PERSPECTIVES DE LA COOPÉRATION
INTERCOMMUNALE
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante
:
M. Daniel Hoeffel interroge M. le ministre de la fonction publique, de la
réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la réflexion engagée par le
Gouvernement notamment sur le régime de la coopération intercommunale. (N°
11.)
La parole est à M. Hoeffel, auteur de la question.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quinze ans
après l'adoption des lois de décentralisation, nous devons affirmer clairement
que le bilan est positif, que la décentralisation a permis de répondre à
certains défis de notre société et qu'il nous appartient, en conséquence, de
lui donner un élan nouveau.
C'est une mission qui incombe au Sénat, au moment où des voix s'élèvent pour
mettre en cause le principe même de la décentralisation en l'accusant de
beaucoup de défauts et de déviations.
Les jacobins, les nostalgiques, ceux qui ignorent la réalité locale, cherchent
ainsi à nier l'évidence et à mener un combat d'arrière-garde.
L'autorité de l'Etat et sa capacité à assumer efficacement ses compétences
régaliennes impliquent le transfert des compétences non régaliennes aux
collectivités territoriales proches du terrain et des hommes, et donc plus
aptes à les assumer avec efficacité.
C'est ce qui ressort du rapport élaboré, sous la présidence de M. Jean-Paul
Delevoye, par un groupe de travail de la commission des lois, selon une
procédure qu'avait souhaitée le président Jacques Larché.
Le bilan de la décentralisation est positif, en dépit d'un contexte économique
et financier, notamment, plus difficile aujourd'hui qu'il y a quinze ans,
malgré un brouillage des relations financières entre l'Etat et les
collectivités entraînant enchevêtrement des compétences, financements croisés
et non-compensation intégrale des transferts de compétences.
Ces obstacles n'ont pas empêché pour autant les élus locaux de démontrer leur
aptitude à assumer avec succès les responsabilités nouvelles qui leur ont été
accordées, et ce avec un sens de l'intérêt général qu'il convient de souligner
au moment où certains cherchent à instiller le doute à ce sujet, voire à
dénigrer les élus.
Comment ne pas relever l'effort considérable réalisé par les collectivités
dans les équipements publics tant sur le plan quantitatif que sur le plan
qualitatif ? C'est une réponse concrète aux problèmes de l'emploi. Comparez
l'état actuel des collèges et des lycées avec ce qu'il était hier.
Comment ne pas relever l'action considérable menée par les départements dans
le combat contre la fracture sociale et par les départements et les régions
contre la fracture territoriale ? Ce sont leurs moyens et leurs connaissances
des réalités du terrain qui s'avèrent souvent déterminants. A ceux qui ont
tendance à opposer l'Etat vertueux aux collectivités locales dispendieuses,
nous devons répondre que, si nous comparons l'endettement de l'un avec celui
des autres, les collectivités ne méritent pas, loin de là, les accusations
infondées dont elles sont trop souvent l'objet.
Toutefois, si nous avons la conviction que la décentralisation constitue un
progrès, nous ne pouvons pas nier les obstacles qui restent à surmonter, les
lacunes qui doivent être comblées, les critiques dont elle fait l'objet de la
part d'une partie de l'opinion, qui a le sentiment, juste ou faux, que, à cause
d'elle, la fiscalité locale augmente trop vite et que les structures
territoriales deviennent trop complexes. Cela nécessite la recherche de
solutions, à laquelle s'est attelée la commission des lois.
Celle-ci propose un certain nombre de solutions pour clarifier les relations
entre l'Etat et les collectivités locales, pour adapter les moyens financiers,
pour affirmer la spécificité de la fonction publique territoriale et pour
rechercher la complémentarité et l'efficacité entre collectivités
territoriales.
La clarification des relations entre l'Etat et les collectivités locales
implique trois conditions.
Premièrement, elle nécessite la définition d'un pacte de stabilité des
ressources et des charges imposant une compensation intégrale des charges
transférées.
Il n'est pas inutile d'insister sur ce point, alors que certains transferts
rampants nouveaux se profilent à l'horizon.
M. Paul Girod.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Deuxièmement, une impulsion doit être donnée à la déconcentration, en retard
incontestablement sur la décentralisation, dont elle est pourtant
indissociable.
Il faut que les exécutifs des collectivités locales aient en face d'eux des
interlocuteurs non seulement clairement identifiables, mais aussi dotés d'un
pouvoir de décision réel.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Troisièmement, cette clarification implique la mise au point - sujet ô combien
d'actualité - d'un contrôle de légalité et d'un contrôle financier, l'un et
l'autre nécessaires, j'y insiste, mais respectueux de l'esprit dans lequel ils
ont été conçus et assurant aux élus la sécurité juridique que ceux-ci sont en
droit d'attendre dans l'exécution de leur difficile mission.
L'adaptation des moyens financiers fait l'objet d'une double proposition.
Il s'agit d'abord de faire évoluer le système du financement local en vue de
clarifier le cadre de la péréquation financière. Cette péréquation doit tenir
compte des impératifs de l'aménagement du territoire.
M. Jean Huchon.
Eh oui !
M. Daniel Hoeffel.
Ce n'est pas le Sénat qui niera le caractère urgent et indispensable d'une
telle péréquation !
Au-delà des impératifs de l'aménagement du territoire, elle doit tenir compte
aussi de la solidarité entre villes centres et zones rurales environnantes...
(M. Jacques Machet applaudit),
ainsi que, en contrepartie, des charges
de centralité qui pèsent souvent lourdement sur les villes moyennes, les
petites villes et les bourgs centres.
L'adaptation des moyens financiers suppose par ailleurs une réforme de la
fiscalité locale, notamment par le rapprochement, voire l'uniformisation des
taux de la taxe professionnelle au sein d'une agglomération ou d'un secteur.
(MM. Jacques Machet et Jean Huchon applaudissent.)
M. Pierre Fauchon.
Et des recettes !
M. Daniel Hoeffel.
Mon cher collègue, laissez-moi aller jusqu'au terme de mon propos et vous y
retrouverez, je l'espère, la logique qui, en cours de route, peut vous paraître
absente.
(Rires et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste.)
Si nous récusons l'uniformisation des taux au niveau national, si nous
refusons de nous engager dans la spécialisation des taxes par niveau de
collectivité, vue utopique des choses, niant la réalité, nous ne devons pas
pour autant écarter une réflexion sur une certaine péréquation départementale
de la taxe professionnelle, demandée expressément par la loi d'aménagement du
territoire, si mes souvenirs à cet égard sont bien exacts.
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon.
Ils le sont !
M. Daniel Hoeffel.
Il faut aussi, naturellement, que les bases de la taxe professionnelle soient
enfin rénovées, conformément à l'idée qui avait été relancée par la loi de
novembre 1995.
M. Robert Castaing.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
Une meilleure adaptation de la fonction publique territoriale aux exigences de
la décentralisation suppose, en particulier, d'une part, une prise en compte
des métiers nouveaux et diversifiés qui font de plus en plus leur apparition
dans les collectivités territoriales et, d'autre part, une mobilité enfin
réelle entre la fonction publique d'Etat et la fonction publique
territoriale.
Le dernier volet concerne le nombre et la complémentarité des niveaux de
collectivité.
Y en a-t-il trop ? Poser la question, c'est déjà s'exposer à certains risques.
Les uns répondent oui, les autres insistent sur la richesse que représente la
densité des élus locaux.
M. Robert Pagès.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
Quelles sont les places respectives de la région et du département, des
grandes agglomérations urbaines et des départements, ou encore des pays ?
Nous préconisons la recherche, dans un premier temps, d'une véritable
complémentarité, grâce à la notion de collectivité chef de file, grâce à
l'appel à compétence ou grâce à la contractualisation, ou encore grâce à
l'expérimentation, à laquelle on hésite trop souvent à recourir dans notre
pays.
Cette complémentarité apparaît comme particulièrement urgente dans le domaine
économique, où l'incohérence des zonages nationaux et communautaires ainsi que
la multiplicité des intervenants économiques directs et indirects rendent
nécessaire, outre la recherche d'une complémentarité, la fixation de règles
prudentielles protégeant les collectivités territoriales contre des risques
financiers excessifs.
(M. Jacques Machet applaudit.)
Mais c'est surtout dans le domaine de l'intercommunalité que nous faisons des
propositions. Sans doute ces propositions ne sont-elles pas révolutionnaires.
Mais le succès des réformes ne dépend-il pas aussi de leur acceptabilité ? Ce
sont des propositions réalistes, pragmatiques et inspirées des expériences
vécues.
Ces propositions, nous les formulons, monsieur le ministre, au moment même où
vous vous apprêtez à saisir le Parlement d'un projet de loi réformant en
particulier l'intercommunalité. Il nous apparaît souhaitable que notre débat
d'aujourd'hui puisse, avant que les projets soient irréversibles, dégager un
maximum de points de convergence. C'est dans cet esprit que nos propositions
sont articulées autour de six aspects de l'intercommunalité.
Nous proposons, premièrement, la simplification des catégories
d'établissements publics de coopération intercommunale. Celles-ci sont
actuellement au nombre d'une dizaine, créées par strates successives en
fonction de besoins et de mentalités évolutifs.
Nous proposons que communautés de communes, communautés de villes et districts
fusionnent...
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
... et que les villes nouvelles se fondent, progressivement, dans le droit
commun.
La logique de gestion sur laquelle sont fondées certaines structures et la
logique de projet qui en inspire d'autres seraient ainsi préservées.
Deuxièmement, est-il, oui ou non, possible d'unifier les règles applicables
aux différentes catégories intercommunales ? Nous le pensons, en appelant à la
définition d'un tronc commun de règles sur lequel viendraient se greffer les
aspects spécifiques des différentes catégories d'établissements. Le code des
collectivités territoriales est une étape qui va dans ce sens. Cela devrait
faciliter une évolution des compétences et des structures à l'intérieur d'un
même établissement public en tenant compte du caractère évolutif des
besoins.
Troisièmement est-ce le volontariat ou la contrainte qui stimuleront le mieux,
le plus efficacement, le développement intercommunal ? Nous répondons très
nettement que c'est le volontariat, assorti de l'application des règles déjà
existantes de majorité qualifiée.
Le succès qu'ont connu depuis quatre ans les communautés de communes et le
fait que nous en soyons actuellement à environ 1 200 structures à fiscalité
intégrée sont le gage de la capacité du volontariat à permettre d'aller de
l'avant sur le plan de la coopération intercommunale.
Quatrièmement, faut-il que les délégués intercommunaux soient désignés, comme
c'est le cas à l'heure actuelle, par les conseils municipaux ou qu'ils soient
élus au suffrage universel direct ?
Sur cette question, les avis peuvent être partagés, mais notre groupe de
travail s'est prononcé clairement en faveur de la première branche de
l'alternative, car elle écarte les inévitables rivalités qui ne manqueront pas
de surgir entre deux catégories d'élus au suffrage universel direct. Encore
faut-il que, désormais, tous les délégués intercommunaux se recrutent au sein
des conseils municipaux et que l'information sur les activités des structures
intercommunales pénètre mieux et dans les conseils municipaux et dans la
population.
M. Dominique Braye.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
C'est un élément fondamental si nous voulons que l'intercommunalité soit
comprise et portée par la population.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
Cinquièmement, le dispositif financier stimulant l'intercommunalité de projet,
qui s'est avéré efficace, en particulier grâce à la réforme de la dotation
globale de fonctionnement de décembre 1993, doit connaître certains
infléchissements.
Plutôt que de corriger le calcul du coefficient d'intégration fiscale en
excluant contingents et autres transferts, il paraît logique de prendre en
compte, dans l'avenir, les ressources effectivement affectées à l'exercice de
leurs compétences réelles par les groupements de communes.
Sixièmement, enfin, s'agissant du régime fiscal, nous constatons, surtout en
une période où les projets de création d'entreprise sont rares, que les
concurrences entre communes d'une même agglomération ou d'un même secteur sont
vives et éprouvantes pour les finances des communes. Nous préconisons en
conséquence - et cela paraît relever de l'évidence - une unification ou au
moins un rapprochement sérieux des taux de taxe professionnelle à l'intérieur
de ces secteurs de coopération.
M. Jacques Machet.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
Cela assurera incontestablement une meilleure cohérence de l'action et une
meilleure cohésion au sein des secteurs intercommunaux.
Telles sont, mes chers collègues, les orientations essentielles que nous
préconisons pour donner une nouvelle impulsion à l'intercommunalité, une
intercommunalité dont dépendent en partie et le succès de la politique de
décentralisation et celui de la politique d'aménagement du territoire, car
l'intercommunalité est un vecteur essentiel de l'une comme de l'autre.
Dans l'une comme dans l'autre, il faut une volonté forte de l'Etat, mais il
faut qu'à la base cette volonté soit relayée par une capacité de nos
collectivités locales, infiniment plus nombreuses, vous le savez, que partout
ailleurs en Europe,...
M. Robert Pagès.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
... à unir leurs efforts, à mettre en commun leurs moyens, à définir et à
concrétiser ensemble leurs projets. Alors, leur multitude ne sera pas un
handicap ; alors, l'exception française, sur ce plan-là aussi, ne sera pas un
obstacle au progrès.
Puissions-nous, à travers ces propositions, contribuer à conforter, à
développer, à relancer, voire à élargir une décentralisation si nécessaire à la
France si elle veut tenir efficacement toute sa place en Europe !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Monsieur Hoeffel, bien que ce soit inhabituel de la part du président - mais
il s'agit d'un débat qui n'est ni polémique ni politique - je voudrais vous
remercier de votre exposé pertinent et clair.
Je crois qu'il traduit à peu près la pensée de chacun d'entre nous ici, et
j'ai beaucoup apprécié tout ce que vous avez dit.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées RDSE.)
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation de la discussion
décidée par la conférence des présidents, en application du deuxième alinéa du
1 de l'article 82 du règlement, les temps de parole dont disposent les groupes
sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 21 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
La parole est à M. Arzel.
M. Alphonse Arzel.
Mes chers collègues, il faut se féliciter de l'organisation d'un tel débat,
auquel l'excellent travail réalisé par la commission des lois et son
rapporteur, mon collègue et ami Daniel Hoeffel, apporte un éclairage
particulièrement intéressant, et remercier le Gouvernement, qui associe
étroitement le Sénat à la réflexion en cours dans la perspective d'un prochain
projet de loi sur l'intercommunalité.
Au-delà des clivages politiques ou géographiques, chacun de nous reconnaît, je
le crois, le caractère pertinent et prioritaire de la coopération
intercommunale. C'est particulièrement vrai pour notre monde rural, dont j'ai
l'honneur d'être l'un des élus.
Comme le note très justement Daniel Hoeffel dans son rapport, le régime de
coopération intercommunale doit être adapté et simplifié afin de trouver toute
son efficacité. Il convient, notamment, de limiter l'augmentation de la
fiscalité, alourdie par le double effet de la superposition des niveaux de
décision et de la crise économique et sociale.
S'agissant des règles de fonctionnement, je note avec satisfaction l'accord du
Gouvernement et de la commission des lois du Sénat sur le maintien de la
désignation des membres des établissements de coopération par les conseils
municipaux. Une élection directe risquerait en effet de remettre en cause les
équilibres difficilement acquis au cours des dernières années et d'être à
l'origine de conflits inutiles et contraires à notre souci d'efficacité.
L'intercommunalité doit être centrée sur des projets ou la gestion des
services. Il ne s'agit donc pas de créer un autre type de collectivité
autonome, responsable à ce titre directement devant les électeurs.
Il est une autre règle à laquelle il est bon, selon moi, de rester attaché,
celle du vote à la majorité qualifiée pour les décisions les plus importantes.
C'est une garantie essentielle de la bonne marche et de la cohésion de la
structure intercommunale, car, contrairement à l'unanimité, la majorité
qualifiée évite le blocage du système par une seule commune membre qui serait
défavorable à tel ou tel projet, tout en permettant le respect des droits de la
minorité.
Un point néanmoins mériterait, monsieur le ministre, un examen approfondi ; je
veux parler de la désignation des représentants des communes de plus de 3 500
habitants.
Au sein de ces communes, l'opposition est représentée à la proportionnelle
corrigée, ce dont je me félicite personnellement. Or il est dommage que cette
règle ne s'applique pas de façon obligatoire lors de la désignation des
représentants dans le cadre des instances des groupements.
Il serait vraiment paradoxal et contraire aux principes démocratiques que les
minorités des conseils puissent continuer à être exclues de structures appelées
à se développer et à gérer des secteurs de plus en plus larges.
Je souhaiterais à présent vous interroger, monsieur le ministre, sur un
problème relatif à l'exercice direct des compétences des établissements de
coopération intercommunale.
Les communautés sont appelées à effectuer des travaux de voirie, qu'il
s'agisse de grosses réparations ou de l'entretien, au lieu et place des
communes membres. Or se pose un problème juridique, celui de la propriété des
routes, qui restent, en principe, dans le patrimoine des communes.
La loi de finances de 1997 permet désormais la récupération de la TVA par la
communauté de communes, même si elle n'est pas propriétaire de la voirie.
