RÉVISION DES PERSPECTIVES FINANCIÈRES
Adoption d'une résolution d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la résolution (n° 441, 1995-1996),
adoptée par la commission des finances, du contrôle bugétaire et des comptes
économiques de la nation, en application de l'article 73
bis
, alinéa 8,
du règlement, sur la proposition de révision des perspectives financières
présentée par la Commission au Parlement européen et au Conseil, en application
des paragraphes 11 et 12 de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 sur
la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire (n° E
628). [Rapport n° 431 (1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner la résolution de
notre commission des finances sur la proposition de révision des perspectives
financières préparée par la Commission européenne, en application de l'accord
interinstitutionnel du 29 octobre 1993.
Permettez-moi d'abord d'exprimer une satisfaction. Il n'y en aura pas beaucoup
d'autres !
L'accord interinstitutionnel de 1993 lui-même n'avait pas, à l'époque, été
transmis au Parlement, car le Conseil d'Etat avait estimé qu'il ne s'agissait
pas, en l'espèce, d'un acte communautaire au sens de l'article 88-4 de la
Constitution. De tels accords n'avaient en effet pas été prévus par le traité
de Rome.
Le fait qu'un document annexe à cet accord nous ait été transmis constitue
donc un réel progrès dans le sens du contrôle parlementaire de la politique
budgétaire communautaire. Je pense que ce progrès est irréversible et qu'à
l'avenir la totalité des dispositions financières des accords
interinstitutionnels seront ainsi transmis au Parlement.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Denis Badré,
rapporteur.
Il faut que ce soit le cas. Le contenu même du texte que nous
examinons, qui est éminemment politique, confirme cette nécessité.
En effet, chaque année, le Parlement est sollicité au moment du débat
budgétaire pour approuver la contribution française au budget des Communautés
européennes. Celle-ci est bien conditionnée, dans son montant, par le niveau
des dépenses budgétaires européennes, lesquelles sont directement déterminées
par les différents accords interinstitutionnels.
Les deux accords du 27 mai 1988 et du 29 octobre 1993 ont réalisé chacun une
programmation des crédits budgétaires européens à moyen terme dans des
conditions telles que l'exercice de préparation du budget annuel des
Communautés européennes, sans être entièrement automatique, s'est trouvé et se
trouvera jusqu'en 1999 largement prédéterminé. Cette programmation financière
consiste à fixer des plafonds aux crédits d'engagement, à prévoir par grandes
catégories d'actes.
Nous sommes ainsi chaque année appelés à financer les programmes que le jargon
européen a nommé « Paquet Delors I » et « Paquet Delors II », sans que, je le
rappelle, nous ayons été vraiment consultés ni sur la nature ni sur l'ampleur
du contenu de ces paquets.
Notre débat porte apparemment sur un événement ordinaire dans la vie
budgétaire de l'Europe. Il est cependant essentiel, car il pose de véritables
questions de principe, et il vient à son heure alors que nous allons aborder
les négociations sur de nouvelles perspectives financières, les perspectives
actuelles trouvant leur terme en 1999.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous aurez à coeur d'associer très
étroitement le Parlement à ce processus dont le résultat commandera sans aucun
doute la crédibilité budgétaire d'une Europe qui, à la différence de certains
de ses Etats membres, n'a, en ce domaine, guère progressé ces dernières
années.
Nous avons devant nous des échéances capitales pour l'avenir de l'Europe :
conférence intergouvernementale, monnaie unique et élargissement. Dans ce
contexte, la construction de la programmation budgétaire qui ouvrira le xxie
siècle ne sera pas l'épreuve la plus facile pour l'Union. C'est bien déjà dans
cette négociation que nous entrons aujourd'hui avec le texte que nous
examinons.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Denis Badré,
rapporteur.
De quoi s'agit-il ?
Comme pour toute programmation à moyen terme, l'accord de 1993 ménageait des
possibilités de modification des perspectives financières qu'il arrêtait.
Il prévoyait, d'abord, une formule d'adaptation annuelle regroupant les
ajustements techniques destinés à tenir compte de la croissance du PNB et des
prix, et les adaptations liées aux conditions d'exécution budgétaire.
Il offrait, ensuite, une possibilité de révision proprement dite afin de «
faire face à la nécessité d'engager des actions non prévues à l'origine dans le
respect du plafond des ressources propres. » C'est à une telle révision que la
proposition de la Commission invite le Conseil et le Parlement européens.
