prochain renouvellement
des conseillers généraux
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 241, 1996-1997)
relatif à la date du prochain renouvellement des conseillers généraux et à la
réunion de plein droit suivant le prochain renouvellement des conseillers
régionaux. [Rapport n° 251 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Je note que vous êtes souvent parmi nous en ce moment, monsieur le ministre,
ce qui nous réjouit !
(Sourires.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
C'est aussi un grand plaisir pour moi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément aux
dispositions du code électoral, trois élections générales doivent avoir lieu en
mars 1998, à savoir le renouvellement de l'Assemblée nationale, celui des
conseils régionaux et l'élection des conseillers généraux de la série de
cantons renouvelée en 1992. Il s'y ajoute, dans la collectivité territoriale de
Corse, le renouvellement de l'Assemblée de Corse.
Seuls deux conseils généraux ne sont pas concernés par le rendez-vous de mars
1998 : il s'agit, d'une part, de celui de la collectivité territoriale de
Mayotte et, d'autre part, de celui de la collectivité territoriale de
Saint-Pierre-et-Miquelon.
Quoi qu'il en soit, la concomitance dans le même mois de trois consultations
générales est sans précédent dans notre pays. Il est clair que ces trois
élections ne pourraient se dérouler simultanément sans soulever des difficultés
matérielles extrêmement graves ni susciter des risques sérieux de confusion
dans l'esprit des électeurs.
Par ailleurs, il faut maintenir à sa date normale le renouvellement de
l'Assemblée nationale.
Tout le monde est d'accord sur ce constat, ce qui implique le report de l'une
ou des deux consultations locales, conformément à un usage qui a déjà donné
lieu à plusieurs précédents sous la Ve République. C'est sur les modalités de
ce report que se sont manifestées, ici ou là, des divergences
d'appréciation.
La prorogation de la durée du mandat d'une catégorie d'élus locaux et le
report consécutif de la date de leur élection constituent une entorse au
principe du renouvellement à intervalles réguliers des assemblées délibérantes
des collectivités locales qui résulte lui-même du principe inscrit à l'article
72 de la Constitution, selon lequel les collectivités territoriales de la
République « s'administrent librement par des conseils élus ».
Ce faisant, le législateur doit donc s'assurer qu'il n'excède pas les limites
définies par le cadre constitutionnel.
A cet égard, la jurisprudence du Conseil constitutionnel reste peu abondante.
Ce dernier, en effet, n'a été saisi qu'à cinq reprises de textes de cette
nature et les seules décisions intervenues en ce domaine sont les suivantes :
la décision du 5 janvier 1988 à propos de la loi du 8 janvier 1988 prorogeant
de six mois le mandat des conseillers généraux renouvelables en 1988 ; la
décision du 6 décembre 1990 relative à la loi du 11 décembre 1990 organisant la
concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils
régionaux ; la décision du 13 janvier 1994 concernant la loi du 18 janvier 1994
rétablissant le renouvellement triennal par moitié des conseils généraux ; la
décision du 6 juillet 1994 à propos de la loi du 15 juillet 1994 relative à la
date du renouvellement des conseillers municipaux ; enfin, la décision du 6
février 1996 relative à la loi organique de la même date relative au
renouvellement des membres de l'assemblée territoriale de la Polynésie
française.
Tout en rappelant que le législateur reste compétent pour déterminer le régime
électoral des assemblées locales, le Conseil constitutionnel a énoncé cinq
règles dont le respect conditionne la conformité de la mesure aux principes
constitutionnels.
Premièrement, le report de l'élection doit répondre à un motif d'intérêt
général ; deuxièmement, il doit revêtir un caractère exceptionnel ;
troisièmement, la durée de la prorogation du mandat doit être limitée ;
quatrièmement, le choix opéré par le législateur ne doit pas être inapproprié
aux objectifs qu'il s'est fixés ; enfin, cinquièmement, ce choix ne doit créer,
ni dans son principe ni dans ses modalités matérielles d'organisation, de
confusion dans l'esprit des électeurs avec d'autres consultations
électorales.
Mais il va de soi que le législateur doit aussi tenir compte des
circonstances. Certaines peuvent avoir un caractère permanent. Il serait, en
effet, particulièrement inopportun, par exemple, d'organiser des élections
durant les mois de juillet et d'août. D'autres tiennent à des données plus
ponctuelles. C'est ainsi, des élections doivent se tenir en septembre 1998,
pour renouveler les sénateurs de la série A. La participation de plein droit
des conseillers régionaux et généraux aux collèges électoraux sénatoriaux
exclut que des élections locales se tiennent en septembre.
Ces données de fait et ces principes m'ont conduit à solliciter l'avis du
Conseil d'Etat. L'assemblée générale du Conseil d'Etat a rendu son avis le 30
janvier dernier.
Elle n'a relevé aucun obstacle constitutionnel à deux formules d'aménagement
du calendrier : l'une consisterait à reporter les élections régionales et
cantonales au mois de juin 1998 ; l'autre maintiendrait la date des élections
régionales au mois de mars, en même temps que les élections législatives, et ne
décalerait en juin que les seules élections cantonales.
En revanche, et il est important de le souligner, le Conseil d'Etat a exprimé
les plus vives réserves à l'égard d'une solution qui impliquerait d'organiser
tout ou partie des scrutins locaux à une date postérieure à celle des élections
sénatoriales de septembre.
S'il est vrai que des prorogations de mandat d'importance comparable ont été
pratiquées dans le passé, une mesure identique, souligne le Conseil d'Etat,
aurait pour conséquence, en 1998, que participeraient aux élections
sénatoriales un certain nombre de « grands électeurs » maintenus en fonction
plusieurs mois après la fin normale de leur mandat. Elle mettrait donc en
cause, toujours selon le Conseil d'Etat, pour l'élection du Sénat,
l'application du principe du droit au suffrage garanti par l'article 3 de la
Constitution.
C'est à la lumière des observations ainsi formulées par le Conseil d'Etat que
le Gouvernement a arrêté son choix, qui consiste à vous proposer le simple
report en juin de la date des seules élections cantonales. Ce faisant, le
Gouvernement est motivé par un double souci : il souhaite, d'une part, procéder
à une modification
a minima
et, d'autre part, limiter les désagréments
et les contraintes qui peuvent en résulter pour les électeurs.
Ce dispositif est, en outre, de nature à assurer la meilleure participation
aux élections régionales, qui seraient couplées avec le rendez-vous politique
essentiel que constitue l'élection des députés.
Telles sont donc les dispositions essentielles qui sont prévues dans le
présent projet de loi et qui figurent à l'article 1er.
Les trois autres mesures mentionnées dans ce texte n'en sont que les
conséquences directes.
En deuxième lieu, le second alinéa de l'article 1er dispose que le
renouvellement ultérieur de la série des conseillers généraux affectée par le
report aura lieu en mars 2004, et ce afin de rétablir la périodicité normale
des élections cantonales.
En second lieu, l'article 2 traite de la période durant laquelle peuvent être
recueillis des fonds en vue de la campagne des candidats aux élections
cantonales, en portant la durée de cette période de douze à quinze mois.
Toutefois, afin de ne pas pénaliser les candidats ayant engagé des dépenses de
campagne dès le 1er mars 1997, comme ils étaient fondés à le faire avant que
soit décidé le report de la date des élections cantonales, il est précisé que
les comptes de campagne ne devront retracer que les dépenses engagées au cours
de l'année précédant la date effective du scrutin.
Ces dispositions ne sont que le « décalque » de celles qui ont été insérées
dans la loi du 15 juillet 1994 reportant la date des élections municipales de
1995 ; elles avaient, je le rappelle, recueilli l'aval du Conseil
constitutionnel.
En troisième lieu, le dernier article du projet de loi vise à reporter après
le second tour des élections législatives la date de la réunion de plein droit
des conseils régionaux. Au cours de cette réunion, en effet, doivent notamment
être désignés le président et la commission permanente de chaque assemblée
régionale. Il importe que ces désignations puissent s'opérer dans la sérénité,
sans possibilité d'interférence avec le déroulement de la campagne électorale
en vue du second tour des élections législatives.