L'initiateur de cette mesure, notre rapporteur général, Alain Lambert, doit en
être remercié, ainsi que le Gouvernement, qui a bien voulu l'accepter.
Cependant, le non-transfert de propriété dans un tel cas de délégation de
compétence n'est-il pas susceptible de susciter d'autres difficultés dans
l'avenir ?
J'aborderai enfin la délicate question du financement des groupements.
Permettez-moi en effet, monsieur le ministre, de m'interroger sur les
conséquences financières de l'intégration fiscale pour les communes, en
particulier pour les petites communes rurales.
Je partage absolument l'analyse de notre collègue Daniel Hoeffel : la part de
la dotation globale de fonctionnement versée aux structures intercommunales
vient en déduction, notamment, de la dotation de solidarité rurale.
M. Robert Pagès.
Eh oui, c'est exact !
M. Alphonse Arzel.
Le fait d'encourager l'évolution des formes d'intercommunalité par une
majoration de la DGF est une bonne chose, mais cela comporte incontestablement
des effets pervers. Je sais, monsieur le ministre, que vous envisagez de
corriger le mode de calcul du coefficient d'intégration fiscale, dont les
critères ne sont pas toujours équitables. Mais quelles sont précisément vos
intentions à cet égard ?
Je conclurai en disant que la taxe professionnelle doit être repartie
équitablement entre communes et groupements - je partage, là aussi, l'opinion
de M. le rapporteur. Il ne peut en aucun cas être question d'accepter une forme
de « hold-up » fiscal au détriment de communes qui ont souvent accompli un
effort méritoire d'aménagement en vue de l'installation de nouvelles
entreprises.
Telles sont les principales remarques que je souhaitais formuler sur ce très
important dossier de l'intercommunalité, dont le Sénat aura à connaître à
nouveau très prochainement.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye.
Monsieur le président du Sénat, permettez-moi d'abord de dire, bien que ce ne
soit pas la coutume, qu'aborder le problème de la décentralisation sous votre
autorité est hautement symbolique, car chacun sait le combat que vous menez
pour la juste articulation entre pouvoir local et pouvoir national.
Permettez-moi ensuite de féliciter, au nom de l'ensemble des membres de la
commission des lois, M. Daniel Hoeffel. Il a accompli un excellent travail et
rapporté de façon tout à fait exemplaire les conclusions du groupe de travail,
en ouvrant nombre de pistes.
Je remercie aussi M. le ministre de l'attention bienveillante qu'il porte à
nos préoccupations. Chacun a pu mesurer, depuis quelque temps, des évolutions
sensibles au profit des collectivités territoriales, qu'il s'agisse de
problèmes de responsabilité pénale ou de l'assouplissement de certaines règles
pour faciliter le travail des exécutifs locaux.
Comme nous y invite M. le rapporteur, il convient aujourd'hui de réfléchir aux
quelques chantiers nouveaux qu'il serait intéressant d'ouvrir. La réflexion est
d'ailleurs éclairée par les travaux menés par le comité des finances locales,
sous la présidence de Jean-Pierre Fourcade, par l'observatoire des finances
locales et son président, Joël Bourdin, et par Paul Girod, qui a su, dans un
rapport très pertinent, mettre en évidence les déséquilibres dus à ce qu'il
appelle les « charges rampantes ».
Il convient aussi d'examiner ce qui se passe à l'étranger.
En outre, tentons d'engager le débat non pas sur les structures mais sur les
objectifs et préoccupons-nous des causes et non pas des effets.
Mais, avant d'aller plus avant dans mon propos, monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux parler de ce que je pourrais
presque qualifier de « colère » des membres de la commission des lois, colère
née de l'injuste procès que le président de la commission des lois de
l'Assemblée nationale a fait à la décentralisation : en multipliant le nombre
des acteurs locaux, celle-ci aurait, selon lui, multiplié la corruption ! Que
n'a-t-il plutôt parlé de la spéculation immobilière et de ses conséquences, des
délits d'initiés et des dérapages des organismes
a priori
les mieux
placés pour nous donner des leçons de gestion - je veux parler des institutions
bancaires !
M. Guy Fischer.
Deux cents milliards de francs !
M. Jean-Paul Delevoye.
Mettre en évidence les quelques dysfonctionnements - il y en a eu - de
quelques acteurs locaux, c'est faire un procès injuste, qui alimente ce contre
quoi celui qui l'a engagé semble pourtant vouloir mener le combat. A une
analyse objective qui permettrait à chacun de débattre selon ses convictions,
on préfère une émotion proche de la solution facile, de la démagogie, ce qui
fausse totalement le débat !
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Il n'est qu'à se tourner vers les pays voisins du nôtre où des transferts de
pouvoirs excessifs viennent alimenter les égoïsmes régionaux. Voyez l'Italie,
où les régions les plus riches ne veulent plus payer pour les plus pauvres !
C'est vrai de l'Italie, c'est vrai également de la Flandre et de certaines
provinces espagnoles ou de certaines régions britanniques.
Or, au moment où nous bâtissons l'Europe, qui doit être l'addition des
talents, des différences culturelles et des différences économiques, il
convient de veiller à ce que la montée de certains égoïsmes et l'aggravation de
nos divisions internes ne mettent pas à mal une construction dont le rôle est
essentiel pour l'équilibre du monde.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye.
Sachons donc éviter l'écueil de l'excès de décentralisation par goût du
pouvoir et sa remise en cause, la question essentielle étant de savoir si la
décentralisation, l'articulation des pouvoirs entre l'Etat et les
collectivités, permettra de réduire ou, au contraire, aggravera la fracture
sociale, la fracture territoriale et la fracture civique. Réduire ces fractures
est, en effet, notre triple objectif.
Nous devons aussi satisfaire à un certain nombre d'exigences, soulignées par
M. le rapporteur, relatives à la transparence et à l'efficacité de l'action
publique ainsi qu'à l'utilisation de l'impôt, à l'heure où les contribuables
commencent à trouver la facture un peu lourde.
Il est clair aussi, monsieur le ministre, que nous ne devons pas céder à la
tentation de l'autoflagellation. Livrons sur ce débat le même regard que celui
que porte sur nous la communauté internationale et dont je fus témoin à
Istanbul, lors du sommet mondial des villes organisé sous l'égide de l'ONU.
La communauté internationale a en effet manifesté son intérêt pour trois
aspects de l'organisation française : l'articulation entre pouvoir de l'Etat et
pouvoir local - déconcentration ou décentralisation - la participation des
citoyens à la démocratie locale, l'articulation entre le privé et le public.
Je crois que nul ne peut ignorer l'extraordinaire efficacité de la relation
qui existe en France entre l'Etat et les collectivités territoriales, et,
monsieur Hoeffel, quand vous souhaitez un peu plus de pouvoir local, vous allez
dans le sens de l'histoire.
Parlant d'histoire, faisons quelques analyses prospectives.
Incontestablement, on assiste dans le monde entier à la montée des pouvoirs
locaux. Incontestablement, tous les Etats connaissent aujourd'hui des problèmes
de gouvernance.
Que, parmi les cent premières entités mondiales sur le plan économique,
figurent cinquante entreprises, ne peut que soulever le problème du poids
politique par rapport au pouvoir financier et de l'intérêt du politique, qui
privilégie le moyen terme et l'intérêt social, par rapport aux intérêts des
multinationales, qui favorisent, elles, le court terme et l'actionnaire.
La mondialisation va renforcer le local, l'uniformité des cultures va
renforcer le terroir.
Aujourd'hui se pose le problème de l'efficience de l'action publique, du poids
du politique par rapport au pouvoir financier et du niveau de la dépense
publique.
Nul n'ignore que nous sommes aussi entrés dans ce que j'ai appelé « la
dynamique de territoire » ; c'est un peu comme les plaques tectoniques : on
voit bien s'avancer la notion de spécificité des territoires avec une
répartition sur le plan international, mais aussi sur le plan national, avec
certains zonages dus à des spécificités environnementales. Mais on bloque
toutes les capacités de recettes tout en imposant un certain nombre de
contraintes, les spécificités résidentielles entraînant elles aussi un certain
nombre de charges malgré une absence de recettes.
Par ailleurs, on constate certaines potentialités de développement économique
avec une concentration des richesses et un éloignement des charges : on voit
bien, avec ce que j'ai appelé le phénomène de l'évasion de la réussite à la
périphérie des villes et de la localisation des misères, que se posent des
problèmes de centralité. La localisation de la ressource et la localisation de
la charge constituent une question de fond sur laquelle il faut que nous
réfléchissions.
Faut-il harmoniser, jusqu'à l'identique, le développement des territoires, ou
au contraire aller jusqu'au bout de la potentialité de chacun d'entre eux,
jouer la complémentarité et se poser la question de la péréquation ?
Quel est, à cet égard, le rôle de l'Etat, mais aussi celui des élus locaux ?
Quand ces derniers veulent garder leurs richesses pour eux-mêmes, quand ils
cultivent l'égoïsme communal en pratiquant le discours de la solidarité, il
sont en incohérence avec eux-mêmes ! C'est vrai de la répartition des frais
scolaires, par exemple ; c'est vrai des problèmes de solidarité et de
centralité ; ce sera vrai demain des schémas départementaux qui concerneront
soit le logement, soit des ordures ménagères, soit la taxe professionnelle, et
bien d'autres domaines.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Il convient que nous soyons cohérents avec nous-mêmes.
Une troisième caractéristique que nous constatons est l'évidente hétérogénéité
des problèmes et des régions.
Sous l'angle de la gouvernance, l'Etat, qui ne peut plus apporter de réponse
uniforme et identique à des situations hétérogènes, doit opter pour
l'accompagnement des politiques locales par une politique de
déconcentration.
A cet égard, je tiens ici à vous remercier, monsieur le ministre, et à
remercier le Gouvernement de ce qui n'est peut-être pas suffisamment appréhendé
comme une révolution : je pense à la déconcentration des crédits à l'emploi non
affectés aujourd'hui, qui est propice à l'accompagnement des initiatives
locales. Ce premier pas tout à fait extraordinaire qui est actuellement franchi
favorise une excellente articulation entre le pouvoir local et le pouvoir
national, et je sais bien, monsieur le président Monory, à quel point vous avez
pesé dans ce débat.
Il est clair qu'aujourd'hui la responsabilité est du côté des acteurs locaux.
Il convient de prouver que tous les discours que nous tenons sur cette capacité
d'initiative locale sont désormais à la hauteur du pari qui est fait,
probablement contre l'avis d'un certain nombre de gestionnaires.
Il est clair aussi que nous sommes dans une période de totale mutation. Nous
ne connaissons pas 50 % des futurs métiers, pas plus que des futurs produits.
L'ingénierie financière, l'ingénierie sociale, l'ingénierie technologique
menacent de nous placer maintenant en contradiction avec le contrôle
a
posteriori
, avec la gestion du « zéro risque » et du « zéro défaut », au
moment où il faut, au contraire, réhabiliter le risque à l'échec, le risque à
l'erreur, le risque à l'imagination, bref, la prime à l'innovation.
Monsieur le ministre, il faut que nous ouvrions le chantier de
l'expérimentation et que nous réfléchissions, y compris sur le plan
constitutionnel, au statut de l'expérimentation, qui permet de jouer
l'émulation des territoires et de tenir compte de leur richesse réelle, qui
est, aujourd'hui, celle des hommes et des femmes qui y vivent.
Ce sera vrai en matière de logement, en matière d'éducation, en matière
d'économie, en matière d'emploi. Il est évident qu'aujourd'hui les initiatives
locales sont la richesse de ce pays.
Lorsque l'on observe les études américaines portant sur vingt-cinq ans, on
s'aperçoit que la différence de développement des territoires est liée non pas
au capital et au travail, mais essentiellement à la différence de culture, à la
différence de comportement, à la différence de caractère des hommes. C'est
vrai, notamment, pour un certain nombre de pays pour lesquels on dispose de
comparaisons : avec les mêmes conditions climatologiques, avec les mêmes
caractéristiques agronomiques et les mêmes cultures, certains nourrissent 35
habitants au kilomètre carré quand, sur un autre continent, d'autres en
nourrissent 350. Nous avons là un chantier extraordinaire à ouvrir.
Mais nous avons aussi le chantier de la clarification : clarification des
compétences, clarification des outils.
J'entendais notre collègue M. Arzel nous dire son inquiétude lorsqu'il
constatait que nous finançons plusieurs politiques sur le même outil financier.
C'est vrai notamment pour la dotation globale de fonctionnement, la DGF, qui
finance la solidarité urbaine, la solidarité rurale, l'intercommunalité et le
fonctionnement des communes.
Vous avez raison, monsieur le ministre, d'avoir ouvert le chantier de ce qu'on
appelle la fausse intercommunalité, l'Etat payant simplement la facture de
compétences qui ont été transférées sur le dos de l'intercommunalité. Cela
n'est pas raisonnable, je dirai même que cela n'est pas moralement acceptable.
C'est d'ailleurs une tricherie : on ne peut pas vouloir en permanence faire le
procès de l'Etat et se servir de certaines astuces. Le vice ne peut pas
aujourd'hui être récompensé plus que la vertu !
Un certain nombre de problèmes de fond se posent. Si l'on s'en tient aux
principes de la loi Defferre, avec un contrôle
a posteriori
manifestant
la confiance de l'Etat, nous comprenons qu'il faut ouvrir le chantier dans un
souci non pas de suspicion, mais de clarification.
Ainsi le contrôle de légalité a-t-il été considéré par beaucoup d'élus qui ont
fait la confusion comme une sécurité juridique alors qu'il n'en est pas une. A
l'évidence, quelques années plus tard, il convient de faire en sorte que le
choix et l'opportunité ne soient pas de la compétence des chambres régionales
des comptes. Il faut clarifier la limite entre le choix de gestion et le
contrôle obligatoire nécessaire, peut-être même y compris, pourquoi ne pas le
dire, par le renforcement de la bonne utilisation de l'argent public.
Il est vrai, à cet égard, que l'exemple du jugement relatif au pont de
Normandie mérite réflexion.
Il convient de ne faire ni le procès des chambres régionales des comptes ni
celui des élus. Simplement, quand un problème existe, nous devons le mettre à
l'ordre du jour. Le contentieux juridictionnel ne peut pas remplacer le débat
juridique, la jurisprudence ne peut pas remplacer la loi !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Monsieur le ministre, il convient aussi que nous réfléchissions au pacte de
stabilité.
C'est vrai, on pouvait considérer que la logique de l'Etat était en opposition
avec celle des collectivités territoriales. Mais il est vrai aussi que les
compensations financières et les dégrèvements sont aujourd'hui en train
d'asphyxier l'Etat.
Nul ne peut ignorer la nécessaire maîtrise des dépenses publiques. Mais il
faut garder raison, je partage sur ce point l'analyse de M. Hoeffel lorsqu'il
dit que, tous les ans, à l'amorce de l'examen de la loi de finances, on voit
paraître des articles sur l'augmentation de la fiscalité locale, sur le
caractère extrêmement vertueux et courageux de l'Etat... et sur la faiblesse
des élus locaux.
M. Guy Fischer.
C'est inadmissible !
M. Jean-Paul Delevoye.
Il convient donc de garder raison et de faire un bilan très objectif.
De 1982 à 1997, l'endettement des collectivités territoriales est resté bloqué
entre 8 % et 9 % du PIB...
M. Jacques Machet.
Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye.
... quand celui de l'Etat a complètement explosé,...
M. Jacques Machet.
Voilà !
M. Jean-Paul Delevoye.
... passant de 5 % à plus de 50 % du PIB, ce qui fait qu'aujourd'hui l'Etat
lève l'impôt pour rembourser sa dette quand les collectivités territoriales
lèvent l'impôt pour augmenter l'enrichissement de la collectivité nationale par
une participation non négligeable à l'investissement public local, qui, lui,
est resté en légère diminution quand celui de l'Etat a complètement chuté.
Je sais - je le dis d'autant plus que ce n'est pas de votre fait, monsieur le
ministre - que vous subissez cette situation ; mais il convient, là aussi, d'en
dresser le bilan.
Il convient aussi de faire en sorte que la décentralisation ne soit pas la
gestion par les collectivités territoriales des insuffisances des pouvoirs
nationaux. C'est vrai dans un certain nombre de pays, c'est vrai aussi dans le
nôtre. Quand un objectif politique comme les 80 % de jeunes d'une classe d'âge
au niveau du baccalauréat a fait exploser les dépenses des départements pour
les collèges et celles des régions pour les lycées et que l'Etat, en bout de
course, se retrouve dans l'incapacité de faire face aux dépenses des
universités, ce dernier n'hésite pas à remettre en cause les principes de la
loi de 1982 pour demander aux collectivités territoriales de couvrir des champs
de compétence qui ne sont pas les leurs.
On ne peut pas tendre la main aux collectivités territoriales puis leur faire
le procès, quelques années après, de l'augmentation de la fiscalité locale.
C'est vrai pour le plan « Université 2000 », c'est vrai aussi pour le RMI.
Aujourd'hui, le problème de fond est le suivant : comment parvenir, grâce à
une bonne articulation entre l'Etat et les collectivités territoriales, à
maîtriser les prélèvements obligatoires tout en ayant une action publique le
plus efficace possible ?