Il faut rappeler que l'accord interinstitutionnel de 1993 encadrait par
ailleurs la capacité d'initiative de la Commission en édictant quelques
principes.
Je rappelle également que les dépenses communautaires sont classées en six
rubriques principales.
L'accord recommandait, d'abord, de rechercher, au sein d'une même rubrique,
toutes les possibilités de réaffectation de dépenses entre les programmes
qu'elle regroupe. Il demandait, ensuite, en cas d'échec de la procédure
précédente, de rechercher les possibilités de compenser le relèvement du
plafond d'une rubrique par la réduction du plafond d'une autre rubrique,
c'est-à-dire, en somme, de gager les nouvelles dépenses.
Or la proposition de la Commission, malgré la présentation que celle-ci en
fait, s'affranchit de ces principes.
Elle ne s'appuie que très marginalement sur une reclassification des dépenses
entre programmes d'une même rubrique. L'augmentation des crédits d'engagement
dont bénéficient certains programmes n'est en effet pas vraiment gagée.
En revanche, elle débouche sur une augmentation du plafond d'une rubrique, à
savoir celle qui est consacrée aux politiques internes. Cette augmentation est
de 1,5 milliard d'écus pour les années 1997 à 1999, ce qui n'est pas
négligeable et n'est qu'apparemment compensé par la diminution du plafond des
crédits d'une autre rubrique, celle qui est consacrée aux actions
structurelles. Cette diminution est en effet largement optique puisqu'elle
résulte d'une reclassification de certaines de ces actions dans la rubrique
agricole.
En clair, il s'agit de faire financer de nouvelles dépenses non obligatoires
par redéploiement de marges « escomptées » sous la ligne directrice agricole.
Telle est, présentée de manière très peu caricaturale, la proposition de la
Commission.
La résolution de la commission des finances vise à demander au Gouvernement de
s'opposer fermement à cette initiative de la Commission européenne.
Elle le fait pour de nombreux motifs que je vais présenter brièvement, après
m'être interrogé sur les questions de principe soulevées par la programmation à
moyen terme du budget européen. Je pense que c'est l'occasion de le faire.
Cette programmation repose toujours sur l'idée que l'accroissement des
dépenses européennes est souhaitable, systématique, voire quasi fatal. Or cette
conception n'est plus adaptée aux contraintes financières du moment.
Cette logique contraste, à l'évidence, avec celle qui prévaut dans les Etats
membres. Je dirai même qu'elle entre en conflit avec celle-ci et que sa
cohérence propre est tout à fait discutable.
Je m'explique. L'accroissement des dépenses communautaires se traduit par un
accroissement des prélèvements sur recettes appelés auprès des Etats membres.
Or ceux-ci connaissent actuellement, pour la plupart, une progression de leurs
recettes fiscales légèrement inférieure à celle de leur PIB. Le fait que la
ponction exercée par le budget européen sur leurs ressources soit elle-même en
accroissement plus rapide que le PIB n'est financièrement pas sain.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Denis Badré,
rapporteur.
Comme, dans le même temps, les ajustements budgétaires
internes impliquent une maîtrise très sévère des dépenses publiques nationales,
on peut dire que la dépense publique communautaire exerce un effet d'éviction
sur la dépense publique nationale.
Par ailleurs, le principe d'additionnalité veut que l'affectation de chaque
écu communautaire au titre des dépenses structurelles soit conditionnée par
l'engagement simultané d'un écu national. Dans ce domaine, les Etats membres
doivent donc aligner le rythme de leurs dépenses sur celui qui est imposé par
Bruxelles. Mais nous savons que bien peu parmi ces Etats membres peuvent
aujourd'hui suivre un rythme de progression de 8 p. 100 l'an.
Nous avons donc là de quoi dégrader sérieusement l'image de la construction
européenne, que, pour notre part et à l'inverse, nous cherchons inlassablement
à servir. Nous ne voulons pas que Bruxelles joue contre l'Europe !
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Denis Badré,
rapporteur.
Et c'est bien pourquoi il nous apparaît indispensable que
l'évolution des perspectives financières soit, d'une part, mieux adaptée aux
orientations financières des Etats membres et, d'autre part, plus conforme aux
principes de base qui régissent la dépense européenne elle-même :
l'additionnalité, sur laquelle nous venons de nous arrêter, la subsidiarité,
bien sûr, et toujours l'efficacité.
