prochain renouvellement
des conseillers généraux

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 241, 1996-1997) relatif à la date du prochain renouvellement des conseillers généraux et à la réunion de plein droit suivant le prochain renouvellement des conseillers régionaux. [Rapport n° 251 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Je note que vous êtes souvent parmi nous en ce moment, monsieur le ministre, ce qui nous réjouit ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est aussi un grand plaisir pour moi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément aux dispositions du code électoral, trois élections générales doivent avoir lieu en mars 1998, à savoir le renouvellement de l'Assemblée nationale, celui des conseils régionaux et l'élection des conseillers généraux de la série de cantons renouvelée en 1992. Il s'y ajoute, dans la collectivité territoriale de Corse, le renouvellement de l'Assemblée de Corse.
Seuls deux conseils généraux ne sont pas concernés par le rendez-vous de mars 1998 : il s'agit, d'une part, de celui de la collectivité territoriale de Mayotte et, d'autre part, de celui de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Quoi qu'il en soit, la concomitance dans le même mois de trois consultations générales est sans précédent dans notre pays. Il est clair que ces trois élections ne pourraient se dérouler simultanément sans soulever des difficultés matérielles extrêmement graves ni susciter des risques sérieux de confusion dans l'esprit des électeurs.
Par ailleurs, il faut maintenir à sa date normale le renouvellement de l'Assemblée nationale.
Tout le monde est d'accord sur ce constat, ce qui implique le report de l'une ou des deux consultations locales, conformément à un usage qui a déjà donné lieu à plusieurs précédents sous la Ve République. C'est sur les modalités de ce report que se sont manifestées, ici ou là, des divergences d'appréciation.
La prorogation de la durée du mandat d'une catégorie d'élus locaux et le report consécutif de la date de leur élection constituent une entorse au principe du renouvellement à intervalles réguliers des assemblées délibérantes des collectivités locales qui résulte lui-même du principe inscrit à l'article 72 de la Constitution, selon lequel les collectivités territoriales de la République « s'administrent librement par des conseils élus ».
Ce faisant, le législateur doit donc s'assurer qu'il n'excède pas les limites définies par le cadre constitutionnel.
A cet égard, la jurisprudence du Conseil constitutionnel reste peu abondante. Ce dernier, en effet, n'a été saisi qu'à cinq reprises de textes de cette nature et les seules décisions intervenues en ce domaine sont les suivantes : la décision du 5 janvier 1988 à propos de la loi du 8 janvier 1988 prorogeant de six mois le mandat des conseillers généraux renouvelables en 1988 ; la décision du 6 décembre 1990 relative à la loi du 11 décembre 1990 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux ; la décision du 13 janvier 1994 concernant la loi du 18 janvier 1994 rétablissant le renouvellement triennal par moitié des conseils généraux ; la décision du 6 juillet 1994 à propos de la loi du 15 juillet 1994 relative à la date du renouvellement des conseillers municipaux ; enfin, la décision du 6 février 1996 relative à la loi organique de la même date relative au renouvellement des membres de l'assemblée territoriale de la Polynésie française.
Tout en rappelant que le législateur reste compétent pour déterminer le régime électoral des assemblées locales, le Conseil constitutionnel a énoncé cinq règles dont le respect conditionne la conformité de la mesure aux principes constitutionnels.
Premièrement, le report de l'élection doit répondre à un motif d'intérêt général ; deuxièmement, il doit revêtir un caractère exceptionnel ; troisièmement, la durée de la prorogation du mandat doit être limitée ; quatrièmement, le choix opéré par le législateur ne doit pas être inapproprié aux objectifs qu'il s'est fixés ; enfin, cinquièmement, ce choix ne doit créer, ni dans son principe ni dans ses modalités matérielles d'organisation, de confusion dans l'esprit des électeurs avec d'autres consultations électorales.
Mais il va de soi que le législateur doit aussi tenir compte des circonstances. Certaines peuvent avoir un caractère permanent. Il serait, en effet, particulièrement inopportun, par exemple, d'organiser des élections durant les mois de juillet et d'août. D'autres tiennent à des données plus ponctuelles. C'est ainsi, des élections doivent se tenir en septembre 1998, pour renouveler les sénateurs de la série A. La participation de plein droit des conseillers régionaux et généraux aux collèges électoraux sénatoriaux exclut que des élections locales se tiennent en septembre.
Ces données de fait et ces principes m'ont conduit à solliciter l'avis du Conseil d'Etat. L'assemblée générale du Conseil d'Etat a rendu son avis le 30 janvier dernier.
Elle n'a relevé aucun obstacle constitutionnel à deux formules d'aménagement du calendrier : l'une consisterait à reporter les élections régionales et cantonales au mois de juin 1998 ; l'autre maintiendrait la date des élections régionales au mois de mars, en même temps que les élections législatives, et ne décalerait en juin que les seules élections cantonales.
En revanche, et il est important de le souligner, le Conseil d'Etat a exprimé les plus vives réserves à l'égard d'une solution qui impliquerait d'organiser tout ou partie des scrutins locaux à une date postérieure à celle des élections sénatoriales de septembre.
S'il est vrai que des prorogations de mandat d'importance comparable ont été pratiquées dans le passé, une mesure identique, souligne le Conseil d'Etat, aurait pour conséquence, en 1998, que participeraient aux élections sénatoriales un certain nombre de « grands électeurs » maintenus en fonction plusieurs mois après la fin normale de leur mandat. Elle mettrait donc en cause, toujours selon le Conseil d'Etat, pour l'élection du Sénat, l'application du principe du droit au suffrage garanti par l'article 3 de la Constitution.
C'est à la lumière des observations ainsi formulées par le Conseil d'Etat que le Gouvernement a arrêté son choix, qui consiste à vous proposer le simple report en juin de la date des seules élections cantonales. Ce faisant, le Gouvernement est motivé par un double souci : il souhaite, d'une part, procéder à une modification a minima et, d'autre part, limiter les désagréments et les contraintes qui peuvent en résulter pour les électeurs.
Ce dispositif est, en outre, de nature à assurer la meilleure participation aux élections régionales, qui seraient couplées avec le rendez-vous politique essentiel que constitue l'élection des députés.
Telles sont donc les dispositions essentielles qui sont prévues dans le présent projet de loi et qui figurent à l'article 1er.
Les trois autres mesures mentionnées dans ce texte n'en sont que les conséquences directes.
En deuxième lieu, le second alinéa de l'article 1er dispose que le renouvellement ultérieur de la série des conseillers généraux affectée par le report aura lieu en mars 2004, et ce afin de rétablir la périodicité normale des élections cantonales.
En second lieu, l'article 2 traite de la période durant laquelle peuvent être recueillis des fonds en vue de la campagne des candidats aux élections cantonales, en portant la durée de cette période de douze à quinze mois.
Toutefois, afin de ne pas pénaliser les candidats ayant engagé des dépenses de campagne dès le 1er mars 1997, comme ils étaient fondés à le faire avant que soit décidé le report de la date des élections cantonales, il est précisé que les comptes de campagne ne devront retracer que les dépenses engagées au cours de l'année précédant la date effective du scrutin.
Ces dispositions ne sont que le « décalque » de celles qui ont été insérées dans la loi du 15 juillet 1994 reportant la date des élections municipales de 1995 ; elles avaient, je le rappelle, recueilli l'aval du Conseil constitutionnel.
En troisième lieu, le dernier article du projet de loi vise à reporter après le second tour des élections législatives la date de la réunion de plein droit des conseils régionaux. Au cours de cette réunion, en effet, doivent notamment être désignés le président et la commission permanente de chaque assemblée régionale. Il importe que ces désignations puissent s'opérer dans la sérénité, sans possibilité d'interférence avec le déroulement de la campagne électorale en vue du second tour des élections législatives.