Qui paie quoi ? Qui fait quoi ? Qui est responsable de quoi ? La maîtrise de
la fiscalité locale doit-elle revenir à ceux qui gèrent cette politique ?
Peut-on avoir un vrai débat sur la localisation de la ressource et la
localisation de la charge ?
L'évolution des nouvelles compétences, notamment sur le plan social - je pense
au chômage, par exemple - entraîne un phénomène de ciseau et rend difficile à
traiter la question de la solidarité nationale : aujourd'hui, nous risquons de
voir les collectivités locales les plus pauvres faire face aux dépenses
sociales les plus élevées. C'est une véritable question !
Le débat porte aussi sur le fait de savoir si l'on peut transférer une
politique globale avec les outils économiques qui l'accompagnent. C'est tout le
problème du cycle économique de certains impôts : qu'en est-il des droits de
mutation par rapport au marché de l'immobilier, de la pérennité d'un certain
nombre de charges et de politiques locales ?
Nous avons là de vrais débats à ouvrir sur la taxe professionnelle, sur la
cotisation minimale de taxe professionnelle, sur les niches fiscales de la taxe
professionnelle, sur la taxe professionnelle de France Télécom ou encore sur
l'asphyxie des villes par les dotations forfaitaires. Nous avons là à ouvrir,
monsieur le ministre, un autre chantier, dans la prolongation du rapport
Delafosse.
Il y a aussi le problème de l'adaptabilité des règles. A partir du moment où
l'on a fixé un certain nombre de règles applicables à toutes les collectivités
territoriales, si celles-ci subissent des évolutions structurelles différentes,
on risque de rencontrer des phénomènes tout à fait curieux. Ainsi, lorsqu'on
asseoit la dotation globale de fonctionnement sur l'évolution de la population
et qu'on la bloque, un certain nombre de départements très jeunes - je pense à
certains départements d'outre-mer, et même à certains départements de métropole
- sont pénalisés par leur jeunesse, car ils voient leurs recettes stagner et
leurs charges augmenter.
A contrario,
cela pèse aussi sur un certain nombre de départements qui
connaissent un accroissement important de leur population âgée, ce qui entraîne
un surcroît de dépenses lié à l'utilisation de techniques nouvelles telles que
la prestation spécifique dépendance.
Il s'agit là aussi, me semble-t-il, d'un débat tout à fait intéressant à
ouvrir.
Le chantier de l'expérimentation concerne aussi l'adéquation de l'offre
administrative à la demande locale, et, sur le plan de la subsidiarité, il faut
absolument, monsieur le ministre, que nous évoquions cette sorte de terrorisme
des normes qui fait que, aujourd'hui, au nom de la liberté de gestion des
collectivités territoriales, l'avalanche des normes européennes et nationales
nous impose de consacrer 30 %, 40 % ou 50 % de nos budgets d'investissement au
respect d'un certain nombre de normes. Il faut probablement créer aujourd'hui
un haut commissaire à la réforme de la norme afin de bien mesurer les
conséquences, pour les budgets des collectivités territoriales, de
l'application de ces normes, sans d'ailleurs vouloir les remettre en cause
lorsqu'elles tendent à améliorer la sécurité de certains services publics, en
réponse à l'attente de nos concitoyens.
Vous le constatez, monsieur le ministre, un certain nombre de chantiers sont à
ouvrir sur les compensations financières, sur les relations entre l'Etat et les
collectivités territoriales et sur les phénomènes de structure tels que les a
évoqués M. Hoeffel. Je pense que, effectivement, les principes de
simplification, de clarification et de partenariat efficace entre l'Etat et les
collectivités territoriales auront probablement pour effet, par une meilleure
efficacité de l'action publique, de réduire la fracture sociale par
l'accompagnement des initiatives locales en rapprochant le citoyen du lieu
d'application de la politique et en le responsabilisant, mais aussi de réduire
la fracture civique et d'apporter, par une réflexion sur une meilleure
utilisation de la potentialité de développement, une réponse à la fracture
territoriale, afin que, au nom de la décentralisation et de la nécessaire
déconcentration, on puisse continuer à parler de l'exception française.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans
l'exposé des motifs de la grande loi fondatrice de la décentralisation, M.
Gaston Defferre déclarait ceci : « C'est un acte de confiance dans les
Français, dans leur capacité à se gérer eux-mêmes ».
L'ambition était grande. Les critiques furent violentes, puis s'estompèrent
avec le temps pour faire place au dithyrambe généralisé ou presque, tant et si
bien que la critique systématique d'un éminent membre de la majorité de
l'Assemblée nationale, à qui il a été fait allusion, chargeant la
décentralisation de tous les maux - notamment du péché de corruption, ce qui,
je vous l'accorde, est d'une rare absurdité - apparaît comme incongrue.
Permettez-moi de me féliciter du débat qui nous réunit aujourd'hui et d'y
voir, puisque je n'en ai pas absolument compris les raisons, l'hommage modeste
que rend l'ensemble du Sénat à Gaston Defferre, père très volontaire de la
décentralisation.
Après tout, quinze ans presque exactement après la promulgation de la loi du 2
mars 1982, il n'est pas inutile de faire un bilan, et je remarque que, à part
le colloque récent de Marseille, il est peu d'hommages officiels qui lui soient
rendus, ce qui me semble bien injuste.
Les Français, et singulièrement leurs élus, ont-ils été dignes de la confiance
que Gaston Defferre et le législateur de l'époque ont placée en eux ? Telle
pourrait être la question, à laquelle je ne prétends cependant pas répondre
dans les quelques minutes qui me sont imparties.
C'est donc une question orale sur l'intercommunalité qui est le prétexte à ce
débat issu d'une motion de la commission des lois. Je dis le « prétexte », car
cette motion, comme votre question, monsieur le rapporteur du groupe de
travail, élargit le débat à l'ensemble de la question de la décentralisation,
et c'est bien ainsi.
Mais, du coup, je me sens autorisé à vous reprocher, modestement, quelques
insuffisances du texte, peut-être le terme étant d'ailleurs probablement un peu
inadapté.
C'est un texte sage, je veux dire lisse, sans aspérité, auquel on ne peut
opposer qu'une critique modérée. Il reflète, c'est vrai, la teneur du rapport,
lui-même assez peu innovant au fond, ce qui peut s'expliquer - je me pose la
question devant vous - par la qualité des personnes, auditionnées, toutes
praticiens établis, peu portés aux discours iconoclastes, d'autant que beaucoup
étaient porte-parole de groupes de pression très oecuméniques.
Peut-être aurait-il été utile - je le suggère pour la suite - d'auditionner
d'autres personnalités : des syndicalistes, des représentants associatifs ou
des universitaires.
Quoi qu'il en soit, ce texte, qui n'est pas insipide et qui contient des
suggestions auxquelles j'adhère - et d'autres auxquelles j'adhère moins -
m'amène à poser la question de la façon suivante.
Ou bien l'on considère, ce qui est sûrement votre cas, que l'essentiel de la
décentralisation est accompli et qu'en particulier l'architecture des pouvoirs
de la République est définitivement établie : on peut alors se contenter de ce
discours purement conservateur de l'oeuvre initiale et qui se borne à proposer
des améliorations à la marge, et, dans cette perspective, votre texte est un
bon texte.
Ou bien, à l'opposé, on pense que cette architecture n'est pas bonne, ou n'est
plus bonne, et c'est ce que pensent, disons, pour faire court, les
régionalistes, dont je ne suis pas : il faudrait alors faire des propositions
de bouleversement, éventuellement de bouleversement rapide de cette
organisation.
Mais ce sont là des positions extrêmes.
Entre les deux, je pense qu'il peut y avoir une position médiane, qui
considère les institutions dans leur dynamique vitale, qui croie à leur
évolution, qui constate l'état présent, analyse les mouvements en cours et
pronostique des évolutions possibles ou probables, en l'occurrence peut-être
des bouleversements quasi naturels et à terme, voire à long terme.
Cette attitude suppose que notre rôle est au moins de les évoquer pour, selon
nos convictions et nos capacités politiques d'action, les faciliter en les
anticipant ou, au contraire, les contrecarrer ; en tous les cas, il faut
essayer de les comprendre.
A cet effet, il n'est pas illégitime, c'est vrai, d'aborder la question par le
biais de l'intercommunalité, qui résulte de l'exception française dans ce
domaine, laquelle est la conséquence d'une double originalité : la faiblesse
des régions et le nombre élevé des communes.
Car c'est une indigence de l'analyse que de porter au passif de la France le
fait d'avoir prétendument un échelon administratif de trop. Que l'on se tourne
vers les autres pays européens - Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne... - et
l'on verra que les mêmes niveaux se retrouvent partout et que, en Italie, c'est
au nombre près, à part les communes, bien sûr ; mais il y a quatre-vingt-quinze
provinces - on dirait « les départements » - et vingt régions, presque le même
nombre qu'en France.
Pour ma part, j'approuve tout à fait votre affirmation du rôle essentiel du
département dans la mise en oeuvre des solidarités sociales et territoriales.
Ce n'est pas original en Europe, car, qu'il s'appelle kreis, province, district
ou département, partout a été ressentie la nécessité de disposer d'un échelon
administratif intermédiaire proche des citoyens et qui, très souvent, seul ou
en compétence partagée, s'occupe d'aide sociale, de voirie, de sécurité civile,
d'éducation et d'aménagement.
Donc, première exception française : la faiblesse des régions. Pierre Mauroy,
qui, je le rappelle, était le Premier ministre de l'époque de la
décentralisation - mais chacun le sait ! - le constatait dans une interview
récente au
Provençal
: « Les régions n'ont pas répondu à l'espérance que
leur création avait fait naître ».
Cela tient à notre histoire, et tout le monde a bien à l'esprit cette lente
agrégation monarchique des provinces françaises autour de l'Ile-de-France et de
Paris capitale, confortée par le rationalisme de la Révolution française et par
l'autoritarisme préfectoral de l'Empire. Il en découle le risque d'apoplexie
administrative à Paris, que prétendait combattre la décentralisation.
Du coup, pas de ville capitale de duché, de comté, de principauté ou de
royaume et, du coup, jamais, ou presque jamais, de réseau de villes autour de
capitales provinciales.
En Europe, les grandes régions que l'on prétend copier se sont faites autour
de villes capitales, têtes de réseau de villes secondaires, elles-mêmes très
vivantes et peuplées.
Regardez la Lombardie : il y a Milan, bien sûr, mais aussi Bergame - 120 000
habitants - Brescia - 250 000 habitants - Côme - 100 000 habitants - Mantoue -
65 000 habitants - Monza - 125 000 habitants - et encore cinq ou six autres
villes, qui font le réseau autour de Milan et qui convergent vers elle.
En France, j'ai envie de dire par boutade, que c'est Marseille, Lille et
Nantes qui forment le réseau autour de Paris.
M. Jean-Jacques Hyest.
Et Strasbourg !
M. le président.
Et Lyon !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Sauf Lyon !
Et le TGV n'est pas là pour réduire le phénomène ; il aurait même plutôt
tendance à l'accentuer.
Est-ce bien ? Ce n'est pas la question !
Peut-on lutter contre cette situation ? Je crois bien difficile de renverser,
à vue humaine, une tendance aussi lourde, fruit d'une histoire plus que
millénaire.
Au demeurant, est-il indispensable de se mouler, sur cet objet comme sur
d'autres, sur le reste de l'Europe ? N'est-ce pas un piège que nous tendent nos
voisins ?
Les débats du comité des régions d'Europe sont révélateurs sur le sujet.
Bavarois, Lombards ou Catalans, et certainement bien d'autres, prônent une
Europe fédérale, ce qui ne m'effraie pas. Toutefois, ils imaginent une
fédération non pas d'Etats-nations mais bien de régions, et cela, je ne suis
pas prêt de l'accepter pour deux raisons. L'une est fondamentale : je suis
resté assez jacobin pour ne pas accepter ainsi une dilution complète de notre
nation. L'autre est secondaire et plus prosaïque : dans une telle Europe, la
seule région française qui tirerait son épingle du jeu - à part la région
lyonnaise peut-être - dans une compétition qui serait débridée, serait, une
fois de plus, la région parisienne.
La région française est-elle condamnée ? Je ne le pense pas ; je crois même
qu'il faudrait la conforter dans une compétence mieux établie d'aménagement du
territoire et de contractualisation avec l'Etat, pour autant que celui-ci
abandonne sa fâcheuse habitude de faire exécuter et financer une partie de sa
politique par le biais des contrats.
Comment renforcer les régions ? Sûrement pas en les agrandissant ! C'est une
fausse bonne idée, car l'association de deux pauvres ne fait pas un riche ! Ce
n'est pas une question de taille, c'est une question de compétences et de
moyens.
Mais il est clair aussi que se pose avec acuité la question du mode de
scrutin. Pourra-t-on conforter les régions - si on le souhaite ! - et les
rendre perceptibles à nos concitoyens si l'on en reste au scrutin départemental
? Je n'ose pas vous demander, monsieur le ministre, si le Gouvernement a des
intentions en ce domaine !
L'autre grande originalité de la France, ce sont ses 36 000 communes. On a
tout dit sur cette question, notamment sur le fait que, par ce nombre, elle
dispose d'autant de communes que tous les autres pays de l'Union européenne
réunis.
Et alors ? Quel est le problème ? Devons-nous, là encore, nous couler dans un
moule unique ? Devons-nou oublier que la France est vaste, qu'elle dispose d'un
espace immense et peu peuplé par rapport aux autres pays européens - l'Espagne
exceptée - et que cet espace est une richesse, sans doute même la grande
richesse de demain, que l'on n'a pas le droit d'abandonner ?
Ne faut-il pas, surtout, prendre en compte cette réalité profonde de la
démocratie française au quotidien - on l'a évoquée tout à l'heure - avec ses 36
000 maires, ses quelque 100 000 adjoints, ses 600 000 conseillers municipaux,
qui gèrent, animent, quasi bénévolement notre immense territoire ?
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Ce serait un appauvrissement très grave de la démocratie si, d'une façon ou
d'une autre, les communes étaient appelées à disparaître. Et elles
disparaîtraient si on les y forçait, et il y a bien des moyens de les y
forcer.
Je crois donc, moi aussi à la nécessité de la coopération intercommunale. Mais
je crois à l'intercommunalité volontaire, à l'incitation et pas à la
contrainte, au droit à l'expérimentation et pas à l'uniformité à tout prix -
j'y reviendrai - et je crois à l'égale dignité de l'intercommunalité de gestion
et de l'intercommunaulité de projet.
Ceux qui pensent le contraire, c'est-à-dire qui ne pensent qu'à
l'intercommunalité de projet, en éliminant un peu trop vite l'intercommunalité
de gestion, sous prétexte qu'elle est financée par l'usager, oublient qu'il y a
des financements lourds en subventions de la part des communes ou des
départements, en particulier.
Ceux qui pensent le contraire donc, qui prônent uniquement l'intercommunalité
de projet, n'ont en tête qu'une France en développement, qui, depuis des
décennies, et pas seulement depuis la période de la crise, est territorialement
l'exception.
Il faudra bien expliquer un jour la différence entre aménagement et
développement et dire clairement aux 36 000 maires qu'ils n'ont pas tous
vocation à avoir une zone industrielle !
Cela étant, ce n'est pas parce que la majeure partie du territoire français
est en forte déprise démographique qu'il faut l'abandonner à la friche.
L'intercommunalité peut aider, même si ce n'est pas la panacée, et je suis
globalement d'accord avec la motion de la commission des lois : il est
nécessaire de réduire le nombre de catégories et d'unifier les règles. L'idée
d'un tronc commun me semble pertinente.
Je suis intéressé, sous réserve d'inventaire, par cette idée de correction du
dispositif financier, singulièrement du coefficient d'intégration fiscale, et
par cette idée de réduire la concurrence entre les communes d'une même
agglomération.
Sur toutes ces questions, nous attendons de voir, de façon plus précise,
monsieur le ministre, à quelle sauce vous vous proposerez de nous
accommoder.
J'en reviens à l'organisation des pouvoirs dans la République.
Abstraction faite de l'intercommunalité, et sous réserve que l'on clarifie les
interventions par la notion de pilote, de chef de file, notion qui a été
retenue par le groupe de travail et qui est à la fois souple et simple, les
choses sont assez claires.
Quel est le pilote ? Quel est le chef de file ? L'Etat, en concertation avec
les régions et, éventuellement, avec les départements, pour toutes les
infrastructures nationales ; les régions, en concertation avec les départements
et les villes, pour les infrastructures régionales ou interdépartementales ;
les départements, en concertation avec les communes et leurs groupements, pour
tous les espaces intradépartementaux. Hors équipement, il en va de même pour la
mise en oeuvre des politiques en fonction des compétences de chacun.
Tout semble simple. Chaque niveau est à sa place et joue son rôle : les
communes pour la gestion au plus près des équipements de proximité et
l'animation locale ; les départements pour assurer la cohésion des politiques
intradépartementales et pour assurer la solidarité des territoires ; les
régions, avec des compétences clarifiées et des moyens renforcés, pour mettre
en oeuvre les grandes orientations de l'aménagement du territoire.