Monsieur le ministre, j'en viens maintenant aux raisons de fond qui motivent
notre résolution et aux cinq arguments qui nous conduisent à vous demander de
vous y opposer.
Je vous exposerai, tout d'abord, nos raisons de fond.
La révision vise à dégager des financements pour des programmes conçus sur la
base d'une croissance escomptée supérieure à la croissance effective. Le «
calibrage » financier de nombre de programmes communautaires ayant surestimé la
croissance du PIB, il apparaît que les adaptations techniques des perspectives
financières ne suffisent pas à en assurer le financement.
Plutôt que de constater ce défaut de prévision et d'adapter les programmes en
conséquence, la Commission se livre à une révision des perspectives financières
destinée à faire l'impasse sur la dégradation des réalités économiques. Nous ne
pouvons accepter cette façon de faire.
La proposition de la Commission se traduirait par une rupture dans l'équilibre
des relations financières entre les Etats membres et le budget communautaire.
Elle vise en effet à accroître le caractère effectif des dépenses
communautaires, non pas en considération d'un quelconque objectif d'efficacité,
mais tout simplement en recyclant les marges ouvertes par les
sous-consommations de crédits.
Ainsi se trouverait contournée la règle selon laquelle l'effort demandé aux
Etats membres doit s'adapter à la réalité des dépenses communautaires. Ainsi se
trouverait vidé de spécification et de signification l'exercice de
programmation que représente la définition des perspectives financières.
Sans doute faut-il modifier la règle du jeu, mais jamais en cours de partie,
ni sans réflexion préalable, ni surtout - vous le comprendrez, monsieur le
ministre - sans nous.
Je souligne que, dans la partie qui se joue aujourd'hui, le changement de la
règle n'est pas neutre pour la France. Il nous conduirait à supporter un effort
financier supplémentaire important.
Enfin, la révision proposée s'affranchit, en réalité, des principes posés par
l'accord interinstitutionnel. Voilà quelques instants, j'ai déjà développé ce
point ; je n'y reviens donc pas.
Je termine en énumérant les cinq arguments précis qui nous font condamner la
proposition de la Commission.
Premièrement, si des « provisions » doivent être prévues sur une rubrique du
budget communautaire, c'est bien d'abord dans le domaine agricole pour cause
d'encéphalopathie spongiforme bovine. La proposition dit le contraire. Il n'est
donc certainement pas opportun de toucher à ces crédits. Il semblerait,
d'ailleurs, que notre manière de voir ait finalement prévalu, hier, à
Florence.
Faut-il en déduire que la proposition sera abandonnée, puisqu'elle n'a plus de
financement, ou que son financement sera dégagé par ailleurs ? Nous ne le
savons pas, pour l'instant.
Deuxièmement, dans le contexte général de rigueur actuel et pour être
cohérents avec les efforts que mènent les Etats membres pour réduire leurs
déficits, nous pensons que, si des marges réelles apparaissent dans une
rubrique, la rubrique agricole ou une autre, elles doivent se transformer
immédiatement en économies nettes. Un tel choix politique s'impose dans le
contexte actuel. Il s'imposerait à chacun des Etats membres ; il doit s'imposer
a fortiori
à l'Union européenne.
Troisièmement, un examen ligne par ligne fait apparaître le caractère non
pertinent, voire inutile, de chacun des abondements de crédits proposés par la
proposition de révision. Un seul d'entre eux pourrait se justifier dans son
principe, celui qui vise à accélérer la réalisation des réseaux
transeuropéens.
Nous sommes en effet nous-mêmes favorables à ce principe puisque ces réseaux
sont porteurs d'emplois et structurants pour l'Europe. Ils représentent donc
bien une priorité, à nos yeux. L'état de consommation des crédits
correspondants ne semble cependant pas justifier d'abondement pour l'instant
sur ce poste. Même sur ce point, nous pensons que la proposition ne peut être
retenue.
Quatrièmement, sur le plan de principes plus généraux, la confusion budgétaire
qui résulterait de redéploiements de dépenses obligatoires et non obligatoires
desservirait gravement la construction européenne. Au contraire, nous devons
réaffirmer, aujourd'hui plus que jamais, la nécessité d'une distinction claire
entre ces deux types de dépenses et demander, pour le présent comme pour
l'avenir, que l'on s'y tienne rigoureusement. A défaut, nous partirons dans la
confusion et nous ne pourrons plus construire le moindre budget européen.