Telles sont, brièvement analysées, mesdames, messieurs les sénateurs, les dispositions du projet de loi sur lequel le Gouvernement vous invite maintenant à délibérer. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 1998 est une année électoralement chargée, puisque doivent se dérouler quatre scrutins. Si celui du renouvellement du tiers du Sénat ne fait pas problème, la concomitance, en l'état actuel du droit, en mars prochain, des trois autres scrutins - législatif, régional et cantonal - a conduit le Gouvernement à déposer sur le bureau du Sénat un projet de loi dans le seul but d'éviter, comme vient de l'expliquer M. le ministre, aux municipalités les complications et aux électeurs les confusions qui naîtraient de cette triple consultation si elle devait avoir lieu le même jour.
Cette seule phrase suffit à comprendre qu'il s'agit d'un texte de portée limitée - c'est une affaire de calendrier - même s'il concerne un domaine qui ne saurait laisser indifférent dans une démocratie, celui du suffrage -, je dirai même de portée fatalement limitée, puisqu'une modification du mode de scrutin des élections régionales, souhaitée par nombre d'élus, n'a pu voir le jour, faute d'avoir pu réunir le large accord souhaité par M. le Premier ministre sur une formule alternative.
Affaire de calendrier, mais récurrente, puisque, aussi bien, la Ve République, pour nous limiter à elle seule, a connu quatre précédents : deux du fait d'élections législatives et deux par suite d'élections présidentielles. En 1967 et en 1973, ce fut le report du scrutin cantonal de mars à septembre pour cause d'élections législatives. En 1988, pour cause d'élection présidentielle, ce fut le report de ce scrutin à septembre-octobre. En 1995, ce fut le report des élections municipales en juin.
Cette fois, l'innovation est double. D'une part, il s'agit de trois scrutins, et non de deux. D'autre part, il s'agit, pour la première fois, d'une année de renouvellement partiel du Sénat.
Les principes constitutionnels qui régissent la matière sont bien établis, puisque le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer à plusieurs reprises sur des reports d'élections locales. Je dis bien « locales », car un tel problème de report ne s'est jamais posé, sous la Ve République du moins, pour les élections législatives et il n'en n'est pas davantage question aujourd'hui.
Le législateur, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, est fondé à « modifier librement les règles concernant le régime électoral des assemblées locales », sous une double réserve, à savoir que les modalités retenues ne soient pas manifestement inappropriées aux objectifs - tel est bien le cas - et que le droit de vote puisse s'exercer suivant une périodicité raisonnable - tel est encore le cas. Le report de trois mois est d'ailleurs identique à celui qui avait été prévu en 1995.
Dès lors qu'il ne peut être question de modifier la date des élections législatives non plus que celle des élections sénatoriales, dès lors que, sauf à s'exposer à des abstentions massives, il ne pouvait être question de convoquer par trois fois les électeurs au suffrage direct, le seul problème était de savoir quels scrutins seraient affectés par le report. Les cantonales et les régionales ? Les cantonales seules ? Les régionales seules ?
Le Gouvernement a choisi, comme vous venez de l'indiquer, monsieur le ministre, de reporter les élections cantonales de mars à juin, et il avance pour ce faire les raisons suivantes, que je fais miennes.
Tout d'abord, il existe un précédent au couplage législatives-régionales : celui de 1986, et aucune difficulté ne s'est fait jour.
Ensuite, les élections régionales ont un degré de politisation plus proche de celui des élections législatives car il s'agit d'un scrutin de liste dans lequel les appareils politiques jouent un rôle prépondérant. Les élections cantonales sont, à l'inverse, le plus souvent, des élections de proximité, ce qui en fait l'originalité, dominées par des enjeux fatalement locaux. Elections de proximité, élections de personnes, pourrais-je dire également.
Enfin, les élections cantonales, à la différence des élections régionales, n'intéressent que la moitié du corps électoral.
On eût pu imaginer de les reporter au mois d'octobre, après les élections sénatoriales, mais, sollicité par le Gouvernement de donner un avis sur ce point, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, le Conseil d'Etat a estimé que cela pourrait « mettre en cause, pour l'élection du Sénat, l'application du droit au suffrage, exprimé à l'article 3 de la Constitution ».
La chose est peut-être contestable du strict point de vue du droit. En effet, l'article 3 dispose seulement : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. » Par ailleurs, un conseiller général dont le mandat est prorogé de quelques mois a toujours la même légitimité juridique. En témoigne, d'une part, le fait que, à plusieurs reprises, des conseillers généraux dont le mandat a été prorogé ont participé à une élection sénatoriale partielle. En témoigne, d'autre part, le parrainage, en 1995, par des maires dont le mandat a été prorogé, des candidats à l'élection présidentielle. Tout cela n'a fait l'objet d'aucune contestation et, dans le second cas, d'aucune observation du Conseil constitutionnel.
La chose est contestable mais, en matière constitutionnelle, il existe toujours un risque, et cela explique très certainement le choix opéré par le Gouvernement, au regret d'ailleurs de bon nombre de personnalités.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Tout à fait !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Telles sont les raisons qui conduisent la commission à vous proposer, mes chers collègues, d'adopter en son état actuel l'article 1er du projet de loi.
Restent deux articles, qui ne sont que la conséquence du premier.
Tout d'abord, l'article 2, qui vise à porter de douze à quinze mois la période pendant laquelle les candidats à l'élection du mois de juin 1998 auront pu recueillir des fonds, les comptes de campagne ne retraçant que les dépenses des douze mois précédant le scrutin.
Les députés se penchent actuellement sur les différents problèmes posés par le véritable casse-tête que représente la réglementation des dépenses électorales en son état actuel. Le président Séguin en a saisi les groupes parlementaires de l'Assemblée nationale, et il me revient que M. Mazeaud a déposé deux propositions de loi, l'une organique et l'autre ordinaire, dont nous aurons très certainement à connaître au printemps.
Ensuite, l'article 3, qui prévoit que la première réunion des conseils régionaux se tiendra le deuxième mardi suivant leur élection, dans un souci de sérénité - je reprends le terme que vous avez employé voilà quelques instants, monsieur le ministre -, pour éviter, précise l'exposé des motifs, « toute interférence entre la désignation des présidents et des bureaux et la campagne du deuxième tour des élections législatives ».
En conclusion, la commisssion vous propose, mes chers collègues, d'adopter sans modification le projet de loi que nous a présenté M. le ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 21 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui répond à un objectif simple : éviter qu'on ne procède à trois élections en même temps, pour des raisons autant techniques que politiques.
Bien qu'il ne s'agisse ici que de définir les modalités techniques pour les échéances de 1998, nous touchons, M. le rapporteur l'a rappelé, à l'un des fondements de notre démocratie, à savoir l'exercice du droit de suffrage.
En partant du problème posé par un calendrier électoral particulièrement chargé en 1998, puisque viendra s'ajouter à l'échéance des mandats des députés, des conseillers régionaux et de la moitié des conseillers généraux le renouvellement de la série A du Sénat, le Gouvernement avait à choisir entre différentes formules.
La période des élections législatives et celle des élections sénatoriales, qui sont des échéances majeures touchant au Parlement, ne pouvant raisonnablement pas être modifiées, ce choix portait donc inévitablement sur les élections régionales et sur les élections cantonales.
Précisons tout de suite que la solution proposée par le Gouvernement à la Haute Assemblée, à travers ce texte, nous paraît la plus satisfaisante, et à plus d'un titre.
M. René-Georges Laurin. Très bien !
M. Alain Dufaut. Considérant qu'il n'y avait pas d'obstacle incontournable à l'organisation de deux scrutins au mois de mars 1998 et qu'il était même souhaitable, pour des raisons évidentes, de procéder ainsi, le couplage des élections régionales avec les élections législatives semble le choix le plus logique.
De fait, le report des élections cantonales est préférable, au moins pour deux types de raisons.
En premier lieu, ce scrutin ne concernera, en effet, que la moitié des électeurs et ne nécessitera la mise en place que de la moitié des bureaux de vote. Cela causera donc moins de perturbations et aboutira à une économie pour les collectivités locales.
