POLITIQUE EUROPÉENNE DE LA FRANCE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur la politique européenne de la France.
La parole est à M. le ministre.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, vous avez souhaité avoir un débat sur la politique
européenne de la France. Je crois en effet souhaitable, même nécessaire, que
nous nous donnions régulièrement, comme nous l'avons fait à plusieurs reprises,
l'occasion de faire le point ensemble sur l'évolution du processus européen.
La date d'aujourd'hui est bien choisie puisque nous sommes à quelques jours du
25 mars, anniversaire du...
M. Lucien Neuwirth.
Traité de Rome !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
En effet, ce sera le quarantième
anniversaire du traité de Rome.
En outre, dans trois mois, à Amsterdam, la Conférence intergouvernementale
devrait achever ses travaux à l'occasion du sommet des chefs d'Etat et de
gouvernement. Enfin, à Madrid, les 8 et 9 juillet, seront définis l'ensemble
des chapitres qui relèvent de la sécurité en Europe à l'occasion d'un sommet de
l'Alliance atlantique, élargi à l'ensemble des pays d'Europe concernés.
Je voudrais une fois de plus réaffirmer - le Gouvernement et la majorité ont
eu maintes fois l'occasion de le faire - la priorité que constitue l'engagement
européen de la France.
Cet engagement n'est pas un vain mot ; c'est un choix politique majeur de la
diplomatie française. Ce n'est pas nouveau : il en est ainsi depuis quarante
ans.
Il est vrai que, parallèlement, le monde a changé. L'environnement n'est plus
le même. Les circonstances ont profondément évolué. Aussi, nous devons être
capables, nous qui sommes des Européens convaincus, d'adapter notre réflexion
et notre action à l'évolution que nous constatons autour de nous.
La France, vous le savez, souhaite un monde ouvert sur l'extérieur,
respectueux des différences, organisé sur une base multilatérale, équilibré
entre des pôles d'influence, non pas un monde dominé par une puissance unique,
une langue unique, une pensée unique, voire des produits uniques. Bien entendu,
dans ce monde nouveau, nous voulons que notre pays ait toute sa place.
Il est clair, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'Europe est la condition
de ce nouvel équilibre mondial. C'est en nous appuyant sur la construction
patiente, parfois décevante, mais toujours déterminée, de notre projet européen
que nous assurerons le mieux la défense de nos intérêts, le rayonnement de
notre continent et le nôtre propre à travers le monde.
Or, comme je vous l'ai dit, beaucoup de choses ont changé.
D'abord, vous le savez, l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale
souhaitent entrer dans l'Union européenne. S'ils ne sont pas tous prêts à le
faire, ils sont tous ardemment désireux d'y parvenir et, à des titres divers,
ils se sont engagés dans des choix politiques et économiques, dans des efforts
et parfois de lourds sacrifices à cette fin.
Je dirai ensuite que, face à la globalisation de l'économie mondiale - dont je
persiste à penser qu'elle offre à notre pays des opportunités, des chances que
nous sous-estimons - l'Europe est l'une des clés de la réussite française et
européenne.
Face à ces changements profonds qui, je le répète, affectent le cadre dans
lequel s'inscrit notre politique européenne et, forcément, ont des conséquences
importantes sur notre façon d'appréhender notre projet européen, la France a
quatre objectifs : réussir la monnaie unique ; accueillir les pays associés
d'Europe centrale et orientale ; faire de l'Europe un espace plus juste et plus
sûr ; enfin, mettre l'Europe en mesure d'assumer toutes ses responsabilités
internationales.
J'évoquerai successivement ces quatre points, qui, me semble-t-il, sont tous
les quatre d'actualité.
Le premier de ces objectifs est la réussite de la monnaie unique. Il s'agit
là, mesdames, messieurs les sénateurs - j'espère que vous en avez bien
conscience - du grand projet européen de cette fin de siècle. Ce n'est pas un
simple projet financier, monétaire, économique ; c'est un vrai projet
politique, c'est le vrai projet fédérateur européen. Il créera entre les pays
concernés des solidarités nouvelles et, je n'en doute absolument pas, une
dynamique nouvelle dont les conséquences sont encore insoupçonnées mais dont la
perspective correspond très précisément au projet que, depuis quarante ans,
nous avons patiemment élaboré ensemble.
Mme Hélène Luc.
Il faut vraiment que ça change !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Je sais bien que, ici et là, des voix
se font entendre, des interrogations se font jour !...
Mme Hélène Luc.
Ça, c'est clair ! Ce ne sont pas que des voix, d'ailleurs !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
... ne faudrait-il pas aménager le
calendrier ? Ne faudrait-il pas assouplir les critères ?
La réponse est simple : dans les deux cas, il faudrait modifier le traité ! Le
calendrier et les critères ne sont pas des éléments dont nous pouvons discuter
à chaque conseil des ministres européen ou à chaque sommet, que nous pouvons
modifier comme il nous convient.
Si l'on veut s'abstraire du calendrier ou des exigences prévues en matière de
critères, il faut négocier une nouvelle rédaction du traité. Et vous sentez
très bien que, sur ces deux points, on ne trouverait pas aujourd'hui, au sein
de l'Union européenne, une quelconque volonté de modifier le traité.
M. Paul Loridant.
Ah bon ?
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Pour le Gouvernement français, il
n'existe donc qu'une seule voie : le respect du traité, c'est-à-dire du
calendrier et des critères. Tout le traité bien entendu, mais rien que le
traité !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est déjà pas mal !
M. Paul Loridant.
Chiche !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
En clair, pour la France et
l'Allemagne, qui sont les pivots de ce grand projet, ne pas être prêtes en
temps et en heure, cela signifierait l'échec de la troisième phase de l'Union
économique et monétaire car, sans nos deux pays, rien n'est possible.
Pour les autres, cela signifie que leur intégration dépendra strictement et
uniquement de leur aptitude à être comme nous, comme nous le serons, prêts en
temps et en heure.
M. Paul Loridant.
Vive le chômage !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Pour ceux qui ne le seront pas, un
nouveau système commun de change, en cours d'élaboration, permettra de les
associer à la zone de stabilité de l'euro. Le nouveau mécanisme permettra
d'organiser les éléments de stabilité monétaire dont nous avons besoin pour
combattre le chômage et mieux défendre notre force économique et nos emplois
dans le monde.
Mme Hélène Luc.
Vous auriez dû venir à Bruxelles, dimanche dernier, monsieur le ministre, et
vous auriez vu !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Enfin, pour tous les participants à la
troisième phase, pour ceux qui accéderont à la monnaie unique, la création de
l'euro devra être assortie d'un pacte de stabilité et de croissance, aux termes
duquel les uns et les autres devront s'engager à mener, demain, une politique
sage et raisonnable en vue de la stabilité et de la croissance, sans d'ailleurs
qu'aucun lien mécanique n'impose quoi que ce soit.
Le conseil de stabilité sera le lieu de ce travail en commun, de cette
concertation, de cette discussion, qui nous permettra de mener, ensemble, des
politiques économiques et financières propres à assurer le succès de ce vaste
projet qu'est la monnaie unique européenne.
Sur ce premier projet, je crois pouvoir dire que la détermination française
est, désormais, non seulement connue de tous, mais aussi clairement reconnue
par la communauté internationale. C'est pourquoi, aujourd'hui, le monde entier
considère qu'au 1er janvier 1999 circulera effectivement cette nouvelle monnaie
que nous avons décidé de baptiser « euro ».
Notre deuxième ambition est d'accueillir les pays associés d'Europe centrale
et orientale. Ayant déjà eu l'occasion d'évoquer cette question devant vous, je
vais pouvoir en venir rapidement aux éléments concrets du dossier.
Je rappelle qu'il s'agit, en l'espèce, de réaliser ce que nous n'avons jamais
réussi à faire en Europe, c'est-à-dire l'unité du continent européen, et cela
non par la force - l'histoire européenne est émaillée de tentatives d'imposer
la domination des uns sur les autres par la force - mais par la volonté des
nations et par la décision des peuples.
C'est donc un projet sans précédent dans notre histoire et c'est une ambition
de portée considérable. Bien sûr, je ne l'ignore nullement, son achèvement
soulève aussi des problèmes.
Il s'agit de réaliser cette grande Europe qui réunira les quinze pays de
l'Union européenne d'aujourd'hui et les onze pays associés candidats à l'Union
européenne, sans compter, probablement, dans un avenir plus ou moins lointain,
à condition qu'ils aient fait d'ici là les efforts multiples que cela suppose,
les autres pays d'Europe qui sont encore actuellement confrontés à leurs
propres problèmes ; je pense en particulier aux pays des Balkans, auxquels la
porte européenne sera naturellement ouverte le jour venu.
Dès le début des discussions, la France a insisté sur le fait que le processus
était ouvert à tous : il ne saurait être question d'imaginer un dispositif dans
lequel on ouvrirait la porte à deux ou trois pays - on voit bien lesquels - et
on la fermerait aux autres.
Six mois après l'achèvement des travaux de la Conférence intergouvernementale,
donc à l'occasion du Conseil de Luxembourg, en décembre 1997, nous serons, je
l'espère, en mesure d'ouvrir le processus d'adhésion des onze pays associés
d'Europe centrale et orientale.
Naturellement, dans ce processus, qui commencera le même jour pour tous, il y
aura des étapes et des différenciations. Certains pays seront en état d'engager
immédiatement le processus d'adhésion proprement dit, alors que d'autres auront
besoin d'un délai supplémentaire.
M. Hélène Luc.
Ça, ce n'est pas l'Europe de l'égalité et de la solidarité, monsieur le
ministre !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Cependant, j'insiste sur la nécessité
d'offrir à tous les pays la même perspective, les mêmes chances et l'assurance
qu'ils seront, le jour J, sur la même ligne de départ.
Après, toutes les différences qui pourront exister dans le calendrier et dans
les procédures seront uniquement dues à leur situation propre et non pas à la
volonté de l'Union, qui, quant à elle, doit être disposée à accueillir les uns
et les autres d'un même pas et avec le même enthousiasme.
La France a proposé que, en 1998, soit constituée ce que nous avons appelé la
« conférence européenne », lieu de concertation et de dialogue entre les Quinze
et les Onze, entre les Vingt-six par conséquent, de manière que, pendant cette
période où nos différents partenaires de l'Europe centrale et orientale ne
seront pas encore membres de l'Union européenne, puisse se nouer un dialogue
politique portant sur tous les sujets d'intérêt commun.
Cette conférence ne doit en aucune façon être en charge de la procédure
d'adhésion, qui est par définition une procédure bilatérale entre tel Etat et
l'Union européenne. Elle a strictement pour vocation de constituer un lieu de
dialogue entre les vingt-six Etats européens pendant toute cette période.
Nous avons proposé que cette conférence se réunisse une fois par an au niveau
des chefs d'Etat et de Gouvernement, ainsi qu'une fois par an au niveau des
ministres, et je peux vous annoncer aujourd'hui que nos partenaires de l'Union
européenne ont adopté cette proposition, le week-end dernier, à Appeldoorn.
Nous en sommes par conséquent aujourd'hui à l'examen en commun des modalités
pratiques de ce qui est désormais un projet européen.
Bien entendu, c'est dans cette perspective de l'élargissement que nous
abordons la Conférence intergouvernementale et que les différents dossiers
qu'elle a à traiter doivent être examinés.
Je voudrais, devant vous, m'attarder sur trois d'entre eux, qui nous
paraissent essentiels.
Il s'agit, tout d'abord, d'ajuster le poids respectif des différents pays, en
fonction des réalités démographiques, économiques et politiques, au sein des
instances de l'Union européenne.
Il est temps, en effet, de prendre conscience qu'au fil des élargissements
successifs ce poids respectif a été petit à petit dénaturé.
Pour ce qui est, en particulier, du poids de la France - parce que je suis
devant vous avec l'unique souci de défendre les intérêts de notre pays - il
convient de relever qu'il s'est amenuisé. J'ai déjà très clairement indiqué
que, à nos yeux, pour que les institutions communautaires retrouvent toute leur
légitimité et qu'elles soient, demain, en mesure de prendre des décisions,
autrement dit pour que l'élargissement ne signifie pas paralysie, il fallait
notamment que la France, compte tenu de la capacité d'influence qu'elle
revendique légitimement, retrouve progressivement dans les institutions
européennes la place qui lui revient.
M. Lucien Neuwirth.
Très bien !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Cela implique au premier chef que, au
sein du Conseil des ministres européen, soit reconsidérée l'actuelle
pondération des voix, et qu'elle le soit, je le répète, dans la perspective de
l'élargissement de telle façon que nous soyons demain en état de peser sur les
décisions en fonction du poids que représente notre pays. Nous ne demandons pas
plus, mais nous ne voulons pas moins.
M. Lucien Neuwirth.
Très bien !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Je le dis devant vous avec une certaine
spontanéité parce que j'estime qu'il faut dire les choses comme elles sont.
Dès lors, il devient possible de suggérer l'extension - que je crois
nécessaire - du champ des décisions prises à la majorité qualifiée. En effet,
on le perçoit déjà à quinze et ce sera encore plus net à vingt-six, la règle de
l'unanimité risque de paralyser toute décision.
Il y a donc un lien très précis entre les propositions que fait la France en
vue d'élargir le champ des décisions prises à la majorité qualifiée et son
aptitude à modifier la pondération des voix au sein du Conseil des
ministres.
Il en va d'ailleurs de même en ce qui concerne le Parlement européen.
Celui-ci, au fur et à mesure des élargissements, si l'on maintient les bases
actuelles, finira par compter, quand la procédure d'élargissement sera arrivée
à son terme, c'est-à-dire dans une dizaine d'années, 1 200 ou 1 300 membres
!
Qu'est-ce qu'un Parlement qui devient une foule ?
Il faut donc avoir à l'esprit que l'effectif des parlementaires européens
devra nécessairement être plafonné : un nombre de 700 me paraîtrait
raisonnable. Par conséquent, il conviendra, dans cette optique, de réajuster la
représentation des différents Etats membres. Nous serons attentifs à ce que, au
sein du Parlement européen aussi, chaque pays dispose d'une place qui soit
proportionnée à son propre poids.
Le deuxième dossier qui doit être examiné par la Conférence
intergouvernementale en liaison avec l'élargissement concerne le principe de
subsidiarité.
Il est temps pour nous, mesdames, messieurs les sénateurs, de marquer que la
subsidiarité est, à nos yeux, un principe de base de l'organisation
européenne.
J'ai constaté qu'un progrès substantiel avait été accompli puisque, dans le
traité, grâce à la France, figure un article qui l'évoque. C'est bien. Mais je
n'en perçois jamais aucune application.
C'est pourquoi, en dépit de toutes les réserves que j'ai bien observées chez
nos partenaires de l'Union européenne, réserves partagées, il faut bien
l'admettre, dans certains milieux français, je suis décidé à faire en sorte
qu'une procédure permette de protéger l'application du principe de subsidiarité
dans les institutions européennes.
Enfin, troisième dossier : nous avons souhaité introduire dans le débat de la
Conférence intergouvernementale ce que nous avons appelé une « clause de
coopération renforcée », que d'autres appelleront une « clause de flexibilité
». Quoi qu'il en soit, l'idée est simple : il s'agit de permettre à ceux qui
veulent aller plus vite et plus loin de pouvoir le faire.
Aller plus vite et plus loin, nous pouvons le faire en dehors de l'Union
européenne. L'accord de Schengen en est une bonne illustration : il montre que
l'on peut faire des progrès et prendre des initiatives en dehors de l'Union
européenne.
Sur cette proposition, la France a été rejointe par l'Allemagne. C'est ainsi
devenue une proposition franco-allemande.
Nous avons formulé des suggestions très précises à cet égard, et je constate
qu'elles sont prises en considération avec un grand intérêt par la
quasi-totalité de nos partenaires.
Je tiens ici à insister sur un point que vous devez avoir présent à l'esprit,
car il demeurera jusqu'au dernier moment de la négociation un point clé : nous
n'accepterons pas l'idée selon laquelle un projet de coopération renforcée
devrait recevoir l'accord unanime des Etats membres de l'Union européenne. En
effet, l'exigence d'une telle unanimité aurait, en réalité, pour effet direct
de tuer l'idée de coopération renforcée à quelques-uns.
Toutefois, pour que cette possibilité de coopération renforcée soit ouverte et
s'inscrive clairement dans notre projet européen global, nous sommes prêts à
proposer la fixation de quelques règles communes.
Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous espérons parvenir à une Europe
plus sûre et plus juste. Afin de ne pas allonger ce débat, je me limiterai, sur
ce point, à quelques réflexions générales.
Une Europe plus sûre, cela signifie que, dans le cadre de la Conférence
intergouvernementale, nous souhaitons parachever l'espace de liberté, de
sécurité et de droit en Europe. Le débat est simple : oui, nous sommes d'accord
pour améliorer la libre circulation des personnes au sein de l'Union
européenne, sous réserve que des progrès aient été préalablement accomplis dans
le domaine de la sécurité intérieure de nos nations et de l'Union.
En effet, des progrès doivent être réalisés en matière de lutte contre la
drogue, de lutte contre le terrorisme et de lutte contre la criminalité.
Lorsqu'ils l'auront été, nous pourrons, d'ici à quelques années, décider à
l'unanimité d'assouplir les règles relatives à la libre circulation des
personnes à l'intérieur de l'Union.
Une Europe plus sûre, disais-je, mais aussi une Europe plus juste. Le débat
portera essentiellement sur le protocole social européen.
M. Paul Loridant.
Il existe ?
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Nous souhaitons que ce protocole, qui
est annexé au traité sur l'Union européenne et qui a une portée juridique,
prenne désormais toute sa place.
M. Paul Loridant.
Dépêchez-vous !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Nous souhaitons qu'il soit accepté par
l'ensemble des Etats membres - l'un d'entre eux l'a rejeté - afin de pouvoir
progresser dans un domaine dans lequel il faut - et l'actualité le montre très
bien et, hélas ! de façon plutôt malheureuse -...
M. Paul Loridant.
Hélas !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
... fixer des normes européennes et
encourager le dialogue social européen si nous voulons que les Européens aient
le sentiment d'appartenir à une communauté de destin dans laquelle les règles
et les risques sont les mêmes pour tous.
M. Pierre Fauchon.
Très bien !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Dans cette Europe plus juste, nous
souhaitons que soient reconnues la place des services publics et celle de nos
régions d'outre-mer. Nous sommes associés, dans cette démarche, avec l'Espagne
et le Portugal.
Enfin, nous voulons que l'Europe soit, demain, une puissance capable de
défendre ses intérêts dans le monde.
M. Paul Loridant.
Vive l'OTAN !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Dans tous les pays où je me rends, je
suis surpris par l'attente qui est manifestée par les populations envers
l'Europe.
Le Président de la République est revenu ce matin d'un long périple en
Amérique du Sud qui a été un succès remarquable pour notre pays.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
C'est vrai.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous verrons !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Tout comme M. de Villepin, qui était
avec moi pendant une partie de ce voyage, j'ai été surpris par l'attente que
manifestait l'Amérique latine - j'avais d'ailleurs constaté la même en Asie - à
l'égard du continent européen, et tout particulièrement de la France, dont
l'histoire, la culture, le poids politique et l'efficacité économique sont
autant d'éléments attractifs.
Mais encore faut-il que les Européens s'organisent pour assumer pleinement les
responsabilités qui s'imposent à eux. C'est la raison pour laquelle nous
proposons que l'Europe ait une politique étrangère et de sécurité commune.
Permettez-moi d'exposer brièvement celle-ci.
Il ne s'agit nullement d'abandonner la politique étrangère française à une
autorité commune européenne. Les nations ont leur poids et leur tradition, et
nous avons nous-mêmes notre ambition, à laquelle nous ne voulons pas renoncer.
Mais il est bien évident que, sur un certain nombre de sujets...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Lesquels ?
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
... il peut être et il sera même
nécessaire, à un moment donné, d'agir en commun. Ainsi procédons-nous
aujourd'hui au Proche-Orient grâce à la désignation d'un envoyé européen, M.
Moratinos, qui accomplit un excellent travail.
La politique étrangère européenne consiste aussi à laisser les chefs d'Etat et
de gouvernement décider une action commune et à confier ensuite aux ministres
des affaires étrangères la mise en oeuvre de cette décision.
La décision prise par les chefs d'Etat et de gouvernement doit l'être à
l'unanimité, quitte ensuite à ce que les ministres des affaires étrangères, au
moment de sa mise en oeuvre puissent agir à la majorité qualifiée. Des
procédures originales, dites « d'abstention constructive », peuvent être
instaurées afin de permettre à tel ou tel pays de ne pas participer à une
action commune s'il le juge opportun.
C'est pour cette raison que nous souhaitons aussi instituer un « haut
représentant » - nous pouvons débattre de son appellation - chargé de la mise
en oeuvre des décisions prises par les chefs d'Etat et les ministres des
affaires étrangères.
La crise en Albanie, les difficultés que connaissent la République fédérale de
Yougoslavie et la Serbie montrent à quel point il serait nécessaire d'avoir un
processus plus clair et plus déterminé pour définir en commun les ambitions
mondiales que l'Europe est en mesure d'avoir aujourd'hui et que le monde entier
attend d'elle.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je
souhaitais vous soumettre à l'ouverture de ce débat.
L'Europe est souvent un sujet d'interrogations et, n'étant ni aveugle ni
sourd, j'ai bien compris que, dans notre pays, mais aussi dans l'Europe
entière, monte une espèce « d'euroscepticisme », de doute, à l'égard du projet
européen.
Mme Hélène Luc.
Ce doute se développe.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Mais si ce scepticisme sévit en Europe,
il n'existe pas dans le monde.
M. Paul Loridant.
C'est la lucidité même !
Mme Hélène Luc.
Pourquoi les ouvriers de Renault sont-ils sceptiques, monsieur le ministre
?
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Non seulement le monde ne doute pas que
l'Europe devra être l'un des premiers ensembles régionaux du monde au xxie
siècle mais il le souhaite.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Vingt millions de chômeurs en Europe, voilà de quoi rendre sceptique !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Qu'attendons-nous pour avoir la détermination et la lucidité qui nous
permettent de mener à terme ce projet ?
C'est sur cette interrogation, mesdames, messieurs les sénateurs, que
j'achèverai mon intervention.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc.
Je pensais que vous alliez nous parler de Renault, monsieur le ministre !
M. Paul Loridant.
On va le faire !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, mes premiers mots seront pour remercier le Gouvernement, d'une part,
de l'organisation de ce débat sur la politique européenne de notre pays et,
d'autre part, du souci de transparence et d'information qu'il manifeste, en
particulier sur l'avancement des travaux de la Conférence
intergouvernementale.
Nous avons failli payer très cher, voilà quelques années, l'opacité des
négociations qui ont conduit à l'élaboration du traité de Maastricht. Il n'a
peut-être jamais été plus important qu'aujourd'hui d'expliquer inlassablement à
nos concitoyens les raisons stratégiques de notre engagement européen que sont
la paix et la prospérité sur notre continent. En effet, ce sont elles qui
justifient encore les objectifs de la monnaie unique, de la Conférence
intergouvernementale et de l'élargissement.
Non - et la situation en Albanie le rappelle aujourd'hui cruellement - il n'y
a pas trop d'Europe. Non, il n'y a pas d'alternative historique à
l'approfondissement de la construction européenne.
J'évoquerai d'abord les modalités du passage à l'euro pour affirmer avec force
que la monnaie unique doit être un facteur de rassemblement, et non de
division, des Français, car elle sera un facteur de puissance, et non
d'affaiblissement, de notre pays.
Mme Hélène Luc.
Cela, vous le décrétez ! Malheureusement, la réalité est différente !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Je ne décrète rien,
madame Luc, je constate !
Je note, d'abord, que la question posée aujourd'hui est non plus : « Faut-il
créer la monnaie unique ? » mais : « Quels sont les moyens les plus adaptés
pour mettre en place l'euro dans les conditions les plus avantageuses ? »
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il faut déjà faire un référendum !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Une étape
déterminante a été franchie. L'euro est désormais, en dépit des difficultés,
sur la bonne voie ; ce qui apparaissait encore, voilà deux ans, comme un
objectif bien incertain est aujourd'hui considéré comme une forte probabilité
par tous les acteurs, à commencer par les grandes puissances financières
mondiales, longtemps incrédules.
La volonté française n'y est pas pour rien, et il faut rendre hommage au chef
de l'Etat et au Gouvernement pour leur engagement européen et leur
détermination à réussir la monnaie unique. En dépit des difficultés de l'heure,
qui auraient pu les conduire à choisir la voie de la facilité, ils ont
privilégié le long terme, le courage politique et, au bout du compte, l'intérêt
du pays.
Je rappelle aussi que les conditions du succès de l'euro ont été désormais
clairement identifiées. Si les parités monétaires au sein de l'Union européenne
paraissent aujourd'hui conformes aux réalités économiques, il faudra veiller à
ce qu'il en aille de même de la parité de l'euro par rapport au dollar, même
si, avec la monnaie unique, la France et ses partenaires seront,
ipso
facto,
moins dépendants des fluctuations monétaires.
Il faudra, ensuite, nous mettre à l'abri, par des règles du jeu précises, des
dévaluations compétitives, inacceptables dans un marché unique.
Il faudra, par ailleurs, organiser, à côté de la Banque centrale européenne,
la capacité du pouvoir politique à assumer ses responsabilités en matière de
politique économique pour assurer l'essentiel, à savoir la croissance et
l'emploi.
Pouvez-vous nous préciser sur ce point, monsieur le ministre, les positions de
nos partenaires européens relatives au futur « conseil de stabilité », dont
l'Allemagne a désormais admis le principe ?
Je souligne, enfin, que la création d'une monnaie unique est un formidable
enjeu.
L'enjeu est bien sûr économique : il s'agit de permettre à l'Europe de
disposer d'une monnaie mondiale susceptible de faire contrepoids au dollar et
au yen. Cet objectif justifie, si besoin était, les critères de convergence qui
ne sont, je le rappelle, que des critères de bon sens et de bonne gestion, dont
on ne saurait bien évidemment s'estimer affranchis une fois passé le cap de
1999. C'est pourquoi il était indispensable de prévoir le « pacte de stabilité
et de croissance », qui, je le précise, n'ajoute rien au traité de
Maastricht.
Au bout du compte, la monnaie unique est avant tout, un projet politique
majeur. Comme le marché unique hier, l'euro constituera un facteur décisif de
solidarité et d'intégration approfondie des pays européens. Il appellera à son
tour de nouveaux progrès dans la construction de l'Europe, à commencer - c'est
ma conviction - par l'harmonisation des systèmes fiscaux. Cela signifie non pas
l'identité des fiscalités, mais leur compatibilité, pour éviter que la
redistribution des forces productives entre pays européens ne se fasse
systématiquement aux dépens des pays les plus imposés.
Je conclurai sur ce point, monsieur le ministre, par une question. La liste
des pays qui adopteront l'euro dès 1999 doit être arrêtée « aussitôt que
possible en 1998 ». Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce point ?
Mme Hélène Luc.
Il faut d'abord demander son avis au peuple par référendum, comme M. Chirac
l'a promis ! Pourquoi n'organise-t-on pas ce référendum ?
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
C'est assez dire, je
crois, que la réussite politique de la construction européenne se jouera,
fondamentalement, sur celle de la monnaie unique. Faut-il pour autant en
conclure que la CIG arriverait en quelque sorte trop tôt et que le seul
rendez-vous stratégique serait celui de l'Union économique et monétaire ? Je ne
le pense pas. En effet, il me paraît impératif de maintenir un haut niveau
d'ambition pour les négociations en cours. Vous nous l'avez dit, monsieur le
ministre, et vous avez raison : nous connaissons l'enjeu - les conditions du
futur élargissement de l'Union à dix ou douze nouveaux Etats membres - et le
risque, qui n'est pas théorique, d'une paralysie des institutions européennes
et d'une dilution de la construction communautaire.
Sauf à penser que les prochaines élections britanniques, le 1er mai, vont tout
régler - ce qui me paraîtrait constituer une stratégie bien hasardeuse - une
vigoureuse impulsion politique doit, je crois, encore être donnée.
M. Paul Loridant.
Les Britanniques vont faire un référendum !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Des progrès
significatifs ont été accomplis grâce notamment aux propositions du Président
Chirac et du Chancelier Kohl. Cela suffira-t-il ? Si tel n'était pas le cas,
a-t-on envisagé, monsieur le ministre, l'idée d'un nouveau sommet des chefs
d'Etat et de gouvernement, qui accroîtrait sans doute les chances de parvenir à
un accord lors du Conseil européen d'Amsterdam en juin prochain ?
Mme Hélène Luc.
Tout cela est bien fragile !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Je souhaiterais
également, monsieur le ministre, que vous puissiez préciser devant le Sénat
l'état des négociations et les chances de voir aboutir les positions françaises
sur deux dossiers essentiels.
L'efficacité et la démocratisation des institutions - qui constituaient, je le
rappelle, l'objectif initial de la CIG - passent par une Commission européenne
fortementresserrée et réellement collégiale, et par un plafonnement des
effectifs au Parlement européen. Mais je crois, personnellement, que le déficit
de légitimité dont souffre l'assemblée de Strasbourg résulte aussi, notamment
en France, des modalités de désignation de ses membres. Où en est précisément,
monsieur le ministre, la réflexion du Gouvernement à ce sujet ?
Mme Hélène Luc.
Bonne question !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Quel calendrier
envisage-t-il pour une éventuelle modification du mode d'élection des députés
européens ?
Se posent ensuite deux questions, qui sont, à mes yeux, les plus
importantes.
Il s'agit, d'abord, de revoir la pondération des voix au sein du Conseil des
ministres.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Tout à fait
!
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Je rappelle que les
cinq grands Etats représentant 85 % de la population ne disposent que d'environ
50 % des droits de vote. La France, qui en détient aujourd'hui 11,5 %, n'en
aurait plus que 7,7 % dans une Europe à vingt-six. J'estime donc que la
nouvelle pondération doit nécessairement prendre en compte l'importance
démographique et économique des Etats. C'est une condition essentielle à
l'extension, par ailleurs indispensable, des matières relevant de la majorité
qualifiée.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
En effet, c'est un
point central de la défense des intérêts de la France dans une Europe
élargie.
Il s'agit ensuite d'inscrire dans le traité la possibilité de « coopérations
renforcées ». Je reprendrai ici une expression du Chancelier Kohl : « Ce n'est
pas le navire le plus lent qui doit définir la vitesse du convoi. » Nos idées
semblent avoir, sur ce point, sensiblement progressé. Pouvez-vous nous
apporter, monsieur le ministre, des précisions ?
