendue de ce devoir peut varier selon la nature
de la décision et doit s'analyser à la lumière des circonstances de chaque
espèce ».
S'agissant de nos arrêts de cour d'assises, je ferai tout d'abord un constat.
Depuis octobre 1981 - dont date la levée des réserves concernant la possibilité
d'agir par la voie du recours individuel devant les juridictions européennes -,
depuis donc quinze ans, la cour de Strasbourg n'a été saisie par aucun condamné
à une peine criminelle d'un recours fondé sur le défaut de motifs explicites de
l'arrêt. Je connais assez l'ardeur des avocats dans ce domaine pour savoir que
ce moyen n'aurait probablement pas été oublié !
S'agissant maintenant de notre droit interne, il est certain que la question a
été posée à la chambre criminelle de la Cour de cassation le 30 avril 1996.
Monsieur le rapporteur et vous-même, monsieur le président, avez, je crois,
évoqué la réponse. Je cite l'arrêt parce qu'il est l'état actuel de notre droit
en matière de procédure pénale s'agissant de la cour d'assises. La chambre
criminelle a été saisie du moyen de la conformité à la Convention européenne,
et voici sa réponse : « L'ensemble des réponses, reprises dans l'arrêt de
condamnation, qu'en leur intime conviction magistrats et jurés ont donné aux
questions posées conformément à l'arrêt de renvoi, tient lieu de motifs aux
arrêts de la cour d'assises statuant sur l'action publique. »
Par conséquent, on peut le dire aujourd'hui, en l'absence de toute décision
contraire de la cour de Strasbourg sur ce sujet précis, cette interprétation
s'impose à tous et constitue l'état actuel de notre droit.
Ce n'est pas pour autant, parce que tel est l'état du droit, que le
législateur ne pourra pas le modifier. Il peut parfaitement imposer que juges
et jurés explicitent, dans leurs décisions, les raisons qui fondent leur intime
conviction. Mais là nous rencontrons la réalité - que j'ai quelque peu connue
dans ma vie ! - de la procédure de la cour d'assises.
Permettez-moi d'abord de rappeler un principe : en droit français, un jugement
forme un tout et l'on ne peut dissocier le dispositif de la décision de ses
motifs. Si l'on veut donc expliciter les motifs qui fondent la condamnation -
ou l'acquittement -, il faut qu'au moment où la condamnation est prononcée, le
président donne connaissance au condamné des motifs, s'il doit y avoir des
motifs, en même temps que du dispositif lui-même. Il ne peut pas le faire
après.
A cet égard, je suis heureux, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez
mesuré ce que le projet que vous nous avez soumis et qui a été adopté par
l'Assemblée nationale pouvait comporter en lui-même - c'est une litote - de
surprenant. Mais, puisque vous l'avez abandonné sur ce point - et nous nous en
réjouissons ici -, alors prenons encore une fois la réalité telle qu'elle
est.
Les affaires de cour d'assises sont rarement simples. Il en est
d'extraordinairement complexes. Je rappelle que la cour d'assises a compétence
pour juger aujourd'hui des crimes contre l'humanité. Je n'ai pas besoin
d'évoquer l'instance pendante devant la cour d'assises de Bordeaux qui sera
jugée à l'automne. J'indique simplement à la Haute Assemblée que le président
de la chambre d'accusation a déclaré que, pour l'arrêt de renvoi dans cette
affaire, les magistrats avaient mis près de deux mois, à raison de plusieurs
heures de travail par jour, pour sa rédaction, renvoyant ainsi devant la cour
d'assises M. Papon ! Car c'est de cela aussi que les cours d'assises ont à
connaître.
D'autres crimes contre l'humanité peuvent être commis qui sont justiciables du
code pénal - je pense par exemple aux événements du Rwanda, dont les auteurs,
une fois arrêtés, peuvent être jugés par les cours d'assises françaises. Vous
imaginez à ce moment-là ce qu'est l'opération de motivation de la décision !
L'autre principe devant toute juridiction criminelle, c'est la continuité du
procès. Cela signifie qu'immédiatement après avoir passé la parole à l'accusé,
le dernier à parler, ainsi que la loi le prescrit, les plaidoiries étant
achevées et les propos ultimes de l'accusé tenus, la cour entre en délibéré et,
selon la formule, n'en ressort que lorsque sa décision est acquise, quelle que
soit l'heure. Croire qu'on peut maîtriser l'horaire de la cour d'assises, - je
vois notre rapporteur sourire - est une ignorance absolue de ce qu'est, je
n'ose dire, la spontanéité, mais la complexité du débat ! Cela se finit à une
heure
x
et l'on entre en délibéré. On ne peut, sur ce point, prévoir de
règle de procédure pénale.
Il est bien évident que la discussion qui va commencer à cet instant-là au
sein de la cour d'assises - je parle là des jurés et margistrats réunis - va se
poursuivre jusqu'à obtention de la décision.
Et là, je le dis simplement mais fermement, s'il est possible de faire voter
des jurés sur chacune des questions posées - parce que c'est une réponse par
oui ou par non - espérer obtenir, au cours de la discussion sur une affaire
complexe - j'évoque les crimes contre l'humanité, mais je pourrais évoquer des
affaires dans lesquelles il y a quinze accusés, dont les uns reconnaissent
qu'ils sont coupables, d'autres s'accusant les uns les autres - espérer
obtenir, dis-je, au cours d'une discussion sur une telle affaire, un accord sur
les motivations, même sommaires, pardonnez-moi de le dire, c'est plus
qu'aléatoire ! Tous ceux qui ont participé à des délibérations dans d'autres
instances juridictionnelles savent qu'il est bien souvent beaucoup plus
difficile de se mettre d'accord sur les motifs que sur la décision.
Et puis, sur quels motifs va-t-on se mettre d'accord ? Il faut bien mesurer
que rédiger au cours du délibéré - ce que maintenant vous nous proposez,
monsieur le garde des sceaux - serait un exercice impossible s'agissant de huit
ou douze personnes, dont cinq ou neuf sont des jurés sans aucune expérience
juridictionnelle !
Comme le disait le président Braunschweig, dont j'évoque à la fois la mémoire
et la grande compétence, puisque, pendant dix ans, il a présidé la cour
d'assises de Paris...
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Grande compétence pour la procédure ancienne !
M. Robert Badinter.
La délibération est toujours la même, monsieur le garde des sceaux !
Je cite donc le président Braunschweig : « Ce serait forcément confier cette
opération de motivation de la décision d'assises, la rédaction de l'arrêt, aux
seuls magistrats professionnels et donc donner à ceux-ci une prééminence qui
pèserait sur l'ensemble du délibéré. » Cela, on ne peut pas l'accepter. Tous
ceux qui connaissent et respectent la cour d'assises veulent que les jurés
puissent disposer de leur pleine liberté de conscience dans l'acte de juger.
Le président Braunschweig ajoute : « Ce serait d'ailleurs dans bien des cas
rendre la tâche insurmontable au président loyal qui voudrait tenir compte des
observations diverses faites par les jurés et qui serait ainsi obligé de
rectifier sans fin la rédaction de l'arrêt si certains des jurés discutaient à
tort ou à raison les motifs qui leur seraient lus. » C'est une évidence pour
quiconque a jamais vécu un délibéré.
Je vais plus loin : le secret du vote qui est la protection de la conscience
des jurés, dont les bulletins, je le rappelle, sont brûlés pour que nul ne
sache comment ils ont opiné, est une garantie première de la liberté de
décision. Dans le système actuel, à la limite extrême, un juré peut assister
silencieux au délibéré, ne rien dire, afin que nul ne sache ce qu'il pense,
voter ensuite : on brûlera son bulletin et on ne saura ni ce qu'il a pensé, ni
ce qu'il a décidé. Son vote n'en sera pas moins valable.
Ainsi, la loi a voulu assurer aux jurés une totale liberté, à la mesure de
leurs responsabilités. C'est qu'à ce moment-là le juré, comme on dit, en son
âme et conscience, dispose de la liberté, de l'honneur, du bonheur d'un autre
être humain, par le moyen de son vote.
Par conséquent, il est indispensable de conserver toutes les garanties
nécessaires au secret du vote. Seul un vote secret sur des questions posées
permet de garantir la liberté de conscience du juré. Je suis convaincu que
protéger cette liberté est une garantie beaucoup plus importante pour l'accusé
que ne le serait une motivation sommaire de sa condamnation.
Dès lors, il faut ou abandonner la réforme projetée ou conserver le système
des questions posées aux jurés sur la culpabilité et la peine, éventuellement
sur la responsabilité, par questions auxquelles les jurés répondront par oui ou
non et par bulletin secret. On ne peut pas échapper à cet impératif au regard
de la protection de la conscience des jurés. La commission des lois a considéré
que c'était la seule procédure compatible avec la présence des jurés dans une
juridiction criminelle au premier comme au second degré.
Que l'on envisage la possibilité de questions plus précises, cela peut se
concevoir, mais c'est à analyser de près. En tout cas, la motivation que M.
Jacques Larché qualifiait à juste titre de « littéraire » est incompatible avec
une procédure criminelle où les jurés ont à formuler leur décision en leur âme
et conscience et veulent être sûrs que, s'ils le souhaitent, nul ne saura
jamais ce qu'a été cette décision, ne serait-ce que par l'approbation de
motifs.
Telles sont les réflexions que je tenais à présenter à l'appui de la solution
proposée par la commission des lois, à laquelle nous nous rallierons.
Je formulerai maintenant quelques observations rapides sur la question de
l'âge minimum requis pour être juré.
Vous avez souhaité, monsieur le garde des sceaux, que cet âge soit abaissé de
vingt-trois à dix-huit ans.
L'Assemblée nationale vous a suivi.
Vous nous avez, avec force, expliqué tout à l'heure qu'il était impensable ou
difficilement concevable, que l'on puisse, au même âge, exercer les droits de
citoyen, notamment voter, et qu'on ne puisse pas être juré.
Permettez-moi de vous dire que je ne vous suivrai pas dans cette voie, pas
plus d'ailleurs, je l'ai constaté, que l'ensemble de nos collègues.
En effet, il ne faut pas confondre l'exercice d'un droit, celui de voter, et
l'exercice d'un pouvoir, celui de juger. Je n'ai pas besoin de rappeler ici
que, de toutes les responsabilités qui peuvent s'attacher à l'exercice d'un
pouvoir, hormis celles du Président de la République quand il s'agit «
d'appuyer sur le bouton », en temps de paix, il n'en est pas une qui soit «
aussi directement » - l'adverbe a toute sa force - chargée de conséquences sur
le sort d'autrui, sur le sort d'un autre homme ou d'une autre femme, que le
pouvoir de juger, particulièrement en matière criminelle.
La décision qui peut être prise par un jury condamnant à la réclusion
criminelle à perpétuité une femme ou un homme peut être prise à une voix de
majorité - c'était vrai aussi du temps où la peine de mort existait. Et cette
voix, dans le projet de loi que l'on nous propose, pourrait être celle d'un
adolescent, qui, à dix-huit ans, est en plein devenir et en pleine évolution,
ce qui, nous le savons tous, est dans la nature de l'adolescent !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Dans votre bouche, c'est une discrimination étrange.
Qu'a-t-il de moins que n'importe qui d'autre ?
M. Robert Badinter.
Permettez-moi de souligner, monsieur le garde des sceaux, qu'il y a une
différence entre vous et moi : vous regardez fonctionner une cour d'assises à
travers la théorie, alors que, moi, j'ai eu l'occasion pendant longtemps d'en
éprouver la cruelle pratique.
Je poursuis, et j'espère vous convaincre.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je pense, monsieur Badinter, que vous ne souhaitiez
certainement pas dire ce que nous avons entendu. En effet, vous affirmez ainsi
que seuls les avocats peuvent discuter des textes de procédure pénale.
M. Robert Badinter.
Certainement pas, monsieur le garde des sceaux,...
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
C'est ce que vous venez de dire !
M. Robert Badinter.
Invoquer la réalité à l'encontre de la théorie n'est jamais indifférent.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Oui, oui !...
M. Robert Badinter.
On trouve parfois dans l'expérience de sages enseignements.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
On trouve aussi dans l'imagination de sages recours
quand il s'agit d'avancer au lieu de rester assis.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Laissez parler M. Badinter !