Mais, si j'ai pu regretter que le texte de la motion, de même que le rapport,
ne soit pas assez prospectif, c'est parce que ce schéma est fortement perturbé
précisément par ce que nous évoquons aujourd'hui et que nous souhaitons
développer, à savoir l'intercommunalité.
Je ne crois pas qu'il soit prématuré d'analyser et de préciser les intentions,
car certains départements risquent d'apparaître comme vidés de leur substance,
comme l'a évoqué M. le rapporteur tout à l'heure.
Je dis bien « certains départements » parce qu'ils ne sont pas tous dans la
même situation vis-à-vis de leurs villes : certains sont purement urbains,
certains ont une grosse ville-centre, d'autres sont purement ruraux.
L'intercommunalité n'a pas le même sens et ne joue pas le même rôle dans l'un
ou les autres cas, et l'évolution risque d'être fort différente.
Dès lors, monsieur le ministre, j'ai envie de vous poser quelques
questions.
Premièrement, vous semble-t-il envisageable de prendre en compte des
évolutions disparates, voire divergentes, et de les traduire par un droit à
l'expérimentation décidé par les assemblées locales, dans des limites, bien
sûr, et sous des formes fixées par la loi ?
J'attire votre attention sur le fait que, si cela se réalise, comme je le
souhaite, cela ne peut se faire au détriment ni de la cohésion des territoires
ni de la solidarité.
A ce titre, on ne peut souscrire à la proposition des maires des grandes
villes de France, qui, dans un manifeste intitulé
Mon pays, c'est la ville,
proposent de créer un nouveau type de collectivité, dénommé « agglomération
», qui bénéficierait « d'une taxe professionnelle à taux unique » - soit ! - «
et des recettes prélevées par le département sur le territoire de
l'agglomération. En contrepartie, l'agglomération prendrait en charge, sur ce
territoire, les dépenses assurées par le département. »
C'est bien le moins, ai-je envie de dire ! Et je pose la question, par
boutade, mais à peine : quid de la solidarité avec le plat pays et à quand le
rétablissement de l'octroi des villes ?
Deuxièmement, la montée souhaitable de l'intercommunalité présente un double
risque vis-à-vis de l'exercice satisfaisant de la démocratie.
Il est évident que certains conseils municipaux peuvent être entraînés par des
structures de coopération dans des politiques dont ils n'ont pas été
suffisamment informés, auxquelles même ils n'auraient peut-être pas
complètement adhéré.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour que les différentes parties du tout
- en l'occurrence, chaque commune - exercent un réel contrôle sur la mise en
oeuvre des compétences qu'elles ont déléguées à une autre structure ?
Par ailleurs, les structures intercommunales peuvent être amenées à lever
l'impôt. C'est, à ma connaissance, le seul cas où cette capacité est laissée à
des élus qui ne soient pas issus directement du suffrage universel. N'y a-t-il
pas là - je pose cette question, même si je crois avoir trouvé la réponse dans
les pages roses du
Figaro
de ce matin - outre le risque de dérapage
fiscal, une opacité accrue pour le citoyen, qui doit déjà avoir bien du mal à
s'y retrouver ? Et même si l'on suit la proposition du groupe de travail, à
laquelle j'adhère pleinement, de limiter la représentation des communes à des
délégués issus des conseils municipaux, je crois que cela ne corrigera que très
faiblement la tendance.
Si j'insiste sur cet aspect des choses, ce n'est pas parce que je suis un
forcené de la clarification des compétences et des ressources. Je crois
d'ailleurs que le beau cartésianisme en la matière ne dépasse guère l'épreuve
des faits. A la réflexion, je pense même que l'obligation de trouver des
partenaires constitue une solution pour lutter contre l'arbitraire des
prétendus potentats locaux qu'il est parfois reproché à la décentralisation
d'avoir suscité.
Si j'insiste donc, c'est au nom du citoyen, qui exige désormais pas forcément
de comprendre la complexité des financements, mais de savoir qui est
responsable. Si la notion de « chef de file » bien identifié peut, certes,
utilement répondre à cette question, chaque élu est évidemment bien conscient
que le citoyen ne se contente plus d'un compte rendu de mandat tous les cinq
ans, tous les six ans, voire tous les neuf ans.
N'y a-t-il donc pas lieu, monsieur le ministre, de renforcer encore les
obligations de transparence et d'information du citoyen ? Nous avons bien
avancé avec la loi municipale, qui a imposé des minorités. Nous avons bien
avancé avec l'instauration de la proportionnelle dans les commissions
permanentes des conseils généraux et des conseils régionaux. Ne pensez-vous pas
souhaitable, monsieur le ministre, d'aller plus loin ? Si oui, quelles mesures
comptez-vous prendre ?
Enfin, pour conclure, je reviendrai au texte de Gaston Defferre. Dans l'exposé
des motifs de la loi du 2 mars 1982, évoquant la tutelle de laquelle il voulait
faire sortir les collectivités locales, il écrivait notamment : « La faiblesse
des ressources des collectivités réduit leur autonomie. » Autrement dit, il
faut augmenter les ressources des collectivités.
A voir la situation actuelle, certains se demandent s'il n'y avait pas là de
la naïveté ou de la duplicité. Pour ma part, je ne le crois pas. Le rapport de
notre collègue Paul Girod a bien montré, concernant les conseils généraux en
tout cas, que la dégradation financière s'est produite à la fin des années
quatre-vingt. Je suis bien placé pour vous dire que, dans nombre de conseils
généraux, le solde dépenses-recettes fut, pendant longtemps, positif grâce au
bon rendement des impôts indirects transférés. Hélas ! depuis quelques années,
surtout depuis cette année, de toutes parts, et surtout des communes, monte une
plainte universelle.
Bien sûr, je suis satisfait que la motion adoptée par le groupe de travail
débute par des considérations sur les problèmes financiers.
Monsieur le ministre, quels engagements pouvez-vous prendre, au nom du
Gouvernement, pour garantir un véritable pacte de stabilité des ressources et
des charges des collectivités - une sorte d'article 40 à l'envers - qui
s'imposerait au Gouvernement à leur égard, à la suite des études d'impact ?
Monsieur le ministre, il y a urgence et le mécontentement est grand. Les élus
locaux, toutes opinions confondues, supportent de plus en plus mal d'être
montrés du doigt. Qu'un membre éminent de la majorité de l'Assemblée nationale,
à qui je faisais allusion au début de mon propos, les traite de « corrompus
potentiels » est une atteinte à leur dignité ; mais, au fond, cela n'engage que
lui. Cela témoigne, de surcroît, de sa méconnaissance des pratiques
administratives antérieures à la décentralisation comme du fait que, s'il y a
plus de corrompus repérés, cela tient à l'efficacité de la tutelle et du
contrôle de gestion des chambres régionales des comptes. Je crois que c'est là
l'essentiel.
(M. Jacques Larché applaudit.)
Mais que des campagnes de presse s'organisent périodiquement pour opposer
l'Etat prétendument vertueux parce qu'il baisserait les impôts, aux élus locaux
qui, pour le plaisir, par habitude ou par incompétence, augmenteraient les
impôts, voilà qui est difficile à accepter.
Au contact de la population au moins autant que le sont les élus nationaux,
les maires savent bien le poids global et l'injustice de la fiscalité locale,
dont on nous dit périodiquement qu'elle va être améliorée par l'application de
bases actualisées.
Si les maires augmentent l'impôt, c'est qu'ils ne peuvent faire autrement ;
c'est qu'il y a une crise sociale et donc un besoin ; c'est qu'ils veulent
croire au développement de leur petit coin de France. Hélas ! c'est aussi que
l'Etat, sans vergogne, se décharge sur eux - je ne pratique pas habituellement
ce discours, mais, en l'occurrence, il est tout à fait fondé - y compris de ses
engagements contractuels. Je pense ici au fonds national pour le développement
des adductions d'eau, le FNDAE : à trois jours du vote du budget du conseil
général de la Haute-Vienne, j'ai appris qu'il était autoritairement baissé de
15 %. J'ai pourtant contractualisé pour trois ans avec l'Etat.
Je pense aussi à l'allongement d'un an de la durée des contrats de plan, dont
il est évident que, s'il n'a pas soulevé des protestations plus vives de la
part des régions, c'est parce qu'il leur permettait d'afficher une baisse ou
une augmentation très faible de leur fiscalité en pleine période électorale.
Oui, la commission des lois a raison de l'écrire, il faut en revenir, sur ce
point comme sur bien d'autres, aux principes fondamentaux de la
décentralisation et, éventuellement, pour cela, faire en sorte que la
commission d'évaluation des charges reprenne le cours régulier de ses travaux,
avec obligation de donner des suites effectives à ses observations.
Monsieur le ministre, par delà les réformes nécessaires que vous envisagez,
l'avenir de la décentralisation, avec les bienfaits qu'elle a apportés, est à
cette condition.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - MM. Hyest et Hoeffel
applaudissent également.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
La question de notre collègue Daniel Hoeffel sur les perspectives de la
coopération intercommunale s'inscrit dans le cadre de la volonté
gouvernementale de réformer le régime de l'intercommunalité. La commission des
lois du Sénat, avec la création d'un groupe de travail sur la décentralisation
et l'élaboration d'un rapport publié il y a quelques jours, a accompagné cette
volonté. Chacun l'aura compris, cette question sera essentielle dans les mois à
venir.
Je voudrais tout d'abord souligner que l'expression : « coopération
intercommunale » est ambiguë. Comme la langue d'Esope, elle recouvre des formes
de relations intercommunales diverses, notamment deux types de structures
fondamentalement différentes.
D'un côté, se trouvent les coopérations intercommunales créées, qu'il s'agisse
du syndicat intercommunal à vocation unique, le SIVU, ou du syndicat
intercommunal à vocation multiple, le SIVOM, qu'il s'agisse des chartes
intercommunales ou encore des conventions, qui sont, les unes et les autres,
destinées à répondre à un besoin objectivement ressenti et à mettre en oeuvre
de nouveaux droits pour les femmes et les hommes de notre pays. Ces
structures-là ne lèvent pas d'impôt.
De l'autre côté, nous avons les structures supracommunales - districts,
communautés de communes et de villes, communautés urbaines auxquelles peuvent
être déléguées les mêmes fonctions, mais aussi obligatoirement des fonctions
économiques et d'urbanisme, qui sont alors prioritaires, le « social » n'étant
qu'une résultante. Ces sructures lèvent un impôt.
Bien entendu, il s'agit, dans l'esprit du Gouvernement, non pas de traiter des
premières structures, mais bien de pousser les feux de l'intégration
supracommunale, une intégration supracommunale qui vise, finalement, à retirer
aux communes, et donc aux citoyens, toute prise sur les choix stratégiques.
Dès lors, il y aurait deux niveaux de collectivités bien distincts : d'une
part, les niveaux de décision économique, c'est-à-dire l'Europe, l'Etat, les
régions, les groupements supracommunaux ou les « pays » ; d'autre part, les
niveaux de « guichet de distribution sociale » et de gestion du quotidien, à
savoir les communes et les départements.
Voilà ce vers quoi nous entraînerait la supracommunalité.
Pour autant, cela ne veut pas dire que nous refusons la coopération
intercommunale. Bien au contraire ! L'expérience prouve que les élus et les
citoyens apprécient positivement les possibilités de développer de nouveaux
services et de nouveaux équipements dans le cadre de l'autonomie communale.
Cette autonomie communale n'est pas une notion du passé. Rappelons-nous que
toutes les tentatives de fusion de communes ont échoué. De l'an III suivant la
révolution de 1789 à la loi Marcellin de 1971, l'histoire a prouvé l'importance
du fait communal. C'est si vrai que les structures les plus nombreuses, et les
mieux acceptées, sont les SIVOM et les SIVU. D'ailleurs, dans un rapport de
juillet 1996, intitulé
De l'intercommunalité fonctionnelle à la
supracommunalité citoyenne,
l'institut de la décentralisation semble
déplorer que les SIVU et les SIVOM soient la forme préférée de coopération des
communes, et même que les formes plus intégrées ne se servent pas de toutes
leurs possibilités. Permettez-moi de le citer : « On pourrait à première vue
considérer que l'intercommunalité française va en se développant. Pourtant,
force est de constater une représentation majoritaire des formules de
coopération les plus sectorielles et les moins contraignantes comme les SIVU et
les SIVOM, puisque ces deux catégories EPCI représentent la plus grande partie
de l'intercommunalité française. »
C'est cela que les lois de 1992 et de 1995 tentent de changer, en imposant,
par la règle de la majorité qualifiée, l'intégration au sein de structures
supracommunales.
Il ne faut pas tricher : sous couvert de solidarité et de volontariat, c'est
autre chose qui est recherché, à savoir une rationalisation financière et
fiscale qui s'inscrive pleinement dans la volonté de construire une Europe
libérale. C'est ce qu'indiquait Maurice Bourjol, dans un dossier de la revue
Courrier des maires
: « Le débat autour de l'intercommunalité dissimule
mal l'essentiel, à savoir la prise en charge croissante par les collectivités
locales des déficits dits excessifs de l'Etat. »
Comme dans le cas de la réforme de l'Etat, qui vise à concentrer les services
publics et, globalement, à les dissimuler dans le cadre des structures des
pays, la mise en place de la supracommunalité éloigne le citoyen du lieu de
décision. Ainsi, le Gouvernement prétexte l'efficacité pour expliquer qu'il
faut que la commune s'accommode uniquement de la gestion du quotidien.
Ce qui n'empêche d'ailleurs pas que le maire sera considéré comme le premier
responsable de décisions douloureuses. On lui fait, dès lors, jouer un rôle de
fusible qu'il n'a pas vocation à tenir.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Un rôle de bouc émissaire !
M. Robert Pagès.
Mais nous pouvons aller encore plus loin, car cette volonté d'aller vers la
supracommunalité est une offrande aux entreprises. J'ai retrouvé une citation
de M. Trémège, président de l'association des chambres de commerce et
d'industrie : « L'intercommunalité doit être tout d'abord le moyen de limiter
la pression fiscale, qui obère la compétitivité des entreprises. » Bien
entendu, quand le président de l'association des chambres de commerce et
d'industrie parle de pression fiscale, chacun aura compris qu'il s'agit de taxe
professionnelle, la taxe d'habitation lui important peu.
De tels propos doivent nous conduire à nous interroger sur les vrais buts de
la supracommunalité. Ne serait-ce pas là une façon de « tordre le cou » à la
taxe professionnelle pour que ce qui provient des entreprises leur soit
retourné sous forme d'aménagement de zones d'activités ou autres ? Rappelons
qu'avec un peu plus de 150 milliards de francs la taxe professionnelle
représente 50 % des recettes fiscales des collectivités locales.
Dès lors, l'activité économique, les richesses qu'elle produit, ne sont plus
conçues pour irriguer le territoire local mais, au contraire, c'est l'activité
économique qui « pompe » alors le territoire pour en tirer profit.
En fait, les communes, regroupées ou non, subissent toutes les restrictions
budgétaires, la diminution des dotations de l'Etat, la pression sur leurs
capacités d'investissement, et, à cet égard, je citerai pour mémoire le
douloureux problème de la caisse nationale de retraites des agents des
collectivités locales.
C'est là que nous aurons la plus grande divergence, car l'instauration du
surplus de dotation globale de fonctionnement des groupements a été une vaste
tromperie. En raisonnant à enveloppe constante, il s'agit non pas d'une
incitation financière, mais d'une pénalisation pour les communes qui n'ont pas
voulu, ou seulement pas pu se regrouper. C'est tellement vrai que l'on arrive
en bout de course de ces formules de « carottes financières ».
En 1995, les groupements de communes à fiscalité propre percevaient 120 francs
par habitant, en moyenne. Ce chiffre s'élève à 120,22 francs en 1996. Voilà à
quoi conduit le partage de la pénurie ! Et les populations habitant au sein de
ces groupements ont vu leur fiscalité augmenter plus que la moyenne.
Oui, la seule réponse valable et propice à un développement de projets
créateurs d'emplois, de richesses, de services nouveaux rendus aux populations,
dans un cadre communal, intercommunal ou supracommunal, passe par une profonde
réforme des finances locales. Or la taxe professionnelle d'agglomération ne va
nullement dans ce sens. Au contraire, elle va continuer à minorer la
participation des entreprises aux dépens des habitants et des services rendus.
Prenons l'exemple du Grand Lyon, puisqu'il apparaît qu'il s'agira d'une
expérimentation « grandeur nature », mon ami Guy Fischer m'en parlait encore
tout à l'heure.
Par un taux unique de taxe professionnelle, on pénaliserait les communes ayant
de fortes bases et ayant fait le choix d'une gestion sociale et humaine par des
services appropriés et une taxe d'habitation basse. Ainsi, par exemple,
Vénissieux perdrait des recettes au profit de Lyon par le biais de la taxe
professionnelle, mais Lyon ne transférerait nullement des ressources de taxe
d'habitation à Vénissieux !
Pour notre part, nous pensons qu'il est indispensable de dégager des
ressources par le biais d'une taxe professionnelle rénovée.
Une taxe professionnelle qui inclurait dans le calcul de ses bases tout ou
partie des actifs financiers des entreprises, cela permettrait de doubler,
voire de tripler les bases de la taxe professionnelle.