En second lieu, il est primordial que les élections cantonales, très éloignées des grands enjeux politiques du pays, plus proches des préoccupations du terrain, ne soient pas troublées par un degré de politisation trop sensible, caractérisant les élections législatives. C'est un des arguments que développait M. le président du Sénat dans un article de presse, le 7 février dernier, avec beaucoup d'à-propos.
A cet égard, je suis profondément convaincu que l'entité départementale, dans la gamme des institutions décentralisées de l'Etat, est plus proche du citoyen que la région.
Il est vrai que le conseiller général, élu dans son canton, est moins soumis aux vagues politiques nationales et tisse des liens de proximité très forts avec ses électeurs, qui prennent bien souvent l'ascendant sur son appartenance politique.
Les contacts fréquents que j'ai depuis 1989 avec des conseillers généraux de toute la France, en ma qualité de secrétaire général de l'Union des conseillers généraux de France, me confirment, si besoin était, que l'élu cantonal est enraciné dans son territoire, surtout lorsqu'il s'agit d'un canton rural, et que, aux yeux de ses électeurs, son étiquette politique a moins d'importance que sa disponibilité, sa notoriété et sa présence au quotidien auprès des élus et de la population de son canton.
Les élections régionales en revanche, de par leur mode de scrutin, à savoir un scrutin de liste, présentent, en tout état de cause, un caractère politique plus accusé, même si ce sont bien des élections territoriales. Mais personne ne peut nier que, pour nos concitoyens, l'appartenance à une région est beaucoup moins marquée que l'appartenance à un département.
Ces arguments militent par conséquent en faveur de la solution retenue par le Gouvernement, d'autant plus qu'elle est consacrée par la pratique électorale de notre pays, comme l'a rappelé M. le rapporteur voilà quelques instants.
Une fois le choix effectué, il est bien sûr possible de disserter longtemps sur ses avantages et ses inconvénients. Les candidats aux élections régionales peuvent ainsi s'inquiéter d'une politisation excessive liée à l'association avec les élections législatives - les candidats aux élections cantonales auraient fait de même si la situation avait été inversée. Cependant, les conseillers généraux renouvelables seraient également en droit de s'interroger sur les conséquences de la concomitance de deux événements majeurs. Ceux qui, parmi mes collègues, sont les plus sportifs l'auront immédiatement compris, je veux parler de la Coupe du monde de football en France, qui se déroulera à la même époque l'an prochain.
Lorsque l'on constate que le coprésident du comité d'organisation de ce Mondial 1998, Michel Platini, a rencontré en Amérique du Sud presque autant de succès que le Président de la République française, comment ne pas s'interroger sur les capacités des candidats à mobiliser les électeurs ?
L'organisation des élections cantonales fin septembre, selon un usage désormais bien établi, aurait permis, involontairement sans doute, d'éviter cet éventuel problème mais aurait ouvert un débat juridique complexe relatif aux incidences de ce report sur le renouvellement de la série A du Sénat, comme M. le ministre l'a rappelé fort justement à l'instant.
Au regard de ces deux arguments, force est de constater que le projet de loi soumis aujourd'hui à l'examen du Sénat, s'il ne peut prétendre résoudre toutes les difficultés, présente néanmoins le meilleur compromis possible pour une année 1998 de toute manière trop chargée sur le plan du calendrier électoral.
Permettez-moi maintenant, monsieur le ministre, de m'attarder sur l'article 2 de ce projet de loi, relatif aux modalités de mise en oeuvre de la législation sur le financement des campagnes électorales lors du prochain renouvellement cantonal.
Le dispositif proposé reprend celui de la loi du 15 juillet 1994 reportant de mars à juin les élections municipales de 1995 : la perception des recettes devra nécessairement transiter par le compte de campagne des candidats à compter du 1er mars 1997, tandis que la comptabilisation des dépenses ne débutera qu'au premier jour des douze mois précédant la date effective du scrutin, soit le 1er juin 1997.
Nous le savons, la seule exception à cette règle concerne les candidats dans des cantons de moins de 9 000 habitants, qui ne sont pas soumis aux obligations de présentation d'un compte de campagne.
Mais, dans la majorité des cas, les candidats se heurteront aux difficultés liées à l'absence de définition légale explicite de cette notion de dépense électorale.
C'est ainsi, par exemple, qu'un doute persiste sur les conséquences de la diffusion par un élu d'une publication à caractère électoral - une plaquette cantonale, par exemple - financée par des recettes publicitaires entre le 1er mars et le 1er juin 1997, c'est-à-dire en ce moment.
Cette action doit-elle s'analyser comme contraire aux dispositions de la loi du 19 janvier 1995 ou comme un avantage en nature devant être inscrit au compte de campagne du candidat ? Le Conseil d'Etat, dans un arrêt récent, se prononce pour la seconde hypothèse, sous réserve que cette diffusion n'ait pas pour effet de faire franchir le plafond du compte de campagne.
Mais cette décision n'a reçu, depuis, aucune confirmation. Les élus doivent-ils, par mesure de prudence, renoncer actuellement à une telle diffusion ? Telle est l'une des questions qui nous sont couramment posées par les candidats renouvelables.
Il est donc souhaitable, monsieur le ministre, que des incertitudes de ce type soient rapidement levées. Je crois savoir que certains députés se penchent sérieusement sur le sujet et, dans l'attente du résultat de leurs travaux, je vous remercie des précisions que vous pourrez nous fournir aujourd'hui.
Au-delà de ces légitimes demandes de clarification dans un domaine d'une grande complexité, celui du financement des campagnes électorales, je voterai sans modification, comme l'ensemble du groupe du RPR du Sénat, le projet de loi que vous nous présentez opportunément cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 1998 sera une année électorale particulièrement chargée. Quatre élections doivent en effet avoir lieu : trois au suffrage universel direct, en principe au mois de mars selon les dispositions en vigueur, et une au scrutin universel indirect, en septembre. Espérons que les électeurs, fortement sollicités, répondront massivement à l'appel des urnes !
La concomitance des trois élections au suffrage universel direct - élections législatives, élections régionales et élections cantonales - comporte de sérieuses difficultés d'organisation matérielle des scrutins, des risques de confusion dans l'esprit des électeurs et des interférences entre les campagnes électorales en vue, d'une part, d'un scrutin national - les élections législatives - et, d'autre part, d'élections qualifiées de locales que sont les élections régionales et les élections cantonales.
Même si les modes de scrutin sont différents et si l'enjeu des campagnes électorales n'est pas identique, toutes les élections - je tiens à l'affirmer - ont un caractère politique évident. De ce fait, je me distinguerai de M. Christian Bonnet qui, dans son rapport écrit, fait un sort particulier aux élections cantonales, au motif que ce sont des élections de proximité - c'est vrai - et que la personnalité des candidats et les enjeux locaux prennent le pas sur les appartenances politiques.
M. Philippe de Bourgoing. C'est vrai !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, l'importance prise par les conseils généraux depuis la décentralisation témoigne du rôle politique de cette collectivité territoriale. A ma connaissance, un conseiller général membre du collège électoral sénatorial, parrain potentiel d'un candidat à l'élection présidentielle, est bien un élu politique et non l'élu d'un syndicat ou d'une organisation professionnelle. M. Dufaut affirmait que l'appartenance régionale était moins forte que l'appartenance cantonale mais, selon moi, il se trompe.
M. Alain Dufaut. J'ai donné mon avis !
M. Guy Allouche. En effet, toutes les enquêtes de l'Observatoire interrégional du politique montrent que les Français connaissent aujourd'hui la région. Allez questionner un habitant d'une grande ville sur ce qu'est un conseiller général et, si vous obtenez une réponse, apportez-la moi ! Autant, je le reconnais, en milieu rural ou semi-urbain, un conseiller général a un rôle certain, autant, dans les grandes villes - peut-être devrais-je le regretter ? - il ne jouit pas de l'importance qui devrait être la sienne. L'élu régional que je suis constate que l'appartenance régionale est de plus en plus forte dans notre pays, et c'est bien ainsi.