M. Robert Badinter.
Monsieur le garde des sceaux, après vous avoir fait remarquer que vous n'avez
pas eu la courtoisie de demander à m'interrompre, ce que je vous aurais
volontiers concédé, je reprends mon propos, si vous le permettez.
Je disais simplement qu'à dix-huit ans l'être humain est en devenir, en
évolution. C'est ainsi, nous le savons tous ; il n'y a là aucune critique,
c'est un simple constat.
A cet égard, il faut mesurer les deux aspects du problème.
Il y a, d'une part, ce que pourrait ressentir un accusé qui saurait que son
sort peut dépendre de la décision d'une jeune fille ou d'un garçon qui est
encore lycéen et qui, par définition, est dépourvu de l'expérience nécessaire
dans ces cas ultimes pour apprécier les faits et la personnalité de l'accusé,
et - je le rappelle - pour décider de son destin. Monsieur le garde des sceaux,
mettez-vous dans la situation de celui qui est dans le box !
Considérons, d'autre part, la responsabilité qu'assument, pour leur vie
entière, ceux qui rendent ces décisions. Car les jugements rendus, les jurés
les portent en eux, en leur conscience. S'il leur arrive - comme j'ai eu
quelquefois l'occasion de le constater - de regretter leur choix, rien ne peut
plus les libérer de son poids. Il n'y a pas de prescription dans ce domaine.
C'est cette responsabilité-là, parfois si lourde, écrasante, que ces jeunes
gens et jeunes filles ne revendiquent certes pas ,que l'on voudrait leur faire
assumer ! Au risque de vous déplaire, monsieur le garde des sceaux, je dirai
qu'il faut tout ignorer de la réalité des procès criminels pour vouloir y
précipiter, en engageant leur conscience, des sensibilités adolescentes !
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Robert Badinter.
Dire : on récusera les jurés parce qu'ils auront dix-huit ans est tout de même
singulier. Je ne sache pas que ce soit en pensant à la récusation qu'on décide
de l'âge des jurés. Non, cette sélection-là est impossible.
M. Robert Badinter.
Et puis, ai-je besoin de rappeler que, parmi les affaires jugées en cour
d'assises, il y a les pires actes qu'un être humain puisse commettre ? Il est
des procès où, dans les détails, dans les photographies qu'on fait circuler,
dans les dépositions des témoins, des experts, et parfois même dans ce que dit
l'accusé, à la recherche désespérée de l'explication de son acte, se révèle
toute l'atrocité humaine, notamment dans le domaine des perversions
sexuelles.
Ce n'est pas être pudibond, ce n'est pas douter de la capacité de raisonnement
d'adolescents de dix-huit ans que de dire que le jury criminel n'est pas
précisément le lieu privilégié où ils devraient apprendre tout ce dont l'être
humain est capable.
J'ajouterai, monsieur le garde des sceaux, que c'est vous qui me surprenez,
car, lorsque vous ouvrez un concours de recrutement extraordinaire, notamment
pour faire face à vos besoins en effectifs, fixez-vous l'âge de recrutement de
ceux qui auront à juger à dix-huit ans ? Quelle est la majorité judiciaire ?
Quand il s'agit de concours exceptionnels, c'est quarante ans et, quand il
s'agit de nos jeunes magistrats, qui passent par l'école, le calcul est facile
à faire : la licence est exigée - en réalité il n'est pas de succès sans
maîtrise -, puis il y a les années d'école. Ainsi, vous ne trouverez personne
en France qui exerce un pouvoir judiciaire à l'âge de dix-huit ans !
Je le répète : ce n'est pas faire offense à la jeunesse, ce n'est pas jouer
les pères pubibonds ou les pères conservateurs que de vouloir que celui qui est
jugé soit convaincu que ceux qui le jugent ont l'expérience nécessaire pour le
faire. Il en va de la crédibilité et de l'acceptation de la décision.
Reste la dernière question : les moyens matériels.
J'y ai été confronté avant vous, monsieur le garde des sceaux.
J'ai évoqué tout à l'heure les travaux de la commission Léauté. Le moins que
l'on puisse dire, c'est que j'ai été, moi aussi, un grand partisan du double
degré de juridiction en matière criminelle.
Seulement voilà, quand nous sommes arrivés aux mêmes conclusions que celles
qui figurent dans votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux,
l'excellent directeur des services judiciaires, M. Jorda, et l'excellent
sous-directeur des services judiciaires, M. Exertier - l'un siège aujourd'hui à
La Haye, l'autre est Premier président de la cour de Montpellier - sont venus
me voir et m'ont dit : « Monsieur le ministre, c'est un très bon projet, mais
vous n'avez pas les moyens de le mettre en oeuvre. Si vous choisissez cette
voie, dans l'état où sont les effectifs judiciaires, vous ne pourrez rien faire
d'autre. » Suivaient les descriptifs de la misère judiciaire dans laquelle nous
nous trouvions ; c'était en 1982.
Je me suis alors interrogé. Je me suis demandé si l'instauration d'un second
degré de juridiction était vraiment la priorité des priorités. J'ai considéré
qu'il y avait d'autres priorités. Je pensais en particulier - pourquoi ne pas
le dire ? - à l'instruction et à la justice des mineurs.
Vous, vous choisissez la présente réforme ; c'est le droit du Gouvernement.
Mais il y a une note à acquitter, que je connais bien, comme vous la
connaissez, monsieur le garde des sceaux. D'ailleurs, nous la connaissons tous
: c'est un minimum de cent magistrats supplémentaires.
Dans le passé, à l'occasion d'une précédente discussion budgétaire, vous aviez
parlé de quelques dizaines de magistrats, et cela m'avait alors paru
extraordinairement optimiste.
Pour ma part, après avoir entendu toutes les associations syndicales et les
magistrats, je pense que le chiffre devrait tourner autour de 120.
Or, dans le dernier budget, s'agissant de l'exécution du plan Méhaignerie, au
lieu de 60 nouveaux postes de magistrats, il n'y en a eu que 30, les 30 autres
étant reportés à plus tard. On ne peut donc pas dire que nous soyons en période
de prospérité judiciaire ! Le plan Méhaignerie ayant été adopté par le
Parlement, on ne saurait y toucher, ainsi que l'a très bien rappelé le
président Larché. Il faut donc trouver ailleurs les effectifs.
Vous voulez organiser, m'a-t-on dit, un concours exceptionnel afin de recruter
cent magistrats. Mais je sais - car c'est la triste vérité - combien il est
difficile d'arracher à Bercy des effectifs supplémentaires ; si ce concours est
effectivement organisé, on vous dira : « Vous avez créé cent postes de
magistrats, vous avez donc atteint votre objectif. Pour les efforts
supplémentaires, on verra ! »
Dès lors, ce choix que vous faites sera bien exclusif par rapport à d'autres
choix.
Et il n'y a pas que les magistrats ! S'il est une matière dans laquelle une
assistance technique est indispensable - en particulier celle des greffiers,
sans lesquels les cas de cassation risquent de se multiplier -, c'est bien
celle-là. Les greffiers que nous avons entendus ont évoqué un minimum de
cinquante à soixante greffiers supplémentaires. Et il faut aussi que ces
greffiers soient eux-mêmes assistés par d'autres fonctionnaires, car les
charges nouvelles sont nombreuses et délicates : convocation des jurés en
première instance et en appel, avis aux parties, notification des dates
d'audience, mise en état des dossiers à l'appel, assistance en matière de
contentieux de la recevabilité, etc.
Par ailleurs, se posent des problèmes matériels. Il est évident qu'il faudra
créer des salles. Il est évident qu'un certain nombre de palais de justice ne
disposent pas des installations permettant d'abriter le tribunal d'assises qui
va être créé dans le département. Et je ne parle pas des aménagements
techniques nécessaires à l'enregistrement sonore des débats.
A ce stade, monsieur le garde des sceaux, nous avons reçu de vous des
informations plus que des garanties, plus de promesses que de certitudes.
Ainsi, quand je constate l'état de notre justice, je m'interroge : était-ce la
réforme prioritaire de la justice ?
Au moins, donnez-nous l'engagement formel que, d'aucune manière, ce qui est
consacré à cette réforme - bien sûr, on peut améliorer le système que nous
connaissons depuis deux siècles, mais fallait-il opérer prioritairement cette
profonde modification ? - n'entamera les ressources que nous attendons du plan
Méhaignerie, les ressources qui doivent permettre de faire face à bien d'autres
nécessités.
Je ne voudrais pas quitter cette tribune sans dire toute ma confiance
personnelle dans les jurés français, et je ne parle pas là du mythe selon
lequel ils seraient l'incarnation de la justice, la souveraineté du peuple
succédant à celle du roi : cela est fascinant pour les théoriciens et engendre
d'admirables écrits.
La raison de ma confiance est ailleurs. On a beaucoup critiqué les jurés, et
depuis très longtemps, en fait depuis l'instauration des cours d'assises,
dirai-je. Nous savons bien ce que sont des jurys de citoyens. Quiconque
s'intéresse à l'histoire judiciaire sait bien que ce sont des jurés qui ont
condamné deux fois Emile Zola pour avoir écrit
J'accuse
et qui ont
acquitté l'assassin de Jaurès, pour ne prendre que ces cas-là.
Il reste que, les jurés, je les ai vus à l'oeuvre, et je puis témoigner que je
les ai toujours connus attentifs, soucieux de savoir, de comprendre, pénétrés,
à l'évidence, de la grandeur de leur fonction et de l'importance de leur
responsabilité.
Je ne peux oublier qu'à Troyes, en 1977, lors du procès de Patrick Henry, ce
sont bien des jurés qui ont porté à la peine de mort un coup décisif, avant que
le Parlement n'en vote l'abolition. Et je n'oublie pas non plus que, lorsqu'il
s'est agi d'abolir la peine de mort, c'est le Sénat qui a eu le dernier mot.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du RDSE
et de l'Union centriste. - Mme Michaux-Chevry et M. Gaillard applaudissent
également.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
j'aborde cette tribune avec beaucoup de timidité, et cela pour deux raisons :
d'abord, parce que je ne suis ni un spécialiste du droit pénal, il s'en faut de
beaucoup, ni un familier du prétoire ; ensuite, parce que beaucoup de choses
ont déjà été dites, et avec une éloquence dont je me sens bien éloigné.
(Sourires.)
M. Emmanuel Hamel.
Mais non, la vôtre est aussi très grande !
M. Paul Girod.
En fait, je me trouve un peu dans la situation d'un juré qui se trouve projeté
dans une cour d'assises sans avoir eu préalablement une formation juridique
approfondie.
C'est dans cet esprit, monsieur le garde des sceaux, que je voudrais vous
livrer mon sentiment sur le texte que vous nous présentez.
Cette réforme, il était indispensable d'y procéder, ne serait-ce que parce
qu'un certain nombre de contraintes extérieures nous incitent à mettre en place
un double degré de juridiction en matière criminelle ; s'agissant de l'urgence
qu'il y avait à y procéder, chacun l'apprécie en fonction de son analyse ou de
son engagement politique.
En tout état de cause, cette réforme ne pourra se révéler utile et efficace,
apparaître comme un progrès, que dans la mesure où sera préservée une certaine
cohésion interne.
Je passe rapidement sur la question de l'âge requis pour être juré. Je vous
avouerai simplement, monsieur le ministre, ne pas partager votre sentiment
quant à l'âge à partir duquel on peut se forger, en son âme et conscience, une
conviction sur les problèmes complexes, difficiles, cruels, souvent affreux,
qui sont évoqués aux assises.
En fait, le point essentiel, c'est le « tandem » motivation-jury populaire.
La motivation est sans doute nécessaire à partir du moment où est instituée la
possibilité de l'appel, mais chacun perçoit combien il est difficile de
demander à un jury composé de non-spécialistes de motiver sa décision.
Parlant en mathématicien ou en logicien plutôt qu'en juriste ou en littéraire,
je dirai que j'aimais presque mieux votre avant-projet de 1995 : celui-ci avait
le mérite, compte tenu de l'existence de la motivation, au moins pour la
première instance, de confier la décision à des personnes capables d'expliciter
les raisons pour lesquelles elles l'avaient prise puisqu'il ne s'agissait
pratiquement que de magistrats professionnels.