Le deuxième dossier majeur à l'ordre du jour de la CIG - la politique
étrangère et de sécurité commune - me conduit d'abord, vous le comprendrez,
monsieur le ministre, à aborder dès aujourd'hui la situation en Albanie, que
nous examinerons plus précisément à l'occasion de votre toute prochaine
audition devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Pour l'heure, en effet, les Européens, tout en affichant leur volonté d'aider
l'Albanie à sortir du chaos, n'ont apporté qu'une réponse minimaliste aux
appels qui leur étaient lancés. Il est vrai que l'Albanie n'est pas la
Yougoslavie, qu'il ne saurait être question de rétablir l'ordre dans chaque
ville albanaise et que les raisons de se montrer prudents ne manquent pas.
Cependant, je constate que les divergences apparues entre les Quinze et
l'alignement - une nouvelle fois - sur le plus petit dénominateur commun
conduisent déjà certains observateurs à rappeler les palinodies de l'été 1991
lors du déclenchement de la crise yougoslave. Il faut que les faits leur
donnent tort. C'est dans cet esprit que je vous poserai, monsieur le ministre,
trois questions brèves mais essentielles.
A défaut d'une intervention militaire, dont nous mesurons à la fois l'extrême
difficulté et les risques, à quelles conditions la mission d'évaluation envoyée
sur place pourra-t-elle déboucher sur l'envoi d'une force, aux objectifs
limités et clairement précisés, pour aider notamment à la reconstitution de la
police et de l'armée albanaises ?
Quelles mesures les Européens envisagent-ils pour éviter le risque, majeur,
d'extension que recèle ce conflit, et d'abord au Kosovo et en Macédoine ?
Quelle aide d'urgence, financière et humanitaire, l'Union européenne
envisage-t-elle d'apporter à l'Albanie pour remédier, au moins partiellement,
aux dramatiques conséquences de l'écroulement des « pyramides financières » qui
ont été à l'origine immédiate de la crise ?
Pour le reste, la crise albanaise souligne, si besoin était, l'ampleur du
chemin qui reste à parcourir en matière de politique étrangère et de sécurité
commune. C'est pourquoi je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous
précisiez l'état d'avancement des travaux de la CIG dans ce domaine, notamment
les réactions de nos partenaires aux propositions qui ont été formulées par la
France le 10 mars dernier.
Je conclurai, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, en vous disant clairement mon sentiment sur la CIG et sur l'avenir
de la construction européenne.
En ce qui concerne la Conférence intergouvernementale, je crains que l'ampleur
des sujets et les contraintes de procédure - qui exigent à tous les niveaux
l'unanimité - ne conduisent à un accord minimum si une impulsion déterminante
n'est pas donnée. Or, il est impératif de parvenir à un accord sur l'essentiel.
Je le dis tout net : si les conditions n'étaient pas réunies pour permettre à
l'Union élargie de fonctionner et de progresser et pour permettre à la France
d'y faire entendre sa voix et d'y défendre ses intérêts, nous devrions, je le
crois, indiquer clairement à nos partenaires que l'aboutissement satisfaisant
de la CIG demeure la condition impérative de l'élargissement et que la France
refusera un prétendu accord qui conduirait, demain, l'Union à l'enlisement ou à
sa dilution.
Dans l'attente d'un résultat positif, la question de l'élargissement doit être
abordée avec prudence. Nous devons nous garder d'engagements ou de calendriers
impératifs sans en avoir mesuré toutes les conséquences. Il s'agira, en tout
état de cause, d'un long processus, dont chacune des étapes devra être
précisément balisée.
La construction européenne est une nouvelle fois à la croisée des chemins.
L'Union doit procéder à d'indispensables adaptations institutionnelles. Mais
elle doit aussi réussir le passage à l'euro. En effet, sachons-le : si nous
échouons, l'Europe connaîtra un échec irréparable, qui marquera sans doute la
fin de notre dessein européen ; si nous réussissons, la France et l'Europe
seront au contraire plus fortes et - j'en ai la conviction - l'histoire jugera
la monnaie unique comme l'accomplissement et la traduction de l'une des plus
grandes réussites de ce siècle : l'édification d'une véritable Union
européenne.
Parce que telle est, je le sais, la volonté du Gouvernement et, surtout, parce
que tel est l'intérêt de la France, nous devons nous donner les moyens de
répondre présents à ce rendez-vous historique.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons célébrer,
dans une semaine, le quarantième anniversaire du traité de Rome - j'ai plaisir
à le rappeler après vous, monsieur le ministre. C'est une heureuse
circonstance, qui permet de faire un bilan de la construction européenne. Je
remarquerai que celle-ci avait d'ailleurs commencé plusieurs années auparavant
et j'évoquerai d'un mot le traité de Paris, après la déclaration de mai 1950 de
Robert Schuman, et la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
Je n'hésite pas à dire que ce bilan est presque inespéré. La paix entre les
Etats membres est à ce point consolidée que nul n'imagine plus une guerre
fratricide en Europe occidentale. Le marché unique est, pour l'essentiel,
achevé. La libre circulation des personnes est déjà une réalité pour bon nombre
de frontières internes, et tout laisse à penser que de nouveaux progrès dans ce
domaine vont bientôt intervenir, dès lors que l'équilibre indispensable aura
été obtenu entre cette liberté nécessaire et les exigences de la sécurité
publique. La mise en place d'une monnaie unique, longtemps considérée comme un
objectif inaccessible, est en passe d'entrer dans sa phase décisive. Quelles
que soient nos appréhensions, elle fera franchir à l'Europe un saut qualitatif
dans son unification, et nous sommes nombreux à souhaiter qu'elle soit adoptée,
dès son lancement, par la majeure partie des Etats membres. Nous avons bien
noté, monsieur le ministre, la déclaration affirmative faite au nom du
Gouvernement, et je me rallie très volontiers aux propos que vient de tenir M.
le président de la commission des affaires étrangères.
La construction européenne va parvenir dans quelques mois à une échéance
capitale, celle de la conclusion de la Conférence intergouvernementale.
Comme il est de règle, les progrès ont été lents et les réticences nombreuses.
Mais il est vraisemblable qu'à l'issue de cette conférence l'Union européenne
disposera de nouveaux moyens pour donner corps à la politique étrangère et de
sécurité commune, et sera enfin à même de s'affirmer davantage sur la scène
internationale - nous en avons tellement éprouvé la nécessité au cours des
derniers mois.
Il est également pratiquement acquis que des avancées considérables auront
lieu sur le troisième pilier.
Enfin, les questions relatives à l'efficacité des institutions communautaires
ne sont plus éludées : au contraire, elles sont aujourd'hui au coeur des
discussions, et je ne crois pas déplacé de conserver l'espoir que la Conférence
intergouvernementale donnera une efficacité accrue au fonctionnement de l'Union
européenne, même si les progrès seront sans doute plus modestes qu'on aurait pu
initialement le souhaiter.
A mon tour, un long suivi des travaux de la Communauté européenne me le
permettant, j'approuverai, monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus
concernant la nécessité d'avoir recours, dans des cas clairement définis, à la
majorité qualifiée assortie d'une pondération des voix en rapport avec le rôle
historique, politique et économique de chacun des pays membres défini par la
Communauté européenne dans ses conseils. Nous y sommes déjà parvenus autrefois,
et l'on peut, je crois, améliorer la situation.
Cependant, une analyse qui ne s'en tiendrait qu'à ces motifs de satisfaction
apparaîtrait à beaucoup de nos concitoyens comme l'expression d'un optimisme de
commande, parfois bien éloigné de leurs préoccupations concrètes et de leurs
attentes. Lorsque, dans quelques mois, aura lieu le débat sur le nouveau
traité, les arguments que nous pourrons faire valoir pour expliquer son contenu
seront-ils à même d'emporter leur adhésion ?
En effet, aujourd'hui, en contraste avec les progrès objectifs de l'Union
européenne, plusieurs fractions des opinions publiques restent troublées et
même désorientées. Bien sûr, dans la plupart des pays, l'adhésion aux grands
principes et aux finalités de la construction européenne est toujours présente.
Mais le décalage est évident entre ce que les citoyens attendent de l'Europe et
ce qu'ils en perçoivent, c'est-à-dire, trop souvent, une accumulation de
règlements et de directives qui semblent lourds et complexes, même s'ils sont
nécessaires.
C'est bien le véritable motif qui nous a incités à plaider si souvent, au
cours des quinze dernières années, en faveur d'une meilleure association des
parlements nationaux à cette construction, afin que nous puissions informer et
guider loyalement et clairement la population avec laquelle députés et
sénateurs sont en contact permanent.
Je prendrai l'exemple, déjà évoqué à cette tribune, de la mise en place de
l'euro. Elle constitue une étape décisive dans la construction européenne,
comme M. le ministre l'a rappelé. Or, les sondages réalisés sur ce point auprès
de nos compatriotes, quels que soient les doutes que m'inspire leur fiabilité,
ne témoignent pas d'une approbation massive ; c'est le moins que l'on puisse
dire ! Si une large majorité paraît certes favorable au principe de la monnaie
unique, une assez nette majorité, également, n'en attend aucun avantage pour
elle-même, voire considère ce changement avec inquiétude. Il s'agit donc plus
d'une acceptation raisonnée, presque résignée, que d'une véritable adhésion.
N'y a-t-il pas là, mes chers collègues, l'illustration d'un problème plus
général ?
La Communauté européenne s'est attachée à progresser dans des domaines qui
sont certes essentiels, mais qui restent abstraits pour beaucoup de nos
concitoyens et sans doute aussi pour beaucoup d'entre nous ; en même temps,
elle paraît trop souvent absente ou inefficace par rapport aux difficultés
concrètes que nous rencontrons.
La première de ces difficultés concrètes - est-il besoin de le répéter ? - est
la situation de l'emploi.
Or, le plus souvent, dans l'esprit de nos concitoyens, l'Europe est plus
associée aux restructurations et aux délocalisations industrielles qu'à un
effort concerté pour lutter contre le chômage.
M. Paul Loridant.
Ça, c'est vrai !
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Elle paraît
impuissante à enrayer la dégradation de l'emploi.
Lorsque la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde a été annoncée, les
autorités belges ainsi que les syndicalistes se sont immédiatement tournés vers
la Communauté européenne. La seule réponse a été une initiative du commissaire
chargé de la concurrence pour que Renault ne puisse pas bénéficier d'une aide
pour l'extension d'une usine en Espagne, qui devait entraîner la création de
500 emplois dans ce pays. Le commissaire européen en cause était, certes, placé
dans une situation difficile ; cependant, on voit mal en quoi cette forme de
sanction, non dénuée d'arbitraire, va améliorer les perspectives d'emploi des
salariés de Vilvorde !
Ce que montre avant tout une telle réponse, c'est que la Communauté européenne
n'a pas su placer suffisamment l'emploi au coeur de ses préoccupations, et que,
de ce fait, elle n'est pas en mesure d'intervenir utilement dans une situation
de ce type.
On dira sans doute que la Communauté européenne manque de moyens d'action. Ce
n'est pas certain. Il est d'ailleurs vraisemblable que le chapitre nouveau sur
l'emploi qui figurera dans le traité révisé, tel qu'on peut en supposer le
contenu, n'apportera pas tellement d'instruments supplémentaires.
En vérité, la solution ne se trouve pas, ou du moins pas seulement, dans la
mise en place d'une politique communautaire spécifique de l'emploi. Ce qui
importe, c'est que toute décision communautaire, dans quelque secteur qu'elle
intervienne, prenne en compte le critère de l'emploi et soit jugée aussi à
cette aune.
C'est donc plutôt dans les décisions de la Communauté européenne que l'on
pourrait qualifier d'« ordinaires » que l'emploi n'a pas une place suffisamment
centrale. Si l'on reprend l'exemple de l'automobile, peut-on dire qu'il n'y a
aucun rapport entre les fermetures d'usines et la politique commerciale de la
Communauté européenne dans ce domaine ? N'avons-nous pas trop rapidement ouvert
notre marché sans avoir obtenu de contrepartie véritable ?
M. Paul Loridant.
Très bien !
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Je prendrai
cet autre exemple : quand la Commission européenne s'est opposée, au nom d'une
interprétation stricte des règles de la concurrence, au rachat de la société
canadienne De Havilland par Aérospatiale, a-t-elle mesuré les conséquences de
cette décision sur l'emploi à long terme dans l'industrie aéronautique
européenne ?
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne
A titre de
comparaison, toutes choses égales par ailleurs, rappelons que les autorités
américaines de concurrence n'ont pas eu la même attitude face au rachat de
McDonnell Douglas par Boeing, alors qu'il s'agissait d'une concentration d'une
tout autre envergure.
Certes, l'emploi a été périodiquement évoqué dans les débats européens ; mais
les conséquences de ces discussions sont, hélas ! bien peu sensibles sur le
terrain ! Le livre blanc de la Commission européenne intitulé
Croissance,
compétitivité, emploi
préconisait une refonte coordonnée des politiques de
l'emploi ainsi qu'un plan de développement des grandes infrastructures et des
réseaux de télécommunications. La Commission a également suggéré une
réorientation des fonds structurels pour les mettre davantage au service de
l'emploi. Pour l'instant, il est difficile de percevoir quelles suites ont été
données à ces initiatives. Ce grief, je le souligne, ne s'adresse pas à la
Commission européenne.
Pourtant, le sentiment de nos concitoyens à l'égard de la construction
européenne sera essentiellement dicté par le jugement qu'ils porteront sur la
capacité de l'Europe à créer et à maintenir des emplois.
Bien entendu, on ne peut ni ne doit tout attendre de la construction
européenne. Elle nous a déjà apporté beaucoup. Nous n'avons pas à nous
défausser sur elle de nos responsabilités, même si, bien souvent, nous ne nous
en privons pas ! Mais nous ne devons pas non plus la laisser trop s'écarter des
attentes des opinions publiques. Un débat comme celui d'aujourd'hui doit nous
permettre d'exprimer nos craintes et nos demandes. C'est pourquoi, monsieur le
ministre, mes chers collègues, j'ai tenu à mettre l'accent sur deux points
particuliers que nous n'avons pas l'habitude de développer.
Il nous faut aujourd'hui placer davantage l'aspect social et humain au coeur
de la construction européenne, comme c'était le cas aux premiers jours de la
Communauté européenne. En ce 19 mars 1997, je me permets de formuler un souhait
ardent à l'intention des membres anciens, des membres récents, et de ceux qui
attendent leur adhésion : qu'ils retrouvent l'esprit généreux, l'esprit
communautaire qui animait les membres fondateurs de la Communauté des six, en
1957, pour que l'Union européenne de l'an 2000, fidèle au dessein qui
l'inspira, puisse accueillir loyalement les Etats et les peuples qui aspirent à
la rejoindre.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 57 minutes ;
Groupe socialiste : 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur
l'Europe tombe bien : à quelques mois des conclusions de la Conférence
intergouvernementale qui s'enlise manifestement et quelques jours après la
manifestation de Bruxelles.
La manifestation importante qui s'est déroulée à Bruxelles ne signifie ni
refus ni rejet de principe de l'Europe. Elle nous rappelle que, pour nos
concitoyens, le projet européen est un projet de société, un projet de
civilisation, un projet qui donne la place centrale à l'homme, à ses besoins, à
son progrès, à son épanouissement personnel et collectif.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret.
L'événement de Bruxelles - il s'agit bien, en effet, d'un événement - marque
l'opposition radicale à une Europe qui ne serait qu'une machine financière
soumise au marché et à la spéculation ; c'est le rejet d'une Europe vulgaire
instrument du capitalisme et de sa gestion libérale de l'économie de marché
mondialisée.
Manifestement, l'Europe s'éloigne des valeurs et des principes qui ont présidé
à sa naissance, ainsi que M. Genton le rappelait à l'instant.
Il faut donc une renaissance de l'idée européenne.
Nous voulons, quant à nous, afficher une certaine idée de l'Europe.
Les idées fondatrices auxquelles nous sommes attachés et qui sont en partie
oubliées, aujourd'hui, sous la pression des milieux financiers, sont simples ;
les termes pour les désigner sont tout aussi simples : la paix et la sécurité,
la démocratie, le progrès économique et social.
Depuis 1957, la construction européenne a permis d'assurer, de renforcer la
paix et la sécurité sur le continent. Il s'agit d'un apport essentiel, capital
même : sans paix ni sécurité, rien n'est possible. On le voit dans
l'ex-Yougoslavie, on le constate en Albanie, dans le Caucase, en Turquie, au
Moyen-Orient, en Afrique centrale et en bien d'autres points du monde.
Ce constat nous conduit à aborder la question de la défense.
Si l'Europe veut compter dans l'organisation du monde, elle doit dominer son
destin et maîtriser sa sécurité. Tel n'est pas le cas aujourd'hui, malgré
l'objectif assigné à l'Union de l'Europe occidentale d'être le bras armé de
l'Union européenne.
On l'a vu, la France se rapproche de l'OTAN et pose ses conditions, notamment
en ce qui concerne l'attribution des commandements Sud ; cette exigence a
d'ailleurs été refusée par les Etats-Unis, qui, dans ce domaine comme dans
d'autres, n'entendent pas céder leur
leadership
et la maîtrise totale de
leurs décisions.
Je concède volontiers qu'aucun Etat européen aujourd'hui membre de l'Union
européenne ou candidat à l'Union européenne ne conçoit la question de sa
sécurité en dehors de la présence et de la puissance des Etats-Unis. Cette
réalité peut justifier une approche concrète de l'évolution de l'OTAN.
Le concept d'identité européenne de défense et de sécurité s'inscrit dans
cette démarche. L'expression est intéressante et satisfaisante. Elle souligne
une intention, un projet ; mais, en se réalisant à l'intérieur de l'OTAN, elle
risque d'être un leurre.
Le débat sur la défense européenne est trop important et trop vaste pour être
abordé au détour d'une intervention comme celle-ci. Il conviendrait de définir
les intérêts vitaux des membres de l'Union européenne, ainsi que des candidats
à le devenir, d'évoquer l'attitude des pays neutres à l'intérieur de l'Union
européenne, de rappeler la résolution de Petersberg au sujet du maintien de la
paix sur le continent européen et de constater sur ce point l'impuissance des
Etats européens. L'exemple albanais est frappant à cet égard, même s'il est peu
vraisemblable qu'une force de police soit capable de mettre, si j'ose dire, de
l'ordre dans le désordre albanais. Aujourd'hui, il appartient d'abord aux
forces politiques en présence en Albanie de trouver une solution, avec l'appui
diplomatique et les pressions utiles de l'Union européenne et de ses Etats
membres.
S'agissant d'un domaine sensible - la question de défense touche en effet au
coeur du principe de souveraineté nationale - il ne faut pas s'étonner de la
lenteur avec laquelle le dossier évolue. Soulignons cependant quelques
satisfactions, notamment les avancées réalisées au sein de l'Union de l'Europe
occidentale : l'existence de la cellule de planification, le centre
satellitaire de Torrejon, les recherches communes, l'Eurocorps, le groupement
européen en matière d'armement, etc. Mais il y a du chemin à parcourir et il ne
faut pas renoncer, car renoncer à cet aspect de la construction européenne
reviendrait à se priver d'un outil vital.
J'ai évoqué, tout à l'heure, l'apport de la construction européenne à la
démocratie. La construction européenne n'a pas fait l'impasse sur les valeurs
et les instruments de la démocratie. Ce point, qui n'est pas contesté, qui ne
soulève donc aucun débat, mérite cependant d'être souligné, car la démocratie
est une construction fragile, qui doit en permanence être soutenue,
approfondie, adaptée dans sa réalité quotidienne aux évolutions du temps.
La démocratie, on le sait, est principalement fondée sur la confiance. Or,
nous constatons aujourd'hui dans de nombreux pays une perte de confiance des
citoyens dans leurs représentants. La situation peut devenir grave, notamment
sous la pression des difficultés économiques et sociales.
J'en viens ainsi au point central, aujourd'hui, de nos discussions, à savoir
la question de l'économie et du social.
La construction européenne et le développement des échanges
intracommunautaires ont renforcé la position économique des Européens : leur
pouvoir d'achat a été amélioré, de même que leur niveau de vie, leur qualité de
vie, leur formation, leur niveau de santé ; un système satisfaisant de
protection sociale a été élaboré.
Finalement, un modèle social européen s'est constitué grâce à l'action des
travailleurs et des partis de gauche, qui, ensemble, ont su contraindre le
capitalisme - parce qu'il faut bien le désigner par son nom ! - à partager un
peu plus équitablement les fruits de la croissance.
Dans le cadre de la guerre froide, il était important que la gestion
économique dominante offre une vitrine attirante face au bloc soviétique. Cela
explique en partie que les fruits de la croissance aient été un peu mieux
partagés de ce côté-ci du continent que de l'autre.
Ce fut la grande époque de la social-démocratie, époque révolue !
L'effondrement du modèle soviétique a libéré le capitalisme d'une menace ; dès
lors, il en prend à son aise.
D'abord, on crée le grand marché des capitaux, des biens et des services ;
ensuite, on exerce des pressions sur les salariés pour remettre en cause les
acquis sociaux. Le capitalisme tente de peser sur le montant et le niveau des
rémunérations, de réduire le droit du travail, d'exiger la rentabilité,
d'imposer la flexibilité, de contester les systèmes de protection sociale,
d'utiliser la construction européenne au mieux de ses intérêts. Voilà ce qu'il
fait aujourd'hui !
Il faut donc combattre ce système et, à cet égard, la manifestation de
Bruxelles est certainement le premier pas d'une longue marche.
Ainsi, notre dessein pour l'Europe se décrit en termes clairs : une Europe
affichant un modèle de civilisation opposée à une Europe qui s'abandonnerait
dans un grand marché ; une Europe de la croissance et de la solidarité opposée
à une Europe de la dérégulation ; corsetée dans l'austérité d'un pacte de
stabilité ; une Europe où les élus politiques choisis par le suffrage universel
seront responsables et acteurs et rendront compte à leur parlement ; une Europe
souveraine capable de maîtriser son destin dans les domaines de la diplomatie
et de la défense.
Le débat sur la monnaie unique ne résume pas la question européenne, mais il
est aujourd'hui central, et il illustre notre volonté en la matière.
Nous ne disons pas non
a priori
à la monnaie unique,...
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Ce serait un comble !
M. Jean-Pierre Masseret.
... mais nous ne saurions l'accepter si le prix à payer est celui des crises
sociales, de l'austérité, de la soumission de la démocratie aux marchés
financiers.
Vous étiez peut-être à Davos, monsieur le ministre, ...
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Non, je n'y étais pas !
M. Jean-Pierre Masseret.
M. Tietmeyer, lui, y était. Il a indiqué aux hommes politiques que,
dorénavant, ils ne devaient pas se faire d'illusions, qu'ils étaient sous le
contrôle non pas des parlements nationaux, mais des marchés financiers. C'est
là un recul de la démocratie, car M. Tietmeyer, contrairement aux
parlementaires, qui, eux, ont des comptes à rendre aux citoyens, n'est pas élu.
Cela pose toute la question de la suprématie de la démocratie sur les marchés
financiers !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
Les difficultés sociales que l'on observe, et d'autres qui se dessinent,
s'accompagnent de conséquences politiques lourdes : désappointement, perte de
confiance, méfiance, désespoir, montée des nationalismes et de la xénophobie,
autant d'éléments qui constituent un réel danger pour la construction de
l'Europe elle-même et pour la démocratie.
Dès lors, personne ne doit ignorer que le passage à la monnaie unique est,
concrètement la dernière étape de la construction économique et financière de
l'Europe.
M. Paul Loridant.
C'est pourquoi il faut un référendum !
M. Jean-Pierre Masseret.
De ce passage, monsieur Loridant, découleront en effet des décisions qui
concerneront la fiscalité, l'épargne, le droit du travail, la protection
sociale. Personne ne pourra dire qu'il n'a pas été informé de cette réalité.
La tentation existe donc, chez certains, de condamner le traité de Maastricht
et le passage à la monnaie unique, qui l'illustre. Parfois même, c'est le
principe de la construction européenne qui est en cause.
Mme Hélène Luc.
Non, non !
M. Jean-Pierre Masseret.
Honnêtement, il me paraît illusoire de penser que la croissance et le
développement peuvent être trouvés, ou retrouvés, dans le seul cadre
national.
Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas place pour des politiques nationales ou
que l'on ne peut pas mener une politique pour l'emploi et contre le chômage à
l'échelon national. Simplement, nous estimons que le bon niveau d'action pour
lutter contre le capitalisme international est le niveau européen. Si un grain
de sable vient se placer sur la route du système dominant anglo-saxon, il
viendra de l'Europe. Il appartient, par conséquent, aux forces syndicales et
politiques de construire le rapport de forces utiles.
Le bon niveau pour repenser la place du travail dans la vie des hommes, c'est
le niveau européen ; le bon niveau pour assurer la paix et la sécurité, c'est
le niveau européen ; le bon niveau pour permettre à nos pays de maîtriser la
nouvelle civilisation issue des technologies de la communication et de
l'information, c'est le niveau européen ; le bon niveau pour établir un état de
droit démocratique et social, c'est le niveau européen ; le bon niveau pour que
la société contemporaine place l'homme au coeur de ses préoccupations, c'est le
niveau européen.
Finalement, l'Europe n'est qu'un instrument aujourd'hui utilisé à son bénéfice
par le capitalisme, au service de la gestion libérale de l'économie de marché
mondialisée.
Mais le destin européen n'est pas scellé dans le marbre. Il appartient aux
partis de gauche, aux salariés, aux syndicats de créer les rapports de force
utiles et nécessaires pour le changement. Il faut tout faire pour y
parvenir.
Nous devons exiger de gérer différemment, et donc avec d'autres objectifs, le
passage à la monnaie unique ainsi que les négociations de la Conférence
intergouvernementale.
C'est possible, mes chers collègues. Nous disposons en effet de l'arme absolue
: il faudra bien que la Conférence intergouvernementale débouche sur la
ratification par les parlements nationaux ; et si donc le contenu de la CIG ne
nous convient pas, nous pourrons refuser cette ratification. C'est nous qui
déciderons d'accepter ou non la CIG, sans faux-fuyant, sans faux prétexte,
devant l'opinion publique, en rendant compte aux citoyens.
Mme Hélène Luc.
Voilà pourquoi, encore une fois, il faut un référendum !
M. Jean-Pierre Masseret.
Vous pouvez le réclamer, madame, c'est votre droit. Pour ma part, j'estime que
la représentation nationale peut parfaitement, en l'espèce, exprimer l'opinion
des citoyens.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Jean-Pierre Masseret.
Dans un domaine relativement technique, où il convient d'être bien informé,
nous, parlementaires, sommes à même de prendre nos responsabilités pour le
compte de nos concitoyens.
Mme Michelle Demessine.
Cela évite le débat avec le peuple !
M. Jean-Pierre Masseret.
Ce qui est en cause devant l'opinion publique, ce n'est pas le principe de la
monnaie unique ; cette question a été tranchée par le peuple lors du référendum
de 1992... à une toute petite majorité, je vous le concède.
Il nous appartient maintenant de juger les modalités de passage à cette
monnaie unique. Si elles ne nous satisfont pas, nous avons de droit, et même le
devoir, de nous y opposer, et cela peut se faire rapidement au sein du
Parlement français comme au sein de tous les parlements des Etats membres de
l'Union européenne.
Par conséquent, je le répète, quant aux suites à donner à la CIG, l'arme
absolue est entre les mains des parlementaires.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Vous avez convaincu
Mme Luc, monsieur Masseret. C'est bien !
M. Jean-Pierre Masseret.
Je l'espère, mais je n'en suis pas sûr. En tout cas, je ne renoncerai pas !
Mme Hélène Luc.
C'est moi qui le convaincs, petit à petit !
M. Jean-Pierre Masseret.
Il ne faut pas désespérer non plus, madame Luc !
S'agissant de la monnaie unique, nous posons quatre conditions et exigeons que
l'Union européenne s'engage totalement en faveur de l'emploi, notamment de
l'emploi des jeunes.
Nous proposons non pas un pacte de stabilité mais un pacte de solidarité et de
croissance fondé sur une politique pour l'emploi et le progrès social.
Nous proposons - comme vous, monsieur le ministre, je le reconnais - de
réintégrer le protocole social à onze dans le traité et nous fixons trois
priorités : le dialogue entre partenaires sociaux au niveau européen ; la lutte
totale, si j'ose dire, contre le chômage ; le combat acharné contre le dumping
social...
M. Roland Courteau.
Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret.
... parce qu'il faut se méfier du moins-disant social.
Quand on participe à une compétition - c'est en quelque sorte notre cas - on
est tous sur la même ligne de départ. Il faut alors que tout le monde porte le
même fardeau. Si certains déposent la charge, c'est-à-dire s'ils acceptent une
baisse de la protection sociale, la compétition est impossible.
Il n'est pas question de faire la construction de l'Europe au détriment de la
protection sociale de nos concitoyens et des salariés européens. Il faut tirer
non pas vers le bas mais vers le haut, et cela fait partie de nos exigences.
Nous voulons une monnaie unique ouverte à l'Italie, à l'Espagne, au Portugal
et, naturellement, à la Grande-Bretagne, si elle se décide à rejoindre ce
camp-là - elle s'y résoudra si c'est son intérêt fondamental, car les
Britanniques sont avant tout pragmatiques, on le sait, ce qui nous pose
d'ailleurs parfois des problèmes.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Nous voilà rassurés
!
M. Jean-Pierre Masseret.
Nous récusons un euro délibérément surévalué à la demande de M. Tietmeyer ou
de nos amis allemands, car nous participerions alors à la compétition mondiale
avec un fameux handicap, insurmontable pendant des années.
Nous demandons la mise en place d'un véritable pouvoir politique européen qui,
face à la banque centrale, sera capable d'exprimer la vision politique des
Etats membres contre d'éventuelles dérives monétaristes.
Si les quatre conditions ne sont pas réunies, nous refuserons le passage à la
monnaie unique. Car il s'agit bien de conditions, et non d'intentions. Si une
condition n'est pas remplie, nous ne signerons pas le contrat qu'on nous
présentera.
M. Paul Loridant.
Donc, on renégociera Maastricht !
M. Jean-Pierre Masseret.
Nous verrons, mon cher collègue !
De toute façon, sauf à mettre en péril la construction européenne, une
nécessaire et réelle concertation s'imposera entre les Etats sur les questions
fondamentales : les budgets nationaux, les fiscalités, les politiques de
l'emploi, le refus du moins-disant social et du moins-disant fiscal.
Je crois qu'on peut compter sur les salariés européens pour faire entendre
leurs droits, pour faire prévaloir leur dû, pour défendre leurs acquis.
On peut aussi, je l'espère, compter sur les partis de gauche. A cet égard, la
social-démocratie européenne doit parler d'une voix plus forte. Ses analyses
anticapitalistes doivent être approfondies, ses critiques renforcées et ses
propositions affinées. Les socialistes ne veulent pas d'une société régie par
le modèle anglo-saxon. Si on le dit, il faut agir en conséquence.
