M. le président. « Art. 3. - Dans le chapitre Ier de la même ordonnance, sont insérés, après l'article 8, les articles 8-1 à 8-3 ainsi rédigés :
« Art. 8-1. - Les services de police et les unités de gendarmerie sont habilités à retenir le passeport ou le document de voyage des personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière. Ils leur remettent en échange un récépissé valant justification de leur identité et sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document retenu.
« Art. 8-2. - Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà, les officiers de police judiciaire, assistés des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 (1°) du code de procédure pénale, peuvent procéder, avec l'accord du conducteur ou, à défaut, sur instructions du procureur de la République, à la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique, à l'exclusion des voitures particulières, en vue de rechercher et constater les infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers en France.
« Dans l'attente des instructions du procureur de la République, le véhicule peut être immobilisé pour une durée qui ne peut excéder quatre heures.
« La visite, dont la durée est limitée au temps strictement nécessaire, se déroule en présence du conducteur et donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal mentionnant les date et heure du début et de la fin des opérations ; un exemplaire de ce procès-verbal est remis au conducteur et un autre transmis sans délai au procureur de la République.
« Les dispositions du présent article sont applicables, dans le département de la Guyane, dans une zone comprise entre les frontières terrestres et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà.
« Art. 8-3 . - Les empreintes digitales des ressortissants étrangers, non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions prévues à l'article 6, peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Il en est de même de ceux qui sont en situation irrégulière en France ou qui font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français.
« En vue de l'identification d'un étranger qui n'a pas justifié des pièces ou documents visés à l'article 8 ou qui n'a pas présenté à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution de l'une des mesures prévues au premier alinéa de l'article 27 ou qui, à défaut de ceux-ci, n'a pas communiqué les renseignements permettant cette exécution, les fichiers contenant des empreintes digitales de ressortissants étrangers détenus par les autorités publiques peuvent être consultés. Cet accès est réservé aux agents expressément habilités des services compétents du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale. Cette consultation est effectuée dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée. »
Sur l'article, la parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certes, je ne dispose que d'un temps de parole de cinq minutes, mais nous aurons l'occasion de nous exprimer en défendant notre amendement de suppression de cet article 3, qui est long et brasse nombre de sujets.
Ceux de nos collègues qui ont suivi avec attention les débats en première lecture se souviennent qu'il est proposé d'insérer, après l'article 8 de l'ordonnance de 1945, trois articles supplémentaires : les articles 8-1, 8-2 et 8-3.
L'article 8-1 concerne la rétention du passeport. J'ai eu l'occasion de dire, hier, en défendant notre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, qu'il est anticonstitutionnel de prétendre retenir un passeport et d'en prévoir les modalités de restitution sans laisser à celui à qui on retire le passeport le choix de l'endroit d'où il veut quitter le territoire : c'est une atteinte à la liberté d'aller et de venir.
Nous avons la loyauté de vous dire ce qui, à notre avis, nous paraît contraire à la Constitution. Vous pouvez, certes, continuer à ne pas nous répondre. Vous pouvez aussi, s'il vous apparaît que, éventuellement, nous n'avons pas tort, en tenir compte.
S'agissant de l'article 8-2, son contenu nous est familier : il concerne Schengen. Nous savons ce qu'est Schengen, monsieur Masson ; nous l'avons découvert ensemble - il vous en souvient certainement - en terre luxembourgeoise, voilà quelques années.
En revanche, nous ne savons toujours pas ce qu'est une voiture particulière et nous ne savons toujours pas pourquoi il faudrait éventuellement, pour une visite sommaire, retenir un véhicule pendant quatre heures, alors même qu'aucune limite n'est prévue si l'on n'a pas à attendre de réponse du procureur.
Par ailleurs, la Guyane n'a rien à voir avec Schengen, me semble-t-il ! J'ai rappelé hier à M. le ministre de l'intérieur qu'il avait lui-même cité devant l'Assemblée nationale la décision du Conseil constitutionnel admettant la possibilité de mesures de sécurité compensatrices à la liberté de circulation entre les Etats liés par les accords de Schengen. Mais il n'y a aucune raison d'appliquer à la Guyane les mesures compensatrices à la liberté de circulation qui existe dans l'espace Schengen ! Là aussi, il y a manifestement quelque chose qui n'est pas acceptable.
L'article 8-3 traite des empreintes digitales.
Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, comme, d'ailleurs, celui qui était issu de la première lecture au Sénat, est ainsi rédigé : les fichiers « peuvent être consultés. Cet accès est réservé aux agents... ». Dire « Cet accès » à propos d'une consultation n'est pas français, je me permets de le faire observer. Je poursuis : pourront être consultés « les fichiers contenant des empreintes digitales de ressortissants étrangers détenus par les autorités publiques... ». Qui doit être détenu par les autorités publiques ? Les ressortissants étrangers ou les fichiers ? Ce n'est pas net ; je dois, là encore, le signaler.
De plus, dire que pourront être consultés les fichiers contenant « les empreintes digitales » en général, que ce soient ceux qui existent ou ceux qui existeront demain, est évidemment inadmissible.
Enfin, préciser que l'accès au fichier sera réservé aux agents habilités des services compétents du ministère de l'intérieur, même en ajoutant : « et de la gendarmerie nationale », comme l'a fait l'Assemblée nationale, cela ne nous satisfait pas non plus. Qui sera habilité ? Le concierge de la place Beauvau ? Je voudrais le savoir ! Le moins que l'on puisse dire est qu'une telle rédaction est imprécise ! Nous ne pouvons faire confiance aveuglément au Gouvernement sans savoir qui pourrait consulter tel ou tel fichier.