Or, maintenant, ce que vous nous proposez, c'est de prévoir que, d'une façon
ou d'une autre, des jurés vont être amenés à motiver les raisons pour
lesquelles ils ont pris une décision, laquelle sera d'ailleurs éventuellement
démentie ensuite par d'autres jurés, ce qui ne va pas sans poser aussi quelques
problèmes. Autrement dit, vous nous demandez de mettre en place, dans notre
système de justice criminelle, un point de difficulté de fonctionnement dont on
ne mesure pas actuellement les conséquences.
Cela m'amène, monsieur le ministre, à vous poser une question, qui me
préoccupe depuis quelques jours : comment motivera-t-on - même avec des
questions multiples, monsieur le rapporteur - les circonstances atténuantes ?
Croyez-vous une seule seconde que, à l'intérieur d'un jury, six ou neuf jurés
vont décider en leur âme et conscience d'accorder les circonstances atténuantes
à un accusé pour des raisons, sinon identiques - c'est impossible - du moins
convergentes ?
Très honnêtement, qu'on ait recours aux questions croisées ou que la
motivation soit rédigée par un magistrat professionnel - et l'on a relevé tout
à l'heure que cela lui conférerait plus de poids qu'il ne devrait en avoir au
sein de l'instance de jugement - je ne vois pas comment on explicitera les
raisons qui ont conduit à accorder les circonstances atténuantes.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous
interrompre ?
M. Paul Girod.
Je vous en prie, monsieur le garde des sceaux.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je veux simplement vous rappeler que, depuis l'entrée
en application du nouveau code pénal, il n'y a plus de circonstances
atténuantes.
M. Paul Girod.
J'entends bien !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Donc, la réponse à votre question, c'est qu'elle ne se
pose pas.
Votre réflexion sur le problème de la motivation est très pertinente, et je
pense que nous y consacrerons de longs débats, mais, sur ce point très
particulier, la question ne se pose pas.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Girod.
M. Paul Girod.
Vous le voyez, je ne suis pas un technicien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez les circonstances atténuantes !
(Sourires.)
M. Paul Girod.
Il reste que, au moment de prendre leur décision, les jurés doivent se poser
une question qui ressemble étrangement à celle des circonstances atténuantes,
même si elle n'est pas formulée ainsi.
Mme Joëlle Dusseau.
Tout à fait !
M. Paul Girod.
En tout cas, si j'étais juré, je ne pourrais faire autrement que de me la
poser !
Mme Joëlle Dusseau.
Bien sûr !
M. Paul Girod.
Je ne pourrais pas, dans la progression de ma pensée vers la définition de ma
décision, ne pas avoir cet élément-là en tête.
Quoi qu'il en soit, il faut, à un moment ou à un autre, arriver à trouver une
convergence de préoccupations, et je ne vois pas très bien comment on pourrait
y parvenir avec le système que vous nous proposez.
En résumé, je crois que l'appel suppose la motivation mais que la motivation
est difficilement compatible avec le jury. C'est pourquoi je préférais votre
avant-projet de 1995.
Une autre voie a été retenue. Nous verrons bien comment les choses évolueront
au cours de la discussion.
Vous me permettrez, en conclusion, d'évoquer un souvenir personnel.
J'ai rapporté ici, dans des conditions difficiles, la suppression de la peine
de mort, et ce n'était pas simple, car la commission des lois n'avait pas
d'opinion sur la question. J'ai achevé mon intervention, à l'époque, en
paraphasant la formule qui est affichée dans la chambre des délibérations et en
posant à mes collègues « cette seule question, qui contient toute l'étendue de
vos devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?". »
Ce ne fut pas, je vous l'avoue, un moment très facile de ma vie
parlementaire.
Je me retrouve aujourd'hui un peu dans la même situation, avec les mêmes
interrogations, avec le même souci que vous d'avoir une justice efficace, mais
avec beaucoup de scrupules de conscience.
(Applaudissements sur les travées
du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment
d'aborder cette question si importante et si délicate de la cour d'assises et
de la justice criminelle, j'éprouve un sentiment de satisfaction en même temps
que je suis saisi d'un grand nombre d'interrogations.
Un sentiment de satisfaction, tout d'abord, monsieur le garde des sceaux,
parce que je suis de ceux qui ont toujours trouvé qu'il y avait quelque chose
d'insupportable à ce que l'on ne puisse pas faire appel des décisions qui sont
les plus graves parmi celles qui peuvent être rendues à l'égard d'un être
humain.
Nous avons tous senti à quel point était personnelle votre résolution de
mettre un terme à cette situation. Cela doit être rappelé, car c'est bien
l'essentiel dans ce débat : les modalités, si importantes soient-elles, sont
tout de même secondes par rapport à ce qui constitue l'axe de la démarche.
Lorsque j'ai senti que vous iriez jusqu'au bout, en dépit des difficultés, je
me suis dit : « Enfin, on va éradiquer cette faiblesse ! »
Et il ne s'agit pas seulement d'une faiblesse au regard de nos obligations
européennes. C'est surtout, tout simplement, une faiblesse au regard de la
logique et de la conscience que chacun a face à ce problème.
Il fallait y arriver. D'autres ont essayé et n'ont pas réussi. Vous, vous êtes
en train de réussir, monsieur le garde des sceaux, et nous sommes très heureux
que cette avancée nécessaire soit en passe d'être réalisée.
Peut-être n'était-ce pas, du point de vue de l'emploi de nos moyens, une
priorité. On peut effectivement envisager les choses sous cet angle, et je suis
bien placé pour le faire. Il n'en demeure pas moins que cette question touche à
des points essentiels de la dignité de l'homme et de l'idée qu'on se fait de la
justice. Les moyens, il faudra donc s'efforcer de les trouver !
S'agissant des modalités, j'étais de ceux, je dois le reconnaître, qui
pensaient que, à partir d'un développement de la chambre d'accusation, on
aurait éventuellement pu parvenir, à moindres frais et sans doute avec moins de
spectacle et de bruit, à un résultat tout à fait honorable. Cela a été envisagé
à une certaine époque, et cette idée méritait sans doute d'être retenue.
Toutefois, je le reconnais, elle n'aurait pas été ressentie comme suffisamment
« visible ». Or, nous sommes dans un domaine où la sensibilité du public est
extrêmement vive. Il faut prendre des mesures visibles et compréhensibles par
tous.
Effectivement, ce qui est visible et compréhensible par tous, c'est ce que
nous sommes en train de faire. Encore une fois, bravo ! Les membres de mon
groupe voteront, bien sûr, ces dispositions, pour l'essentiel.
Pour le surplus, je l'avoue, nous nous posons bien des questions, et je vais
simplement en évoquer quelques-unes.
S'agissant tout d'abord du double degré de juridiction, il me paraît singulier
de mettre un jury sur un jury. Selon moi, l'idée même du jury présuppose qu'il
n'y en ait qu'un : le jury ! Si vous pensez qu'à neuf, ils jugent mieux qu'à
cinq, il serait peut-être convenable de prévoir neuf jurés dès le premier
instant. A défaut, cela donne un peu l'impression que l'on joue au chat et à la
souris : vous n'allez pas être très bien jugé mais, rassurez-vous, vous aurez
mieux tout à l'heure !
(Sourires.)
C'est tout de même un peu gênant en
matière criminelle.
La vérité, c'est que l'on n'est absolument pas sûr qu'à neuf ils jugent mieux
qu'à cinq. Simplement, il faut donner une apparence de prééminence à la
juridiction supérieure ; mais cela relève plus de l'apparence que de la
réalité.
Déjà - et c'est une idée que l'on va retrouver tout au long de mon propos - on
voit percer, à travers ce dispositif, le fait que l'on n'a plus très confiance
dans le jury. En effet, si on avait pleinement confiance en lui, si on était
certain que c'est le bon moyen de juger les affaires dites les plus graves -
selon moi, il est loin de juger toutes les affaires les plus graves - il aurait
un côté sacré, presque mythique. Il y a un jury, il n'y en a qu'un ! Deux jurys
l'un sur l'autre, je l'avoue, je ne suis pas convaincu !
A cet égard, il convenait de retenir soit votre avant-projet, soit le système
anglo-saxon, dans lequel on a d'abord le jury puis une juridiction d'appel
composée de professionnels, cette seconde solution ayant ma préférence, mais,
je le reconnais, je suis isolé.
En ce qui concerne la motivation, je ne redirai pas en détail ce qui a été
dit.
Il faut bien avoir à l'esprit que tout cela est sous le regard du public par
la presse. Il est essentiel d'élaborer un dispositif qui tienne la route et qui
ne soit pas ridicule dès les premières décisions. A défaut, on s'apercevra que
nous nous sommes trompés, et on saura bien nous le dire.
Deux arguments peuvent être invoqués : l'un est technique et l'autre moral
puisqu'il concerne le secret de la délibération.
S'agissant de l'argument technique, je vois bien que la motivation ne peut
être formulée que par les juges professionnels. En effet, ils sont habitués à
analyser leurs décisions, à confronter et à rapprocher leurs points de vue. Ils
possèdent la technique. Ils savent faire, c'est leur métier. En revanche, les
jurés, par définition, ne savent pas. Certes, ils ont leur intime conviction,
mais ils n'ont pas la culture nécessaire pour l'analyser et la traduire en
motifs. Aussi, celui qui la traduira en motifs aura la mainmise sur leur
décision et sur leur processus intellectuel.
Mme Joëlle Dusseau.
C'est évident !
M. Pierre Fauchon.
Cela me paraît inévitable.
Lui, il saura. Les autres jurés lui diront : « Nous n'avions pas vu cela. » Il
leur répondra : « Ce n'est pas tout, il faut expliquer le motif. » Dès lors,
les jurés se retireront en lui disant : « Allez-y puisque vous semblez savoir.
»
Qu'en sera-t-il du secret de la délibération des jurés ?
Il est complètement massacré.
Ou bien le juré ne participe pas à la rédaction des motifs, ou bien il y
participe, et alors il se découvre, on voit ce qu'il a voté. Dès lors, le
secret vole en éclats.
Ou alors on laisse les professionnels rédiger entre eux la motivation, et ce
n'est pas non plus satisfaisant car, ce faisant, ils font plus ou moins entre
eux la décision.
Tout cela ne va pas.
Il y a une antinomie entre l'idée de juré et l'idée de motivation. Plusieurs
orateurs l'ont dit, notamment M. Paul Girod, elles sont profondément
incompatibles sur le plan technique et au regard du secret de la
délibération.
Par conséquent, on ne peut pas entrer dans cette voie de la motivation, qui,
on l'a dit, est « littéraire ».
L'adjectif a, à mes yeux, un petit côté péjoratif. On n'est pas obligé de
faire un roman ! Il s'agit de la motivation disons « justificative », par
laquelle on explique pourquoi la condamnation a été prononcée.
On ne peut pas aller au-delà de ce que j'appellerai la « motivation
descriptive et analytique ». Celle-ci consiste à répondre à des questions
précises ; dans ces conditions, on ne viole pas le secret des délibérations, on
ne viole la conscience de personne ; nul n'est obligé de s'expliquer. On vote
sur chaque question, on compte les votes et on avance ainsi, avec ce qu'il faut
de logique, de cohérence et ce qu'il faut de secret des délibérations.
Je suis de ceux qui pensent que les questions doivent être peu nombreuses. Ce
point était pratiquement le seul sur lequel nous n'étions pas tous d'accord au
sein de la commission des lois. Pour ma part, j'étais plutôt partisan d'une
motivation réduite à peu de questions ; d'autres pensaient qu'il fallait que
celles-ci soient plus nombreuses. Or, plus les questions seront nombreuses,
plus on prêtera le flanc à la cassation, à des difficultés d'interprétation et
à des commentaires dans la presse, car tous ces éléments d'information seront
dépecés. Imaginez à quels exercices se serait livrée la presse si avaient été
connus dans le détail les motifs de la décision prise la semaine dernière par
la cour d'assises de Nice ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Justement !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Fauchon
?
M. Pierre Fauchon.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Monsieur Fauchon, jugez-vous préférables les
commentaires parus dans les journaux à propos des motifs de la décision prise
par la cour d'assises des Alpes-Maritimes, décision qui est et restera un grand
mystère ?
