RÉVISION DES PERSPECTIVES FINANCIÈRES

Adoption d'une résolution d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la résolution (n° 441, 1995-1996), adoptée par la commission des finances, du contrôle bugétaire et des comptes économiques de la nation, en application de l'article 73 bis , alinéa 8, du règlement, sur la proposition de révision des perspectives financières présentée par la Commission au Parlement européen et au Conseil, en application des paragraphes 11 et 12 de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire (n° E 628). [Rapport n° 431 (1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner la résolution de notre commission des finances sur la proposition de révision des perspectives financières préparée par la Commission européenne, en application de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993.
Permettez-moi d'abord d'exprimer une satisfaction. Il n'y en aura pas beaucoup d'autres !
L'accord interinstitutionnel de 1993 lui-même n'avait pas, à l'époque, été transmis au Parlement, car le Conseil d'Etat avait estimé qu'il ne s'agissait pas, en l'espèce, d'un acte communautaire au sens de l'article 88-4 de la Constitution. De tels accords n'avaient en effet pas été prévus par le traité de Rome.
Le fait qu'un document annexe à cet accord nous ait été transmis constitue donc un réel progrès dans le sens du contrôle parlementaire de la politique budgétaire communautaire. Je pense que ce progrès est irréversible et qu'à l'avenir la totalité des dispositions financières des accords interinstitutionnels seront ainsi transmis au Parlement.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur. Il faut que ce soit le cas. Le contenu même du texte que nous examinons, qui est éminemment politique, confirme cette nécessité.
En effet, chaque année, le Parlement est sollicité au moment du débat budgétaire pour approuver la contribution française au budget des Communautés européennes. Celle-ci est bien conditionnée, dans son montant, par le niveau des dépenses budgétaires européennes, lesquelles sont directement déterminées par les différents accords interinstitutionnels.
Les deux accords du 27 mai 1988 et du 29 octobre 1993 ont réalisé chacun une programmation des crédits budgétaires européens à moyen terme dans des conditions telles que l'exercice de préparation du budget annuel des Communautés européennes, sans être entièrement automatique, s'est trouvé et se trouvera jusqu'en 1999 largement prédéterminé. Cette programmation financière consiste à fixer des plafonds aux crédits d'engagement, à prévoir par grandes catégories d'actes.
Nous sommes ainsi chaque année appelés à financer les programmes que le jargon européen a nommé « Paquet Delors I » et « Paquet Delors II », sans que, je le rappelle, nous ayons été vraiment consultés ni sur la nature ni sur l'ampleur du contenu de ces paquets.
Notre débat porte apparemment sur un événement ordinaire dans la vie budgétaire de l'Europe. Il est cependant essentiel, car il pose de véritables questions de principe, et il vient à son heure alors que nous allons aborder les négociations sur de nouvelles perspectives financières, les perspectives actuelles trouvant leur terme en 1999.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous aurez à coeur d'associer très étroitement le Parlement à ce processus dont le résultat commandera sans aucun doute la crédibilité budgétaire d'une Europe qui, à la différence de certains de ses Etats membres, n'a, en ce domaine, guère progressé ces dernières années.
Nous avons devant nous des échéances capitales pour l'avenir de l'Europe : conférence intergouvernementale, monnaie unique et élargissement. Dans ce contexte, la construction de la programmation budgétaire qui ouvrira le xxie siècle ne sera pas l'épreuve la plus facile pour l'Union. C'est bien déjà dans cette négociation que nous entrons aujourd'hui avec le texte que nous examinons.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur. De quoi s'agit-il ?
Comme pour toute programmation à moyen terme, l'accord de 1993 ménageait des possibilités de modification des perspectives financières qu'il arrêtait.
Il prévoyait, d'abord, une formule d'adaptation annuelle regroupant les ajustements techniques destinés à tenir compte de la croissance du PNB et des prix, et les adaptations liées aux conditions d'exécution budgétaire.
Il offrait, ensuite, une possibilité de révision proprement dite afin de « faire face à la nécessité d'engager des actions non prévues à l'origine dans le respect du plafond des ressources propres. » C'est à une telle révision que la proposition de la Commission invite le Conseil et le Parlement européens.
Il faut rappeler que l'accord interinstitutionnel de 1993 encadrait par ailleurs la capacité d'initiative de la Commission en édictant quelques principes.