Nous l'avons déjà dit : la consultation des empreintes digitales n'est pas déterminante ! Nous savons bien que beaucoup d'étrangers préfèrent détruire leurs papiers plutôt que d'être expulsés immédiatement. Les mêmes pourront ne pas hésiter à faire en sorte de ne plus avoir d'empreintes digitales. (Murmures sur les travées du RPR et de l'Union centriste.) Hélas ! oui, cela s'est vu ! Demain, on nous proposera de retenir des empreintes génétiques ? Combien cela coûtera-t-il ? Comment cela fonctionnera-t-il ?
Vous avez vous-même créé un office d'évaluation des lois : il y avait là une bonne occasion de le saisir !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je conclus, monsieur le président : en l'état actuel des choses, nous ne pouvons que demander la suppression de l'article 3.
Ainsi, j'aurai par avance défendu l'amendement n° 67.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. M. Dreyfus-Schmidt m'a interrogé sur l'article 8-2, qui a d'ailleurs été adopté conforme.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Peu importe ! L'article 3, lui, n'a pas été voté conforme !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Quoi qu'il en soit, vous m'avez interrogé sur la notion de « voiture particulière ».
La nature des véhicules pouvant être visités est en effet définie par une exclusive, celle des « voitures particulières ».
Monsieur Michel Dreyfus-Schmidt, je reconnais bien volontiers que le recours à cette notion a peu de précédents en droit français. Sans doute aurait-il été plus conforme aux habitudes de se référer aux « véhicules de tourisme » ou bien, à l'inverse, « aux poids lourds », aux « véhicules de transport en commun » ou aux « véhicules utilitaires », toutes appellations figurant dans le code de la route.
Cependant, la jurisprudence du Conseil d'Etat utilise parfois la notion de « véhicule particulier » tant en droit fiscal - arrêt du 11 décembre 1987 - et en droit social - arrêt Masson, du 15 novembre 1989 - qu'en droit des transports - arrêt SIVOM de l'agglomération rouennaise, du 20 janvier 1989, même si cela ne permet pas de tirer une conclusion univoque.
Pourtant, force est de constater que les textes communautaires et leur transposition en droit français, à propos de la réception des véhicules automobiles, ont consacré l'appellation de « voiture particulière », également dénommée « catégorie M 1 » dans les annexes II et III de l'arrêté du 16 septembre 1994.
Tout cela me paraît donner une certaine liberté quant au choix des termes à retenir.
Au demeurant, j'observe que la notion de « voiture particulière » permet de désigner ce que la jurisprudence constitutionnelle amène à sanctuariser, à savoir ce prolongement juridique du domicile que serait la voiture.
Telles sont, monsieur Dreyfus-Schmidt, les précisions que je souhaitais vous apporter sur cette question des voitures particulières.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, derrière le droit il y a les faits.
Cet article 3, que nous condamnons avec la plus grande fermeté, contient des dispositions vraiment choquantes.
On y trouve des mesures aussi diverses que dangereuses, telles que la rétention du passeport, la visite sommaire des véhicules, la mémorisation des empreintes digitales.
Tout d'abord, l'article 8-1, adopté conforme par les deux assemblées, organise la retenue du document de voyage ou du passeport de l'étranger en situation irrégulière, en échange d'un simple récépissé.
Etant donné que ce récépissé n'aura aucune valeur juridique, ou presque, aux yeux des administrations, il en découlera en pratique une précarisation accrue de la situation des étrangers.
Il est inadmissible de priver les personnes de leurs papiers, qui constituent, convenez-en, un outil essentiel pour une éventuelle régularisation de leur situation.
Alors que votre projet de loi initial avait pour but de corriger les effets pervers de la législation de 1993, qui a jeté dans la clandestinité bon nombre de personnes, vous vous apprêtez à perpétuer, avec cet article 8-1, l'existence de clandestins.
Quant à la disposition selon laquelle la police pourra procéder à la « visite sommaire » des véhicules, pour ne pas dire la « fouille », dans une bande de vingt kilomètres à l'intérieur du territoire français, c'est la porte ouverte à l'arbitraire le plus total !
Enfin, l'article 8-3, introduit par l'Assemblée nationale en première lecture et modifié par elle en deuxième lecture, revêt un caractère policier à forte connotation xénophobe.
Malgré les modifications apportées par les députés, le fond demeure : il s'agit du relevé, de la mémorisation et du fichage des empreintes digitales des ressortissants étrangers non-ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne qui sollicitent un titre de séjour. Ce fichier se situe dans la logique de Schengen, comme cela vient d'être dit. Il sera en outre mis à la disposition du ministre de l'intérieur.
Avec de telles dispositions, non seulement vous vous trompez d'époque, mais, de surcroît, vous vous trompez de bataille ! L'arsenal législatif et réglementaire est largement suffisant en la matière. Et ce n'est pas avec de telles mesures que vous arriverez à maîtriser l'immigration clandestine !
Pour marquer notre opposition résolue à cet article 3, nous avons déposé des amendements tendant à en supprimer un à un les différents alinéas.
M. le président. Je suis tout d'abord saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 28 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 67 est déposé par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer l'article 3.
La parole est à Mme Borvo, pour défendre l'amendement n° 28.