Pour ma part, je préférerais que la presse discute sur le point de savoir si
la cour d'assises a eu tort ou raison, plutôt qu'elle s'interroge sur les
raisons pour lesquelles la cour d'assises a pris cette décision. En effet,
jusqu'à preuve du contraire, cela signifie que, en l'état actuel des choses,
elle n'est pas capable de rendre compte au peuple du mandat que celui-ci lui a
donné.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument ! Mais il faut supprimer le secret du vote !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Eh bien ! je persiste dans mon point de vue, monsieur le ministre : je crois
préférable que la presse en soit réduite à faire des commentaires sur des
hypothèses, plutôt que de faire des commentaires sur des phrases rédigées à la
hâte. Ce serait à mes yeux beaucoup plus grave.
En réalité, toute la dignité de la justice, qui tient à ce côté sacré de la
décision, qui demeure mystérieuse, est liée, je le répète, à l'idée du jury.
Vous ne pouvez pas dissocier les deux. Si vous voulez que les jurys travaillent
comme des magistrats, faites juger les affaires par des magistrats !
(Mme
Dusseau et M. Dreyfus-Schmidt approuvent.)
Mais si vous voulez garder les
jurys, vous devez rester dans la logique du jury, avec ce qu'il comporte de
mystérieux.
Si vous le voulez bien, monsieur le ministre, comme le dit Phileas Fogg - et
ce ne sera ni la première ni la dernière fois -, constatons le désaccord !
(Sourires.)
Ce que je crains - et ce serait peut-être le pire et représenterait la
solution de facilité - c'est l'établissement de motivations artificielles,
préfabriquées, à partir de formulations toutes faites, qui comporteront des
phrases creuses, dont on ne verra pas très bien à quoi elles correspondent.
C'est déjà le cas dans certaines commissions, comme les commissions
d'urbanisme commercial. On prépare deux motivations et, en fonction de la
décision prise, on prend celle qui convient. Il y a de grandes chances pour
que, entre minuit et deux heures du matin, cela se passe ainsi. Alors, vous ne
serez pas content - c'est le diagnostic que je fais - du résultat.
S'agissant de l'âge requis pour être juré, je partageais votre avis, monsieur
le garde des sceaux. Je me suis interrogé sur les limites, à savoir dix-huit
ans, soixante ans ou soixante-dix ans.
Je crois moi aussi que les jeunes peuvent avoir un jugement appréciable.
Mais j'ai été convaincu par les délibérations de la commission, par les
observations et les réflexions de ceux qui ont l'expérience de tout cela.
Certes, il est possible de récuser les jurés. Cependant, s'ils doivent être
récusés à chaque fois, l'effet serait encore pire.
(M. le garde des sceaux
sourit.)
En définitive, j'ai été convaincu qu'à dix-huit ans on est trop jeune pour
juger.
Tout à l'heure, quelqu'un a dit : pourquoi à vingt-trois ans serait-on
davantage capable de juger qu'à dix-huit ans ?
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
C'est moi !
M. Pierre Fauchon.
Eh bien, monsieur le garde des sceaux, à vingt-trois ans, on a cinq ans de
plus, on a quitté le lycée, on est entré dans la vie !
A vingt-trois ans, une grande partie des jeunes ont l'expérience du travail.
Ils ont peut-être déjà une famille, de fait, sinon de droit. Ils ont donc déjà
été confrontés à un certain nombre des réalités de la vie. En cinq ans, on
apprend tout de même beaucoup.
D'ailleurs, je ne suis pas gêné pour vous dire que si l'âge de trente ans
était retenu, je trouverais cela encore plus raisonnable !
(M. Paul Girod applaudit.)
Je suis de ceux qui croient - et pas seulement depuis que je suis membre
de cette assemblée - que l'expérience, ce n'est pas rien dans la vie. Dans la
société actuelle, il est une valeur qui est complètement méconnue et qui est
pourtant une vraie valeur : l'expérience, avoir vu et vécu beaucoup de choses.
Et pourtant, il ne faut jamais en parler car c'est mal vu et ce n'est pas
populaire.
Je reste persuadé que l'expérience, ça compte, et que, à vingt-trois ans, on a
tout de même beaucoup plus d'expérience qu'à dix-huit ans, surtout qu'il s'agit
d'un âge charnière. Je le répète, à dix-huit ans, on est en général lycéen,
tandis que, à vingt-trois ans, on a quitté le lycée.
Finalement donc, je le dis en vous rendant hommage, monsieur le garde des
sceaux, après quelques hésitations, je me suis rallié à cette décision.
S'agissant des moyens, on a dit ce qu'il y avait lieu d'en dire, je n'y
reviens pas.
Pour terminer, je voudrais vous faire part de quelques interrogations sur le
fond du problème, sur le système du jury.
En réalité, vous l'avez peut-être senti, je suis assez sceptique sur le
système du jury. Je vois très bien quelles ont été ses raisons d'être à
l'origine, mais je ne vois plus très bien quelles sont ses raisons d'être
maintenant. Quand la Révolution a créé le jury, il y avait sans doute cette
idée de citoyen, mais aussi l'idée de l'indépendance des juges, et pendant tout
le xixe siècle, on a été assez content.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
C'est l'avant-projet de 1995 !
M. Pierre Fauchon.
Pourquoi pas ? Vous allez ressortir de derrière les fagots le cru de 1995 ?
Donnez-nous le temps de respirer, parce que c'était un peu dur la semaine
dernière, en commission des lois.
Le jury, c'était d'abord et avant tout la garantie de l'indépendance au xixe
siècle. En effet, les magistrats du xixe siècle, c'étaient les magistrats de
Stendhal et de Balzac ; c'est l'histoire de Jacquou le Croquant, qui, après
avoir incendié le château de l'Herm, - une très belle ruine aujourd'hui -, a
été acquitté par la cour d'assises de Périgueux parce qu'il était un petit
paysan qui avait été injurié par le châtelain. Les magistrats professionnels ne
l'auraient pas acquitté. C'est la raison d'être essentielle du jury.
Avec les magistrats professionnels dont nous disposons, avec les améliorations
que nous avons apportées ensemble au système du Conseil supérieur de la
magistrature, nous avons établi la magistrature dans une véritable et
authentique indépendance - ce que j'appelle la magistrature, c'est la
magistrature assise ; en effet, selon moi, la magistrature debout, ce sont des
avocats.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Pierre Fauchon.
C'est infiniment respectable, c'est plus vivant, mais ce n'est pas la même
chose que la magistrature assise ! Nous avons donc établi cette magistrature
assise dans une indépendance pleinement satisfaisante.
Cela mis à part, il y avait encore le côté dramatique de certaines peines.
Mais la suppression de la peine de mort a, d'une certaine manière, tué plus ou
moins la cour d'assises. D'ailleurs, la cour d'assises ne l'avait pas volé.
(Sourires.)
Compte tenu des différents dispositifs, notamment des
réductions de peines, un tribunal correctionnel peut, avec les récidives,
prononcer une peine plus lourde que celle qui serait infligée par une cour
d'assises. La grande justification des cours d'assises n'existe plus
réellement.
M. Guy Allouche.
M. Fauchon est diabolique !
M. Pierre Fauchon.
Ce qui reste important, c'est le côté anonyme de la cour d'assises.
Je vais donner lecture du passage de Montesquieu qui est probablement à
l'origine de cette institution dans notre culture :
« La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais
exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de
l'année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne
dure qu'autant que la nécessité le requiert.
« De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n'étant
attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour
ainsi dire, invisible et nulle. On n'a point continuellement des juges devant
les yeux ; et l'on craint la magistrature, et non pas les magistrats.
« Il faut même que, dans les grandes accusations, le criminel, concurremment
avec la loi, se choisisse des juges ou, du moins, qu'il en puisse récuser un si
grand nombre que ceux qui restent soient censés être de son choix. »
M. Philippe de Bourgoing.
Que dit-il sur l'âge ?
M. Pierre Fauchon.
Sur ce point, avec Montesquieu, on est à peu près tranquille !
(Sourires.)
Or, par rapport à ce qui est supposé justifier ce jury et cette
participation des citoyens, que s'agit-il de juger ? Il ne s'agit pas de juger
les affaires qui intéressent le plus les citoyens, et je rejoins ici ce que M.
Marini a dit très justement tout à l'heure. C'est curieux, les affaires qui
intéresseraient le plus les citoyens, elles leur échappent. On a
correctionnalisé à tour de bras, par la voie législative dans le texte de 1943
ou dans d'autres textes, et on correctionnalise tous les jours. En fin de
compte, on a retiré à la cour d'assises une grande partie de son travail. Au
fond, c'est parce qu'on ne lui faisait qu'à moitié confiance - ce que l'on
n'ose pas dire mais que j'ai cru comprendre. En vérité - c'est peut-être une
petite différence entre M. Marini et moi-même - je ne vois pas bien la
possibilité de lui ramener les affaires financières, qui sont si compliquées
que les pauvres jurés devraient y passer des mois !
Mais n'y a-t-il pas quelque chose de bizarre à ce que cette institution fondée
sur la participation des citoyens ait à connaître, pour l'essentiel, non pas
des affaires intéressant le plus les citoyens, mais tout simplement des
affaires de moeurs, qui représentent la moitié, ou les deux tiers des affaires
traitées par les cours d'assises ? En vertu de quoi est-il préférable que les
affaires de moeurs soient jugées par des jurés plutôt que par des
professionnels ? Se poser la question n'est pas la résoudre, car on peut y
réfléchir longuement. Il reste les grands crimes de sang, mais ils sont
exceptionnels.
La situation est telle que, actuellement, la cour d'assises n'a plus du tout
la considération qu'elle avait aux temps héroïques : elle est perçue - je me
suis renseigné auprès de quelques juridictions de province - comme une sorte de
juridiction spéciale, dont on ne sait pas très bien au juste pourquoi elle
existe et dont la compétence ne coïncide pas avec ce que devraient être ses
raisons d'être.
Nous sommes donc à cet égard dans une situation qui est véritablement
surprenante et, selon moi, bien peu satisfaisante.
Je conclurai cette intervention en indiquant que les membres du groupe de
l'Union centriste, convaincus du grand progrès que constitue le second degré de
juridiction, voteront ce projet de loi. Ils n'en demeurent pas moins perplexes
s'agissant des modalités.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du Rassemblement
pour la République.)
M. le président.
La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le
débat qui s'est déroulé cet après-midi a été particulièrement intéressant.
Il l'a été au premier chef, monsieur le garde des sceaux, parce que vous avez
plaidé votre texte avec passion, ce qui, somme toute, est tout à fait normal
lorsque l'on évoque la cour d'assises ! Souffrez que j'essaie à mon tour de
plaider, au nom de mon groupe, avec autant de passion !
Vous nous proposez une réforme fort intéressante, et l'avocate que je suis ne
peut que vous féliciter de cette initiative que nous attendions depuis très
longtemps et qui devrait permettre d'éviter des erreurs judiciaires : lorsque
l'on plaide dans une affaire où un double meurtre a été commis et que l'on
obtient un acquittement, on a le sentiment d'avoir peut-être trop bien plaidé
!
Si le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle, en créant un
double degré de juridiction, met certes la France à l'heure de la convention
européenne des droits de l'homme, il ne répond cependant pas, en la forme et au
fond, à l'attente des Françaises et des Français d'une profonde réforme de
l'institution judiciaire. C'est la question de la place de la justice dans
notre société qu'il est indispensable de poser. Certes, monsieur le garde des
sceaux, nous savons combien, dans notre pays, il est difficile, quasi
impossible, de faire bouger les choses. Mais il était important d'ouvrir un
débat sur une institution de la République qui est secouée, au nom du droit
d'informer, par des turbulences médiatiques qui peuvent déstabiliser les
valeurs de la démocratie et du respect attaché au citoyen.
La réforme du fonctionnement de la cour d'assises est importante. Mais
l'est-elle plus que celle des juridictions de commerce, de la procédure de
liquidation des sociétés, du droit des salariés, du droit de propriété, du
secret de l'instruction et de la détention préventive, notamment ?
Peut-on, dans une société moderne, se satisfaire d'une justice dépourvue de
moyens, exerçant dans des locaux inadaptés ?
Ainsi, la cour d'appel de Basse-Terre ne peut pas mettre de salle à la
disposition des jurés ; ces derniers sont dans un couloir ! Vous le savez
d'ailleurs bien, monsieur le garde des sceaux, car vous n'avez pu faire
réaliser des travaux faute de crédits suffisants.