La volonté d'éviter les inconvénients précédemment énoncés constituerait le seul motif d'intérêt général justifiant le report de la date des élections locales ou de l'une d'entre elles. Or, le Gouvernement ne s'en tient pas à la seule concomitance. En différant la première réunion de droit qui suit le renouvellement des conseils généraux, le projet de loi modifie l'organisation de l'institution régionale, ce qui ne se justifie ni juridiquement ni techniquement.
C'est bien pour des raisons politiques sur lesquelles je reviendrai que le Gouvernement propose cette modification.
Cette question du calendrier électoral et du mode de scrutin régional est un véritable casse-tête pour le Gouvernement et sa majorité. Entre les adeptes de la représentation proportionnelle à un tour, avec prime majoritaire régionale, et les sectateurs de la représentation proportionnelle à deux tours, inspirée du système municipal, entre les thuriféraires des élections cantonales en octobre et les défenseurs d'un couplage des élections régionales et des élections cantonales, aucun compromis n'a pu être trouvé.
Mes chers collègues, dois-je rappeler ici que les membres de la formation politique à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir ont clairement affirmé leur préférence pour un mode de scrutin régional avec une prime majoritaire, afin que se dégage une majorité ?
Nous avons pu constater qu'il n'en était pas de même dans toutes les formations politiques démocratiques et républicaines de ce pays. C'est la raison pour laquelle aucun compromis n'a pu être trouvé entre les composantes de la majorité.
Las de ces tergiversations, le Premier ministre a tranché dans le vif au point de mécontenter grandement l'UDF, formation majoritaire dans les régions ; cette dernière s'inquiète - je cite l'un de ses leaders - de prendre de plein fouet le « vote sanction » des élections législatives. Ce même responsable parle aussi d'une « erreur politique fondamentale ». Il en fait une question de principe, considérant que la région est un échelon administratif et que, « partisans de la décentralisation, les élus UDF ne peuvent pas le laisser escamoter pour des raisons d'opportunité électorale ».
Si l'UDF proteste tant contre ces propositions, c'est que l'enjeu est de taille. Il a surtout pour fondement politique la volonté de l'autre composante de la majorité de rééquilibrer à son avantage le partage des présidences de régions, largement dominées par l'UDF.
Pour atteindre cet objectif, le mouvement de M. Juppé...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est le RPR !
M. Guy Allouche. C'est le RPR ? Cela m'avait échappé ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Cela m'étonnerait de vous !
M. Guy Allouche. J'ai dit « M. Juppé », et non « M. le Premier ministre ». J'ai distingué la fonction de président d'un parti de celle de Premier ministre !
M. Claude Estier. Il est président du RPR !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le mouvement de M. Juppé, c'est le RPR !
M. Guy Allouche. Mais si vous nous rassurez sur ce point, j'en conviens ! Cela m'avait échappé. Je vous remercie de me l'avoir rappelé, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je m'étonne que de telles choses puissent vous échapper !
M. Guy Allouche. M. le Premier ministre, par ailleurs président du RPR, compte donc sur la composition d'un maximum de listes communes à la faveur d'une concordance de temps avec les élections législatives, car il serait difficilement concevable que la majorité adopte deux stratégies le même jour : l'union aux élections législatives et la division aux élections régionales. En d'autres termes, le RPR veut, en quelque sorte, ficeler et tenir l'UDF. (M. le ministre s'exclame.)
J'en veux pour preuve la position de M. Fourcade, qui a été connue le 13 mars dernier : M. Fourcade, ancien vice-président du conseil régional d'Ile-de-France, a déclaré non seulement qu'il n'était pas d'accord avec les propositions contenues dans ce projet de loi, mais aussi que, craignant que des listes communes ne connaissent l'échec, il voulait, comme quelques-uns de ses amis, la constitution de listes séparées dans toutes les régions. Je vous renvoie aux déclarations de M. Fourcade, mes chers collègues.
M. René-Georges Laurin. Mais de quoi se mêle-t-il ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Il veut s'inscrire au RPR !
M. Guy Allouche. Pour ceux qui douteraient de mes propos, je tiens ici à leur disposition la dépêche rendant compte de cette déclaration.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais il se peut que M. Fourcade ait changé d'avis ! On a le droit de changer d'avis !
M. Guy Allouche. Cher monsieur Ceccaldi-Raynaud, je n'ai pas lu de dépêche nous informant que M. Fourcade a changé d'avis. Peut-être êtes-vous son avocat, mais je ne le crois pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il ne m'a pas constitué ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Sans vouloir anticiper sur le débat que nous aurons en deuxième lecture, je dirai que nous avons appris l'intention de l'une des composantes de la majorité, à l'Assemblée nationale, de déposer deux amendements : l'un tendant à la modification du mode de scrutin régional, l'autre visant à découpler les élections régionales et les élections législatives.
A propos du premier d'entre eux, je dirai qu'une réforme du mode de scrutin régional ne se fait pas par voie d'amendement. Une réforme aussi importante doit faire l'objet d'une proposition de loi ou d'un projet de loi et ne peut résulter d'un simple amendement. Qui plus est, si amendement en ce sens il devait y avoir, ce serait à mes yeux un « cavalier », car il serait hors sujet.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a-t-il arrêté définitivement sa position sur la réforme du mode de scrutin régional, compte tenu du débat qui nous est annoncé à l'Assemblée nationale ?
Par ailleurs, nous avons appris que, suite aux difficultés d'adoption du budget en Haute-Normandie et en région d'Ile-de-France, un dispositif serait proposé - une arme de procédure - permettant d'avoir un budget voté même en l'absence de majorité absolue. D'ailleurs, M. Mazeaud, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, a déposé une proposition de loi en ce sens. Il s'agirait d'un vote de défiance constructive à l'image de ce qui a été prévu pour l'exécutif de l'assemblée de Corse qui jouit, comme chacun le sait ici, d'un statut tout particulier.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très particulier !
M. Guy Allouche. Merci de m'approuver, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
Sur ces deux points, il serait bon que M. le ministre éclaire la Haute Assemblée en nous faisant part des intentions du Gouvernement.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vais vous éclairer, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Merci, monsieur le ministre, vous serez bien bon !
Au regard des principes constitutionnels, le report des élections locales ne soulève aucune difficulté, et M. le rapporteur a fort opportunément rappelé les précédents en la matière. Il n'en demeure pas moins que les justifications avancées pour modifier le calendrier électoral en conservant la simultanéité d'une consultation nationale et d'une élection locale ne résistent guère à l'analyse.
De plus, aucune raison décisive n'apparaît de reporter l'une plutôt que l'autre des élections locales. Cela prouve que le choix opéré par le Gouvernement, et approuvé par la commission des lois, procède d'une analyse strictement politique. C'est également l'objet de l'article 3 du projet de loi.
Comme l'ont dit tant M. le ministre que M. Hoeffel, en commission, et M. le rapporteur, ce que l'on vise, au travers de ce dispositif, c'est la sérénité. Naturellement, nous souhaitons tous que les scrutins et les installations des assemblées territoriales se déroulent dans la sérénité !
Mais on nous dit aussi que c'est pour éviter une interférence entre la campagne en vue du second tour des législatives et la désignation des présidents de conseils régionaux que la première réunion des nouveaux conseils régionaux aura lieu le mardi qui suit le deuxième tour des élections législatives.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est vrai !
M. Guy Allouche. Que ce soit au premier ou au second tour, dès l'instant que nous couplons deux élections de nature et d'enjeu différents, il y a nécessairement interférence. Nous savons dès à présent, monsieur le ministre, que la campagne pour les élections législatives prendra le pas sur celle des élections régionales.
Aussi, pour éviter ce que l'article 3 prétend corriger, n'y aurai-il pas lieu de fixer les élections régionales avec le deuxième tour des élections législatives ? Cele ne nécessiterait aucune modification du code général des collectivités territoriales, et la réunion des conseils régionaux aurait lieu le premier vendredi qui suit le renouvellement. Ainsi, on pourrait éviter cette modification.