Mme Nicole Borvo. Pour les raisons que je viens d'exposer, nous proposons, par cet amendement, la suppression de l'article 3.
M. le président. L'amendement n° 67 a déjà été défendu.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 28 et 67 ?
M. Paul Masson, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
Nous avons longuement débattu de cet article en première lecture et il ne me semble pas nécessaire de reprendre maintenant les arguments qui ont été alors exposés.
L'article 3 est un élément essentiel du dispositif qui nous est soumis. Il prévoit des procédures tout à fait précises et parfaitement applicables par les agents qui ont le redoutable devoir de veiller à stopper, autant que faire se peut, les entrées clandestines en France.
C'est un point capital dans la lutte contre ceux qui s'affranchissent des lois de la République en entrant sur notre territoire, celui d'un Etat souverain, sans se conformer aux règles qui y ont cours.
Je ne vois aucune raison de supprimer aujourd'hui ce que nous avons approuvé voilà un mois.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 28 et 67 ?
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Le Gouvernement partage l'avis défavorable de la commission.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 28 et 67, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 29, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le texte présenté par l'article 3 pour l'article 8-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Par amendement n° 30, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter le texte présenté pour l'article 8-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 par une phrase ainsi rédigée :
« Le récépissé comporte, à peine de nullité, le nom, la qualité et le numéro d'immatriculation de l'agent qui a procédé au retrait visé à l'alinéa précédent et mentionne également les faits qui ont motivé le retrait. L'agent en conserve un double. »
La parole est à M. Fischer, pour défendre les amendements n°s 29 et 30.
M. Guy Fischer. L'article 3 comporte des dispositions symptomatiques de la démarche autoritaire et sécuritaire du Gouvernement.
Le texte proposé pour l'article 8-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit ainsi la possibilité de retenir le passeport des étrangers en situation irrégulière.
Nous ne pouvons accepter l'argument des partisans de cette mesure selon lequel on peut en attendre « l'exécution des mesures d'éloignement en facilitant l'identification de l'intéressé ».
Cet argument ne tient pas, car on sait que, dans la pratique, seuls 10 % à 15 % des étrangers interpellés présentent des papiers d'identité, comme M. Masson l'a écrit noir sur blanc dans son rapport.
De plus, toujours selon M. le rapporteur, la retenue des papiers fait déjà partie de la pratique actuelle.
Autrement dit, cette disposition correspond purement et simplement à la recherche d'un effet d'annonce et elle n'améliorera guère l'exécution des mesures d'éloignement.
Cependant, la consécration législative d'une telle pratique officieuse n'en reste pas moins fort contestable.
La confiscation d'un passeport est un acte grave. Pour les personnes privées de leur pièce d'identité, cela veut dire qu'elles seront dans l'impossibilité d'accomplir toute une série d'actes de la vie civile : vous le savez bien, monsieur le ministre, le récépissé qui leur sera remis en échange n'a aucune valeur de remplacement pour l'administration.
Enfin, la confiscation du passeport pose le problème des conditions de sa restitution. Or l'article 3 reste muet sur ce point. Comment rendra-t-on son passeport à un étranger avant son éloignement du territoire lorsqu'il a été interpellé loin de son domicile et donc de la préfecture qui détient ce document ?
Plus grave encore, l'article 3 n'envisage pas de restitution en dehors du cas de la sortie du territoire. Qu'en sera-t-il des étrangers dont la situation serait régularisée entre-temps ou dont l'arrêté de reconduite aurait été annulé ?
Qu'en sera-t-il des non-régularisables non éloignables du territoire, comme les parents d'enfants français ou les conjoints de Français à qui ce projet de loi n'accorde pas de titre de séjour ?
Le groupe communiste républicain et citoyen refuse de cautionner ces dispositions, qui ne peuvent qu'être illusoires quant à la lutte contre l'immigration irrégulière et qui ne servent qu'à donner des gages aux partisans du « tout répressif ».
L'amendement n° 30, amendement de repli, vise à apporter quelques garanties quant au récépissé qui est accordé par l'administration en échange du passeport.
Nous proposons que le récépissé comporte, à peine de nullité, le nom, la qualité et le numéro d'immatriculation de l'agent qui a procédé au retrait et qu'il mentionne également les faits qui ont motivé le retrait. Nous proposons aussi que l'agent concerné conserve le double du document.
Nous l'avions indiqué en première lecture, nous estimons que la proposition du Gouvernement ne peut qu'accentuer la précarisation de la situation d'un étranger se trouvant déjà en situation irrégulière.
En effet, le texte proposé ne comporte que très peu de garanties en ce qui concerne le récépissé. Celui-ci pourra-t-il être utile à l'étranger de bonne foi qui souhaite sa régularisation ? De toute évidence, non. C'est pourquoi l'adoption de cet amendement permettrait, au moins, de ne pas aggraver la situation de certains étrangers.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements, n°s 29 et 30 ?
M. Paul Masson, rapporteur. Ce point a déjà été discuté en première lecture.
Je rappelle que le Sénat a corrigé le texte - j'ai la faiblesse de penser qu'il l'a amélioré - qui nous est venu de l'Assemblée nationale. Celle-ci, en deuxième lecture, a approuvé les modifications apportées par le Sénat.
J'ajouterai, monsieur Fischer, que vous ne pouvez pas, en l'occurrence, parler de « confiscation ». Dans le texte, il n'est question que de « retenir le passeport ».