Cinquièmement, enfin, plus généralement, le moment est venu de condamner le
principe d'une programmation qui s'appuierait sur l'idée qu'un accroissement
incessant du budget communautaire est non seulement inévitable mais même
souhaitable. J'ai déjà eu l'occasion de dire à cette tribune qu'aujourd'hui
moins de budget peut signifier plus d'Europe.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention peut être perçue
comme un réquisitoire contre la proposition de la Commission. Je choisis
clairement de vous la présenter, d'abord et surtout, comme un plaidoyer pour la
construction européenne. Nous ne pourrons poursuivre celle-ci que si nous
réaffirmons notre attachement à des principes budgétaires clairs et
rigoureux.
Il est important de le rappeler aujourd'hui alors que nous commençons à
travailler sur l'avant-projet de budget pour 1997, alors surtout que nous
devons lancer une réflexion approfondie pour préparer l'échéance de 1999. Ce
dernier exercice pourra d'autant moins éluder la question d'une révision
profonde de certaines politiques qu'il se situera dans le contexte de
l'élargissement. Je vise, en particulier, les politiques structurelles et la
politique agricole commune, bien sûr.
Je ne peux terminer mon propos sans dire quelques mots de l'avant-projet de
budget pour 1997. Celui-ci marque dans sa présentation, et c'est nouveau, un
souci de rigueur. La sagesse progresse dans le discours. Malheureusement, nos
premiers examens de cet avant-projet montrent que, s'il y a inflexion dans le
discours, il n'y en a pas dans la réalité. Cet avant-projet, qui nous a été
transmis tardivement, marque encore une progression des crédits de paiement de
16 milliards de francs, alors qu'en France nous cherchons à réduire nos
dépenses de 60 milliards de francs. Il devrait pourtant être moins difficile de
bâtir un budget rigoureux pour l'Europe puisque ses recettes sont garanties et
qu'elle n'a pas de dette à gérer !
Cet avant-projet que l'on nous propose, dont la rigueur est donc pour le moins
discutable, n'est pas non plus un modèle de cohérence.
Je note en effet qu'il laisse filer à un rythme de 8 p. 100 les crédits
réservés aux politiques structurelles. Or il s'agit de dépenses couvrant des
actions exécutées à moins de 80 p. 100 et qui posent encore de nombreux
problèmes ; la dispersion des opérations, la dilution des objectifs de
programmes, qui intéressent aujourd'hui un Européen sur deux, l'insuffisant
respect par les Etats du principe d'additionnalité, pour ne pas parler des
fraudes, ne militent pas pour une augmentation de ce type de crédits.
J'ajoute que, si cet avant-projet bloque d'emblée au plafond des perspectives
financières les dépenses agricoles et structurelles, il ne le fait pas
précisément pour les chapitres pour lesquels la révision, objet principal de
notre débat d'aujourd'hui, demande des déplafonnements. Alors faut-il augmenter
ou réduire ces crédits ?
La « religion » de la Commission ne semble pas faite sur ce point ou plutôt, à
partir du moment où elle choisit de laisser exploser les crédits structurels,
elle ne peut que laisser « toiser » les autres crédits des politiques internes
ou externes par le jeu du plafond de 1,20 p. 100 du PNB, plafond auquel sont
soumises les recettes. Gribouille s'y retrouverait mieux que nous !
Pour toutes ces raisons, et pour quelques autres que je ne reprends pas ici,
la commission considère que cet avant-projet de budget pour 1997 mérite d'être
amélioré. En l'état, elle le considère sans aucun enthousiasme.
Dans ce contexte, vous aurez bien compris, monsieur le ministre - j'en reviens
à notre proposition de résolution - que, si nous vous demandons de vous opposer
fermement aux propositions de révision de la Commission, nous le faisons après
une analyse approfondie et attentive de celles-ci, sans aucun état d'âme, et
parce que le moment nous semble venu de nous doter d'une procédure budgétaire
et d'un budget européen clairs, lisibles, qui traduisent de vrais choix.
Nous le faisons donc bien d'abord pour l'Europe, à la construction de laquelle
nous croyons plus que jamais.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d'avoir l'occasion
de participer à ce débat, inscrit à l'ordre du jour en application de l'article
88-4 de la Constitution, débat qui permet aujourd'hui au Sénat de donner un
avis, en votant une résolution, sur un texte communautaire important, à savoir
la proposition de révision des perspectives financières présentée par la
Commission.