C'est M. Delevoye, président de l'Association des maires de France, qui
expliquait avec force, lors du dernier congrès des maires que la richesse
actuelle était largement financière et qu'il était temps d'en prendre la mesure
! Aujourd'hui, au lieu de multiplier les réformes qui ne font qu'exonérer les
entreprises de leur devoir, allons dans cette voie d'une taxe professionnelle
nouvelle.
Enfin, pour terminer sur la taxe professionnelle, je réitère, au nom des
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, notre souhait de voir
instauré un plancher de taxe professionnelle.
C'est une proposition qui est largement partagée par les élus locaux, mais
dont la traduction concrète s'arrête manifestement aux portes de nos assemblées
législatives.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce domaine de la coopération
intercommunale, comme dans le domaine de la coopération interrégionale, la
contrainte ne fait pas bon ménage avec l'efficacité. Nos communes, nos régions
ont des histoires, des traditions, des expériences diverses. Certaines sont
enclines à se regrouper, d'autres non. C'est ce qui fait toute la richesse de
notre pays.
La commune demeure une base institutionnelle forte de l'exercice citoyen, de
l'exercice de la démocratie : 36 000 foyers de démocratie, avons-nous
l'habitude de dire, servis par plus de 500 000 élus locaux.
Quelle que soit la formule de coopération choisie par les élus entre leurs
communes, le volontariat ne peut pas être mis à mal. Volontariat et péréquation
par le biais de la solidarité nationale sont les deux piliers indispensables
d'une conception partagée de la coopération intercommunale.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos
se limitera strictement à l'intercommunalité.
L'intercommunalité, c'est presque devenu une affaire de religion : quand on
est pour, on est moderne ; quand on est réticent sur certains de ses aspects,
on est bon à jeter Dieu sait où.
Il faut se garder de ce genre d'excès ; il n'est pas question de religion en
la matière, encore moins de nirvana, nous le savons bien !
En réalité, le problème auquel nous sommes confrontés est celui de l'usure
inattendue et accélérée de la loi de 1992. Cette loi avait été rédigée autour
de l'idée que la coopération technique avait bien fonctionné, que la
coopération de projet existait peu - encore que, dans certaines régions, la
Picardie par exemple, un certain nombre d'initiatives avaient déjà été prises,
même si parfois elles ont quelque peu dévié - et se posait le problème de la
taxe professionnelle.
La taxe professionnelle était en effet exagérément concentrée dans les
communes dans lesquelles sont implantées les entreprises, qui créent la
ressource fiscale, alors que ceux qui y travaillent habitent dans les communes
voisines, qui doivent assurer les services de proximité sans disposer des
ressources correspondantes.
Tels étaient, à l'époque, les deux problèmes auxquels nous étions
confrontés.
Deux réponses ont été apportées. La première a consisté dans la création d'un
tronc commun - tel est le fondement même de la loi de 1992 sur les communautés
de communes et de villes - en matière de responsabilités minimales.
S'agissant de l'action économique, on a probablement trop fait rêver les
intéressés en faisant croire que les communes allaient relancer l'économie
grâce à la coopération et initier la communalité de projet d'aménagement de
leur espace. Voilà pour l'aspect « projet ».
Quant à l'aspect « taxe professionnelle », on a assisté à un début de
mutualisation à l'échelon des organismes de coopération intercommunale soit par
la taxe professionnelle de « zone », soit par la taxe professionnelle
unique.
Par ailleurs, il y a eu une incitation - et je crois que l'on a mis ainsi le
doigt dans un engrenage qui est en train de nous broyer - par le biais d'un
supplément de dotation globale de fonctionnement au profit des groupements. Eh
bien ! nous sommes devant un malaise tout à fait clair. Premièrement, la taxe
professionnelle mutualisée à l'échelon des groupements n'a pas fonctionné aussi
bien qu'on aurait cru. Si tel avait été le cas, des communautés de villes
auraient été créées partout...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est sûr !
M. Paul Girod.
... puisque c'est là où l'on va le plus loin.
Or, en dépit d'une incitation massive, ce sont elles qui se sont le moins
développées.
Voilà qui amène à se demander si le système intercommunal est le bon niveau de
péréquation de la taxe professionnelle. C'est sûrement un niveau. Est-ce le bon
? La question mérite d'être posée.
J'en viens au deuxième aspect : l'intercommunalité de projet. Soyons honnêtes
les uns et les autres : n'y a-t-il pas plus d'intercommunalité d'aubaine que
d'intercommunalité de projet ?
(Bravo ! sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Non !
M. Paul Girod.
Combien de communautés de villes et de communautés de communes - surtout de
communautés de communes - sont-elles nées de l'espoir qu'en mettant en commun
toute une série d'activités - ce que l'on faisait déjà - on allait créer une
fiscalité communautaire qui déboucherait sur une dotation globale de
fonctionnement relativement forte ?
En fait, cette fiscalité communautaire a abouti à ce que la dotation globale
de fonctionnement des groupements est en train de tuer la dotation globale de
fonctionnement tout entière, tout simplement parce qu'elle consomme, de
l'intérieur, comme un véritable cancer, la réalité de la dotation
d'aménagement.
Voilà qui mérite que l'on se pose quelques questions.
Il faut noter que certaines mutualisations, que ce soit pour les ordures
ménagères, les écoles ou les routes, bénéficiaient quelquefois d'une gestion
communautaire meilleure que la gestion individuelle. Si l'on ne peut pas dire
qu'il n'y a que l'effet d'aubaine, reconnaissons qu'il y en a eu aussi, surtout
quand on constate que l'on a mutualisé des contingents obligatoires. Dans ce
cas, la communauté de communes sert uniquement de lieu de passage, voire,
quelquefois, de lieu de redistribution de la dotation globale de fonctionnement
et de surplus.
Il règne donc un certain malaise. Il faut avoir le courage de le dire,
d'étudier des solutions. Mais je sais bien, monsieur le ministre, que vous
souhaitez dissiper ce malaise.
Peut-on modifier les paramètres de cette nécessaire mutualisation, de cette
nécessaire péréquation de la taxe professionnelle ? Selon moi, ce qui a été
fait à l'échelon des communautés de villes et des communautés de communes est
certes intéressant, mais insuffisant.
C'est insuffisant d'abord parce que certaines structures intercommunales n'ont
été créées que par pur égoïsme, pour redistribuer à l'intérieur de leur
groupement certaines ressources tout en faisant barrage contre l'intrusion
d'autres collectivités.
C'est insuffisant aussi parce que, par définition, l'espace géographique en
question est trop petit. Nous le voyons bien avec les problèmes qui se posent
avec les villes-centres et les hinterlands ruraux.
C'est la raison pour laquelle il faut également se poser le problème de la
mutualisation ou de la péréquation à l'échelon départemental et à l'échelon
national.
A l'échelon départemental, parce que c'est l'équivalent de quatre ou cinq
bassins de vie et que le problème qui se pose, c'est la péréquation de la taxe
professionnelle dans les bassins de vie.
Les pays n'étant pas des structures en tant que telles et étant probablement
trop disparates entre eux, le département me semble être le lieu d'une
péréquation valable, à condition qu'on alimente les fonds de péréquation
départementaux par d'autres ressources que celles qui proviennent des
établissements exceptionnels et qu'on accepte de les alimenter aussi par la
richesse exceptionnelle de telle ou telle collectivité de base.
Par ailleurs, monsieur le ministre, la péréquation nationale doit être plus
active. Mais cela suppose - je vais ainsi faire plaisir à M. Pagès, qui en sera
peut-être quelque peu étonné - une cotisation minimale de taxe professionnelle,
levée à l'échelon national, mais dont il serait souhaitable que l'Etat ne
confisque pas le profit pour résoudre une partie de ses propres problèmes au
lieu de contribuer à résoudre ceux des collectivités territoriales.
En ce qui concerne la dotation globale de fonctionnement maintenant, je suis
de ceux qui pensent que, malgré quelques excès de langage, d'engagement, voire
une certaine poésie, une part de ce qui constituait la base de la loi de 1992
est justifiée s'agissant de l'intercommunalité de projet.
Si l'on doit jouer sur la dotation globale de fonctionnement et en réformer la
distribution au niveau des groupements, plutôt que de construire ce que je
n'ose pas appeler une « usine à gaz » supplémentaire en instaurant de nouvelles
parts dans une dotation qui en comporte déjà deux, en instaurant des
sous-classes, etc., on ferait mieux d'étudier jusqu'à quel point a joué
l'attraction de l'aubaine par rapport à la nécessité réelle du projet.
Pour accéder à la DGF des groupements, il faut acquitter une espèce de droit
d'entrée, à savoir accepter deux vocations de base minimales : l'action
économique et l'aménagement de l'espace. Ne vaudrait-il pas mieux vérifier que
les groupements se sont vraiment emparés de ces deux domaines de base pour leur
donner le droit d'accéder, fût-ce au titre de la troisième compétence
optionnelle, qui est souvent celle qui engendre l'effet d'aubaine, à la DGF au
titre du groupement, plutôt que de se contenter d'observations purement
comptables qui n'empêcheront jamais certains de passer au travers des mailles
du filet ?
Monsieur le ministre, on raisonnerait mieux sur notre dispositif
d'intercommunalité actuel si l'on incluait dans la réflexion les raisons pour
lesquelles on l'a mis en place.
La loi de 1992 avait pour objet de promouvoir l'intercommunalité de projet
dans deux domaines essentiels de base où il est vrai que, compte tenu de
l'exception française, spécialement pour l'aménagement de l'espace, il était
nécessaire que les communes se rapprochent les unes des autres. S'il est vrai
qu'elles ont besoin d'avoir un minimum de projets économiques urbains, il leur
faut surtout parvenir à mutualiser les excès « caricaturaux », si je puis dire,
de l'hétérogénéité de la taxe professionnelle sur le terrain.
Ne vaudrait-il pas mieux, monsieur le ministre, à l'occasion des démarches qui
vont s'engager, s'assurer que les groupements répondent d'abord à l'une ou à
l'autre, et, si possible, aux deux vocations de base, avant d'entamer la
discussion sur la répartition de la DGF ? Avec un tel dispositif, on ferait
faire à la coopération intercommunale un pas en avant plus significatif que si
l'on se borne à éviter l'explosion de la DGF de l'intérieur.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, depuis
plusieurs années, les pouvoirs publics ne cessent d'encourager le développement
de la coopération. Une telle orientation est louable, compte tenu de l'extrême
émiettement de nos 36 500 communes, et il est désormais possible d'établir un
bilan, comme vous l'avez fait, des actions entreprises avant de tracer les
perspectives. Le débat vient donc à son heure et constitue une excellente
introduction à la discussion prochaine d'un projet de loi.
Les réformes récentes ont connu une réelle réussite, au moins en termes
quantitatifs. Il existe désormais 20 000 établissements publics, dont près de 1
300 dotés d'une fiscalité propre, ce qui représente quelque 50 milliards de
francs de dépenses, dont environ la moitié est financée par le produit des
taxes directes.
Mais toute croissance trop rapide est, bien sûr, difficile à maîtriser !
Il existe ainsi un contraste éclatant entre la simplicité des fondements
conceptuels de l'intercommunalité et la complexité des formules de sa mise en
oeuvre.
Distinguons donc deux types, deux types seulement, de fondements.
La première justification de l'intercommunalité, c'est la nécessité
d'organiser, à des fins d'économies d'échelle, la gestion de services publics
qui sont indispensables à la satisfaction des besoins des administrés. C'est le
principe qui a inspiré les systèmes de collecte et de traitement des ordures
ménagères, de distribution de l'eau, d'aménagement de l'assainissement. Les
modes de fonctionnement doivent, ici, fort bien s'accommoder des techniques
éprouvées de recours aux contributions budgétaires ou fiscalisées.
La deuxième justification de l'intercommunalité, c'est l'élaboration de
véritables projets de développement économique, à incidences d'aménagement du
territoire. Dans ce domaine, il est évidemment nécessaire de confier aux
conseils des groupements un pouvoir propre sur les recettes fiscales, notamment
de les doter du monopole de perception de la taxe la plus productive : la taxe
professionnelle.
Ce schéma élémentaire n'a pourtant pas été suivi. On a assisté à une
démultiplication de catégories juridiques d'établissement public, chacune ayant
ses caractéristiques propres, lesquelles s'ajoutent et s'imbriquent de telle
sorte que le paysage de l'intercommunalité apparaît pour beaucoup complexe,
embrouillé, voire byzantin.
Ainsi, dans nos départements, le ramassage des ordures ménagères est effectué
souvent de manière primaire par les services d'une commune ou d'un syndicat,
lesquels font ensuite appel à un autre établissement public pour leur
destruction.
Trois niveaux de décision s'ajoutent donc fréquemment les uns aux autres.
Chaque commune, chaque établissement public a ses délégués, et l'on a vu
fleurir, ici ou là, un système jusqu'alors peu recommandé par le droit
administratif celui de la délégation, de délagation : à l'heure actuelle, les
communes délèguent des pouvoirs à des représentants de groupements, lesquels
délèguent des personnes pour les représenter dans d'autres structures. Dès
lors, la « traçabilité » d'une décision est souvent difficile à repérer.
L'empilage de formes juridiques a l'inconvénient de « balkaniser » les
domaines d'intervention communale au gré des avantages que les communes croient
retirer ici ou là. Ainsi, de nombreuses communes, outre leurs propres
établissements publics - par exemple le centre communal d'action sociale, le
CCAS - doivent participer le plus souvent à divers syndicats - syndicats à
vocation unique ou à vocation multiple - à des communautés de communes, ce qui
entraîne la multiplication de réunions pour les représentants de communes.
Par conséquent, ce qui devait être une simplification est devenu une grande
complication. Et l'on a aggravé ce phénomène en donnant aux communautés de
communes le choix entre plusieurs possibilités fiscales.
Au demeurant, comme cela arrive souvent pour toute forme de gestion publique,
on a souvent changé de cap.
Souvenons-nous, en effet, du long débat que nous avons eu au cours de l'année
1994, qui portait sur l'aménagement du territoire et qui nous a permis
d'aboutir à la loi du 4 février 1995. Le débat a été long, certes, mais il a
été constructif et l'on pouvait espérer que toutes nos énergies seraient
soutenues par cet objectif de l'aménagement du territoire.
Or, que constate-t-on ? Dans le mouvement de développement de
l'intercommunalité, de création de communautés de communes, de communautés de
villes, etc., ce sont souvent les préoccupations de gestion courante qui
l'emportent, avec parfois la complicité bienveillante - il faut le regretter -
de ceux qui auraient pour mission de faire respecter la légalité.
Est-il nécessaire, en 1997, que le législateur rappelle que les contingents
d'aide sociale ne sont pas transférables et ne devraient pas, par ricochet,
alimenter la DGF, alors que nos principes juridiques devraient avoir permis au
contrôle de légalité d'éviter tout cela ?
Je suis de ceux qui pensent qu'il n'est pas utile que la loi intervienne dans
un domaine où les principes fondamentaux devraient s'appliquer tout simplement
et depuis longtemps.
Quand la loi du 4 février 1995 rappelle que les communautés de communes ont
d'abord une vocation de développement économique, comment ne pas s'étonner que
l'essentiel des dépenses des groupements à fiscalité propre existants soient
constituées essentiellement de charges de fonctionnement ?
M. Paul Girod.
Et voilà !
M. Joël Bourdin.
D'ailleurs, je dresserai un constat significatif : dans l'excellent prérapport
que vous nous avez remis, monsieur le ministre, quatorze pages, c'est-à-dire 10
% de ce document rapport, sont consacrées à ce sujet évidemment important et
intéressant qui concerne la gestion des ordures ménagères !
Qui aurait pu imaginer, il y a trois ans, lorsqu'on évoquait l'émergence des
périmètres de solidarité économique, qu'aujourd'hui nos débats porteraient sur
le transfert des charges de fonctionnement des communes aux communautés de
communes ?
A la vérité, nous avons fait fausse route et nous avons élaboré des mécanismes
d'incitation pervers, qui ne l'auraient pas été - j'y insiste - si la légalité
des décisions avait été surveillée plus étroitement.
En liant l'attribution de la DGF à un mécanisme d'intégration fiscale, et rien
qu'à cela, nous avons commis une erreur, c'est certain. Il s'agissait d'une
condition nécessaire mais pas suffisante, loin de là.
D'ailleurs, voilà quelques annéees, lors de débats antérieurs, j'avais
préconisé que le coefficient d'intégration fiscale soit corrigé par un
coefficient de solidarité tenant compte du caractère effectif des dépenses de
solidarité. Cela serait conforme à l'objectif de la loi, qui prévoit que les
communautés de villes et les communautés de communes devront s'intéresser
d'abord à des projets économiques et d'aménagement de l'espace.
Le système qui est appliqué en ce moment n'est ni opérationnel ni juste.
Tout d'abord, il n'est pas opérationnel, car beaucoup trop de communautés
créées récemment ne sont que des coopératives ou des GIE de fonctionnement, ce
qui est, certes, astucieux, mais n'atteint que partiellement - parfois pas du
tout - l'objectif de la loi : aboutir à des investissements, à des projets de
nature économique.