En fait, la raison est autre. Ayant fait le choix de coupler les élections régionales avec le premier tour des élections législatives, le Gouvernement, pas toujours sûr du comportement de sa majorité (Exclamations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants), craint que des accords peu orthodoxes passés avec l'extrême droite pour l'élection des présidents de conseils régionaux...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oh ! là ! là !
M. René-Georges Laurin. Mais enfin !
M. Guy Allouche. ... si celle-ci devait avoir lieu le vendredi qui suit, ne viennent perturber le déroulement du deuxième tour des législatives. Evidemment, de tels accords seraient du pire effet sur l'électorat et compromettraient l'issue des législatives !
Pour les collègues qui auraient la mémoire courte - ce que je ne veux pas croire - je renvoie à ce qui s'est passé en 1992 - ce n'est pas vieux ! - et dans la région Languedoc-Roussillon, et dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
M. Paul Blanc. C'est faux !
M. Guy Allouche. C'est sur cela que j'étaie mon argumentation politique.
Concernant sa stratégie d'alliance électorale, le Gouvernement affirme sans cesse qu'il sera d'une extrême rigueur et d'une totale intransigeance, et, personnellement, je fais crédit au Président de la République et au Premier ministre lorsqu'ils nous disent ce qu'ils pensent du comportement d'un parti néo-fasciste. Je leur donne acte de leurs déclarations et je m'en réjouis, mais je crains que le Gouvernement ne laisse sous-entendre qu'il fermera les yeux si, ici ou là, en raison du contexte électoral, un accord est subrepticement passé avec l'extrême droite pour sauver telle ou telle présidence de région.
Tels sont les motifs qui sous-tendent le dispositif prévu par l'article 3 du projet de loi.
M. René-Georges Laurin. C'est vous qui le dites !
M. Guy Allouche. C'est mon analyse, mon cher collègue.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Sur quoi se fonde-t-elle ?
M. René-Georges Laurin. Expliquez-nous maintenant ce que vont faire les socialistes devant une situation aussi compliquée !
M. Guy Allouche. Mon cher collègue, si vous pensez une seconde que les socialistes vont passer un quelconque accord avec la droite ou avec l'extrême droite, ...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Avec les communistes !
M. Guy Allouche. ... c'est que vous n'avez rien retenu de l'histoire !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Avec les communistes, les « Verts », les « Roses », les « Bleus » !
M. Claude Estier. C'est comme le Front national, les « Verts », les « Roses », les « Bleus » ?
M. Guy Allouche. Tout d'abord, si vous estimez que l'union de la gauche,...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. La désunion de la gauche !
M. Guy Allouche. ... l'union de la gauche, dis-je, et une éventuelle alliance droite-extrême droite, c'est la même chose, vous faites, je le crains, un raccourci de notre histoire, et je ne pense pas que ce soit à votre honneur !
M. Claude Estier. M. Léotard s'est fourvoyé !
M. Guy Allouche. De plus, vous semblez découvrir l'union de la gauche. En 1981, nous avons gagné ensemble et, dans nombre de collectivités territoriales, l'union de la gauche est une réalité que nous n'avons pas l'intention de remettre en question.
Enfin, vous m'offrez l'occasion, deux jours après, d'évoquer une déclaration scandaleuse, abjecte - je dis bien « abjecte » - d'un leader de la majorité, qui a mis sur le même plan le Front populaire et le Front national. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) C'est abject de sa part.
C'est là le réveil d'une vieille droite que l'on croyait résolument dépassée par l'histoire. Voir aujourd'hui un leader, qui se prétend présidentiable, faire un tel raccourci, mélanger Léon Blum et Pétain, Jospin et Le Pen, en oubliant qu'il a été ministre sous François Mitterrand, président républicain et démocrate, est une insulte à l'histoire. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. M. Hue vous a traité de « fadasses » !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Allouche ?
M. Guy Allouche. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Juste un mot : puisqu'il faut éviter de faire des comparaisons, il faut aussi éviter, comme on l'a fait récemment, de comparer le gouvernement actuel à Vichy ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Raymond Courrière. Ce n'est pas nous qui avons fait cela !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est vous qui avez commencé !
M. Raymond Courrière. Non !
M. Claude Estier. Nous n'avons jamais dit cela ici, et vous le savez fort bien !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est qui, alors ? Le Pen, peut-être !
M. Raymond Courrière. Nous sommes responsables !
M. Claude Estier. Alors, monsieur le ministre, approuvez-vous les propos de M. Léotard ?
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le ministre, j'aurais souhaité que vous réagissiez aux propos de M. Léotard ; vous ne voulez pas le faire, c'est votre droit.
Par ailleurs, m'avez-vous jamais entendu, tout au long du débat relatif à l'immigration, faire un parallèle entre Vichy et ce que fait le gouvernement actuel ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. Pas vous !
M. Raymond Courrière. Personne, au parti socialiste !
M. Guy Allouche. Permettez-moi de rendre hommage au président, de la commission, M. Jacques Larché, qui, dans son intervention en deuxième lecture, a rappelé ce qui avait été dit en commission par deux hommes ô combien respectables, M. Paul Masson et M. Robert Badinter, dont chacun sait ici ce qu'ils ont fait et ce qu'ils pensent de cette période.
Je ne fais aucun analmagame. Etant né à cette époque, je ne l'ai pas vécue. Ce que j'en sais, c'est l'histoire qui me l'a appris. Jamais il ne me viendrait à l'idée de faire une telle comparaison.
M. Chirac a été élu ô combien démocratiquement ; c'est notre Président de la République. Le Gouvernement a été nommé démocratiquement, et je le respecte profondément. L'Assemblée nationale a également été élue démocratiquement et je la respecte tout autant. Ce faisant, je me conduis tout simplement en républicain et en démocrate. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
J'en viens au report des élections cantonales au mois de juin et non après les élections sénatoriales. C'est la première fois que le problème du report de ces élections se pose véritablement, car il ne s'est jamais présenté l'année d'un renouvellement partiel du Sénat.
On avait donc pris l'habitude - M. le rapporteur l'a fort bien rappelé - d'organiser les élections cantonales au mois de septembre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Là, on ne peut pas !
M. Guy Allouche. En contestant les fondements juridiques sur lesquels s'est appuyé le Conseil d'Etat pour déclarer que le report des élections cantonales après les élections sénatoriales risquait d'être entaché d'inconstitutionnalité - « une telle disposition constituerait une solution manifestement inappropriée aux objectifs poursuivis » a dit le Conseil d'Etat - le rapporteur s'est fait, en quelque sorte, le porte-parole du président du Sénat, qui souhaitait le report des élections cantonales après les élections sénatoriales.
En réalité, il s'agit non pas de contester ici la légitimité politique ou juridique des conseillers généraux dont le mandat est prorogé, mais de reconnaître que le report des élections cantonales en octobre affecterait, cette fois-ci, le collège électoral sénatorial. C'est ce qui différencie l'année 1998 des années 1967, 1973 et 1988.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Eh oui !
M. Guy Allouche. D'ailleurs, M. le rapporteur le dit lui-même dans son rapport. Craignant que cette discussion juridique ne se transforme en arguties, il finit par admettre que le choix du mois de juin ne soulève aucune difficulté de principe.
Chacun comprendra, par ailleurs, que l'argument tiré du déroulement de la Coupe du monde par le président du Sénat ne résiste à aucune analyse juridique.
M. le président. Monsieur Allouche, le président du Sénat n'a jamais fait référence au déroulement de la Coupe du monde ; il a seulement fait état des souhaits des sénateurs. (Sourires.)
M. Guy Allouche. C'est la première fois depuis treize ans que je vois un président de séance prendre ainsi part au débat !
M. René-Georges Laurin. Vous le mettez en cause !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est la première fois qu'on met en cause le président du Sénat.
M. Guy Allouche. M. le président du Sénat est un sénateur comme les autres. Il a fait une déclaration publique, et c'est sur elle que je me fonde.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais ne le mettez pas en cause pendant qu'il préside !