La dernière condition que j'évoquais, qui porte sur l'organisation d'un
pouvoir politique face au pouvoir de la Banque centrale européenne, a
naturellement des conséquences sur d'autres dispositions communautaires, en
particulier sur les discussions institutionnelles.
J'en viens donc à la Conférence intergouvernementale, pour noter qu'elle
manque aujourd'hui un peu de souffle, un peu d'allant. Or la condition que nous
posons, cette quatrième condition qui vise à organiser un pouvoir politique
face à la banque centrale, est de nature à donner du souffle à la Conférence
intergouvernementale, qui s'enlise. En effet, nous l'avons bien entendu tout à
l'heure, il n'y a pas de projet politique ; il y a bien des approches
techniques, des considérations sur des problèmes de forme et de contenant, mais
pas d'approche sur le contenu.
Croire que la réussite de la monnaie unique relancera à elle seule la
construction européenne est une erreur. La priorité doit être donnée à la
relance de la construction européenne sur des avancées politiques à partir de
thèmes concrets qui concernent la vie quotidienne, à savoir l'emploi, la
solidarité, l'éducation, les services publics, la recherche, tout ce qui est
créativité, les nouvelles technologies de communication et de l'information,
dans lesquelles, il faut bien le reconnaître, notre pays enregistre un certain
retard, et l'Europe aussi. Les enjeux sont vitaux, car il s'agit bien de mettre
en place une nouvelle civilisation. Si ce n'est pas nous qui le faisons, les
groupes américains divers s'en chargeront, qui tout à la fois seront
propriétaires des « tuyaux » et organiseront ce qui passera à l'intérieur en
créant de nouvelles inégalités sociales et culturelles. Voilà des enjeux
concrets pour la construction européenne !
Par la suite, une fois que l'on aura abordé ces sujets de fond, il faudra
évoquer les problèmes que vous avez vous-même soulevés, monsieur le ministre,
et que mes collègues ont rappelés ; il faudra résoudre le problème de
l'efficacité et celui de la légitimité des institutions européennes.
De quoi s'agit-il ?
Il s'agit de la majorité qualifiée ; de la pondération des voix au sein du
Conseil ; de la réduction du nombre des commissaires ; des procédures
simplifiées ; de l'extension du rôle non seulement du Parlement européen mais
aussi des parlements nationaux, car nous n'entendons en aucun cas nous démettre
de nos prérogatives et de nos responsabilités, surtout devant nos concitoyens.
A cet égard, je le répéte, le moment venu, les parlements nationaux auront la
possibilité d'approuver ou non ce qui sera résulté des travaux de la Conférence
intergouvernementale.
J'ai noté que M. de Villepin, dans le cas où il ne serait pas satisfait de la
Conférence intergouvernementale, ne refuserait pas la ratification mais
s'opposerait à de nouvelles adhésions, prenant ainsi en otages les pays ou les
Etats qui souhaitent devenir membres de l'Union européenne.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Le mot est un peu
fort !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Masseret.
Ces pays qui ne participent pas aux négociations actuelles, monsieur de
Villepin, ce n'est tout de même pas de leur responsabilité si vous n'obtenez
pas satisfaction !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Je n'ai rien dit de
tel !
M. Jean-Pierre Masseret.
Par conséquent, j'estime que, sur ce point, votre position consiste en quelque
sorte à les prendre en otages, alors qu'ils n'y sont pour rien, alors que la
négociation se déroule entre les Quinze, et entre eux seuls.
On a beaucoup parlé de l'Union européenne - c'est un peu normal. Mais la
construction européenne ne se limite pas à l'Union européenne. En effet, il
existe un certain nombre d'autres instruments - je pense en particulier au
Conseil de l'Europe, excellente institution - pour mettre en place des cadres
juridiques utiles à la construction d'une véritable civilisation démocratique
et sociale européenne. Votre gouvernement, comme les précédents d'ailleurs,
fait vraiment très peu de cas de cette institution, et la France, à mon avis,
ne s'en sert pas avec la détermination nécessaire pour faire avancer certaines
de ses idées.
Vous avez tous compris que, pour nous, l'Europe ne repose pas seulement sur
une construction économique. L'Europe, pour nous, c'est d'abord un projet
culturel, un projet de valeurs, un esprit de combat pour ces valeurs et un
esprit de solidarité.
Cette Europe que nous voulons doit être porteuse d'espoir pour les peuples de
nos pays et, au-delà, pour l'ensemble de la communauté mondiale. C'est en
Europe que les rapports de force peuvent être, aujourd'hui, créés utilement
pour combattre le capitalisme mondial.
Bâtir une Europe stable, tolérante, prospère, solidaire, nécessite que soient
relevés un certain nombre de défis auxquels notre continent est confronté : la
sauvegarde des droits de l'homme, combat auquel il ne faut jamais renoncer ; la
lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, qui est au coeur des
valeurs de la construction européenne ; le renforcement de la démocratie
pluraliste et la promotion de l'état de droit ; bref, l'ensemble du cadre
juridique préalable absolument indispensable à la mise en oeuvre de politiques
concrètes concernant l'emploi et le social.
C'est, finalement, un projet de société, un projet culturel, un projet de
civilisation, que nous voulons. C'est pourquoi nous pensons que la Conférence
intergouvernementale qui se déroule comme elle se déroule n'aboutira pas à
grand-chose. Il n'est pas question non plus d'une monnaie européenne qui mette
en cause la cohésion sociale de l'Europe, qui ouvre des crises et fasse le lit
de l'extrême droite, car c'est bien ainsi que les choses pourraient se
terminer.
Vous l'avez bien compris, l'Europe que je viens de décrire brièvement au nom
du groupe socialiste est différente de celle qui se met en place aujourd'hui et
que vous contribuez à développer très concrètement. En effet, au-delà des
discours, accepter la domination des marchés financiers sur la construction
européenne ne peut aboutir qu'à remettre en cause le modèle social européen.
Chaque système a sa cohérence et sa logique. Or le système dominant aujourd'hui
visera, dans les mois et les années qui viennent, à faire supporter les
évolutions techniques, technologiques et financières par les salariés.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur le sénateur, me permettez-vous
de vous interrompre ?
M. Jean-Pierre Masseret.
Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur le sénateur, je vous écoute
avec attention et intérêt - cela va de soi - mais je souhaite que vous
m'éclairiez sur un point.
Ce projet d'union monétaire ne doit pas être, dites-vous, le moyen d'imposer
le capitalisme - le mot est lâché, l'horrible mot - et il faut changer les
choses.
Mais que faisons-nous en ce moment ?
Nous appliquons un traité qui a été négocié par un Président de la République
française, François Mitterrand - vous devez savoir qui c'est ! - et par un
gouvernement qui eut comme Premier ministre, successivement, Edith Cresson et
Pierre Bérégovoy - paix à ses cendres. Nous appliquons un traité qui a été, de
même, négocié par le ministre des affaires étrangères de l'époque, M. Roland
Dumas, pour lequel d'ailleurs j'ai beaucoup de considération. De surcroît,
celui qui, aujourd'hui, parle le plus de la monnaie à la radio, dans les
journaux ou à la télévision, n'est autre que M. Jacques Delors. Ils sont bien
de vos amis, monsieur le sénateur ?
A vous entendre, je devrais me charger de tous les péchés du monde, qui sont
en réalité, si je vous ai bien compris, les péchés accumulés sous une
présidence socialiste, par des gouvernements socialistes et alors que le
président de la Commission européenne était un socialiste !
Alors, pour que l'on y voie clair, dites-moi ce qu'il faut corriger dans tout
le travail accompli par le parti socialiste pendant dix ans. Quand vous me
l'aurez dit, je saurai dans quelle direction aller, du moins de votre point de
vue.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Raymond Courrière.
C'est l'état d'esprit qui compte !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret.
Je vais vous répondre, monsieur le ministre, et ce sera facile. Je m'étonne
même que la question ne soit pas venue plus tôt dans la discussion.
François Mitterrand a connu la guerre, chacun le sait ; il l'a faite. Il a
toujours considéré que le premier bien qu'il fallait apporter au continent
européen et à la France, c'était la paix et la sécurité. Pour cela, il fallait
un cadre juridique approprié, qui était la construction européenne. Aussi, au
fil des différentes négociations, il s'est employé à faire avancer l'idée
européenne comme élément de la paix et de la sécurité pour tout le continent
européen, pour tous nos concitoyens. Il l'a fait en recherchant les compromis
nécessaires avec ses partenaires, compromis qui ont été, effectivement, sur le
plan social, à un niveau moindre que ce à quoi il aurait aimé aboutir.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Voilà ! C'est bien cela !
M. Jean-Pierre Masseret.
Cela étant, il a dressé le cadre utile à la construction européenne. Il vous
appartient, et il nous appartient aussi, de donner un contenu à ce cadre
politique. Lui n'y peut plus rien !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
C'est sûr !
M. Jean-Pierre Masseret.
Il a fait son travail, il a oeuvrer pour faire avancer la paix et la sécurité.
Nous avons, nous, les vivants, les élus du Parlement, la responsabilité de
nourrir concrètement ce cadre et de le nourrir utilement dans l'intérêt social
de nos concitoyens. C'est cela votre responsabilité, et la nôtre aussi. Nous
n'avons pas la même approche sur le sujet, mais, sur ce point comme sur le
reste, la démocratie tranchera.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il faut un référendum !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Nous y voilà !
M. Jean-Pierre Masseret.
Nos concitoyens se prononceront. J'ai confiance en leur jugement.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Raymond Courrière.
En 1998, nous serons là !
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dimanche
dernier, 16 mars 1997, dans les rues de Bruxelles, des dizaines de milliers de
manifestants ont réclamé une Europe de l'emploi contre celle des licenciements
et du chômage, une Europe de la solidarité contre celle de la guerre
économique, une Europe des citoyens contre celle des eurocrates, une Europe des
peuples contre celle de la finance.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
En effet, la construction européenne de Maastricht et de la monnaie unique est
de plus en plus fortement mise en cause. Nous voulons, avec les peuples
européens, travailler à la construction d'une Europe de la solidarité, de la
dignité et du courage, et cette Europe reste à construire.
L'Europe libérale, fidèle aux engagements deMaastricht, ce sont 18 millions de
chômeurs et 50 millions de pauvres. Et l'on nous promettait l'Eldorado !
Aujourd'hui, les promoteurs de la monnaie unique se font de moins en moins
nombreux, de moins en moins zélés. Le nombre des sceptiques grandit et tous
ceux qui demandent un assouplissement des critères de Maastricht valident bien
l'idée que la mise en oeuvre de la monnaie unique jouera contre la croissance
et contre l'emploi.
A cet égard, il est important de combattre la désinformation et les illusions
savamment entretenues.
On prétend que la monnaie unique permettrait une monnaie forte pour tous les
pays européens. C'est faux ! Il ne faut pas confondre monnaie forte et stable
et taux de change élevé.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oui !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Or l'euro, calqué sur le modèle du mark, aura pour objectif un taux de change
élevé dont le but sera d'attirer les capitaux. Toute la « zone euro » se
trouvera donc sous la contrainte de taux d'intérêt élevés favorisant les
placements financiers plutôt que l'investissement productif.
On prétend encore que la monnaie unique serait une arme contre la spéculation.
C'est faux ! En effet, dans le schéma actuel, l'euro ne ferait qu'accentuer la
guerre financière entre le yen, le dollar et la zone mark. L'euro vise non pas
à amoindrir cette guerre, pourtant destructrice pour tous les peuples, mais à
stimuler le marché financier, donc la spéculation en Europe, d'autant que
l'existence de pays « inclus » et « exclus » renforcera dès la mise en place de
l'euro, en 1999, la spéculation et la dévaluation intraeuropéenne.
Autre illusion : on prétend que la monnaie unique serait un atout vis-à-vis de
la mondialisation. C'est faux !
La monnaie unique s'intègre en effet pleinement dans la mondialisation
actuelle de guerre économique. De ce fait, elle la renforce. Les seuls
gagnants, ce sont les puissances économiques privées, les groupes
transnationaux et internationaux, notamment les plus féroces, à savoir les
multinationales américaines, qui veulent imposer leurs lois à l'ensemble de la
planète.
En fait, l'euro serait une arme de guerre contre l'emploi et les salariés.
Je citerai ici un extrait tiré de L'
horreur économique
, de Viviane
Forrester : « L'accentuation galopante du chômage dans les pays développés
tend, on l'a vu, à les faire insensiblement rejoindre la pauvreté du tiers
monde. On avait pu espérer voir se produire le contraire, et la prospérité se
propager ; c'est la misère qui se mondialise et se répartit dans les contrées
jusqu'ici favorisées ».
D'ailleurs, les mieux informés le reconnaissent, et le président de la
Bundesbank soulignait, dans un article publié par le journal
Le Monde
au
mois d'octobre 199 6 : « L'euro renforcera la concurrence entre les pays et les
marchés et supprimera l'instrument du taux de change qui pouvait servir
jusqu'ici d'airbag. En clair, la compétitivité de nos entreprises ne sera
atteinte à nouveau que si nous faisons un effort de flexibilité sur le marché
du travail. »
M. Tietmeyer indique clairement quant à lui que la monnaie unique est un
projet politique qui vise non pas à faciliter les échanges et le développement
de la croissance, mais à imposer un modèle de développement ultralibéral dans
notre pays.
Au nom de Maastricht, les gouvernements acceptent de livrer des pans entiers
de notre économie à la déréglementation.
Engager la France dans l'aventure de la monnaie unique, c'est lui imposer le
pacte de stabilité, c'est renoncer à toute marge de manoeuvre monétaire et
budgétaire, c'est abandonner aux seuls marchés financiers le soin de piloter la
politique économique.
Or, comme on l'a vu dans bien des cas - Moulinex, Renault, Michelin,
Alcatel... - les intérêts des financiers et ceux des salariés et des
populations deviennent de plus en plus incompatibles. L'annonce de plans de
licenciements provoque une montée des cours des actions des entreprises
concernées ! En revanche, la baisse du chômage entraîne l'inquiétude de la
Bourse. Les profits sont en hausse quand les emplois baissent, et les profits
baissent quand les emplois sont en hausse !
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
L'Europe des marchés financiers n'a que faire de l'emploi !
Ainsi, les Français ont été trompés. Il est aujourd'hui essentiel de les
consulter sur ce projet politique qu'est le passage à la monnaie unique. Qui
peut, en effet, prétendre que ceux qui ont voté « oui » au référendum de 1992
se sont prononcés pour plus de chômage, plus de régression sociale, plus de
croissance financière et de guerre économique ?
Qui sait aujourd'hui que ces tensions seront renforcées par les nouvelles
institutions que la France et l'Allemagne souhaitent mettre en place ?
Le pacte de stabilité est un véritable carcan sur tous les Etats de l'Union
européenne ; c'est en effet la possibilité de sanctionner les Etats qui ne
respecteraient pas les politiques budgétaires restrictives imposées par les
critères de Maastricht.
A monnaie unique, pensée unique et sanctions contre les peuples !
Le refus de plusieurs dirigeants allemands d'intégrer les pays d'Europe du
Sud, notamment l'Espagne et l'Italie, démontre, si besoin était, qu'il s'agit
bien de faire de l'euro un mark
bis
. Cette tentative d'exclure nos
voisins du Sud n'est pas anodine, elle montre que l'entrée dans le cercle des
élus impliquera le passage obligé sous les fourches caudines de la
Bundesbank.
Le « noyau dur », les « cercles concentriques » vont, à notre sens, à l'opposé
d'une véritable Union européenne.
Quant à la volonté d'élargir le champ des décisions prises à la majorité
qualifiée pour la Commission de Bruxelles, elle s'oppose au rôle des Parlements
nationaux et au respect de la souveraineté nationale.
Le rôle de la Commission européenne est de ce point de vue particulièrement
contestable. Elle s'arroge des droits exorbitants sur les Etats, sur les
populations. Permettez-moi d'ailleurs de faire remarquer que si le Gouvernement
français peut contester à juste titre l'ingérence du Parlement européen dans
une décision nationale, pourquoi reste-t-il silencieux lorsque la Commission
européenne - instance non élue - dicte ses choix en matière de déréglementation
sociale et économique ?
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Je présenterai maintenant quelques remarques concernant l'élargissement, la
préservation de la paix et de la sécurité en Europe et dans les pays
voisins.
L'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale
appelle quelques commentaires. Il y a en effet de sérieuses contradictions
entre l'aspiration légitime des peuples d'Europe de l'Est à des rapports de
coopération avec les pays de l'Ouest en vue d'un développement plus équillibré
du continent et les conditions réelles dans lesquelles se prépare cette
intégration à l'Union européenne.
En effet, dans cette phase préparatoire, les quinze exigent des pays candidats
l'alignement de leurs législations sur celles de l'Europe de Maastricht et
l'acceptation de ses règles ultralibérales : libre circulation des capitaux,
interdiction des monopoles publics, privatisations, suppression de subventions
d'Etat, pressions sur les prestations sociales et les salaires... On mesure les
conséquences de cette thérapie de choc sur des économies vulnérables !
Dans de telles conditions, le grand marché européen risque de se révéler un
grand marché de dupes pour les peuples concernés en même temps qu'une mise en
concurrence redoutable des peuples européens. Une telle conception de
l'élargissement contribuerait à développer, à terme, des foyers de tension,
dont on connaît les aspects redoutables de barbarie.
A ce sujet, je voudrais dire quelques mots du problème albanais. La grave
crise qui secoue ce pays montre bien les efforts que nous devons faire en
termes de coopération.
L'Union européenne vient d'y envoyer une mission d'évaluation. Mais l'urgence
n'est-elle pas d'intervenir sur le fond ?
A ceux qui parlent de miracle albanais, de forte croissance, l'édition 1997 du
Nouveau bilan économique et social
précise que « ce bilan positif ne
doit pas en occulter un autre beaucoup plus contrasté, véritable face cachée de
la transition albanaise : appauvrissement accéléré de la population dû à la
thérapie de choc..., production industrielle en chute libre, aggravation du
déficit commercial..., corruption et développement de réseaux mafieux,
délabrement des infrastructures dû aux restrictions budgétaires drastiques,
caractère autoritaire du régime... »
Il n'y a pas de solutions simples. Mais il faut agir vite. Si nous écartons
totalement toute solution militaire, l'urgence nous paraît être de satisfaire
aux deux revendications du peuple albanais, d'une part, le remboursement des
personnes spoliées par les sociétés d'épargne liées au pouvoir ; d'autre part,
le départ de M. Berisha, issu d'élections contestées et premier responsable de
la crise actuelle.
Enfin, comment faire silence sur ce qui se passe à Jérusalem aujourd'hui ?
Au mépris le plus absolu du respect des accords d'Oslo, le gouvernement de M.
Nétanyahou commence des travaux d'implantation d'une colonie de 6 500 logements
réservés exclusivement à la population israélienne juive. Cela modifiera
l'équilibre démographique de Jérusalem et achèvera l'encerclement de
Jérusalem-Est, en la coupant de la Cisjordanie.
Il y a là une situation explosive dont les risques tragiques n'échappent à
personne. Seuls dans le monde, les Etats-Unis, en utilisant leur droit de veto,
soutiennent cette initiative suicidaire.
La sécurité au Proche-Orient ne peut reposer sur le fait accompli. Il est
urgent que notre pays et ses partenaires européens haussent le ton et
s'impliquent fortement pour éviter ce qui pourrait être un véritable massacre,
où des victimes palestiniennes, mais aussi israéliennes, paieraient de leur vie
la folie de quelques-uns.
Dans ce cadre général, la conclusion de la Conférence intergouvernementale
pour la réforme de Maastricht, qui est prévue pour le mois de juin prochain,
pourrait être l'occasion, pour la France, de rénover en profondeur les
mécanismes, les institutions et les objectifs de l'Union européenne.
La contestation qui monte dans tous les pays montre qu'il s'agit d'une
exigence de plus en plus partagée.
Certains « Maastrichtiens » d'hier appellent aujourd'hui à la mise en oeuvre
d'un volet social qui corrigerait les excès du marché. Comment ne pas voir que
c'est illusoire, que c'est le coeur même de la construction européenne qui doit
s'assigner l'objectif de satisfaire les besoins humains et sociaux ?
Pour notre part, nous nous prononçons résolument pour une construction
européenne qui respecte les souverainetés nationales. La nation française n'est
pas un mythe, c'est une référence à des valeurs communes, telles la liberté,
l'égalité et la fraternité.
Cette conception de la nation généreuse et ouverte est inséparable d'une
solidarité internationale imprégnée d'esprit de coopération et de développement
commun.
C'est pourquoi je voudrais formuler quelques propositions pour une autre
conception de l'Europe.
Elles s'orientent dans trois grandes directions.
Tout d'abord, à la monnaie unique, outil des marchés financiers, nous opposons
un instrument monétaire commun qui vise non pas à remplacer les monnaies
nationales, mais à privilégier leur utilisation en faveur de l'emploi et du
développement social.
Dans ce cadre, un fonds commun de développement financé par les pays membres
aurait notamment quatre fonctions : permettre le partage équitable des coûts de
la recherche ; financer les coproductions industrielles dans les secteurs
lourds, tels que l'aéronautique et l'informatique ; cofinancer des projets de
développement des zones les moins développées économiquement non seulement au
sein de l'Union, mais aussi à l'Est et dans le bassin méditerranéen ; enfin,
assurer une véritable solidarité entre les monnaies pour déjouer les attaques
spéculatives.
En clair, l'instrument monétaire de coopération et le fonds commun de
développement seraient des outils pour s'extraire de la guerre économique dans
laquelle tous les peuples sont perdants.
La deuxième grande proposition concerne la sécurité des peuples.
Il s'agit de réactiver les principes de la conférence d'Helsinki et de la
Charte des Nations unies.
Cela implique, d'une part, d'engager le processus de dissolution de l'OTAN,
dont plus rien ne justifie l'existence, et, d'autre part, d'enrayer la
militarisation de l'Union européenne.
Enfin, nous proposons la réunion d'un forum des nations d'Europe, ouvert à
tous les pays du continent, pour aboutir à une organisation régionale des
Nations unies. Ce forum pourrait prévenir les tensions et les conflits et
permettrait de construire une véritable communauté de nations partenaires, à
égalité de droits et de devoirs.
La troisième proposition vise à démocratiser les institutions européennes.
La règle de l'unanimité au sein du Conseil et la valorisation des parlements
nationaux doivent être respectées. L'éloignement des centres de décision, le
caractère antidémocratique de la Commission et l'indépendance de l'autorité
monétaire - la Banque centrale européenne - traduisent la volonté, de la part
des promoteurs de l'Europe libérale, de se soustraire à l'intervention
citoyenne alors qu'il est au contraire urgent de renforcer le contrôle des
citoyens sur la prise des décisions.
Pour conclure, mes chers collègues, je voudrais souligner combien les choses
et les forces ont changé depuis l'approbation du traité de Maastricht en 1992.
Aujourd'hui, les marchés financiers, soutenus par les gouvernements, notamment
par celui de la France, pilotent l'intégration européenne. Mais cette
conception de l'Europe s'épuise. L'idée de la fatalité perd du terrain. La
division, la mise en concurrence des peuples s'essouflent.
Au contraire, les salariés, les chômeurs européens s'unissent pour répondre et
repousser cette fatalité. En réponse à la dynamique du désespoir se construit
une dynamique de l'espoir et de l'intelligence pour le développement de
l'humanité.
Désormais, à la faveur de la décision de Renault, on voit poindre un mouvement
contre l'Europe libérale ! Vous ne pourrez pas mettre les peuples entre
parenthèses. C'est pourquoi nous militons pour une consultation sur la monnaie
unique par référendum, comme le Président de la République le proposait.
Tels sont les éléments que je souhaitais présenter au nom du groupe communiste
républicain et citoyen.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà
cinq ans, les douze Etats de la Communauté européenne s'engageaient,
délibérément et sans contrainte, sur la voie d'un approfondissement majeur de
la construction européenne. Au-delà d'un simple marché unifié, les chefs d'Etat
et de gouvernement jetaient alors les bases d'une construction économique et
politique novatrice et ambitieuse, dont le seul fondement reposait sur les
idéaux de paix et de solidarité nés au lendemain de la guerre.
Par référendum, l'opinion publique française exprima son approbation sur les
changements décisifs contenus dans le traité de Maastricht, lesquels
affecteraient la vie des Français dans les moindres détails. Ainsi, du refus
des ministres de l'Union européenne de satisfaire la demande des Français de
déroger à la 8e directive « heure d'été », c'est-à-dire de supprimer à l'avenir
les changements d'heure saisonniers.
Aujourd'hui, en conformité avec les textes du traité sur l'Union européenne et
en prévision du sommet d'Amsterdam de juin prochain, il nous faut dresser un
bilan de nos réalisations et de leurs résultats, sur les plans tant économique
et politique que social.
Ce faisant, on peut se demander si, au vu des contraintes qui s'exercent sur
leur existence, nos concitoyens continuent à adhérer au projet de construction
européenne dans sa globalité. Autrement dit, la France a-t-elle su relever le
défi européen visant à intégrer dans ses comportements politiques l'attitude
consistant, selon Jean Monnet, à ne pas « négocier des avantages mais
rechercher nos avantages dans l'intérêt commun » ?
En cette période de profonde difficulté économique, sociale, politique et
morale en Europe, les idéaux des pères fondateurs de la Communauté, qui se
préoccupaient du maintien « d'une paix et d'une prospérité durables », restent
plus que jamais d'actualité. Ils doivent en conséquence être à tout prix
sauvegardés.
L'Europe ne causera pas notre perte ; l'isolationnisme n'a jamais été porteur
d'avenir. Si l'Europe est une source de contraintes, elle est aussi, mais à la
condition d'y appliquer notre volonté, une force politique, économique et
culturelle.
Novatrice dans son fondement même, la construction européenne porte en elle la
capacité de générer des dynamismes et de susciter l'enthousiasme. Encore
faut-il ne pas oublier que son objectif initial réside dans la recherche de la
prospérité pour ses populations.
Aujourd'hui, la grande majorité des Etats de l'Union européenne souffrent du
même mal. La plupart de leurs gouvernements sont confrontés aux mêmes missions
de réduction des déficits et des dépenses publiques, tout en s'attelant à la
diminution de taux de chômage de moins en moins tolérables.
Les mouvements sociaux européens suscités par l'annonce des futurs
licenciements des ouvriers des usines Renault sont révélateurs. L'emploi en
France et en Europe s'impose comme la priorité des priorités. Tout doit y
converger. Encore convient-il d'expliquer clairement qu'en matière économique
les temps de réponse sont différents, donc les effets différés. étalés.
Mais le besoin autorise-t-il la patience ? Ne pas comprendre l'urgence de la
situation sociale pourrait nous condamner à assister impuissants à l'émergence
transfrontalière de vastes mouvements sociaux antieuropéens, dont l'impact ne
manquerait pas d'avoir un retentissement très négatif sur l'économie des Etats
de l'Union.
M. Jacques Santer, président de la Commission européenne, a d'ores et déjà
fait un pas en direction d'une stratégie européenne cohérente en faveur de
l'emploi. Depuis un an, il relance régulièrement l'idée de mener une lutte
conjointe contre le chômage auprès des responsables européens.
Au Conseil européen de Florence, le président Santer a proposé un « pacte de
confiance ». Ce document dresse le bilan de nos handicaps et indique des axes
de développement tels la finalisation du statut de la société européenne, le
développement de nos industries biotechnologiques et de notre secteur des
services, ainsi que la simplification fiscale. En outre, le président Santer
annoncera au Conseil européen d'Amsterdam la mise en oeuvre de «
projets-pilotes de pactes territoriaux pour l'emploi ».
Rappelons que, selon un récent rapport du Parlement européen consacré aux
actions structurelles en France, les aides au titre de ces politiques
européennes s'élèvent à environ 100 milliards de francs pour la période
comprise entre 1994 et 1999. La même étude indique que 46 % de la population
française est couverte par les actions communautaires menées dans ce cadre.
Grâce à ces interventions, le seul objectif 1 engendrerait, d'ici à 1999, la
création de 60 000 mille emplois dans les départements d'outre-mer, 5 000 en
Corse et 12 000 dans le Hainaut français.
Les actions menées au titre de l'objectif 2 créeraient, quant à elles, 300 000
emplois pendant la même période.
Les effets positifs des interventions européennes sont donc bien réels. Comme
les trains qui arrivent à l'heure, on en parle peu ou pas. Mais je dois
souligner que la mise en place d'une stratégie volontariste en matière d'emploi
et de lutte contre le chômage est primordiale.
Ces questions, messieurs les ministres, sont aujourd'hui parmi les plus
urgentes. Aussi souhaiterais-je que vous puissiez vous exprimer sur le sujet et
connaître la position du Gouvernement sur le « pacte de confiance » annoncé par
le président Santer.
Autre interrogation : comment la France préservera-t-elle les dotations qui
lui sont attribuées dans le cadre de la préparation de la refonte à venir des
politiques structurelles ?
Par ailleurs, à quelles conditions la mise en oeuvre d'une économie sociale de
marché pourrait-elle être viable, face à l'émergence d'acteurs économiques non
européens qui ne s'imposent pas les mêmes contraintes fondées sur le respect de
l'homme ? Il me serait agréable d'être fixé sur ces divers points.
Les agriculteurs français sont inquiets à propos des financements européens;
c'est très clair, et je ne vous révèle rien, messieurs les ministres. Ils
savent que la Commission européenne est en train de préparer une proposition en
matière de programmation financière pour les années 2000. Ils réalisent
également que la réorientation envisagée pour préparer un éventuel
élargissement de l'Union européenne pourrait passer par une baisse des
financements agricoles en faveur de la France.
Le commissaire responsable de l'agriculture, M. Franz Fischler, multiplie les
déclarations relatives à de nécessaires réductions des financements agricoles,
bien qu'il ait également exprimé une position en faveur du « maintien d'une PAC
puissante ».
Face à ces informations contradictoires, pourriez-vous, messieurs les
ministres, nous éclairer quant au sort réservé aux agriculteurs français et aux
lendemains qui les attendent ? Alors que les campagnes continuent à se
dépeupler et que le développement rural reste plus que jamais indispensable,
quel message relatif à l'agriculture française entendez-vous faire passer au
niveau européen ? Une évolution de la répartition des aides est-elle envisagée
?
J'en viens à la politique économique et monétaire.
Politique pilier du processus d'intégration européenne, suite logique de
l'achèvement du grand marché unique, arme décisive pour lutter contre
l'hégémonie monétaire du dollar, cause de tous les maux sociaux de notre pays,
chemin de croix de l'intégrisme communautaire, mise à mort de notre
souveraineté nationale... Que n'a-t-on pas dit sur les conséquences du passage
à la monnaie unique ! Ne retrouve-t-on pas, cependant, un fond de vérité dans
chacune de ces définitions caricaturales ?