Retenir et confisquer, ce n'est pas la même chose ! On ne peut pas tout confondre ! C'est ainsi qu'en transformant une « déclaration » en « délation » on introduit la confusion dans l'opinion, qui finit par accorder un certain crédit à des propos qui ne sont pas exacts.
Bien entendu, la commission a confirmé la position qu'elle avait adoptée en première lecture et qui a été ratifiée par l'Assemblée nationale ; elle demande donc le rejet des amendements n°s 29 et 30.
Pour ce qui est de l'amendement n° 30, j'ajoute qu'il s'agit de dispositions d'ordre purement réglementaire.
Pourquoi vous ingéniez-vous toujours à vouloir charger la loi de dispositions qui ne relèvent pas d'elle ? Laissez au règlement toutes ses vertus, et il en a beaucoup. Vous avez vu que, par le règlement, en 1982 et en 1991, on a pris toute une série de mesures qui, si elles sont introduites dans la loi, posent bien des problèmes.
M. Claude Estier. Il n'y avait pas besoin d'une loi !
M. Paul Masson, rapporteur. La Constitution a très nettement séparé le domaine réglementaire et le domaine législatif. Pourquoi certains sont-ils toujours démangés par la tentation d'introduire dans la loi ce qui relève du règlement ? Laissez donc son pouvoir au règlement ! Laissez-le respirer !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 29 et 30 ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. J'ai été convaincu par l'argumentation de M. le rapporteur : je suis défavorable à ces deux amendements !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 29, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 31, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le texte présenté par l'article 3 pour l'article 8-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Par amendement n° 95 rectifié, MM. Othily et Bimbenet proposent, dans le dernier alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article 8-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, après les mots : « frontières terrestres », d'insérer les mots : « ou le littoral ».
Par amendement n° 94 rectifié, MM. Othily et Bimbenet proposent de rédiger ainsi le dernier alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article 8-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 :
« Dans le département de la Guyane, les dispositions du présent article s'appliquent aux véhicules circulant sur les routes nationales n°s 1 et 2. »
La parole est à M. Bécart, pour présenter l'amendement n° 31.
M. Jean-Luc Bécart. L'article 8-2, qui a été adopté conforme par les deux assemblées, concerne la possibilité de fouiller les véhicules dans les zones frontalières.
Nous sommes, comme en première lecture, fermement opposés à cette disposition qui porte lourdement atteinte aux libertés individuelles et de circulation de tous.
C'est pourquoi nous en proposons à nouveau la suppression.
Il est plus que jamais nécessaire de cesser d'accréditer l'idée selon laquelle il est possible de contrôler et de stopper toute nouvelle immigration uniquement en mettant en place des dispositifs de contrôle policier à proximité des frontières en amont.
C'est en vertu de telles dispositions qu'une personne venant d'un pays visé par le texte et voulant rendre visite à sa famille ou simplement faire du tourisme sera considérée a priori comme une menace pour la sécurité, étant entendu qu'elle est supposée s'infiltrer sur notre territoire pour profiter d'une situation économique plus favorable pour elle.
Ces raisonnements jettent aussi bien la suspicion sur le demandeur de visa à l'ambassade de France qui veut faire du tourisme ou rendre visite à sa famille que sur le Français de peau noire, par exemple, à bord de son véhicule.
M. le président. La parole est à M. Bimbenet, pour défendre les amendements n°s 95 rectifié et 94 rectifié.
M. Jacques Bimbenet. Ces amendements ont été déposés par notre collègue Georges Othily, sénateur de la Guyane, qui aurait souhaité pouvoir venir les présenter devant vous, mais qui est retenu en Guyane par la préparation des assises départementales ; c'est pour qu'ils soient néanmoins défendus que j'ai cosigné ces amendements.
Lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, MM. Bertrand et Léonard avaient déposé un amendement visant à étendre les dispositions de l'article 8-2 de l'ordonnance de 1945 au département de la Guyane. Dans sa rédaction initiale, il visait à autoriser les contrôles sommaires de véhicules opérées dans les bandes frontalière et littorale de vingt kilomètres.
Toutefois, l'amendement a été rectifié en séance et adopté avec la seule référence à la bande frontalière.
La nouvelle rédaction pose problème, dans la mesure où la géographie physique de la Guyane risque d'entraver l'application des dispositions prévues. En effet, il est illusoire de penser que les véhicules pourront être contrôlés à l'est du département près de la frontière brésilienne, car on y déplore l'absence de routes. A l'Ouest, la prise en charge des clandestins par les passeurs s'effectue en dehors de la bande frontalière, ce qui élimine également les possibilités de contrôle.
En réalité, pour parvenir à une juste application du texte en cours d'examen, il faudrait que les véhicules de transport puissent être contrôlés dans le nord du département, c'est-à-dire près du littoral. C'est en effet dans la bande littorale que se trouvent les seules voies de circulation routière et, par conséquent, les seuls points de passage des candidats au séjour irrégulier.
L'amendement n° 95 rectifié vise donc à autoriser les contrôles sur cette bande.
Il a été dit qu'une telle disposition pourrait se révéler excessive dans la mesure où les contrôles s'exerceraient alors sur une trop grande étendue de territoire.
Cependant, mes chers collègues, nous avons adopté l'article 9 bis de ce projet de loi, qui, lui, autorise les contrôles d'identité dans la bande littorale. Si des contrôles d'identité sont permis dans cette zone, je ne vois pas ce qui s'oppose à ce qu'il en soit de même pour les visites sommaires de véhicules.