Telles sont, brièvement analysées, mesdames, messieurs les sénateurs, les
dispositions du projet de loi sur lequel le Gouvernement vous invite maintenant
à délibérer.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 1998 est une année
électoralement chargée, puisque doivent se dérouler quatre scrutins. Si celui
du renouvellement du tiers du Sénat ne fait pas problème, la concomitance, en
l'état actuel du droit, en mars prochain, des trois autres scrutins -
législatif, régional et cantonal - a conduit le Gouvernement à déposer sur le
bureau du Sénat un projet de loi dans le seul but d'éviter, comme vient de
l'expliquer M. le ministre, aux municipalités les complications et aux
électeurs les confusions qui naîtraient de cette triple consultation si elle
devait avoir lieu le même jour.
Cette seule phrase suffit à comprendre qu'il s'agit d'un texte de portée
limitée - c'est une affaire de calendrier - même s'il concerne un domaine qui
ne saurait laisser indifférent dans une démocratie, celui du suffrage -, je
dirai même de portée fatalement limitée, puisqu'une modification du mode de
scrutin des élections régionales, souhaitée par nombre d'élus, n'a pu voir le
jour, faute d'avoir pu réunir le large accord souhaité par M. le Premier
ministre sur une formule alternative.
Affaire de calendrier, mais récurrente, puisque, aussi bien, la Ve République,
pour nous limiter à elle seule, a connu quatre précédents : deux du fait
d'élections législatives et deux par suite d'élections présidentielles. En 1967
et en 1973, ce fut le report du scrutin cantonal de mars à septembre pour cause
d'élections législatives. En 1988, pour cause d'élection présidentielle, ce fut
le report de ce scrutin à septembre-octobre. En 1995, ce fut le report des
élections municipales en juin.
Cette fois, l'innovation est double. D'une part, il s'agit de trois scrutins,
et non de deux. D'autre part, il s'agit, pour la première fois, d'une année de
renouvellement partiel du Sénat.
Les principes constitutionnels qui régissent la matière sont bien établis,
puisque le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer à plusieurs
reprises sur des reports d'élections locales. Je dis bien « locales », car un
tel problème de report ne s'est jamais posé, sous la Ve République du moins,
pour les élections législatives et il n'en n'est pas davantage question
aujourd'hui.
Le législateur, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, est fondé à
« modifier librement les règles concernant le régime électoral des assemblées
locales », sous une double réserve, à savoir que les modalités retenues ne
soient pas manifestement inappropriées aux objectifs - tel est bien le cas - et
que le droit de vote puisse s'exercer suivant une périodicité raisonnable - tel
est encore le cas. Le report de trois mois est d'ailleurs identique à celui qui
avait été prévu en 1995.
Dès lors qu'il ne peut être question de modifier la date des élections
législatives non plus que celle des élections sénatoriales, dès lors que, sauf
à s'exposer à des abstentions massives, il ne pouvait être question de
convoquer par trois fois les électeurs au suffrage direct, le seul problème
était de savoir quels scrutins seraient affectés par le report. Les cantonales
et les régionales ? Les cantonales seules ? Les régionales seules ?
Le Gouvernement a choisi, comme vous venez de l'indiquer, monsieur le
ministre, de reporter les élections cantonales de mars à juin, et il avance
pour ce faire les raisons suivantes, que je fais miennes.
Tout d'abord, il existe un précédent au couplage législatives-régionales :
celui de 1986, et aucune difficulté ne s'est fait jour.
Ensuite, les élections régionales ont un degré de politisation plus proche de
celui des élections législatives car il s'agit d'un scrutin de liste dans
lequel les appareils politiques jouent un rôle prépondérant. Les élections
cantonales sont, à l'inverse, le plus souvent, des élections de proximité, ce
qui en fait l'originalité, dominées par des enjeux fatalement locaux. Elections
de proximité, élections de personnes, pourrais-je dire également.
Enfin, les élections cantonales, à la différence des élections régionales,
n'intéressent que la moitié du corps électoral.
On eût pu imaginer de les reporter au mois d'octobre, après les élections
sénatoriales, mais, sollicité par le Gouvernement de donner un avis sur ce
point, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, le Conseil d'Etat
a estimé que cela pourrait « mettre en cause, pour l'élection du Sénat,
l'application du droit au suffrage, exprimé à l'article 3 de la Constitution
».
La chose est peut-être contestable du strict point de vue du droit. En effet,
l'article 3 dispose seulement : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans
les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et
secret. » Par ailleurs, un conseiller général dont le mandat est prorogé de
quelques mois a toujours la même légitimité juridique. En témoigne, d'une part,
le fait que, à plusieurs reprises, des conseillers généraux dont le mandat a
été prorogé ont participé à une élection sénatoriale partielle. En témoigne,
d'autre part, le parrainage, en 1995, par des maires dont le mandat a été
prorogé, des candidats à l'élection présidentielle. Tout cela n'a fait l'objet
d'aucune contestation et, dans le second cas, d'aucune observation du Conseil
constitutionnel.
La chose est contestable mais, en matière constitutionnelle, il existe
toujours un risque, et cela explique très certainement le choix opéré par le
Gouvernement, au regret d'ailleurs de bon nombre de personnalités.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Tout à fait !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Telles sont les raisons qui conduisent la commission à vous
proposer, mes chers collègues, d'adopter en son état actuel l'article 1er du
projet de loi.
Restent deux articles, qui ne sont que la conséquence du premier.
Tout d'abord, l'article 2, qui vise à porter de douze à quinze mois la période
pendant laquelle les candidats à l'élection du mois de juin 1998 auront pu
recueillir des fonds, les comptes de campagne ne retraçant que les dépenses des
douze mois précédant le scrutin.
Les députés se penchent actuellement sur les différents problèmes posés par le
véritable casse-tête que représente la réglementation des dépenses électorales
en son état actuel. Le président Séguin en a saisi les groupes parlementaires
de l'Assemblée nationale, et il me revient que M. Mazeaud a déposé deux
propositions de loi, l'une organique et l'autre ordinaire, dont nous aurons
très certainement à connaître au printemps.
Ensuite, l'article 3, qui prévoit que la première réunion des conseils
régionaux se tiendra le deuxième mardi suivant leur élection, dans un souci de
sérénité - je reprends le terme que vous avez employé voilà quelques instants,
monsieur le ministre -, pour éviter, précise l'exposé des motifs, « toute
interférence entre la désignation des présidents et des bureaux et la campagne
du deuxième tour des élections législatives ».
En conclusion, la commisssion vous propose, mes chers collègues, d'adopter
sans modification le projet de loi que nous a présenté M. le ministre de
l'intérieur.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 21 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dufaut.
M. Alain Dufaut.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qui nous est soumis aujourd'hui répond à un objectif simple : éviter qu'on
ne procède à trois élections en même temps, pour des raisons autant techniques
que politiques.
Bien qu'il ne s'agisse ici que de définir les modalités techniques pour les
échéances de 1998, nous touchons, M. le rapporteur l'a rappelé, à l'un des
fondements de notre démocratie, à savoir l'exercice du droit de suffrage.
En partant du problème posé par un calendrier électoral particulièrement
chargé en 1998, puisque viendra s'ajouter à l'échéance des mandats des députés,
des conseillers régionaux et de la moitié des conseillers généraux le
renouvellement de la série A du Sénat, le Gouvernement avait à choisir entre
différentes formules.
La période des élections législatives et celle des élections sénatoriales, qui
sont des échéances majeures touchant au Parlement, ne pouvant raisonnablement
pas être modifiées, ce choix portait donc inévitablement sur les élections
régionales et sur les élections cantonales.
Précisons tout de suite que la solution proposée par le Gouvernement à la
Haute Assemblée, à travers ce texte, nous paraît la plus satisfaisante, et à
plus d'un titre.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Alain Dufaut.
Considérant qu'il n'y avait pas d'obstacle incontournable à l'organisation de
deux scrutins au mois de mars 1998 et qu'il était même souhaitable, pour des
raisons évidentes, de procéder ainsi, le couplage des élections régionales avec
les élections législatives semble le choix le plus logique.
De fait, le report des élections cantonales est préférable, au moins pour deux
types de raisons.
En premier lieu, ce scrutin ne concernera, en effet, que la moitié des
électeurs et ne nécessitera la mise en place que de la moitié des bureaux de
vote. Cela causera donc moins de perturbations et aboutira à une économie pour
les collectivités locales.