Je rappelle également que les dépenses communautaires sont classées en six rubriques principales.
L'accord recommandait, d'abord, de rechercher, au sein d'une même rubrique, toutes les possibilités de réaffectation de dépenses entre les programmes qu'elle regroupe. Il demandait, ensuite, en cas d'échec de la procédure précédente, de rechercher les possibilités de compenser le relèvement du plafond d'une rubrique par la réduction du plafond d'une autre rubrique, c'est-à-dire, en somme, de gager les nouvelles dépenses.
Or la proposition de la Commission, malgré la présentation que celle-ci en fait, s'affranchit de ces principes.
Elle ne s'appuie que très marginalement sur une reclassification des dépenses entre programmes d'une même rubrique. L'augmentation des crédits d'engagement dont bénéficient certains programmes n'est en effet pas vraiment gagée.
En revanche, elle débouche sur une augmentation du plafond d'une rubrique, à savoir celle qui est consacrée aux politiques internes. Cette augmentation est de 1,5 milliard d'écus pour les années 1997 à 1999, ce qui n'est pas négligeable et n'est qu'apparemment compensé par la diminution du plafond des crédits d'une autre rubrique, celle qui est consacrée aux actions structurelles. Cette diminution est en effet largement optique puisqu'elle résulte d'une reclassification de certaines de ces actions dans la rubrique agricole.
En clair, il s'agit de faire financer de nouvelles dépenses non obligatoires par redéploiement de marges « escomptées » sous la ligne directrice agricole. Telle est, présentée de manière très peu caricaturale, la proposition de la Commission.
La résolution de la commission des finances vise à demander au Gouvernement de s'opposer fermement à cette initiative de la Commission européenne.
Elle le fait pour de nombreux motifs que je vais présenter brièvement, après m'être interrogé sur les questions de principe soulevées par la programmation à moyen terme du budget européen. Je pense que c'est l'occasion de le faire.
Cette programmation repose toujours sur l'idée que l'accroissement des dépenses européennes est souhaitable, systématique, voire quasi fatal. Or cette conception n'est plus adaptée aux contraintes financières du moment.
Cette logique contraste, à l'évidence, avec celle qui prévaut dans les Etats membres. Je dirai même qu'elle entre en conflit avec celle-ci et que sa cohérence propre est tout à fait discutable.
Je m'explique. L'accroissement des dépenses communautaires se traduit par un accroissement des prélèvements sur recettes appelés auprès des Etats membres. Or ceux-ci connaissent actuellement, pour la plupart, une progression de leurs recettes fiscales légèrement inférieure à celle de leur PIB. Le fait que la ponction exercée par le budget européen sur leurs ressources soit elle-même en accroissement plus rapide que le PIB n'est financièrement pas sain.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur. Comme, dans le même temps, les ajustements budgétaires internes impliquent une maîtrise très sévère des dépenses publiques nationales, on peut dire que la dépense publique communautaire exerce un effet d'éviction sur la dépense publique nationale.
Par ailleurs, le principe d'additionnalité veut que l'affectation de chaque écu communautaire au titre des dépenses structurelles soit conditionnée par l'engagement simultané d'un écu national. Dans ce domaine, les Etats membres doivent donc aligner le rythme de leurs dépenses sur celui qui est imposé par Bruxelles. Mais nous savons que bien peu parmi ces Etats membres peuvent aujourd'hui suivre un rythme de progression de 8 p. 100 l'an.
Nous avons donc là de quoi dégrader sérieusement l'image de la construction européenne, que, pour notre part et à l'inverse, nous cherchons inlassablement à servir. Nous ne voulons pas que Bruxelles joue contre l'Europe !
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur. Et c'est bien pourquoi il nous apparaît indispensable que l'évolution des perspectives financières soit, d'une part, mieux adaptée aux orientations financières des Etats membres et, d'autre part, plus conforme aux principes de base qui régissent la dépense européenne elle-même : l'additionnalité, sur laquelle nous venons de nous arrêter, la subsidiarité, bien sûr, et toujours l'efficacité.
Monsieur le ministre, j'en viens maintenant aux raisons de fond qui motivent notre résolution et aux cinq arguments qui nous conduisent à vous demander de vous y opposer.
