M. le président. Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre de la culture sur les conséquences néfastes qu'aurait la construction d'un multiplex cinématographique à Paris pour le pluralisme culturel de la capitale. Celle-ci mettrait en péril nombre de salles à Paris et en banlieue.
Ces mégacomplexes induisent une structuration de la ville : de vastes zones, des quartiers entiers, voire des arrondissements restent déserts le soir, et des quartiers dits « spécialisés » apparaissent.
De plus, il semble que le préfet qui préside la commission d'équipement cinématographique de Paris, auprès de laquelle la société Gaumont a déposé une demande d'autorisation, n'ait pas pris, comme le prévoit la loi, un arrêté fixant la composition de ladite commission.
Ce serait extrêmement grave, puisque, pour se prononcer sur un tel projet, cette commission, présidée par le préfet, doit se voir remettre par la société qui demande l'autorisation les conclusions d'une étude permettant d'apprécier l'impact prévisible du projet. Le délai pour que la commission donne son avis a donc toutes les chances d'être forclos.
En effet, le décret d'application du 20 décembre 1996 prévoit dans son article 16 que, si aucune décision n'a été signifiée au demandeur avant la date fixée, l'autorisation est réputée accordée.
Pour toutes ces raisons, Mme Borvo demande à M. le ministre ce qu'il compte faire afin d'entamer sans délai une large concertation avec les professionnels du cinéma et de faire en sorte que la commission d'équipement cinématographique soit réunie à ce sujet.
Elle lui demande également si ses services ont eu connaissance de cette demande d'autorisation et, si c'est le cas, comment elle a été instruite. (N° 545.)
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, la construction d'un multiplex cinématographique dans le XVe arrondissement de Paris ne nous paraît pas correspondre aux besoins de la capitale en matière de pluralisme culturel.
Ce projet, vous le savez, donne la possibilité à la société Gaumont de construire, dans des conditions très intéressantes du point de vue financier, un ensemble cinématographique de quatorze, quinze, voire seize salles de cinéma, représentant près de 4 000 places.
Il est certainement très prometteur pour Indosuez, la Lyonnaise des eaux, Dumez, Forest-Hill ou les Mutuelles du Mans, qui participent à son financement, mais l'expérience des deux mégacomplexes existant déjà à Paris, aux Halles et à Montparnasse, laisse présager que la réalisation d'un projet d'une telle ampleur aurait des conséquences énormes pour la fréquentation des autres salles dans une zone géographique très étendue, comprenant non seulement le XVe arrondissement, mais aussi d'autres arrondissements limitrophes et le département des Hauts-de-Seine.
L'implantation de ces mégacomplexes induit en effet une structuration de la ville : de vastes zones, voire des arrondissements entiers restent déserts le soir, tandis que l'on constate l'apparition de quartiers « spécialisés » dans les activités culturelles.
Même le quartier Saint-Michel, bien connu, ne semble pas épargné : la baisse de fréquentation des salles y est considérable depuis l'installation du multiplex des Halles.
Pis encore, ces mégacomplexes, en raison de leur puissance financière, influencent en fait l'ensemble de la distribution. Le constat est déjà dressé : les effets sur la diversité de la programmation et sur la durée d'exploitation des films en salle, en France comme à l'étranger, sont désastreux.
Ainsi, en Grande-Bretagne, où l'on suit cette logique à toute force, les films britanniques ont pratiquement cédé la place au seul cinéma nord-américain.
En ce qui concerne le nouveau multiplex du XVe arrondissement, il a été demandé au Conseil de Paris de se prononcer sur un projet sans avoir recueilli l'avis de la commission d'équipement cinématographique de Paris, présidée par le préfet.
En effet, la société Gaumont aurait déposé sa demande voilà quatre mois, et il semble bien que le préfet de Paris n'ait pas pris, comme la loi le prévoit, un arrêté fixant la composition de ladite commission, qui ne se serait donc pas réunie.
Par conséquent, le délai dans lequel la commission doit donner son avis sera probablement écoulé ; or le décret d'application du 20 décembre 1996 prévoit dans son article 16 que, si aucune décision n'a été signifiée au demandeur avant la date fixée, l'autorisation est réputée accordée.
Dans une affaire d'une telle importance, le représentant de l'Etat aurait donc « laissé filer » ! C'est impensable, et j'espère, monsieur le ministre, que vous allez m'annoncer aujourd'hui que la commission se réunira, ce qui correspondrait tout simplement à l'application de la loi.