En second lieu, il est primordial que les élections cantonales, très éloignées
des grands enjeux politiques du pays, plus proches des préoccupations du
terrain, ne soient pas troublées par un degré de politisation trop sensible,
caractérisant les élections législatives. C'est un des arguments que
développait M. le président du Sénat dans un article de presse, le 7 février
dernier, avec beaucoup d'à-propos.
A cet égard, je suis profondément convaincu que l'entité départementale, dans
la gamme des institutions décentralisées de l'Etat, est plus proche du citoyen
que la région.
Il est vrai que le conseiller général, élu dans son canton, est moins soumis
aux vagues politiques nationales et tisse des liens de proximité très forts
avec ses électeurs, qui prennent bien souvent l'ascendant sur son appartenance
politique.
Les contacts fréquents que j'ai depuis 1989 avec des conseillers généraux de
toute la France, en ma qualité de secrétaire général de l'Union des conseillers
généraux de France, me confirment, si besoin était, que l'élu cantonal est
enraciné dans son territoire, surtout lorsqu'il s'agit d'un canton rural, et
que, aux yeux de ses électeurs, son étiquette politique a moins d'importance
que sa disponibilité, sa notoriété et sa présence au quotidien auprès des élus
et de la population de son canton.
Les élections régionales en revanche, de par leur mode de scrutin, à savoir un
scrutin de liste, présentent, en tout état de cause, un caractère politique
plus accusé, même si ce sont bien des élections territoriales. Mais personne ne
peut nier que, pour nos concitoyens, l'appartenance à une région est beaucoup
moins marquée que l'appartenance à un département.
Ces arguments militent par conséquent en faveur de la solution retenue par le
Gouvernement, d'autant plus qu'elle est consacrée par la pratique électorale de
notre pays, comme l'a rappelé M. le rapporteur voilà quelques instants.
Une fois le choix effectué, il est bien sûr possible de disserter longtemps
sur ses avantages et ses inconvénients. Les candidats aux élections régionales
peuvent ainsi s'inquiéter d'une politisation excessive liée à l'association
avec les élections législatives - les candidats aux élections cantonales
auraient fait de même si la situation avait été inversée. Cependant, les
conseillers généraux renouvelables seraient également en droit de s'interroger
sur les conséquences de la concomitance de deux événements majeurs. Ceux qui,
parmi mes collègues, sont les plus sportifs l'auront immédiatement compris, je
veux parler de la Coupe du monde de football en France, qui se déroulera à la
même époque l'an prochain.
Lorsque l'on constate que le coprésident du comité d'organisation de ce
Mondial 1998, Michel Platini, a rencontré en Amérique du Sud presque autant de
succès que le Président de la République française, comment ne pas s'interroger
sur les capacités des candidats à mobiliser les électeurs ?
L'organisation des élections cantonales fin septembre, selon un usage
désormais bien établi, aurait permis, involontairement sans doute, d'éviter cet
éventuel problème mais aurait ouvert un débat juridique complexe relatif aux
incidences de ce report sur le renouvellement de la série A du Sénat, comme M.
le ministre l'a rappelé fort justement à l'instant.
Au regard de ces deux arguments, force est de constater que le projet de loi
soumis aujourd'hui à l'examen du Sénat, s'il ne peut prétendre résoudre toutes
les difficultés, présente néanmoins le meilleur compromis possible pour une
année 1998 de toute manière trop chargée sur le plan du calendrier
électoral.
Permettez-moi maintenant, monsieur le ministre, de m'attarder sur l'article 2
de ce projet de loi, relatif aux modalités de mise en oeuvre de la législation
sur le financement des campagnes électorales lors du prochain renouvellement
cantonal.
Le dispositif proposé reprend celui de la loi du 15 juillet 1994 reportant de
mars à juin les élections municipales de 1995 : la perception des recettes
devra nécessairement transiter par le compte de campagne des candidats à
compter du 1er mars 1997, tandis que la comptabilisation des dépenses ne
débutera qu'au premier jour des douze mois précédant la date effective du
scrutin, soit le 1er juin 1997.
Nous le savons, la seule exception à cette règle concerne les candidats dans
des cantons de moins de 9 000 habitants, qui ne sont pas soumis aux obligations
de présentation d'un compte de campagne.
Mais, dans la majorité des cas, les candidats se heurteront aux difficultés
liées à l'absence de définition légale explicite de cette notion de dépense
électorale.
C'est ainsi, par exemple, qu'un doute persiste sur les conséquences de la
diffusion par un élu d'une publication à caractère électoral - une plaquette
cantonale, par exemple - financée par des recettes publicitaires entre le 1er
mars et le 1er juin 1997, c'est-à-dire en ce moment.
Cette action doit-elle s'analyser comme contraire aux dispositions de la loi
du 19 janvier 1995 ou comme un avantage en nature devant être inscrit au compte
de campagne du candidat ? Le Conseil d'Etat, dans un arrêt récent, se prononce
pour la seconde hypothèse, sous réserve que cette diffusion n'ait pas pour
effet de faire franchir le plafond du compte de campagne.
Mais cette décision n'a reçu, depuis, aucune confirmation. Les élus
doivent-ils, par mesure de prudence, renoncer actuellement à une telle
diffusion ? Telle est l'une des questions qui nous sont couramment posées par
les candidats renouvelables.
Il est donc souhaitable, monsieur le ministre, que des incertitudes de ce type
soient rapidement levées. Je crois savoir que certains députés se penchent
sérieusement sur le sujet et, dans l'attente du résultat de leurs travaux, je
vous remercie des précisions que vous pourrez nous fournir aujourd'hui.
Au-delà de ces légitimes demandes de clarification dans un domaine d'une
grande complexité, celui du financement des campagnes électorales, je voterai
sans modification, comme l'ensemble du groupe du RPR du Sénat, le projet de loi
que vous nous présentez opportunément cet après-midi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année 1998
sera une année électorale particulièrement chargée. Quatre élections doivent en
effet avoir lieu : trois au suffrage universel direct, en principe au mois de
mars selon les dispositions en vigueur, et une au scrutin universel indirect,
en septembre. Espérons que les électeurs, fortement sollicités, répondront
massivement à l'appel des urnes !
La concomitance des trois élections au suffrage universel direct - élections
législatives, élections régionales et élections cantonales - comporte de
sérieuses difficultés d'organisation matérielle des scrutins, des risques de
confusion dans l'esprit des électeurs et des interférences entre les campagnes
électorales en vue, d'une part, d'un scrutin national - les élections
législatives - et, d'autre part, d'élections qualifiées de locales que sont les
élections régionales et les élections cantonales.
Même si les modes de scrutin sont différents et si l'enjeu des campagnes
électorales n'est pas identique, toutes les élections - je tiens à l'affirmer -
ont un caractère politique évident. De ce fait, je me distinguerai de M.
Christian Bonnet qui, dans son rapport écrit, fait un sort particulier aux
élections cantonales, au motif que ce sont des élections de proximité - c'est
vrai - et que la personnalité des candidats et les enjeux locaux prennent le
pas sur les appartenances politiques.
M. Philippe de Bourgoing.
C'est vrai !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, l'importance prise par les conseils généraux depuis la
décentralisation témoigne du rôle politique de cette collectivité territoriale.
A ma connaissance, un conseiller général membre du collège électoral
sénatorial, parrain potentiel d'un candidat à l'élection présidentielle, est
bien un élu politique et non l'élu d'un syndicat ou d'une organisation
professionnelle. M. Dufaut affirmait que l'appartenance régionale était moins
forte que l'appartenance cantonale mais, selon moi, il se trompe.
M. Alain Dufaut.
J'ai donné mon avis !
M. Guy Allouche.
En effet, toutes les enquêtes de l'Observatoire interrégional du politique
montrent que les Français connaissent aujourd'hui la région. Allez questionner
un habitant d'une grande ville sur ce qu'est un conseiller général et, si vous
obtenez une réponse, apportez-la moi ! Autant, je le reconnais, en milieu rural
ou semi-urbain, un conseiller général a un rôle certain, autant, dans les
grandes villes - peut-être devrais-je le regretter ? - il ne jouit pas de
l'importance qui devrait être la sienne. L'élu régional que je suis constate
que l'appartenance régionale est de plus en plus forte dans notre pays, et
c'est bien ainsi.