Je vous exposerai, tout d'abord, nos raisons de fond.
La révision vise à dégager des financements pour des programmes conçus sur la base d'une croissance escomptée supérieure à la croissance effective. Le « calibrage » financier de nombre de programmes communautaires ayant surestimé la croissance du PIB, il apparaît que les adaptations techniques des perspectives financières ne suffisent pas à en assurer le financement.
Plutôt que de constater ce défaut de prévision et d'adapter les programmes en conséquence, la Commission se livre à une révision des perspectives financières destinée à faire l'impasse sur la dégradation des réalités économiques. Nous ne pouvons accepter cette façon de faire.
La proposition de la Commission se traduirait par une rupture dans l'équilibre des relations financières entre les Etats membres et le budget communautaire. Elle vise en effet à accroître le caractère effectif des dépenses communautaires, non pas en considération d'un quelconque objectif d'efficacité, mais tout simplement en recyclant les marges ouvertes par les sous-consommations de crédits.
Ainsi se trouverait contournée la règle selon laquelle l'effort demandé aux Etats membres doit s'adapter à la réalité des dépenses communautaires. Ainsi se trouverait vidé de spécification et de signification l'exercice de programmation que représente la définition des perspectives financières.
Sans doute faut-il modifier la règle du jeu, mais jamais en cours de partie, ni sans réflexion préalable, ni surtout - vous le comprendrez, monsieur le ministre - sans nous.
Je souligne que, dans la partie qui se joue aujourd'hui, le changement de la règle n'est pas neutre pour la France. Il nous conduirait à supporter un effort financier supplémentaire important.
Enfin, la révision proposée s'affranchit, en réalité, des principes posés par l'accord interinstitutionnel. Voilà quelques instants, j'ai déjà développé ce point ; je n'y reviens donc pas.
Je termine en énumérant les cinq arguments précis qui nous font condamner la proposition de la Commission.
Premièrement, si des « provisions » doivent être prévues sur une rubrique du budget communautaire, c'est bien d'abord dans le domaine agricole pour cause d'encéphalopathie spongiforme bovine. La proposition dit le contraire. Il n'est donc certainement pas opportun de toucher à ces crédits. Il semblerait, d'ailleurs, que notre manière de voir ait finalement prévalu, hier, à Florence.
Faut-il en déduire que la proposition sera abandonnée, puisqu'elle n'a plus de financement, ou que son financement sera dégagé par ailleurs ? Nous ne le savons pas, pour l'instant.
Deuxièmement, dans le contexte général de rigueur actuel et pour être cohérents avec les efforts que mènent les Etats membres pour réduire leurs déficits, nous pensons que, si des marges réelles apparaissent dans une rubrique, la rubrique agricole ou une autre, elles doivent se transformer immédiatement en économies nettes. Un tel choix politique s'impose dans le contexte actuel. Il s'imposerait à chacun des Etats membres ; il doit s'imposer a fortiori à l'Union européenne.
Troisièmement, un examen ligne par ligne fait apparaître le caractère non pertinent, voire inutile, de chacun des abondements de crédits proposés par la proposition de révision. Un seul d'entre eux pourrait se justifier dans son principe, celui qui vise à accélérer la réalisation des réseaux transeuropéens.
Nous sommes en effet nous-mêmes favorables à ce principe puisque ces réseaux sont porteurs d'emplois et structurants pour l'Europe. Ils représentent donc bien une priorité, à nos yeux. L'état de consommation des crédits correspondants ne semble cependant pas justifier d'abondement pour l'instant sur ce poste. Même sur ce point, nous pensons que la proposition ne peut être retenue.
Quatrièmement, sur le plan de principes plus généraux, la confusion budgétaire qui résulterait de redéploiements de dépenses obligatoires et non obligatoires desservirait gravement la construction européenne. Au contraire, nous devons réaffirmer, aujourd'hui plus que jamais, la nécessité d'une distinction claire entre ces deux types de dépenses et demander, pour le présent comme pour l'avenir, que l'on s'y tienne rigoureusement. A défaut, nous partirons dans la confusion et nous ne pourrons plus construire le moindre budget européen.