Il faut réaffirmer que les bienfaits économiques issus du passage à l'euro
seront nombreux et que cette nouvelle monnaie unique nous permettra de réaliser
nos échanges intra-européens en toute sécurité. N'hésitons pas à répéter que,
quels que soient les critères de convergence fixés pour passer à la monnaie
unique, la résorption des déficits était, de toute façon, devenue
indispensable. La plupart d'entre nous en sont convaincus.
Cependant, je voudrais, messieurs les ministres, attirer votre attention sur
le bouleversement qu'engendrera le passage à l'euro pour les populations de
l'Union.
Chacun sait que deux générations ont été nécessaires pour passer
définitivement de « l'ancien franc » au « nouveau franc » en France et pour
faire assimiler le système métrique en Grande-Bretagne. Le passage à l'euro ne
pourra échapper à cette phase d'intégration et une génération de consommateurs
se sentira exclue du nouveau système. Outre les difficultés techniques,
apparaîtront des résistances psychologiques et culturelles, qui s'ajouteront
inévitablement au poids des contraintes financières imposées aux
populations.
Aussi, ne pourrait-on pas, messieurs les ministres, envisager une étape
supplémentaire qui, sans porter en rien atteinte à la monnaie unique dans ses
principes et dans sa mise en oeuvre pour les échanges intracommunautaires et
extracommunautaires, permettrait à nos concitoyens de la « zone euro » de
progresser plus sereinement à l'intérieur de leurs frontières nationales vers
cet objectif ?
Mon troisième point concernera les questions institutionnelles, dont les
maîtres mots sont, pour moi, efficacité et transparence.
Il est, en effet, essentiel de rechercher l'organisation la plus logique qui
permettra de gérer les situations et de résoudre les problèmes au plus près de
leur source. C'est pourquoi les compétences doivent être distribuées dans
l'Union européenne en fonction de critères pragmatiques et non en raison des
susceptibilités nationales. Il faut, par exemple, déterminer un nombre de
commissaires européens limités, choisis par le président de la Commission
européenne, lui-même nommé par le Conseil.
Ne pourrait-on améliorer, enfin, le fonctionnement administratif de
l'institution ?
Par ailleurs, il serait souhaitable que le Conseil puisse voter à la majorité
qualifiée dans la plupart des cas, à la condition de trouver une pondération
des votes équilibrée. Cet équilibre est d'autant plus important qu'il devrait
être réalisé dans la perspective des éventuels futurs élargissements de
l'Union.
S'il est un autre domaine où des progrès doivent être réalisés, c'est bien
celui de la politique étrangère et de sécurité commune, dont les interventions
se caractérisent par leur rareté et leur modestie.
Dans la pratique, il a été démontré que les textes particulièrement
contraignants du traité sur l'Union européenne en matière d'actions extérieures
entravaient toute proposition : d'une part, leurs procédures décisionnelles se
sont avérées beaucoup trop lourdes ; d'autre part, leur processus non
communautaire a joué au détriment des rares initiatives.
Le bilan est aujourd'hui sévère puisqu'il a permis de démontrer la
quasi-incapacité de l'Union européenne à maintenir la paix à ses frontières.
A l'heure où l'insurrection s'étend en Albanie, la nécessité de mettre en
place une politique étrangère commune est à nouveau démontrée. En l'occurrence,
la France n'a pas à rougir des actions qu'elle a su mener au sein d'une
quasi-léthargie européenne.
En conséquence, messieurs les ministres, quels progrès le Gouvernement
entend-il réaliser pour que l'on puisse assister, en juin prochain, à
l'avènement d'une authentique politique étrangère et de sécurité commune
européenne ?
J'ai pu lire que vous entendiez présenter, le 25 mars prochain, à Rome, une
proposition française en la matière. Pourriez-vous, messieurs les ministres,
nous en donner les grandes lignes ? Pensez-vous pouvoir trouver les alliances
nécessaires au sein du Conseil des ministres pour appuyer votre projet ?
Il me semble que l'échec de la politique étrangère et de sécurité commune aura
au moins permis une prise de conscience générale quant à la nécessité de
réaliser des progrès dans ce domaine. C'est pourquoi je reprendrai à mon compte
les propos tenus par le général de Gaulle en 1963 : « Il n'est pas
invraisemblable qu'un jour vienne où une sorte de compréhension s'établisse par
dessus les idéologies, toutes plus ou moins périmées, de manière que la
détente, puis l'entente, puis, qui sait ? la coopération s'établisse, pour
commencer, d'un bout à l'autre de l'Europe. »
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à la
veille du quarantième anniversaire du traité de Rome, nous pouvons mesurer le
chemin parcouru au niveau tant économique et social que politique en Europe.
Imparfaite, incomplète et critiquable à bien des égards, l'Union européenne
est pour nous maintenant une réalité concrète. Comme tous les projets
d'envergure, le projet de construction européenne exige de l'endurance et de la
pugnacité. Comme dans toutes les conquêtes, l'enthousiasme du départ s'amenuise
avec les difficultés de mi-parcours. Comme dans toutes les victoires, le coût à
payer dépasse les évaluations préliminaires. Mais nous savons tous que le jeu
en vaut la chandelle.
C'est dans cet état d'esprit, messieurs les ministres, que le groupe du
Rassemblement démocratique et social européen attend vos réponses aux
interrogations que j'ai formulées au nom d'une grande majorité de ses membres.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au nom du
groupe des Républicains et Indépendants, je tiens à marquer d'emblée le soutien
que nous apportons à l'action, patiente, du Gouvernement pour poursuivre la
construction européenne - à laquelle nous attachons tous beaucoup d'importance
- malgré toutes les difficultés que nous traversons.
D'abord, à l'horizon du siècle prochain, une Europe forte et dynamique est la
garantie de la paix et du développement. Il ne faut jamais l'oublier !
Ensuite, l'émergence de la Chine, de l'Inde et des grands pays d'Amérique du
Sud modifiera l'équilibre mondial que nous connaissons aujourd'hui et que nous
avons beaucoup trop tendance à essayer de réduire à un système à trois voix :
Etats-Unis, Europe et Japon.
Enfin, en dépit de ce que nous avons entendu au cours de ce débat, nous vivons
dans un monde ouvert à la concurrence, dans lequel les notions d'équilibre de
la balance des paiements, de développement de la productivité, de valeur de la
monnaie sont des références générales plus importantes que le service public
déficitaire, la réglementation paralysante ou le pouvoir laissé à la rue.
Quels que soient les regrets ou les nostalgies que l'on puisse avoir à l'égard
de tel ou tel système qui s'est effondré, il faut bien accepter aujourd'hui les
règles générales de fonctionnement du monde. C'est en fonction de ces règles
que nous devons bâtir la construction européenne.
Messieurs les ministres, le soutien clair et sans arrière-pensée que nous vous
apportons s'accompagne évidemment de quelques interrogations. Le contraire vous
eût surpris.
Je bornerai mon propos à exposer trois de ces interrogations : comment
concilier l'élargissement de l'Union européenne et le renforcement de ses
institutions ? Comment maîtriser l'augmentation continue des dépenses
communautaires ? Enfin - et c'est le sujet le plus actuel - comment améliorer
la dimension sociale de l'Union européenne ?
Première interrogation : comment concilier élargissement et renforcement ?
Vous-même, monsieur le ministre, en ouvrant ce débat, puis M. de Villepin et
M. Genton, avez évoqué un certain nombre d'hypothèses. C'est évidemment là que
vous êtes attendu, car si on élargit à une zone très vaste notre union sans en
modifier les mécanismes de fonctionnement, nous aurons perdu en efficacité ce
que nous aurons gagné en surface.
Les moyens de concilier élargissement et renforcement - ils sont au coeur des
débats que nous menons avec nos partenaires allemands, par exemple - sont
l'instauration de la monnaie unique, la réforme des institutions actuelles de
notre union - là, je m'aventure sur un terrain cher à M. de Villepin - le
renforcement de notre défense commune sur le plan européen.
Tout a été dit par les précédents orateurs sur l'instauration de la monnaie
unique. Je me contenterai de souligner qu'il ne faudrait pas que, sans vouloir
affirmer son opposition à la monnaie unique, on pose tellement de conditions à
l'entrée de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal et, demain, de tel autre pays
que l'on fasse finalement apparaître la monnaie unique comme une mauvaise
solution.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Nous sommes partisans de la monnaie unique parce que nous avons besoin d'une
monnaie d'une dimension suffisante par rapport au dollar, par rapport au yen
et, demain, par rapport à d'autres monnaies.
La fameuse théorie que j'ai entendu développer tout à l'heure par M. Masseret
consistant à dire qu'il est inconcevable que les marchés financiers commandent
aux décisions du Parlement est une théorie intéressante pour l'esprit. Il n'en
demeure pas moins que, tous les jours, il y a des transactions, des cotations,
des circulations de capitaux dans le monde entier. Il ne me paraît donc pas
raisonnable d'opposer les deux éléments. Il est clair que la représentation
nationale et les gouvernements doivent fixer l'orientation générale de la
politique économique et monétaire, il est non moins clair que la monnaie doit
être gérée par une institution spécifique et qu'il ne peut être question de
parler de la dictature des marchés financiers.
Souvenons-nous, mes chers collègues, de ce qui est arrivé à ceux qui ont voulu
se passer de la référence aux marchés financiers : ce fut l'effondrement du mur
deBerlin ; c'est aujourd'hui l'effondrement de l'Albanie. Alors, n'ayons pas de
nostalgie et n'essayons pas sans arrêt de rebâtir ce qui n'a pas pu exister !
(M. Jacques Machet applaudit.)
La question de la monnaie unique recèle tout de même deux problèmes très
difficiles. Le premier est posé par la situation des pays qui n'y adhéreront
pas dès le début.
M. Maurice Schumann.
Et voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, malgré les progrès que vous avez
obtenus dans les négociations précédentes, nous sommes un peu inquiets. En
effet, si, au départ, les pays qui auront adhéré à la monnaie unique, qui donc
auront satisfait aux critères de Maastricht, ne sont pas suffisamment nombreux,
le lien à créer entre la monnaie unique et les pays annexes, dans le deuxième
ou le troisième cercle, aura une grande importance.
Je pense qu'il faudrait mettre en route un processus d'entrée progressive et
de relations entre les pays qui sont dedans et ceux qui vont être dedans - je
traduis en français, puisque je ne peux pas dire à cette tribune : les pays
« in »
et les pays « pré-in ». Il faut absolument instituer un système
de relations institutionnelles et de liaisons efficaces pour déterminer le
comportement des pays qui n'adhèreront pas à la monnaie unique par rapport à
l'attribution des fonds structurels et des subventions, de façon que chacun
soit encouragé à ne pas faire trop d'écarts à l'égard de la discipline
monétaire.
MM. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères,
et Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Il faut le dire clairement à l'ensemble de nos partenaires actuels et futurs,
pour que ce langage soit entendu et qu'on n'ait pas à y revenir à chaque
fois.
Le deuxième problème posé par la monnaie unique résulte évidemment du temps
qui va s'écouler entre la décision de mise en place de la monnaie unique, la
transformation des comptes en francs en comptes en euros et l'apparition de la
véritable monnaie. Tout ce qu'on pourra faire pour raccourcir les délais ira
dans le bon sens, car il va y avoir une période de flottement propice à un
petit redémarrage de l'inflation, mais aussi propice à « l'arnaque », si je
puis m'exprimer ainsi.
Par conséquent, il sera nécessaire de faire très attention et de prendre les
dispositions nécessaires pour que l'instauration de la monnaie unique soit
bénéfique et non pas dangeureuse.
Permettez-moi d'aborder maintenant le problème de la réforme des institutions
de l'Union européenne, le fameux problème de l'équilibre entre les Etats, la
Commission et le Parlement.
Je sais que plusieurs thèses existent. Il est clair que le nombre des
commissaires doit être réduit ; il est clair que le président de la Commission
doit avoir des responsabilités particulières ; il est clair qu'on ne peut pas
perpétuer à vingt-cinq le système actuel, dans lequel les grands pays ont deux
commissaires et les petits pays un seul commissaire. Nous aboutirions à une
structure absolument ingouvernable.
En outre, il est évident que chaque pays participant doit avoir un ministre
chargé des affaires européennes qui réside pour moitié du temps dans sa
capitale nationale, et pour moitié à côté des institutions européennes, de
façon à suivre de près l'ensemble des sujets.
Faut-il augmenter les pouvoirs de la Commission par rapport à ceux des
parlements nationaux ? Nous sommes parvenus, à mon avis, avec la dernière
révision constitutionnelle, à un certain équilibre. Grâce à la diligence de la
délégation présidée par M. Genton, nous examinons l'ensemble des projets de
directive. Nous pouvons intervenir à un bon niveau.
Je crois que c'est plutôt d'une modification des structures de la Commission,
d'une réduction du nombre des directions générales et de l'ensemble des
perspectives de cette organisation que nous pouvons attendre un certain nombre
de progrès.
S'agissant toujours de l'élargissement et du renforcement, je dirai que plus
tôt des progrès interviendront en matière de politique étrangère et de sécurité
commune, plus tôt le renforcement l'emportera sur l'élargissement. A cet égard,
je crois qu'il faudrait un jour avoir le courage de simplifier les rapports
entre l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale. Il faudra savoir
où sont placées les instances de commandement et de préparation pour éviter la
rupture des « chaînes de commandement » - pour reprendre une formule du jargon
militaire - qui risque d'intervenir à tout moment tellement celles-ci sont
étirées et tellement les états-majors sont innombrables.
Bien évidemment, il faudra aussi développer rapidement les pouvoirs de
l'Agence européenne de l'armement. Nous savons tous que la fabrication
d'armements est une opération coûteuse, que ces armements, qui sont
essentiellement dissuasifs ou qui devraient l'être, sont extrêmement
onéreux.
Nous sommes dans une compétition formidable - au sens latin du terme,
c'est-à-dire terrifiante - avec les Etats-Unis d'Amérique. Il est clair que
seule une agence européenne de l'armement nous donnera la dimension nécessaire
pour doter la politique de sécurité commune des outils dont elle aura besoin.
Certains sont juridiques, d'autres techniques ou militaires. C'est au niveau de
ces outils que je vois, pour ma part, le renforcement l'emporter sur
l'élargissement.
La deuxième interrogation est peu fréquemment évoquée au Parlement à l'heure
actuelle : comment freiner l'augmentation des dépenses communautaires ?
En effet, nous ne pouvons pas expliquer à nos électeurs, que ce soit au niveau
municipal, départemental, régional, que nous sommes obligés de réduire nos
déficits, que nous supprimons un certain nombre de services, que nous créons
dans le monde hospitalier un certain nombre de problèmes - qui se traduisent
par des défilés dans la rue - et que, simultanément, sur le plan européen, nous
continuons à laisser aller l'ensemble de la dépense.
M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade
Pour freiner l'augmentation des dépenses communautaires, je pense que nous
devons d'abord appliquer de manière effective, et du haut en bas de la chaîne,
le principe de subsidiarité ; vous l'avez dit, monsieur le ministre, et je vous
en donne acte.
Mes chers collègues, je vous le rappelle, nous aurons désormais six niveaux de
responsabilité : la commune, le groupement de communes, le département, la
région, l'Etat national et l'Europe ! Si nous n'avons pas la sagesse de
préciser les compétences et de faire en sorte que la même opération ne soit pas
financée par plus de deux niveaux de responsabilité, afin d'éviter les
imbrications de financements et les subventions croisées, si nous n'avons pas
la sagesse de dire que certains niveaux n'ont pas à intervenir dans tel ou tel
domaine sous peine de provoquer le désordre, nous assisterons à une
augmentation incontrôlée des dépenses.
Ainsi, au lieu de s'épuiser à des interventions innombrables et parcellaires,
on doit « cibler » davantage l'ensemble des dépenses. A cet égard, je suis
favorable à une définition claire par la CIG des compétences respectives dans
le respect du principe de subsidiarité. De cette manière, nous éviterons les
excès de dépenses dans lesquels nous risquons tous de tomber un jour ou l'autre
par générosité, par bonté d'âme ou parce que nous ne prévoyons pas suffisamment
les conséquences de nos décisions. Il suffit d'imaginer ce qui va se passer en
matière de protection de l'environnement dans les cinq ans à venir pour
comprendre que nous n'avons pas mesuré exactement ce que nous allions dépenser
et, donc, réclamer aux contribuables !
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
Pour freiner l'augmentation des dépenses, il convient également, messieurs les
ministres, de mieux « cibler » les fonds structurels.
Ces fonds répondent à deux objectifs distincts. Il s'agit d'abord de mettre en
place une grande politique d'aménagement du territoire, aux termes de laquelle
on essaie de faire en sorte que chaque communauté grecque, par exemple, vive au
niveau de la plus riche communauté d'Ile-de-France ou de la région rhénane.
C'est une affaire qui peut coûter un prix fou pendant longtemps.
Le second objectif est de renforcer l'efficacité des entreprises européennes
qui sont en concurrence directe avec les pays asiatiques, avec les pays
américains et, demain, avec la Chine.
Les fonds structurels devraient d'abord, me semble-t-il, dans l'optique de
lutte pour l'emploi et pour le développement économique, servir à modifier
l'échelle de nos entreprises communautaires dans les secteurs de l'automobile,
de l'aviation, de la technologie, de la bio-technologie, etc., de telle sorte
que le saupoudrage en matière d'aménagement du territoire, cher à tout le
monde, vienne en second.
La confusion des deux systèmes risque de créer une dialectique de la dépense
absolument néfaste. On voit à l'heure actuelle certains fonctionnaires se
creuser la tête pour savoir comment utiliser les crédits des fonds structurels.
En deux mots, j'évoquerai maintenant un point qui n'a pas encore été abordé.
Nous devons arrêter des choix plus nets dans les orientations que nous prenons
en matière d'aide aux pays en développement.
Il faut que nous sachions si nous voulons aider un certain nombre de pays en
développement à franchir la barrière du sous-développement et, en Afrique ou
ailleurs, essayer de les faire entrer dans un univers plus policé et plus
développé, ou bien si nous continuons à jouer à l'ONU au niveau européen en
distribuant de l'argent à tout le monde, en finançant des organisations
internationales qui, telles certaines organisations caritatives, ont plus de
frais de gestion que de frais d'intervention, ce qui se traduit certainement
par des emplois utiles sur le plan international, mais par une très faible
efficacité quant au développement des entreprises et des pays concernés !
Messieurs les ministres, c'est une question de choix : donnons-nous dans le
multilatéralisme ? Donnons-nous, au contraire, dans le développement des
échanges bilatéraux ? Faisons-nous un Lomé IV, un Lomé V ? Avec qui
travaillons-nous ? Quels types d'interventions prônons-nous ? C'est un vaste
sujet.
Un certain nombre de nos partenaires - je pense à la Suède, au Danemark, mais
également aux Pays-Bas - ont, sur ce point, des orientations très précises. Je
crois qu'il faudrait en parler avec eux pour essayer de freiner l'augmentation
des dépenses tout en étant efficaces et tout en menant une action
internationale importante.
J'en viens à ma troisième interrogation, qui est la plus actuelle : comment
améliorer la dimension sociale de notre Europe ?
La récente annonce de la fermeture d'un site industriel de Renault, qui
suscite beaucoup d'émoi, est venu montrer que, en la matière, nous avions
encore des législations nationales juxtaposées et qu'il était possible soit de
ne pas appliquer les directives européennes existantes, soit, comme dans le cas
Renault, parce que des accords avaient été conclus antérieurement, de les
appliquer d'une manière tout à fait particulière.
En tout cas, il apparaît clairement que le fait d'avoir à gérer un outil
industriel en étant obligé de se référer à des législations différentes, qu'il
s'agisse du rôle des comités d'entreprise, de l'information des partenaires
sociaux, des plans sociaux ou d'accompagnement des licenciements, etc., rendait
l'exercice très difficile.
C'est pourquoi le premier pas à faire pour améliorer la dimension sociale de
la construction européenne réside dans la mise en oeuvre rapide de la société
de droit européen, laquelle présentera trois avantages.
En premier lieu, seront ainsi mis en oeuvre des mécanismes de contrôle des
comptes qui ne varieront plus en fonction de la nationalité, de telle façon
qu'on ne pourra plus domicilier sa comptabilité dans tel ou tel pays que je ne
citerai pas.
En deuxième lieu, les actionnaires, qu'ils soient grands ou petits, sauront
exactement ce qui se passe et seront protégés. Des exemples récents - je pense
en particulier à l'affaire Renault-Volvo - ont illustré la différence existant
dans la protection des petits actionnaires selon qu'ils étaient belges, suédois
ou français. Il me paraît donc très important de mettre en place un mécanisme
global de protection des actionnaires.
En troisième lieu, s'agissant des relations sociales, du dialogue social, il
est clair que cette base juridique solide permettra aux partenaires sociaux de
discuter, comme le précise la directive de 1995, de l'ensemble des éléments
touchant à la structure de l'entreprise et des décisions stratégiques
intéressant son fonctionnement.
Cela suppose - et c'est un grand débat, messieurs les ministres - que nous
prenions parti entre deux options.
D'un côté, c'est l'extension à l'Union européenne du système de droit social à
la française, dans lequel il n'y a jamais cogestion, mais où il y a discussion
et protection, à travers des mécanismes extrêmement précis, au détail près,
sous le contrôle juridictionnel des tribunaux et de la Cour de cassation, ce
qui retarde de manière fantastique l'ensemble des procédures.
De l'autre côté, c'est la généralisation du système de droit social de type
anglo-saxon, qui fonctionne en Allemagne et en Grande-Bretagne, dans lequel il
existe des procédures beaucoup plus rapides, parfois avec cogestion - c'est le
cas de l'Allemagne - parfois avec un contrôle administratif et sans contrôle
judiciaire. En tout cas, il y a un dialogue social, ainsi que la commission des
affaires sociales a pu le constater en Suède, ainsi que nous l'avons vu en
Allemagne à l'occasion de grands conflits, chez Volkswagen ou ailleurs, et la
discussion avec les partenaires sociaux n'est pas un combat. C'est une
discussion permanente, qui porte aussi bien sur les conditions de travail que
sur les conditions de départ à la retraite, les conditions d'embauche, les
conditions de rémunération, la durée du travail.
Au lieu de s'orienter vers une flexibilité rendue nécessaire par une
réglementation du travail trop tracassière, le système de type anglo-saxon
autorise donc une négociation beaucoup moins heurtée, qui, à partir d'un cadre
législatif beaucoup plus sommaire, laisse au dialogue au sein de la branche ou
de l'entreprise une liberté bien plus ample.
C'est un problème de fond, que personne ne veut trancher : je n'ai jamais
entendu personne proposer de faire ce choix entre l'extension du système à la
française, dans lequel tout est écrit et tout est soumis au contrôle des
tribunaux, mais qui suppose des délais très longs, et la généralisation d'un
système à l'anglo-saxonne, où l'on discute de manière permanente de l'ensemble
des dossiers intéressants les partenaires dans l'entreprise. Il faudra qu'on
choisisse, car il ne peut pas y avoir de construction de l'Europe sociale si,
au départ, on ne choisit pas être l'une ou l'autre de ces voies.
Et je ne parle pas de l'unicité du partenaire syndical, car c'est un sujet
dangereux, notamment en France ! Mais enfin, il est clair que, en Suède ou en
Allemagne, où l'on a en face de soi une seule organisation syndicale, il est
plus facile de négocier de manière permanente sur l'ensemble des conditions
d'exercice de la fonction « entrepreneuriale » et du développement des
entreprises.
Enfin, il faudra, aussi, à l'évidence, faire des progrès dans la coordination
des mécanismes de protection sociale. Nous sommes en avance par rapport aux
autres dans la politique familiale. Nous sommes dans une position moyenne en ce
qui concerne la santé. Nous avons encore des régimes vieillesse très
distincts.
Je rappelle, sur ce dernier point, qu'il a fallu attendre 1997 pour que la
France se dote, comme tous ses partenaires, d'un système complémentaire de
retraite par capitalisation, alors que nous n'avions que des systèmes de
retraite par répartition. Or les tables démographiques et les perspectives
d'évolution jusqu'en 2005-2015 montrent que nous serons nécessairement obligés
de recourir à la fois aux retraites par répartition et aux retraites par
capitalisation.
En résumé, l'amélioration de la dimension sociale se trouve, selon moi, dans
la société de droit européen, dans le choix d'un système de négociation et dans
la coordination des mécanismes de protection sociale.
Voilà, messieurs les ministres les points concrets sur lesquels je
souhaiterais voir la discussion s'engager. C'est en parlant de choses réelles
et en travaillant sur des problèmes concrets que l'on peut faire progresser
l'ensemble de la négociation.
Bien entendu, il ne s'agit que d'orientations que nous vous suggérons. Nous
savons combien les travaux de la Conférence intergouvernementale sont
complexes. Nous savons qu'ils doivent faire l'objet d'échanges approfondis tant
avec nos principaux partenaires qu'avec les plus « petits », qui se sentent
plus vulnérables et craignent de se trouver sacrifiés dans un accord conclu
pour l'essentiel entre les « grands ».
Tout à l'heure, M. Masseret a parlé d'un projet de société. Nous devons
effectivement offrir à nos concitoyens, notamment aux plus jeunes d'entre eux,
un véritable projet de société, avec un espoir et une perspective de
développement. Mais encore faut-il que nous soyons clairs dans ce que nous
disons : on ne peut promettre le beurre et l'argent du beurre ! On ne peut pas
dire à la fois qu'on va baisser les impôts et augmenter les emplois publics !
Il faut être sérieux !
Je crois, pour ma part, que c'est cette vertu de sérieux, cette volonté
d'aborder les vrais problèmes qui se posent dans la négociation et ce souci de
parvenir à l'efficacité pour faire face aux défis actuels et futurs qui doivent
caractériser la position du Gouvernement français. Parce que nous pensons que
sa position est telle, nous la soutenons.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Millaud.
M. Daniel Millaud.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je
souhaite intervenir une nouvelle fois sur le devenir de l'association des pays
et territoires d'outre-mer à l'Union européenne, qui fait l'objet de la
quatrième partie du traité.
Pour comprendre l'origine d'une grande partie des problèmes soulevés, qui
concernent en particulier les territoires d'outre-mer français, il faut
rappeler la concomitance de plusieurs événements.
En 1956, 1957, 1958, pendant que se mettaient en place les dispositions prises
pour la création d'un « marché commun », sans consultation préalable des
assemblées représentatives des futurs territoires associés, était votée la
loi-cadre dite « loi Defferre » et étaient promulgués ses décrets
d'application, qui ouvraient des perspectives décentralisatrices, tandis que,
presque simultanément, le référendum constitutionnel de 1958 exigeait que ces
territoires répondent « oui » pour rester français.
Alors que notre gouvernement s'autosatisfaisait de sa politique outre-mer,
ceux de ses partenaires qui entretenaient des relations « privilégiées » avec
des territoires obtenaient des dispositions particulières préservant leurs
spécificités - politiques, économiques, sociales - et, quelquefois, en
excluaient d'autres de l'association.
Très rapidement, devait se confirmer l'échec du « Commonwealth à la française
», au moment où il fallait prendre les secondes mesures d'application de la
quatrième partie, prévues par l'article 136 du traité, la plupart des
territoires - dont les plus importants - devenant des Etats indépendants.
Il parut alors plus simple aux « décideurs » de Bruxelles de transposer, à peu
de choses près, les conventions de Yaoundé, puis de Lomé, dans la rédaction des
décisions successives d'association, si bien que toutes les dispositions de la
quatrième partie n'ont pas pu être appliquées.
C'est, aujourd'hui, la cause d'une querelle judiciaire, accompagnée de
menaces, engagée à l'encontre des Antilles néerlandaises, dans une affaire de
riz, alors que ce territoire a appliqué les dispositions de la dernière
décision d'association en s'en tenant strictement à l'article 132 du traité.
Par ailleurs, pendant que le Parlement français dote ses territoires, en
particulier celui que je représente au sein de la Haute Assemblée, de
compétences dans plusieurs domaines, le Gouvernement ne les défend pas devant
ses partenaires européens, nous expliquant que ces compétences ne peuvent
s'exercer, car le droit communautaire s'impose ; c'est la politique de
l'érosion des compétences locales qui s'installe.
Mais il faut aussi éviter de tomber dans l'ambiguïté en ce qui concerne nos
rapports avec la Communauté européenne, et je vais donner quelques exemples
pour mieux me faire entendre.
Les territoires d'outre-mer n'appartiennent pas à la Communauté européenne,
contrairement aux départements d'outre-mer. Et pourtant, on demande aux
habitants de ces territoires, en tant que citoyens français, de participer aux
élections européennes. Quel est le sens de cette disposition quand d'autres
Etats ayant des territoires d'outre-mer ne procèdent pas comme nous ? Ainsi,
les habitants des Antilles néerlandaises, qui sont citoyens hollandais, et donc
européens, ne participent pas à ces élections, et c'est logique.
S'agissant de la liberté d'établissement, le statut de la Polynésie prévoit
que les autorités locales sont compétentes en matière d'installation des
étrangers. C'est la loi, la loi que nous votons ici même, mes chers collègues.
Eh bien, dans le même temps, et alors que nous n'appartenons pas à la
Communauté européenne, on nous impose le libre établissement des ressortissants
communautaires. Le droit communautaire ne nous permet d'exercer un contrôle -
et dans des limites très restreintes - que si nous ne faisons pas de
discrimination entre les Français et les autres Européens.
Mais cela, m'explique-t-on, est contraire à la Constitution.
Il y a donc contradiction entre la norme communautaire et la norme suprême
française. Il me semble pourtant que la continuité de l'Etat est un principe
qui veut dire quelque chose en France !
C'est le Gouvernement français qui a négocié et signé le traité de Rome. C'est
lui qui a présenté le projet de Constitution de la Ve République, et nous avons
voté « oui » à Tahiti. C'est lui aussi qui a présenté les différents statuts
des territoires d'outre-mer.
Quand je demande à Paris que l'on modifie la Constitution, on me répond qu'il
faut modifier le traité ! Quand je demande que l'on modifie le traité dans le
cadre de la Conférence intergouvernementale, on me dit qu'il faut modifier la
Constitution !
La situation n'est aujourd'hui plus tenable.
Une Conférence intergouvernementale est en cours, nous demandons
solennellement, messieurs les ministres, qu'on modifie ce régime incohérent,
qu'enfin on mette un terme à l'érosion de nos compétences et que l'on négocie
avec les territoires d'outre-mer et pour eux une association qui en soit
une.
Vous avez déposé sur la table des négociations un projet de déclaration qui
permet d'envisager une révision du régime d'association en 1999, à l'occasion
de la négociation de la prochaine décision d'association. Mais le problème est
d'abord dans le traité. Si l'on ne modifie pas la quatrième partie du traité de
Rome, on ne pourra pas modifier en profondeur la décision d'association. Il
faut modifier le traité, et il est possible de le faire : en 1985, les Etats de
la Communauté ont modifié le traité de Rome uniquement pour donner un nouveau
statut au Groënland.