Peut-on également accepter les erreurs constatées en matière de liquidation de
sociétés du fait des pouvoirs exorbitants exercés en Guadeloupe, en Martinique
et en Guyane par les administrateurs judiciaires, à tel point que, en
Guadeloupe, l'administrateur judiciaire a été mis en taule ?
M. Philippe Marini.
Très bien !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Le salarié licencié doit attendre des mois, si ce n'est des années, pour
percevoir des indemnités, tant les lenteurs de la procédure prud'homale le
pénalisent.
Est-il tolérable qu'un propriétaire ne disposant que de ses loyers pour vivre
puisse subir la mauvaise foi d'un locataire n'honorant pas ses engagements ?
Le droit d'informer, aussi légitime soit-il, peut-il autoriser les
publications des déclarations couvertes par le secret de l'instruction ? Alors,
supprimons le secret de l'instruction !
Les enquêtes judiciaires peuvent-elles être menées par la presse à la suite de
délations, de lettres anonymes ?
L'égalité des citoyens devant la loi est le fondement de l'autorité attachée à
la justice. Cette dernière, si nous voulons qu'elle soit le symbole du respect
de la démocratie et de l'individu, doit conserver sa sagesse et sa sérénité.
La justice de la rue est souvent celle de la vindicte, de la colère et non
celle de la raison.
Monsieur le garde des sceaux, comment ne pas être ému de voir un juge, hors de
sa circonscription, perquisitionner le siège d'un parti politique et n'être
soumis à aucune sanction lorsque cet acte d'instruction est, plus tard, frappé
de nullité ? Le juge est même devenu un élu ! Etait-ce une procédure
influencée par le climat médiatique ?
Comment ne pas être ému quand un ministre mis en examen démissionne, puis
bénéficie d'un non-lieu ?
Comment ne pas être ému lorsque l'on apprend que le président d'une assemblée
métropolitaine est mis en examen, incarcéré et libéré ensuite, après un
non-lieu ?
Comment ne pas s'émouvoir de la multiplicité et de la durée des détentions
provisoires ?
Il est historique de modifier le code de procédure criminelle, avez-vous dit,
monsieur le garde des sceaux. La justice criminelle frappe beaucoup l'opinion,
mais touche peu d'actes. Mais l'honneur du citoyen dégradé, sali est une
affaire grave, car c'est aussi le destin d'un homme.
La loi sur la presse mérite d'être dépoussiérée.
Certes, la justice, en France, n'est pas, fort heureusement, si malade que
cela. Elle reste exemplaire pour de nombreux pays, tels Haïti, le Guatemala et
d'autres, et nous en sommes fiers. C'est l'exemple français qui s'impose aux
pays opprimés voulant restaurer la démocratie. Aussi est-il extrêmement
important pour notre pays que l'image d'une justice sereine, égale pour tous,
respectueuse de l'information et des droits du citoyen soit préservée.
Mais j'en reviens à la réforme judiciaire que vous nous soumettez, monsieur le
garde des sceaux, et dont j'espère qu'elle n'est qu'une amorce : vous avez
raison de présenter ce projet de loi, car son vote vous permettra
incontestablement d'obtenir des moyens pour appliquer la loi.
Si je ne peux qu'être satisfaite du double degré de juridiction, qui offre de
meilleures garanties aux citoyens, je ne peux accepter, pour justifier cette
réforme, la référence au droit international et au droit communautaire : les
pages d'histoire de notre pays sont trop marquées par la défense des droits de
l'homme pour que notre argumentation se réfère aux points de vue des autres
!
La question qui se pose est la suivante : ne fallait-il pas faciliter la
procédure de révision ? Mais le citoyen n'aurait vu sans doute alors qu'un
règlement administratif de l'affaire, et la procédure criminelle n'aurait pas
eu l'éclat que vous voulez lui donner par ce double degré de juridiction.
Je suis quelque peu choquée par la dénomination « tribunal d'assises », qui
prive cette juridiction de la solennité qui est attachée à l'appellation « cour
d'assises ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mieux vaudrait « tribunal criminel » !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
J'aurais préféré les dénominations « cour criminelle » et « cour criminelle
d'appel », car le terme « cour » évoque le poids de la décision.
Monsieur le garde des sceaux, divers points nous interpellent.
Comme vous l'avez indiqué, l'ordonnance de renvoi ne sera plus soumise au
contrôle de la chambre d'accusation. C'est à mon avis une faiblesse, car la
chambre d'accusation avait la possibilité de requalifier les faits. Un homme
poursuivi pour homicide involontaire et renvoyé devant la cour d'assises
pouvait ainsi voir les faits qui lui étaient reprochés requalifiés par la
chambre d'accusation en « meurtre sans intention de donner la mort »
J'en viens maintenant aux propos qui ont été tenus sur la motivation.
J'aborderai ce point sans passion, en me référant à ma longue pratique du
barreau : déjà trente-deux ans ! Mais je vous laisse là deviner mon âge !
(Sourires.)
Le problème de la cour d'assises ne peut se régler de façon mathématique
ou administrative. Or c'est bien aller dans ce sens que de parler de
motivation.
Mes chers collègues, il faut savoir comment fonctionne une cour d'assises.
Lorsque les débats sont terminés, le président de la cour d'assises indique à
tout le monde quelles questions seront posées. A ce moment-là, la défense a,
elle aussi, la possibilité de poser une question, et c'est tout l'art d'un
avocat rusé que d'attendre pour déposer des conclusions sur des points
subsidiaires, afin d'éclairer le dossier d'une certaine façon.
Lorsque l'on en arrive aux délibérations de la cour d'assises, chacun parle,
ou ne parle pas. On a en effet le droit de ne pas parler, comme l'a dit M.
Badinter, et d'être couvert par le secret du vote.
Puis le vote intervient : c'est simplement « oui » ou « non ».
Monsieur le garde des sceaux, je vous ai entendu dire tout à l'heure que les
gens ont besoin de savoir et ont droit à la transparence. Mais qui met le juré
à l'abri de ce qui se dira ? Le secret des délibérations protège aussi les
jurés. Dans ma carrière, j'ai eu à plaider dans une affaire où un garçon avait
« descendu » un membre du jury, car il avait su que cet homme s'était acharné
contre son père. Où est le secret des délibérations ?
Si la presse arrive, demain, à écrire que M. X a voté comme ceci et que M. Y a
voté comme cela, on risque de voir apparaître une sorte de vindicte. Je crois
que les termes « dans la sincérité de leur conscience » figurant dans
l'instruction lue par le président de la cour d'assises aux jurés
responsabilisait ces derniers et créait une espèce d'engagement moral dans leur
prise de décision.
La motivation des décisions des juridictions d'assises est indispensable,
avez-vous dit, monsieur le garde des sceaux. Mais cette motivation est
implicite ! On lit le dossier : tout le monde sait que la personne jugée a ou
non déjà été condamnée, qu'il s'agit d'un orphelin ou d'un enfant de riche.
Tout le monde dispose implicitement des circonstances atténuantes expliquant le
comportement d'un individu. En effet, en cour d'assises, les faits sont
généralement établis : un homme qui est accusé d'avoir tué a effectivement tué.
Comment arrive-t-on à acquitter un homme qui a tué ? C'est justement tout l'art
de l'avocat que d'essayer d'expliquer que, dans un contexte particulier, un
individu solide, bien entouré et ayant reçu une bonne éducation a eu, un jour,
un comportement irrationnel, et que cela peut justifier un acquittement.
Si les juges professionnels sont liés entre eux par la pratique du droit, en
revanche, la cour d'assises est composée d'éléments hétéroclites, d'hommes et
de femmes provenant d'horizons différents, qui apportent chacun leur expérience
à la décision rendue.
Elles sont si belles, les décisions de la cour d'assises ! Et peu importe que
deux ou trois avocats aient envie de tout changer ou que deux ou trois
journalistes en parlent ! Non, la cour d'assises est l'une des juridictions les
plus nobles, car on y siège avec la responsabilité de juger un homme accusé
d'un crime.
Sur la question de l'âge, certains estiment qu'à dix-huit ans on est trop
jeune, qu'à vingt-trois ans on est encore trop jeune et qu'à trente ans... on
est bien jeune encore.
(Sourires.)
Le général de Gaulle ne disait-il pas
: « Le métier de juge n'est pas un métier de jeune. Car juger n'est pas facile,
plaider non plus, d'ailleurs. »?
Aussi sur la question de l'âge, tout en admettant que certains jeunes, à
dix-huit ans, sont très mûrs et peuvent se prononcer, je ne veux tout de même
pas me laisser influencer par la mode « jeune ».
Ce qui est important, me semble-t-il, c'est la responsabilité que prend un
juré au moment où il décide de juger un homme, et cela n'est, encore une fois,
pas facile.
C'est la raison pour laquelle, sous réserve que vous entendiez les raisons de
la commission des lois, notamment sur la motivation, nous voterons votre texte,
car il est courageux et a le mérite de donner une chance à des femmes et à des
hommes qui, hier encore, étaient condamnés et purgeaient de lourdes peines de
prison et dont on découvrait un beau matin qu'ils étaient innocents. De
nombreux avocats en ont fait l'amère expérience.
Aussi bien, monsieur le garde des sceaux, en créant ce double degré de
juridiction, vous permettez aux citoyens et à la défense d'exercer pleinement
leurs droits.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants. Mme Dusseau applaudit également.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
11
Communication de l'adoption définitive
de propositions d'acte communautaire
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication,
en date du 24 mars 1997, l'informant que :
- la proposition d'acte communautaire E 642 « proposition de décision du
Conseil autorisant la République fédérale d'Allemagne à conclure deux accords
avec la République tchèque contenant des dispositions dérogatoires aux articles
2 et 3 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière
d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le
chiffre d'affaires » a été adoptée définitivement par les instances
communautaires par décision du Conseil du 17 mars 1997 ;
- la proposition d'acte communautaire E 765 « lettre n° SG (96) D/11549 du 20
décembre 1996 de la Commission européenne. Demande de dérogation sur la base de
l'article 27 visant à simplifier la perception de la taxe et à éviter l'évasion
fiscale en ce qui concerne les prestations des services de télécommunications »
a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du
Conseil du 17 mars 1997 ;
- la proposition d'acte communautaire E 768 « proposition de décision du
Conseil autorisant la République fédérale d'Allemagne et la République
française à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 3 de la sixième
directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des
législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires »
a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du
Conseil du 17 mars 1997 ;
- et que la proposition d'acte communautaire E 790 « propositions de décisions
du Conseil autorisant les quinze Etats membres à appliquer une mesure
dérogatoire à l'article 9 de la sixième directive TVA (77/388/CEE) en matière
d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le
chiffre d'affaires » a été adoptée définitivement par les instances
communautaires par décision du Conseil du 17 mars 1997.
12
DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi portant diverses
dispositions relatives à la justice.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 278, distribué et renvoyé à la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
13
TRANSMISSION DE PROJETS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation d'un accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc
sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble
un échange de lettres).
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 279, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier minsitre un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord
euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés
européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume du Maroc, d'autre
part.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 280, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, modifiant le code civil pour l'adapter aux stipulations
de la convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux et
organiser la publicité du changement de régime matrimonial obtenu par
application d'une loi étrangère.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 281, distribué et renvoyé à la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par
l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986
relative à la liberté de communication.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 282, distribué et renvoyé à la commission des affaires culturelles.14
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. Jacques Larché une proposition de loi relative à la validation
de certaines admissions à l'examen d'entrée à un centre de formation
professionnelle d'avocats.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 284, distribuée et renvoyée
à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
15
DÉPÔT DE PROPOSITIONS
D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Proposition de décision du Conseil autorisant le Royaume-Uni à appliquer une
mesure facultative dérogatoire à l'article 17 de la sixième directive
(77/388/CEE) en matière d'harmonisation des législations des Etats membres
relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-806 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Lettre de la Commission européenne du 4 mars 1997 relative à une demande de
dérogation présentée parl'Irlande en application de l'article 27 de la sixième
directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière de taxe sur la valeur
ajoutée.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-807 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement CE du Conseil modifiant les annexes II et III du
règlement CE n° 519/94 relatif au régime commun applicable aux importations de
certains pays tiers (chaussures, vaisselle, jouets).
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro n° E-808
et distribuée.
