Réunie le 27 juin 2012, la commission des finances a entendu une communication de Philippe Marini (UMP, Oise), président, sur la fiscalité numérique.
Deux ans après l’organisation par la commission des finances d’une première table ronde, le 7 avril 2010, et la publication d’un rapport sur l’impact du développement du commerce électronique sur les finances de l’Etat, Philippe Marini est revenu sur l’origine du débat sur la fiscalité numérique et les raisons qui ont conduit le Parlement, en loi de finances pour 2011, à instituer une taxe sur les services de publicité en ligne égale à 1 % du montant de la prestation. A l’époque, cette première initiative improprement qualifiée de « taxe Google » avait recueilli, dans son principe, une large approbation du Sénat, mais cette disposition a ensuite été supprimée en loi de finances rectificative pour 2011, avant la date d'entrée en vigueur de la taxe, au motif qu’elle ne s'appliquait qu'aux annonceurs basés en France, sans atteindre les acteurs établis à l’étranger.
A l’issue de cette première phase de travaux législatifs, Philippe Marini a poursuivi, au cours du premier semestre 2012, un cycle d’auditions, de participation à de nombreux forums et de déplacements, notamment à Dublin, au siège de Google, et à Bruxelles auprès des services de la Commission européenne. Il a constaté que les phénomènes de distorsion de concurrence et les stratégies d’optimisation fiscale employées par les grands groupes de l’Internet, dans les secteurs notamment de la publicité en ligne et du commerce électronique, sont de plus en plus largement dénoncés parmi les acteurs et professionnels de l’économie numérique. Il faut signaler le danger que représente la concurrence déloyale des grands acteurs de l’Internet– les fameux « GAFA » (Google, Apple, Facebook et Amazon) – basés dans les pays à fiscalité basse, ainsi que l’érosion des recettes fiscales de TVA, d’impôt sur les sociétés et des divers prélèvements permettant de financer la culture.
Partant de ces constats et compte tenu des enjeux politiques majeurs (compétitivité, croissance des marchés, impact sur l’industrie européenne, équilibre des finances publiques), Philippe Marini a présenté une feuille de route opérationnelle aux niveaux national, européen et international qui comprendrait trois objectifs :
1) à court terme, le niveau national au moyen d’une proposition de loi prévoyant un dispositif de déclaration fiscale applicable aux acteurs étrangers pour une série de taxations destinées à rétablir la neutralité et l’équité fiscale ;
2) à moyen terme, le niveau européen avec le raccourcissement du délai de basculement de la TVA sur les services électroniques vers le pays de consommation ;
3) à moyen et long termes, le niveau international avec la redéfinition des règles d’imposition des bénéfices.
Au plan national, l’économie générale de la proposition de loi, dont le dépôt interviendra début juillet, prévoit l’insertion d’un nouveau chapitre dans le code général des impôts, intitulé « Fiscalité numérique », et comporte deux volets :
- d’une part, un volet procédural mettant en œuvre une obligation de déclaration d’activité par les acteurs de services en ligne basés à l’étranger à partir de certains seuils d’activités et selon deux variantes ; l’entreprise assujettie opterait, soit pour la désignation d’un représentant fiscal sur le modèle procédural de l’agrément accordé aux sites de jeux en ligne, soit pour le régime spécial de déclaration des services fournis par voie électronique qui est une procédure simplifiée et dématérialisée permettant de respecter les principes du droit européen de non discrimination et de proportionnalité ;
- d’autre part, un volet fiscal comportant deux séries de taxation. La première destinée à assurer la neutralité fiscale en matière de taxation de la publicité en ligne (taxe Google 2.0) et de commerce électronique (Tascoé) au dessus de certains seuils d’activité. En application du principe de la neutralité technologique, la « taxe Google 2.0 » a pour objet de transposer au média Internet l’actuelle taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision due par les régies publicitaires (assise sur les sommes, hors commission d’agence et hors taxe sur la valeur ajoutée, payées par les annonceurs aux régies pour les services de publicité dont l’audience est obtenue en France, cette nouvelle version de la taxe sur la publicité en ligne diffère radicalement de la précédente car elle s’appliquerait dorénavant aux régies, où qu’elles se situent, et non aux annonceurs, et serait calculée en appliquant un taux de 0,5 % à la fraction de l’assiette comprise entre 20 millions d’euros et 250 millions d’euros et de 1 % au-delà, ce qui produirait un gain fiscal de moins de 20 millions d’euros). Sur le même principe, la « Tascoé » vise à transposer au commerce électronique la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) tout en intégrant un dispositif de déductibilité pour les commerçants utilisant les deux canaux de commercialisation. Son produit pourrait être affecté au Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Enfin, la seconde série de taxation a pour objet d’établir l’équité fiscale en étendant aux acteurs étrangers de l’internet les dispositifs existant au profit de la culture et qui s’appliquent aux services de télévision et à la fourniture de vidéogrammes à la demande.
Au-delà de cette proposition de loi, Philippe Marini a mis en exergue deux initiatives qui méritent un soutien spécifique et la recherche de synergies avec les parlementaires et les Gouvernements des Etats rencontrant les mêmes problématiques (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne, etc.) de distorsion de concurrence et d’optimisation fiscale des grands acteurs du net :
- au niveau européen, avancer le calendrier de mise en œuvre de la directive TVA relative aux services électroniques (2008/8/CE du 12 février 2008) qui, en l’état, entre en vigueur le 1er janvier 2015 mais reporte à 2019 la perception effective de la TVA sur les services électroniques par l’Etat de résidence du consommateur final ;
- et au niveau international, initier un processus d’adaptation des règles d’imposition des bénéfices établies par l’OCDE, en prenant en compte la spécificité de l’économie numérique et de la dématérialisation des flux de richesses.
Le compte rendu de cette communication sera prochainement disponible sur le site Internet du Sénat à l’adresse suivante : www.senat.fr/commission/fin/travaux.html
Olivier Graftieaux
01 42 34 25 38 o.graftieaux@senat.fr