Quand il y a une volonté politique, tout est possible.
Par ailleurs, vous savez comme moi, quelle portée ont les déclarations
annexées à la fin des traités. Dans le traité de Maastricht, il y a une
déclaration sur les territoires d'outre-mer qui n'a jamais été appliquée. Vous
la retrouverez facilement, mes chers collègues, car elle est située juste après
la déclaration relative à la protection des animaux ! Nous sommes n'est-il pas
vrai ? de charmants toutous !
Non, monsieur le ministre, une déclaration sur les territoires d'outre-mer
n'est pas à la mesure des problèmes actuels.
La France a demandé à la Conférence intergouvernementale une modification du
traité afin que les spécificités, les difficultés particulières des
départements d'outre-mer puissent être prises en compte parce qu'elles sont «
ultra-périphériques ». Quel vocabulaire ! En fait, le problème est celui de
l'octroi de mer, que la France souhaite pouvoir maintenir en faveur de ses
départements d'outre-mer, alors qu'il est formellement interdit par le droit
communautaire.
Ce que vous demandez pour les DOM, c'est donc une dérogation inscrite dans le
traité. Mais n'y aurait-il pas alors une certaine logique à envisager que les
spécificités des territoires d'outre-mer soient également prises en
considération, d'autant que la Conférence intergouvernementale actuellement
réunie est la dernière occasion avant longtemps de faire évoluer les rapports
des territoires avec la Communauté dans le sens d'une véritable association ?
Cela peut passer par la modification du traité ou par des protocoles
spécifiques.
En tout état de cause, il faut respecter le troisième alinéa de l'article 131.
A défaut, et si cela se révélait indispensable, il conviendrait - c'est une
mesure proposée par l'assemblée de Polynésie française - d'envisager la rupture
de l'association de mon territoire à l'Union européenne
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Schumann.
M. Maurice Schumann.
Monsieur le ministre, nous avons entendu, au début de ce débat, un exposé
liminaire qui brillait par sa clarté, sa précision, son assurance.
Je vous rends hommage pour sa clarté, je vous félicite pour sa précision. Mais
je suis obligé de vous dire que je ne partage pas entièrement l'assurance et
que, bien au contraire, je monte à la tribune pour exprimer, par un certain
nombre de questions, l'incertitude et l'inquiétude qui habitent nombre d'entre
nous.
En premier lieu, monsieur le ministre, avez-vous eu connaissance de la
déclaration publiée le 7 février dernier par dix-huit anciens collaborateurs
directs du général de Gaulle ? Aucun d'eux n'est jamais descendu dans l'arène
politique. Aucun d'eux, compte tenu de nombreux facteurs, parmi lesquels leur
âge, ne peut être soupçonné de nourrir une ambition quelconque.
Comment s'expriment-ils ? Ecoutez le passage essentiel de leurs propos : « Sur
le plan économique, décisif à notre époque, l'instauration d'une monnaie
unique, surtout dans les conditions où sont prévues sa gestion et l'autorité
qui l'assumera, ne peut que mettre en cause l'indépendance de notre politique
économique, financière et budgétaire, avec toutes les conséquences qui en
découleraient sur le plan social. Il y a là une novation majeure par rapport à
une tradition millénaire de souveraineté et de prérogative de l'Etat. »
Mme Danielle Bidard-Reydet.
C'est vrai !
M. Maurice Schumann.
Je ne poursuivrai pas la citation, mais je suis très étonné que les
signataires de cette déclaration, parmi lesquels figurent deux ambassadeurs de
France, MM. Etienne Burin des Roziers et Jean-Marc Boegner, qui ont longtemps
représenté la France à Bruxelles, notamment à l'époque où le général de Gaulle
était à la tête de l'Etat, s'adressent - ils tiennent à le préciser - non pas
seulement à ceux qui partagent la conception politique du général de Gaulle
quant à l'Europe des Etats mais aussi, disent-ils, à tous les Français, y
compris, par conséquent, à ceux qui, pour des motifs souvent parfaitement
respectables, se sont prononcés en faveur du traité de Maastricht lors du
dernier référendum.
Voilà qui m'amène à vous poser une deuxième question, dont, cette fois, je
connais la réponse : avez-vous eu connaissance du livre publié par le Premier
ministre, M. Alain Juppé, sous le titre
Entre nous
? Avez-vous lu les
pages 62 et 63 de ce livre, qui sont consacrées aux problèmes européens ?
Je tiens à dire que, bien entendu, le Premier ministre ne songe pas à changer
de cap.
Il déclare qu'il rêve - retenez bien le verbe - d'amener la France dans la
monnaie européenne. Mais, ajoute-t-il, à deux conditions, qui ne sont, ni l'une
ni l'autre, durablement remplies. La première concerne la sous-évaluation du
dollar, la seconde - je sais bien que la conjoncture nous apporte à cet égard
quelques apaisements, mais elle est changeante - les dévaluations compétitives.
M. le président Fourcade a soulevé tout à l'heure ce sujet avec une précision
et une clairvoyance que nous lui reconnaissons à la faveur de chacune de ses
interventions.
« Nos amis allemands, écrit M. Juppé, veulent un euro dur : ils ne veulent pas
d'un euro mou. Nous non plus, nous ne voulons pas d'un euro mou, mais nous
voulons d'une croissance forte, pour un emploi fort. »
M. Juppé ajoute - encore une fois, je ne tire nullement ces conclusions à mon
avantage mais j'insiste sur la valeur, la profondeur et la loyauté de ces
citations - en citant un mot célèbre de Georges Clemenceau, qui d'ailleurs, si
mes souvenirs sont exacts, a été prononcé à cette tribune même : « La
croissance et l'emploi sont des enjeux trop graves pour qu'on s'en remette à
des banquiers, fussent-ils gouverneurs. »
(M. Loridant applaudit.)
« Il y a là, conclut le Premier ministre, une question vitale qui doit être
élucidée avant notre entrée dans la monnaie européenne. »
Je parlais d'assurance tout à l'heure. Permettez-moi de vous dire, monsieur le
ministre, que le ton du texte que je viens de lire - je ne parle pas du fond -
est quelque peu différent de celui que vous avez employé et qui est un peu
péremptoire - mais c'est normal, étant donné la fonction que vous exercez, je
l'ai assumée avant vous et j'en connais les servitudes.
Ce ton a un sens extrêmement précis. Il signifie que, pour M. Juppé, qui fut
un partisan résolu du vote positif au dernier référendum, il s'est produit,
depuis la signature du traité de Maastricht, un certain nombre d'événements qui
en ont ou révélé la vraie nature ou modifié la nature.
Il y a, d'un côté, le traité de Maastricht tel qu'il a été signé et, de
l'autre, le traité de Maastricht tel qu'il devient ou tel qu'il est en train de
devenir. Si j'avais voté « oui », je crois que je nourrirais l'inquiétude que
j'évoquais tout à l'heure. Si j'avais voté « oui », j'aurais voté pour une
union monétaire englobant l'ensemble des pays membres de l'Union européenne. Or
je me trouve aujourd'hui en face de l'euro, c'est-à-dire d'une union monétaire
mutilée.
Géographiquement, il y a une différence, qui est essentielle, entre l'espace
économique sans frontières dont nous avons tous été partisans et l'espace
couvert par l'euro. L'inconvénient - il a été souligné par M. le président
Fourcade - c'est que les pays qui ne seront pas dans l'euro garderont, même
s'ils ne l'utilisent pas toujours, la possibilité de recourir à des
dévaluations compétitives, ou tout au moins à des manipulations monétaires.
Ah ! je sais bien la réponse qui m'est faite ! Tous les pays membres de
l'Union européenne ont, me dit-on, vocation à entrer dans l'euro - ce qui ne
suffit pas d'ailleurs à faire de ce mot un synonyme de la locution « union
monétaire ». Mais les théologiens nous ont enseigné que tous les baptisés ont
vocation à la sainteté. Pourtant, si j'en juge par mon propre exemple, entre la
vocation et l'accomplissement, il y a un immense écart !
(Sourires.)
Alors qu'on ne nous dise pas que l'Angleterre adhérera nécessairement demain à
l'euro. J'ai été le ministre des affaires étrangères qui, sous l'autorité du
Président de la République Georges Pompidou a négocié - les négociations ont
été dures - l'entrée de ce pays dans le Marché commun. Nous avons réussi, seize
ans après la signature du traité de Rome et après des pourparlers extrêmement
difficiles.
L'Angleterre, à ce moment-là, ne faisait pas partie de la Communauté. Il
s'agissait, pour elle, de n'y pas entrer ou d'y entrer. Aujourd'hui, elle est
dans l'Union européenne ; elle bénéficie de l'espace économique sans frontière
et elle ne manifeste, à la veille d'élections générales, ni pour ce qui
concerne le gouvernement conservateur ni pour ce qui concerne l'opposition
travailliste, la moindre intention de réviser sa position. Il est inutile que
je vous rapporte les propos tenus par M. John Major ou par le chef de
l'actuelle opposition, vous les connaissez.
Et puis il y a le fameux « pacte de stabilité » ! Tout récemment, certains y
ont d'ailleurs déjà fait allusion, le Parlement européen est sorti de ses
attributions et a condamné véhémentement une loi dont on avait le droit d'être
partisan ou adversaire, qu'on avait le droit d'amender - le Sénat ne s'en est
d'ailleurs pas privé - mais qui n'engageait que la responsabilité et la
compétence des parlementaires français.
Le Président de la République s'est alors cabré en employant un ton dont lui
savons gré et dans lequel nous reconnaissons sa véritable nature, qui explique
notre attachement à sa personne. Vous savez que, pour ce qui me concerne, cet
attachement est ancien, durable, profond, et même indéracinable.
Mais, après tout, l'initiative du Parlement européen était sans lendemain et
sans conséquences. Il n'avait aucun moyen d'imposer ses exigences ; il ne
pouvait qu'outrepasser ses droits. Mais qu'adviendrait-il demain si l'hôte de
l'Elysée se voyait, en vertu d'un pacte au bas duquel aura été apposée la
signature de la France, infliger, par le banquier suprême de Francfort, une
échelle de sanctions dont la liste a d'ores et déjà été établie ?
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Maurice Schumann.
On a beaucoup évoqué les conséquences de l'euro sur la politique intérieure,
économique, financière et budgétaire de la France, ainsi que les conséquences
sociales. Mais il convient également de prendre en compte les conséquences
internationales, qui ne sont pas moins graves. Je me suis bien souvent demandé,
je vous l'avoue, si, en cas de disparition du franc, pourraient subsister la
zone franc, mais aussi la politique africaine, sur laquelle la France a
longuement imprimé sa marque propre, et ce à la veille d'un siècle qui sera le
premier dans l'histoire au cours duquel l'Afrique pèsera lourdement dans la
balance de notre destin.
Je me suis aussi interrogé sur ce qu'il adviendrait de notre participation au
Fond monétaire international et à la Banque mondiale.
Tout récemment encore, nous avons entendu un commissaire européen, que je ne
nommerai pas, affirmer qu'il faudrait, après la naissance de l'euro, modifier
la structure du G 7. Cela signifierait-il que, lorsque les puissances
industrielles se concerteront, le Japon sera représenté par un Japonais, les
Etats-Unis par un Américain, la Grande-Bretagne, qui n'aura pas adhéré à
l'euro, par un Anglais... et la France par un commissaire européen ? Les
historiens pourraient alors dire qu'avant la fin du siècle la France a perdu le
rang de puissance mondiale qui lui avait été restitué en 1945,...
M. Pierre Fauchon.
Sur le papier !
M. Maurice Schumann.
... et nous savons au prix de quels sacrifices, mais aussi grâce à qui.
Aura-t-on pour autant le droit d'affirmer que les Français ont renoncé à cet
héritage ? Non, nous n'aurons pas le droit de le prétendre tant que nous ne les
aurons pas consultés directement une seconde fois sur les véritables enjeux,
sur les enjeux nouveaux.
M. Paul Loridant.
Très bien !
M. Maurice Schumann.
Le problème social tout comme les conséquences sociales ont été longuement
évoqués. Voilà qui m'a rappelé un troisième texte fort récent - vous allez dire
que j'abuse des citations - qui m'a non pas scandalisé, car je suis trop vieux
pour me scandaliser à si peu de frais, mais bien étonné.
Il s'agit d'une phrase prononcée par le ministre allemand chargé des finances
dans le gouvernement de M. Kohl, M. Jürgen Stark, lors d'une réunion des Quinze
à Bruxelles, pour rassurer ceux de ses collègues qui lui demandaient où allait
l'Allemagne : « En nous assignant comme objectif un déficit public de 2,9 % en
1997, nous avons tenu compte de tous les risques, qu'il s'agisse d'une
diminution des rentrées fiscales ou d'une augmentation de 200 000 à 300 000 du
nombre des sans-emploi par rapport à 1996. »
Cette déclaration est doublement grave.
Elle signifie, d'abord, ce qui ne nous apprend rien, que le passage, fort
heureux en lui-même d'ailleurs, de 1,6 % à 2,3 % de la croissance moyenne des
pays membres de l'Union européenne l'an prochain n'aura pas d'effet sur
l'emploi, ne stabilisera même pas les chiffres de l'emploi.
Mais elle est grave aussi parce qu'elle montre un ordre de priorités qui n'est
pas celui dont votre gouvernement, à juste titre, s'est réclamé lorsqu'il a été
constitué avec notre appui : la lutte contre le pire des fléaux apparaît, à
travers une déclaration comme celle-là, délibérément reléguée au second
plan.
Déjà, le Président Giscard d'Estaing avait déploré, au cours d'un débat à
l'Assemblée nationale, que l'emploi ne figure pas au nombre des critères de
convergence. Et aujourd'hui, nous entendons dire que 200 000 à 300 000 chômeurs
supplémentaires ne représentent qu'un dérapage qu'on se contentera de prendre
en compte pour atteindre l'objectif primordial auquel M. Jürgen Stark se réfère
!
Je pose la question avec beaucoup de gravité car je sais que vous êtes un
ministre des affaires étrangères parfaitement conscient de ses devoirs, vous
n'ignorez rien de l'estime et de l'amitié que je vous porte, vous êtes aussi un
homme de coeur, ne serait-ce qu'en raison des responsabilités régionales que
vous exercez : cette résignation est-elle devenue la contrepartie à la fois
explicite et inavouable qu'exige la naissance de l'euro ?
On a cité le nom d'un ancien Premier ministre, la seule femme qui ait jamais
exercé cette fonction, Mme Cresson. Elle est aujourd'hui membre de la
Commission européenne. Dans un article récent du
Figaro,
elle écrivait :
« On ne peut plus continuer à refuser les aides à l'emploi dans les secteurs
qui en ont le plus besoin, tels l'automobile » - vous voyez à quoi elle pensait
- « le textile » - je représente ici le département du Nord - « la chaussure,
l'électronique grand public, l'électroménager et autres industries de
main-d'oeuvre confrontées à la concurrence internationale. Un redressement est
indispensable. L'Europe doit mettre la concurrence au service de l'emploi. »
Quand on lit des propos comme ceux que je viens de citer, on ne peut pas
s'étonner d'assister à des défilés comme celui qui s'est déroulé dimanche
dernier dans les rues de Bruxelles !
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Maurice Schumann.
On a dit que ce défilé avait pour objet de créer l'Europe sociale. Il avait
peut-être aussi pour objet de lancer une première manifestation contre une
Europe antisociale, sinon dans ses intentions du moins dans ses effets.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Maurice Schumann.
Dès lors, vous voyez, monsieur le ministre, vers quelle conclusion je
m'oriente.
Bien entendu, et vous l'avez déjà deviné, je crois que M. Jacques Chirac avait
été clairvoyant quand il avait dit, un certain dimanche 7 avril 1994, que l'on
ne pourrait pas faire l'économie d'une seconde consultation du peuple français
avant le passage à la troisième étape, l'étape irréversible du traité de
Maastricht, d'autant plus que, ne l'oublions pas, l'équivalent,
mutatis
mutandis
bien entendu, de notre Conseil constitutionnel, je veux dire la
Cour suprême de Karlsruhe, a décidé - c'est un arrêt qu'elle a rendu - que
l'Allemagne n'était pas définitivement engagée et qu'il faudrait consulter le
Bundestag, par conséquent qu'il faudrait appliquer au passage à la troisième
étape la même procédure que celle qui a été appliquée à la signature même du
traité.
Mais je ne veux pas m'en tenir là, car il est une deuxième considération qui
m'obsède.
J'ai été associé à toutes les étapes de la construction européenne : comme
secrétaire d'Etat de Robert Schuman, comme président de la commission des
affaires étrangères de l'Assemblée nationale, sous le général de Gaulle
notamment et pendant la quasi-totalité - sauf quand j'ai été son ministre - des
années qu'il a passées à la tête de l'Etat français, et comme ministre des
affaires étrangères, pendant quatre ans, de Georges Pompidou.
Je suis profondément attaché à la construction européenne, et c'est la raison
pour laquelle je ne voudrais pas lier définitivement son avenir et l'avenir de
l'Europe à une entreprise peut-être anachronique mais justifiable, en tout cas
très bien défendue, très éloquemment et très noblement défendue par vous, mais
une entreprise précaire, d'autant plus précaire que la pérennisation du chômage
dans leur pays respectif et seulement dans leur pays respectif, entraîne un
nombre croissant d'Allemands et de Français à se demander si le premier
résultat de l'euro ne sera pas de prolonger indéfiniment ce que le Premier
ministre - je le cite une fois encore - a qualifié de situation insupportable,
en parlant des chiffres insupportables du chômage.
Voyez-vous, c'est peut-être cela qui m'angoisse le plus.
L'expérience du dernier demi-siècle démontre que les peuples ne tardent jamais
à s'apercevoir qu'il y a un lien entre la souveraineté nationale et la liberté
des citoyens, qu'on les conquiert ou les perd ensemble et que, par conséquent,
les seules limitations de souveraineté qui soient acceptables sont celles qu'on
a librement, et après mûre réflexion, consenties.
Lorsque ce que notre collègue Alain Peyrefitte, qui s'exprime toujours avec
beaucoup de modération, a appelé, à propos du pacte de stabilité, le « corset
de fer » ou plus exactement la « camisole de force » - car il a employé cette
expression - aura été infligé pendant un certain temps, il y aura une réaction
et elle sera vive, et ce que je redoute, c'est qu'elle aille trop loin. Et
parce que l'on se sera peut-être - je suis prudent - trompé d'Europe, à ce
moment-là, je redoute que ce ne soit l'idée d'Europe elle-même qui fasse les
frais des fâcheuses conséquences.
Voilà pourquoi je voudrais - je sais que, sur ce point, vous ne pouvez me
répondre explicitement - que vous n'écartiez pas au fond de vous-même
l'hypothèse, ou la supposition - ce n'est qu'une hypothèse, ou une supposition
- selon laquelle les échéances que vous avez rappelées tout à l'heure, avec
beaucoup d'assurance encore une fois, pourraient ne pas être respectées,
l'hypothèse, ou la supposition selon laquelle ou bien les critères de
convergence pourraient ne pas être satisfaits ou bien la rigueur à laquelle il
aurait fallu recourir pour les satisfaire pourrait entraîner un allongement
dangereux - ils le sont tous - surtout compte tenu des chiffres actuels du
cortège des sans-emploi. Je songe aussi - on y a fait également allusion tout à
l'heure - aux dissentiments auxquels donnent lieu dès maintenant les
candidatures méditerranéennes également favorisées par certains, et je les en
félicite, redoutées et condamnées par d'autres.
Si, par impossible - vous voyez que, de votre point de vue, je ne me montre
pas trop pessimiste ni trop méfiant - un de ces facteurs ou plusieurs de ces
facteurs conjugués devaient conduire à faire subir à l'euro le même sort que la
CED, je voudrais que l'on n'en conclue pas que la construction européenne doit
pour autant être arrêtée et condamnée.
N'oubliez pas 1954, après l'échec de la CED, qui avait été, elle aussi,
défendue par certains pour des motifs très nobles - nous étions proches de la
guerre ; c'était le refus de la reconstitution d'une armée nationale allemande.
Je vois encore le chancelier Adenauer, anti-nazi de la première heure,
survivant de l'univers concentrationnaire, passant à Robert Schuman, le premier
parlementaire français arrêté par la Gestapo, un petit morceau de papier sur
lequel il avait écrit : « Attention à cet amendement, il nous ramène à un
état-major allemand, et nous n'en voulons pas ! »
Non, je ne voudrais pas que, une situation comparable se répétant, parce que,
une fois encore, on aurait eu peur, et peut-être légitimement peur, de livrer
l'Allemagne à une solitude sur le plan économique qui lui conférerait trop de
pouvoirs, la construction européenne fût arrêtée. Je voudrais, au contraire,
qu'on se souvînt que la CED à peine condamnée avait mis en chantier le traité
de Rome, la Communauté économique, que le traité a été signé en 1957, que le
général de Gaulle, qui achevait sa traversée du désert, a toujours refusé de
condamner le traité de Rome, dont l'article 2, ne l'oublions pas, dit que le
but à atteindre, c'est la solidarité des Etats membres - je dis bien « la
solidarité des Etats » - et que le général de Gaulle, une fois revenu au
pouvoir, aura étendu ce traité à l'agriculture, par son insistance, et en aura
accéléré l'application et la mise en oeuvre.
Mais je ne veux pas ici - et je me répète à dessein - fuir la difficulté. Ce
n'est pas parce qu'il faudrait prendre un nouveau départ que disparaîtrait le
problème auquel l'euro, auquel la monnaie unique - ces deux expressions qui ne
sont pas des synonymes - veulent mettre fin, c'est-à-dire l'impossibilité de
vivre indéfiniment avec un espace économique sans frontière et sans discipline
monétaire.
Oui, il faudrait alors inventer de nouvelles disciplines monétaires.
Je ferai une dernière citation - et celle-là vous ne pourrez pas la récuser,
parce qu'elle émane d'une déclaration qui n'a rien perdu de sa jeunesse ni de
sa vigueur, et qu'avait faite en avril 1990, dans une interview au journal
Les Echos,
le maire de Paris, depuis lors devenu Président de la Ve
République. « Certes - disait M. Jacques Chirac - pour le grand marché européen
il est essentiel qu'existe une monnaie commune afin de faciliter les échanges
et de stabiliser les relations entre les économies, monnaie commune qui doit
être gérée par un organisme indépendant. Dans ce système coexistant avec les
monnaies nationales l'organisme qu'on appelle banque centrale aura bien
évidemment la responsabilité de l'émission de la monnaie commune ; il fera en
sorte que sa valeur et sa crédibilité soient les meilleures possible. Mais les
divers Etats conserveront la responsabilité de leur politique économique,
monétaire, fiscale, budgétaire, sociale. A l'inverse, dans le système de la
monnaie unique, c'est en fait l'intégralité de la politique économique dont la
définition est transférée. »
Ce texte me paraît capital, parce que, loin de s'appliquer à une situation
provisoire et changeante, il procède - vous l'avez entendu et vous l'avez
compris - de principes intangibles et incompatibles avec le pacte de stabilité
tel qu'il est actuellement négocié et tel qu'il serait mis en oeuvre si ne se
produisait pas un changement important.
Oh, oui !, je ne peux pas me défendre de penser que, après avoir - c'était
d'ailleurs inévitable - subi un certain nombre d'hypothèques qui l'ont empêché
de dévoiler le fond de sa pensée, le Président de la République française est
prêt, le cas échéant, à sauver l'Europe de ce que l'on a parfois présenté comme
un naufrage.
Voyez-vous, lorsqu'il parle de la Bosnie ou du Proche-Orient - on l'a déjà
signalé - c'est l'Europe entière qu'il réveille. Le jour viendra-t-il où, en
lançant, au nom de la France, un plan qui fera de la guerre sainte pour le
plein emploi le grand, le vrai critère de convergence entre les pays du vieux
monde, il tirera l'Europe de son désarroi, de sa stagnation et de ce qui
ressemble parfois - je ne suis pas le premier à employer cette expression - à
un enlisement ? Le jour viendra-t-il où vous-même pourrez dire, en présence
d'une situation nouvelle : l'Europe n'est plus, vive l'Europe ! une Europe qui
ne tuera pas le franc et qui ne défera pas la France ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants, du RDSE ainsi que sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Monsieur Schumann, c'est très courageux !
M. Michel Barnier,
ministre délégué aux affaires européennes.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Avec votre autorisation, monsieur le président, je
voudrais dire quelques mots après avoir, naturellement, comme vous l'imaginez,
écouté avec beaucoup d'attention, et même avec une certaine émotion, qu'il sait
provoquer parmi ceux qui l'écoutent, M. Maurice Schumann.
Monsieur Schumann, j'ai été intéressé et interpellé par les citations que vous
avez faites des propos d'une vingtaine d'anciens conseillers du général de
Gaulle.
Je réponds, bien sûr, « oui » à votre deuxième question ; j'ai lu le livre du
Premier ministre, qui est un témoignage personnel, notamment pour ce qui
concerne la construction européenne, cause qui est la sienne et à laquelle il
s'attache aujourd'hui en tant que chef du Gouvernement comme il s'y est attaché
lorsqu'il était ministre des affaires étrangères.
Après avoir écouté votre discours, notamment la lecture des textes des anciens
conseillers du général de Gaulle, je dois à la fois reconnaître cette
interpellation - je n'ai d'ailleurs pas la moindre difficulté à cet égard - et,
dans le même mouvement, rappeler la ligne précisément choisie en toute
responsabilité par le peuple français, voilà maintenant quatre ans, à
l'occasion d'un référendum qui, dans l'histoire de la construction européenne
aura probablement été le premier vrai grand débat populaire à propos de
l'Europe.
Ce débat n'a pas été médiocre, grâce à ceux qui ont fait campagne en faveur du
« non » et à ceux qui ont fait campagne pour le « oui ».
M. Emmanuel Hamel.
Le résultat ne serait pas confirmé aujourd'hui !
M. Pierre Fauchon.
Vous n'en savez rien ! Il y a des sondages qui prouvent le contraire.
M. Emmanuel Hamel.
Des sondages sont réalisés !
M. Paul Loridant.
Les partisans du « non » ne pouvaient pas accéder aux médias !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Mesdames, messieurs, je souhaite que l'on puisse
continuer à débattre...
M. Christian Poncelet.
... dans le calme !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
... en toute sérénité, ce qui n'empêche pas la vigueur
des convictions.
Conformément à la ligne fixée par le peuple et à la ligne qu'il avait tracée
clairement avant son élection, notamment dans deux grands discours, en mars
1995, M. Jacques Chirac, aujourd'hui Président de la République, fait de
manière déterminée, sur ce sujet comme sur les autres, ce qu'il avait dit. Il
n'y aura pas un autre référendum sur la monnaie unique.
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Emmanuel Hamel.
Vous avez peur ?
Mme Hélène Luc.
Il ne faut jamais jurer de rien !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Ce référendum a eu lieu, le peuple s'est prononcé.
Mme Hélène Luc.
Sur Maastricht, le référendum n'était pas prévu et il a eu lieu. S'il avait
lieu maintenant, il y aurait une majorité de « non ».
M. Pierre Fauchon.
Vous n'en savez rien !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Les citoyens français sont plus intelligents que vous
ne le croyez.
Mme Hélène Luc.
Justement !
M. le président.
Je vous prie de laisser M. le ministre s'exprimer.
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Moi qui parcours aussi bien la France, chaque semaine,
dans le cadre du dialogue national, auquel je vous invite à participer, que
l'Europe, je peux vous affirmer que, dans mes contacts avec les Français, à la
base, dans les usines, dans les universités, dans les lycées, je ne sens pas
cette hostilité et ce rejet de la monnaie unique, bien au contraire !
Mme Hélène Luc.
Moi, je les sens !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
J'étais la semaine dernière au coeur de la Vendée,
parmi les agriculteurs, au côté du président de la Fédération nationale des
syndicats d'exploitants agricoles.
Souvenez-vous de l'inquiétude des agriculteurs, voilà quatre ans, au moment du
débat sur la monnaie unique et de la prise de position qui a été, pour une
grande partie d'entre eux, négative.
Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, parce que les agriculteurs sont aussi plus
intelligents que vous ne le croyez, madame le sénateur !
(Applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
Mme Hélène Luc.
Ne me faites pas cette injure ! Je ne vous le permets pas, monsieur le
ministre ! C'est un procès d'intention.
Vous avez le droit d'avoir votre opinion, et j'ai le droit d'avoir la mienne
!
C'est méprisant de votre part, monsieur le ministre !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Les Français savent que la monnaie unique, dans les
conditions où nous la préparons, sera - je réponds là à Maurice Schumann - non
pas un miracle, mais un instrument pour la stabilité, dont les entreprises et,
au sein de ces dernières, non seulement les patrons, mais aussi les ouvriers
ont besoin sur le continent européen.
Pour ma part, je ne cesse de penser aux conséquences dramatiques des
dévaluations dites compétitives dans l'industrie textile - M. Schumann en parle
souvent -, ainsi que dans le secteur agro-alimentaire, et d'en mesurer les
dégâts.
MM. Christian Poncelet et Jacques Machet.
C'est vrai !
Mme Hélène Luc.
Là, vous êtes vraiment en difficulté !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
La monnaie unique, c'est le moyen d'empêcher,
d'interdire les dévaluations compétitives.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - M. Poncelet
applaudit également.)
M. Christian Bonnet.
Eh oui !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
MonsieurSchumann, la monnaie unique ne réparera pas
forcément le passé et les conséquences des dévaluations de la lire, de la
peseta ou de la livre que nous avons subies. Mais au moins, empêcherons-nous
que cela continue.
M. Christian Bonnet.
Voilà !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Je sais bien, monsieur le ministre, que toutes les
monnaies européennes - elles sont au nombre de quinze aujourd'hui - ne seront
pas intégrées en même temps dans la monnaie unique. Celles qui n'en feront pas
partie dès le départ seront liées au premier groupe de la monnaie unique par un
nouveau système monétaire européen. Nous travaillons dans ce sens, sous
l'autorité des chefs d'Etat.
Monsieur Schumann, je suis rentré aujourd'hui à treize heures d'un long voyage
en Amérique du Sud, au côté du Président de la République. Durant tout ce
déplacement dans les pays du MERCOSUR, le rappel du grand voyage effectué par
le général de Gaulle en 1964 a été partout vivant. L'émotion est encore
intacte. Des Français vivant là-bas, mais aussi des Sud-Américains nous ont
rappelé qu'ils avaient alors serré la main du général de Gaulle et qu'ils
avaient été émus par ses discours.