Comme l'a excellemment rappelé votre rapporteur, les finances communautaires
sont régies par un texte d'une valeur juridique complexe mais d'une portée
politique forte, mis au point par un accord passé entre les trois institutions
européennes - le Conseil, le Parlement et la Commission - et qui fixe à la fois
le plafond des ressources propres et des sous-plafonds par catégorie de
dépenses.
L'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 prévoit la possibilité de
réviser ce cadre pluriannuel lorsque des événements exceptionnels se
produisent. La Commission européenne a fait une proposition, et la question qui
nous est posée est de savoir si des événements imprévus exceptionnels
justifiant une révision des perspectives financières ont eu lieu.
Le Gouvernement a tendance à répondre par la négative, et je crois pouvoir
faire miens, au nom du Gouvernement, tous les arguments qui ont été avancés par
votre rapporteur.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
Cette révision nous paraît d'autant moins opportune que
la plupart des Etats de la Communauté, à commencer par la France, sont engagés
dans une politique d'assainissement de leurs finances publiques. Celle-ci
pourrait être en partie compromise par un accroissement trop rapide des
dépenses communautaires qui pèserait sur nos propres finances nationales.
Si nous nous sommes engagés dans cette politique d'assainissement de nos
finances publiques, ce n'est pas pour des raisons européennes ; c'est
essentiellement pour des raisons d'intérêt national. En effet, nos finances
publiques étaient dans une situation telles qu'elles étaient menacées de
banqueroute à brève échéance.
C'est pourquoi il nous paraît essentiel de réduire nos déficits publics, de
façon à réduire la dette et à pouvoir, le plus rapidement possible, réduire la
pression fiscale. En effet, nous sommes convaincus que l'une des raisons
principales de l'insuffisance du taux de croissance de notre économie réside
dans la véritable asphyxie que des prélèvements obligatoires excessifs font
peser sur notre activité.
Je rappelle qu'en 1996, dans le cadre de perspectives financières généreuses,
les crédits inscrits au budget initial de l'Union européenne ont progressé de
plus de 8 p. 100 par rapport à 1995.
Je rappelle également que les prélèvements sur les recettes de l'Etat servant
à financer la contribution française au budget européen représentent 6 p. 100
de nos recettes, et que cette contribution a doublé en l'espace de dix ans.
Comme l'indiquait M. le rapporteur, la Commission européenne a présenté une
proposition tendant à augmenter, sur la période 1997-1999, les crédits affectés
à certaines dépenses - les réseaux transeuropéens, la recherche, l'aide aux
républiques du Caucase, les dépenses immobilières notamment - et à financer cet
accroissement de dépenses par l'utilisation de ce qui apparaissait, voilà
quelques mois, comme des marges prévisibles sous la ligne directrice
agricole.
Cette proposition appelle deux types de réserve, et, là encore, je rejoins les
propos de M. Badré.
Tout d'abord, cette présentation apparemment équilibrée, puisque des dépenses
supplémentaires dans certaines catégories seraient compensées par des économies
dans d'autres, ne doit pas laisser croire que cette révision des perspectives
serait neutre pour les finances des Etats membres.
En effet, la ligne directrice agricole constitue le plafond des dépenses
agricoles mais non un impératif de dépenses. Dès lors, si des marges de
sous-exécution apparaissent par rapport au plafond, il est tout à fait légitime
- c'est ce que nous avons fait jusqu'à présent - qu'elles reviennent aux Etats
membres sous forme d'une diminution de leur contribution, au lieu d'être
réutilisées en faveur de nouvelles dépenses, comme le propose la Commission.
Cette révision, qui a l'apparence de la neutralité budgétaire, se traduirait
donc, pour la France, par un surcroît de contribution de l'ordre de 2 milliards
de francs sur la période 1997-1999.
Par ailleurs, si l'on pouvait espérer, voilà encore quelque temps, que la
situation générale des marchés agricoles pourrait permettre de dégager des
économies sous la ligne directrice agricole, les développements de la maladie
de la vache folle font craindre que ces économies ne soient finalement très
inférieures à ce que l'on attendait.
J'en viens à la deuxième réserve.
Les besoins de crédits identifiés dans le projet de la Commission sont
susceptibles d'être couverts dans le cadre actuel, qu'il s'agisse de la
recherche, des dépenses administratives ou des aides en faveur des républiques
du Caucase.