La volonté d'éviter les inconvénients précédemment énoncés constituerait le
seul motif d'intérêt général justifiant le report de la date des élections
locales ou de l'une d'entre elles. Or, le Gouvernement ne s'en tient pas à la
seule concomitance. En différant la première réunion de droit qui suit le
renouvellement des conseils généraux, le projet de loi modifie l'organisation
de l'institution régionale, ce qui ne se justifie ni juridiquement ni
techniquement.
C'est bien pour des raisons politiques sur lesquelles je reviendrai que le
Gouvernement propose cette modification.
Cette question du calendrier électoral et du mode de scrutin régional est un
véritable casse-tête pour le Gouvernement et sa majorité. Entre les adeptes de
la représentation proportionnelle à un tour, avec prime majoritaire régionale,
et les sectateurs de la représentation proportionnelle à deux tours, inspirée
du système municipal, entre les thuriféraires des élections cantonales en
octobre et les défenseurs d'un couplage des élections régionales et des
élections cantonales, aucun compromis n'a pu être trouvé.
Mes chers collègues, dois-je rappeler ici que les membres de la formation
politique à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir ont clairement affirmé leur
préférence pour un mode de scrutin régional avec une prime majoritaire, afin
que se dégage une majorité ?
Nous avons pu constater qu'il n'en était pas de même dans toutes les
formations politiques démocratiques et républicaines de ce pays. C'est la
raison pour laquelle aucun compromis n'a pu être trouvé entre les composantes
de la majorité.
Las de ces tergiversations, le Premier ministre a tranché dans le vif au point
de mécontenter grandement l'UDF, formation majoritaire dans les régions ; cette
dernière s'inquiète - je cite l'un de ses leaders - de prendre de plein fouet
le « vote sanction » des élections législatives. Ce même responsable parle
aussi d'une « erreur politique fondamentale ». Il en fait une question de
principe, considérant que la région est un échelon administratif et que, «
partisans de la décentralisation, les élus UDF ne peuvent pas le laisser
escamoter pour des raisons d'opportunité électorale ».
Si l'UDF proteste tant contre ces propositions, c'est que l'enjeu est de
taille. Il a surtout pour fondement politique la volonté de l'autre composante
de la majorité de rééquilibrer à son avantage le partage des présidences de
régions, largement dominées par l'UDF.
Pour atteindre cet objectif, le mouvement de M. Juppé...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
C'est le RPR !
M. Guy Allouche.
C'est le RPR ? Cela m'avait échappé !
(Sourires.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Cela m'étonnerait de vous !
M. Guy Allouche.
J'ai dit « M. Juppé », et non « M. le Premier ministre ». J'ai distingué la
fonction de président d'un parti de celle de Premier ministre !
M. Claude Estier.
Il est président du RPR !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Le mouvement de M. Juppé, c'est le RPR !
M. Guy Allouche.
Mais si vous nous rassurez sur ce point, j'en conviens ! Cela m'avait échappé.
Je vous remercie de me l'avoir rappelé, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je m'étonne que de telles choses puissent vous
échapper !
M. Guy Allouche.
M. le Premier ministre, par ailleurs président du RPR, compte donc sur la
composition d'un maximum de listes communes à la faveur d'une concordance de
temps avec les élections législatives, car il serait difficilement concevable
que la majorité adopte deux stratégies le même jour : l'union aux élections
législatives et la division aux élections régionales. En d'autres termes, le
RPR veut, en quelque sorte, ficeler et tenir l'UDF.
(M. le ministre s'exclame.)
J'en veux pour preuve la position de M. Fourcade, qui a été connue le 13
mars dernier : M. Fourcade, ancien vice-président du conseil régional
d'Ile-de-France, a déclaré non seulement qu'il n'était pas d'accord avec les
propositions contenues dans ce projet de loi, mais aussi que, craignant que des
listes communes ne connaissent l'échec, il voulait, comme quelques-uns de ses
amis, la constitution de listes séparées dans toutes les régions. Je vous
renvoie aux déclarations de M. Fourcade, mes chers collègues.
M. René-Georges Laurin.
Mais de quoi se mêle-t-il ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Il veut s'inscrire au RPR !
M. Guy Allouche.
Pour ceux qui douteraient de mes propos, je tiens ici à leur disposition la
dépêche rendant compte de cette déclaration.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Mais il se peut que M. Fourcade ait changé d'avis ! On a le droit de changer
d'avis !
M. Guy Allouche.
Cher monsieur Ceccaldi-Raynaud, je n'ai pas lu de dépêche nous informant que
M. Fourcade a changé d'avis. Peut-être êtes-vous son avocat, mais je ne le
crois pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il ne m'a pas constitué !
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
Sans vouloir anticiper sur le débat que nous aurons en deuxième lecture, je
dirai que nous avons appris l'intention de l'une des composantes de la
majorité, à l'Assemblée nationale, de déposer deux amendements : l'un tendant à
la modification du mode de scrutin régional, l'autre visant à découpler les
élections régionales et les élections législatives.
A propos du premier d'entre eux, je dirai qu'une réforme du mode de scrutin
régional ne se fait pas par voie d'amendement. Une réforme aussi importante
doit faire l'objet d'une proposition de loi ou d'un projet de loi et ne peut
résulter d'un simple amendement. Qui plus est, si amendement en ce sens il
devait y avoir, ce serait à mes yeux un « cavalier », car il serait hors
sujet.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a-t-il arrêté définitivement sa position
sur la réforme du mode de scrutin régional, compte tenu du débat qui nous est
annoncé à l'Assemblée nationale ?
Par ailleurs, nous avons appris que, suite aux difficultés d'adoption du
budget en Haute-Normandie et en région d'Ile-de-France, un dispositif serait
proposé - une arme de procédure - permettant d'avoir un budget voté même en
l'absence de majorité absolue. D'ailleurs, M. Mazeaud, président de la
commission des lois de l'Assemblée nationale, a déposé une proposition de loi
en ce sens. Il s'agirait d'un vote de défiance constructive à l'image de ce qui
a été prévu pour l'exécutif de l'assemblée de Corse qui jouit, comme chacun le
sait ici, d'un statut tout particulier.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très particulier !
M. Guy Allouche.
Merci de m'approuver, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
Sur ces deux points, il serait bon que M. le ministre éclaire la Haute
Assemblée en nous faisant part des intentions du Gouvernement.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je vais vous éclairer, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Merci, monsieur le ministre, vous serez bien bon !
Au regard des principes constitutionnels, le report des élections locales ne
soulève aucune difficulté, et M. le rapporteur a fort opportunément rappelé les
précédents en la matière. Il n'en demeure pas moins que les justifications
avancées pour modifier le calendrier électoral en conservant la simultanéité
d'une consultation nationale et d'une élection locale ne résistent guère à
l'analyse.
De plus, aucune raison décisive n'apparaît de reporter l'une plutôt que
l'autre des élections locales. Cela prouve que le choix opéré par le
Gouvernement, et approuvé par la commission des lois, procède d'une analyse
strictement politique. C'est également l'objet de l'article 3 du projet de
loi.
Comme l'ont dit tant M. le ministre que M. Hoeffel, en commission, et M. le
rapporteur, ce que l'on vise, au travers de ce dispositif, c'est la sérénité.
Naturellement, nous souhaitons tous que les scrutins et les installations des
assemblées territoriales se déroulent dans la sérénité !
Mais on nous dit aussi que c'est pour éviter une interférence entre la
campagne en vue du second tour des législatives et la désignation des
présidents de conseils régionaux que la première réunion des nouveaux conseils
régionaux aura lieu le mardi qui suit le deuxième tour des élections
législatives.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
C'est vrai !
M. Guy Allouche.
Que ce soit au premier ou au second tour, dès l'instant que nous couplons deux
élections de nature et d'enjeu différents, il y a nécessairement interférence.
Nous savons dès à présent, monsieur le ministre, que la campagne pour les
élections législatives prendra le pas sur celle des élections régionales.
Aussi, pour éviter ce que l'article 3 prétend corriger, n'y aurai-il pas lieu
de fixer les élections régionales avec le deuxième tour des élections
législatives ? Cele ne nécessiterait aucune modification du code général des
collectivités territoriales, et la réunion des conseils régionaux aurait lieu
le premier vendredi qui suit le renouvellement. Ainsi, on pourrait éviter cette
modification.