Je ne suis sans doute pas le mieux placé ici pour faire appel au souvenir et à
l'action du général de Gaulle ; j'ai compris néanmoins qu'il a toujours été à
la fois visionnaire et pragmatique.
Le monde actuel n'est plus le même. Il m'arrive souvent, pour l'expliquer, de
citer deux faits qui illustrent l'évolution de la société en quelques
années.
Le premier touche à l'information : voilà une quinzaine d'années, la loi
interdisait en France les radios libres. Cela a même valu la prison à
certains.
M. Paul Loridant.
On a inculpé François Mitterrand !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Aujourd'hui, alors que l'on peut, grâce à Internet,
savoir ce qui se passe à l'autre bout du monde, cela paraît ridicule !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
J'en viens au second fait : voilà une dizaine d'années
- M. Fourcade le sait d'ailleurs bien - le ministre des finances pouvait, par
un décret, empêcher les capitaux de passer d'un côté à l'autre de la frontière.
C'était le contrôle des changes.
Aujourd'hui, à l'heure où des dizaines, des centaines de milliards de francs
ou de dollars circulent librement par la voie des airs, cela paraît également
ridicule !
Le monde n'est donc plus le même.
Ce que nous avons encore mieux compris au cours de ce voyage, monsieur
Schumann, c'est que, par rapport à la situation vécue par le général de Gaulle,
le monde s'organise - et je crois que c'est bien ainsi - entre de grands
ensembles dans lesquels les nations coopèrent.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Très bien !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Nous voulons faire de l'Union européenne non pas une
fédération,...
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
... mais beaucoup plus qu'une simple juxtaposition de
pays : nous voulons en faire une communauté de nations.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste.)
C'est ainsi que s'organisent, en Amérique du Sud, les pays du MERCOSUR et, en
Asie, les pays de l'ASEAN. On voit bien comment, au XXIe siècle qui est si
proche, va s'organiser le dialogue entre des continents organisés.
M. Maurice Schumann.
Aucun de ces pays ne renonce à sa monnaie !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Nous avons pris une certaine avance, parce que la
construction européenne a commencé voilà quarante ans : nous le rappellerons la
semaine prochaine, quand nous célébrerons le quarantième anniversaire du traité
de Rome.
M. Maurice Schumann.
Je le fêterai avec vous !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
La monnaie unique est une étape importante. Elle est un
outil nécessaire. Elle est l'accomplissement du marché unique.
Je tiens à affirmer mon accord avec l'appel qui a été lancé à propos de
l'Europe sociale. J'en suis très heureux, car, à une époque, j'entendais plutôt
le contraire ! Je dirai d'ailleurs aux membres du groupe communiste républicain
et citoyen que cet appel à l'Europe sociale signifie peut-être - qu'ils en
soient conscients - plus de textes communautaires, plus de directives, et donc
plus de pouvoirs donnés à Bruxelles.
M. Emmanuel Hamel.
C'est aberrant !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Je le dis simplement pour que cela entre bien dans la
réflexion des uns et des autres.
Mme Hélène Luc.
Il ne faut pas que l'Europe sociale reste un slogan !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
J'en termine avec la monnaie.
Monsieur Schumann, pourquoi, après la décision du peuple, avons-nous accepté
non pas d'abandonner, mais de partager notre souveraineté ? Je le dis très
simplement comme je le crois : nous avons partagé, et nous allons partager
notre souveraineté monétaire pour ne plus subir la souveraineté des autres.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. Bonnet applaudit
également.)
S'agissant de l'Europe sociale, M. le Président de la République a la
volonté de saisir l'occasion de la négociation de la Conférence
intergouvernementale - M. Hervé de Charette et moi-même la connaissons bien,
puisque nous y consacrons de nombreuses heures par semaine - pour lui faire
franchir, pour ce qui concerne l'action commune, voire communautaire, des Etats
dans le cadre de l'Union, une étape importante. Cette Europe sociale a en effet
été oubliée par le parti socialiste au moment de la négociation du traité de
Maastricht - je le dis en passant parce que, dans ce domaine non plus, nous
n'acceptons pas de recevoir en ce moment de leçons. Si l'Europe sociale n'est
pas dans le traité, c'est parce que, sur ce point précis, ce traité n'a pas été
bien négocié, comme l'a rappelé M. de Charette.
M. Jean-Pierre Masseret.
On va voir !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs du
groupe socialiste, c'est plus d'encouragements que de critiques que nous avons
besoin de votre part. En effet, il s'agit de compléter ou d'approfondir ce que
vous n'avez pas eu le temps ou la volonté de faire à cette époque !
Nous voulons intégrer dans le texte du traité de Maastricht le protocole
social, qui est jusqu'à présent annexé. Je suis à peu près convaincu que nous y
parviendrons si le gouvernement britannique le veut bien.
Nous allons aller plus loin : nous souhaitons qu'un chapitre du traité soit
consacré à l'emploi.
Ces deux avancées que constitueront le protocole social et un chapitre sur
l'emploi me paraissent l'une des réponses à cet appel à plus d'Europe, dont je
suis personnellement heureux, comme leçon d'actualité : il s'agit de remettre
l'homme au coeur du projet européen. C'est, dans cette négociation, une
occasion qui nous est donnée de le faire.
Monsieur le président, veuillez me pardonner d'avoir interrompu le cours
normal du débat. Peut-être sera-t-il ainsi un vrai dialogue.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Poncelet
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un de
ses sketchs, Raymond Devos dit : « Un doute plane, un ange passe ». J'ajouterai
: l'orage gronde !
Un doute plane... M. le ministre des affaires étrangères a parlé tout à
l'heure d'un pacte de stabilité et de croissance. Mirage des mots : je ne vois
en effet pas comment on peut allier la stabilité et la croissance,
l'immobilisme et le mouvement !
Un doute plane... J'ai sous les yeux des coupures de journaux, dont je
souhaite vous lire quelques extraits.
La Tribune
du 18 mars : « Les
doutes allemands sur l'euro inquiètent les marchés » ;
La Tribune
du 10
mars : « L'euro : les affres d'une transition de trois ans » ;
Les Echos
du 10 mars : « La monnaie unique en débat par l'appel des économistes pour
sortir de la pensée unique » ;
l'Expansion
en date du 6 mars : « Les
Anglais peuvent-ils encore monter dans le train de l'euro ? » ;
La Tribune
du 6 mars : « Pourquoi l'Allemagne doute de l'euro. » ;
Les Echos
:
« Les convergences Paris-Bonn à l'épreuve de la culture de la stabilité » ; et
l'on pourrait continuer : ...
M. Pierre Fauchon.
C'est une revue de presse ?
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il a le droit !
M. Paul Loridant.
... « Sérénité britannique, inquiétude allemande, déprime française, report de
l'euro, les Allemands jouent les apprentis sorciers ; l'euro est-il menacé ? »
Telles sont les réalités.
Un doute plane, un ange passe... Merci, monsieur Schumann, des mots que vous
avez prononcés.
Ma brève intervention portera, vous vous en doutez, sur les graves problèmes
posés par l'avènement de la monnaie unique.
En vérité, cette dernière, en 1999, ne sera possible qu'au prix d'une rigueur
renforcée. La mollesse de la croissance attendue pour 1997 ne pourra que
conduire à une nouvelle restriction budgétaire, à un nouveau ralentissement de
la consommation, de la croissance et donc de l'emploi. Ce sera, en effet, le
prix à payer pour atteindre la barre des 3 % de déficit par rapport au produit
intérieur brut, l'un des critères de convergence retenu par le traité de
Maastricht et renforcé par le pacte de stabilité budgétaire, véritable
capitulation face aux tenants du monétarisme le plus implacable, mais terreau
fertile pour des restructurations, c'est-à-dire pour un accroissement du
chômage.
C'est dire le sang et les larmes qu'il faudra verser pour atteindre cet
objectif qui semble, chaque jour un peu plus, échapper à tout contrôle
démocratique.
La construction européenne, au lieu de préparer l'avenir des peuples d'Europe,
confisque leur destin. Loin de protéger des méfaits de la mondialisation
libérale, elle en accentue les effets négatifs.
La mise en place de la monnaie unique, encadrée par le pacte de stabilité
budgétaire, condamne les peuples d'Europe à une austérité sinon perpétuelle, du
moins durable, et assoit la dictature des marchés financiers. Elle ne peut que
favoriser le chômage et le désarroi social de tous ceux qui se sentent méprisés
par les tenants du pouvoir économique. Par ailleurs, qu'adviendra-t-il de
l'Italie, de l'Espagne, du Danemark, de la Grèce, de la Grande-Bretagne, de la
Suède ou du Portugal ?
En effet, si l'on s'en tient aux déclarations de M. Tietmeyer, président de la
Bundesbank, et du Chancelier Kohl, ne pourront participer à la monnaie unique
que ceux qui rempliront exactement les conditions du traité sur la base d'une
interprétation extrêmement restrictive et en dehors de tout contrôle
démocratique.
La démocratie est aujourd'hui mise en congé. Demain, la France aura perdu sa
souveraineté monétaire et sa souveraineté budgétaire ; après-demain, elle aura
perdu tout simplement sa souveraineté. Les citoyens auront été entièrement
dépossédés de leurs droits au profit des marchés financiers. Les fondements de
la protection sociale sont remis en cause. La flexibilité, tel est le maître
mot dans la construction européenne.
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Paul Loridant.
Le service public est démantelé au nom de la concurrence par les politiques
européennes. Tout cela se fait sans que les citoyens aient leur mot à dire.
L'institution de la monnaie unique, peut-être souhaitable à terme, pose
aujourd'hui plus de problèmes qu'elle n'en résout. En générant une très forte
tension sociale, elle favorise la montée d'une légitime colère des salariés,
mais également l'escalade de l'irrationnel qui conduit aux extrémismes, au
fascisme dont certains, aujourd'hui, en Europe, n'hésitent plus ouvertement à
se recommander. Mes chers collègues, je suis sûr que ce n'est pas cet ordre
nouveau-là que vous souhaitez.
Rien, d'un point de vue politique, ne justifie une telle précipitation dans la
mise en place de la monnaie unique. Il est donc impératif de revoir le
calendrier monétaire, en y associant l'ensemble des citoyens par la voie du
référendum. Le peuple français, qui est intelligent, monsieur le
ministre,...
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Oui, plus que vous ne le pensez !
M. Paul Loridant.
... doit être consulté sur le passage à la monnaie unique...
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Il l'a déjà été !
M. Paul Loridant.
... parce que les conditions ont fondamentalement changé depuis qu'a été voté
le traité de Maastricht, et aussi parce qu'un certain Jacques Chirac s'y était
engagé pendant la campagne des élections présidentielles de 1995.
C'est, aujourd'hui plus que jamais, l'exigence de la démocratie et celle d'une
Europe citoyenne respectueuse des droits sociaux des travailleurs et capable de
renouer avec la croissance et l'emploi.
Le traité de Maastricht d'aujourd'hui n'est pas celui qu'on nous a présenté en
1992. Bref, monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il si difficile de
comprendre que, pour rendre l'Europe populaire, il faut revoir les modalités de
cette construction et, dans le contexte actuel, faire du social ?
La priorité absolue est donc de faire passer au second plan la logique
financière des marchés. L'euro n'est qu'un objectif intermédiaire dans la
conduite de la politique européenne, monsieur le ministre. L'objectif premier,
c'est l'épanouissement de nos concitoyens et, au-delà, de tous les
Européens.
C'est ce que nous avons compris, quant à nous, lors de la très grande et très
opportune manifestation de Bruxelles, dimanche dernier, à laquelle ont
participé plusieurs membres de notre groupe.
C'est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, d'organiser, après
avril 1998, le référendum sur le passage à la monnaie unique.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le ministre délégué, il serait injuste, surtout puisque c'est vous
qui êtes en ce moment au banc du Gouvernement, d'aborder les affaires
européennes sans rendre hommage à votre action, action qui brille par son
dynamisme, son réalisme, que j'ai l'occasion d'apprécier souvent en tant que
membre de la délégation pour les affaires européennes, et peut-être par-dessus
tout à cette chaleur humaine qui est en vous, qui vous est propre et qui est si
nécessaire dans une entreprise où la confiance joue un rôle déterminant.
J'aurais aimé, je ne dirai pas répliquer, mais tenter de répliquer à M.
Maurice Schumann et M. Paul Loridant ; mais ne sachant pas que j'interviendrais
juste après eux, je laisserai le soin à mes collègues de commenter le processus
à travers lequel se construit la monnaie unique, processus si remarquable en
dépit de ses difficultés.
Cette monnaie unique, je suis tout à fait convaincu qu'elle est en elle-même
porteuse d'un profond et fécond renouveau des peuples européens, du moins de
ceux d'entre eux qui veulent construire ensemble leur destin.
S'ils n'y sont pas tous, c'est tant pis pour ceux qui s'y refuseront et
s'enfermeront dans une démarche solitaire, qui, j'en suis convaincu - cela est
aisément démontrable - bien loin de préserver leur souveraineté, ou leur
prétendue souveraineté, de plus en plus verbale et de moins en moins réelle,
les assujettira aux superpuissances, dont ils ne seront pas, et ce dans tous
les domaines, de la monnaie à la culture.
Je dis bien « à la culture », monsieur Schumann, et je pense là au déferlement
culturel des modes de communication modernes !
C'est parce que nous voulons être des plus grands, des superpuissances, que,
nous, nous sommes résolus à poursuivre dans la voie de cette construction
européenne.
Je n'en suis que plus à mon aise, monsieur le ministre, pour vous dire que,
pour autant, j'éprouve, comme bien d'autres, un sentiment d'inquiétude.
Ce sentiment tient à l'écart qui sépare ce processus, nécessairement technique
- certains diront d'ailleurs technocratique - et les sensibilités publiques en
proie aux problèmes du quotidien : le chômage, bien sûr, la réduction des
crédits publics en de trop brèves années, le développement des grandes
délinquances, le sentiment de fragilité et d'insécurité qui se généralise dans
des couches nombreuses de la population et qui rend l'opinion publique
exceptionnellement inflammable, oscillant dès lors, à l'égard de la
construction européenne, entre une espérance confuse - c'est, je crois, la
situation actuelle - et un scepticisme qui peut à tout moment se transformer en
rejet.
L'émergence remarquable et si positive, à mes yeux, d'une solidarité ouvrière
et syndicale à l'occasion de l'affaire de Vilvorde montre que les sentiments et
les intuitions populaires sont probablement en avance sur les gouvernements
puisque, dans ces milieux, alors qu'on ne s'y attendait pas du tout, un
sentiment de solidarité sociale européen s'est manifesté.
De même, dans un tout autre domaine, mais allant dans le même sens, je relève
la récente manifestation des magistrats de différents pays d'Europe, et plus
spécialement de 500 magistrats français, en faveur d'une communautarisation
résolue des moyens d'action contre la criminalité internationale.
Ce sont là des signaux qui étaient totalement imprévus - avouons-le ! - et
dont il serait irresponsable de sous-estimer la signification, dans la mesure
même où leur spontanéité nous surprend.
Que dire lorsque les disciplines exigées par la réalisation de l'union
monétaire sont dénoncées comme excessives et insupportables par des
responsables de renom, relayés par tous ceux qui, avec plus ou moins de bonne
foi, n'ont d'autre préoccupation que de déstabiliser notre vie publique ?
Je ne crois pas, mes chers collègues, qu'il soit possible de faire comme si de
rien n'était, de laisser se perpétuer, impunément jusqu'aux échéances prévues -
nécessairement mais aussi terriblement lointaines, aurais-je tendance à dire -
et à travers les multiples péripéties électorales qui nous attendent, de
laisser se perpétuer, dis-je, un tel écart entre l'opinion, les opinions, et
l'action des gouvernements, si bien inspirés soient-ils - et je suis convaincu
qu'ils sont fort bien inspirés.
Pour ma part, je crois qu'il faut à tout le moins, monsieur le ministre,
donner des signes de compréhension et ouvrir certains chantiers qui permettent
aux peuples européens de prendre conscience du fait que l'Union européenne est
faite pour eux. Bien sûr, nous, nous le savons, mais eux ne s'en rendent pas
compte. Il faut les aider à en prendre conscience.
M. Paul Loridant.
Ils sont très intelligents, M. le ministre l'a dit !
M. Pierre Fauchon.
Ce serait donner un tel signe - vous en serez d'accord, monsieur Loridant -
que de rouvrir le livre blanc publié naguère par la Commission et d'engager tel
ou tel programmes de grands travaux, d'aménagement du territoire européen,
mobilisateurs d'énergie et créateurs d'emplois.
(Très bien ! sur les travées de l'Union centriste.)
Avec beaucoup d'économistes, il m'apparaît que de tels programmes,
financés par les crédits européens, ne perturberaient pas les budgets nationaux
et n'auraient aucun effet inflationniste parce qu'ils resteraient marginaux au
regard de la masse des investissements.
M. Maurice Schumann.
Là, nous sommes d'accord !
M. Pierre Fauchon.
Ce serait donner un tel signe que d'engager sans retard à tout le moins le
processus d'harmonisation, voire d'unification, des qualifications, des peines
et des procédures intéressant la criminalité ou la délinquance internationale,
dont la panoplie ne cesse de s'étendre, comme on le voit avec la pédophilie.
Ce serait donner un tel signe que d'améliorer spectaculairement le système
EUROPOL.
Ce serait donner un tel signe que d'ouvrir une réflexion sur la possibilité de
créer un RMI européen lié à des activités d'intérêt public dans le cadre d'une
économie sociale complémentaire de l'économie de marché.
Ce serait donner un tel signe que d'organiser effectivement les prochaines
élections européennes dans le sens que, nous le savons, monsieur le ministre,
vous souhaitez - puissiez-vous aller jusqu'au bout de votre pensée !
Le temps me manque, puisqu'il m'est sévèrement compté, pour développer et
compléter ces suggestions. Je n'ai fait que poser quelques pierres
d'attente.
Je conclurai mon propos par un souhait, tout simple : que les gouvernements,
du moins ceux qui sont animés d'une sincère volonté de faire progresser l'Union
européenne, prennent conscience du fait qu'il faut construire l'Europe
davantage avec les Européens.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bourges.
M. Yvon Bourges.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a
cinquante ans, bientôt, que nos vieilles nations d'Europe ont entrepris de
s'unir.
L'intérêt premier, la principale raison d'être de cette union est de permettre
à l'Europe de jouer pleinement son rôle au sein de la communauté
internationale. L'apparition d'« Etats continents », la mondialisation des
échanges, la quasi-instantanéité des communications, l'existence de menaces
d'un nouveau type l'exigent, si l'on veut que notre continent, avec ses valeurs
de civilisation, puisse participer pleinement à la vie politique et économique
du monde et au maintien de la paix.
La voie suivie jusqu'ici pour la constitution de l'Union européenne n'a guère
permis d'avancer.
Sans aucun doute, c'est bien l'Europe comme force politique que souhaitaient
réaliser les pères fondateurs de la Communauté européenne. Faute, alors, d'une
adhésion de l'opinion et constatant que les pays n'y étaient pas prêts, ils ont
engagé le mouvement par l'union économique, espérant que l'apprentissage du
travail en commun, même limité à certains secteurs, pourrait conduire à une
union plus large.
Le processus pour la mise en oeuvre du marché commun a abouti à la création
d'une entité dont les acteurs, d'une compétence indiscutée, et peut-être même à
cause de celle-ci, ont mis en oeuvre des politiques contraignantes, souvent de
plus en plus mal ressenties parce que heurtant les traditions ou peu adaptées
aux réalités nationales, tandis que l'absence d'un réel pouvoir européen
politique révélait l'impuissance de la Communauté pour les questions
essentielles.
Il est regrettable que le général de Gaulle n'ait pas été suivi lorsqu'il
préconisait l'édification de l'Union européenne à partir des réalités
nationales.
M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. Yvon Bourges.
Partageant cette conviction, le Président Georges Pompidou proposait, en
septembre 1973, une réunion des chefs d'Etat et de gouvernement, qui se tint
pour la première fois à Copenhague en décembre 1973. Cette instance - le
Conseil européen -, non prévue par le traité de Rome, n'était autre que la
traduction de la pensée du fondateur de la Ve République, et l'on voit bien, au
cours de ce dernier quart de siècle, que les seuls progrès réalisés dans la
préparation de l'union de l'Europe sont dus au Conseil européen : création du
marché unique, institution d'un système monétaire commun, traité de
Maastricht.
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Absolument !
M. Yvon Bourges.
Ce dernier acte a comme premier mérite d'instituer le Conseil européen,
instance institutionnelle suprême, détentrice du pouvoir exécutif et lieu de
concertation pour tous les Etats.
Le deuxième mérite de ce traité est de permettre la définition d'une
organisation nouvelle de l'Union européenne, que les pays membres s'attachent à
définir dans les travaux de la Conférence intergouvernementale.
L'Europe est aujourd'hui à un carrefour, du fait non seulement des données
nouvelles de la situation géopolitique résultant de l'éclatement du monde
soviétique, mais aussi de la demande des pays d'Europe centrale et orientale,
libérés du joug de Moscou, d'adhésion à l'Union européenne.
Ainsi, l'Europe unie est à la veille de renaître et l'organisation des
pouvoirs dans ce vaste ensemble pose le problème essentiel de la nature de
l'Union européenne et des modalités de son fonctionnement. La Conférence
intergouvernementale a pour mission de présenter des propositions à cette fin.
Il s'agit bien d'une étape fondamentale, peut-être même décisive, pour l'avenir
de l'Europe et de la France. Il est regrettable que l'opinion n'y attache pas
tout l'intérêt que mérite un tel sujet.
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Yvon Bourges.
Les négociations ont été entamées à Turin, en mars 1996, et le Conseil
européen, au cours de sa session de juin prochain, à Amsterdam, devrait en
arrêter les grandes lignes. Le débat qui nous est proposé aujourd'hui vient à
son heure. S'il permet au Gouvernement de nous tenir informés de l'état
d'avancement du dossier, il est aussi pour nous l'occasion précieuse d'exprimer
nos vues.
Oui ! nous considérons que l'Union européenne comme force politique
participant à part entière à la vie internationale est une nécessité. Son
élargissement à l'ensemble des pays de la vieille Europe - les Etats d'Europe
centrale et orientale - est souhaitable, car leur appartenance ne peut être
qu'un facteur de compréhension mutuelle et d'équilibre assurant la paix. On
sait les positions exprimées nettement par le Président de la République à
l'occasion de ses visites d'Etat dans ces pays, et nous y souscrivons
pleinement.
Il est vrai que cet élargissement impose une révision profonde des
institutions de l'Union européenne et des modalités de leur fonctionnement.
Si l'on veut que, contrairement à ce que nous constatons aujourd'hui, l'Union
européenne joue un rôle sur la scène internationale, elle doit disposer d'une
autorité politique réelle. Le Conseil européen satisfait à cette condition car,
investis par le suffrage démocratique de la responsabilité de leur pays, les
chefs d'Etat et de gouvernement qu'il rassemble peuvent déterminer en chaque
circonstance, à partir des spécificités de leur nations, les positions arrêtées
en commun que l'Union européenne pourra alors exprimer sur la scène
internationale ou à l'intérieur de ses frontières. Agissant par une délégation
de pouvoirs pour une situation précise, ce mode de décision, qui tient compte
de l'importance des responsabilités de chaque Etat membre, respecte l'identité
et l'indépendance. Dès lors, pour leur conduite, les relations extérieures et
la sécurité commune ne peuvent dépendre, en raison de leur caractère propre,
que du seul Conseil européen. Nous apprécions la position du chef de l'Etat et
du Gouvernement de voir l'étude et la mise en oeuvre de ces politiques confiées
à un organisme spécifique, relevant directement du Conseil européen, sous
l'autorité de son président. Il est remarquable et essentiel que le Chancelier
Kohl se soit rallié à ce choix.
Le Conseil européen rassemblant les chefs d'Etat et de gouvernement de toutes
les nations adhérentes est d'ailleurs la seule institution qui puisse agir dans
les domaines en cause avec le crédit nécessaire.
Il n'en peut aller de même dans des domaines plus techniques comme la gestion
de l'économie ou des politiques sociales, car tous les Etats membres ne peuvent
remplir dans l'immédiat et, pour certains, à une longue échéance, les
conditions nécessaires pour y contribuer pleinement. La notion d'Europe à
plusieurs vitesses ne peut mettre en cause l'intérêt de l'implication de tous
dans la politique internationale ou de sécurité. Il s'agit d'une vue réaliste
de la situation.
S'agissant de ces actions essentielles pour l'avenir de l'Union européenne et
pour le développement de tous ses membres, les instances de la Communauté ont
fait leurs preuves et doivent en demeurer chargées sous la double réserve du
respect effectif de la notion de subsidiarité et de leur adaptation aux
nécessités nées de l'élargissement de l'Union européenne. On comprend que
chaque Etat membre soit concerné et désire y participer. C'est donc dans une
formule originale d'association aux décisions d'instances qui ne peuvent réunir
trop de membres permanents que la solution à ce problème doit sans doute être
recherchée. Pour ce qui est de la subsidiarité, dont une exacte application
peut éviter des réglementations excessives, tatillonnes, voire injustifiées, la
Cour de justice pourrait être chargée de l'apprécier sur recours des Etats
membres ou des organes représentatifs de l'Union européenne.
La légitimité démocratique des institutions de l'Union européenne doit
résulter au premier chef de la représentativité du Parlement européen, tenant à
la fois au mode de désignation de ses membres et, du fait de son ampleur et de
son éloignement, à sa relation avec les parlements nationaux.
Attachés à l'avènement de l'Union européenne, nous voulons qu'elle s'édifie
dans le respect des intérêts propres de chacun et sans compromettre, hors des
actions communes, les capacités de décision et d'action en fonction de la
position de chaque nation dans l'exercice de ses responsabilités nationales et
internationales. Cette exigence est particulièrement justifiée pour ce qui
concerne notre pays ; il assume déjà dans la communauté internationale et sur
tous les continents du globe des responsabilités propres qui, d'ailleurs,
peuvent être bénéfiques pour l'ensemble de l'Union européenne.
M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. Yvon Bourges.
Ce n'est pas une vue passéiste, qui entendrait exclure toute évolution dans
l'avenir de l'Europe. Elle est, en revanche, réaliste car, à vouloir forcer la
marche, méconnaître la légitimité des sentiments nationaux, on court le risque
de voir l'Union européenne finalement divisée, éclatée. L'ambition et
l'espérance qui nous animent aujourd'hui seraient alors compromises sinon
détruites. Le patriotisme, on le voit bien dans diverses régions du monde, et
jusqu'à nos portes, en Bosnie-Herzégovine, n'est pas une valeur morte. On doit
demeurer patriote français sans renoncer à un patriotisme européen.
Nous savons, monsieur le ministre, combien votre tâche peut être difficile,
les Etats de l'Union européenne ayant des préférences, des options différentes,
peut-être même divergentes, selon leur grandeur, leur situation géographique et
leur environnement, leur histoire, leurs moyens. Ces difficultés ne sauraient
être pour vous, pour nous décourager dès lors qu'il s'agit des intérêts
fondamentaux et légitimes de notre pays. Nos voeux et notre confiance
accompagnent le Gouvernement dans la lourde responsabilité historique qui est
la sienne pour le succès de la France éternelle.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la
France et pour les jeunes, l'Europe représente aujourd'hui une chance
exceptionnelle.
Encore faut-il que nous sachions poursuivre la construction de l'Union avec
autant de rigueur que de passion. Nous ne voulons en effet ni d'une France qui
démissionne, ni d'une Europe au rabais !
Encore faut-il parler de l'Europe de manière positive. Les références à
l'Europe « bouc émissaire » représentent bien souvent une facilité ou, pis, un
refus d'admettre nos propres insuffisances.
Encore faut-il que notre vocabulaire exprime notre volonté d'aller de l'avant.
Nos grands rendez-vous européens doivent non plus être présentés comme des «
échéances » d'ordinaire redoutées, mais comme des opportunités à saisir pour
apporter de bonnes réponses à de vraies questions.
Encore faut-il enfin que les Européens comprennent le sens et la portée de la
démarche engagée, et qu'ils y participent. L'Europe des citoyens, c'est celle
du dialogue et de la démocratie. C'est celle du « grand débat national » que
vous avez lancé, monsieur le ministre. C'est aussi celle de notre débat
d'aujourd'hui, dont nous nous félicitons tous.
Spontanément ouverts sur l'Europe, nos enfants refusent les démissions et les
dénigrements. Pour eux, l'Europe est une réalité, vivante et forte. Ne les
décevons pas. C'est leur avenir que nous préparons. Ils attendent de nous
détermination et imagination. Et il en faudra pour inventer la « démocratie
au-delà de l'Etat » et pour bâtir l'Europe sans que ce soit sur les ruines de
cet Etat, niveau irremplaçable de notre organisation sociale.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Denis Badré.
Pour être concret, je vous proposerai simplement ici quelques réflexions.
Sur le budget, d'abord.
Autorisez le rapporteur du budget des affaires européennes à réaffirmer que
celui-ci doit être strictement contenu, lisible et efficace. Or, immédiatement
derrière l'euro, 1999, c'est aussi le rendez-vous des « nouvelles perspectives
financières ». Nous devons, monsieur le ministre, les préparer dès maintenant
en nous interrogeant notamment sur ce que deviendront les crédits réservés à la
politique agricole commune ou aux politiques structurelles, lesquels
représentent en effet plus des trois quarts du budget.
Une application budgétaire stricte du principe de subsidiarité s'impose. Je
fais remarquer à ce sujet que le principe d'additionnalité qui régit les
politiques structurelles me paraît essentiellement contraire à celui de
subsidiarité.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Denis Badré.
La réflexion s'impose donc.
Au-delà du principe de subsidiarité, il faut surtout retenir par priorité,
d'une part, les dépenses qui construisent vraiment l'Europe, à l'intérieur,
comme les grands réseaux de communication, celles qui rapprochent les hommes et
servent l'emploi, et, d'autre part, les politiques extérieures qui affirment
l'identité de l'Union dans le monde.
S'agissant des ressources du budget, je leur porte deux critiques.
Premièrement, elles sont assises sur des références de TVA ou de PNB qui
resteront contestables tant que les statistiques de tous les Etats ne seront
pas complètement fiables. Deuxièmement, le système qui amène chaque Etat à
comparer les « retours » dont il bénéficie à sa « contribution » n'est pas
vraiment « européen » ; il peut même provoquer des réactions d'hostilité à
l'Union dans les pays contributeurs nets.
J'évoquerai la CIG simplement pour souligner la nécessité de subordonner le
lancement effectif des négociations d'élargissement à une révision sérieuse des
institutions. L'avenir de l'Union est en jeu, et des compromis trop faciles se
retourneraient à la fois contre les membres de l'actuelle Union et contre les
candidats à l'adhésion. Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette
préoccupation. Vous pouvez, à cet égard, vous appuyer sur notre total
soutien.