Il me semble en effet difficile de soutenir que la bande littorale est une zone appropriée pour opérer des contrôles d'identité et qu'elle ne l'est pas pour contrôler des véhicules.
Si vous deviez toutefois considérer la référence à la bande littorale comme trop large, parce que concernant l'ensemble des voies de circulation, je vous inviterais alors à adopter l'amendement n° 94 rectifié, texte de repli qui ne porte, quant à lui, que sur les routes nationales n°s 1 et 2.
Ces deux voies sont celles qui sont principalement empruntées par les passeurs pour assurer le transit des immigrés clandestins. Refuser que des visites sommaires puissent au moins être opérées sur ces deux voies serait risquer de réduire à néant les moyens d'action des autorités dans le département de la Guyane.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 31, 95 rectifié et 94 rectifié ?
M. Paul Masson, rapporteur. Sur l'amendement n° 31, la commission s'est déjà expliquée par mon intermédiaire, et elle maintient son avis négatif, d'autant que nous sommes parvenus à une rédaction commune entre les deux assemblées qui nous satisfait parfaitement.
Sur l'amendement n° 95 rectifié, je suis en revanche très perplexe. Il s'agit en fait d'une extension des dispositions de l'article 8-2 à l'ensemble de la Guyane puisque, de par la configuration de ce département, la circulation s'y fait parallèlement au littoral. Même si ce n'est pas aussi clairement exprimé, autant dire que le département de la Guyane dérogerait au droit commun !
Je suis donc très perplexe et plutôt tenté d'émettre un avis défavorable, mais je souhaiterais entendre d'abord l'avis de M. le ministre.
Je rappelle que les deux assemblées ont déjà adopté conforme un article 9 bis qui autorise les contrôles d'identité dans les vingt kilomètres du littoral de la Guyane. Faut-il charger la barque ? J'interroge M. le ministre, et j'adopterai, bien entendu, la même position que le Gouvernement tant sur l'amendement n° 95 rectifié que sur l'amendement de repli n° 94 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 31, 95 rectifié et 94 rectifié ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Sur l'amendement n° 31, je partage l'avis défavorable de M. le rapporteur.
Les amendements n°s 94 rectifié et 95 rectifié, déposés par M. Othily et défendus par M. Bimbenet, concernent, eux, l'application des dispositions de l'article 8-2 de l'ordonnance de 1945 aux véhicules circulant sur les routes nationales n°s 1 et 2 de la Guyane.
Ils posent donc un problème, car il faut bien considérer que la visite des véhicules telle qu'elle a été prévue à l'article 3 est une modalité du contrôle à la frontière : ce n'est que dans ce cadre qu'elle se justifie.
Etendre la possibilité du contrôle à la totalité des routes nationales d'un département même si elles recueillent, et c'est vrai en l'occurrence, l'essentiel de son trafic dénaturerait, je crois, le contrôle et constituerait une atteinte excessive à la liberté individuelle.
Personne, et certainement pas moi, n'ignore cependant que la Guyane est confrontée à un très grave problème migratoire ; j'en parlais d'ailleurs à l'instant avec M. le ministre des relations avec le Parlement, qui connaît fort bien ce département. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a donné un avis favorable aux amendements relatifs, l'un au contrôle d'identité, l'autre à la visite des véhicules dans ce département, déposés à l'Assemblée nationale.
Du fait de ces explications, je souhaiterais le retrait de l'amendement n° 94 rectifié et a fortiori celui de l'amendement n° 95 rectifié.
Les auteurs de ce dernier font observer que la possibilité d'opérer des contrôles d'identité dans la bande littorale guyanaise a été acceptée à l'article 9 bis du projet de loi. C'est exact.
Mais les contrôles de véhicules sont des contrôles de la circulation transfrontalière, même s'ils se font non pas à la frontière, mais à vingt kilomètres de celle-ci. On ne voit pas ce qui légitimerait des contrôles à vingt kilomètres du littoral, le littoral n'étant pas un point de passage frontalier des véhicules routiers.
M. le président. Monsieur Bimbenet, les amendements n° 95 rectifié et 94 rectifié sont-ils maintenus ?
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le ministre, je suis prêt à retirer ces amendements, mais vous avez dit que le département de la Guyane était un département d'exception de par sa topographie ; il serait bon tout de même de trouver un système de lutte contre l'immigration clandestine approprié à la situation de ce département.
Je compte sur vous, sur vos services et, probablement, sur une réglementation spéciale pour combattre cet état de fait. Au bénéfice de cet espoir, je retire les deux amendements.
M. le président. Les amendements n°s 95 rectifié et 94 rectifié sont retirés.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 31.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'article 8-2 aborde deux problèmes : celui de la visite des voitures particulières dans la zone de Schengen et celui de la Guyane.
En premier lieu, en ce qui concerne les visites sommaires des véhicules autres que les voitures particulières, je n'ai toujours pas compris ! J'habite près d'une zone frontalière : devant les tribunaux de ma région, sont fréquemment jugés des étrangers en situation irrégulière, des clandestins, qui se sont fait prendre sur l'autoroute.
Vous-même avez cité l'exemple de ces malheureux Sri Lankais, si désireux de venir dans notre pays qu'ils ont tenté le voyage dans des conditions telles qu'ils y ont trouvé une mort atroce.
