Le groupe de suivi de la loi Egalim du Sénat, dans un rapport dressant un bilan un an après son adoption, partage les propos du ministre de l’agriculture : pour les agriculteurs, "le compte n’y est pas".
"La loi Egalim a suscité un espoir immense dans nos campagnes pour régler le problème du revenu de l’agriculteur, tout en ne concernant qu’une petite partie de ses recettes annuelles. Elle a troqué une hypothétique hausse des recettes au bon vouloir des industriels et de la grande distribution contre une augmentation certaine des charges des exploitants. Cela a été une diversion qui a empêché d’aborder des sujets essentiels comme la politique agricole commune ou la compétitivité des exploitations. C’est la source du malentendu autour de cette loi, dénoncé depuis le début par le Sénat" estime Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.
Un an après son adoption, la loi se traduit par de l’inflation pour le consommateur qui ne se retrouve pas dans la rémunération des agriculteurs. Mais qui a donc bénéficié de cette inflation ?
Pour Anne‑Catherine Loisier, rapporteure, "des distributeurs comme des industriels, qui connaissent des difficultés, ont pu profiter de l’aubaine après l’adoption de la loi pour reconstituer un peu de marges. Mais l’inflation sur certains produits a surtout permis de financer des baisses de prix sur des produits d’appel sous marque de distributeur, fabriqués le plus souvent par des PME et sur d’autres produits non alimentaires comme les produits d’hygiène et d’entretien".
Le dévoiement de l’esprit de la loi se retrouve également dans de nouvelles promotions : à la promotion sur un même produit du type "1 cidre brut offert pour 1 cidre brut acheté", interdite sous l’empire de la loi Egalim, s’est substituée la promotion sur un produit différent : "1 cidre brut offert pour 1 cidre doux acheté", quant à elle autorisée.
Paradoxalement, la loi Egalim aboutit donc à pénaliser les entreprises qu’elle entendait renforcer, à savoir les PME et les entreprises coopératives.
Le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) a revalorisé les produits des grandes marques en rayon. Compte tenu de leur compétitivité retrouvée, les marques de distributeurs regagnent des parts de marché mais font l’objet d’une nouvelle guerre de prix. "Les PME sont donc les grandes victimes de la loi. Elles perdent des places dans les linéaires et sont privées de l’instrument promotionnel pour concurrencer les grandes marques. Or une PME ne peut se payer un spot publicitaire en prime time !" juge Michel Raison, rapporteur.
Parmi elles, les PME vendant des produits saisonniers sont les plus en danger à défaut de soutien de leurs ventes par des promotions. Certaines accusent un recul des ventes de plus de 50 % depuis janvier.
Pour corriger ces effets pervers, une proposition de loi comportant 3 mesures d’urgence sera déposée au Sénat. Sans remettre en cause l’intégralité de la loi, qui doit aller au bout de l’expérimentation, elle vise à prendre les mesures nécessaires pour éviter que des entreprises alimentaires ne ferment avant fin 2020.
Pour Daniel Gremillet, président du groupe de suivi, "si la guerre des prix se poursuit en grande surface, si les agriculteurs ne touchent pas plus et si les consommateurs subissent une inflation des denrées alimentaires, finalement, le grand gagnant de la loi, c’est l’État grâce aux recettes supplémentaires de TVA dues au relèvement du SRP".
Le rapport d'information de Daniel Gremillet, Michel Riaon et Anne-Catherine Loisier
Mathilde DUBOURG
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