Cinquièmement, enfin, plus généralement, le moment est venu de condamner le principe d'une programmation qui s'appuierait sur l'idée qu'un accroissement incessant du budget communautaire est non seulement inévitable mais même souhaitable. J'ai déjà eu l'occasion de dire à cette tribune qu'aujourd'hui moins de budget peut signifier plus d'Europe.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention peut être perçue comme un réquisitoire contre la proposition de la Commission. Je choisis clairement de vous la présenter, d'abord et surtout, comme un plaidoyer pour la construction européenne. Nous ne pourrons poursuivre celle-ci que si nous réaffirmons notre attachement à des principes budgétaires clairs et rigoureux.
Il est important de le rappeler aujourd'hui alors que nous commençons à travailler sur l'avant-projet de budget pour 1997, alors surtout que nous devons lancer une réflexion approfondie pour préparer l'échéance de 1999. Ce dernier exercice pourra d'autant moins éluder la question d'une révision profonde de certaines politiques qu'il se situera dans le contexte de l'élargissement. Je vise, en particulier, les politiques structurelles et la politique agricole commune, bien sûr.
Je ne peux terminer mon propos sans dire quelques mots de l'avant-projet de budget pour 1997. Celui-ci marque dans sa présentation, et c'est nouveau, un souci de rigueur. La sagesse progresse dans le discours. Malheureusement, nos premiers examens de cet avant-projet montrent que, s'il y a inflexion dans le discours, il n'y en a pas dans la réalité. Cet avant-projet, qui nous a été transmis tardivement, marque encore une progression des crédits de paiement de 16 milliards de francs, alors qu'en France nous cherchons à réduire nos dépenses de 60 milliards de francs. Il devrait pourtant être moins difficile de bâtir un budget rigoureux pour l'Europe puisque ses recettes sont garanties et qu'elle n'a pas de dette à gérer !
Cet avant-projet que l'on nous propose, dont la rigueur est donc pour le moins discutable, n'est pas non plus un modèle de cohérence.
Je note en effet qu'il laisse filer à un rythme de 8 p. 100 les crédits réservés aux politiques structurelles. Or il s'agit de dépenses couvrant des actions exécutées à moins de 80 p. 100 et qui posent encore de nombreux problèmes ; la dispersion des opérations, la dilution des objectifs de programmes, qui intéressent aujourd'hui un Européen sur deux, l'insuffisant respect par les Etats du principe d'additionnalité, pour ne pas parler des fraudes, ne militent pas pour une augmentation de ce type de crédits.
J'ajoute que, si cet avant-projet bloque d'emblée au plafond des perspectives financières les dépenses agricoles et structurelles, il ne le fait pas précisément pour les chapitres pour lesquels la révision, objet principal de notre débat d'aujourd'hui, demande des déplafonnements. Alors faut-il augmenter ou réduire ces crédits ?
La « religion » de la Commission ne semble pas faite sur ce point ou plutôt, à partir du moment où elle choisit de laisser exploser les crédits structurels, elle ne peut que laisser « toiser » les autres crédits des politiques internes ou externes par le jeu du plafond de 1,20 p. 100 du PNB, plafond auquel sont soumises les recettes. Gribouille s'y retrouverait mieux que nous !
Pour toutes ces raisons, et pour quelques autres que je ne reprends pas ici, la commission considère que cet avant-projet de budget pour 1997 mérite d'être amélioré. En l'état, elle le considère sans aucun enthousiasme.
Dans ce contexte, vous aurez bien compris, monsieur le ministre - j'en reviens à notre proposition de résolution - que, si nous vous demandons de vous opposer fermement aux propositions de révision de la Commission, nous le faisons après une analyse approfondie et attentive de celles-ci, sans aucun état d'âme, et parce que le moment nous semble venu de nous doter d'une procédure budgétaire et d'un budget européen clairs, lisibles, qui traduisent de vrais choix.
Nous le faisons donc bien d'abord pour l'Europe, à la construction de laquelle nous croyons plus que jamais. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d'avoir l'occasion de participer à ce débat, inscrit à l'ordre du jour en application de l'article 88-4 de la Constitution, débat qui permet aujourd'hui au Sénat de donner un avis, en votant une résolution, sur un texte communautaire important, à savoir la proposition de révision des perspectives financières présentée par la Commission.