Connaissant bien les efforts que vous déployez à cet égard, je reste
optimiste. Un échec de l'élargissement serait évidemment un drame pour
l'Europe. Et le refuser serait un contresens historique et géographique. Bien
plus, ce serait renier la démarche même de la construction européenne, qui
amène, de manière tout à fait inédite, des peuples à se retrouver pour
construire ensemble un espace de prospérité et de sécurité, un espace de
démocratie et de paix.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Denis Badré.
Sous réserve toujours qu'elle dispose de bonnes institutions, l'Europe sera au
contraire plus puissante si elle est plus vaste. Et, n'en déplaise aux esprits
chagrins, nous devrions plutôt nous réjouir de voir de nombreux Etats aspirer à
nous rejoindre : le principe de l'Union ne doit pas être si mauvais !
L'élargissement est aussi une occasion exceptionnelle de réviser le sens et le
contenu de nos politiques. J'en donne deux exemples, d'ailleurs très
différents, la politique agricole commune, la PAC, et l'immigration.
Si une partie des dépenses de la PAC provient de l'acceptation d'une
surévaluation des prix agricoles européens par rapport aux cours mondiaux, on
voit bien que cette différence tend à se tasser à l'intérieur de l'Union. La
situation est même inverse chez les nouveaux candidats, dont les besoins de
financement sont de nature complètement différente puisqu'ils concernent les
équipements, la promotion et l'organisation commerciale ainsi que le contrôle
de la qualité, notamment. Alors, remettons l'ouvrage sur le métier. Il est
essentiel pour la France de le faire, et de le faire vite.
Pour ce qui est de l'immigration, je suis certain que nous pouvons faire de
grands progrès en dialoguant directement avec nos partenaires, comme nous avons
eu l'occasion de le faire à propos de la candidature hongroise, il y a quelques
jours, chez le ministre de l'intérieur, M. Debré, avec les parlementaires
autrichiens reçus par notre groupe d'amitié. Je pense que cela est de bonne
pratique.
Je voudrais maintenant vous livrer trois réflexions personnelles sur la
défense.
Un officier européen servant dans le cadre de l'OTAN me tenait récemment un
discours que je caricature à peine : « L'Alliance atlantique est politique. Il
importe donc d'abord de réussir l'élargissement de l'Alliance. Les candidats
évincés à ce titre pourront toujours se reporter sur l'Union européenne. » Il
reste donc du chemin à parcourir pour faire prévaloir notre manière de voir,
qui est un peu différente et plutôt : « L'Union européenne est politique. Elle
se préoccupe très normalement d'assumer sa défense et le fait en prenant bien
sûr en compte l'existence de l'OTAN. » Sur ce type de sujet aussi, le dialogue
doit être ouvert avec chacun de nos partenaires, et pas seulement à Bruxelles.
C'est la première observation.
Deuxième observation, les conditions de présentation du concept
franco-allemand de défense ont provoqué un débat qui a peut-être un peu masqué
l'essentiel. Je pense, pour ma part, que le principe d'un tel document
représente une étape de la construction européenne. Jusqu'ici, on disait que
les progrès réalisés par l'Union seraient toujours le fait du couple
franco-allemand, dans tous les domaines, sauf celui de la défense, dans lequel
on attendait les deux puissances nucléaires, la France et la Grande-Bretagne.
Il est clair maintenant que la mise en place d'une défense européenne peut,
comme les autres domaines, progresser sous l'impulsion du couple
franco-allemand dans le cadre d'une construction politique globale de l'Union.
Les Anglais ont bien reçu le message : dès le lendemain de la publication de ce
concept, ils atténuaient déjà les critiques qu'ils portaient sur l'euro ; ils
avaient donc fait le lien entre tous les sujets.
Il est difficile enfin, et c'est ma troisième observation, de parler
aujourd'hui de l'Europe sans évoquer la situation tragique de l'Albanie. Si nos
alliés d'outre-Atlantique considèrent un peu la Méditerranée comme un lac
américain, il serait temps d'affirmer au moins que notre péninsule est un
continent européen.
J'évoquerai maintenant l'euro et la fiscalité.
L'euro est presque derrière nous. Et il donne un singulier « coup de jeune » à
notre « vieille Europe ». Son impact économique, financier et social sera
considérable. Sa valeur symbolique l'est plus encore. Voyant avec quel intérêt
les Anglais participent effectivement aux jurys qui choisissent billets et
pièces en euro, nous pouvons imaginer que l'expression de leurs états d'âme à
l'égard de l'union monétaire est largement tactique !
(M. Machet applaudit.)
Ils ont bien compris que, dans ce domaine aussi, ils finiront par être
dedans parce qu'ils ne pourront être dehors.
Plus sérieusement, et s'agissant de l'euro, j'insiste surtout, après d'autres
orateurs, sur la nécessité de respecter les dates et les critères. Jamais
jusqu'ici l'Europe n'a été en retard aux rendez-vous qu'elle s'était fixés.
Accepter un report serait ouvrir la porte aux renoncements. Quant aux critères,
ils représentent des exigences salutaires pour chacun de nos Etats, et le
principe de la convergence est indispensable pour bâtir l'Union.
S'agissant de l'appel des « élus » du premier cercle, nous devons reprendre la
même réflexion que sur l'élargissement : admettre un Etat qui ne serait pas
prêt, simplement pour afficher un plus large succès de l'union monétaire,
serait une faute, ruineuse pour l'Etat en cause et désastreuse pour l'Union.
Monsieur le ministre, je présentais hier, devant notre délégation pour l'Union
européenne un rapport sur l'harmonisation de la TVA. Tablant sur une assez
grande indépendance des approches monétaires et fiscales, ce rapport concluait
sur cette constatation : même si les propositions de régime définitif
présentées par la Commission sont parfaitement « européennes » dans leur
principe, nous ne servirions pas l'Union en les mettant en oeuvre alors que
toutes les conditions requises pour leur succès ne sont pas réunies ; nous
devons d'abord réussir l'union monétaire ; nous pouvons d'ailleurs en même
temps améliorer le régime transitoire de TVA, qui permet encore de trop
nombreuses fraudes mais qui n'est pas si mauvais.
Vous le voyez, monsieur le ministre, nous préconisons toujours le même type de
démarche, quel que soit le domaine dans lequel nous intervenons : un pas après
l'autre, un respect absolu des grands principes, une exigence de tous les
instants et sur tous les dossiers, à Paris comme à Bruxelles. C'est notre
manière de servir une grande ambition : la construction d'une Europe qui soit
tout à la fois large, puissante et démocratique.
Il s'agit en fait de démontrer que la recherche du consensus et la
participation des citoyens peuvent servir une réelle volonté de progrès et
qu'une bonne pratique de la démocratie favorise des avancées historiques.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les
problèmes européens tiennent dans notre actualité quotidienne une place qui va
en s'amplifiant et nombre de Français se demandent avec inquiétude ou espoir -
parfois les deux - où en sera l'Europe et où en sera la France, notre patrie,
au tournant du siècle qui approche.
Trois grands débats se déroulent : celui de la Conférence
intergouvernementale, celui de la monnaie unique et celui de la défense
européenne, lié aux discussions au sein de l'OTAN.
En ce qui concerne la CIG d'abord, l'objectif était clair au départ : il
s'agissait de retrouver l'efficacité des institutions et de pallier le déficit
démocratique.
La conférence a commencé au printemps dernier. Où en sommes-nous à trois mois
de sa conclusion ?
Nous avons eu un rapport d'étape, une sorte de « prétraité », a-t-on dit - le
rapport de M. Door - au mois de décembre dernier. Il a été qualifié par le
Conseil des ministres de Dublin de « bonne base ». La politesse diplomatique
européenne, monsieur le ministre des affaires étrangères, est une chose
admirable, mais qualifier de « bonne base » un texte dans lequel le problème
des institutions n'est pas traité relève sans doute de l'humour !
En parcourant cette « bonne base » pour y découvrir l'efficacité et la
démocratie recherchées, que trouve-t-on ?
Au titre du troisième pilier, où se situent les avancées les plus
substantielles, on espérait des moyens adéquats pour combattre ensemble et
concrètement les grands fléaux, comme vous l'avez dit tout à l'heure. Il est,
certes, reconnu qu'il s'agit de questions d'intérêt commun, mais, sur la
procédure à suivre, le texte reste d'une très grande discrétion.
De même, sur la libre circulation des personnes, une interprétation
extraordinairement extensive de celle-ci est donnée. Mais, là encore, bien que
la marche vers la communautarisation soit nettement amorcée, les incertitudes
sont nombreuses et, surtout, les procédures non précisées, sans doute faute
d'accord.
Au titre de la PESC, mais dans le seul domaine de la politique étrangère et
pas dans celui de la défense, un progrès est notable grâce, notamment, au
nouveau statut accordé au secrétaire général du Conseil. C'est un bon premier
pas. Soulignons-le.
Pour corriger le déficit démocratique et parce qu'il s'agit de sujets
sensibles, la France avait demandé que les parlements nationaux soient
davantage impliqués dans le processus législatif. Un protocole leur sera donc
consacré ; c'est bien. Dans ce protocole, il leur sera garanti quatre semaines
pour réagir en amont aux textes de portée législative, et peut-être aussi un
accroissement du rôle de la Conférence des organes spécialisés dans l'action
communautaire, la COSAC. Alors là, c'est très peu !
Comme toujours, le principe de subsidiarité est salué avec quelque solennité.
Mais, comme toujours également, personne n'est chargé d'en assurer le
contrôle.
Et si l'on s'intéresse aux grandes questions institutionnelles, clé de
l'efficacité, objectif premier de l'exercice, qu'il s'agisse du fonctionnement
du Conseil - vote à la majorité et pondération - du rôle et de la composition
de la Commission - responsabilité et initiative - du rôle du Parlement européen
- procédures et équilibre démographique - nul ne doute que l'on en ait parlé,
mais chacun constate que, à la fin de l'année, la page est restée blanche,
obstinément blanche.
Nous avions fondé de grands espoirs sur la flexibilité, qu'on appelle
maintenant coopération renforcée.
On savait que ce concept et sa mise en application seraient au coeur des
débats et sur l'approfondissement et sur l'élargissement pour permettre,
aujourd'hui ou demain, d'éviter les blocages de l'unanimité. Et si, sur sa
nécessité, un accord paraît possible, il semble loin par contre s'agissant des
conditions de son fonctionnement et de son utilité pratique.
On ne manquera pas de me dire, et vous allez le faire avec raison : attendons
la fin, c'est maintenant que la négociation sérieuse s'ouvre. Je ne demande
qu'à le croire !
Mais puis-je être rassuré quand je prends connaissance des modestes
propositions de la présidence, quand je vois que l'amélioration de la
pondération au Conseil heurte beaucoup de nos interlocuteurs, quand je vois que
pour changer le nombre de membres de la Commission il n'y a pas d'espoir ?
Dans le discours, chacun reconnaît l'impérieuse nécessité de la réforme
institutionnelle. Mais, dans la pratique, sur la table, les propositions sont
réduites et les accords sont minces.
La France et l'Allemagne arriveront-elles à faire naître une volonté commune
?
La dynamique des élargissements aidera-t-elle ?
Pas d'élargissement sans approfondissement, c'est une vieille chanson
européenne. Réussira-t-on à la mettre en musique cette fois ?
Mais, en sens inverse, il y a l'horreur de l'échec, qui est une constante des
négociations européennes ; il y a aussi le grand talent des négociateurs pour
transformer une porte ouverte en arc de triomphe.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Christian de La Malène.
L'élargissement doit se faire, il se fera. Pour le reste, ne risque-t-on pas
de se contenter de l'apparence ?
J'en viens au deuxième débat : la monnaie unique.
Là, tout paraît différent. Les réticences, les prudences, les lenteurs font
place à l'enthousiasme, et l'on met les bouchées doubles. Sauf exception, et
encore chacun veut en être et entend respecter les calendriers et les
critères.
Il est vrai que tout est fait et accepté pour calmer les inquiétudes.
Maastricht avait beaucoup prévu, mais on va plus vite et plus loin. Un plan de
stabilité budgétaire de grande portée, puisqu'il limite les pouvoirs des
parlements nationaux, a été mis en place par une simple directive. Et l'on
entend déjà parler de-ci, de-là d'harmonisation de la fiscalité et
d'harmonisation sociale.
Cependant, quelques graves questions se posent et restent, pour le moment,
sans réponse.
Ne va-t-on pas, et pour longtemps, couper l'Europe en deux ? Comment vont
réagir, politiquement et économiquement, ceux qui, candidats et faisant tant
d'efforts, seront renvoyés dans les ténèbres extérieures ?
La politique monétaire sera-t-elle au service exclusif de la stabilité des
prix, ou intégrera-t-elle d'autres considérations majeures, telles que
l'emploi, par exemple ?
Le Conseil de stabilité, proposé par la France, semble accepté. Mais il est
dit qu'il n'a pas autorité sur la Banque étant sous-entendu que, en
contrepartie, des progrès d'uniformisation dans les domaines fiscaux et sociaux
sont à prévoir ?
De même, quand, pour assurer un minimum de crédibilité à la monnaie, on aura
limité les moyens à la disposition des gouvernements pour faire face aux crises
et aux difficultés inévitables, quels moyens d'ajustement leur restera-t-il ?
Ils n'auront plus le budget ! Ils n'auront plus la fiscalité ! Ils n'auront
plus les mesures sociales ! Ne risque-t-il pas de leur rester seulement
l'emploi et les salaires comme seule variable d'ajustement ?
MM. Maurice Schumann et Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Christian de La Malène.
J'évoquerai enfin brièvement les problèmes de défense.
Au sein de la Conférence intergouvernementale, la discussion sur la défense ne
laisse pas d'ouverture. La France, dans un souci de déblocage, a déplacé la
question pour la poser là où elle est, au sein de l'Alliance. Les négociations
sont en cours. Attendons !
Mais, si le monde change, si les adversaires d'hier deviennent les alliés
d'aujourd'hui, l'Alliance, elle, demeure identique à elle-même,
imperturbablement. Il n'est question que de l'étendre, jamais de la réformer.
Et, curieusement, le premier train de l'OTAN semble définir et dicter le
premier train d'élargissements de l'Union européenne. Il est donc certain que,
telle qu'elle est, elle satisfait parfaitement nos amis américains - et l'on
comprend aisément pourquoi - mais aussi beaucoup d'Européens. Mais, alors, je
me demande si cette appellation leur convient exactement.
Conférence intergouvernementale, monnaie unique, défense européenne, l'issue
de ces trois débats sera de grande portée pour l'avenir de nos nations, nations
indépendantes, comme pour l'avenir de l'Europe, puissance indépendante.
Les Européens auront-ils la volonté de cet avenir ?
Vous avez compris que ce que je crains ce n'est pas tellement l'échec. L'échec
laisse le problème entier et permet de repartir.
Ce que je crains, c'est le faux-semblant...
M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Oui !
M. Christian de La Malène
... le faux-semblant de pouvoir, le faux-semblant de démocratie.
Ce que je crains, c'est l'élargissement géographique sans les réformes en
profondeur permettant de le gérer, c'est l'élargissement des compétences sans
les moyens concrets de les exercer.
En un mot, ce que je crains, c'est l'Europe qui est devant nous, l'Europe de
la dilution, l'Europe de l'illusion.
Nous n'avons besoin, monsieur le ministre, ni de l'une ni de l'autre.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Je tiens d'emblée, messieurs les ministres, à vous remercier pour votre foi en
l'Europe, que je partage totalement.
Depuis quarante ans, la vision de deux grands hommes, Charles de Gaulle et
Conrad Adenauer, a changé radicalement notre histoire.
Puis-je rappeler que je suis né et que j'ai grandi dans un secteur où le front
est resté quatre années de 1914 à 1918 ? Je vous assure que, toute ma vie, j'ai
été marqué par le récit des combattants de cette guerre.
Aujourd'hui, il reste le cimetière, dont j'ai déjà parlé, où, sous les croix,
reposent les anciens combattants - je le rappelle dans un souci de pédagogie -
des jeunes de vingt ans !
Chaque jour, en passant devant eux, je les salue. Hier matin, songeant à ce
débat européen, je les ai remerciés d'avoir sacrifié leur vie pour notre
liberté.
L'Europe, après de tels drames - vingt ans plus tard, en 1939, un nouveau
drame éclatait - s'impose aujourd'hui comme une réalité, dont on ne peut
occulter la dimension humaine et sociale.
Les traités fondateurs des Communautés européennes ont donné priorité à
l'intégration économique.
Il est vrai qu'en 1957 la partie du traité de Rome consacrée à la politique
sociale ne pouvait pas constituer la base juridique d'une politique commune
autonome, comme peut l'être, par exemple, la politique agricole. Les
dispositions sociales ne sont envisagées que comme des conditions ou des
conséquences de la libre circulation.
Pourtant, une politique sociale européenne s'est progressivement développée
sous l'impulsion de la France, avec l'adoption, en 1972, du premier programme
d'action en matière sociale, qui allait bien au-delà de la lettre du traité.
Mais l'ambition d'un véritable espace social européen n'est apparue que plus
tard, avec l'Acte unique européen, qui est entré en vigueur en 1987, et,
surtout, avec la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des
travailleurs de 1989.
Enfin, le traité sur l'Union européenne, signé le 7 février 1992 à Maastricht,
pose la base juridique de l'approfondissement de l'Europe sociale.
Grâce au protocole sur la politique sociale annexé au traité, la négociation
collective européenne et une législation communautaire dans le domaine social
sont désormais envisageables.
La politique sociale européenne a donc une histoire. Elle fait aujourd'hui
partie intégrante de la construction communautaire et s'appuie sur trois
principes : le progrès économique est facteur d'avancées sociales, la cohésion
sociale est nécessaire pour assurer une croissance économique durable ; enfin,
les Etats membres ont en commun un certain nombre de valeurs qu'ils souhaitent
promouvoir.
Toutefois, en dépit d'une légitimité évidente et reconnue, la politique
sociale européenne est à la croisée des chemins. La construction sociale
communautaire reste inachevée. Elle doit être relancée, monsieur le ministre.
Nous devons lui offrir un avenir et des perspectives.
Depuis la signature du traité de Rome, le contexte économique et social de la
construction communautaire s'est dégradé. La crise économique, qui se traduit
par la montée du chômage, et le débat sur les effets d'une Europe trop libérale
suscité par « l'affaire Renault » imposent de repenser l'Europe sociale. A
défaut, l'édifice communautaire risque d'être massivement rejeté par les
citoyens européens.
Il apparaît donc indispensable de tracer les perspectives de l'Europe sociale
à moyen terme. Les priorités de la France doivent être définies de manière
cohérente dans les domaines que couvre le champ social de la Communauté :
travail, emploi, formation professionnelle continue, dialogue social, santé et
protection sociale.
L'avenir de l'Europe sociale passe par une affirmation de ces priorités. Ne
peut-on pas envisager, par exemple, une action des institutions communautaires
plus concrète et plus dynamique en faveur de l'emploi ?
Ne peut-on pas construire une Europe à visage humain, - bien d'autres l'ont
dit avant moi -, une Europe à l'échelle des hommes, dans laquelle prospère un
dialogue social communautaire fructueux ?
Le risque est aujourd'hui réel de voir les citoyens européens attribuer à la
construction communautaire une part de responsabilité dans la profondeur de la
crise.
Une réponse à leurs attentes doit être apportée rapidement. A cette fin, une
politique sociale ambitieuse est indispensable.
Afin d'éviter la situation inconfortable d'une « Europe à géométrie variable »
- pensons au dumping social ! - il nous faut construire un modèle social
européen dans lequel la France apporte son expérience et ses réussites.
Il faut aller au-delà de l'Europe sociale des travailleurs en l'élargissant à
l'ensemble des citoyens de l'Union, à travers la réalisation d'un véritable
espace social européen.
N'oublions pas l'adage : « l'homme est la mesure de toute chose ». L'Europe
doit être à la mesure du citoyen.
La protection de la famille, noyau dur de nos sociétés occidentales et creuset
de notre identité, la lutte contre l'exclusion et le chômage, la protection
sociale, la santé, l'éducation sont, parmi d'autres, des axes majeurs autour
desquels nous devons établir non pas simplement l'Europe sociale, mais l'Europe
tout court, une Europe enrichie, solide, où chacune et chacun apporteront leurs
valeurs de respect.
Une communauté d'hommes et de femmes, fiers d'être français et françaises, une
communion de familles au sein d'une Europe solidifiée par l'addition de nos
différences, c'est aussi cette image, l'Europe sociale !
Une volonté de rigueur - rien ne se fait au rabais - une volonté d'écoute sont
indispensables pour concrétiser l'espérance d'une Europe puissante, reconnue,
agissante, ayant une réelle structure politique, avec des institutions adaptées
qui lui permettent de prendre sa vraie place au sein de notre monde.
Le 20 juin 1961, le président John Kennedy a prononcé cette phrase, qui est
frappée à jamais sur le marbre du cimetière d'Arlington : « Ne demande pas à
ton pays ce qu'il peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour
ton pays. »
Cette phrase célèbre vaut, ô combien, pour notre pays au sein de notre Europe
humaine et sociale.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat
sur la politique européenne de la France ressemble à une visite de chantier.
On commence d'ordinaire par la maquette. M. le ministre délégué a trouvé une
légende heureuse pour cette maquette : « Une communauté de nations souveraines
qui ont mis en commun certaines de leurs compétences dans le seul but d'être
plus fortes et dynamiques dans un monde de plus en plus incertain, complexe,
difficile à décrypter ».
Si je me permets de citer
in extenso
cette définition, c'est que je la
trouve éclairante dans le cadre du débat qui nous réunit. Elle rappelle le
socle gaulliste de l'Europe des nations et y ajoute une touche moderne et
conviviale, inspirée de nos institutions locales : façon de montrer que
l'Europe est devenue une affaire intérieure pour les nations de l'Union
européenne. Enfin, elle n'omet pas ce fond de tableau tourmenté qu'est le
monde, à peine sorti de la guerre froide, aux prises avec la mondialisation
économique aux bienfaits contestés aux métastases localisées et aux demandes de
secours d'urgence plus ou moins bien entendues.
L'Europe, « ambition nécessaire pour la France », disait il y a peu le
Président de la République. Nécessaire et inévitable, c'est tout un.
Oui, nous devons avec pragmatisme poser l'intérêt national au centre de notre
politique européenne. Il en est de même, fort légitimement, de nos
partenaires.
Il ne faut pas s'étonner dans ces conditions que ce qu'on ne peut plus appeler
la « construction », mais plutôt l'« effervescence », le « bourgeonnement »
européen se fasse dans le désordre. L'approfondissement avant l'élargissement,
disait-on naguère. Aujourd'hui, tout nous sollicite, tout doit être mené de
front.
Je ne rappellerai pas la liste des chantiers abondamment cités par les
orateurs précédents ; mais tout cela doit être réglé d'ici à l'an 2000, période
au cours de laquelle, je le rappelle, se dérouleront des élections législatives
dans les trois plus grands pays européens.
Il faut, et bien que les calendriers s'entremêlent - calendriers autodéfensifs
d'ailleurs - essayer de définir des priorités. Il y a longtemps que l'Europe,
pour progresser, a pris l'habitude de ces rendez-vous dramatisés, qui
coïncident avec la fin des présidences semestrielles. Mais il y a des échecs ou
des retards qu'on peut surmonter, d'autres qui apparaissent irrémédiables.
A mon éminent collègue M. de La Malène, je dirai que mon maître en politique,
Edgar Faure, avait un principe : « Un échec n'est pas un succès. » Moi, je
redoute l'échec.
Dans ce fouillis, il semble qu'on puisse repérer trois ateliers principaux :
l'euro, la Conférence internationale, l'élargissement.
S'agissant de l'euro, au début de l'année, nous avons vécu un moment de grâce
: des prévisions optimistes, la baisse des taux d'intérêt, du dollar, de la
lire, de la livre, et la transformation du pacte de stabilité à la germanique
en pacte de stabilité et de croissance grâce à l'habileté du ministre français
de l'économie et des finances.
Les polémiques monétaires s'apaisaient. On eût pu dire, comme Faust : «
Instant, arrête-toi, tu es si beau ! » Hélas ! il a suffi d'un mauvais chiffre
du chômage, de prévisions moins optimistes, de nouvelles alarmantes en
provenance de l'autre côté du Rhin pour faire renaître l'inquiétude.
Monsieur le ministre, je vous demande vraiment du fond du coeur : est-ce que
nos partenaires allemands veulent vraiment la monnaie unique ?
Dans un premier temps, ils n'ont cessé de hausser la barre ; dans un second
temps, ils prennent prétexte de leur propre faiblesse pour se cramponner de
nouveau au mark. Le chancelier Kohl paraît tout seul. Or nous avons parié
depuis des années sur l'attelage franco-allemand, pris notre part du fardeau de
la réunification, souffert sous la Bundesbank... payé d'avance.
Et puis, il y a cette volonté un peu gênante de l'Allemagne, je dois le dire,
d'écarter les pays qu'elle appelle « ceux du club Med ». Il est vrai, comme le
disait notre collègue M. Badré, qu'il ne faut accepter que les pays capables
d'observer la discipline inhérente à la monnaie unique. Mais il y a quand même
quelque chose de gênant dans cette attitude.
C'est le poète Novalis qui disait, dans son traité
La Chrétienté et
l'Europe,
il y a deux cents ans : « De son pas lent, mais sûr, l'Allemagne
s'avance par-devant les autres pays de l'Europe. » C'est une phrase à
méditer.
Nous avons donc confiance dans l'obstination du Président de la République,
dont la prise de position fut jadis déterminante, au moment du référendum sur
le traité de Maastricht, traité qu'il faudra sans doute améliorer.
Aux grandes voix gaullistes qui se sont élevées dans cette enceinte, cet
après-midi, pour s'inquiéter du nouveau cours de la politique gaulliste, je
voudrais simplement demander : quelle stratégie de rechange avez-vous ? Une
longue marche de cinquante ans, comme après la CED, ainsi que l'a rappelé en
termes, ô combien émouvants, M. Schumann ? Ou le repli sur une zone mark
affaiblie, aux grands applaudissements des
traders
anglo-saxons qui
rêvent, en
basic english,
dans le monde entier, à la théorie du renard
libre dans le poulailler libre ?
La révision des traités - votre deuxième grand chantier, monsieur le ministre
- doit être sanctionnée par la Conférence intergouvernementale de juin 1997. Je
n'insiste pas. Le problème, c'est de rendre la Commission plus efficace et la
clé semble être la réduction du nombre de commissaires. Mais je crois avoir lu
quelque part que la commission Santer vient de proposer le nombre de vingt,
alors que M. le ministre délégué nous avait dit, au cours d'une réunion de
notre délégation, qu'il espérait parvenir à dix.
Croyez-vous vraiment, monsieur le ministre, que vous réussirez à convaincre
les petites nations de se faire hara-kiri, et pourrez-vous le faire de façon
assez peu blessante pour ne pas affaiblir ce qu'on pourrait appeler
l'
affectio societatis
de l'entreprise Europe ?
Le troisième chantier, non moins décisif pour l'avenir, est celui de
l'élargissement. A ce propos, je me contenterai de présenter une seule
remarque.
L'élargissement, bien nécessaire dans une perspective historique, fond de
tableau du XXIe siècle qui commence, pose des problèmes pour nos intérêts
légitimes, pour la politique agricole commune et pour les fonds structurels ;
je pense surtout à ces derniers dans la mesure où la négociation commencera en
1998, le « paquet Delors II » prenant fin en 1999. Pouvez-vous nous préciser,
monsieur le ministre, ce que la France peut escompter en ce qui concerne les
fonds structurels à partir de l'an 2000 ? Y aura-t-il une reconduction
transitoire de l'enveloppe en attendant l'élargissement ? Les principes de la
politique agricole commune pourront-ils être maintenus ?
Défendre notre agriculture et nos régions, c'est défendre l'Europe des hommes,
l'Europe vraie, sans oublier bien sûr cette Europe sociale dont tant d'orateurs
ont parlé et que tous nos gouvernements ont essayé de faire progresser, même
s'ils n'ont pas toujours été payés de retour.
« Le bonheur est une idée neuve en Europe », disait Saint-Just. Mais l'Europe
elle-même n'est plus une idée neuve. Elle ne fait plus rêver. Il semble même
qu'elle inspire des cauchemars à certains. Pourtant, elle est déjà notre grande
affaire quotidienne. Pour en avancer le règlement, le Gouvernement a choisi la
bonne méthode : peu de grandes phrases, de la constance et de la présence.
Qu'il continue ! Nous l'aiderons à tracer un chemin au milieu des
fondrières.
(Applaudissements sur les travées du RPR, et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à cette
heure de la soirée, je pense que vous attendez de moi que je sois bref. Je le
serai et limiterai mon propos à quelques réflexions prospectives dans les
domaines économique et financier.
La construction européenne souffre de deux reproches totalement infondés.
En premier lieu, elle est accusée de nous dicter notre politique budgétaire.
Or, lorsqu'on regarde nos comptes, on constate que la situation de nos finances
publiques justifie à elle seule la rigueur actuelle.
En second lieu, elle est accusée de contraindre aux redéploiements industriels
alors que la mondialisation des échanges explique pour une large part la
reconfiguration des groupes industriels, privés ou publics.
Le vrai reproche que l'on pourrait adresser aux architectes de cette
construction européenne, me semble-t-il, est de manquer d'audace, de ne pas
donner à nos contemporains, aux « eurocitoyens », le sentiment qu'un nouveau
type de société se construit pour eux et par eux.
Pour ma part, je pense que nous avons le devoir, nous parlementaires, de
développer une sorte de pédagogie de l'Europe. Le débat de cet après-midi en
est un bon exemple. Nous avons le devoir d'éclairer nos compatriotes sur
l'avenir et sur les conséquences des évolutions qui se déroulent sur notre
espace.
Rien ne serait pire que de feindre de découvrir au fil des années les
problèmes les uns après les autres, d'obscurcir les débats en mélangeant
l'accessoire et le principal ; rien ne serait pire que de perdre tout esprit
critique en faisant de la croyance en l'Europe un acte de foi sans en faire en
même temps un acte de raison.
Je souhaiterais donc, évoquer trois exemples pour illustrer cette nécessaire
anticipation à laquelle nous devons nous livrer : l'un est emprunté au secteur
bancaire et financier, le deuxième à la compétitivité fiscale, qui, à mes yeux,
est différente de l'harmonisation fiscale, le troisième à la lutte contre le
chômage.
S'agissant du monde bancaire et financier de notre pays, on peut dire que
l'introduction de l'euro va profondément le modifier. Il s'y prépare
activement. Le schéma de place bancaire et financier montre que la France sera
prête à faire basculer la quasi-totalité des transactions financières en euros
dès janvier 1999. Réjouissons-nous : l'euro jouera ainsi un rôle d'accélérateur
du libre établissement et de la libre prestation de services.
