M. le président. « Art. 6 bis. - L'article 25 de la même ordonnance est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 8° L'étranger résidant habituellement en France atteint d'une pathologie grave nécessitant la poursuite d'un traitement médical dont l'interruption pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la situation personnelle de celui-ci sous réserve qu'il ne puisse effectivement poursuivre un traitement approprié dans le pays de renvoi. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 97, M. Masson, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« I. - Après le huitième alinéa (7°) de l'article 25 de la même ordonnance, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 8° L'étranger résidant habituellement en France atteint d'une pathologie grave nécessitant la poursuite d'un traitement médical dont l'interruption pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement poursuivre un traitement approprié dans le pays de renvoi. »
« II. - Dans l'avant-dernier alinéa du même article, les mots : "aux 1° à 6°" sont remplacés par les mots : "aux 1° à 6° et 8°". »
Par amendement n° 46, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 6 bis pour le 8° de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée :
« 8° L'étranger médicalement reconnu comme atteint d'une pathologie grave figurant sur la liste des "affections de longue durée" visée à l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale ou de ses parents ou tuteurs, s'il est mineur ou incapable. »
Par amendement n° 77, MM. Allouche, Autain, Anthié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le texte présenté par l'article 6 bis pour compléter l'article 25 de l'ordonnance de 1945, de remplacer les mots : « l'interruption » par les mots : « la privation ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 97.
M. Paul Masson, rapporteur. J'avais évoqué l'hypothèse ou le principe d'une telle proposition au moment du premier examen de nos amendements en commission des lois.
Après un délai de réflexion, j'ai pensé qu'il était important que la commission précise sa pensée vis-à-vis de l'étranger qui, résidant habituellement en France, est atteint d'une pathologie grave nécessitant la poursuite d'un traitement médical dont l'interruption pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, dès lors, ne devrait pas être expulsé.
Ce point a, en première lecture, fait ici l'objet d'un échange assez dense, à l'issue duquel nous avons estimé qu'il n'était pas nécessaire d'inscrire dans la lettre de la loi un dispositif correspondant, en tout état de cause, à la pratique qui est observée à la fois au nom de la jurisprudence - nous avions noté que le Conseil d'Etat avait, peu de temps auparavant, rappelé cette obligation au Gouvernement - et au nom des principes les plus élémentaires des droits de l'homme.
Nous estimions que les possibilités laissées au pouvoir exécutif suffisaient à l'appréciation de situations éminement délicates, motivant le maintien en France, à titre exceptionnel, eu égard aux exigences d'un traitement lui-même exceptionnel, d'étrangers en situation irrégulière.
Il nous revient de l'Assemblée nationale cet article 6 bis , qui y a été voté à l'unanimité, avec l'accord du Gouvernement.
Pour le Sénat, deux attitudes sont possibles : soit s'en tenir à la position qu'il avait adoptée lors de la première lecture et rejeter cet article, soit se rallier à celle de l'Assemblée nationale.
Sur un tel sujet, choisir la première solution pourrait créer, dans l'opinion et dans l'exégèse future des débats relatifs à ce texte des commentaires assez... significatifs. Nous avons pensé qu'il ne fallait pas s'engager dans cette voie-là, d'autant que, sur le fond, notre sentiment unanime est un sentiment d'approbation.
A partir du moment où nous optons pour la seconde solution, c'est-à-dire l'approbation de la position de l'Assemblée nationale, il faut, nous semble-t-il, que cette approbation soit absolue. Autrement dit, nous devons faire en sorte que le texte de l'article 6 bis ne couvre pas seulement le cas où l'étranger serait en instance d'expulsion, cas prévu par l'Assemblée nationale, mais aussi celui où cet étranger serait sous le coup d'un arrêté de reconduite à la frontière, ce que l'Assemblée nationale n'a pas prévu.
C'est pourquoi, par un amendement qui se voudrait purement rédactionnel mais qui, au fond, a une portée plus grande, nous proposons que, dans tous les cas où un étranger en situation irrégulière verrait, en étant éloigné s'interrompre un traitement médical lourd, cet étranger puisse être maintenu en France.
M. le président. La parole est M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 46.
M. Robert Pagès. Le texte, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, nous a semblé timide, même si nous ne pouvions que nous féliciter de voir enfin mieux pris en compte le cas des étrangers atteints d'une pathologie grave. A y regarder de près, l'article 6 bis est effectivement bien restrictif.
L'amendement n° 97 de la commission répond certes, au moins partiellement, à notre souci. Cependant, notre amendement n° 46 prévoit également le cas d'un malade mineur ou incapable et précise que, dans cette hypothèse, ses parents ou tuteurs peuvent également demeurer en France.
Notre amendement, tout en se situant dans la logique qu'a exposée M. le rappporteur, va donc un peu plus loin que l'amendement n° 97.
M. le président. La parole est à M. Allouche, pour défendre l'amendement n° 77.
M. Guy Allouche. Voilà, avec cet article 6 bis , une disposition qui recueille notre approbation.
Je tiens à remercier M. le rapporteur de l'attention qu'il a porté à cette nouvelle disposition. Après l'avoir étudiée en profondeur, il a perçu que cette libéralité nouvelle n'était pas totale puisqu'elle ne couvrait pas, ainsi qu'il vient de l'expliquer, le cas de l'étranger déjà frappé d'un arrêté de reconduite d'expulsion, à la frontière.
On ne peut donc que se réjouir de voir ainsi pris en considération le cas des étrangers atteints d'une pathologie grave.
Toutefois, monsieur le ministre, je ne peux m'empêcher, au-delà de ce témoignage de satisfaction, de vous poser la question suivante : pourquoi ce que nous vous avions proposé en première lecture et que vous aviez alors refusé, avez-vous fini par l'accepter à l'Assemblée nationale ?