M. Robert Pagès.
Ce sont les moyens qui font défaut !
M. Joël Bourdin.
Bien sûr !
Ensuite, ce système n'est pas juste car, lorsque des flux de DGF sont affectés
à des communautés de communes, par exemple, en vertu de l'application d'un
principe de simple transfert des charges de fonctionnement, une partie des
ressources allouées est retranchée de la distribution de la DGF qui est
affectée aux autres communes.
Ainsi, dans le partage de la dotation d'aménagement du territoire, on peut
soutenir que certaines communes, directement ou indirectement, se voient
allouer une DGF plus importante que d'autres, donc au détriment de ces autres.
Ce n'est pas normal !
Quand la DGF des groupements « pince » de plus en plus, dans la dotation
d'aménagement, la DSU et la DSR, il est temps de se demander s'il ne faut pas
déconnecter la DGF des groupements de la dotation d'aménagement.
On sait - et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre - que
l'évolution inéluctable de la DGF, du moins à règle constante, des groupements
de communes, risque, dès 1998, de rendre complètement dérisoire la DSU ou la
DSR, malgré un certain nombre de cliquets placés ici ou là.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je tenais à dire sur ce sujet.
Je souhaite également insister sur le fait que, en privilégiant les
groupements de communes pour l'attribution de la DGF afin d'encourager les
projets, on aurait pu faire l'économie d'un certain nombre de moyens
financiers. Peut-être aurait-il fallu passer par la dotation de développement
rural, la DDR !
Dès lors que nous insistions sur le fait que les communautés de communes
étaient des communautés de projets, il était anormal que l'on attribue des
moyens en privilégiant le fonctionnement. Il aurait peut-être été plus logique
- mais peut-être peut-on encore modifier les choses - d'intervenir au moyen
d'une dotation que l'on maîtrise mieux, la dotation de développement rural qui,
elle, est affectée à l'investissement.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Je conclus, monsieur le président.
Je souhaite également attirer votre attention, monsieur le ministre, sur deux
problèmes de nature différente. Je serai bref.
Tout d'abord - et je vous ai déjà posé une question d'actualité sur ce sujet -
n'y a-t-il pas une contradiction entre la politique de votre ministère sur les
groupements de communes et la politique du ministère de l'aménagement du
territoire, qui semble indiquer que l'avenir de la France, ce sont quelques
communautés urbaines et quatre cents ou cinq cents pays, alors que,
actuellement, on autorise la création de communautés regroupant trois ou quatre
communes ?
Ensuite - il s'agit d'une question technique - nous avons voté ici même, lors
de l'examen du projet de loi de finances pour 1997, une disposition permettant
aux syndicats de voirie de récupérer directement la TVA sans passer par les
communes. Il existe d'autres cas analogues où c'est par l'ingénierie
administrative que l'on parvient à régler les problèmes de récupération de TVA.
Ne pensez-vous pas que, à la faveur du texte que nous examinerons dans quelques
semaines, nous pourrions élargir ces facultés dérogatoires de récupération de
la TVA par certaines catégories de groupements de communes ?
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions et questions que je
souhaitais présenter, en vous félicitant d'avoir eu le courage de déposer un
texte qui ne fera pas que des heureux.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant
participé au groupe de travail de la commission des lois sur la
décentralisation, j'indique que j'approuve, bien entendu, les conclusions
auxquelles est parvenu celui-ci et les propositions qui ont été faites. Je n'ai
rien à ajouter à l'excellent rapport de M. Hoeffel et à la vision européenne et
planétaire de M. Delevoye de l'avenir des collectivités locales, et les
comparaisons me paraissent très utiles.
S'il est vrai que le rapport traite essentiellement le thème de la coopération
intercommunale, il aborde aussi quelques autres aspects.
Dans notre pays, la coopération intercommunale tient du paradoxe : d'un côté,
nous voulons que l'ensemble de la France fonctionne avec des structures
équivalentes et, de l'autre, nous multiplions les formes de coopération. Les
stratifications sont extraordinaires, si bien que plus personne n'y comprend
rien, notamment nos concitoyens, à l'exception, bien entendu, des élus et des
fonctionnaires qui gèrent ces organismes de coopération.
Pour certaines collectivités territoriales, sont apparues des charges de
structures qui s'accumulent. J'aimerais que l'on en fasse le compte de temps en
temps.
Comme le propose le groupe de travail, il faut simplifier les choses, monsieur
le ministre. Est-il normal, aujourd'hui, que l'on puisse créer un district
simplement sur la base du service départemental d'incendie et de secours,
lequel est dorénavant transféré, de par la loi, au département ? Le problème du
logement a-t-il un sens ? C'était dans un contexte très particulier - lors de
la création des districts - et cela ne correspond plus du tout à la politique
en matière de logement.
Dans l'avant-projet de la loi de 1992, se manifestait une volonté de modifier
le système actuel. En définitive, on a tout gardé et on a rajouté d'autres
structures.
Certaines des structures instituées n'ont pas rencontré le succès escompté,
telles les communautés de villes. Les communautés de communes fonctionnent
bien. D'ailleurs, les créations de districts se sont poursuivies, parce qu'il
s'agit d'une structure qui peut paraître plus souple.
Bien entendu, l'intercommunalité de services telle qu'elle fonctionne doit
être maintenue mais il faut fédérer toutes les autres formes de coopération
intercommunale, en dehors des communautés urbaines, qui correspondent à un
besoin des grandes agglomérations.
On peut également se poser la question de la péréquation, elle a souvent été
évoquée.
Lorsqu'on veut encourager la coopération, il faut mettre en oeuvre des moyens
incitatifs. Cela commence souvent ainsi. Toutefois, comme le disait M. Paul
Girod, des communautés de communes ou d'autres formes d'organismes de
coopération se sont construites uniquement pour des raisons financières, sans
solidarité réelle. Il faut mettre un terme à ces formes de coopération qui n'en
sont point.
Je tiens aussi à rappeler que, dans le cadre de la décentralisation, la
péréquation doit concerner un domaine beaucoup plus vaste : il faut conserver
la DSR et la DSU, qui correspondent, selon moi, aux besoins réels des
collectivités, des régions et de la France entière.
Toute décentralisation dans tout pays décentralisé s'accompagne de
péréquations fortes. Si l'on ne retenait pas ce principe, je crois que l'on
commettrait une erreur. Il ne faudrait pas que cette péréquation nécessaire
soit « mangée » par une fausse coopération intercommunale. Il y a donc, en la
matière, un certain nombre de choses à faire.
Monsieur le ministre, je crois que vous n'êtes pas favorable à ce que l'on
sorte les contingents du coefficient d'intégration fiscale. Mais on peut y
réfléchir. En effet, cela n'a pas de sens dès lors qu'il s'agit seulement de
transferts financiers.
J'évoquerai un dernier point. Au sein du groupe de travail, a été évoquée une
fois de plus la fonction publique territoriale. Nous avons beaucoup légiféré à
son propos. Vous avez d'ailleurs récemment présenté un projet de loi sur ce
sujet, monsieur le ministre.
Si l'on veut avoir une fonction publique territoriale de qualité, il ne faut
pas laisser chaque collectivité faire comme elle veut ; un certain nombre de
règles sont nécessaires.
Par ailleurs, il faut assurer une garantie de carrière, mais aussi ménager des
perspectives d'avancement aux fonctionnaires. De ce point de vue, je me réjouis
que le Centre national de la fonction publique territoriale ait transféré
l'Institut supérieur de formation à Strasbourg, soit près de l'ENA. Des
rapprochements pourront ainsi avoir lieu entre les deux fonctions publiques.
Cela ne peut que favoriser à la reconnaissance de la fonction publique
territoriale.
Au demeurant, les élus locaux ont à gérer un paradoxe : s'ils veulent avoir,
dans leur fonction publique territoriale, des jeunes brillants et compétents,
ils doivent leur garantir une carrière qui ne puisse être brisée par des
incidents de parcours.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Larché.
M. Jacques Larché.
Monsieur le président, monsieur le ministre, la décentralisation, dont
l'intercommunalité est l'un des aspects importants, est, pour nous, une
création continue. Au sein de notre Haute Assemblée, nous la vivons tous les
jours car nous la pratiquons sur le terrain.
Cette pratique, contrairement à ce que certains font profession de croire,
ceux-là mêmes, d'ailleurs, qui se livrent à de véritable dérapages verbaux -
sur ce point, je souscris tout à fait au propos de mon collègue et ami M.
Peyronnet - nous aide puissamment dans la réflexion que nous devons mener en
notre qualité de législateur.
Issues de cette réflexion, les conclusions du groupe de travail animé par MM.
Jean-Paul Delevoye et Daniel Hoeffel constituent un exemple particulièrement
intéressant et fructueux.
Nous avons, en la matière, à gérer une très longue tradition, car les lois de
1982, auxquelles le souvenir de Gaston Defferre reste très légitimement
attaché, auront constitué l'achèvement - le point d'orgue, en quelque sorte -
d'une oeuvre entreprise auparavant.
L'histoire de nos communes et de nos départements se confond avec celle du
développement de notre pays et de l'affermissement de la démocratie locale.
L'apparition de la région en tant que collectivité territoriale à part entière
a, sans aucun doute, modifié quelque peu cet équilibre.
L'expérience montre que, lorsque les bonnes volontés se rencontrent, des
collaborations fructueuses sont parfaitement possibles. Elles sont nécessaires,
et ce d'autant plus que les interventions des collectivités locales constituent
l'essentiel des investissements publics de notre pays.
Il n'est pas inutile d'en rapprocher le montant considérable des quelque 300
milliards de francs que l'Etat est obligé de consacrer au sauvetage
d'entreprises publiques dont la gestion déplorable a conduit aux résultats que
l'on sait, sauvetage qui l'empêche, d'ailleurs, de se consacrer autant qu'il le
devrait à ses tâches essentielles, c'est-à-dire à ses tâches régaliennes.
Nos collectivités locales - la recherche de l'intercommunalité en est un
exemple - fortes de leur tradition ou de leur nouvelle expérience sont
confrontées à un devoir constant d'adaptation.
De nos communes, d'aucuns disent qu'elles sont trop nombreuses. Je ne partage
pas cet avis, car on oublie que, derrière elles, il y a quelque 500 000
conseillers municipaux, qui constituent l'un des derniers corps intermédiaires
dont notre pays dispose. Elles sont un foyer de démocratie. On peut les inciter
au regroupement à condition que celui-ci soit organisé dans la clarté et
volontaire.
Le département, quoi qu'en pensent certains, constitue une structure bien
vivante. Il est un modèle d'administration de proximité et il est, par nature,
le cadre dans lequel s'harmonisent les décisions concernant tous ceux qui y
vivent. Les autorités départementales savent parfaitement, s'il le faut,
outrepasser leurs compétences pour suppléer parfois aux carences de l'Etat.
La région doit prendre garde à ne pas faire sienne l'idée caressée par
certains que son destin naturel fait d'elle la seule collectivité de
l'avenir.
Nous devons prendre garde, enfin, à ce que certaines innovations qui ont pu
paraître séduisantes ne viennent pas compliquer une carte administrative déjà
suffisamment complexe.
Reste enfin la vigilance dont nous devons faire preuve à l'égard de l'Etat.
Nous savons bien qu'il n'a pas suivi l'évolution naturelle qui aurait dû
découler de la décentralisation. Je me suis toujours interrogé sur le nombre de
fonctionnaires de la rue de Grenelle transférés dans les collectivités
territoriales, alors que ce sont maintenant les régions et les départements qui
s'occupent, les unes des lycées, les autres des collèges.
Les transferts de compétences n'ont pas, loin de là, toujours été accompagnés
des transferts de ressources financières ou humaines nécessaires.
Aucun des grands problèmes auxquels notre société doit faire face ne se
résoudra au niveau de l'Etat seul. Le rôle des collectivités territoriales peut
être déterminant, mais nous avons derrière nous des décennies de jacobinisme,
et même d'absolutisme royal, et nous n'avons peut-être pas intégré
intellectuellement de manière suffisante et totale les conséquences de la
décentralisation.
Il faut admettre que décentralisation et diversité vont de pair. C'est que la
décentralisation, de manière inévitable - ou alors il n'y a pas
décentralisation - découle d'une reconnaissance des capacités différentes et
des diversités de solutions.
Soyons attentifs à ce qu'une politique dite d'aménagement du territoire,
nécessaire sans doute, n'en arrive pas à brider les initiatives locales.
N'oublions pas que la reconnaissance des collectivités territoriales, actives
et diverses dans leurs capacités, dans leurs interventions, est le seul moyen
dont nous disposons pour répondre à cette autre spécificité française, trop
souvent passée sous silence : la nécessaire gestion d'un espace insuffisamment
peuplé.
Mes chers collègues, il nous reste beaucoup à faire en la matière. Je suis
persuadé que les conclusions du groupe de travail qui a engagé une réflexion
remarquable nous aideront dans cette tâche sans cesse renouvelée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'excellent
rapport du groupe de travail sur la décentralisation est un précieux outil de
réflexion sur la coopération intercommunale et ses perspectives. Je m'associe
avec plaisir aux compliments adressés à Daniel Hoeffel et Jean-Paul
Delevoye.
Voici quelques remarques que m'inspire l'observation de la coopération
intercommunale telle qu'elle se pratique sur le terrain.
La notion d'intercommunalité a été accueillie comme une innovation introduite
par la loi d'orientation du 6 février 1992, alors que l'intercommunalité était
de longue date mise en oeuvre à des degrés divers, au travers des syndicats à
vocation unique, souvent des syndicats à vocation multiple et parfois des
districts.
Elle a été accueillie avec intérêt, mais aussi avec scepticisme.
Il fut nécessaire de rassurer nombre d'élus locaux, de les convaincre de la
volonté de l'Etat de favoriser le renforcement de la coopération
intercommunale, sans intention de préparer insidieusement l'absorption des
petites communes.
Il a fallu persuader que l'on s'en tiendrait à la règle du volontariat, mais
aussi faire admettre qu'au sein d'un groupement l'action économique globale ne
pouvait qu'être bénéfique à chacune des communes membres.
Après cinq ans d'efforts, la nécessité de travailler ensemble est reconnue
comme vitale.
Mois après mois, de nouvelles communautés sont créées, des SIVOM sont
transformés, le SIVOM constituant d'ailleurs par lui-même une structure
efficace.
Dans ces conditions, il est opportun, non pas « d'afficher » une intention de
réforme, mais plutôt d'évoquer la nécessité de simplification, voire
d'harmonisation des procédures.
Nous constatons que la communauté de communes est le type d'établissement qui
emporte une large adhésion. L'espace de liberté qui caractérise son
fonctionnement et permet son évolution progressive au gré de la volonté des
élus convient au plus grand nombre.
Elle regroupe aussi bien ville-centre et communes suburbaines, ville-centre et
communes rurales, que petites communes entre elles, de deux, trois, à plusieurs
dizaines. Elle adopte, selon le cas, le périmètre d'une agglomération, d'un
canton, d'un syndicat, d'une charte ou d'un pays.
Je suggère, ici encore, que l'on maintienne sans modification significative ce
cadre institutionnel apprécié.
Bien sûr, les mesures fortes d'incitation financière ne sont pas étrangères au
succès de la coopération voulue par la loi de 1992. Mais, si l'intercommunalité
de projet orientée vers le développement économique devient peu à peu réalité,
subsiste cependant la possibilité d'ententes particulières pour la gestion de
divers services.
A ce sujet, je voudrais insister, monsieur le ministre, sur l'intérêt que
présente pour les communautés de communes l'exercice de compétences
facultatives telles que celles qui sont dévolues aux SIVOM. La direction
générale des collectivités locales n'ignore pas l'exemple de SIVOM transformés
en communautés de communes dont les compétences à la carte ne peuvent être
mieux exercées qu'à l'intérieur des nouvelles communautés. Sans cela, les
situations sont inextricables : il faut créer tel nouveau SIVU pour les
transports, tel autre pour le service des eaux, etc., maintenir un SIVOM, ou
encore établir des conventions particulières.
Plus précisément, c'est le fondement de ce qui a réuni les communes dans un
premier cercle de coopération qui se trouve déprécié. Le pacte initial perd de
sa consistance, alors que les nouvelles compétences n'ont pas encore acquis les
vertus nécessaires à la cohésion.
Bien entendu, ces activités facultatives ne doivent pas modifier, en le
faussant, le coefficient d'intégration fiscale. Toutes les précautions
budgétaires et comptables sont possibles à cet effet. Leur application est
simple : la comptabilité analytique et les budgets annexes sont conçus pour
cela.
En matière de taxe professionnelle, la question a été posée de savoir s'il
fallait procéder à un rapprochement des taux afin de réduire les concurrences
abusives entre communes pour l'implantation des entreprises sur leur
territoire.
Ce problème ne semble pas concerner uniquement les groupements de communes. Il
est plus large et s'adresse à toutes les communes en concurrence, qu'elles se
situent dans la même agglomération ou qu'elles appartiennent à des
agglomérations différentes.
La généralisation d'une taxe professionnelle unique d'agglomération aurait
donc des effets limités.