Mais, si nous sommes prêts sur le plan technique, mes chers collègues, le
sommes-nous au regard des règles juridiques pour faire face à l'intensification
de la concurrence ? J'en doute. L'euro ne va-t-il pas devenir rapidement un
accélérateur puissant d'unification de nos droits internes ? Nous devons nous
préparer à répondre à ces questions.
Sommes-nous préparés à l'accueil de services financiers étrangers à notre
culture nationale ? L'ouverture des magasins Crazy George's en est un exemple.
L'euro va multiplier les cas de cette nature. Nos concitoyens pourront
souscrire des contrats multirisques-habitation chez un assureur allemand, ou
tel prêt à l'acquisition d'un logement chez un prêteur belge ou hollandais.
N'est-il pas nécessaire que nous réfléchissions à une certaine harmonisation de
nos contrats ?
Dans ces conditions, pourrons-nous conserver longtemps des particularités qui
s'opposeraient au désir des consommateurs français d'accéder aux services de
nos partenaires ? Quand l'euro aura cours légal, les banques luxembourgeoises
ou allemandes offriront aux déposants des comptes rémunérés, facilement
gérables selon le mode de la banque directe. Il faudra alors lever dans la
précipitation, je le redoute, l'interdiction que nous connaissons encore dans
notre règlement de rémunérer les dépôts et, sans doute aussi, celle de tarifer
les chèques pour ne pas grever les coûts de nos propres établissements.
Je pourrais évoquer également l'impact du passage à l'euro sur notre droit de
la consommation. Celui-ci a en effet été élaboré de manière différente de ce
qu'il en a été chez nos partenaires des pays voisins.
Citons un dernier exemple s'agissant du secteur bancaire, celui de la gestion
de notre épargne administrée, où ne vont pas manquer de surgir des problèmes.
Quand l'euro sera mis en place, nous ne pourrons pas nous opposer à l'ouverture
de livrets défiscalisés par les citoyens de la zone euro. Qu'en sera-t-il,
alors, de la dépense fiscale importante qui y est associée ?
Si je souligne ces différents points, ce n'est pas de façon négative. Je veux
simplement montrer que nous devons avoir le courage d'aborder ces problèmes de
front et de nous ménager le temps de les résoudre avant le passage à l'euro.
J'en viens maintenant à la question de la compétitivité fiscale, qui me paraît
devoir être traitée autrement que sous la forme d'une harmonisation.
Les conséquences fiscales de la mise en oeuvre de l'euro justifient une étude
approfondie. Trois mécanismes vont exercer une forte pression sur nos systèmes
fiscaux nationaux : d'abord, une transparence totale dans l'affichage des prix
en euros ; ensuite une concurrence accrue entre les opérateurs économiques ;
enfin la tentation des Etats membres de procéder à ce que l'on pourrait appeler
des « dévaluations fiscales ».
Ces trois mécanismes vont renforcer les opérations de « flibuste fiscale »,
selon les propres termes du ministre de l'économie et des finances.
Ces problèmes de compétitivité fiscale ne sont certes pas nouveaux. Ils ont
été étudiés mais la mise en oeuvre de l'euro va nous obliger à y réfléchir plus
avant, en particulier en ce qui concerne les marges de manoeuvre des politiques
fiscales nationales dans un espace économique aussi intégré.
L'exemple des Etat-Unis nous démontre qu'il n'y a pas contradiction absolue
entre liberté fiscale et intégration économique. Toutefois, on peut
raisonnablement s'interroger, premièrement, sur la durabilité des écarts
significatifs de TVA - je pense en particulier aux automobiles, mais Denis
Badré a tout dit à ce sujet - deuxièmement, sur la possibilité de basculer,
puisqu'il en est tant question en ce moment, les cotisations maladie sur la CSG
applicable aux revenus de l'épargne au-delà d'un certain seuil, troisièmement,
sur la fiscalité spécifique applicable aux banques.
Ce ne sont, mes chers collègues, que des exemples, mais il convient de les
méditer, car rien ne serait pire que de fermer les yeux sur les défis que nous
avons à relever.
J'aborderai maintenant un thème particulièrement important, qui a d'ailleurs
déjà été évoqué par les orateurs qui m'ont précédé : la nécessité absolue d'une
action contre le chômage.
Comment, en effet, parler de l'Europe sans évoquer le chômage ? Le taux de
chômage y est deux fois plus élevé qu'aux Etats-Unis. Comme il s'inscrit dans
un contexte de construction de l'Europe, il altère le sentiment européen des
peuples du continent, qui sont conduits, par réflexe, à imputer à l'Europe les
maux qu'ils subissent.
Nous devons combattre ce sentiment ; or la meilleure réponse à y apporter,
c'est d'améliorer la situation de l'emploi et de mieux coordonner les
politiques économiques des Etats au sein de l'espace européen.
A cet égard, je souscris tout à fait à la démarche de notre gouvernement
tendant à ce que soit mis en place un Conseil économique aux ambitions
renforcées.
Dans ce cadre, ne pourrions-nous pas réfléchir, à l'échelle de l'Europe, sur
l'évolution des revenus des ménages ? Même si l'investissement des entreprises
n'est pas au rendez-vous, l'atonie de la demande interne n'est-elle pas l'une
des causes essentielles de la faiblesse de l'activité en Europe ? Je sais bien
qu'aucun pays ne peut prendre seul la responsabilité d'une action correctrice,
mais n'y a-t-il pas, en ce domaine, place pour une initiative européenne ?
Certes, l'Europe doit tenir compte de son environnement mondial. C'est
incontestable, mais je voudrais, mes chers collègues, appeler votre attention
sur le fait que l'Europe dispose tout de même d'une certaine autonomie
économique. Ne l'oublions pas, pour plus des neuf dixièmes, l'activité
économique n'y dépend que de la demande en provenance de pays membres, et ses
échanges avec le reste du monde sont fortement exédentaires.
Ces marges de manoeuvre ne peuvent-elles être explorées pour permettre de
relancer l'activité dans l'espace européen ?
Je pourrais encore évoquer la politique industrielle ainsi que l'opportunité
qu'il y aurait à mettre en oeuvre des projets communs d'infrastructures, mais
je n'en ai plus le temps.
Je voudrais simplement vous dire, mes chers collègues, que tout cela procède
d'une même ambition : réveiller les initiatives et affermir la coopération en
Europe. Nous avons besoin de plus d'Europe et de mieux d'Europe. Nous avons
besoin de nous forger un destin qui évite tant les écueils du libéralisme
effréné que ceux d'un repli national destructeur. Nous avons besoin de créer un
destin économique à visage humain.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Poncelet.
M. Christian Poncelet.
Monsieur le Président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à 650
jours seulement de l'avènement de l'euro, je ne vous surprendrai pas en
consacrant mon propos à la mise en oeuvre de la monnaie européenne.
Je le ferai d'autant plus volontiers que je place, comme vous le savez, de
grands espoirs dans la consécration de l'euro.
Certes, il ne s'agit pas de diviniser la monnaie européenne, qui ne constitue
pas l'avatar moderne du veau d'or ! Mais il convient de ne pas oublier que
l'euro est un instrument au service de la prospérité économique comme de la
survie politique et culturelle de la France et de l'Union européenne.
En effet, l'euro, qui apparaît comme le complément naturel du marché unique -
auquel nous avons, très nombreux, souscrit - présente, à l'évidence, de
nombreux avantages.
Au-delà de la suppression des coûts de transaction entre les monnaies
fusionnées, l'euro est un facteur de stabilité - stabilité des prix et
stabilité des changes - qui favorisera le développement de l'investissement,
contribuera à un essor de la croissance, et permettra, je l'espère - c'est
d'ailleurs le souhait de chacun - un recul du chômage en Europe.
Par ailleurs, l'euro réduira les marges de manoeuvre de la spéculation
monétaire, qui nous a fait tant de mal dans le passé, et supprimera le risque
de ces dévaluations dites compétitives qui ont, naguère encore - n'est-ce pas,
cher Maurice Schumann ? - lourdement pénalisé l'industrie et l'agriculture
françaises.
Il est vrai que ce résultat ne sera pleinement atteint que lorsque tous les
Etats membres de l'Union européenne seront parties prenantes de la monnaie
européenne.
Enfin, l'euro favorisera la stabilité du système monétaire international et
contribuera à son rééquilibrage : monnaie de réserve recherchée par les
investisseurs et expression de la première puissance économique du monde,
l'euro aura les moyens de faire jeu égal avec le yen et, surtout, avec le
dollar, qui constitue pour l'instant la seule devise clé.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Christian Poncelet.
L'euro représente, à l'évidence, une formidable chance pour la France, qui va
ainsi retrouver, quoi qu'on en dise, une partie de sa souveraineté monétaire
perdue.
Pourtant, force est de constater que, en ces temps d'euroscepticisme, le
traité de Maastricht, les critères de convergence, bref le cheminement vers la
monnaie européenne ont rejoint la mondialisation dans le cortège des peurs
françaises.
A cet égard, permettez-moi, messieurs les ministres, d'appeler l'attention du
Gouvernement sur l'urgente nécessité qui s'attache à la promotion d'une action
pédagogique d'envergure pour expliquer à nos concitoyens les enjeux de
l'euro.
Au-delà de cette campagne d'explication, réussir l'euro suppose, à mes yeux,
la réunion de trois conditions : respecter la date d'entrée en vigueur de la
monnaie européenne ; asseoir, dès sa naissance, la crédibilité et la stabilité
de la devise communautaire ; enfin, et peut-être surtout, régler dès à présent
les problèmes de l'après-euro.
S'agissant de la première condition, j'observe que la tentation d'un report de
la mise en oeuvre de l'euro retrouve aujourd'hui, malheureusement, un certain
regain d'actualité.
Cette funeste hypothèse est alimentée par l'inconnue que représente la
situation économique et politique de l'Allemagne, qui pourrait - volontairement
ou non, chacun appréciera - ne pas remplir deux des cinq critères de
convergence, lors de la sélection, en avril 1998, des Etats aptes à faire
partie du premier train de l'euro.
L'Allemagne va-t-elle manquer à l'appel et priver ainsi la monnaie européenne
d'une grande part de sa crédibilité ? Les récentes déclarations du ministre
allemand des finances, M. Théo Waigel, renforcent mes inquiétudes.
La question est de savoir si, confrontée à une perte de compétitivité de son
appareil productif et à une forte montée du chômage, l'Allemagne pourra
s'astreindre à un surcroît de rigueur budgétaire pour être en mesure de
respecter, en avril 1998, c'est-à-dire avant les élections qui doivent y avoir
lieu au mois d'octobre suivant, au moins quatre des cinq critères de
convergence.
Une défection de l'Allemagne placerait les Etats candidats à l'euro devant le
dilemme suivant : soit faire partir le premier train de l'euro à la date
prévue, mais sans la locomotive du Deutsche Mark, avec tous les risques d'arrêt
en rase campagne que comporterait une telle aventure ; soit laisser le train en
gare et en reporter le départ à des jours meilleurs, avec la quasi-certitude
que ce faux départ condamnerait l'euro à devenir une illusion définitivement
perdue et une occasion irrémédiablement manquée.
Plus rien n'empêcherait alors le triomphe d'une zone mark élargie et la
consécration d'une monnaie unique de fait, le Deutsche Mark, qui, en dépit de
sa puissance, ne pourrait rivaliser avec le dollar que les Américains
manipulent à leur guise. Je l'avoue : telle est aujourd'hui ma crainte. S'il en
était ainsi, que deviendrait notre franc ?
Je souhaite ardemment, messieurs les ministres, que le Gouvernement français,
fort de la crédibilité que lui confère sa politique d'assainissement des
finances publiques, mette tout en oeuvre auprès de notre partenaire allemand
pour éviter la réalisation de ce « scénario catastrophe ».
Réussir l'euro, c'est aussi lui conférer, dès sa naissance, une masse critique
suffisante pour en asseoir la crédibilité, en assurer la pérennité et pouvoir
bénéficier de tous les avantages d'une monnaie unique.
L'idéal, bien sûr, serait que le premier train de l'euro compte le plus de
wagons possible pour réduire le risque des dévaluations compétitives qui nous
ont tant nui !
Le traité de Maastricht n'interdit d'ailleurs pas une telle hypothèse
puisqu'il prévoit, au-delà du strict respect des critères de convergence, une
appréciation en tendance de la « trajectoire d'assainissement » des Etats
candidats à l'euro.
Mais ce souci de conférer à l'euro une large assise dès sa naissance doit se
concilier avec l'impératif catégorique qui dicte d'assurer la stabilité de la
monnaie européenne lors de ses premiers pas.
Nous ne devons pas oublier que, pour notre partenaire allemand, le Deutsche
Mark représente bien plus qu'une monnaie : il s'agit, pour le peuple allemand,
d'un drapeau et d'une véritable carte d'identité nationale.
L'euro, qui est appelé à remplacer la devise allemande, doit donc offrir
toutes les garanties de crédibilité, de stabilité et de solidité.
Il s'agit de prendre en compte cette double exigence en faisant prévaloir,
par-dessus tout, l'ardente obligation de réaliser l'euro, avec l'Allemagne, dès
le 1er janvier 1999.
Il serait d'ailleurs dangereux que certains pays fassent de leur participation
au premier train de l'euro une question de prestige national, alors qu'ils
pourront très vite rejoindre le cercle des pionniers ; je pense ici, vous
l'avez compris, à l'Italie.
Enfin, troisième condition, réussir l'euro passe par le règlement, dès
maintenant, des deux problèmes principaux de l'après-euro.
Il s'agit, en premier lieu, d'édicter un code de bonne conduite et de fixer
les règles du jeu que devront respecter les pays participant à la monnaie
européenne.
C'est ainsi que les efforts d'assainissement des finances publiques consentis
lors de la marche vers l'euro ne devront pas se relâcher après la création de
la monnaie européenne si l'union économique et monétaire souhaite continuer à
bénéficier de taux d'intérêt bas. La stabilité devra prendre la succession de
la convergence.
Tel est l'objet du pacte de stabilité et de croisance qui a été adopté au
sommet de Dublin, en décembre dernier.
S'agit-il, comme certains l'ont prétendu, d'une manifestation de masochisme
collectif ? A l'évidence, non ! Monnaie européenne ou pas, un Etat ne peut
impunément continuer à vivre au-dessus de ses moyens, et nous en savons quelque
chose... Ramener nos déficits publics à un montant inférieur à 3 % du produit
intérieur brut, c'est tout simplement renouer avec une règle de bonne gestion
budgétaire en vigueur sous la Ve République, de 1958 à 1981.
Une autre interrogation découle du futur paysage institutionnel de l'Union
économique et monétaire qui offrira une place de choix à la Banque centrale
européenne.
Il n'est pas dans mon propos de contester le monopole dont bénéficiera cette
banque indépendante dans la gestion de l'euro ; mais il est nécessaire qu'une
instance politique puisse faire entendre sa voix notamment sur la convergence
des politiques économiques.
C'est pourquoi, messieurs les ministres, je me félicite que notre partenaire
allemand ait accepté, lors du conseil économique et financier qui s'est tenu à
Lyon le 12 mars dernier, la proposition française d'un conseil de stabilité, ce
qui me paraît extrêmement important.
Il me semble par ailleurs nécessaire de prévoir que les dirigeants de la
Banque centrale européenne pourront être entendus par les commissions
concernées des parlements nationaux, comme c'est le cas pour le gouverneur de
la Banque de France, qui doit répondre aux invitations que peuvent lui adresser
la commission des finances de l'Assemblée nationale ou du Sénat.
M. Christian de La Malène.
Très bien ! Il faut le dire à M. Trichet.
M. Christian Poncelet.
La seconde série de problèmes de l'après-euro réside dans les relations entre
les pays parties prenantes de la monnaie européenne et les autres Etats membres
de l'Union européenne.
Tel est le thème de la constitution d'un système monétaire européen
bis,
avec un noyau dur, l'euro, et, pour les monnaies satellites, des
marges de fluctuation qui pourraient être réduites, me semble-t-il, au fur et à
mesure de la marche de ces pays vers la convergence et l'entrée dans l'euro.
Enfin, il me paraît indispensable, pour faire respecter cette règle du jeu, de
pénaliser les Etats qui procéderont à des dévaluations, en libellant dans leur
monnaie nationale les concours qu'ils pourraient recevoir de l'Union
européenne.
M. Maurice Schumann.
Ah !
M. Christian Poncelet.
Je sais que M. le ministre de l'économie et des finances a défendu cette idée
auprès des institutions européennes, mais, hélas ! sans succès jusqu'à présent.
Si aucune sanction n'est prévue, il se produira, après la mise en place de
l'euro, des dévaluations compétitives dans les pays périphériques, avec les
conséquences que nous connaissons.
M. Maurice Schumann.
Voilà !
M. Christian Poncelet.
Par conséquent, il faut dès maintenant prévoir à l'égard de ces pays des
sanctions qui s'appliqueront immédiatement et non pas après plusieurs mois de
réflexion, alors que des secteurs entiers de l'industrie européenne seront
sinistrés.
M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. Christian Poncelet.
Pour conclure mon propos, je voudrais, mes chers collègues, vous faire
partager ma conviction qu'avec la monnaie européenne nous avons rendez-vous
avec l'histoire.
Ne laissons pas s'enfuir cette chance, car un échec de l'euro ne pourrait
manquer de porter atteinte au rayonnement politique, culturel et économique de
la France. Toutefois, si un échec devait se produire, notre pays ne doit
surtout pas en porter la responsabilité. N'entrons pas dans l'avenir à
reculons. Tournons-nous, au contraire, résolument vers demain, car l'espérance
est un acte de foi.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste).
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. Jean Faure au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Je vous remercie, mesdames, messieurs
les sénateurs, de ce débat, qui a été très intéressant. Excepté les quelques
instants où j'ai dû quitter l'hémicycle, j'ai eu à coeur de le suivre.
J'ai beaucoup apprécié la qualité de l'ensemble des interventions, qui ont
exprimé l'éventail des sentiments que suscite l'Europe. Il est bien normal que
des sujets de cette ampleur ne puissent pas faire l'unanimité.
L'organisation d'un référendum sur le traité de Maastricht a suscité des
tensions très fortes en France. Le débat qui s'est alors instauré a entraîné
des conséquences négatives non seulement dans notre pays mais aussi en Europe.
En effet, pour la première fois, non seulement le consensus français qui
existait sur l'Europe s'est en quelque sorte brisé mais aussi un signal
fortement négatif fut envoyé à l'Europe. C'est sans doute de cette époque que
date la montée de l'« euroscepticisme » en Europe.
Or j'ai l'impression, à tort ou à raison, que, depuis quelques années, se
reconstitue, jour après jour, dans notre pays un certain consensus sur le
sujet. Certes, il n'est pas général - une nation ne peut être unanime - mais
nous parvenons, me semble-t-il, à un accord global largement majoritaire en
faveur de la construction européenne.
M. Maurice Schumann.
Oui, mais pas toujours !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Permettez-moi à ce sujet, mesdames,
messieurs les sénateurs, de formuler deux observations.
Premièrement, au cours de nos travaux, souvent décevants il est vrai, que ce
soit à Bruxelles, à Luxembourg, et parfois même à Strasbourg - car, à
Strasbourg, les déceptions ne manquent pas - Michel Barnier et moi-même n'avons
à l'esprit que l'intérêt supérieur de la France. En effet, c'est bien de cela
qu'il s'agit : est-il ou non de notre intérêt de poursuivre le projet européen
? Jusqu'à présent, je n'ai jamais eu le sentiment de m'éloigner, en quoi que ce
fût, de l'intérêt supérieur de la nation.
Toutefois, il faut vivre dans le monde réel, qui est ce qu'il est, et notre
place, notre dimension, notre poids en son sein sont ce qu'ils sont. Notre
objectif est de prendre toute notre place dans ce monde-là et de renforcer et
valoriser notre poids par la construction de l'Europe.
L'Europe est un formidable amplificateur de puissance pour une nation comme la
nôtre. Si nous choisissions, comme nous en avons souvent la tentation, de nous
replier sur nous-mêmes face à la modernisation, à l'élargissement de l'Europe
ou à l'euro, notre destin serait celui d'une petite nation du monde, qui serait
certes respectable et respectée, mais qui n'aurait plus la capacité d'influer
sur le sort de la planète.
A l'inverse, en choisissant la voie européenne, nous retrouvons le moyen
d'être l'un des éléments principaux du plus grand ensemble régional mondial qui
est en train de se constituer et qui peut devenir, s'il le veut - ce qui n'est
pas assuré - la première puissance économique et politique du monde.
J'ai bien écouté M. Masseret tout à l'heure : il existe bien, de fait, deux
projets européens. Dès lors que nous saurons si nous voulons construire un
projet européen, il se dessinera de plus en plus clairement une majorité et une
opposition, non pas pour ou contre l'Europe, mais pour ou contre un projet
socialiste pour l'Europe.
A cet égard, M. Masseret a dessiné un projet socialiste pour l'Europe dont je
me sens très éloigné, comme je l'étais d'ailleurs du projet socialiste pour la
France.
Sans revenir sur les propos que j'ai tenus tout à l'heure, permettez-moi de
dire que tous les intervenants qui se sont brillamment exprimés à cette tribune
cet après-midi ont apporté d'importantes contributions à nos travaux et à nos
débats. M. Barnier et moi-même avons pris note de leurs réflexions, qui nous
seront très utiles dans la poursuite des négociations que nous menons et pour
les actions que nous devons entreprendre. Ce sont autant de contributions
versées au débat national pour une année 1997 qui est jalonnée d'échéances
importantes.
S'agissant de la monnaie, aucun doute n'est possible. Il y a aujourd'hui une
monnaie mondiale - et pas deux ! -, des monnaies régionales puissantes, telles
que le Deutsche Mark et le yen, et un grand nombre de monnaies locales, dont
certaines sont purement et simplement en voie de disparition. Ainsi, dans
certains pays, la monnaie locale disparaît au profit de la monnaie mondiale.
La question est de savoir ce que nous voulons faire.
Nous avons un grand projet, qui consiste à créer une nouvelle monnaie qui
sera, par nature, une monnaie mondiale. Naturellement, elle changera le cours
des choses. Elle modifiera totalement la configuration financière mondiale
ainsi que notre destin.
Bien sûr, elle aura des conséquences considérables, que nous sous-estimons ou
que nous ne percevons pas encore. Elle posera nécessairement des problèmes,
vous en avez d'ailleurs soulevé certains.
Tous les pays, notamment l'Allemagne, seront-ils prêts ? Oui, je vous rassure,
car je n'ai aucun doute à ce sujet, l'Allemagne, tout comme la France, sera
prête en temps et en heure. Quant aux autres pays, je n'en sais rien. L'intérêt
de la France est que le plus grand nombre possible de pays s'assoient autour de
la table, car nous voulons créer une véritable monnaie mondiale. Nous ne
voulons pas d'un Deutsche Mark élargi.
M. Maurice Schumann.
C'est pourtant ce que ce sera !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Nous verrons bien ! En tout cas, nous
devrons résoudre, tout au long de ce parcours, de nombreux problèmes.
M. Christian Poncelet.
Le ministre allemand des finances est moins convaincu que vous, et je le
regrette.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Non, monsieur le sénateur. Il a indiqué
très clairement que l'Allemagne était déterminée à être prête à l'échéance et à
respecter les critères de Maastricht. Franchement, je ne crois pas que nous
devons jouer sur le doute à l'égard de nos partenaires. Je vous fais part de
mes certitudes.
M. Christian Poncelet.
Et moi, de mes craintes !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Je peux me tromper - après tout, je ne
détiens pas la vérité infuse - mais je suis convaincu que la France et
l'Allemagne sont déterminées à être prêtes le jour venu, même si des doutes
sont émis en France et si certains s'y opposent en Allemagne. Le Chancelier
Kohl et le Président de la République, M. Jacques Chirac, qui ont tous deux le
pouvoir de décision dans leur pays respectif, sont déterminés en ce domaine,
pour des raisons qui tiennent à la vision qu'ils ont du destin de leur propre
nation. C'est pourquoi seront, en effet, consentis, de part et d'autre, les
efforts nécessaires pour y parvenir.
M. Christian Poncelet.
Mais M. Kohl doit auparavant consulter son Parlement ce qui alimente ma
crainte.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Ce chemin, je le répète, sera jalonné
par un très grand nombre de difficultés, que vous découvrirez jour après jour.
Mais nous y ferons face et nous les résoudrons. Cette détermination perdurera
ainsi jusqu'au jour dit, mais aussi après, car il nous faudra, par la suite,
résoudre d'autres problèmes. Sur un projet d'une telle ampleur, tout ne peut
pas être écrit à l'avance. Il n'est pas possible de tout prévoir. Mais c'est la
volonté qui se manifestera qui sera déterminante.
S'agissant de la CIG, certains ont fait part de leur scepticisme. Le document
du sommet de Dublin auquel certains se sont référés, et sur lequel j'avais
porté moi-même une appréciation plus réservée que celle à laquelle vous avez
fait allusion, est un document préparatoire qui n'est pas à la hauteur du
document final.
M. Christian de La Malène.
C'est un traité qui avait été demandé à M. Door. Or il n'y a rien de tel !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Bien sûr - mais n'en doutez pas,
monsieur le sénateur - la France est déterminée à faire figurer dans ce projet
de traité les dispositions relatives au vote à la majorité qualifiée et à la
pondération des voix sur lesquelles nous ne céderons pas, ainsi que s'agissant
de la Commission, faute de quoi il n'y aura ni traité ni élargissement.
Les choses sont claires. Et elles doivent l'être pour vous, monsieur le
sénateur, et pour qui doit entendre.
Il est d'autres questions : la politique étrangère et de sécurité commune, la
subsidiarité - question importante sur laquelle nous avons certains éléments de
réponse et de solution ; cela ne sera sans doute pas parfait, mais constituera,
je crois, un réel progrès.
Il y a aussi les questions touchant aux problèmes de sécurité et de libre
circulation.
Bien entendu, parce que nous avons le souci d'être agréables à nos
partenaires, nous ajouterons ceci ou cela. Ainsi, il est très important,
paraît-il, qu'il y ait des dispositions sur l'environnement. Soit, je suis
conciliant.
Nous essaierons donc de parvenir à quelque chose qui prenne en considération
les préoccupations des uns et des autres.
Toutefois, s'agissant de ce qui nous paraît essentiel, parce qu'il y va de
l'intérêt général de l'Europe et de l'intérêt primordial de la France, nous
n'avons pas l'intention de faire de concession.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que l'élargissement constitue une
immense route devant nous et entraîne un profond changement du visage que nous
avions l'habitude de considérer en regardant l'Europe. Je sais aussi que, dans
cette Europe élargie - vingt-six nations, peut-être même trente dans quinze ans
- les choses ne pourront pas fonctionner comme quand nous étions six. Aussi
est-il tout à fait évident que, progressivement, le moment venu, se construira,
sur le socle commun de cette Europe élargie, de cette grande Europe, quelque
chose d'autre, entre quelques-uns, qui ira beaucoup plus loin. En tout cas,
ceux qui, depuis le début, considèrent qu'il faut partager beaucoup pour
réaliser beaucoup sentiront qu'ils doivent se regrouper avec ce projet-là. En
d'autres termes, la grande idée de l'élargissement de l'Europe à la dimension
du continent s'accompagnera inévitablement - et, de mon point de vue, plutôt
heureusement - de la construction d'une fusée à deux étages. J'espère que nous
serons toujours au sommet de cette fusée-là.
M. Fourcade, notamment, a posé la question du devenir des fonds structurels et
de la politique agricole commune. Tous ces problèmes peuvent être résolus. Bien
entendu, des difficultés se présentent. Il appartiendra aux experts, aux
professionnels, aux gouvernements de traiter ces problèmes les uns après les
autres. Nous ferons face.
Lorsqu'on a élargi l'Europe à l'Espagne, le Sud-Ouest considérait qu'il allait
être envahi par les produits agricoles espagnols. Or, cet élargissement a été
la meilleure affaire que le Sud-Ouest ait jamais faite.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
C'est vrai
!
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Il en sera de même avec la Hongrie, la
Tchéquie et la Pologne.
Nous avons tort de regarder nos frontières comme quelque chose qui doit être
gardé à tous moments. Il faut aller conquérir l'Europe, comme il faut conquérir
le monde.
Dans le domaine de l'Europe sociale, nous avons effectivement du retard. En
réalité, c'est un retard profond, car on n'a jamais osé avancer sur ce champ
plutôt miné ; M. Fourcade en a parlé de façon très remarquable et très
convainquante tout à l'heure.
Sans doute quelques événements - et le drame de Vilvorde en est un -
seront-ils des phénomènes déclenchants, qui vont engager la réflexion des
dirigeants, des responsables syndicaux et patronaux. En effet, on ne peut
diriger un grand groupe européen - et tous les grands groupes sont au moins
européens - sans une base juridique, une base négociée, conventionnelle, et une
base humaine...
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Et un état
d'esprit !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
... qui soient organisées à l'échelon
européen.
Nous sentons que nous allons bientôt entrer dans cette nouvelle phase de
construction de l'Europe sociale, qui en est encore au stade des balbutiements,
des textes incantatoires, des documents sans portée juridique...
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'en ai terminé. A
la vérité - et je le dis à ceux d'entre vous qui ont partagé leur vie politique
avec le général de Gaulle - la seule question qui se pose, c'est celle de la
volonté.
Que voulons-nous ? Avons-nous une volonté forte pour la nation ? Lui
voyons-nous un grand destin ? Imaginons-nous pour elle un grand projet ?
Si oui, il y en a un pas deux - pour la jeunesse de demain : faire l'Europe,
et non pas mollement, comme souvent, mais avec force, énergie et détermination.
Je suis sûr que, pour cela, l'ensemble du Sénat est d'accord.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre Fauchon.
Bravo !
M. Daniel Millaud.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Millaud.
M. Daniel Millaud.
Je constate, une fois de plus, que l'association des territoires d'outre-mer à
l'Europe n'intéresse pas le Gouvernement !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Je suis prêt à entendre toutes les
critiques, mais pas les contrevérités, monsieur le sénateur !
Cette question, je l'ai évoquée dans mon propos liminaire. Mais peut-être
n'étiez-vous pas alors présent...
M. Daniel Millaud.
J'étais présent ! Vous avez parlé des « régions d'outre-mer » - c'est la
confusion classique avec les départements - de ces « machins » «
ultrapériphériques » !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur le sénateur, je ne partage pas
ce point de vue.
Sachez, et c'est l'essentiel, que l'intérêt du Gouvernement pour les
territoires d'outre-mer est considérable.
M. Daniel Millaud.
Vous n'avez pas répondu sur le problème que j'ai soulevé !
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le
numéro 262 et distribuée.
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