Par ailleurs, je souhaiterais savoir ce que vous comptez faire pour que soit entreprise une large concertation avec les professionnels du cinéma, sur ce cas précis du « Gaumont Aquaboulevard », mais aussi sur tous les projets de construction de complexes cinématographiques, à Paris ou ailleurs.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Comme vous l'avez souligné, madame le sénateur, l'apparition récente, en France, d'un nouveau type de complexes cinématographiques, les multiplex, suscite l'inquiétude conjointe d'une partie des exploitants et surtout des collectivités territoriales.
En effet, ces nouveaux établissements, qui comptent généralement plus de dix écrans et qui offrent au public un grand choix de séances, mais également de larges espaces d'accueil proposant d'autres activités et des facilités de parking, sont susceptibles d'attirer une clientèle très nombreuse.
Cette offre supplémentaire peut certes engendrer des conséquences positives pour la fréquentation cinématographique globale, mais également capter la clientèle à son profit et déstabiliser les salles situées à proximité. C'est particulièrement vrai à Paris.
Personnellement, je suis très attaché aux salles de cinéma classiques implantées au coeur de nos villes, dont j'estime qu'il faut enrayer la désertification.
Toutefois, la création de ces complexes est encore trop récente pour que l'on puisse analyser leur impact à moyen terme. Les chiffres disponibles pour l'année 1995 et ceux pour 1996, qui sont en cours d'examen, semblent cependant indiquer une grande diversité des situations locales.
Dans le souci de mesurer en permanence les effets des évolutions du parc de salles, j'ai décidé de créer un observatoire de la diffusion et de la fréquentation cinématrographiques qui réunit, sous la présidence du directeur général du Centre national de la cinématographie, toutes les branches de la profession. Cet observatoire a d'ailleurs commandé une étude sur l'impact des nouveaux types d'établissements, dont les résultats devraient lui être prochainement communiqués.
Ce que vous avez dit sur le cinéma anglais, madame Borvo, soulève évidemment un problème, mais les premiers résultats disponibles montrent que, cette année, les multiplexes ont plutôt favorisé le cinéma européen. Toutefois, seule une observation sur plusieurs années permettra de constater une évolution négative éventuelle.
Par ailleurs, le Parlement, par le vote de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, a décidé que la création de nouveaux ensembles de salles de plus de 1 500 places serait soumise à l'agrément préalable des commissions départementales d'équipement cinématographique, afin d'apprécier les conséquences que leur ouverture pourrait entraîner pour le tissu urbain et la vie sociale.
Cependant, dans le souci de faciliter la modernisation des installations implantées en centre-ville - on peut y construire des multiplex - le Parlement, par cette même loi, a porté à 2 000 fauteuils le seuil retenu pour soumettre à autorisation l'extension des complexes existant depuis cinq ans. La législation mise en place à cet effet le 5 juillet 1996 et le décret d'application du 20 décembre dernier ne prévoient pas la création d'une commission permanente, car la composition de cette instance est définie en fonction de chaque dossier et varie selon l'implantation future du projet.
S'agissant du dossier que vous avez évoqué, madame Borvo, qui est mis en oeuvre par la société Gaumont et qui concerne le site de l'Aquaboulevard, dans le XVe arrondissement de Paris, une demande est en cours d'instruction par les services de la préfecture de Paris. Elle devrait être soumise à la commission départementale lors d'une réunion dont la date sera prochainement fixée. Je ne peux donc vous en dire plus pour l'instant.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu nous apporter. Si j'ai bien compris, la commission devra se prononcer. C'est précisément ce que nous souhaitons.
Puisque vous avez créé un observatoire pour étudier les multiplexes, il serait regrettable de construire de nouveaux multiplexes autour de Paris avant de disposer d'une évaluation sérieuse.
Il serait nécessaire, comme le demandent les Parisiens qui, dans de nombreux endroits, se sont mobilisés pour avoir des cinémas de quartier, et les professionnels qui souhaitent des salles à taille humaine, qu'une concertation ait lieu avec toutes les personnes concernées.
Comme le disait André Malraux, le cinéma n'est pas seulement une industrie, c'est aussi un projet culturel. Il faut éviter que les films ne se consomment comme du pop-corn.
CONTRO^LES SUR LE FINANCEMENT
DES ACTIVITÉS CULTURELLES