M. le président. Monsieur Allouche, il n'y avait aucune intention polémique dans la précision que j'ai apportée.
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, je vais conclure parce que le temps passe.
Nous sommes en première lecture. La commission des lois, par la voix de son rapporteur, demande au Sénat de voter le projet de loi tel qu'il est proposé par le Gouvernement. Le Gouvernement est maître du choix qu'il fait. Je viens de formuler les remarques que ce projet de loi nous inspire.
Nous considérons, nous socialistes, qu'il ne nous appartient pas de départager, par notre vote, les composantes de la majorité actuellement en désaccord.
En l'état actuel du débat, et sans préjuger la position qu'il adoptera à l'issue de la navette, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Georges Laurin. C'est courageux !
M. Christian de La Malène. Tant de temps pour expliquer cela !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Les patrons sont ailleurs !
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous discutons aujourd'hui crée une situation qui ne constitue pas une innovation. A plusieurs reprises dans le passé, nous avons en effet assisté à des regroupements d'élections, notamment en 1986 et 1992, pour ne citer que les cas les plus récents.
Je tiens à affirmer d'entrée que, pour nous, la question essentielle, en matière de scrutin électoral, est non pas la date de leur organisation, pour nous, mais bien celle de leur mode, majoritaire ou proportionnel. Je reviendrai sur ce point.
Sur le problème soulevé par le projet de loi, à savoir le déplacement des élections cantonales de mars 1998 à juin 1998 et, de ce fait, le couplage des scrutins législatif et régional en mars, nous avons eu, au sein même de notre groupe, des avis ou des analyses différents. C'est tout à fait naturel, car, sur un tel point, l'expérience d'élu, l'appartenance à telle ou telle région, à tel ou tel département, rural ou urbain, peuvent apporter un éclairage différent.
Il faut bien reconnaître que, dans l'absolu, le couplage des régionales et des législatives a des arguments en sa faveur, tout comme, d'ailleurs, le couplage des régionales et des cantonales.
Faut-il réunir les deux scrutins locaux pour isoler l'élection nationale qui met en question la notion de souveraineté, c'est-à-dire l'élection législative ? Cette analyse est tout à fait pertinente.
Doit-on considérer, au contraire, que l'élection régionale est une élection politique, animée par les partis politiques, du fait même du mode de scrutin proportionnel, considération qui ferait coïncider élections législative et régionale ? On peut également le penser.
Enfin, le fait que l'élection régionale concernera l'ensemble du territoire, alors que les cantons seront renouvelés par moitié, n'est pas négligeable.
La discussion au sein de notre groupe a toutefois mis en évidence que l'essentiel était ailleurs.
Premièrement, il est primordial, selon nous, de préserver le mode de scrution régional actuel.
Nous sommes en effet attachés, d'une part, au système de représentation proportionnelle en vigueur et, d'autre part, au vote dans le cadre départemental, qui permet une certaine proximité entre l'électeur et l'élu, contrairement au cadre régional, ainsi qu'une représentativité pluraliste de tous les départements, conforme au choix des électeurs et à l'influence respective des formations politiques.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Ivan Renar. C'est pourquoi nous repoussons les propositions soutenues par certaines composantes de la majorité qui visent notamment à introduire une prime attribuée à la liste majoritaire, le prétexte étant l'absence de majorité ici ou là, ce qui poserait problème pour le vote des budgets.
Cette modification, ainsi que d'autres qui sont suggérées, aurait pour principale conséquence de favoriser les partis politiques les plus importants, au détriment des listes minoritaires, déjà brimées par la barre des 5 %.
Le pluralisme serait ainsi gravement menacé.
Nous considérons, pour conclure sur ce point, qu'en aucun cas la modification d'un mode de scrutin ne doit être utilisée en elle-même pour dénouer une crise politique fondée sur l'absence de majorité.
Pour parler clair, ce ne sont pas des manoeuvres juridiques de ce type qui permettraient de contrer l'influence du Front national dans certaines régions.
L'influence du Front national ne pourra être combattue que par la mise en oeuvre d'une politique économique et sociale nouvelle qui, en quelque sorte, couperait l'herbe sous les pieds de cette extrême droite qui se nourrit de la misère, de l'exclusion et de la précarisation de la société.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Et de la publicité qui lui est faite !
M. Ivan Renar. L'influence du Front national se combattra par une attitude sans concession à l'égard de ce parti, tant sur le fond que sur la forme.
La démagogie du parti de M. Le Pen doit être dénoncée avec force et le travail des démocrates doit être de rétablir la vérité face aux discours de haine. C'est notamment vrai en matière de politique d'immigration.
Il faut constater, pour le regretter, que le projet de loi récemment adopté en deuxième lecture par notre assemblée conforte l'extrême droite dans sa campagne xénophobe et raciste.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Ivan Renar. En résumé, nous estimons donc que la volonté de réduire la proportionnelle, qui est notamment celle de MM. Giscard d'Estaing et Léotard, a pour objectif essentiel de renforcer le pouvoir de l'actuelle majorité, qui domine déjà fortement les assemblées régionales.
Mme Hélène Luc. C'est parce qu'ils ne veulent pas de femmes !
M. Jean-Jacques Hyest. Il ne faut pas tout mélanger !
M. Ivan Renar. Nous rejetons toute modification du mode de scrutin régional qui revêtirait, de toute évidence, le caractère d'une manoeuvre politicienne.
Ces réflexions ne sont pas sans rapport avec le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui.
En effet, le couplage entre l'élection régionale et l'élection cantonale pourrait apparaître aujourd'hui comme une concession faite sous la pression de ceux qui veulent ramener l'élection régionale à son seul caractère local pour exiger par la suite la modification de son mode de scrutin.
J'en viens à la deuxième question, essentielle à nos yeux, celle de la nécessaire généralisation de la proportionnelle dans notre pays.
La crise du rapport entre la population et les partis politiques tient pour beaucoup, selon nous, à la représentation biaisée qu'entraîne le système majoritaire à deux tours. La clef de cette nécessaire modernisation de la démocratie réside, sur le plan des institutions, dans le choix de la proportionnelle contre le système majoritaire et les déformations de la représentation politique qu'il entraîne.
Nous pensons, quant à nous, que chaque voix exprimée par un électeur doit avoir la même valeur. N'est-ce pas là un élément fondamental en matière démocratique ?
Comment concevoir que, pour ce qui est des législatives, les candidats de la droite aient obtenu, aux dernières élections, 84 % des sièges alors qu'ils ne rassemblaient que 44 % des voix exprimées ?
Ne s'agit-il pas là d'un élément important du fossé qui grandit entre les Français et la politique, même s'il n'est pas essentiel, l'essentiel étant certainement qu'une nouvelle démocratie politique soit à inventer et à mettre en oeuvre afin d'éviter que l'on soit citoyen uniquement le jour du vote et simple électeur au pouvoir politique confisqué - et bien souvent trompé - tous les autres jours ?
Peut-on parler de scrutin démocratique quand un député de la majorité représente en moyenne 23 200 électeurs, alors qu'un député communiste en représente 103 200 ?
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Ivan Renar. Nous proposons donc, pour l'élection de l'Assemblée nationale, que soit instauré un scrutin de liste à un tour, avec répartition proportionnelle des sièges sur une base départementale et utilisation des votes au niveau national.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Etrange manière de combattre le Front national !
M. Ivan Renar. Le renforcement de la proportionnelle, je le répète, c'est la garantie du pluralisme, de la diversité, mais aussi et surtout de la juste représentation de l'état politique d'un pays. C'est aussi une bonne façon de limiter le cumul des mandats.
C'est encore un élément déterminant de transparence en matière politique. Je dois faire remarquer que le scrutin sénatorial demeure fort éloigné d'une telle transparence. La faible part de proportionnelle et le scrutin à deux tours favorisent les manoeuvres et l'éloignement des préoccupations des électeurs.