En fait, la raison est autre. Ayant fait le choix de coupler les élections
régionales avec le premier tour des élections législatives, le Gouvernement,
pas toujours sûr du comportement de sa majorité
(Exclamations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains
et Indépendants),
craint que des accords peu orthodoxes passés avec
l'extrême droite pour l'élection des présidents de conseils régionaux...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oh ! là ! là !
M. René-Georges Laurin.
Mais enfin !
M. Guy Allouche.
... si celle-ci devait avoir lieu le vendredi qui suit, ne viennent perturber
le déroulement du deuxième tour des législatives. Evidemment, de tels accords
seraient du pire effet sur l'électorat et compromettraient l'issue des
législatives !
Pour les collègues qui auraient la mémoire courte - ce que je ne veux pas
croire - je renvoie à ce qui s'est passé en 1992 - ce n'est pas vieux ! - et
dans la région Languedoc-Roussillon, et dans la région Provence-Alpes-Côte
d'Azur.
M. Paul Blanc.
C'est faux !
M. Guy Allouche.
C'est sur cela que j'étaie mon argumentation politique.
Concernant sa stratégie d'alliance électorale, le Gouvernement affirme sans
cesse qu'il sera d'une extrême rigueur et d'une totale intransigeance, et,
personnellement, je fais crédit au Président de la République et au Premier
ministre lorsqu'ils nous disent ce qu'ils pensent du comportement d'un parti
néo-fasciste. Je leur donne acte de leurs déclarations et je m'en réjouis, mais
je crains que le Gouvernement ne laisse sous-entendre qu'il fermera les yeux
si, ici ou là, en raison du contexte électoral, un accord est subrepticement
passé avec l'extrême droite pour sauver telle ou telle présidence de région.
Tels sont les motifs qui sous-tendent le dispositif prévu par l'article 3 du
projet de loi.
M. René-Georges Laurin.
C'est vous qui le dites !
M. Guy Allouche.
C'est mon analyse, mon cher collègue.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Sur quoi se fonde-t-elle ?
M. René-Georges Laurin.
Expliquez-nous maintenant ce que vont faire les socialistes devant une
situation aussi compliquée !
M. Guy Allouche.
Mon cher collègue, si vous pensez une seconde que les socialistes vont passer
un quelconque accord avec la droite ou avec l'extrême droite, ...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Avec les communistes !
M. Guy Allouche.
... c'est que vous n'avez rien retenu de l'histoire !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Avec les communistes, les « Verts », les « Roses
», les « Bleus » !
M. Claude Estier.
C'est comme le Front national, les « Verts », les « Roses », les « Bleus »
?
M. Guy Allouche.
Tout d'abord, si vous estimez que l'union de la gauche,...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
La désunion de la gauche !
M. Guy Allouche.
... l'union de la gauche, dis-je, et une éventuelle alliance droite-extrême
droite, c'est la même chose, vous faites, je le crains, un raccourci de notre
histoire, et je ne pense pas que ce soit à votre honneur !
M. Claude Estier.
M. Léotard s'est fourvoyé !
M. Guy Allouche.
De plus, vous semblez découvrir l'union de la gauche. En 1981, nous avons
gagné ensemble et, dans nombre de collectivités territoriales, l'union de la
gauche est une réalité que nous n'avons pas l'intention de remettre en
question.
Enfin, vous m'offrez l'occasion, deux jours après, d'évoquer une déclaration
scandaleuse, abjecte - je dis bien « abjecte » - d'un leader de la majorité,
qui a mis sur le même plan le Front populaire et le Front national.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
C'est abject de sa part.
C'est là le réveil d'une vieille droite que l'on croyait résolument dépassée
par l'histoire. Voir aujourd'hui un leader, qui se prétend présidentiable,
faire un tel raccourci, mélanger Léon Blum et Pétain, Jospin et Le Pen, en
oubliant qu'il a été ministre sous François Mitterrand, président républicain
et démocrate, est une insulte à l'histoire.
(Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
M. Hue vous a traité de « fadasses » !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur
Allouche ?
M. Guy Allouche.
Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Juste un mot : puisqu'il faut éviter de faire
des comparaisons, il faut aussi éviter, comme on l'a fait récemment, de
comparer le gouvernement actuel à Vichy !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Raymond Courrière.
Ce n'est pas nous qui avons fait cela !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est vous qui avez commencé !
M. Raymond Courrière.
Non !
M. Claude Estier.
Nous n'avons jamais dit cela ici, et vous le savez fort bien !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est qui, alors ? Le Pen, peut-être !
M. Raymond Courrière.
Nous sommes responsables !
M. Claude Estier.
Alors, monsieur le ministre, approuvez-vous les propos de M. Léotard ?
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, j'aurais souhaité que vous réagissiez aux propos de M.
Léotard ; vous ne voulez pas le faire, c'est votre droit.
Par ailleurs, m'avez-vous jamais entendu, tout au long du débat relatif à
l'immigration, faire un parallèle entre Vichy et ce que fait le gouvernement
actuel ?
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Pas vous !
M. Raymond Courrière.
Personne, au parti socialiste !
M. Guy Allouche.
Permettez-moi de rendre hommage au président, de la commission, M. Jacques
Larché, qui, dans son intervention en deuxième lecture, a rappelé ce qui avait
été dit en commission par deux hommes ô combien respectables, M. Paul Masson et
M. Robert Badinter, dont chacun sait ici ce qu'ils ont fait et ce qu'ils
pensent de cette période.
Je ne fais aucun analmagame. Etant né à cette époque, je ne l'ai pas vécue. Ce
que j'en sais, c'est l'histoire qui me l'a appris. Jamais il ne me viendrait à
l'idée de faire une telle comparaison.
M. Chirac a été élu ô combien démocratiquement ; c'est notre Président de la
République. Le Gouvernement a été nommé démocratiquement, et je le respecte
profondément. L'Assemblée nationale a également été élue démocratiquement et je
la respecte tout autant. Ce faisant, je me conduis tout simplement en
républicain et en démocrate.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
J'en viens au report des élections cantonales au mois de juin et non
après les élections sénatoriales. C'est la première fois que le problème du
report de ces élections se pose véritablement, car il ne s'est jamais présenté
l'année d'un renouvellement partiel du Sénat.
On avait donc pris l'habitude - M. le rapporteur l'a fort bien rappelé -
d'organiser les élections cantonales au mois de septembre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Là, on ne peut pas !
M. Guy Allouche.
En contestant les fondements juridiques sur lesquels s'est appuyé le Conseil
d'Etat pour déclarer que le report des élections cantonales après les élections
sénatoriales risquait d'être entaché d'inconstitutionnalité - « une telle
disposition constituerait une solution manifestement inappropriée aux objectifs
poursuivis » a dit le Conseil d'Etat - le rapporteur s'est fait, en quelque
sorte, le porte-parole du président du Sénat, qui souhaitait le report des
élections cantonales après les élections sénatoriales.
En réalité, il s'agit non pas de contester ici la légitimité politique ou
juridique des conseillers généraux dont le mandat est prorogé, mais de
reconnaître que le report des élections cantonales en octobre affecterait,
cette fois-ci, le collège électoral sénatorial. C'est ce qui différencie
l'année 1998 des années 1967, 1973 et 1988.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Eh oui !
M. Guy Allouche.
D'ailleurs, M. le rapporteur le dit lui-même dans son rapport. Craignant que
cette discussion juridique ne se transforme en arguties, il finit par admettre
que le choix du mois de juin ne soulève aucune difficulté de principe.
Chacun comprendra, par ailleurs, que l'argument tiré du déroulement de la
Coupe du monde par le président du Sénat ne résiste à aucune analyse
juridique.
M. le président.
Monsieur Allouche, le président du Sénat n'a jamais fait référence au
déroulement de la Coupe du monde ; il a seulement fait état des souhaits des
sénateurs.
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
C'est la première fois depuis treize ans que je vois un président de séance
prendre ainsi part au débat !
M. René-Georges Laurin.
Vous le mettez en cause !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est la première fois qu'on met en cause le président du Sénat.
M. Guy Allouche.
M. le président du Sénat est un sénateur comme les autres. Il a fait une
déclaration publique, et c'est sur elle que je me fonde.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Mais ne le mettez pas en cause pendant qu'il préside !