Elle conduirait cependant à imposer aux communautés de communes l'application
du régime fiscal des communautés de villes, lequel n'a pas eu jusqu'ici la
faveur des collectivités territoriales. Ce régime figure parmi les options
possibles pour les communautés de communes, mais celles-ci accordent une
préférence à la fiscalité additionnelle d'autant plus facilement qu'elles
accompagnent leurs initiatives de la création de zones d'activités par
l'institution d'une taxe professionnelle de zone.
C'est pourquoi je pense qu'exiger des communautés de communes en place
l'application d'une taxe professionnelle d'agglomération serait une mesure
contraire au respect du principe fondamental du volontariat pour le
regroupement intercommunal.
En revanche, toute mesure à ce sujet devrait être soit envisagée
indépendamment de l'existence ou de l'absence d'un établissement de
coopération, soit laissée à la libre appréciation des élus locaux.
Voilà, rapidement brossés, quelques aspects de la vie intercommunale, dont la
qualité tient essentiellement à la clairvoyance et à la volonté de ses
acteurs.
(Applaudissements sur les travées de l'union centriste et des républicains et
indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'agissant
d'un débat sur les perspectives de la coopération intercommunale, je tiens
d'abord à dire le bien que je pense de celle-ci pour l'expérimenter depuis
vingt ans, mais je voudrais aussi tirer un enseignement des dysfonctionnements
que j'ai pu observer, particulièrement ces dernières années, avec l'emballement
des communautés de communes.
Avant tout, il me paraît important de bien clarifier l'objectif. S'il s'agit
de fusionner les communes par la voie financière et économique parce qu'on n'y
est pas arrivé par le volontariat ou la voie législative, je reconnaîs qu'on a
peut-être mis en place les bonnes mesures.
Mais j'ai la faiblesse de penser que nous sommes trop respectueux de la
légitimité des communes pour envisager de telles méthodes et que le véritable
objectif est bien d'optimiser au maximum l'emploi de l'argent public, de
rationaliser les équipements et l'occupation des espaces et d'équilibrer nos
territoires en apportant au plus près du citoyen le travail, les services et
les commodités auxquelles il aspire.
Dès lors, il me paraîtrait opportun, dans les mesures à prendre demain, de
bien veiller à favoriser l'intercommunalité authentique, faute de quoi il
pourrait y avoir des conséquences dommageables pour les communes, bien sûr,
mais aussi pour les entreprises et les ménages.
On ne peut pas dépouiller les petites communes de moyens financiers importants
au profit de structures intercommunales qui ne correspondent ni à un souci de
bonne gestion ni à des actions de développement, mais qui ne sont en fait que
des regroupements d'opportunité n'apportant aucune valeur ajoutée à la
collectivité.
M. Daniel Hoeffel.
C'est exact !
M. Francis Grignon.
On ne peut pas continuer à faire payer aux ménages et aux entreprises des
impôts communaux pour des actions qui deviennent intercommunales - et pour
lesquelles ils paieront plus tard des impôts - mais qui ne sont, là encore, ni
de bonne gestion ni de développement.
Le rapport de M. Hoeffel a bien fait état de ces anomalies en soulignant que
le degré d'intégration fiscale tel qu'il est mesuré ne correspond pas toujours
à l'exercice de compétences ni à des transferts de charges effectifs entre les
communes et les groupements.
Néanmoins, je ne pense pas que les contingents d'aide sociale et d'incendie
soient les seuls à devoir être soustraits du calcul du produit fiscal du
groupement pour corriger le coefficient d'intégration fiscale. J'ai cependant
noté que, en introduction, le rapporteur avait indiqué qu'une nouvelle notion
pourrait être mise en oeuvre à travers la prise en compte des ressources
affectées aux compétences exercées.
Quelles sont, alors, les actions intercommunales qu'il y a lieu d'encourager ?
Elles sont, à mon avis, de trois ordres.
Il s'agit, premièrement, de celles qui apportent un service qu'une commune
seule ne pourrait pas mettre en oeuvre. Je pense à l'assainissement, au
traitement des ordures ménagères mais aussi à des « gardes nature » comme ceux
que nous avons mis en place dans notre secteur.
Il s'agit, deuxièmement, des actions qui rationalisent les équipements - c'est
le fondement de l'intercommunalité -, qu'il s'agisse du gymnase du collège, de
la gendarmerie ou du centre de secours principal. Cette intercommunalité-là a
fait ses preuves.
Il s'agit, troisièmement, d'actions plus délicates à mettre en oeuvre : celles
qui ont pour but de catalyser le développement. Cette nouvelle intercommunalité
suscite le scepticisme de certains, mais c'est celle que je vis depuis
plusieurs années.
Elle s'est traduite, sur le plan économique, par la création d'une zone
d'activités commune destinée à accueillir des entreprises nouvelles, par une
ORAC - opération de restructuration de l'artisanat et du commerce - en vue de
dynamiser le commerce et l'artisanat, par une OPAH - opération programmée
d'amélioration de l'habitat - permettant de réhabiliter les logements
anciens.
Elle s'est aussi traduite, sur le plan social, par un « espace jeunes », qui
est constitué de locaux, bien sûr, mais qui implique également des moniteurs
allant à la rencontre, dans chaque commune, des jeunes les plus désoeuvrés pour
les redynamiser.
Voilà, dit en quelques phrases, monsieur le ministre, ce que je considère
comme l'intercommunalité authentique, qu'il y a lieu de préserver et
d'encourager.
Il est temps d'analyser très en détail les actions à promouvoir. Je souhaite
d'ailleurs, monsieur le ministre, vous demander quel type d'intercommunalité
vous allez retenir pour l'attribution de la DGF. En effet, il ne faudrait pas
que, globalement, l'intercommunalité passive, ou d'opportunité, neutralise
l'intercommunalité active, de gestion positive, de solidarité et de projet.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Je voudrais d'abord remercier tout spécialement les
membres du groupe de travail de la commission des lois pour leur excellent
ouvrage. Celui-ci me sera, qu'ils en soient certains, très utile pour mettre la
dernière main au projet de loi sur l'intercommunalité, dont il a été beaucoup
question ce matin. En effet, les arbitrages n'étant pas encore rendus, le texte
reste tout à fait « ouvert », ce qui donne tout son sens à notre débat
d'aujourd'hui.
Avant d'évoquer plus particulièrement l'intercommunalité, je souhaite formuler
un certain nombre de réflexions plus générales concernant la
décentralisation.
Je me souviens que, avant même les débats qui ont abouti aux lois de 1982 et
de 1983, le thème de la décentralisation avait fait l'objet d'un rapport de M.
Guichard, intitulé
Vivre ensemble
, que j'avais beaucoup étudié en un
temps où je n'étais pas encore entré dans la vie politique proprement dite.
Depuis, le mouvement de décentralisation est bien devenu une réalité, de
nombreux orateurs l'ont dit avant moi.
Je tiens à dire ici, au nom du Gouvernement, que le bilan de cette
décentralisation est bon.
Le développement de la décentralisation a en effet correspondu à une
amélioration qualitative incontestable et considérable des services rendus au
public. Il n'est que de constater, ce que nous faisons régulièrement les uns et
les autres, les changements opérés dans la physionomie de nos villes et de nos
communes rurales ou encore l'ampleur de la modernisation des structures
d'enseignement, qu'il s'agisse des lycées ou des collèges, ou encore des
universités, en faveur desquelles les collectivités locales se sont aussi
largement impliquées.
Nos élus locaux ont su se saisir des nouvelles responsabilités qui leur ont
été confiées il y aura bientôt une quinzaine d'années. Leur apport est ainsi
devenu décisif, comme l'a dit le président Larché, dans l'équipement du pays et
dans la conduite de politiques aussi essentielles que celle des transports ou
celle de l'action sociale.
Certains inconvénients, dénoncés parfois par des observateurs en mal de «
formules chocs », ne doivent pas occulter cette réalité profonde, qui est bien
plus importante.
Le deuxième élément positif du bilan de la décentralisation réside dans le
rapprochement qu'elle a incontestablement favorisé entre la puissance publique,
au sens large, et le citoyen, et c'était aussi un de ses enjeux majeurs.
Chacun a maintenant bien compris que tout ne doit pas ou, plus exactement, ne
peut pas se décider à l'échelon central. Il est indispensable que, pour la
plupart des services publics, les citoyens trouvent une réponse au niveau des
administrations locales, s'agisse aussi bien de celles des collectivités
territoriales que les services déconcentrés.
Depuis une vingtaine d'années, les responsabilités liées à la gestion de
proximité ont été largement redistribuées de l'Etat vers les collectivités
territoriales et, pour l'essentiel, votre rapport, monsieur Hoeffel, conclut au
caractère positif de ce dispositif.
Cela dit, j'ai la conviction profonde que la décentralisation n'est pas un
état stable : la décentralisation est et doit demeurer un mouvement, ainsi que
l'ont fort bien souligné M. Hoeffel et le président Larché.
Il nous faut donc inlassablement tendre à son approfondissement, en tenant
compte, bien sûr, de l'évolution des contraintes et en mettant en cohérence les
objectifs nationaux et les politiques locales.
Pour l'Etat, l'orientation est claire : il faut continuer à donner à la
décentralisation les moyens de son développement, au service du citoyen, à
l'encontre des faux débats que le rapport relève.
Permettez-moi de revenir sur quelques-uns d'entre eux.
A mes yeux, il n'y a lieu ni de contester la décentralisation, contrairement à
ce que donnent à penser certains discours alarmistes sur sa dérive, ni de
considérer que tout resterait à refaire, comme le prétendent ceux qui estiment
qu'elle est en panne, sans d'ailleurs toujours formuler de réelles propositions
pour la faire repartir.
Il n'y a pas de lieu, non plus, contrairement à ce qui ressort de certaines
conceptions par trop théoriques, dont ne pourraient découler que des solutions
plaquées d'en haut, de remettre en cause la carte territoriale, qui reconnaît
la valeur ajoutée propre de chaque catégorie de collectivités, ni de
contrecarrer la libre initiative des élus locaux sur le terrain.
A mes yeux, il est deux approches qui ne doivent surtout pas être confondues,
car elles sont, en vérité, bien différentes : d'une part, une approche centrée
sur l'aménagement du territoire, qui peut effectivement suggérer la mise en
commun de moyens, des réflexions en commun, la création de synergies
territoriales ; d'autre part, une approche - c'est la mienne parce que c'est
mon rôle de l'avoir -, qui permet sur un plan institutionnel, d'améliorer ou de
construire certaines solidarités.
Je pense qu'il nous faut étudier concrètement tous les points qui appellent,
de la part de l'Etat comme des collectivités territoriales, des améliorations
réelles. C'est l'orientation qui a guidé et qui continuera de guider l'ensemble
des actions convergentes que j'ai essayé de lancer depuis quelques mois.
Tout d'abord, je suis convaincu que la décentralisation - j'y reviendrai plus
longuement dans un instant - a besoin d'une évolution des structures
territoriales pour être un cadre plus efficace à l'exercice des compétences.
Elle a, en même temps, besoin d'une simplification, ainsi que l'ont dit M.
Hoeffel et d'autres orateurs. A cet égard, la priorité, c'est effectivement la
coopération intercommunale : c'est ce grand chantier que nous avons ouvert.
Notre pays a une identité assise sur un réseau de communes, tous les
intervenants l'ont relevé. Il dispose d'échelons territoriaux de solidarité et
d'animation.
Cette réalité est une richesse. Bien sûr, elle est source de complexité, mais
la vie est souvent complexe. Elle impose d'écarter toute idée d'échelons
supplémentaires - cela doit être bien clair - ou de bouleversements
institutionnels susceptibles de casser la dynamique de l'engagement des élus
locaux. C'est sur cette base qu'il faut se préoccuper d'apporter aux
collectivités locales des instruments de coopération et de complémentarité plus
simples, mieux adaptés, correspondant à des choix du temps présent.
C'est pourquoi j'ai mené la concertation que vous savez sur le projet de loi
relatif à l'intercommunalité, concertation que ce débat conclut en quelque
sorte, avant que le projet de loi soit rédigé.
En complément de cette démarche, je vois la nécessité de clarifier les règles
du jeu et de mettre au point certains garde-fous en matière financière.
Nous devons prolonger le mouvement de la décentralisation dans un contexte de
contraintes financières, où la dépense publique doit être maîtrisée, et alors
que nous avons le souci de modérer les prélèvements. Dans le même temps, nous
voulons opérer une redistribution des ressources sans déstabiliser les budgets
locaux. Nous voulons également assurer aux collectivités une plus grande
sécurité et une capacité de prévision.
C'est tout le sens des réformes qui ont été engagées jusqu'ici et de celles
que je souhaite mettre au point.
Je pense à la réforme, en 1993, de la dotation globale de fonctionnement, qui
a permis de dégager des marges de péréquation et des moyens propres à financer
l'intercommunalité, et à la réforme de la dotation de solidarité urbaine que
nous avons menée à bien, voilà tout juste un an, pour renforcer la péréquation
dans le contexte financier de 1996.
Je pense aussi à la mise en place du pacte de stabilité financière triennal,
qui a été évoqué de nouveau ce matin en même temps que le souhait, logique et
bien compréhensible, de passer de la stabilité des seules ressources à celles
des ressources et des dépenses.
A cet égard, je suis moi-même tout à fait conscient de la nécessité
d'envisager avec plus de rigueur les conséquences financières des normes,
qu'elles soient nationales ou européennes. Il faut en effet savoir raison
garder, car, sinon, ce seront les citoyens, et pas seulement les élus locaux,
qui un jour se révolteront.
L'effort de vigueur implique aussi la mise en oeuvre d'une logique dans
l'appréciation des charges. Les études menées par la commission de concertation
et de l'évaluation des charges ainsi que par l'observatoire des finances
locales sont à cet égard très utiles, notamment pour expliquer les distorsions
entre la recette et la dépense.
Enfin, sans être comptable de formation, je suis convaincu que la mise en
oeuvre de la M 14, même si c'est un sujet parfois difficile, nous permettra de
mieux évaluer la situation financière des collectivités locales sur la durée.
Un jour, nous nous féliciterons d'avoir consacré des mois et même des années à
réformer nos modes de fonctionnement.
Toutefois, la démarche évolutive dont je viens de rappeler quelques étapes
doit être complétée par une prise en compte plus précoce des difficultés
financières des collectivités locales - j'y travaille actuellement avec la
direction générale des collectivités locales - et par une clarification des
rapports entre les collectivités actionnaires et les sociétés d'économie mixte
locales. J'espère être en mesure de vous présenter, d'ici à l'été, des
propositions sur ces deux sujets, qui sont intimement liés.
Je crois par ailleurs que la décentralisation appelle d'urgence la réforme de
l'Etat, celle-ci étant le corollaire de l'adaptation du service public
local.
Cette réforme de l'Etat, nous la mettons en oeuvre notamment en donnant à la
déconcentration tout son contenu et en faisant du préfet l'interlocuteur unique
qu'attendent les élus locaux dans le cadre d'un véritable partenariat.
M. Delevoye a évoqué la globalisation de certaines lignes de crédits pour les
aides à l'emploi. Ce n'est qu'un début : mesdames, messieurs les sénateurs, je
me permets de vous le rappeler, au début du mois de janvier, j'ai fait adopter
en conseil des ministres un décret fixant la règle de la compétence exclusive
des échelons déconcentrés de l'Etat à compter du 1er janvier 1998 pour toutes
les décisions administratives individuelles. Ces dernières ne relèveront donc
plus des services ministériels, sauf exceptions fixées par décret en Conseil
d'Etat.
Nous avons également engagé un processus d'amélioration de la nomenclature
budgétaire dans le cadre de la préparation de la loi de finances.
Cela permettra d'identifier par chapitres les crédits d'investissement
effectivement déconcentrés, ce qui les mettra à l'abri de la « reconcentration
rampante » bien connue qui se pratique dans tous les ministères.
Les collectivités locales, grâce à ces réformes, trouveront dans la personne
du préfet et dans ses services l'interlocuteur unique, capable d'être leur
partenaire efficace et proche du terrain.
Enfin, la décentralisation suppose de la souplesse dans la gestion des
personnels.
Deux lois, la loi du 27 décembre 1994 modifiant certaines dispositions
relatives à la fonction publique territoriale qu'avait rapportée M. Hoeffel,
ainsi que la loi du 16 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction
publique et à diverses mesures d'ordre statutaire sont d'ores et déjà venues
conforter le statut de la fonction publique territoriale, tout en faisant «
sauter » certains des obstacles que l'on rencontre dans la gestion
quotidienne.
Je n'ignore pas cependant que des questions ponctuelles se posent encore et
qu'il reste des problèmes à résoudre. J'évoquerai seulement ce matin la
question des quotas et des seuils, qui préoccupe nombre d'entre vous, je le
sais ; je prendrai d'ici à l'été prochain des mesures réglementaires afin
d'apporter une solution aux difficultés les plus criantes.
Je dirai simplement - et je remercie M. Hyest de l'avoir fait avant moi - que,
tout compte fait, le statut de la fonction publique territoriale reste sans
doute la meilleure garantie d'un service public égal et homogène sur l'ensemble
du territoire.