Pour nous, Français, parmi ces propositions d'action ou de dépenses nouvelles,
la plus importante concerne les réseaux transeuropéens de transport. Nous
sommes tout à fait d'accord pour leur accorder une priorité - la France l'avait
d'ailleurs proposé depuis plus de deux ans - mais cette priorité peut être
financée dans le cadre actuel, au bénéfice d'une hiérarchisation claire des
politiques internes.
M. Denis Badré,
rapporteur.
Absolument !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
En effet, la ligne budgétaire des réseaux de transport
européen est déjà dotée de 1,8 milliard d'écus pour la période 1994-1999. A ces
crédits peuvent s'ajouter les marges de manoeuvre supplémentaires qui
pourraient, chaque année, être dégagées au sein de la rubrique des politiques
internes par redéploiement, et non par appel à des ressources supplémentaires
auprès des Etats.
M. Denis Badré,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
Or les possibilités de redéploiement n'ont pas été
entièrement explorées par la Commission.
Je rappelle qu'en 1996 le Conseil est parvenu à augmenter de 50 millions
d'écus la dotation des réseaux de transport par rapport à ce que prévoyait
l'avant-projet de budget de la Commission, tout en diminuant le total des
dépenses de la rubrique des politiques internes de près de 200 millions
d'écus.
Des marges existent donc
a fortiori
pour 1998 et 1999 puisque, ces
années-là, les plafonds de dépenses vont progresser plus rapidement que
l'inflation, conformément à la programmation arrêtée à Edimbourg.
Il faut donc utiliser pleinement ces marges avant de songer à une quelconque
augmentation des crédits qui serait incompatible avec les contraintes
budgétaires nationales.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
Enfin, une discussion sur la révision des perspectives
financières pourrait susciter, au sein tant du Conseil que du Parlement
européen, des revendications additionnelles qui viendraient s'ajouter aux
propositions de la Commission et donc aggraver l'impact de ces propositions.
A ce jour, notre stratégie a consisté à s'opposer à toute modification du
cadre général défini à Edimbourg, cadre qui avait fait l'objet d'une simple
adaptation technique lors de l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la
Suède. Il ne nous paraît pas souhaitable, aujourd'hui, de le modifier.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que la France s'est opposée à cette
révision - et elle continuera de s'y opposer - notamment lors du dernier
conseil ECOFIN de mars.
Dans la perspective du Conseil européen de Florence, qui s'est tenu les 21 et
22 juin dernier, la Commission, prenant acte des réserves sérieuses exprimées
par plusieurs Etats membres, dont la France, a sensiblement modifié son projet,
en le recentrant sur les réseaux transeuropéens de transports, ainsi que sur la
recherche et les PME.
D'un montant plus modeste, 1 milliard d'écus, la proposition, dans son nouvel
état, n'affecte plus la ligne directrice agricole.
Le Conseil européen de Florence a pris acte de cette proposition modifiée de
révision et en a renvoyé l'examen au prochain conseil ECOFIN, qui se tiendra en
principe le 8 janvier prochain, en précisant que cet examen se ferait «
conformément aux impératifs de rigueur budgétaire ». C'est dire que la
délégation française au conseil ECOFIN maintiendra la ligne précédemment
arrêtée, en suivant de près les recommandations qui sont contenues dans la
résolution qui vous est soumise.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Richard.
M. Alain Richard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me
revient d'exprimer le sentiment du groupe socialiste sur cette résolution
relative à la proposition de révision des perspectives financières de la
Communauté.
Si nous prenons une position distincte de celle de la majorité et du
Gouvernement, c'est non parce que nous contestons les choix de prudence
financière qui ont été exposés ici, mais parce que nous croyons déceler dans le
texte de cette résolution, ainsi que dans certains des motifs qui ont été
avancés avec beaucoup de clarté et de franchise par M. Badré, une approche
systématique tendant à considérer comme structurellement négatif tout
développement des dépenses communautaires.
Certes, cette argumentation est assortie d'un certain nombre d'engagements
politiques favorables à la poursuite de la construction européenne. Il
n'empêche : il y a une certaine contradiction à dire qu'on souhaite donner à la
puissance publique européenne le moyen d'agir, mais que cela ne saurait se
traduire par une augmentation de sa part dans les dépenses publiques
communautaires.
Pour notre part, nous ne sommes pas ennemis des dépenses publiques
communautaires.