16
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Jean-Paul Delevoye un rapport fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale :
- sur la proposition de loi de MM. Louis Souvet, Michel Alloncle, Jean
Bernard,
Eric Boyer
, Mme Paulette Brisepierre, MM. Gérard César, Désiré
Debavelaere, Jacques Delong, Alain Dufaut, Alain Gérard, Daniel Goulet, Georges
Gruillot, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel,
Jean-Paul Hammann
, Roger
Husson,
André Jarrot
, André Jourdain, Lucien Lanier,
Marc
Lauriol
, Jean-François Le Grand, Dominique Leclerc, Jacques Legendre,
Maurice Lombard,
Max Marest
, Paul Masson,
Mme Hélène Missoffe
,
MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Mme Nelly Rodi, MM. Michel Rufin, Maurice
Schumann, Alain Vasselle et Serge Vinçon visant à clarifier les conditions
d'accueil des gens du voyage sur le territoire des communes de plus de 5 000
habitants(n° 240, 1994-1995) ;
- et sur la proposition de loi de MM. Philippe Marini, Honoré Bailet,
Jacques Bérard
, Jean Bernard, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert
Calmejane, Auguste Cazalet, Gérard César, Jean Cherioux, Désiré Debavelaere,
Jean-Paul Delevoye,
Roger Fosse
, François Gerbaud, Daniel Goulet, Adrien
Gouteyron, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel,
Jean-Paul Hammann
,
Jean-Paul Hugot, Roger Husson,
André Jarrot
, René-Georges Laurin, Marc
Lauriol, Jacques Legendre, Joseph Ostermann, Michel Rufin, Martial Taugourdeau
et Alain Vasselle relative au stationnement des gens du voyage (n° 259,
1994-1995).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 283 et distribué.
17
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 26 mars 1997, à quinze heures :
1. - Discussion des conclusions du rapport (n° 277, 1996-1997) de la
commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions
restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions relatives
à l'immigration.
M. Paul Masson, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
2. - Suite de la discussion du projet de loi (n° 192, 1996-1997), adopté par
l'Assemblée nationale, portant réforme de la procédure criminelle.
Rapport (n° 275, 1996-1997) de M. Jean-Marie Girault, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
Personne ne demande plus la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
Ordre du jour
des prochaines séances du Sénat
établi par le Sénat dans sa séance du mardi 25 mars 1997
à la suite des conclusions de la conférence des présidents
Mercredi 26 mars 1997, à 15 heures :
Ordre du jour prioritaire
1° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant
diverses dispositions relatives à l'immigration (n° 277, 1996-1997).
2° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme
de la procédure criminelle (n° 192, 1996-1997).
Jeudi 27 mars 1997,
à
9 h 30
et à
15 heures :
Ordre du jour prioritaire
1° Suite du projet de loi portant réforme de la procédure criminelle.
Mardi 15 avril 1997 :
A
9 h 30 :
1° Dix-huit questions orales sans débat (l'ordre d'appel des questions sera
fixé ultérieurement) :
- n° 583 de M. Josselin de Rohan à Mme le ministre de l'environnement
(Politique en matière de déchets ménagers) ;
- n° 600 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre du travail et des
affaires sociales (Remboursement du dépistage du cancer du col de l'utérus)
;
- n° 601 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme (Tracé de raccordement de l'autoroute A
16 à la Francilienne) ;
- n° 604 de Mme Marie-Madeleine Dieulangard à M. le ministre du travail et des
affaires sociales (Difficultés de fonctionnement des centres d'interruption
volontaire de grossesse) ;
- n° 605 de Mme Marie-Madeleine Dieulangard à M. le ministre de l'équipement,
du logement, des transports et du tourisme (Situation des marins russes
immobilisés sur des navires relâchant dans des ports français) ;
- n° 607 de Mme Gisèle Printz à Mme le ministre de l'environnement
(Déraillement d'un train contenant des matières nucléaires) ;
- n° 608 de M. Jean Bernard à M. le ministre des petites et moyennes
entreprises, du commerce et de l'artisanat (Disparité des taux de TVA sur les
produits alimentaires) ;
- n° 609 de M. Claude Billard à M. le ministre du travail et des affaires
sociales (Avenir de l'Institut Gustave-Roussy) ;
- n° 611 de M. Gérard Delfau à M. le ministre du travail et des affaires
sociales (Conséquences des réductions budgétaires imposées au centre
hospitalier universitaire de Montpellier) ;
- n° 613 de M. Jean-Paul Hugot à M. le garde des sceaux, ministre de la
justice (Protection de la jeunesse contre les comportements déviants ou
dangereux) ;
- n° 614 de M. Jean Bizet à M. le ministre de l'aménagement du territoire, de
la ville et de l'intégration (Calcul des subventions allouées pour
l'acquisition de bâtiments industriels par les communes rurales) ;
- n° 617 de M. Daniel Hoeffel à M. le ministre du travail et des affaires
sociales (Situation des associations accueillant des objecteurs de conscience)
;
- n° 619 de M. Daniel Hoeffel à M. le ministre des affaires étrangères
(Conséquences de la création de la Conférence européenne permanente) ;
- n° 620 de M. Jean-Claude Carle à M. le ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme (Abus relatifs à la publicité de
certaines écoles de conduite) ;
- n° 621 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre délégué au logement
(Situation des mal-logés) ;
- n° 622 de Mme Marie-Claude Beaudeau à M. le ministre du travail et des
affaires sociales (Retraite à cinquante-cinq ans) ;
- n° 623 de M. Jean-Claude Carle à M. le ministre du travail et des affaires
sociales (Mise aux normes européennes des équipements de travail) ;
- n° 625 de M. Claude Billard à M. le ministre de l'industrie, de la poste et
des télécommunications (Déréglementation du secteur électrique).
A
16 heures :
2° Scrutin pour l'élection d'un juge de la Haute Cour de justice.
3° Scrutin pour l'élection d'un juge titulaire de la Cour de justice de la
République et de son suppléant.
(Les candidatures devront être remises à la présidence [service de la
séance] avant le mardi 15 avril 1997, à 12 heures ; ces scrutins se dérouleront
simultanément dans la salle des conférences ; les juges titulaires et le juge
suppléant élus seront appelés, aussitôt après le scrutin, à prêter le serment
prévu par les lois organiques.)
4° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les collectivités
locales.
(La conférence des présidents a fixé :
- à dix minutes les temps réservés au président de la commission des finances
et au président de la commission des lois ;
- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat,
les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun
groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront
être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 14 avril
1997.)
Mercredi 16 avril 1997,
à
15 heures :
Ordre du jour prioritaire
Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de
la procédure criminelle (n° 192, 1996-1997).
Jeudi 17 avril 1997,
à
9 h 30
et à
15 heures :
Ordre du jour prioritaire
1° Suite du projet de loi portant réforme de la procédure criminelle.
2° Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale,
d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines (n° 244,
1996-1997).
(La conférence des présidents a fixé au mercredi 16 avril 1997, à 17
heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de
loi.)
Mardi 22 avril 1997 :
Ordre du jour établi en application de l'article 48,
troisième alinéa, de la Constitution
A
9 h 30
et à
16 heures :
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la
promotion de l'apprentissage dans le secteur public non industriel et
commercial (n° 225, 1996-1997).
2° Proposition de loi de M. Jacques Larché relative à la validation de
certaines admissions à l'examen d'entrée à un centre de formation
professionnelle d'avocats (n° 284, 1996-1997).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 21 avril 1997, à 17 heures,
le délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux propositions de
loi.)
Mercredi 23 avril 1997,
à
15 heures :
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'aménagement du
territoire.
(La conférence des présidents a fixé :
- à dix minutes le temps réservé au président de la commission des affaires
économiques ;
- à cinq heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les
orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront
être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 22 avril
1997.)
Jeudi 24 avril 1997 :
A
9 h 45 :
Ordre du jour prioritaire
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant création de
l'Etablissement public d'aménagement de l'étang de Berre (EPABerre) (n° 249,
1996-1997).
2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à
l'activité de mandataire en recherche ou achat de véhicules automobiles neufs
(n° 250, 1996-1997).
(La conférence des présidents a fixé au mercredi 23 avril 1997, à 17
heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux propositions
de loi.)
A 15 heures :
3° Questions d'actualité au Gouvernement.
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de
la séance avant 11 heures.)
Ordre du jour prioritaire
4° Eventuellement, deuxième lecture du projet de loi relatif à l'amélioration
des relations entre les administrations et le public.
5° Proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à
la fiscalité applicable en Polynésie française (n° 261, 1996-1997).
(La conférence des présidents a fixé au mercredi 23 avril 1997, à 17
heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux textes.)
A N N E X E
Questions orales sans débat
inscrites à l'ordre du jour du mardi 15 avril 1997
N° 583. - M. Josselin de Rohan demande à Mme le ministre de l'environnement de
bien vouloir faire le point sur l'évolution de la politique de son ministère en
matière de déchets ménagers.
N° 600. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre du
travail et des affaires sociales sur la décision prise de limiter le
remboursement de la cytologie du dépistage du cancer du col de l'utérus à un
examen triennal. Elle lui rappelle que 2 000 femmes meurent chaque année de ce
cancer qui présente au moins 6 000 nouveaux cas par an. Elle lui rappelle
également que ce cancer diagnostiqué et traité très tôt est un cancer
guérissable. Elle lui demande donc quelles mesures il envisage pour autoriser
une prescription médicale annuelle d'examen avec remboursement par la sécurité
sociale et abrogation de la Référence médicale opposable (RMO) correspondante.
Elle lui demande enfin s'il n'estime pas nécessaire et possible d'organiser une
grande campagne d'information et de dépistage gratuit du cancer ou tumeur du
col de l'utérus.
N° 601. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de
l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur l'opposition
croissante des populations et des conseils municipaux au tracé prévu de la A 16
de L'Isle-Adam (Val-d'Oise) à l'autoroute A 1 et traversant les communes de
Villiers-le-Bel, Sarcelles, Garges-lès-Gonesse, Dugny et le parc départemental
de La Courneuve. Si un tel projet voyait le jour, il ruinerait les efforts
faits pour réhabiliter le cadre de vie d'une région particulièrement
défavorisée. Il pénaliserait les habitants de cette région par une pratique du
péage, aggravant leurs conditions de vie. Elle lui demande quelles mesures il
envisage pour renoncer définitivement à un tel tracé et raccorder la A 16 à la
Francilienne, évitant la paralysie prévisible du trafic sur la A 1. Elle lui
demande également quelles mesures il envisage pour améliorer la circulation
dans cette région et, en particulier, par le prolongement de la ligne de métro
n° 13 jusqu'à la gare de Villiers-le-Bel ainsi que la réalisation de la
déviation de la route nationale 370 attendue depuis soixante ans par les
populations val-d'oisiennes.
N° 604. - Mme Marie-Madeleine Dieulangard constate que deux tendances très
graves se font jour, qui restreignent la liberté des femmes à disposer
d'elles-mêmes et limitent le champ d'application de la loi Veil concernant
l'interruption volontaire de grossesse (IVG). D'une part, des parlementaires
connus pour leurs idées ultra-conservatrices n'hésitent plus à tenir des propos
virulents contre l'application de ce texte, à déposer de multiples amendements
ou des propositions de loi remettant en cause celle-ci. D'autre part, des
mesures insidieuses mais bien réelles, à travers, notamment, la réforme
hospitalière, viennent fragiliser le fonctionnement même des centres IVG.
L'absence de statut de ces centres et des médecins vacataires intervenant
uniquement sur la base du volontariat, la non-application de la circulaire de
1982 introduisant l'obligation de coupler un centre de planification avec le
centre d'interruption volontaire de grossesse, ajoutées aux restructurations
occasionnées par la réforme hospitalière, constituent bien de nouvelles menaces
sur l'existence même de ces centres. Elle demande à M. le ministre du travail
et des affaires sociales quels moyens significatifs et de contrôle il compte
mettre en oeuvre pour que les réductions des budgets hospitaliers ne soient pas
le prétexte à la limitation des moyens d'accès à l'information et à
l'avortement pour les femmes et ne soient pas l'occasion pour certaines
directions hospitalières d'orchestrer la fermeture de certains centres.