Je crois qu'il ne faut pas l'oublier, même s'il nous arrive, en tant que
maires ou présidents de conseils généraux, d'être agacés par certaines règles
qui, au moment où le problème se pose, nous irritent. Il faut replacer ces
règles dans un contexte plus large et se demander ce que deviendrait le service
public local si le dispositif actuel éclatait et se parcellisait à l'extrême
sur l'ensemble du territoire.
Méfions-nous, car, à ce moment-là, ce n'est plus la péréquation financière qui
nous préoccuperait mais bien la capacité des collectivités locales les plus
pauvres à trouver des collaborateurs.
L'unité de la fonction publique territoriale est une garantie de l'égalité des
collectivités locales les unes par rapport aux autres, ne l'oublions pas.
Je veux maintenant revenir de façon peut-être plus détaillée sur le sujet qui
a le plus préoccupé les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, à savoir
l'architecture qui pourrait être celle du texte sur l'amélioration de la
coopération intercommunale, dont nous avons déjà souvent eu l'occasion de
parler, en particulier dans le cadre du groupe de travail sur la
décentralisation.
Ce texte aura trois objectifs, qui répondent, monsieur Hoeffel, aux souhaits
que vous avez exprimés.
Le premier de ces objectifs est la simplification du paysage institutionnel
par la création d'une nouvelle structure qui regrouperait, vous l'avez dit,
districts, communautés de communes et communautés de villes.
Je souligne à ce propos que notre approche n'est aucunement fondée sur une
opposition de l'urbain au rural. L'approche entre ces deux types d'espace ne
doit pas être dichotomique mais au contraire reposer sur des formules
s'adaptant à l'un et à l'autre.
Compte tenu de leurs spécificités, les communautés urbaines et les syndicats
d'agglomérations nouvelles, qui relèvent de situations bien particulières, ne
seront donc pas concernés par le texte en préparation.
Bien entendu, et cela est affirmé à l'occasion de la concertation qui se
développe depuis un an, la coopération par le biais des syndicats conserve un «
bel avenir » et les syndicats de communes demeureront un outil bien
pratique.
La nouvelle structure juridique pourrait être dénommée « communauté de
communes », car je crois que c'est le terme le plus compréhensible pour nos
compatriotes.
Cette nouvelle « communauté de communes » pourrait se construire sur la base
la moins contraignante des règles actuellement applicables aux communautés de
communes, qui constituerait ainsi un socle minimum. A partir de ce tronc
commun, chaque groupement pourrait opter pour telle ou telle forme d'évolution,
aussi bien en matière de représentation des communes ou de champs de compétence
que de périmètre ou de fiscalité.
Que M. Franchis soit parfaitement rassuré, la souplesse et la liberté sont le
fondement de notre démarche. C'est la libre volonté des élus qui s'exprimera,
mais dans la limite de garde-fous, d'ailleurs traditionnels, tels que la règle
de la majorité qualifiée.
Quant à la création des nouvelles communautés de communes, elle pourrait se
plier aux règles habituelles : fixation du périmètre par le préfet et décision
des communes à la majorité qualifiée.
Certaines décisions pourraient en outre être enfermées dans des délais afin
d'éviter que les procédures ne traînent à l'excès.
Sur un point sans doute, nous aurons à trancher, mais ce devrait être
relativement simple : le préfet conservera-t-il, comme le voulaient jusqu'ici
les lois et la jurisprudence du Conseil d'Etat, un pouvoir d'appréciation lors
de la phase ultime du processus ? Je crois personnellement que c'est une
nécessité, je me permets de le dire, car le préfet doit disposer des moyens
d'éviter
in fine
la création de structures par trop provocatrices - je
n'en dirai pas davantage.
S'agissant de le représentation des communes, je suis d'avis que la
répartition des sièges se fasse à l'amiable. Le principe même de la communauté
est en effet en cause et, si on ne se met pas d'accord là-dessus, je ne vois
pas bien sur quoi on pourra se mettre d'accord !
Pour autant, il ne faudrait pas, bien entendu, qu'une commune soit privée de
délégué, ou que les représentants d'une seule commune détiennent la majorité au
conseil communautaire.
Par ailleurs, dans la logique de l'intercommunalité et de la coopération
intercommunale, le principe du scrutin majoritaire devra être conservé.
Enfin, il me semblerait utile de profiter de ce texte pour régler une question
annexe, j'en conviens, mais importante aux yeux de beaucoup, celle du statut
des élus des structures intercommunales, qu'il faudrait calquer sur le statut
municipal.
S'agissant du fonctionnement, il faudra clarifier la question de la durée des
mandats, qui pose toujours problème lors du renouvellement des conseils
municipaux.
Nous pourrions également saisir l'occasion pour régler la question des
délégations de pouvoir au bureau des structures intercommunales ainsi qu'au
président, les deux délégations n'étant pas exclusives l'une de l'autre.
L'équilibre entre délégation au bureau et délégation au président pourra être
laissé à l'appréciation de la structure ainsi mise en place.
Pour ce qui est de l'exercice des compétences, je crois très sincèrement
qu'au-delà du tronc commun pour les communautés de communes, c'est la liberté
qui doit prévaloir, avec une seule contrainte : dès lors qu'une structure
opterait pour la fiscalité à taxe professionnelle unique, elle aurait, bien
entendu, l'obligation d'exercer la compétence exclusive en matière de zone
d'activités.
Enfin mais nous en reparlerons tout à l'heure je pense qu'il nous faut, dans
l'esprit de la proposition de loi de M. Joyandet, reconnaître le caractère
pertinent de la règle de la représentation-substitution, qui est une pratique
inévitable, en particulier dans des domaines comme celui du traitement des
ordures ménagères, dont on a beaucoup parlé ce matin.
S'agissant des évolutions de la structure, nous pourrions, au fil du texte,
préciser les règles en matière d'admission, de retrait, etc.
Bien entendu, nous devrons prendre des mesures transitoires, en particulier
pour trouver des solutions concrètes au moment de la fusion des districts.
Certains districts pourront d'ailleurs ne pas souhaiter se transformer en
communauté de communes et se dissoudre ou se transformer en syndicat, par
exemple.
Parlant de l'aspect institutionnel, je veux insister à nouveau sur le fait que
nous n'opposons pas une logique urbaine à une logique rurale. Monsieur
Peyronnet, nous ne contestons pas l'architecture institutionnelle actuelle dans
son ensemble, je l'ai déjà dit.
J'ai entendu aussi les interrogations sur le suffrage universel. Ce débat ne
manquera pas de s'engager, mais je le crois prématuré : aller aussi vite en
besogne porterait un coup fatal à l'intercommunalité.
Je voudrais enfin dire que je ne considère pas inutile, effectivement,
d'améliorer les instruments de développement des agglomérations, comme vous
l'avez souhaité, m'a-t-il semblé. Cela a été le cas avec la réforme de la DSU,
que je vous avais proposée l'année dernière, et je pense que la taxe
professionnelle d'agglomération peut constituer un élément extrêmement utile
pour aider lesdites agglomérations à construire leur devenir.
Le deuxième objectif du texte - vous le savez bien - vise donc à favoriser le
passage à la taxe professionnelle d'agglomération.
Je voudrais tout de suite dire d'un mot, pour éviter toute ambiguïté, qu'aucun
caractère obligatoire ne sera attaché au passage à la taxe professionnelle
unique. C'est un choix qui appartiendra aux élus, d'autant que, effectivement,
comme l'a dit M. Pagès, dans un certain nombre de circonstances géographiques,
politiques ou économiques, imposer ce passage serait une erreur. Je sais, par
exemple, que les responsables des communautés urbaines sont en général assez
réservés sur cette formule - vous avez cité la COURLY - car la taxe
professionnelle unique est assez mal adaptée à ce type de structures déjà très
intégrées mais qui n'ont pas pour autant rapproché leurs taux de taxe
professionnelle.
Ce à quoi il faut s'attacher, c'est à la disparition des obstacles qui,
incontestablement, ont bloqué le processus d'adoption de la taxe
professionnelle unique : seules quatre communautés de villes ont été mises en
place en France depuis la loi de 1992.
Il nous paraît indispensable d'aller dans ce sens. C'est l'une des réponses
aux problèmes posés par la taxe professionnelle, même si ce n'est pas la
réponse absolue : je n'ai pas cette ambition, et je n'en ai d'ailleurs pas les
compétences ministérielles.
Les mesures que je viens de décrire iront dans le bon sens. Elles aboutiront à
un rapprochement des taux de la taxe professionnelle dans chacune des
agglomérations et, en fait, à un rapprochement entre les agglomérations
elles-mêmes. Nous gommerons ainsi certaines des raisons qui alimentent les
critiques adressées à cette taxe.
Cela ne nous empêche pas de réfléchir aussi sur les bases !
M. Robert Pagès.
Mais dans le bon sens !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Il faut trouver géographiquement les profits financiers,
monsieur le sénateur !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les actifs !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Les actifs financiers sont malheureusement très mobiles.
Or, pour être efficace, un impôt local doit être localisable.
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Le génie de nos grands anciens fut ainsi de trouver des
systèmes fiscaux permettant de se saisir - au bon sens du terme ! - de la
matière fiscale avec certitude.
Il ne faudrait pas que les bases de la fiscalité de demain soient à ce point
volatiles, en termes comptables, qu'il serait très difficile de les saisir.
Mais c'est là une simple observation dans un débat qui ne relève pas
directement de mon champ de compétence.
Comment gommer les difficultés de passage à la taxe professionnelle unique
?
Je crois qu'il faut assouplir la règle de liaison des taux à la baisse, de
manière qu'il n'y ait pas de conflit entre la compétence fiscale d'une commune
et celle de la communauté. Je pense qu'il nous faudra également régler la
question du cumul éventuel de la fiscalité additionnelle et de la taxe
professionnelle unique.
Je suis aujourd'hui convaincu - et vous voyez bien que la concertation fait
évoluer la pensée des ministres, puisque certains d'entre vous savent que telle
n'était pas du tout ma position voilà six mois ! - que l'une des raisons très
importantes pour lesquelles les communautés de villes n'ont pas vu le jour et
pour lesquelles les communautés de communes ont très rarement choisi
d'instaurer la taxe professionnelle unique, c'est qu'il n'est pas possible
aujourd'hui de cumuler ces deux fiscalités. Par conséquent, les structures
intercommunales hésitent beaucoup à choisir un mode de ressource unique, avec
tout ce que cela signifie en termes de risque, d'abord dans la durée, ensuite
en termes de distorsions dans la répartition de cette recette entre les
différentes communes.
Nous devrons donc décider de prévoir ou non cette possibilité de cumul.
Un autre débat qui a été longuement évoqué ce matin et sur lequel je souhaite
revenir est relatif à la meilleure allocation des ressources : comment mettre
un terme à l'intercommunalité d'aubaine ? C'est un sujet simple en apparence,
mais très complexe en réalité.
Vous m'avez entendu affirmer dans différentes enceintes, voilà quelques mois,
que nous allions exclure les contingents du coefficient d'intégration fiscale.
J'étais, bien sûr, très fier d'avoir trouvé - avec beaucoup d'autres - cette
formule, mais, malheureusement, cela ne marche pas ! D'abord, parce que, dans
un certain nombre de cas, il y a effectivement exercice d'une compétence, et il
est donc difficile de pénaliser le groupement concerné. Ensuite - et vous serez
certainement sensibles à cette seconde raison - la simulation que nous avons
faite montre qu'une telle mesure serait d'une incroyable brutalité financière.
On n'a pas le droit, à mon sens, surtout au moment où tous les budgets sont un
peu serrés, d'entrer dans des mécanismes trop brutaux.
Par la suite, nous avons essayé d'imaginer un dispositif qui aurait permis de
ne pénaliser au niveau du coefficient d'intégration fiscale que celles des
structures qui dépasseraient la moyenne nationale en termes de transfert de
moyens financiers à d'autres, c'est-à-dire de non-utilisation d'une partie de
leurs recettes financières.
Ce dispositif assez complexe apparaissait lui aussi extrêmement brutal, d'où
la proposition que nous examinons aujourd'hui. J'ai cru comprendre que M. Paul
Girod la voyait d'une manière un peu « gazière ».
(Sourires.)
Donc, je vous la soumets avec une très grande modestie, mais
en vous faisant un aveu : nous n'avons rien trouvé de plus simple, et l'équité
implique parfois - ce ne serait pas un cas unique - la complexité.
Cette proposition aurait pour objet d'instituer une troisième part au sein de
la DGF des groupements, qui serait gagée seulement sur la croissance de
celle-ci et qui permettrait d'abonder la dotation des groupements qui auraient
effectivement un niveau de transfert inférieur à celui de la moyenne
nationale.
Ce dispositif fonctionne, nous l'avons testé en vraie grandeur. Il est
relativement doux, et très progressif. Il aboutira effectivement, en quelques
années, à avantager les structures qui utilisent, pour l'exercice de véritables
compétences, les moyens financiers qui sont les leurs, et donc à désavantager
ceux qui font de l'intercommunalité d'aubaine.
Quant à l'idée avancée par M. Paul Girod et consistant à analyser les
situations en termes de dépenses et d'exercice effectif des compétences, bien
sûr, nous l'avons eue ! Mais nous ne savons pas faire. En effet, cette analyse
implique que l'on prenne les comptes administratifs et que l'on examine
effectivement ce qui s'est passé, ce qui est communautaire et ce qui ne l'est
pas. La démarche est, il faut bien le dire, un peu inquisitoriale. Par
ailleurs, elle entraînerait des conflits infinis : rappelez-vous la définition
du logement social pour le calcul de la DSU ! Nous atteindrions à peu près le
même niveau de complexité et nous aurions les mêmes sources de contentieux.
C'est la raison pour laquelle, pour l'instant, nous n'avons pas choisi cette
voie, même si j'ai bien conscience qu'il y aura là, à l'occasion du débat, un
point à examiner de très près.
Je pense enfin que nous n'échapperons pas - cela a d'ailleurs été souhaité par
plusieurs intervenants - à un certain toilettage des règles de fonctionnement
des fonds départementaux de péréquation, dans la mesure où, actuellement,
l'écrêtement se fait en fonction de la date de création des groupements et où
les taux de reversement prioritaire dépendent du statut des groupements. Mais
je n'ai pas la volonté de modifier substantiellement les équilibres, très
difficiles à atteindre dans ce domaine, qui ont pu être trouvés jusqu'ici.
Voilà, tracé à grands traits, en quoi le projet auquel nous continuons à
travailler pourrait consister, et je crois ainsi avoir répondu, pour
l'essentiel, aux interrogations qui ont été exprimées tout à l'heure.
Permettez-moi simplement de revenir sur un ou deux points qui étaient un peu
plus techniques, un peu plus précis.
S'agissant du FCTVA, nous avons réglé, l'année dernière - grâce au Sénat,
d'ailleurs - la difficulté tenant à la voirie et qu'ont connue de nombreuses
communautés de communes aux cours de ces dernières années. MM. Arzel et Bourdin
ont évoqué cette question.
Si nous élargissons trop le débat, prenons cependant garde de ne pas nous
trouver dans la situation qu'a connue votre collègue M. Hoeffel en 1994,
lorsqu'il lui a fallu revoir la question du FCTVA de fond en comble compte tenu
de l'explosion financière du fonds. Il faut que nous soyons, à cet égard,
prudents.
Quant à la question de la propriété domaniale, nous devons y réfléchir ; mais,
dans une logique intercommunale, faut-il véritablement aller aussi loin ? Ne
peut-on se contenter de préserver la capacité à faire des travaux au niveau
communautaire sans pour autant prévoir durablement le transfert de la
propriété, qui impliquerait le transfert de l'entretien ? Est-il bien
nécessaire de faire de l'entretien de voirie au niveau communautaire ? Je n'en
suis pas réellement certain, et je me demande si ce n'est pas plus adapté au
niveau municipal.
S'agissant des questions de péréquation et de cotisation minimale de taxe
professionnelle, je vous dirai, monsieur Pagès, la cotisation de péréquation
versée au fonds national constitue un début de réponse à votre question. Comme
elle est de création récente, nous n'en connaissons pas véritablement le
rendement pour l'instant, mais nous présumons qu'il sera sans doute beaucoup
plus faible que nous ne l'espérions. C'est, en tout cas, un sujet sur lequel
nous aurons intérêt à revenir.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
éléments de réponse qu'il me paraissait nécessaire de donner en conclusion du
débat qui vient de se dérouler.
Quelle est la philosophie du Gouvernement dans cette affaire ? Lorsque nous
élaborons des textes qui concernent directement les collectivités
territoriales, ou lorsque nous engageons, par voie législative ou
réglementaire, la réforme des administrations de l'Etat, nous travaillons dans
un esprit qui a été clairement et concrètement illustré par le Président de la
République lors d'un déplacement dans le Pas-de-Calais : nous avons la
conviction que c'est par le biais de l'initiative locale, que c'est par la
création de partenariats locaux, que nous ferons évoluer ce pays et que les
changements nécessaires pourront être mis en oeuvre. C'est donc en croyant très
profondément à la fois à la décentralisation et à la déconcentration que nous
réfléchissons sur ces différents sujets. Il n'était pas inutile de le rappeler
à l'issue de ce débat !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous
la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)