La Poste : le temps de la dernière chance
Dans l'optique de la libéralisation totale du secteur postal en 2009, les postes européennes se sont modernisées. La Poste française semble restée figée à l'heure du monopole. La spécificité de La Poste, entreprise territoriale de service public, a servi d'alibi à l'immobilisme alors qu'elle aurait dû être l'aiguillon de la modernisation, seul moyen d'assurer l'avenir.
Le courrier : se réformer pour ne pas mourir
Le constat :
Dans l'activité courrier, qui fait encore la moitié du chiffre d'affaires, face au double « tremblement de terre » de la concurrence totale en 2009 et de la substitution entre courrier papier et électronique, La Poste doit se réorganiser pour ne pas mourir.
Depuis cinq ans, le lien historique entre croissance du PIB et croissance du courrier s'est brisé et la substitution s'accélère : certaines postes, prévoient une baisse de 20 % du courrier en 5 ans. La Poste table sur 8 % de baisse entre 2004 et 2007, soit une perte de chiffre d'affaires de 800 millions d'euros. La carte « Vitale », à elle seule, a amputé de 120 millions d'euros les recettes annuelles : on imagine les ravages que pourrait causer un basculement des administrations ou des banques, par exemple, vers la communication électronique....
Non seulement le « gâteau » se rétrécit, mais en plus il va falloir le partager avec les concurrents : la directive européenne négociée sous le précédent gouvernement prévoit que le monopole sera réduit aux lettres de 50 grammes seulement au 1er janvier 2006, avant une « étape décisive » qui devrait être la libéralisation totale en 2009.
La Poste est particulièrement exposée à la concurrence, pour deux raisons. D'abord, son chiffre d'affaires courrier est très concentré sur quelques grands comptes : les entreprises font 95 % de son chiffre d'affaire et un tiers de l'activité est réalisé avec 80 clients seulement. Les 10 premiers clients représenteraient même 15 % du chiffre d'affaires du courrier. Ce segment est particulièrement facile à « écrémer » puisqu'il s'agit souvent de courrier pré trié, pour lequel il n'est pas nécessaire de disposer de centres de tri ni même d'un réseau national.
Deuxièmement, la qualité du courrier acheminé par La Poste est médiocre voire parfois mauvaise : outre la piètre performance moyenne (75 % seulement de « J+1 »), on constate une absence de progression, avec un sentiment très fort de dégradation chez les clients et les postiers eux mêmes, depuis les 35 heures. Mais c'est aussi la part importante des délais dits « aberrants » (5 %) qui montre l'insuffisance de l'organisation industrielle de La Poste, avec des centres de tri dispersés et peu modernes et un taux de tri par tournée de facteur, le « must » de l'efficacité, de 30% seulement, très inférieur à celui de nos voisins (entre 80 et 100%). La Poste a encore 130 centres de tri, en grande majorité inadaptés, (contre 80 en Allemagne et 6 aux Pays-Bas) et elle les a modernisés au rythme... d'un ou deux par an ! Le dernier kilomètre n'a pas non plus été repensé, et les 70 000 tournées continuent d'être organisées comme au temps du vélocipède.
La Poste n'a pas le choix : pour survivre dans la concurrence, il faut réorganiser cette chaîne logistique de 150.000 personnes et 10 milliards d'euros, avec un effort d'investissement estimé à plus d'un milliard d'euros.
Les propositions :
- d'abord, une modernisation de toute la chaîne de production. Cette modernisation serait financée par un alignement progressif des tarifs postaux sur les coûts pour toute la durée du contrat de plan, hormis pour les envois en nombre, trop concurrentiels pour faire l'objet d'une hausse ;
- ensuite par un accompagnement du changement par la mise en place d'une démarche commerciale offensive : avec l'amélioration de la qualité, il va devenir possible d'offrir de nouveaux services comme la traçabilité. Pourquoi ne pas proposer une responsabilité commerciale de La Poste sur l'acheminement de certains types de produits, au lieu de l'irresponsabilité de l'ancien monopole ?
C'est d'abord la bataille de l'efficacité sur le courrier que La Poste doit gagner pour rester dans la course.
Les services financiers en mal d'oxygène
Le constat :
Les services financiers de La Poste représentent le deuxième moteur d'activité du groupe, avec un chiffre d'affaires de 4 milliards d'euros, soit environ un quart du total.