Pourquoi les a-t-on découverts ? Parce que les visites de véhicules se pratiquent d'ores et déjà ! Voulez-vous m'expliquer dans ces conditions ce que votre texte ajoute ? Par ailleurs, est-ce que ce sont les douaniers que l'on charge de cette tâche ? Nous aimerions des explications !
En second lieu, pourquoi laisser dans le projet de loi des dispositions propres à la Guyane dont ne veulent même pas ses représentants, en particulier M. Othily ?
L'article 9 bis, qui a été voté conforme et que je n'ai toujours pas compris, prévoit, quant à lui, le contrôle d'identité « dans une zone » - écoutez bien, mes chers collègues - « comprise entre les frontières terrestres » - c'est « en bas » - « ou le littoral du département de la Guyane » - c'est « en haut » - « et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà ».
Vingt kilomètres en deçà du littoral, j'imagine fort bien ; mais vingt kilomètres en deçà des frontières terrestres, on n'est plus en Guyane !
M. Jean Delaneau. Pas du tout !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On n'est plus en Guyane...
M. Josselin de Rohan. Curieuse démonstration géographique !
M. Jean Delaneau. Si c'était vingt kilomètres en deçà, ce serait à l'intérieur !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, laissez M. Dreyfus-Schmidt s'exprimer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si mes collègues veulent m'éclairer, je n'y vois pas d'inconvénient !
Sur l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui concerne l'examen des voitures particulières, M. le rapporteur nous dit qu'il ne faut pas charger la pirogue - sans doute s'agit-il du Maroni - ou plutôt la barque. (Sourires.) Nous en sommes bien d'accord. Cependant, M. Othily nous a expliqué que les immigrés arrivent par le Maroni puis montent dans des véhicules. Quels véhicules ?
M. Jean Delaneau. Des 4 × 4 !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. S'il s'agit de voitures particulières, elles ne peuvent être contrôlées. Cette disposition est donc inutile. Dès lors, monsieur le ministre, pourquoi vous obstinez-vous ?
Vous avez demandé à M. Bimbenet de retirer les amendements de M. Othily ; il l'a fait. Puisque le texte que vous lui proposez ne le satisfait pas, pourquoi ne le retirez-vous pas purement et simplement ?
Telles sont les questions que je voulais vous poser en ce qui concerne Schengen et la Guyane. Si vous ne nous répondez pas, monsieur le ministre, c'est sans doute que vous n'avez rien à répondre, et nous voterons, bien entendu, l'amendement de suppression.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. La logique de M. Dreyfus-Schmidt est extraordinaire. En effet, à l'entendre, si le texte initial ne plaît pas, il faut le retirer. Eh bien, comme je sais que ce texte ne vous plaît pas, je ne retirerai pas non plus l'ensemble du projet de loi ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Na !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 32 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 90 rectifié est déposé parMme Dusseau, MM. Baylet et Collin.
Tous deux tendent à supprimer le texte proposé par l'article 3 pour l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Par amendement n° 3, M. Masson, au nom de la commission, propose, à la fin de la première phrase du second alinéa du texte présenté par l'article 3 pour insérer un article 8-3 dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, de remplacer les mots : « les fichiers contenant des empreintes digitales de ressortissants étrangers détenus par les autorités publiques peuvent être consultés. » par les mots : « les données du fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l'intérieur et du fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié peuvent être consultées. »
La parole est à M. Bécart, pour défendre l'amendement n° 32.
M. Jean-Luc Bécart. Nous avons demandé la suppression des articles 8-1 et 8-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Aussi, nous proposons, en toute logique, de supprimer cet article 8-3, introduit en première lecture par nos collègues députés.
Il est regrettable que l'Assemblée nationale ne soit pas revenue sur cette disposition, comme elle l'a fait pour d'autres articles.
Cet article 8-3 institue un relevé systématique des empreintes digitales des étrangers qui entrent sur le territoire national.
Nous dénonçons une fois de plus les conséquences d'une telle disposition, qui seront, à n'en pas douter et en premier lieu, la constitution d'un fichier informatique d'une grande ampleur.
Avec cet article, nous nous rapprochons un peu plus des heures sombres de notre histoire.
Aussi, nous vous demandons, mes chers collègues, de supprimer cette disposition.
M. le président. L'amendement n° 90 rectifié est-il soutenu ?...
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 32.
M. Paul Masson, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 32. Contrairement à ce qu'indique son exposé des motifs, la prise des empreintes digitales concerne non pas tous les étrangers qui demandent à séjourner en France, mais seulement les étrangers qui sollicitent un titre de séjour ou qui sont en situation irrégulière ou qui font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français.
L'amendement n° 3 est essentiel. Il vise à apporter une précision. Il s'agit de faire en sorte que le Parlement et, à son niveau, la Commission nationale de l'informatique et des libertés ne soient pas dessaisis automatiquement, dans le futur, de tout ce qui pourrait être fait en ce domaine. Nous sommes animés par un souci d'efficacité. Nous entendons seconder de manière très positive le Gouvernement dans cette nécessaire lutte contre la clandestinité.
Pour autant, nous ne sommes pas convaincus qu'il soit nécessaire, pour le futur, de permettre à tout gouvernement ou à toute administration d'accéder, alors qu'il s'agit de thèmes difficiles et contraignants au regard des libertés publiques, à tous les fichiers d'empreintes digitales. Il s'agit bien de ces derniers et non de tous les autres fichiers. Gardons-nous, là encore, de confusion.