Comme l'a excellemment rappelé votre rapporteur, les finances communautaires sont régies par un texte d'une valeur juridique complexe mais d'une portée politique forte, mis au point par un accord passé entre les trois institutions européennes - le Conseil, le Parlement et la Commission - et qui fixe à la fois le plafond des ressources propres et des sous-plafonds par catégorie de dépenses.
L'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 prévoit la possibilité de réviser ce cadre pluriannuel lorsque des événements exceptionnels se produisent. La Commission européenne a fait une proposition, et la question qui nous est posée est de savoir si des événements imprévus exceptionnels justifiant une révision des perspectives financières ont eu lieu.
Le Gouvernement a tendance à répondre par la négative, et je crois pouvoir faire miens, au nom du Gouvernement, tous les arguments qui ont été avancés par votre rapporteur.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Cette révision nous paraît d'autant moins opportune que la plupart des Etats de la Communauté, à commencer par la France, sont engagés dans une politique d'assainissement de leurs finances publiques. Celle-ci pourrait être en partie compromise par un accroissement trop rapide des dépenses communautaires qui pèserait sur nos propres finances nationales.
Si nous nous sommes engagés dans cette politique d'assainissement de nos finances publiques, ce n'est pas pour des raisons européennes ; c'est essentiellement pour des raisons d'intérêt national. En effet, nos finances publiques étaient dans une situation telles qu'elles étaient menacées de banqueroute à brève échéance.
C'est pourquoi il nous paraît essentiel de réduire nos déficits publics, de façon à réduire la dette et à pouvoir, le plus rapidement possible, réduire la pression fiscale. En effet, nous sommes convaincus que l'une des raisons principales de l'insuffisance du taux de croissance de notre économie réside dans la véritable asphyxie que des prélèvements obligatoires excessifs font peser sur notre activité.
Je rappelle qu'en 1996, dans le cadre de perspectives financières généreuses, les crédits inscrits au budget initial de l'Union européenne ont progressé de plus de 8 p. 100 par rapport à 1995.
Je rappelle également que les prélèvements sur les recettes de l'Etat servant à financer la contribution française au budget européen représentent 6 p. 100 de nos recettes, et que cette contribution a doublé en l'espace de dix ans.
Comme l'indiquait M. le rapporteur, la Commission européenne a présenté une proposition tendant à augmenter, sur la période 1997-1999, les crédits affectés à certaines dépenses - les réseaux transeuropéens, la recherche, l'aide aux républiques du Caucase, les dépenses immobilières notamment - et à financer cet accroissement de dépenses par l'utilisation de ce qui apparaissait, voilà quelques mois, comme des marges prévisibles sous la ligne directrice agricole.
Cette proposition appelle deux types de réserve, et, là encore, je rejoins les propos de M. Badré.
Tout d'abord, cette présentation apparemment équilibrée, puisque des dépenses supplémentaires dans certaines catégories seraient compensées par des économies dans d'autres, ne doit pas laisser croire que cette révision des perspectives serait neutre pour les finances des Etats membres.
En effet, la ligne directrice agricole constitue le plafond des dépenses agricoles mais non un impératif de dépenses. Dès lors, si des marges de sous-exécution apparaissent par rapport au plafond, il est tout à fait légitime - c'est ce que nous avons fait jusqu'à présent - qu'elles reviennent aux Etats membres sous forme d'une diminution de leur contribution, au lieu d'être réutilisées en faveur de nouvelles dépenses, comme le propose la Commission.
Cette révision, qui a l'apparence de la neutralité budgétaire, se traduirait donc, pour la France, par un surcroît de contribution de l'ordre de 2 milliards de francs sur la période 1997-1999.
Par ailleurs, si l'on pouvait espérer, voilà encore quelque temps, que la situation générale des marchés agricoles pourrait permettre de dégager des économies sous la ligne directrice agricole, les développements de la maladie de la vache folle font craindre que ces économies ne soient finalement très inférieures à ce que l'on attendait.
J'en viens à la deuxième réserve.
Les besoins de crédits identifiés dans le projet de la Commission sont susceptibles d'être couverts dans le cadre actuel, qu'il s'agisse de la recherche, des dépenses administratives ou des aides en faveur des républiques du Caucase.