Il est vrai qu'entre-temps s'est produit un événement ! Peut-être, pris de remords, nos collègues de l'Assemblée nationale ont-ils voulu éviter que ne puisse se reproduire l'erreur, voire la faute consistant à reconduire à la frontière un étranger en cours de traitement. A donc été proposé un texte, que vous avez accepté et que l'Assemblée nationale a voté.
Loin de moi l'idée d'un quelconque sectarisme, mais il est tout de même dommage, monsieur le ministre, que vous disiez non quand nous vous proposons ici une telle disposition et que vous disiez oui lorsque, à l'Assemblée nationale, elle émane de la majorité. Je le regrette d'autant plus que l'on aurait pu mettre cette disposition à l'actif, non pas de tel ou tel des groupes qui siègent au Sénat, mais du Sénat tout entier.
Quoi qu'il en soit, tout en approuvant l'amendement n° 97 présenté par le rapporteur, nous souhaitons que soit adoptée la modification que nous proposons dans notre amendement n° 77.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 46 et 77 ?
M. Paul Masson, rapporteur. J'ai déjà expliqué le souci de cohérence qui était le nôtre par rapport à la position adoptée par l'Assemblée nationale.
Nous voulons être parfaitement homothétiques. C'est pourquoi nous ne pouvons accepter les modifications qui nous sont proposées, d'une part, par M. Pagès, d'autre part, par M. Allouche.
J'ajoute que parler de remords à cet égard, monsieur Allouche, me paraît inapproprié. Dès la première lecture, nous avions tous perçu, avec la sensibilité qui nous caractérise, l'importance de cette affaire.Nous avions, les uns et les autres, justifié nos positions.
Nous continuons de penser que l'inscription de cette disposition dans le texte est essentiellement formelle puisque, dans la pratique, les administrations veillent à ce que ces étrangers menacés dans leur vie par une maladie puissent, quelle que soit leur situation par ailleurs, avoir accès en France aux soins lourds dès lors qu'ils ne peuvent les recevoir dans leur pays. Il n'est donc pas question de remords.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je suis favorable à l'ajustement rédactionnel proposé par la commission dans l'amendement n° 97.
En revanche, je suis défavorable à l'amendement n° 46.
Je le suis naturellement aussi à l'amendement n° 77, mais je veux apporter une petite précision à M. Allouche, qui me prend pour quelqu'un de sectaire, de fermé...
M. Guy Allouche. Je n'ai pas dit ça !
M. Robert Pagès. Nous n'oserions de toute façon pas y croire !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. D'abord, être sectaire, ce n'est pas refuser un amendement socialiste ! (Sourires.) C'est autre chose, le sectarisme.
Ensuite, monsieur Allouche, vous avez suivi les débats en première lecture ici et à l'Assemblée nationale. Vous savez très bien que, sur l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt qui visait à instaurer l'obligation de remettre un procès-verbal à l'intéressé en cas de visite d'un atelier, je m'en suis remis à la sagesse du Sénat et, lorsqu'un même amendement a été présenté à l'Assemblée nationale par M. Dray, je l'ai accepté, en dépit d'ailleurs de l'avis du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Même si l'on s'en tient à votre définition du sectarisme, monsieur Allouche - à savoir le refus des amendements socialistes - je ne suis donc pas sectaire ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 97.
M. Robert Pagès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Bien sûr, j'aurais préféré que le Sénat retienne la rédaction de l'amendement n° 46, qui va plus loin puisqu'il évoque la question des parents d'enfants mineurs ou des parents de malades incapables de subvenir à leurs propres besoins.
J'ai bien compris que si l'amendement n° 97 était adopté, l'amendement n° 46 n'aurait plus d'objet. Malgré cela, parce que je crois que l'amendement n° 97 traduit un petit pas en avant, qu'il y est tenu compte des discussions qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat, et que, même si tout cela n'a pas beaucoup de conséquence sur l'ensemble de ce texte, il y a là la marque du respect de la personne humaine, je le voterai !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Très bien !
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le ministre, je n'ai pas dit que vous étiez sectaire mais que je ne voulais pas croire que vous l'étiez !
M. Jean Peyrafitte. C'est vrai ! Il ne l'a pas dit !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Maintenant, vous ne le croyez plus !
M. Guy Allouche. Je constate que vous avez renvoyé en quelque sorte la balle à M. Mazeaud, qui aurait donc fait, lui, preuve de sectarisme. Mais passons !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je n'ai pas dit cela !
M. Guy Allouche. Monsieur le ministre, je n'ai jamais voulu faire ressortir quelque côté inhumain de votre personnalité que ce soit. Mais, parce que vous avez répondu en première lecture au Sénat...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Que je m'en remettais à la sagesse !
M. Guy Allouche. Non, vous avez répondu qu'il n'y avait pas lieu d'inclure dans la loi une telle disposition...
M. Jean Delaneau. C'est vrai !
M. Guy Allouche. ... et, pour cette raison, vous ne l'avez pas prise en compte.
Puis, cette disposition que vous n'avez pas voulu retenir ici en première lecture, vous l'avez acceptée à l'Assemblée nationale quand M. Cazin d'Honincthun l'a proposée à son tour !
M. Jean Chérioux. C'est la navette !
M. Guy Allouche. Nous nous en réjouissons ! Mais il est dommage que le Sénat n'ait pas tiré profit de l'adoption d'une telle disposition. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas une question de profit !
M. Robert Calmejane. Nous ne sommes pas là pour tirer des profits, mais pour voter la loi !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 97, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 6 bis est ainsi rédigé, et les amendements n°s 46 et 77 n'ont plus d'objet.
Article additionnel avant l'article 6 bis