De plus, la répartition départementale des sièges sénatoriaux, en fonction du recensement de 1975, renforce l'image d'archaïsme qui est attachée à notre assemblée. Nous allons d'ailleurs proposer d'adapter, pour le prochain renouvellement de 1998, cette répartition au recensement de 1990.
Enfin, je terminerai ce rapide tour d'horizon en soulignant que la proportionnelle constitue un outil incontournable d'amélioration de la représentation des femmes dans la vie politique.
Mme Hélène Luc. Ah !
M. Ivan Renar. De fait, le mode de scrutin uninominal favorise les personnalités déjà bien ancrées et détentrices de plusieurs mandats. Seul le choix de la proportionnelle offrirait le cadre institutionnel pour une avancée décisive et rapide de la nécessaire parité. Il reviendrait, ensuite, aux partis politiques, c'est leur responsabilité, de proposer aux femmes leur juste place.
Mmes Hélène Luc et Michelle Demessine. Très bien !
M. Ivan Renar. Vous l'aurez compris, notre attitude sur ce projet de loi est pour le moins mitigée. Bien entendu, il apparaît nécessaire de scinder l'organisation des trois élections prévues en 1998. L'idéal aurait été que chaque élection ait lieu de façon indépendante et en fonction de la spécificité de chacune des structures élues et de chacune des élections.
La question du couplage législative-régionale ou régionale-cantonale ne nous apparaît pas déterminante. Nous apprécions toutefois le refus de la remise en cause du scrutin régional.
En revanche, nous regrettons fortement qu'une nouvelle fois aucun pas ne soit effectué vers la généralisation d'un mode de scrutin plus juste, plus démocratique, permettant la pleine expression du pluralisme.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront sur ce projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. C'est un souci d'objectivité et d'exactitude qui me pousse à prendre la parole en cet instant. J'ai entendu des propos indignés de M. Allouche, justifiés peut-être par une citation d'un orateur qui ne s'était pas exprimé au sein de cette assemblée, ni même au sein d'une assemblée politique d'ailleurs.
Permettez-moi de lire sans citer : « Pour la première fois depuis l'Occupation, le droit fondamental d'accueillir "son prochain" est menacé, la délation officialisée avec sanctions et fichiers à l'appui. Triste souvenir d'une sombre période de notre histoire contemporaine ! »
Et l'on a prétendu tout à l'heure que cela n'avait pas été dit !
Deuxième propos : « Il s'agit là d'un article qui, comme certaines associations le dénoncent, en faisant notamment circuler une pétition, constitue une véritable "déclaration-délation" aux "vieux relents de Vichy". »
Voilà ce qui a été dit.
Enfin : « Cette absence de France, nous l'avons connue entre 1940 et 1944. »
J'insiste sur ce troisième propos, du même genre que ceux qui devaient jalonner ce débat, non pas que je n'aie pas attaché d'importance aux deux premiers, mais parce qu'il était tenu par un ancien Premier ministre. J'ai cru d'ailleur devoir interrompre l'orateur - je pense que le Sénat s'en souvient - et, avec son autorisation, je l'ai rappelé à un peu plus de décence. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Et on a prétendu que les socialistes n'avaient rien dit !
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes donc appelés à délibérer cet après-midi, à la demande du Gouvernement, sur les conséquences de la concomitance de trois scrutins différents au mois de mars 1998.
S'agissant de problèmes électoraux, il nous faut, pour les examiner, faire preuve d'une certaine relativité. On peut noter d'ailleurs que, dans son ouvrage L'Idée républicaine en France, M. Claude Nicolet note que « l'instabilité du mode de scrutin, les variations de la loi électorale sont une des caractéristiques de notre histoire politique. Il est d'ailleurs tout à fait remarquable qu'aucune de nos constitutions n'ait jamais voulu fixer la loi électorale, en faisant toujours une loi de droit commun à la discrétion, en réalité, du Parlement ou du Gouvernement. »
Il s'agit là d'un domaine essentiel puisque c'est celui du droit de suffrage. Il comporte peu de règles de valeur constitutionnelle, quelques grands principes républicains et, je crois, beaucoup de pragmatisme.
C'est à la lumière des remarques précédentes qu'il nous faut maintenant considérer tout d'abord les questions que posent ces trois scrutins de mars 1998, questions à la fois nombreuses et complexes. Le projet de loi que nous présente le Gouvernement y apporte une réponse limitée mais acceptable.
Les trois scrutins de mars 1998 soulèvent des questions nombreuses et complexes, qui tiennent à la fois à la simultanéité des scrutins et au mode de scrutin prévu pour les élections régionales.
S'agissant de la simultanéité des scrutins, les problèmes posés sont, à l'évidence, d'ordre matériel. Il s'agit de savoir comment organiser dans des mairies parfois très petites trois élections en même temps. Cependant, ces questions matérielles sont certainement secondaires comparées à celles qui ont trait à l'expression claire de l'opinion des électeurs. Comment, en effet, demander aux électeurs de se prononcer le même jour, lors de trois scrutins concernant trois échelons différents : l'élection des députés, l'élection des assemblées ayant vocation à gérer les régions et l'élection des assemblées ayant vocation à gérer les départements ?
Si nous voulons que les citoyens participent pleinement à la vie publique, il faut leur donner l'occasion d'exprimer clairement leur opinion, qui est le fondement même de la République, et de la façon la plus simple possible.
De ce point vue, l'idée selon laquelle il faudrait regrouper les élections pour que les citoyens participent à la vie publique prêterait selon moi à sourire si elle ne partait, en fait, d'une constatation assez triste, à savoir que nous n'aurions même pas quelques minutes à prendre sur notre temps pour aller jusqu'au bureau de vote !
Je pense que cette idée de regrouper les élections est finalement mauvaise, parce qu'elle ne permet pas aux citoyens de s'exprimer clairement pour chaque type d'élection. On ne peut se prononcer deux, voire trois fois le même jour sur des questions qui sont très diverses.
Telles sont donc les questions qui me semblent posées par la simultanéité de ces trois scrutins. Pour ma part, je pense que la seule et vraie solution serait probablement de faire en sorte qu'il n'y ait pas de simultanéité.
La seconde catégorie de problèmes auxquels nous sommes confrontés tient au mode de scrution retenu pour les élections régionales, ou du moins, au fonctionnement des conseils régionaux.
Je le disais, le projet de loi apporte à ces questions une réponse qui est limitée mais acceptable, puisque le Gouvernement nous propose de reporter les élections cantonales au mois de juin 1998 et d'organiser la réunion des conseils régionaux après l'élection de telle façon qu'il n'y ait pas concomitance avec le second tour des élections législatives. Ce second point me paraît répondre à un légitime souci de bonne administration de la République.
Quant au report des élections cantonales, je souhaite rappeler tout d'abord, qu'il n'y a pas beaucoup de règles de droit qui s'imposent au Gouvernement et au Parlement.
En fait, la règle, la seule règle résulte de la décision du Conseil constitutionnel du 6 décembre 1990, que notre rapporteur a excellemment rappelée : les électeurs doivent être appelés à exercer leur droit de suffrage pour la désignation des membres élus des collectivités territoriales selon une périodicité raisonnable. Il s'agit, pour nous, de savoir ce qu'il faut entendre par là.
Je veux simplement rappeler à ce propos qu'en 1993 nous avons été appelés à voter une loi qui a porté à sept ans la durée du mandat des conseillers généraux élus en 1994 et que personne n'a contesté cette loi. On peut en déduire que la périodicité raisonnable se situe entre six ans et sept ans, soit la durée du mandat des conseillers généraux élus en 1994.
De ce point de vue, la règle est claire et le droit est simple. On ne peut donc pas arguer du déroulement des élections sénatoriales au mois de septembre 1998 pour dire que, cette année-là, la périodicité devrait être différente.
Le fait d'être élu confère des droits qui sont établis par la loi et la Constitution. Ainsi, de nombreux conseillers généraux dont le mandat avait été prolongé ont participé à des élections partielles de sénateurs.