N° 605. - Mme Marie-Madeleine Dieulangard souhaite attirer l'attention de M.
le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur la
situation préoccupante et dramatique que connaissent depuis plusieurs mois des
marins de nationalité russe, immobilisés dans les ports de Nantes et de
Saint-Nazaire, mais aussi de Dunkerque et de Bordeaux, suite à la faillite des
armateurs des navires sur lesquels ils ont été embarqués. Ne pouvant quitter
les navires sous peine d'être licenciés pour faute et en attendant la mise aux
enchères des navires, ces marins bénéficient de la solidarité de collectifs
d'associations et des municipalités de Nantes et de Saint-Nazaire, qui assurent
notamment le ravitaillement en nourriture et en chauffage. Ils ont également pu
accéder à des soins médicaux grâce aux interventions bénévoles de médecins et
de pharmaciens de la ville ou du centre hospitalier. Elle souhaite connaître
les propositions qu'entend faire le Gouvernement pour trouver une solution
permettant le rapatriement de ces marins, pour contribuer à prendre en charge
la subsistance de ces équipages assurée jusqu'à ce jour par la solidarité
locale, et quelle démarche il envisage d'entreprendre auprès des autorités
russes afin que de telles situations ne se reproduisent plus.
N° 607. - Mme Gisèle Printz rappelle à Mme le ministre de l'environnement que,
le 4 février dernier, un train de combustible nucléaire en provenance
d'Allemagne a déraillé à Apach, à la frontière française. Cet incident n'a eu
heureusement aucune conséquence fâcheuse pour la sécurité des riverains. Il a
causé cependant, et à juste titre, une vive émotion, et a suscité plusieurs
questions de la part de la population, questions qui attendent une réponse du
Gouvernement. 1. Pourquoi ce convoi, en partance de Lingen, à la frontière
entre l'Allemagne et les Pays-Bas, et à destination de l'Angleterre,
effectue-t-il un parcours aussi long par voie terrestre, en passant par la
Lorraine, la Champagne-Ardenne et le Nord - Pas-de-Calais ? 2. Est-il vrai que
plusieurs convois identiques empruntent cet itinéraire plusieurs fois par
semaine ? 3. Peut-on affirmer que la sécurité des populations est bien assurée
? 4. Enfin, les causes de l'accident d'Apach ont-elles pu être définies de
manière formelle ? 5. La possibilité d'un attentat commis par des militants
anti-nucléaires allemands est-elle concevable ? Les populations de ces régions
étant très inquiètes, elle demande à Mme le ministre de l'environnement de les
rassurer en prenant toutes les mesures pour que de tels incidents ne se
reproduisent plus.
N° 608. - M. Jean Bernard attire l'attention de M. le ministre des petites et
moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat sur les inquiétudes des
professionnels de l'hôtellerie et de la restauration, notamment face à la
disparité des taux de TVA qui subsiste entre les produits alimentaires
transformés, et la mise en oeuvre du plan de lutte contre le paracommercialisme
(rapport Radelet). Il lui demande de bien vouloir lui apporter des précisions
sur l'état d'avancement de ces réformes.
N° 609. - M. Claude Billard attire l'attention de M. le ministre du travail et
des affaires sociales sur la situation faite à l'Institut Gustave-Roussy, à la
suite du non-respect par l'Etat des engagements pris dans le cadre de la
signature du contrat d'objectif. Il lui demande en particulier dans quel délai
seront alloués les 12 millions de francs manquants pour que l'engagement
financier de l'Etat soit honoré.
N° 611. - M. Gérard Delfau attire l'attention de M. le ministre du travail et
des affaires sociales sur les conséquences néfastes des réductions budgétaires
imposées au centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier. Au lieu
d'effectuer un plan de rattrapage en faveur des hôpitaux publics les moins
dotés, ces dernières années, il a été choisi de pénaliser les plus performants,
comme celui de Montpellier, sans tenir compte des efforts qu'il a déjà
consentis : 300 lits ont été fermés en trois ans. Chiffre considérable ! De
plus, la CME (Commission médicale d'établissement) a mis sur pied un courageux
projet d'établissement. Or le CHU n'est pas un établissement comme les autres :
à sa fonction de soins, il ajoute celle d'enseignement et de recherche, tout en
maintenant l'accueil des exclus. C'est au service public qu'une fois de plus le
Gouvernement s'attaque, malgré le discours du Président de la République sur la
« fracture sociale ». Il souhaite connaître comment le Gouvernement compte
assumer cette contradiction et, plus particulièrement, quelles mesures de
soutien seront prises en faveur des établissements hospitaliers en danger,
comme celui de Montpellier.
N° 613 - M. Jean-Paul Hugot rappelle à M. le garde des sceaux, ministre de la
justice, que la signalétique pour la protection de l'enfance et de
l'adolescence à la télévision est un premier pas attendu depuis longtemps en
direction d'un meilleur contrôle des émissions de télévision de nature à porter
atteinte gravement à la sensibilité des plus jeunes et des adolescents. Cette
politique de prévention engagée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)
et appliquée par TF 1, France 2, France 3 et M 6 a le grand mérite de mettre en
garde le spectateur contre les émissions de type violent ou pornographique par
un effort de responsabilisation à la réception. Ces mesures vont dans le bon
sens mais ne sont pas suffisantes. Dans le cadre du prochain projet de loi
relatif à la prévention et à la sanction contre les abus sexuels à l'égard des
jeunes enfants et des adolescents, il souhaite savoir quelle politique le
Gouvernement entend mener pour remédier à ces travers desquels résultent un
encouragement ou une incitation aux comportements déviants et dangereux dont la
presse se fait de plus en plus l'écho.
N° 614. - M. Jean Bizet attire l'attention de M. le ministre de l'aménagement
du territoire, de la ville et de l'intégration sur une disposition contenue
dans le décret du 6 mai 1982 relatif à la prime d'aménagement du territoire et
fragilisant le développement des communes situées en zone rurale dans le cadre
de l'acquisition de bâtiments industriels. Il s'avère en effet que le montant
des subventions allouées à l'acquisition et la rénovation de ces bâtiments
industriels fait obligation de se référer à la valeur vénale du bâtiment,
valeur sur laquelle s'applique un plafond de 25 %. Or, dans le cadre de la
mission confiée à l'administration des domaines, en charge d'évaluer la valeur
de l'immobilier, il y a inévitablement fixation de cette valeur en fonction du
marché local particulièrement pénalisant pour les communes rurales. En d'autres
termes, un même dossier sur deux communes différentes, l'une rurale et l'autre
urbaine, se voit ainsi subventionné à des niveaux différents. Si l'on intègre
de plus que les risques inhérents à la pérennité de toute implantation
industrielle sont beaucoup plus grands en zone rurale qu'en zone urbaine, il
lui semblerait pertinent de corriger cette distorsion de concurrence et de
rester ainsi dans l'esprit de la loi d'aménagement du territoire. Il serait
envisageable soit de majorer le taux de subvention pour toute
acquisition-réhabilitation réalisée en zone rurale, soit de prendre en compte
non plus la valeur vénale du bâtiment, mais le coût réel de la construction.
N° 617. - M. Daniel Hoeffel appelle l'attention de M. le ministre du travail
et des affaires sociales sur les inquiétudes soulevées dans le milieu
associatif par les nouvelles dispositions concernant les objecteurs de
conscience. Il apparaît en effet que les associations accueillant des
objecteurs durant la période de leur service national doivent, à compter de
janvier 1997, assurer leur hébergement et leur restauration. N'étant pas en
mesure d'assurer de telles prestations, la majorité des organismes concernés se
voit contraints de verser une indemnité mensuelle à l'employeur qui ne donne
pas lieu à remboursement de la part de l'Etat et se révèle donc une charge très
lourde. Les associations estiment pourtant que le service national doit rester
à la charge de l'Etat, quelle que soit la forme sous laquelle il est effectué.
Il souhaiterait donc connaître les mesures compensatoires que compte prendre le
ministre afin de limiter les conséquences de ce désengagement de l'Etat, qui
apparaît en contradiction avec l'objectif avancé par le Président de la
République, tendant à s'appuyer sur le secteur associatif - auquel les Français
sont très attachés - pour réduire la fracture sociale.
N° 619. - M. Daniel Hoeffel demande à M. le ministre des affaires étrangères
comment il compte coordonner l'action de la « Conférence européenne permanente
» dont il a annoncé récemment le projet de création, avec l'action conduite par
le Conseil de l'Europe, qui regroupe d'ores et déjà quarante pays européens, et
dont les chefs d'Etat et de gouvernement doivent se réunir en octobre 1997.
L'efficacité de la construction européenne ne dépend-elle pas d'abord de la
coordination des structures de coopération déjà existantes ? Ne vaut-il pas
mieux éviter la multiplication d'instances nouvelles qui comportent des risques
de doubles emplois et qui concourront en définitive au brouillage de l'image de
la construction européenne, déjà trop souvent perçue comme peu lisible ?
N° 620. - M. Jean-Claude Carle attire l'attention de M. le ministre de
l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur les abus constatés
en matière de publicité des prix des prestations d'enseignement de la conduite
des véhicules. De plus en plus, des usagers, jeunes pour la plupart, et des
professionnels des écoles de conduite, notamment des centres de formation de
conducteurs routiers (poids lourds ou transports en commun), sont victimes de
dérives inquiétantes en la matière. Certains établissements proposent, en
effet, par voie de presse ou d'affichage, des forfaits pour l'obtention du
permis de conduire dont le coût annoncé, défiant toute concurrence, est
extrêmement séduisant. Il est ainsi fréquent de voir ou d'entendre des
propositions publicitaires pour « un permis à 2 000 F ». Or, il s'avère très
souvent que les sommes effectivement et finalement dépensées par les candidats
après l'acquisition de leur permis de conduire dépassent largement ces
prévisions. La dénomination précise et la durée de chacune des prestations
composant le forfait ne sont pas toujours clairement indiquées. La durée de la
validité de l'offre est souvent très limitée. Enfin, les conditions pratiques
de la formation routière ne réunissent pas toutes les garanties de sécurité,
d'encadrement et de compétences professionnelles et pédagogiques requises. Ce
type d'enseignement réclame pourtant la plus grande vigilance et le plus grand
sérieux, notamment lorsqu'il concerne le transport en commun et routier. Ces
circonstances défavorables entraînent naturellement une mauvaise qualité de
l'apprentissage et un échec à l'examen final. Le candidat est donc contraint de
souscrire des prestations complémentaires auprès de l'établissement de
formation, qui multiplient considérablement son budget prévisionnel. C'est
pourquoi il lui demande quelles pourraient être les mesures à prendre pour
moraliser cette situation et mettre fin à ces dérives.
N° 621. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre
délégué au logement sur le rapport de la fondation Abbé-Pierre sur la situation
du « mal logement en France ». Elle lui rappelle l'existence de 200 000
sans-abri, dont 45 000 pour la région parisienne, et de 1,5 million de
personnes très mal logées. L'exclusion progresse et provoque un accroissement
du nombre de personnes vivant en marge des modes classiques de logement dans
notre pays. Elle lui fait remarquer que, avec la fin de la trêve hivernale pour
les procédures d'expulsion, le nombre d'exclus va se trouver en augmentation si
des décisions ne sont pas prises. Elle lui demande quelles mesures urgentes il
envisage pour interdire toute expulsion fondée sur l'existence de ressources
insuffisantes, le retard de paiement de loyers, le retard de versement
d'allocation telle que l'allocation personnalisée de logement (APL) démontrant
l'impossibilité des personnes concernées de pouvoir acquitter le paiement des
sommes dues et motivant l'expulsion.
N° 622. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre du
travail et des affaires sociales sur l'existence d'un certain nombre de régimes
spéciaux de sécurité sociale versant une pension de retraite dès l'âge de 55
ans : SNCF, RATP, EDF, marins, mineurs, Opéra de Paris. Elle lui fait remarquer
que depuis 1996 les routiers ont à leur tour obtenu la retraite à 55 ans. Elle
lui fait aussi observer que ces régimes spéciaux ont fondé leur décision sur la
pénibilité du travail. Dans le cadre d'une telle analyse, elle lui demande
quelles mesures il envisage pour accorder l'âge de la retraite à 55 ans aux
travailleurs handicapés, aux accidentés, aux salariés du secteur de l'amiante,
qui rencontrent les mêmes caractères de pénibilité dans l'exercice de leur
fonction.