D'ailleurs, nous ne croyons pas à la validité du raisonnement économique, au
demeurant très nouveau, qui a été exposé récemment lors du débat d'orientation
budgétaire par vous-même, monsieur le ministre, et selon lequel il serait
scientifiquement démontré que l'accroissement des dépenses publiques est
générateur de baisse de croissance. Ce raisonnement disparaîtra de la mode
probablement aussi vite qu'il y est entré. Mieux vaut donc garder la tête
froide sur cette question.
L'argumentation à laquelle nous nous rangeons insiste, elle, sur l'aspect
conjoncturel : selon nous, il n'est pas opportun, pour la période couverte par
l'accord d'Edimbourg, de relever les plafonds des dépenses communautaires dans
la mesure où existe un problème de régulation budgétaire globale dans plusieurs
des grands Etats membres.
Même si le budget communautaire représente une masse financière beaucoup plus
modérée que l'addition des budgets nationaux, il n'est pas souhaitable, pour
les deux ou trois prochaines années, c'est-à-dire conjoncturellement, de
faciliter un développement des dépenses communautaires.
Sur ce sujet, toute approche systématique et à coloration idéologique suscite
a contrario
notre méfiance.
En outre, de la même manière qu'il faut éviter de susciter des situations de
concurrence ou de rivalité entre la haute administration nationale, que je
serais bien le dernier à vouloir critiquer, et la haute administration
communautaire, gardons-nous d'opposer le Parlement national, que je ne suis pas
plus porté à critiquer, et le Parlement européen.
C'est pourquoi je reste toujours très perplexe à l'idée qu'on vienne expliquer
devant un Parlement national que, par principe, les dépenses communautaires
seraient irresponsables et peu efficaces, sachant que la même personne, appelée
à siéger au Parlement européen - et cela a été votre cas, monsieur le ministre
- expliquera vraisemblablement le contraire.
M. Emmanuel Hamel.
Je ne le crois pas ! En tout cas, j'espère que non !
M. Alain Richard.
Mon cher collègue, que celui qui n'a jamais péché...
Le jour où nous serons certains qu'il ne se dépense pas un franc du budget de
l'Etat de manière inefficace ou frauduleuse dans l'un quelconque des
départements de notre belle République, nous pourrons faire état d'une
suspicion, devenue légitime pour le coup, à l'égard des dépenses
communautaires. Vous me dispenserez d'en dire plus !
M. Emmanuel Hamel.
En l'occurrence, la suspicion est pour nous un devoir !
M. Alain Richard.
Nous nous opposons donc, nous aussi, à la révision des perspectives
financières proposée par la Commission européenne, du moins à celle qui était
précédemment proposée puisque, d'après les indications fournies par M. le
ministre, la situation a déjà évolué par rapport aux circonstances qui ont
entouré l'élaboration de la résolution.
Par ailleurs, il nous paraît tout à fait justifié de réclamer que des progrès
soient accomplis en matière d'efficacité de la dépense et que des garanties
soient obtenues quant à la crédibilité des nouveaux engagements, surtout si
l'on tient compte du nuage noir qui vient de se lever au-dessus du budget
communautaire du fait de la crise liée à l'encéphalopathie spongiforme
bovine.
En revanche, il nous semble qu'une position de vigilance pourrait très bien
être assortie d'un débat plus prospectif sur des dépenses communautaires
d'avenir.
En France, comme dans d'autres pays, on n'en a pas fini, en particulier, avec
la nécessité de procéder à un certain nombre de grosses reconversions
industrielles, et l'actualité, hélas ! le prouve encore. Nous le savons, des
régions, des villes de notre pays sont et seront encore touchées par des
problèmes graves de restructuration industrielle.
Dans le domaine des hautes technologies, notamment, notre compétitivité est
insuffisante par rapport à certains grands ensembles régionaux de l'Union
européenne. Dès lors, il n'est pas nécessairement inefficace d'accentuer
l'effort communautaire en matière de recherche ou d'infrastructures. Notre
continent a des objectifs ambitieux quant à la valorisation de son territoire
et à l'environnement, et l'Union européenne peut, à cet égard, jouer un rôle
accru.
Il nous semble donc que, tout en freinant aujourd'hui les imprudences qui
pourraient se faire jour au niveau des finances communautaires, il ne faut pas
perdre de vue l'approche combative et solidaire de la construction européenne,
qui peut se traduire, à un moment ou à un autre, par un accroissement des
dépenses.
Par conséquent, nous nous abstiendrons sur cette résolution pour éviter que
notre position soit confondue avec celle d'un libéralisme exagérément
systématique et dont la validité est parfois contredite par les faits.