Le Conseil d'Etat a été saisi de cette question. Je note à ce sujet que lorsqu'il rend un avis, il ne dit pas le droit, il émet une opinion. Il lui arrive même de juger au contentieux que l'avis qu'il a pu donner n'est pas le droit.
Ainsi, sans vouloir anticiper sur la décision que va prendre dans quelques jours l'assemblée plénière du contentieux du Conseil d'Etat, j'ai vu que le commissaire du Gouvernement de cette haute formation avait recommandé l'annulation de la déclaration d'utilité publique de l'autoroute la « Chablaisienne », qui avait pourtant été rendue en Conseil d'Etat.
Dans ce domaine, le Conseil d'Etat émet simplement des avis, et la seule règle constitutionnelle et de droit qui existe, c'est celle que j'ai rappelée. Le Gouvernement et le Parlement disposent donc d'une assez grande liberté.
Cette liberté, le Gouvernement l'a utilisée et il nous propose de fixer les élections cantonales au mois de juin 1998. J'ai tout simplement envie de dire, monsieur le ministre : pourquoi pas ? Cette solution ne nous pousse à dire ni tout à fait oui ni tout à fait non ; elle est tout à fait acceptable.
Je voudrais cependant vous poser quelques questions sur votre choix ; elles sont d'ordre technique et ressortissent aux principes républicains affirmés depuis toujours.
Si le droit de suffrage doit s'exercer librement, les électeurs doivent être éclairés, et tel est bien le rôle de la campagne électorale. On peut donc regretter que la loi concernant les campagnes électorales ne soit pas toujours observée.
Mes remarques seront simples, pratiques et pragmatiques.
D'une part, le Gouvernement a fixé les congés scolaires. Nous n'y pouvons rien, le décret est publié et tout le monde le connaît : les vacances scolaires de la Pentecôte se finiront le 2 juin 1998. D'autre part, la durée de la campagne électorale est fixée par l'article R. 26 du code électoral - à cela non plus nous ne pouvons rien ! - et elle prend fin le jeudi à minuit. En l'occurrence, nous disposerons donc, pour le premier tour, de deux jours utiles : le mercredi et le jeudi. On peut juger que ce délai est suffisant pour les élections locales, mais, peut-être est-il tout de même un peu court.
Pour le deuxième tour, nous n'aurons pas beaucoup plus de temps parce que le premier match du Mondial de football aura lieu le samedi 13 juin, c'est-à-dire la veille du second tour des élections cantonales, ce qui concernera très directement six départements.
Si nous voulons que les conseillers régionaux puissent voir leur rôle reconnu en milieu urbain, il est nécessaire qu'ils puissent utiliser, pendant la campagne électorale, les grands médias, la presse écrite notamment. Or, je crains que ces médias ne soient plus tournés vers le football que vers les questions de politique locale pendant la semaine du 7 au 14 juin 1998 ! (M. Raymond Courrière proteste.)
Ce sont là des questions pratiques qui ont, je crois, leur importance et qui méritent en tout cas d'être posées, monsieur le ministre, afin que vous y apportiez réponse.
En effet, si le mois de juin présente des inconvénients pour les élections cantonales, il ne faudrait pas qu'il en présente plus que le mois d'octobre.
Cela dit, je crois qu'il faut éviter toute solution trop théorique et qu'il convient de faire preuve du plus grand pragmatisme.
Dans cette optique, nous pourrions emprunter notre conclusion à M. François Goguel qui, dans ses nombreux travaux sur les lois électorales en France, a montré qu'en fin de compte ce n'est jamais la loi électorale qui constitue le facteur premier et qui détermine la qualité et la quantité de chaque fraction de l'opinion, mais que ce sont bien les électeurs eux-mêmes qui se font leur propre opinion. C'est en leur faisant confiance que nous approuverons votre projet de loi, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président

M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je voudrais tout d'abord répondre à M. Mercier.
D'une part, les problèmes techniques qui se poseraient si, le même jour, on organisait trois scrutins seraient très difficiles à régler dans les petites communes, car il faudrait trois isoloirs, trois tables et, toute la journée, des personnes pour tenir les bureaux de vote. D'autre part, si, en quelques semaines, on convoquait les électrices et les électeurs trois fois de suite, cela risquerait d'entretenir l'absentéisme.
Je suis persuadé que trois scrutins consécutifs, ce serait trop. L'expérience le prouve. Il faut donc essayer de rassembler les scrutins.
M. Michel Mercier. Il y en a même eu quatre, parfois !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a choisi le jumelage entre les élections législatives et les élections régionales, les élections cantonales se déroulant plus tard. De plus, je vous le rappelle, les élections législatives et les élections régionales ont lieu dans toute la France, alors que les élections cantonales ne concernent que la moitié du pays.
Monsieur Mercier, lors de la prolongation d'un an de la durée du mandat des conseillers généraux élus en 1994, la loi avait été contestée. Le problème important réside donc non pas dans la périodicité, mais dans la correspondance des moyens et des objectifs.
Je vous signale que ce report d'un an avait été décidé parce que l'on voulait atteindre, en 2001, une concordance entre les élections cantonales et les élections municipales. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans le même cas de figure.
Enfin, la fixation précise du jour des élections relève du décret. A ce sujet, il est vraisemblable que, pour éviter toute confusion avec d'autres événements, en particulier la Coupe du monde de football, les élections cantonales auront lieu au début du mois de juin.
Monsieur Alain Dufaut, la proposition de loi qui a été déposée par le président de la commission des loi de l'Assemblée nationale interdirait, si elle était adoptée, le financement des journaux électoraux, dans l'année qui précède l'élection, par les personnes morales, sociétés, entreprises et associations. Par conséquent, même un simple encart publicitaire d'une société, d'une entreprise ou d'une association dans l'année qui précède le scrutin serait interdit.
En réalité, plus aucune publicité émanant de collectivités publiques ou de personnes morales de droit privé ne serait autorisée et les journaux pourraient être financés seulement par des dons personnels, par l'apport personnel ou par l'aide publique, qui est une aide a posteriori . Si cette proposition de loi était votée il n'y aurait plus aucun doute à ce sujet.
Monsieur Allouche, le Gouvernement s'en tient à son projet de loi. Il a arrêté sa position. Et, quand vous avez sélectionné les dépêches des agences de presse, vous auriez pu sélectionner celles dans lesquelles M. le Premier ministre a dit clairement quelle était la position du Gouvernement dans ce domaine.
Je sais bien qu'il est facile de faire des procès, ou des faux procès. Mais, si nous avions organisé les élections régionales lors du second tour des élections législatives, comme vous l'avez suggéré, nous aurions pris le risque, dans les circonscriptions où le député a été élu au premier tour, de déplacer une deuxième fois les électeurs. Par conséquent, il nous a paru plus logique de faire en sorte que le premier tour des élections législatives coïncide avec le premier tour des élections régionales.
Voilà la vraie raison ! Mais vous pouvez en chercher d'autres, on peut toujours faire tous les procès d'intention que l'on veut.
Je voudrais, monsieur Allouche, vous répondre enfin sur le problème de l'extrémisme.
Ma position, comme celle du Premier ministre et du Gouvernement, est très claire dans ce domaine. Je peux vous le dire à vous, parce que je sais que, sur ce point, nous avons les mêmes positions à l'égard de celles et ceux qui véhiculent des idées de haine, d'antisémitisme, de violence : tout ce qui est excessif, nous ne l'acceptons pas.
Cependant, monsieur Allouche, évitez de nous donner des leçons parce que, en 1985, c'est M. Fabius qui, par une modification de la loi électorale, a permis l'entrée au Parlement du Front national. (Protestations sur les travées socialistes.) C'est lui qui l'a voulu ; c'est lui qui l'a fait ! (Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Par conséquent, faites attention quand vous donnez des leçons ! Personnellement, je n'ai de leçons sur ce sujet à recevoir de personne, pas plus de M. Fabius que de quelqu'un d'autre parce que je n'admets pas, moi, que l'on banalise les extrémistes en les faisant entrer au Parlement français ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er