L'amendement que propose la commission des lois a pour objet d'énumérer exhaustivement les fichiers d'empreintes digitales dont le Parlement autorisera la consultation - et non pas la connexion - par les agents expressément habilités du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale. L'adjonction de la gendarmerie, qui résulte d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, est bienvenue.
L'objectif est de contrôler les titres de séjour et de permettre l'identification des étrangers qui sont en situation irrégulière et qui font l'objet d'une mesure d'éloignement. Le dispositif ne concerne que deux fichiers.
Le premier, c'est celui de l'identité judiciaire, pour lequel l'intervention du législateur est nécessaire. En effet, l'accès à ce fichier est protégé par le code de procédure pénale. Or, il faut en élargir l'accès - c'est la volonté de la commission - à tous les agents expressément habilités du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale. Ce fichier est protégé par la loi et son ouverture requiert donc l'intervention du législateur.
Le second fichier, c'est celui de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il est protégé par la loi de 1952. Pour que les agents expressément habilités du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale puissent accéder à ce fichier pour le consulter - et non pour s'y connecter - l'intervention du législateur est, là aussi, nécessaire.
Contrairement à l'Assemblée nationale, nous considérons qu'il n'est pas souhaitable d'ouvrir cette consultation à tous les fichiers détenus par les autorités publiques. En effet, la formulation qu'elle a retenue est trop large. Elle n'est pas nécessaire pour couvrir d'autres fichiers, puisqu'il n'existe que ces deux fichiers. En effet, les autres fichiers évoqués par nos excellents collègues au Palais-Bourbon ne contiennent pas d'empreintes digitales et ne sont donc pas concernés par le débat. Je le répète : deux fichiers seulement comportent des empreintes digitales. Il faut les ouvrir. Cela nous paraît nécessaire, mais suffisant.
Par ailleurs, l'accès au fichier que le premier alinéa de l'article 8-3 vise à créer ne sera pas interdit au ministère de l'intérieur. En effet, par définition, cet accès sera ouvert aux services concernés, qui l'alimenteront et le géreront. Rien dans la loi ne s'oppose à cela.
Bien entendu, tout cela se fera sous la surveillance de la CNIL. A cet égard, je rappelle que, pour créer un fichier d'empreintes digitales, il n'est pas nécessaire de recourir à la loi. Il suffit que le Gouvernement le veuille et que la CNIL donne son accord.
Par conséquent, nous sommes clairs : nous n'interdisons pas au Gouvernement d'accéder aux deux fichiers d'empreintes digitales existants, puisque nous le permettons dans la loi ; nous n'interdisons pas, bien entendu, au Gouvernement de créer par décret tout fichier, sous le contrôle - incontournable - de la CNIL.
Le débat me paraît à cet égard cerné. Nous ne voulons pas donner un blanc-seing à tout gouvernement, même si le présent gouvernement est tout à fait honorable et si nous n'avons aucune raison de suspecter en quoi que ce soit sa bonne foi. Nous légiférons pour le futur. Il ne nous paraît pas souhaitable de donner notre accord non seulement pour les deux fichiers existants, mais aussi pour tout fichier à venir protégé par la loi, par une formulation qui n'est pas nécessaire et qui pourrait laisser croire que nous n'aurions pas été vigilants sur le respect des droits de l'individu et la protection des libertés publiques.
Voilà pourquoi la commission a, dans sa majorité, approuvé cet amendement que je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 32 et 3 ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement émet, bien sûr, un avis défavorable sur l'amendement n° 32.
L'amendement présenté par M. Masson, au nom de la commission, vise à énumérer les fichiers d'empreintes digitales auxquels les services de la police nationale et de la gendarmerie pourront accéder en vue de l'identification d'un étranger en situation irrégulière.
C'est un point très important car, je le rappelle, en 1996, 31 % des échecs enregistrés lors de la mise en oeuvre des mesures d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière ont été imputables à des problèmes d'identification.
Pour s'attaquer à cette cause précise d'échec, et sans attendre le nouveau fichier visé au premier alinéa de l'article 8-3, le second alinéa de cet article prévoit l'accès aux fichiers comportant des empreintes digitales de ressortissants étrangers détenus par les autorités publiques ; il s'agit en réalité de deux fichiers : celui de l'OFPRA et celui de l'identité judiciaire.
Vous avez souhaité, en première lecture, préciser explicitement ces deux fichiers. Je vous avais alors dit que je préférais une rédaction ouverte visant non seulement le fichier à créer, visé au premier alinéa de l'article 8-3, mais aussi tous les autres fichiers. Cependant - vous vous en souvenez, monsieur le rapporteur - je m'en étais remis à la sagesse du Sénat sur ce point et, déjà, vous aviez préféré énumérer les deux fichiers concernés.
L'Assemblée nationale, en deuxième lecture, est revenue sur sa première rédaction. Je concède cependant que la justification de l'intervention du législateur n'existe que pour les deux fichiers cités précédemment. Les actes réglementaires relatifs aux autres fichiers peuvent régler la question des destinataires en tant que de besoin.
Je préfère donc ne pas énumérer les fichiers. Toutefois, pour être logique avec la position initiale que j'ai défendue devant vous, je m'en remets à la sagesse du Sénat, en l'absence d'enjeux pratiques immédiats. Néanmoins, je m'interroge sur l'intérêt de maintenir à ce stade un différend exclusivement d'ordre rédactionnel.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Ceccaldi-Raynaud.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Monsieur le président, je souhaite déposer un sous-amendement à l'amendement n° 3.