Les services financiers font vivre le réseau sur le territoire puisqu'ils représentent de 60 % à 80 % de l'activité des petits bureaux de poste. Enserrés dans le cadre étroit de la loi de 1990, qui autorise l'assurance mais pas les prêts sans épargne préalable, ils sont menacés d'asphyxie:
- en raison de l'obsolescence de sa gamme de produits, la clientèle ne se renouvelle plus : la moitié des encours est détenue par des plus de 65 ans et les jeunes et les catégories supérieures dédaignent La Poste, en raison, pour les uns, de l'absence de crédits pour les premiers équipements de la vie et, pour les autres, des rigidités sur le crédit immobilier ;
- asphyxie aussi en raison de son rôle de guichet social : La Poste accueille tous les publics à ses guichets, sans aucune discrimination (les interdits bancaires, qui utilisent le mandat postal comme substitut au chéquier, les allocataires du RMI qui utilisent le Livret A comme un compte courant). Les chiffres montrent que le Livret A est « sur‑utilisé » par les personnes défavorisées : 60% des livrets ont un encours inférieur à 150 € et représentent seulement 0,7% des encours mais plus de 40 % des opérations. Le coût de la gestion de ces « petits livrets » pèse sur La Poste pour 55 millions d'euros par an.
Contrainte par un cadre réglementaire trop rigide, La Poste est menacée de n'être plus, d'ici quelques temps, que « la banque des pauvres et des vieux ». Sa part de marché s'effondre depuis 20 ans : elle est passée de 30% à seulement 9% du marché financier français.
Les propositions :
- écarter le statu quo, impossible car synonyme de nécrose pour l'opérateur et d'atrophie pour son réseau, mais aussi la création d'une véritable banque postale, inenvisageable pour les personnels et, selon le rapport, trop brutale pour notre industrie financière ;
- autoriser sans délai La Poste à proposer des crédits à la consommation, sous la forme d'un partenariat industriel et capitalistique avec des établissements financiers spécialisés, afin de rajeunir sa clientèle (la plupart des partenaires potentiels ‑entendus dans le cadre de la préparation du rapport- sont intéressés car La Poste devrait élargir le marché autant si ce n'est davantage qu'elle pourrait prendre une part des banques) ;
- envisager à compter de 2006 la « complétude » de la gamme financière en autorisant La Poste à octroyer des prêts immobiliers sans épargne préalable. Cette normalisation des prêts immobiliers postaux éviterait que 60 000 clients solvables ne quittent chaque année La Poste. Elle constituerait le produit d'appel indispensable. Cette « plénitude » des compétences en matière de crédit s'accompagnerait à terme de la création d'une filiale financière soumise à la loi bancaire pour assurer des conditions d'équité concurrentielle.
Pourquoi 2006 ? La Poste souhaiterait obtenir dès aujourd'hui la possibilité de faire des prêts sans épargne préalable. Il n'est pas exclu d'ailleurs qu'elle trouve à Bercy un écho favorable, car les rapports confidentiels du Trésor sembleraient montrer que l'impact pour les autres acteurs financiers resterait supportable.
Le rapport considère malgré tout qu'il faut être prudent et qu'il ne serait pas inutile de maintenir La Poste « sous tension » en posant le principe d'un élargissement total de sa gamme de services mais en instaurant une clause de rendez-vous début 2006 pour concrétiser cette ouverture, au vu de ses gains de productivité.
- en contrepartie, et sans aller jusqu'à les banaliser, rapprocher du droit commun les services financiers de La Poste par une rationalisation de la gestion du Livret A: par un ajustement automatique des taux, comme le suggère le rapport « Nasse / Noyer » sur les fonds d'épargne; par une meilleure neutralité concurrentielle de la collecte en « objectivant » ses conditions de rémunération .
Pour le réseau des 17 000 bureaux de poste
Le constat : ayant été configuré au début du siècle, lorsque la distribution du courrier se faisait à pied, en vélo ou à cheval, le réseau postal n'est désormais plus adapté, un bureau sur cinq ayant moins de 2 heures d'activité par jour alors que les files d'attente s'allongent au guichet dans les aires urbaines. Les nouveaux lieux de vie (intercommunalités, espaces périurbains) n'ont pas été pris en compte. Ce réseau très capillaire est paradoxalement peu accessible car désaxé par rapport aux flux humains et commerciaux.
Le surcoût brut pour La Poste de l'animation d'un réseau non économiquement rentable s'élève à 750 millions d'euros : 250 millions d'euros pour assurer l'accessibilité du service universel et 500 millions d'euros liés à « l'animation territoriale » pure. En contrepartie, l'abattement de taxe professionnelle ne représente que 150 millions d'euros.
Le rapport propose de dépasser le culte stérile de la présence postale immobilière sur le territoire. Seules la qualité et l'accessibilité du service rendu au client comptent : La Poste est un service public, c'est-à-dire un service rendu au public. Il faut remettre l'utilisateur au cœur du service.
Les propositions :
Fixer, par la loi, des critères d'accessibilité au service postal, que devrait satisfaire La Poste :
- un critère national : 95 % de la population en moyenne nationale à moins de 5 kilomètres et 20 minutes du guichet (file d'attente incluse) ;
- un « filet de sécurité » départemental : 90 % de la population de chaque département à moins de 5 kilomètres et 20 minutes du guichet (file d'attente incluse).