M. le président.
Monsieur Allouche, il n'y avait aucune intention polémique dans la précision
que j'ai apportée.
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, je vais conclure parce que le temps passe.
Nous sommes en première lecture. La commission des lois, par la voix de son
rapporteur, demande au Sénat de voter le projet de loi tel qu'il est proposé
par le Gouvernement. Le Gouvernement est maître du choix qu'il fait. Je viens
de formuler les remarques que ce projet de loi nous inspire.
Nous considérons, nous socialistes, qu'il ne nous appartient pas de
départager, par notre vote, les composantes de la majorité actuellement en
désaccord.
En l'état actuel du débat, et sans préjuger la position qu'il adoptera à
l'issue de la navette, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe
socialiste ne prendra pas part au vote.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. René-Georges Laurin.
C'est courageux !
M. Christian de La Malène.
Tant de temps pour expliquer cela !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Les patrons sont ailleurs !
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte
dont nous discutons aujourd'hui crée une situation qui ne constitue pas une
innovation. A plusieurs reprises dans le passé, nous avons en effet assisté à
des regroupements d'élections, notamment en 1986 et 1992, pour ne citer que les
cas les plus récents.
Je tiens à affirmer d'entrée que, pour nous, la question essentielle, en
matière de scrutin électoral, est non pas la date de leur organisation, pour
nous, mais bien celle de leur mode, majoritaire ou proportionnel. Je reviendrai
sur ce point.
Sur le problème soulevé par le projet de loi, à savoir le déplacement des
élections cantonales de mars 1998 à juin 1998 et, de ce fait, le couplage des
scrutins législatif et régional en mars, nous avons eu, au sein même de notre
groupe, des avis ou des analyses différents. C'est tout à fait naturel, car,
sur un tel point, l'expérience d'élu, l'appartenance à telle ou telle région, à
tel ou tel département, rural ou urbain, peuvent apporter un éclairage
différent.
Il faut bien reconnaître que, dans l'absolu, le couplage des régionales et des
législatives a des arguments en sa faveur, tout comme, d'ailleurs, le couplage
des régionales et des cantonales.
Faut-il réunir les deux scrutins locaux pour isoler l'élection nationale qui
met en question la notion de souveraineté, c'est-à-dire l'élection législative
? Cette analyse est tout à fait pertinente.
Doit-on considérer, au contraire, que l'élection régionale est une élection
politique, animée par les partis politiques, du fait même du mode de scrutin
proportionnel, considération qui ferait coïncider élections législative et
régionale ? On peut également le penser.
Enfin, le fait que l'élection régionale concernera l'ensemble du territoire,
alors que les cantons seront renouvelés par moitié, n'est pas négligeable.
La discussion au sein de notre groupe a toutefois mis en évidence que
l'essentiel était ailleurs.
Premièrement, il est primordial, selon nous, de préserver le mode de scrution
régional actuel.
Nous sommes en effet attachés, d'une part, au système de représentation
proportionnelle en vigueur et, d'autre part, au vote dans le cadre
départemental, qui permet une certaine proximité entre l'électeur et l'élu,
contrairement au cadre régional, ainsi qu'une représentativité pluraliste de
tous les départements, conforme au choix des électeurs et à l'influence
respective des formations politiques.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Ivan Renar.
C'est pourquoi nous repoussons les propositions soutenues par certaines
composantes de la majorité qui visent notamment à introduire une prime
attribuée à la liste majoritaire, le prétexte étant l'absence de majorité ici
ou là, ce qui poserait problème pour le vote des budgets.
Cette modification, ainsi que d'autres qui sont suggérées, aurait pour
principale conséquence de favoriser les partis politiques les plus importants,
au détriment des listes minoritaires, déjà brimées par la barre des 5 %.
Le pluralisme serait ainsi gravement menacé.
Nous considérons, pour conclure sur ce point, qu'en aucun cas la modification
d'un mode de scrutin ne doit être utilisée en elle-même pour dénouer une crise
politique fondée sur l'absence de majorité.
Pour parler clair, ce ne sont pas des manoeuvres juridiques de ce type qui
permettraient de contrer l'influence du Front national dans certaines
régions.
L'influence du Front national ne pourra être combattue que par la mise en
oeuvre d'une politique économique et sociale nouvelle qui, en quelque sorte,
couperait l'herbe sous les pieds de cette extrême droite qui se nourrit de la
misère, de l'exclusion et de la précarisation de la société.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Et de la publicité qui lui est faite !
M. Ivan Renar.
L'influence du Front national se combattra par une attitude sans concession à
l'égard de ce parti, tant sur le fond que sur la forme.
La démagogie du parti de M. Le Pen doit être dénoncée avec force et le travail
des démocrates doit être de rétablir la vérité face aux discours de haine.
C'est notamment vrai en matière de politique d'immigration.
Il faut constater, pour le regretter, que le projet de loi récemment adopté en
deuxième lecture par notre assemblée conforte l'extrême droite dans sa campagne
xénophobe et raciste.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Ivan Renar.
En résumé, nous estimons donc que la volonté de réduire la proportionnelle,
qui est notamment celle de MM. Giscard d'Estaing et Léotard, a pour objectif
essentiel de renforcer le pouvoir de l'actuelle majorité, qui domine déjà
fortement les assemblées régionales.
Mme Hélène Luc.
C'est parce qu'ils ne veulent pas de femmes !
M. Jean-Jacques Hyest.
Il ne faut pas tout mélanger !
M. Ivan Renar.
Nous rejetons toute modification du mode de scrutin régional qui revêtirait,
de toute évidence, le caractère d'une manoeuvre politicienne.
Ces réflexions ne sont pas sans rapport avec le projet de loi dont nous
discutons aujourd'hui.
En effet, le couplage entre l'élection régionale et l'élection cantonale
pourrait apparaître aujourd'hui comme une concession faite sous la pression de
ceux qui veulent ramener l'élection régionale à son seul caractère local pour
exiger par la suite la modification de son mode de scrutin.
J'en viens à la deuxième question, essentielle à nos yeux, celle de la
nécessaire généralisation de la proportionnelle dans notre pays.
La crise du rapport entre la population et les partis politiques tient pour
beaucoup, selon nous, à la représentation biaisée qu'entraîne le système
majoritaire à deux tours. La clef de cette nécessaire modernisation de la
démocratie réside, sur le plan des institutions, dans le choix de la
proportionnelle contre le système majoritaire et les déformations de la
représentation politique qu'il entraîne.
Nous pensons, quant à nous, que chaque voix exprimée par un électeur doit
avoir la même valeur. N'est-ce pas là un élément fondamental en matière
démocratique ?
Comment concevoir que, pour ce qui est des législatives, les candidats de la
droite aient obtenu, aux dernières élections, 84 % des sièges alors qu'ils ne
rassemblaient que 44 % des voix exprimées ?
Ne s'agit-il pas là d'un élément important du fossé qui grandit entre les
Français et la politique, même s'il n'est pas essentiel, l'essentiel étant
certainement qu'une nouvelle démocratie politique soit à inventer et à mettre
en oeuvre afin d'éviter que l'on soit citoyen uniquement le jour du vote et
simple électeur au pouvoir politique confisqué - et bien souvent trompé - tous
les autres jours ?
Peut-on parler de scrutin démocratique quand un député de la majorité
représente en moyenne 23 200 électeurs, alors qu'un député communiste en
représente 103 200 ?
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Ivan Renar.
Nous proposons donc, pour l'élection de l'Assemblée nationale, que soit
instauré un scrutin de liste à un tour, avec répartition proportionnelle des
sièges sur une base départementale et utilisation des votes au niveau
national.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Etrange manière de combattre le Front national !
M. Ivan Renar.
Le renforcement de la proportionnelle, je le répète, c'est la garantie du
pluralisme, de la diversité, mais aussi et surtout de la juste représentation
de l'état politique d'un pays. C'est aussi une bonne façon de limiter le cumul
des mandats.
C'est encore un élément déterminant de transparence en matière politique. Je
dois faire remarquer que le scrutin sénatorial demeure fort éloigné d'une telle
transparence. La faible part de proportionnelle et le scrutin à deux tours
favorisent les manoeuvres et l'éloignement des préoccupations des électeurs.