Pour nous, Français, parmi ces propositions d'action ou de dépenses nouvelles, la plus importante concerne les réseaux transeuropéens de transport. Nous sommes tout à fait d'accord pour leur accorder une priorité - la France l'avait d'ailleurs proposé depuis plus de deux ans - mais cette priorité peut être financée dans le cadre actuel, au bénéfice d'une hiérarchisation claire des politiques internes.
M. Denis Badré, rapporteur. Absolument !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. En effet, la ligne budgétaire des réseaux de transport européen est déjà dotée de 1,8 milliard d'écus pour la période 1994-1999. A ces crédits peuvent s'ajouter les marges de manoeuvre supplémentaires qui pourraient, chaque année, être dégagées au sein de la rubrique des politiques internes par redéploiement, et non par appel à des ressources supplémentaires auprès des Etats.
M. Denis Badré, rapporteur. Tout à fait !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Or les possibilités de redéploiement n'ont pas été entièrement explorées par la Commission.
Je rappelle qu'en 1996 le Conseil est parvenu à augmenter de 50 millions d'écus la dotation des réseaux de transport par rapport à ce que prévoyait l'avant-projet de budget de la Commission, tout en diminuant le total des dépenses de la rubrique des politiques internes de près de 200 millions d'écus.
Des marges existent donc a fortiori pour 1998 et 1999 puisque, ces années-là, les plafonds de dépenses vont progresser plus rapidement que l'inflation, conformément à la programmation arrêtée à Edimbourg.
Il faut donc utiliser pleinement ces marges avant de songer à une quelconque augmentation des crédits qui serait incompatible avec les contraintes budgétaires nationales.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Enfin, une discussion sur la révision des perspectives financières pourrait susciter, au sein tant du Conseil que du Parlement européen, des revendications additionnelles qui viendraient s'ajouter aux propositions de la Commission et donc aggraver l'impact de ces propositions.
A ce jour, notre stratégie a consisté à s'opposer à toute modification du cadre général défini à Edimbourg, cadre qui avait fait l'objet d'une simple adaptation technique lors de l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède. Il ne nous paraît pas souhaitable, aujourd'hui, de le modifier.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que la France s'est opposée à cette révision - et elle continuera de s'y opposer - notamment lors du dernier conseil ECOFIN de mars.
Dans la perspective du Conseil européen de Florence, qui s'est tenu les 21 et 22 juin dernier, la Commission, prenant acte des réserves sérieuses exprimées par plusieurs Etats membres, dont la France, a sensiblement modifié son projet, en le recentrant sur les réseaux transeuropéens de transports, ainsi que sur la recherche et les PME.
D'un montant plus modeste, 1 milliard d'écus, la proposition, dans son nouvel état, n'affecte plus la ligne directrice agricole.
Le Conseil européen de Florence a pris acte de cette proposition modifiée de révision et en a renvoyé l'examen au prochain conseil ECOFIN, qui se tiendra en principe le 8 janvier prochain, en précisant que cet examen se ferait « conformément aux impératifs de rigueur budgétaire ». C'est dire que la délégation française au conseil ECOFIN maintiendra la ligne précédemment arrêtée, en suivant de près les recommandations qui sont contenues dans la résolution qui vous est soumise. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient d'exprimer le sentiment du groupe socialiste sur cette résolution relative à la proposition de révision des perspectives financières de la Communauté.
Si nous prenons une position distincte de celle de la majorité et du Gouvernement, c'est non parce que nous contestons les choix de prudence financière qui ont été exposés ici, mais parce que nous croyons déceler dans le texte de cette résolution, ainsi que dans certains des motifs qui ont été avancés avec beaucoup de clarté et de franchise par M. Badré, une approche systématique tendant à considérer comme structurellement négatif tout développement des dépenses communautaires.
Certes, cette argumentation est assortie d'un certain nombre d'engagements politiques favorables à la poursuite de la construction européenne. Il n'empêche : il y a une certaine contradiction à dire qu'on souhaite donner à la puissance publique européenne le moyen d'agir, mais que cela ne saurait se traduire par une augmentation de sa part dans les dépenses publiques communautaires.
Pour notre part, nous ne sommes pas ennemis des dépenses publiques communautaires.
