M. le président. Par amendement n° 84, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 9 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 16 de la loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est abrogé. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Notre amendement tend à ce que les refus de visa soient motivés. Vous vous êtes tous réjouis de ce que M. Dray ait proposé à l'Assemblée nationale de préciser que les refus de certificat d'hébergement devaient être motivés. Vous avez d'ailleurs ajouté que c'était le droit commun - ce qui est vrai ; il n'était donc pas tellement indispensable de l'inscrire dans la loi.
Toutefois, il existe une exception au droit commun depuis le 9 septembre 1986 : la dispense de motivation des refus de visa d'entrée en France.
Ainsi, des visas de plus en plus nombreux sont refusés sans que les motifs de ce refus soient indiqués. Le malheureux Conseil d'Etat, qui prétend vérifier la validité des motifs, ne peut évidemment pas le faire.
On m'opposera, je le sais bien, la raison d'Etat.
M. Jean-Pierre Schosteck. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais, dans la pratique, les refus pour les simples particuliers peuvent parfaitement être motivés.
Tout à l'heure, M. Hamel a rendu hommage à M. le président de la commission des lois. Eh bien, nous avons entendu ce dernier, de retour d'une mission à l'étranger, nous citer l'exemple d'un général libanais - n'est-il pas vrai, monsieur le président ? -...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ...qui avait l'habitude de venir en France quasiment tous les ans, qui présentait toutes les garanties d'estime possibles, et qui, désormais, n'arrivait plus à obtenir son visa. Il a fallu les interventions de membres autorisés de la commission des lois unis derrière leur président pour que le général reçoive enfin son visa.
M. Jean-Pierre Schosteck. Vous voyez que cela fonctionne !
M. Pierre Fauchon. Ce n'était pas un général !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah ! Je croyais.
M. Pierre Fauchon. C'était un professeur de droit.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Veuillez excuser cette confusion. Mais peu importe, cela ne change rien à la réalité des faits que j'ai rapportés, qui est confirmée par nos collègues Jacques Larché et Pierre Fauchon.
Seulement voilà : tout le monde n'a pas l'occasion de rencontrer des membres éminents de la commission des lois du Sénat ! Il est par exemple de très nombreux Africains - j'en connais - qui rêvent de visiter la France et qui économisent depuis longtemps pour cela. Je connais notamment un jeune Africain qui voulait voir la neige et venir en France cet hiver.
Il n'y avait aucune raison qu'on lui refuse son visa. C'est pourtant ce qui s'est produit, sans qu'aucun recours soit possible. Bien évidemment, les cent francs destinés à l'OMI avaient été versés !
Par conséquent, si des visas doivent être refusés, il est indispensable que le bien-fondé de ces refus puisse être contrôlé par les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat.
Voilà pourquoi je me permets d'insister très vivement pour que cet amendement soit adopté.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est une confusion des genres incroyable !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. Je ne vois pas en vertu de quel argument de fond M. Dreyfus-Schmidt peut contester le droit de souveraineté. Celui-ci est ancien, il est même plus ancien que la République ; le droit de souveraineté de la nation française est un principe absolument incontestable. Je ne vois donc pas comment vous pouvez estimer aujourd'hui, monsieur Dreyfus-Schmidt, que la non-délivrance d'un visa par un consulat à un étranger qui demande à entrer sur le territoire national doit être assortie d'une justification.
Un pays souverain a l'appréciation souveraine de décider si un étranger peut ou ne peut pas entrer chez lui.
En 1982, l'administration avait même imaginé que, malgré le visa que pouvait détenir un étranger, elle avait la possibilité de s'opposer à son entrée s'il était susceptible de troubler l'ordre public. Nous n'allons pas jusque-là.
Vous, monsieur Dreyfus-Schmidt, vous estimez qu'il faut justifier l'exercice d'un acte de souveraineté.
Par ailleurs, monsieur Dreyfus-Schmidt, vous le savez aussi bien que moi, un recours est toujours possible contre un acte de l'administration. Si le recours est formé, l'administration sera conduite à donner les raisons de son refus au moment où elle sera appelée à s'expliquer pour permettre à la juridiction de déterminer s'il y a eu abus d'autorité ou non. En cas d'abus d'autorité, c'est le tribunal qui tranchera.
Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je rappelle à M. Dreyfus-Schmidt que la loi de 1986 n'a fait que confirmer une jurisprudence du Conseil d'Etat.
Par conséquent, si l'on supprimait l'article 16 de la loi de 1986, on en reviendrait à l'arrêt Ngako Jeuga du 28 février 1986, autrement dit à l'obligation de motivation. Par conséquent, je suis contre cet amendement.
J'ajoute que, comme vient de le dire M. le rapporteur, le souci du Gouvernement français de maîtriser l'accès au territoire français est une prérogative de l'Etat qui est au coeur de la souveraineté nationale. Par conséquent, je considère cet amendement non seulement inutile et dangereux - on en reviendrait en fait à la jurisprudence antérieure - mais, en plus, inopportun, puisque la matière relève de la souveraineté de l'Etat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De l'arbitraire !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 84, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 10