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette
résolution de la commission des finances présente, de notre point de vue, un
caractère quelque peu inédit.
En effet, la proposition d'acte communautaire ici visée s'apparente, pour une
très large part, à une sorte d'arrêté d'annulation, de report ou de transfert
de crédits votés, procédure d'ailleurs utilisée assez régulièrement par le
Gouvernement ; c'est pourquoi, lors des débats portant sur les projets de loi
de finances rectificative, nous sommes appelés à examiner des articles
entérinant de tels mouvements.
Au demeurant, le gouvernement actuel, s'il veut tenir les objectifs de déficit
affichés dans la loi de finances initiale, soit 275 milliards de francs, sera
sans doute amené à procéder de la sorte puisque les projections découlant de
l'état actuel des recettes laissent prévoir, pour 1996, un déficit réel
supérieur de 30 à 35 milliards de francs.
Pour en revenir au budget des Communautés européennes, la Commission de
Bruxelles propose de ventiler ses crédits d'une manière différente de celle qui
a été adoptée pour le budget initial ; cela concerne 2,7 milliards d'écus.
La ventilation en question affecte singulièrement l'abondement des crédits
destinés au développement des réseaux transeuropéens, pour environ 1 milliard
d'écus, et le plan-cadre recherche, pour un montant de 690 millions d'écus,
plan destiné notamment à favoriser l'innovation technologique dans les petites
et moyennes entreprises.
Bien que la proposition d'acte communautaire ne le fasse pas apparaître, force
est de le constater, certains crédits seront amputés, quoiqu'il arrive. En
outre, l'argument avancé quant à l'absence d'effets sur la ligne directrice
agricole semble plutôt attester un manque total de clarté dans la définition
des politiques communautaires.
M. le rapporteur relève, par exemple, l'absence de décision modificative
relative à la situation créée par le développement de l'encéphalopathie
spongiforme bovine, alors même que les responsabilités de la Commission
européenne impliquent, de notre point de vue, un engagement financier sur ce
dossier.
En fait, la proposition d'acte communautaire montre, une fois de plus, les
limites d'une construction européenne technocratique, éloignée des
préoccupations réelles des Européens.
Dès lors, nous pourrions être amenés à suivre la commission des finances sur
la résolution qu'elle nous soumet. Mais nous n'estimons pas anormal que le
budget communautaire soit mis à contribution en ce qui concerne l'aide
internationale, ainsi que le prévoit la proposition d'acte.
Encore faudrait-il s'entendre de manière plus précise sur l'utilisation des
ressources de ce budget européen.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous abstiendrons lors du vote
sur la résolution.
M. Denis Badré,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré
rapporteur.
Je voudrais simplement réagir aux interventions de nos
collègues MM. Richard et Bécart.
Monsieur Richard, si nous souhaitons, évidemment, que l'Union européenne
dispose des moyens nécessaires pour agir, nous demandons qu'elle s'applique à
elle-même les principes de rigueur auxquels se soumettent les Etats membres.
C'est tout !
Il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une attitude systématique. Je n'ai pas dit
que les dépenses communautaires seraient par nature inefficaces ; je ne me
serais d'ailleurs jamais permis de dire une chose pareille ! J'ai simplement
dit que des progrès restaient à accomplir, ce dont tout le monde convient, pour
que l'objectif d'efficacité maximale de ces dépenses devienne réalité.
Ainsi, à propos de la progression de 8 p. 100 des dépenses d'action
structurelle prévues par l'avant-projet de budget pour 1997 présenté par la
Commission, j'ai noté qu'il s'agissait précisément de dépenses dont
l'efficacité pouvait améliorée. Il est nécessaire d'élaborer des projets
tendant à améliorer l'efficacité de ces dépenses avant de leur affecter un
coefficient de croissance de 8 p. 100 !
Une telle attitude n'a rigoureusement rien de systématique ; elle m'apparaît,
au contraire, comme tout à fait pragmatique.
Je crains, en fait, que des dérapages comme celui qu'atteste cette progression
de 8 p. 100 portant sur des dépenses dont la mise en oeuvre mérite d'être
améliorée ne desservent l'Europe ; c'est ce que je souhaite éviter par-dessus
tout.
A M. Bécart, je répondrai simplement que la résolution adoptée par la
commission des finances vise précisément à ce que la construction européenne
soit plus politique que technocratique.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la résolution de la commission des finances,
du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
J'en donne lecture :