D'ailleurs, nous ne croyons pas à la validité du raisonnement économique, au demeurant très nouveau, qui a été exposé récemment lors du débat d'orientation budgétaire par vous-même, monsieur le ministre, et selon lequel il serait scientifiquement démontré que l'accroissement des dépenses publiques est générateur de baisse de croissance. Ce raisonnement disparaîtra de la mode probablement aussi vite qu'il y est entré. Mieux vaut donc garder la tête froide sur cette question.
L'argumentation à laquelle nous nous rangeons insiste, elle, sur l'aspect conjoncturel : selon nous, il n'est pas opportun, pour la période couverte par l'accord d'Edimbourg, de relever les plafonds des dépenses communautaires dans la mesure où existe un problème de régulation budgétaire globale dans plusieurs des grands Etats membres.
Même si le budget communautaire représente une masse financière beaucoup plus modérée que l'addition des budgets nationaux, il n'est pas souhaitable, pour les deux ou trois prochaines années, c'est-à-dire conjoncturellement, de faciliter un développement des dépenses communautaires.
Sur ce sujet, toute approche systématique et à coloration idéologique suscite a contrario notre méfiance.
En outre, de la même manière qu'il faut éviter de susciter des situations de concurrence ou de rivalité entre la haute administration nationale, que je serais bien le dernier à vouloir critiquer, et la haute administration communautaire, gardons-nous d'opposer le Parlement national, que je ne suis pas plus porté à critiquer, et le Parlement européen.
C'est pourquoi je reste toujours très perplexe à l'idée qu'on vienne expliquer devant un Parlement national que, par principe, les dépenses communautaires seraient irresponsables et peu efficaces, sachant que la même personne, appelée à siéger au Parlement européen - et cela a été votre cas, monsieur le ministre - expliquera vraisemblablement le contraire.
M. Emmanuel Hamel. Je ne le crois pas ! En tout cas, j'espère que non !
M. Alain Richard. Mon cher collègue, que celui qui n'a jamais péché...
Le jour où nous serons certains qu'il ne se dépense pas un franc du budget de l'Etat de manière inefficace ou frauduleuse dans l'un quelconque des départements de notre belle République, nous pourrons faire état d'une suspicion, devenue légitime pour le coup, à l'égard des dépenses communautaires. Vous me dispenserez d'en dire plus !
M. Emmanuel Hamel. En l'occurrence, la suspicion est pour nous un devoir !
M. Alain Richard. Nous nous opposons donc, nous aussi, à la révision des perspectives financières proposée par la Commission européenne, du moins à celle qui était précédemment proposée puisque, d'après les indications fournies par M. le ministre, la situation a déjà évolué par rapport aux circonstances qui ont entouré l'élaboration de la résolution.
Par ailleurs, il nous paraît tout à fait justifié de réclamer que des progrès soient accomplis en matière d'efficacité de la dépense et que des garanties soient obtenues quant à la crédibilité des nouveaux engagements, surtout si l'on tient compte du nuage noir qui vient de se lever au-dessus du budget communautaire du fait de la crise liée à l'encéphalopathie spongiforme bovine.
En revanche, il nous semble qu'une position de vigilance pourrait très bien être assortie d'un débat plus prospectif sur des dépenses communautaires d'avenir.
En France, comme dans d'autres pays, on n'en a pas fini, en particulier, avec la nécessité de procéder à un certain nombre de grosses reconversions industrielles, et l'actualité, hélas ! le prouve encore. Nous le savons, des régions, des villes de notre pays sont et seront encore touchées par des problèmes graves de restructuration industrielle.
Dans le domaine des hautes technologies, notamment, notre compétitivité est insuffisante par rapport à certains grands ensembles régionaux de l'Union européenne. Dès lors, il n'est pas nécessairement inefficace d'accentuer l'effort communautaire en matière de recherche ou d'infrastructures. Notre continent a des objectifs ambitieux quant à la valorisation de son territoire et à l'environnement, et l'Union européenne peut, à cet égard, jouer un rôle accru.
Il nous semble donc que, tout en freinant aujourd'hui les imprudences qui pourraient se faire jour au niveau des finances communautaires, il ne faut pas perdre de vue l'approche combative et solidaire de la construction européenne, qui peut se traduire, à un moment ou à un autre, par un accroissement des dépenses.
Par conséquent, nous nous abstiendrons sur cette résolution pour éviter que notre position soit confondue avec celle d'un libéralisme exagérément systématique et dont la validité est parfois contredite par les faits.