N° 623. - M. Jean-Claude Carle interroge M. le ministre du travail et des
affaires sociales sur la directive européenne du 30 novembre 1989 ainsi que sur
l'article 6 du décret du 11 janvier 1993, qui font obligation aux chefs
d'entreprises de mettre aux normes leurs équipements de travail. La date
d'échéance pour cette mise en conformité a été fixée au 1er janvier 1997. Ce
délai, pour nombre d'entreprises, n'était ni réalisable techniquement ni
supportable financièrement et, en conséquence, des conventions partenariales
ont été négociées par le ministre avec différentes branches professionnelles.
Les entrepreneurs de notre pays lui en sont reconnaissants et tiennent à lui
exprimer leurs remerciements pour son attitude réaliste et responsable.
Cependant, leurs inquiétudes demeurent, car les réponses apportées en la
matière par certaines administrations locales compétentes, et notamment les
directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation
professionnelle, à la suite du dépôt d'un plan collectif, restent
particulièrement floues. Citation : « Je vous précise à toutes fins utiles que
la présente ne vaut ni approbation ni désapprobation de votre plan ou
déclaration et que ce dépôt ne peut vous exonérer de vos éventuelles
responsabilités, notamment en cas d'accident. » En cas d'accident, la
responsabilité du chef d'entreprise serait-elle alors engagée ? Cette
inquiétude est d'autant plus grande à l'égard de l'embauche éventuelle d'un
apprenti, et ce compte tenu des approches différentes du ministère de
l'éducation nationale. A un moment où, sous votre autorité, un effort sans
précédent, et tout à fait justifié, est engagé pour développer l'apprentissage,
l'alternance et une meilleure connaissance de l'entreprise pour nos jeunes, il
semble nécessaire de lever toutes formes d'ambiguïtés. Il le remercie donc des
précisions qu'il voudra bien lui apporter afin de rassurer celles et ceux qui
contribuent au développement économique de notre pays et permettent aux jeunes,
en particulier, d'avoir accès à ce droit fondamental qu'est l'emploi.
N° 625. - M. Claude Billard attire l'attention de M. le ministre de
l'industrie, de la poste et des télécommunications sur les dangers que fait
peser sur le service public de production et de distribution de l'électricité
la directive européenne du 20 décembre 1996 relative à la déréglementation du
secteur électrique. En outre, avant même qu'il ne soit débattu de la
transcription de cette directive dans la loi française, on assiste depuis
plusieurs semaines à une inquiétante accélération du processus de
déréglementation dans le domaine de l'énergie : ainsi se sont enchaînés un
accord sur la flexibilité et l'annualisation du temps de travail à EDF-GDF, la
mise en chantier d'une directive sur le gaz en février, les contrats
d'entreprise entre EDF-GDF et l'Etat en mars. Plusieurs éléments de ces
contrats d'entreprise sont révélateurs de cette marche forcée, en particulier
celui qui a trait à la restructuration du bilan d'EDF. A la lumière de tous ces
faits, il lui demande s'il n'estime pas que la loi de nationalisation de
l'électricité et du gaz de 1946 est progressivement vidée de son contenu et
s'il ne pense pas qu'il conviendrait d'enrayer ce processus.
nomination de rapporteurs
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale désigné :
M. Jean-Pierre Schosteck comme rapporteur sur la proposition de loi n° 324
(1994-1995) modifiant la loi n° 83-829 du 12 juillet 1983 réglementant les
activités privées de surveillance, de gardiennage, de transports de fonds et
relatif à l'activité des agences de recherches privées, en remplacement de M.
Paul Masson ;
M. François Blaizot comme rapporteur sur la proposition de loi n° 226
(1996-1997) tendant à adapter la législation existante afin de permettre aux
magistrats de sanctionner les pratiques délictueuses de certains mouvements
sectaires.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Abus relatifs à la publicité
de certaines écoles de conduite
620.
- 21 mars 1997. -
M. Jean-Claude Carle
attire l'attention de
M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme
sur les abus constatés en matière de publicité des prix des prestations
d'enseignement de la conduite des véhicules. De plus en plus, des usagers,
jeunes pour la plupart, et des professionnels des écoles de conduite, notamment
des centres de formation de conducteurs routiers (poids lourds ou transports en
commun), sont victimes de dérives inquiétantes en la matière. Certains
établissements proposent, en effet, par voie de presse ou d'affichage, des
forfaits pour l'obtention du permis de conduire dont le coût annoncé, défiant
toute concurrence, est extrêmement séduisant. Il est ainsi fréquent de voir ou
d'entendre des propositions publicitaires pour « un permis à 2 000 francs ».
Or, il s'avère très souvent que les sommes effectivement et finalement
dépensées par les candidats après l'acquisition de leur permis de conduire
dépassent largement ces prévisions. La dénomination précise et la durée de
chacune des prestations composant le forfait ne sont pas toujours clairement
indiquées. La durée de la validité de l'offre est souvent très limitée. Enfin,
les conditions pratiques de la formation routière ne réunissent pas toutes les
garanties de sécurité, d'encadrement et de compétences professionnelles et
pédagogiques requises. Ce type d'enseignement réclame pourtant la plus grande
vigilance et le plus grand sérieux, notamment lorsqu'il concerne le transport
en commun et routier. Ces circonstances défavorables entraînent naturellement
une mauvaise qualité de l'apprentissage et un échec à l'examen final. Le
candidat est donc contraint de souscrire des prestations complémentaires auprès
de l'établissement de formation, qui multiplient considérablement son budget
prévisionnel. C'est pourquoi il lui demande quelles pourraient être les mesures
à prendre pour moraliser cette situation et mettre fin à ces dérives.
Situation des mal-logés
621.
- 21 mars 1997. -
Mme Marie-Claude Beaudeau
attire l'attention de
M. le ministre délégué au logement
sur le rapport de la Fondation Abbé Pierre sur la situation du « mal logement
en France ». Elle lui rappelle l'existence de 200 000 sans-abri, dont 45 000
pour la région parisienne, et de 1,5 million de personnes très mal logées.
L'exclusion progresse et provoque un accroissement du nombre de personnes
vivant en marge des modes classiques de logement dans notre pays. Elle lui fait
remarquer qu'avec la fin de la trêve hivernale pour les procédures d'expulsion
le nombre d'exclus va se trouver en augmentation si des décisions ne sont pas
prises. Elle lui demande quelles mesures urgentes il envisage pour interdire
toute expulsion fondée sur l'existence de ressources insuffisantes, le retard
de paiement de loyers, le retard de versement d'allocation telle que
l'allocation personnalisée de logement (APL) démontrant l'impossibilité des
personnes concernées de pouvoir acquitter le paiement des sommes dues et
motivant l'expulsion.
Retraite à cinquante-cinq ans
622.
- 21 mars 1997. -
Mme Marie-Claude Beaudeau
attire l'attention de
M. le ministre du travail et des affaires sociales
sur l'existence d'un certain nombre de régimes spéciaux de sécurité sociale
versant une pension de retraite dès l'âge de cinquante-cinq ans : SNCF, RATP,
EDF, marins, mineurs, Opéra de Paris. Elle lui fait remarquer que, depuis 1996,
les routiers ont à leur tour obtenu la retraite à cinquante-cinq ans. Elle lui
fait aussi observer que ces régimes spéciaux ont fondé leur décision sur la
pénibilité du travail. Dans le cadre d'une telle analyse, elle lui demande
quelles mesures il envisage pour accorder l'âge de la retraite à cinquante-cinq
ans aux travailleurs handicapés, aux accidentés, aux salariés du secteur de
l'amiante, qui rencontrent les mêmes caractères de pénibilité dans l'exercice
de leurs fonctions.
Mise aux normes européennes des équipements de travail
623.
- 21 mars 1997. -
M. Jean-Claude Carle
interroge
M. le ministre du travail et des affaires sociales
sur la directive européenne du 30 novembre 1989 ainsi que l'article 6 du décret
du 11 janvier 1993 qui font obligation aux chefs d'entreprise de mettre aux
normes leurs équipements de travail. La date d'échéance pour cette mise en
conformité a été fixée au 1er janvier 1997. Ce délai, pour nombre
d'entreprises, n'était ni réalisable techniquement, ni supportable
financièrement et, en conséquence, des conventions partenariales ont été
négociées par le ministre avec différentes branches professionnelles. Les
entrepreneurs de notre pays lui en sont reconnaissants et tiennent à lui
exprimer leurs remerciements pour son attitude réaliste et responsable.
Cependant, leurs inquiétudes demeurent car les réponses apportées en la
matière, par certaines administrations locales compétentes, et notamment les
directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation
professionnelle, à la suite du dépôt d'un plan collectif, restent
particulièrement floues. Citation : « Je vous précise à toutes fins utiles que
la présente ne vaut ni approbation ni désapprobation de votre plan ou
déclaration et que ce dépôt ne peut vous exonérer de vos éventuelles
responsabilités, notamment en cas d'accident ». En cas d'accident, la
responsabilité du chef d'entreprise serait-elle alors engagée ? Cette
inquiétude est d'autant plus grande à l'égard de l'embauche éventuelle d'un
apprenti et ce, compte tenu des approches différentes du ministère de
l'éducation nationale. A un moment où, sous votre autorité, un effort sans
précédent, et tout à fait justifié, est engagé pour développer l'apprentissage,
l'alternance et une meilleure connaissance de l'entreprise pour nos jeunes, il
semble nécessaire de lever toutes formes d'ambiguïtés. Il le remercie donc des
précisions qu'il voudra bien lui apporter afin de rassurer celles et ceux qui
contribuent au développement économique de notre pays et permettent aux jeunes,
en particulier, d'avoir accès à ce droit fondamental qu'est l'emploi.
Utilisation des autoroutes de l'information dans les écoles
624.
- 21 mars 1997. -
Mme Hélène Luc
attire l'attention de
M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche
suite à plusieurs annonces émanant tant du Gouvernement que de différentes
personnalités dont dernièrement le Président de la République et concernant les
possibilités d'utilisation des autoroutes de l'information et de l'Internet
dans les établissements scolaires. Elle lui demande en particulier quelles
mesures il envisage de prendre en terme de moyens humains, techniques et de
crédits d'Etat pour la concrétisation de ces projets de développements des
autoroutes de l'information au sein des écoles, des collèges et des lycées.
Déréglementation du secteur électrique
625.
- 24 mars 1997. -
M. Claude Billard
attire l'attention de
M. le ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications
sur les dangers que fait peser sur le service public de production et de
distribution de l'électricité, la directive européenne du 20 décembre 1996
relative à la déréglementation du secteur électrique. En outre, avant même
qu'il ne soit débattu de la transcription de cette directive dans la loi
française, on assiste depuis plusieurs semaines à une inquiétante accélération
du processus de déréglementation dans le domaine de l'énergie : ainsi se sont
enchaînés un accord sur la flexibilité et l'annualisation du temps de travail à
EDF-GDF, la mise en chantier d'une directive sur le gaz en février, les
contrats d'entreprise entre EDF-GDF et l'Etat en mars. Plusieurs éléments de
ces contrats d'entreprise sont révélateurs de cette marche forcée, en
particulier celui qui a trait à la restructuration du bilan d'EDF. A la lumière
de tous ces faits, il lui demande s'il n'estime pas que la loi de
nationalisation de l'électricité et du gaz de 1946 est progressivement vidée de
son contenu et s'il ne pense pas qu'il conviendrait d'enrayer ce processus.
Moyens d'intervention des conseillers pédagogiques
626. - 25 mars 1997. - M. René-Pierre Signé appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les inquiétudes des conseillers pédagogiques. L'enveloppe budgétaire destinée au paiement de leurs déplacements en diminution constante ne leur permet plus d'effectuer correctement leurs missions en zone rurale, pénalisant ainsi leurs collègues ayant élaboré un projet d'école. Dans la Nièvre, département essentiellement rural, leur circonscription d'intervention est parfois très étendue (plus de 80 kilomètres carrés), la décision du Gouvernement de réduire les frais de déplacement ne peut que défavoriser les enfants privés d'un soutien indispensable à un bon équilibre scolaire. Il paraît difficile, au moment où M. le Président de la République souhaite éradiquer l'illettrisme, développer l'informatique, la pratique des arts plastiques, de la musique et du sport à l'école, de négliger ceux dont la tâche est de mettre en place, avec les enseignants, ces activités. Il lui demande de lui indiquer quelles mesures seront prises pour remédier à cette situation.