De plus, la répartition départementale des sièges sénatoriaux, en fonction du
recensement de 1975, renforce l'image d'archaïsme qui est attachée à notre
assemblée. Nous allons d'ailleurs proposer d'adapter, pour le prochain
renouvellement de 1998, cette répartition au recensement de 1990.
Enfin, je terminerai ce rapide tour d'horizon en soulignant que la
proportionnelle constitue un outil incontournable d'amélioration de la
représentation des femmes dans la vie politique.
Mme Hélène Luc.
Ah !
M. Ivan Renar.
De fait, le mode de scrutin uninominal favorise les personnalités déjà bien
ancrées et détentrices de plusieurs mandats. Seul le choix de la
proportionnelle offrirait le cadre institutionnel pour une avancée décisive et
rapide de la nécessaire parité. Il reviendrait, ensuite, aux partis politiques,
c'est leur responsabilité, de proposer aux femmes leur juste place.
Mmes Hélène Luc et Michelle Demessine.
Très bien !
M. Ivan Renar.
Vous l'aurez compris, notre attitude sur ce projet de loi est pour le moins
mitigée. Bien entendu, il apparaît nécessaire de scinder l'organisation des
trois élections prévues en 1998. L'idéal aurait été que chaque élection ait
lieu de façon indépendante et en fonction de la spécificité de chacune des
structures élues et de chacune des élections.
La question du couplage législative-régionale ou régionale-cantonale ne nous
apparaît pas déterminante. Nous apprécions toutefois le refus de la remise en
cause du scrutin régional.
En revanche, nous regrettons fortement qu'une nouvelle fois aucun pas ne soit
effectué vers la généralisation d'un mode de scrutin plus juste, plus
démocratique, permettant la pleine expression du pluralisme.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et
citoyen s'abstiendront sur ce projet de loi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
C'est un souci d'objectivité et d'exactitude
qui me pousse à prendre la parole en cet instant. J'ai entendu des propos
indignés de M. Allouche, justifiés peut-être par une citation d'un orateur qui
ne s'était pas exprimé au sein de cette assemblée, ni même au sein d'une
assemblée politique d'ailleurs.
Permettez-moi de lire sans citer : « Pour la première fois depuis
l'Occupation, le droit fondamental d'accueillir "son prochain" est
menacé, la délation officialisée avec sanctions et fichiers à l'appui. Triste
souvenir d'une sombre période de notre histoire contemporaine ! »
Et l'on a prétendu tout à l'heure que cela n'avait pas été dit !
Deuxième propos : « Il s'agit là d'un article qui, comme certaines
associations le dénoncent, en faisant notamment circuler une pétition,
constitue une véritable "déclaration-délation" aux "vieux
relents de Vichy". »
Voilà ce qui a été dit.
Enfin : « Cette absence de France, nous l'avons connue entre 1940 et 1944.
»
J'insiste sur ce troisième propos, du même genre que ceux qui devaient
jalonner ce débat, non pas que je n'aie pas attaché d'importance aux deux
premiers, mais parce qu'il était tenu par un ancien Premier ministre. J'ai cru
d'ailleur devoir interrompre l'orateur - je pense que le Sénat s'en souvient -
et, avec son autorisation, je l'ai rappelé à un peu plus de décence.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Et on a prétendu que les socialistes n'avaient
rien dit !
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes
donc appelés à délibérer cet après-midi, à la demande du Gouvernement, sur les
conséquences de la concomitance de trois scrutins différents au mois de mars
1998.
S'agissant de problèmes électoraux, il nous faut, pour les examiner, faire
preuve d'une certaine relativité. On peut noter d'ailleurs que, dans son
ouvrage
L'Idée républicaine en France,
M. Claude Nicolet note que «
l'instabilité du mode de scrutin, les variations de la loi électorale sont une
des caractéristiques de notre histoire politique. Il est d'ailleurs tout à fait
remarquable qu'aucune de nos constitutions n'ait jamais voulu fixer la loi
électorale, en faisant toujours une loi de droit commun à la discrétion, en
réalité, du Parlement ou du Gouvernement. »
Il s'agit là d'un domaine essentiel puisque c'est celui du droit de suffrage.
Il comporte peu de règles de valeur constitutionnelle, quelques grands
principes républicains et, je crois, beaucoup de pragmatisme.
C'est à la lumière des remarques précédentes qu'il nous faut maintenant
considérer tout d'abord les questions que posent ces trois scrutins de mars
1998, questions à la fois nombreuses et complexes. Le projet de loi que nous
présente le Gouvernement y apporte une réponse limitée mais acceptable.
Les trois scrutins de mars 1998 soulèvent des questions nombreuses et
complexes, qui tiennent à la fois à la simultanéité des scrutins et au mode de
scrutin prévu pour les élections régionales.
S'agissant de la simultanéité des scrutins, les problèmes posés sont, à
l'évidence, d'ordre matériel. Il s'agit de savoir comment organiser dans des
mairies parfois très petites trois élections en même temps. Cependant, ces
questions matérielles sont certainement secondaires comparées à celles qui ont
trait à l'expression claire de l'opinion des électeurs. Comment, en effet,
demander aux électeurs de se prononcer le même jour, lors de trois scrutins
concernant trois échelons différents : l'élection des députés, l'élection des
assemblées ayant vocation à gérer les régions et l'élection des assemblées
ayant vocation à gérer les départements ?
Si nous voulons que les citoyens participent pleinement à la vie publique, il
faut leur donner l'occasion d'exprimer clairement leur opinion, qui est le
fondement même de la République, et de la façon la plus simple possible.
De ce point vue, l'idée selon laquelle il faudrait regrouper les élections
pour que les citoyens participent à la vie publique prêterait selon moi à
sourire si elle ne partait, en fait, d'une constatation assez triste, à savoir
que nous n'aurions même pas quelques minutes à prendre sur notre temps pour
aller jusqu'au bureau de vote !
Je pense que cette idée de regrouper les élections est finalement mauvaise,
parce qu'elle ne permet pas aux citoyens de s'exprimer clairement pour chaque
type d'élection. On ne peut se prononcer deux, voire trois fois le même jour
sur des questions qui sont très diverses.
Telles sont donc les questions qui me semblent posées par la simultanéité de
ces trois scrutins. Pour ma part, je pense que la seule et vraie solution
serait probablement de faire en sorte qu'il n'y ait pas de simultanéité.
La seconde catégorie de problèmes auxquels nous sommes confrontés tient au
mode de scrution retenu pour les élections régionales, ou du moins, au
fonctionnement des conseils régionaux.
Je le disais, le projet de loi apporte à ces questions une réponse qui est
limitée mais acceptable, puisque le Gouvernement nous propose de reporter les
élections cantonales au mois de juin 1998 et d'organiser la réunion des
conseils régionaux après l'élection de telle façon qu'il n'y ait pas
concomitance avec le second tour des élections législatives. Ce second point me
paraît répondre à un légitime souci de bonne administration de la
République.
Quant au report des élections cantonales, je souhaite rappeler tout d'abord,
qu'il n'y a pas beaucoup de règles de droit qui s'imposent au Gouvernement et
au Parlement.
En fait, la règle, la seule règle résulte de la décision du Conseil
constitutionnel du 6 décembre 1990, que notre rapporteur a excellemment
rappelée : les électeurs doivent être appelés à exercer leur droit de suffrage
pour la désignation des membres élus des collectivités territoriales selon une
périodicité raisonnable. Il s'agit, pour nous, de savoir ce qu'il faut entendre
par là.
Je veux simplement rappeler à ce propos qu'en 1993 nous avons été appelés à
voter une loi qui a porté à sept ans la durée du mandat des conseillers
généraux élus en 1994 et que personne n'a contesté cette loi. On peut en
déduire que la périodicité raisonnable se situe entre six ans et sept ans, soit
la durée du mandat des conseillers généraux élus en 1994.
De ce point de vue, la règle est claire et le droit est simple. On ne peut
donc pas arguer du déroulement des élections sénatoriales au mois de septembre
1998 pour dire que, cette année-là, la périodicité devrait être différente.
Le fait d'être élu confère des droits qui sont établis par la loi et la
Constitution. Ainsi, de nombreux conseillers généraux dont le mandat avait été
prolongé ont participé à des élections partielles de sénateurs.