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette résolution de la commission des finances présente, de notre point de vue, un caractère quelque peu inédit.
En effet, la proposition d'acte communautaire ici visée s'apparente, pour une très large part, à une sorte d'arrêté d'annulation, de report ou de transfert de crédits votés, procédure d'ailleurs utilisée assez régulièrement par le Gouvernement ; c'est pourquoi, lors des débats portant sur les projets de loi de finances rectificative, nous sommes appelés à examiner des articles entérinant de tels mouvements.
Au demeurant, le gouvernement actuel, s'il veut tenir les objectifs de déficit affichés dans la loi de finances initiale, soit 275 milliards de francs, sera sans doute amené à procéder de la sorte puisque les projections découlant de l'état actuel des recettes laissent prévoir, pour 1996, un déficit réel supérieur de 30 à 35 milliards de francs.
Pour en revenir au budget des Communautés européennes, la Commission de Bruxelles propose de ventiler ses crédits d'une manière différente de celle qui a été adoptée pour le budget initial ; cela concerne 2,7 milliards d'écus.
La ventilation en question affecte singulièrement l'abondement des crédits destinés au développement des réseaux transeuropéens, pour environ 1 milliard d'écus, et le plan-cadre recherche, pour un montant de 690 millions d'écus, plan destiné notamment à favoriser l'innovation technologique dans les petites et moyennes entreprises.
Bien que la proposition d'acte communautaire ne le fasse pas apparaître, force est de le constater, certains crédits seront amputés, quoiqu'il arrive. En outre, l'argument avancé quant à l'absence d'effets sur la ligne directrice agricole semble plutôt attester un manque total de clarté dans la définition des politiques communautaires.
M. le rapporteur relève, par exemple, l'absence de décision modificative relative à la situation créée par le développement de l'encéphalopathie spongiforme bovine, alors même que les responsabilités de la Commission européenne impliquent, de notre point de vue, un engagement financier sur ce dossier.
En fait, la proposition d'acte communautaire montre, une fois de plus, les limites d'une construction européenne technocratique, éloignée des préoccupations réelles des Européens.
Dès lors, nous pourrions être amenés à suivre la commission des finances sur la résolution qu'elle nous soumet. Mais nous n'estimons pas anormal que le budget communautaire soit mis à contribution en ce qui concerne l'aide internationale, ainsi que le prévoit la proposition d'acte.
Encore faudrait-il s'entendre de manière plus précise sur l'utilisation des ressources de ce budget européen.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous abstiendrons lors du vote sur la résolution.
M. Denis Badré, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré rapporteur. Je voudrais simplement réagir aux interventions de nos collègues MM. Richard et Bécart.
Monsieur Richard, si nous souhaitons, évidemment, que l'Union européenne dispose des moyens nécessaires pour agir, nous demandons qu'elle s'applique à elle-même les principes de rigueur auxquels se soumettent les Etats membres. C'est tout !
Il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une attitude systématique. Je n'ai pas dit que les dépenses communautaires seraient par nature inefficaces ; je ne me serais d'ailleurs jamais permis de dire une chose pareille ! J'ai simplement dit que des progrès restaient à accomplir, ce dont tout le monde convient, pour que l'objectif d'efficacité maximale de ces dépenses devienne réalité.
Ainsi, à propos de la progression de 8 p. 100 des dépenses d'action structurelle prévues par l'avant-projet de budget pour 1997 présenté par la Commission, j'ai noté qu'il s'agissait précisément de dépenses dont l'efficacité pouvait améliorée. Il est nécessaire d'élaborer des projets tendant à améliorer l'efficacité de ces dépenses avant de leur affecter un coefficient de croissance de 8 p. 100 !
Une telle attitude n'a rigoureusement rien de systématique ; elle m'apparaît, au contraire, comme tout à fait pragmatique.
Je crains, en fait, que des dérapages comme celui qu'atteste cette progression de 8 p. 100 portant sur des dépenses dont la mise en oeuvre mérite d'être améliorée ne desservent l'Europe ; c'est ce que je souhaite éviter par-dessus tout.
A M. Bécart, je répondrai simplement que la résolution adoptée par la commission des finances vise précisément à ce que la construction européenne soit plus politique que technocratique.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la résolution de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
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