En effet, j'ai été plus que convaincu par les propos de M. le ministre de l'intérieur. Nous recherchons l'efficacité ; or on nous reproche d'élaborer des textes...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Inefficaces !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... qui paraissent sévères et qui sont inefficaces. Et nous sommes ici, précisément, au centre d'une question touchant à l'efficacité.
C'est pourquoi je dépose un sous-amendement à l'amendement n° 3, en vue d'ajouter l'adverbe « notamment » avant les mots : « les données du fichier automatisé ». Cela permettra de ne pas limiter les pouvoirs du Gouvernement sur un point capital.
M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 98, présenté par M. Ceccaldi-Raynaud, et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n° 3, à insérer, avant les mots : « les données du fichier automatisé », le mot : « notamment ».
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je relève d'abord, comme tous les membres du Sénat, le souci qu'a eu M. le rapporteur de s'en tenir dans toute la mesure du possible - ce n'était pas toujours évident ou commode - au texte que nous a transmis l'Assemblée nationale.
Il a néanmoins semblé nécessaire à la commission de déposer un amendement à l'article 3.
A ce stade, je voudrais simplement indiquer à notre ami Charles Ceccaldi-Raynaud - il a d'ailleurs une grande pratique des travaux de la commission des lois et il le sait parfaitement - qu'ajouter un adverbe...
M. Guy Allouche. ... est révolu !
M. Jean-Jacques Hyest. ... est proscrit !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... relève d'une technique que nous considérons comme inacceptable : nous faisons la chasse aux adverbes ; je lui demande donc de participer à cette chasse et de tirer dans le même sens que nous. (Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ! le cri de l'adverbe ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Monsieur Ceccaldi-Raynaud, partagez-vous les ardeurs cynégétiques de M. le président de la commission des lois ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui, et je retire mon sous-amendement, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 98 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 32, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voulais intervenir sur le sous-amendement de M. Ceccaldi-Raynaud.
M. Dominique Braye. Il n'existe plus !
M. le président. Ce sous-amendement a été retiré, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je n'ai pas entendu M. Ceccaldi-Raynaud le retirer !
M. Dominique Braye. Vous n'avez pas entendu ce qu'a dit M. le président ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Est-il retiré, mon cher collègue ?
M. le président. Je vous confirme qu'il l'a été !
M. Dominique Braye. Oseriez-vous mettre en doute la parole de M. le président ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je crains que vous ne vous soyez trompés, car j'ai regardé notre collègue et à aucun moment je ne l'ai entendu retirer son sous-amendement.
M. Dominique Braye. C'est parce que vous avez mal regardé !
M. le président. Je vous rassure, ce sous-amendement a bien été retiré.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pourquoi je lui pose la question : le sous-amendement est-il retiré ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il est retiré, et je voterai contre l'amendement de la commission. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce que je viens d'entendre est si intéressant que nous demanderons un scrutin public, car nous espérons bien que M. Ceccaldi-Raynaud sera imité par nombre de membres de la majorité.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ce n'est pas sûr ! (Rires.)
M. Jean Delaneau. C'est la grande illusion !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quant à l'amendement n° 3, je considère qu'il est toujours aussi mal écrit.
D'abord, monsieur le rapporteur, j'ai dit tout à l'heure - et vous ne m'avez pas répondu - que vous persistez à viser « cet accès » qui doit être réservé. De quel accès s'agit-il ? Avant, on parle non pas d'un accès, mais d'une consultation : et, dans la phrase suivante, il est dit ; « Cette consultation... » On ne peut à la fois se référer à un accès et à une consultation !
Je vous demande donc au moins, puisque vous élaborez la loi, de l'écrire correctement ! J'espère que vous m'avez bien compris, et je m'adresse en particulier à M. le rapporteur. Votre texte, en effet, se lirait ainsi : « ... les données du fichier informatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l'intérieur et du fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié peuvent être consultées. Cet accès est réservé aux agents expressément habilités des services compétents du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale. » Quel accès ? Il n'en est pas question auparavant ! Et vous continuez : « Cette consultation est effectuée dans des conditions... »
J'aimerais aussi savoir, d'ailleurs, quels sont les agents expressément habilités : est-ce le Gouvernement qui le décidera ? J'ai posé la question tout à l'heure, mais on ne m'a pas répondu. Cela peut-il être des gens appartenant aux services spéciaux ? Le concierge de la place Beauveau, par exemple, peut-il être habilité à accéder ou à consulter ? J'aimerais avoir une réponse, car je n'en ai pas obtenu jusqu'à présent.
Sur le reste, j'aurais combattu le sous-amendement de M. Ceccaldi-Raynaud qui, subrepticement, tendait à rétablir ce que, précisément, la commission des lois veut supprimer, à savoir l'autorisation de consulter d'ores et déjà des fichiers qui n'existent pas encore, ce qui, évidemment, aurait été tout à fait contraire et à la Constitution et à la loi.
Telles sont les observations que je tenais à faire.
Je n'ai pas obtenu de réponse tout à l'heure ; peut-être puis-je en espérer une maintenant ? Quoi qu'il en soit, en ce qui nous concerne, je le répète, nous voterons contre l'amendement n° 3, et nous demandons un scrutin public.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 116:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Majorité absolue des suffrages | 158 |
Pour l'adoption | 218 |
Contre | 96 |
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, ainsi modifié.
(L'article 3 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)