Au moment où le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture le projet de Loi de programmation militaire (LPM), qui définit les orientations de notre politique de défense sur la période 2014-2019, M. Jean-Louis Carrère, Président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat et rapporteur du texte, tient à réagir aux polémiques ou fausses interprétations véhiculées depuis plusieurs jours dans les médias à propos de l’article 13.
- Sur la procédure :
Initialement, l’article 13 du projet présenté par le Gouvernement visait uniquement à clarifier le régime juridique de la géolocalisation en temps réel, qui consiste à localiser un objet, téléphone ou ordinateur portable par exemple. L’objectif était de répondre à une fragilité juridique résultant d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 2 septembre 2010, dans lequel la Cour de Strasbourg, sans remettre en cause le principe même de ce procédé, rappelait la nécessité de disposer d’une loi "particulièrement précise".
En première lecture, le Sénat a adopté un amendement présenté par le Président de la commission des Lois, M. Jean-Pierre Sueur, ayant un objet beaucoup plus large, puisqu’il vise à refondre le régime juridique de l’accès aux données de connexion, issu de l’article 6 de la loi du 23 janvier 2006, en le rapprochant du régime relatif aux interceptions de communication issu de la loi du 10 juillet 1991. Ce rapprochement répond à une préoccupation exprimée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), par la délégation parlementaire au renseignement et par les commissions des Lois des deux assemblées. En effet, le régime actuel de l’accès aux données de connexion, applicable uniquement en matière de prévention du terrorisme, est un régime transitoire qui devrait être réformé avant la fin 2015.
La CNIL, qui a rendu un avis sur le projet de LPM, n’a pas été consultée sur la nouvelle rédaction de l’article 13, puisqu’elle résulte d’un amendement parlementaire. Pour autant, M. Jean-Louis Carrère, rapporteur au fond, et M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis, ont entendu les représentants de la CNIL, qui ont pu faire valoir leur point de vue. En outre, les modalités d'application de cet article seront fixées par décret en Conseil d'État, pris après avis de la CNIL et de la CNCIS.
Enfin, la nouvelle rédaction de l’article 13 a fait l’objet d’un débat approfondi en première lecture tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Les députés ont approuvé cette nouvelle rédaction, sous réserve de quelques modifications rédactionnelles. Ils ont même souhaité allonger de dix à trente jours la durée de l’autorisation de la géolocalisation en temps réel.
- Sur le fond :
Le dispositif adopté par le Sénat et confirmé par l’Assemblée nationale est plus protecteur des libertés publiques :
- les demandes, motivées, d’accès aux données de connexion seront soumises à la décision d’une personne qualifiée auprès du Premier ministre et non auprès du ministre de l’Intérieur comme aujourd’hui ;
- chaque demande fera l’objet d’un contrôle effectué par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, autorité administrative indépendante, qui est présidée par un magistrat et qui comprend des Parlementaires.
Les conditions d’utilisation de la géolocalisation en temps réel seront, quant à elles, plus strictes que celles prévues par le projet de loi puisqu’elles seront identiques à celles prévues pour les interceptions de sécurité : l’autorisation sera accordée sur demande écrite et motivée du ministre concerné par décision écrite du Premier ministre et communiquée au Président de la CNCIS.
Ce nouveau dispositif ne modifie aucunement ni la nature des données concernées ni la procédure permettant aux services de renseignement d’avoir accès à ces données.
Il permettra de recueillir les données de connexion conservées par les opérateurs de communications électroniques et par les hébergeurs de contenus. Les premiers sont tenus de conserver ces données en application de l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques, les seconds sont tenus de les conserver en application de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Si la rédaction de l’article 13 fait référence aux "informations ou documents" "traités ou conservés", elle ne fait que reprendre la rédaction actuelle de l'article L. 244-2 du code de la sécurité intérieure.
Ainsi, aucune extension du champ des données accessibles par rapport au droit existant n’est prévue. L'accès aux contenus des communications reste du ressort exclusif du régime des interceptions de sécurité, qui demeure totalement inchangé.
L’expression utilisée "sollicitation du réseau" ne revient pas à autoriser les agents des services de renseignement à se raccorder directement aux réseaux des opérateurs afin d’accéder directement à ces données, mais vise uniquement à prendre en compte le cas spécifique de la géolocalisation en temps réel. Une "sollicitation" par l’opérateur d’un terminal de communications électroniques depuis le réseau de l’opérateur est nécessaire lorsqu’il s’agit de localiser en temps réel le terminal. C’est bien l’opérateur qui doit effectuer une sollicitation particulière pour répondre à la réquisition formulée par les services de renseignement. Ce dispositif ne modifie en rien la procédure actuelle de l’accès aux données de connexion : il sera toujours nécessaire, pour les services, de demander aux opérateurs de procéder à la collecte des données réquisitionnées et de les adresser à la plateforme du Groupement interministériel de contrôle (GIC).
Le nouveau dispositif représente donc un progrès indiscutable du point de vue des libertés publiques.
Pour lire le rapport : http://www.senat.fr/rap/l13-195/l13-195.html
Sophie de Maistre
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