Le surcoût pour La Poste lié à cette accessibilité au service universel par rapport à un réseau optimisé économiquement serait compensé par la création d'un fonds de service universel, conformément à la directive européenne.
Mobiliser des financements, au delà de ces critères, pour maintenir, dans les zones fragiles où l'Etat le juge nécessaire, une présence postale par un « fonds de solidarité territorial » alimenté d'une part par le reversement progressif de l'abattement de taxe professionnelle consenti à La Poste et d'autre part par une partie de la taxe sur les salaires à laquelle est actuellement soumise La Poste, puis par une fraction de la TVA sur les prestations postales lorsque ces dernières seront assujetties à cette taxe en application des orientations fixées au niveau communautaire.
Ouvrir, pour les collectivités locales qui le souhaitent, par la loi, la liberté d'aller au‑delà des critères d'accessibilité et de solidarité territoriale pour les zones fragiles, charge à elles de mobiliser les financements correspondants.
Multiplier les formes de présence postale : généralisation des points poste chez des commerçants ou des professions libérales, établissements postaux multi‑sites... pour plus de souplesse et d'adaptabilité aux besoins.
Le levier de la modernisation du réseau serait l'élaboration, par les commissions départementales de la présence postale territoriale ‑à la tête desquelles un élu serait systématiquement placé‑, de schémas de présence postale mettant en oeuvre les critères d'accessibilité et prenant en compte les nouvelles structurations spatiales (intercommunalités, pays...).
L'aide au transport postal de la presse
Le transport de la presse coûte à La Poste -d'après ses calculs, contestés par la presse‑ 482 millions d'euros chaque année (3 % du chiffre d'affaires !) et 290 millions à l'Etat, mais ne satisfait pas pour autant la presse !
Le rapport analyse les paradoxes du système et trace des pistes pour orienter les négociations en cours dans le cadre de la mission diligentée par le Gouvernement sur le sujet :
Assurer la qualité du service par une refonte des processus industriels de traitement de la presse, sur la base notamment des expérimentations en cours : adaptation des systèmes d'information, traçabilité des envois, voire mise en place de processus industriels « dédiés » à la presse. Un dédommagement en cas de non fiabilité du service pourrait être mis à l'étude. La philosophie serait de rapprocher le plus possible la relation presse/poste d'une relation contractuelle entre une entreprise et l'un de ses grands comptes (la presse représente 8 % du trafic postal). L'octroi par l'Etat de sa subvention pourrait également être conditionné au respect par La Poste de critères de qualité ou de productivité ;
Moderniser la grille tarifaire pour la rapprocher des coûts, en « ciblant » les hausses de telle sorte que la presse d'information politique et générale soit favorisée. L'octroi d'une subvention directe à la presse, en contrepartie de l'alignement des tarifs sur les coûts, pourrait être mise à l'étude.
L'avenir : l'exigence de la performance globale
Les capitaux propres, d'un montant de 1,6 milliard d'euros, ne représentent que 9 % du chiffre d'affaires ! La masse salariale absorbe 85 % de la valeur ajoutée. L'endettement, de près de 4 milliards d'euros, représente quant à lui deux fois et demie les fonds propres ! La charge annuelle des retraites des postiers plus d'une fois ces fonds propres !
Avec une telle situation, La Poste est quasiment condamnée à s'effondrer sous le choc de la concurrence. Il faut qu'elle redresse la trajectoire. Mais, le compte à rebours est maintenant enclenché. La concurrence totale est programmée pour 2009. L'heure de la dernière chance a sonné pour La Poste.
Il est temps de « normaliser » l'entreprise le plus possible : compenser les charges d'intérêt général qu'elle assumait sans contrepartie au temps du monopole, aligner son régime sur celui de ses concurrents. Charges du réseau (509 M€ /an), du transport de la presse (482 M€/an), non compensation de la mise en place des 35 heures et absence d'exonérations sur les bas salaires (507 M€/an), accroissement des charges de retraites des postiers intégralement payées par La Poste (2.030 M€/an) : le rapport propose chaque fois que c'est possible un alignement sur le droit commun. Car sans compensation de ses handicaps de compétitivité, demander à La Poste d'affronter la concurrence, c'est lui faire courir le 100 mètres avec un sac de ciment sur le dos !
Plusieurs organisations syndicales, mais aussi les postiers de terrain rencontrés par le rapporteur, commencent aussi à convenir que l'heure est grave pour La Poste.
Face à ces peurs qui pontent, la responsabilité du politique, c'est de ne pas céder à la tentation de l'immobilisme, qui pourrait être fatale. Les postiers ont droit au langage de la vérité. Ils sont en droit d'attendre que l'Etat dessine un avenir à leur entreprise.
C'est en accompagnant l'entreprise dans la course de fond qu'elle doit aujourd'hui mener jusqu'en 2009, en misant sur ses personnels, sur leur engagement au service de cette belle entreprise qu'ils aiment, qu'on sauvera le service public postal.