Le Conseil d'Etat a été saisi de cette question. Je note à ce sujet que
lorsqu'il rend un avis, il ne dit pas le droit, il émet une opinion. Il lui
arrive même de juger au contentieux que l'avis qu'il a pu donner n'est pas le
droit.
Ainsi, sans vouloir anticiper sur la décision que va prendre dans quelques
jours l'assemblée plénière du contentieux du Conseil d'Etat, j'ai vu que le
commissaire du Gouvernement de cette haute formation avait recommandé
l'annulation de la déclaration d'utilité publique de l'autoroute la «
Chablaisienne », qui avait pourtant été rendue en Conseil d'Etat.
Dans ce domaine, le Conseil d'Etat émet simplement des avis, et la seule règle
constitutionnelle et de droit qui existe, c'est celle que j'ai rappelée. Le
Gouvernement et le Parlement disposent donc d'une assez grande liberté.
Cette liberté, le Gouvernement l'a utilisée et il nous propose de fixer les
élections cantonales au mois de juin 1998. J'ai tout simplement envie de dire,
monsieur le ministre : pourquoi pas ? Cette solution ne nous pousse à dire ni
tout à fait oui ni tout à fait non ; elle est tout à fait acceptable.
Je voudrais cependant vous poser quelques questions sur votre choix ; elles
sont d'ordre technique et ressortissent aux principes républicains affirmés
depuis toujours.
Si le droit de suffrage doit s'exercer librement, les électeurs doivent être
éclairés, et tel est bien le rôle de la campagne électorale. On peut donc
regretter que la loi concernant les campagnes électorales ne soit pas toujours
observée.
Mes remarques seront simples, pratiques et pragmatiques.
D'une part, le Gouvernement a fixé les congés scolaires. Nous n'y pouvons
rien, le décret est publié et tout le monde le connaît : les vacances scolaires
de la Pentecôte se finiront le 2 juin 1998. D'autre part, la durée de la
campagne électorale est fixée par l'article R. 26 du code électoral - à cela
non plus nous ne pouvons rien ! - et elle prend fin le jeudi à minuit. En
l'occurrence, nous disposerons donc, pour le premier tour, de deux jours utiles
: le mercredi et le jeudi. On peut juger que ce délai est suffisant pour les
élections locales, mais, peut-être est-il tout de même un peu court.
Pour le deuxième tour, nous n'aurons pas beaucoup plus de temps parce que le
premier match du Mondial de football aura lieu le samedi 13 juin, c'est-à-dire
la veille du second tour des élections cantonales, ce qui concernera très
directement six départements.
Si nous voulons que les conseillers régionaux puissent voir leur rôle reconnu
en milieu urbain, il est nécessaire qu'ils puissent utiliser, pendant la
campagne électorale, les grands médias, la presse écrite notamment. Or, je
crains que ces médias ne soient plus tournés vers le football que vers les
questions de politique locale pendant la semaine du 7 au 14 juin 1998 !
(M.
Raymond Courrière proteste.)
Ce sont là des questions pratiques qui ont, je crois, leur importance et qui
méritent en tout cas d'être posées, monsieur le ministre, afin que vous y
apportiez réponse.
En effet, si le mois de juin présente des inconvénients pour les élections
cantonales, il ne faudrait pas qu'il en présente plus que le mois d'octobre.
Cela dit, je crois qu'il faut éviter toute solution trop théorique et qu'il
convient de faire preuve du plus grand pragmatisme.
Dans cette optique, nous pourrions emprunter notre conclusion à M. François
Goguel qui, dans ses nombreux travaux sur les lois électorales en France, a
montré qu'en fin de compte ce n'est jamais la loi électorale qui constitue le
facteur premier et qui détermine la qualité et la quantité de chaque fraction
de l'opinion, mais que ce sont bien les électeurs eux-mêmes qui se font leur
propre opinion. C'est en leur faisant confiance que nous approuverons votre
projet de loi, monsieur le ministre.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je voudrais tout d'abord répondre à M.
Mercier.
D'une part, les problèmes techniques qui se poseraient si, le même jour, on
organisait trois scrutins seraient très difficiles à régler dans les petites
communes, car il faudrait trois isoloirs, trois tables et, toute la journée,
des personnes pour tenir les bureaux de vote. D'autre part, si, en quelques
semaines, on convoquait les électrices et les électeurs trois fois de suite,
cela risquerait d'entretenir l'absentéisme.
Je suis persuadé que trois scrutins consécutifs, ce serait trop. L'expérience
le prouve. Il faut donc essayer de rassembler les scrutins.
M. Michel Mercier.
Il y en a même eu quatre, parfois !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a
choisi le jumelage entre les élections législatives et les élections
régionales, les élections cantonales se déroulant plus tard. De plus, je vous
le rappelle, les élections législatives et les élections régionales ont lieu
dans toute la France, alors que les élections cantonales ne concernent que la
moitié du pays.
Monsieur Mercier, lors de la prolongation d'un an de la durée du mandat des
conseillers généraux élus en 1994, la loi avait été contestée. Le problème
important réside donc non pas dans la périodicité, mais dans la correspondance
des moyens et des objectifs.
Je vous signale que ce report d'un an avait été décidé parce que l'on voulait
atteindre, en 2001, une concordance entre les élections cantonales et les
élections municipales. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans le même cas de
figure.
Enfin, la fixation précise du jour des élections relève du décret. A ce sujet,
il est vraisemblable que, pour éviter toute confusion avec d'autres événements,
en particulier la Coupe du monde de football, les élections cantonales auront
lieu au début du mois de juin.
Monsieur Alain Dufaut, la proposition de loi qui a été déposée par le
président de la commission des loi de l'Assemblée nationale interdirait, si
elle était adoptée, le financement des journaux électoraux, dans l'année qui
précède l'élection, par les personnes morales, sociétés, entreprises et
associations. Par conséquent, même un simple encart publicitaire d'une société,
d'une entreprise ou d'une association dans l'année qui précède le scrutin
serait interdit.
En réalité, plus aucune publicité émanant de collectivités publiques ou de
personnes morales de droit privé ne serait autorisée et les journaux pourraient
être financés seulement par des dons personnels, par l'apport personnel ou par
l'aide publique, qui est une aide
a posteriori
. Si cette proposition de
loi était votée il n'y aurait plus aucun doute à ce sujet.
Monsieur Allouche, le Gouvernement s'en tient à son projet de loi. Il a arrêté
sa position. Et, quand vous avez sélectionné les dépêches des agences de
presse, vous auriez pu sélectionner celles dans lesquelles M. le Premier
ministre a dit clairement quelle était la position du Gouvernement dans ce
domaine.
Je sais bien qu'il est facile de faire des procès, ou des faux procès. Mais,
si nous avions organisé les élections régionales lors du second tour des
élections législatives, comme vous l'avez suggéré, nous aurions pris le risque,
dans les circonscriptions où le député a été élu au premier tour, de déplacer
une deuxième fois les électeurs. Par conséquent, il nous a paru plus logique de
faire en sorte que le premier tour des élections législatives coïncide avec le
premier tour des élections régionales.
Voilà la vraie raison ! Mais vous pouvez en chercher d'autres, on peut
toujours faire tous les procès d'intention que l'on veut.
Je voudrais, monsieur Allouche, vous répondre enfin sur le problème de
l'extrémisme.
Ma position, comme celle du Premier ministre et du Gouvernement, est très
claire dans ce domaine. Je peux vous le dire à vous, parce que je sais que, sur
ce point, nous avons les mêmes positions à l'égard de celles et ceux qui
véhiculent des idées de haine, d'antisémitisme, de violence : tout ce qui est
excessif, nous ne l'acceptons pas.
Cependant, monsieur Allouche, évitez de nous donner des leçons parce que, en
1985, c'est M. Fabius qui, par une modification de la loi électorale, a permis
l'entrée au Parlement du Front national.
(Protestations sur les travées socialistes.)
C'est lui qui l'a voulu ;
c'est lui qui l'a fait !
(Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Par conséquent, faites attention quand vous donnez des leçons !
Personnellement, je n'ai de leçons sur ce sujet à recevoir de personne, pas
plus de M. Fabius que de quelqu'un d'autre parce que je n'admets pas, moi, que
l'on banalise les extrémistes en les faisant entrer au Parlement français !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur
les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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