M. HUBERT VéDRINE évoque DEVANT LES SéNATEURS l’évolution diplomatique de la crise du Kosovo, le sommet franco-allemand de Toulouse et la prochaine réunion du Conseil européen
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le mardi 1er juin 1999 M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président, a tout d’abord indiqué que le texte complet de l’accord intérimaire pour la paix et l’autonomie au Kosovo élaboré dans le cadre des négociations de Rambouillet, qui venait de lui être adressé par le ministre des affaires étrangères, serait transmis à tous les membres de la commission.
M. Hubert Védrine a ensuite fait le point sur l’évolution diplomatique de la crise du Kosovo. Il a confirmé que, depuis près d’une semaine, divers canaux avaient relayé la possibilité d’une acceptation par les autorités de Belgrade des principes énoncés par le G8. En dernier lieu, un communiqué commun de la présidence yougoslave et de M. Tchernomyrdine a mentionné l’acceptation des principes fondamentaux du G8 et du principe d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, le ministre yougoslave des affaires étrangères ayant par ailleurs indiqué qu’il avait écrit à son homologue allemand, M. Fischer, pour confirmer ces différents points.
Le ministre a précisé que, face à la multiplication de ces signes d’évolution, le Chancelier Schroeder avait pris l’initiative de réunir ce jour-même à Bonn M. Tchernomyrdine, le président finlandais, M. Ahtisaari, ainsi que le secrétaire d’Etat adjoint américain M. Talbott, afin d’évaluer précisément la portée des avancées faites par Belgrade et l’état des négociations entre Russes et Occidentaux en vue d’élaborer le texte d’un projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Il a ajouté à ce sujet que les deux principaux points qui restaient à régler concernaient la composition de la force appelée à être déployée au Kosovo et " l’enchaînement des événements " entre l’acceptation par Belgrade, le vote d’une résolution et la suspension des frappes aériennes. Il a également indiqué que cette réunion de Bonn permettrait de préparer la mission que doivent effectuer à Belgrade MM. Tchernomyrdine et Ahtisaari, ce dernier intervenant en tant qu’émissaire de l’Union européenne, afin de vérifier l’état exact des intentions des autorités yougoslaves.
M. Hubert Védrine a ensuite évoqué le récent sommet franco-allemand de Toulouse et le prochain Conseil européen de Cologne. Il a rappelé les conditions difficiles dans lesquelles le Gouvernement allemand, très vite après son accession aux responsabilités, s’était vu confier la charge de la présidence du Conseil de l’Union européenne, dans une période marquée notamment par les négociations sur l’Agenda 2000 et la démission de la Commission. Revenant en particulier sur l’Agenda 2000, il a souligné que le gouvernement allemand avait fait preuve, durant ces négociations, d’une attitude volontaire et compréhensive qui avait facilité la réalisation d’un accord.
S’agissant du prochain Conseil européen de Cologne, il a indiqué qu’il devait débattre des modalités de préparation de la réforme institutionnelle. A ce propos, la France plaidait pour confier les travaux préparatoires à un " comité des sages " alors que la plupart de ses partenaires semblaient privilégier une réflexion à quinze qui, dans le cadre d’une nouvelle conférence intergouvernementale, risquait, à ses yeux, de buter sur les inconvénients déjà constatés lors de l’élaboration du traité d’Amsterdam. Le ministre a également ajouté que le Conseil européen devrait adopter un texte validant les progrès récents enregistrés sur le thème de la défense européenne.
Un débat s’est ensuite engagé avec les membres de la commission.
M. Aymeri de Montesquiou a interrogé le ministre sur la part que prendrait la France aux dépenses liées au conflit du Kosovo et sur les intentions du Gouvernement quant à un éventuel arrêt des bombardements si les avancées faites par Belgrade étaient jugées satisfaisantes. Il a en outre constaté que l’euro avait fortement baissé depuis le début du conflit alors que les industries d’armement américaines témoignaient d’un dynamisme accru.
M. Hubert Védrine a précisé qu’il convenait de distinguer les dépenses liées aux opérations militaires elles-mêmes et celles qui résulteraient de la reconstruction, qui ne pouvaient par définition pas être encore évaluées et pour lesquelles aucune clé de répartition ne pouvait être pour le moment déterminée.
En ce qui concerne la récente évolution des autorités yougoslaves, le ministre a considéré qu’il était indispensable de saisir toute chance de solution politique. Il a toutefois souligné que beaucoup de points très importants restaient à clarifier, et en premier lieu les intentions réelles de Belgrade en matière de retrait des forces serbes au Kosovo. Il a ajouté qu’en cas d’acceptation concrète par Belgrade des conditions posées, le Gouvernement français étudierait comment peuvent être combinées l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité et la suspension des frappes aériennes.
Enfin, il a estimé que l’actuelle baisse de l’euro ne comportait pas que des aspects négatifs pour les économies européennes et qu’elle ne préjugeait pas de l’avenir de la nouvelle monnaie.
En réponse à M. Alain Peyrefitte, qui l’interrogeait sur d’éventuelles divergences franco-allemandes sur le dossier du Kosovo, en particulier concernant l’hypothèse d’une intervention terrestre, M. Hubert Védrine a tout d’abord considéré qu’il était difficile de tirer des conclusions sur l’état de la relation franco-allemande compte tenu du contexte particulier lié à l’exercice par le nouveau gouvernement allemand, dans des conditions délicates, de la présidence de l’Union européenne au cours du premier semestre 1999. Il a estimé naturel que les positions françaises et allemandes ne soient pas systématiquement et spontanément identiques même si, sur beaucoup de sujets, on constatait une large convergence de vues. Il a précisé que sur le dossier du Kosovo, et en particulier sur la question d’un engagement terrestre, les autorités françaises et allemandes défendaient des positions très proches.
En réponse à M. Christian de la Malène qui évoquait la constitution par l’Otan d’une force de 50 000 hommes en vue d’un déploiement au Kosovo et qui s’interrogeait sur la consultation du Parlement avant l’engagement de troupes françaises, le ministre des affaires étrangères a confirmé les engagements pris par le Premier ministre de soumettre une éventuelle intervention au sol des forces françaises au Kosovo à l’approbation préalable du Parlement. Il a toutefois précisé que les préparatifs actuellement engagés par l’Otan ne visaient nullement la mise au point d’une offensive terrestre mais la constitution de la KFOR (Kosovo Force), future force internationale de sécurisation au Kosovo. Si l’effectif envisagé pour cette force est actuellement évalué autour de 50 000 hommes, le niveau de la participation française sera également fonction -a précisé le ministre- de la part prise dans cette force par d’éventuels pays non membres de l’Otan et notamment la Russie.
Mme Danielle Bidard-Reydet, s’appuyant sur le souhait des opinions publiques de voir s’achever le conflit actuel pour permettre la reprise de la négociation et à terme le reconstruction de la Yougoslavie et le retour des réfugiés, a interrogé le ministre sur la possibilité d’une initiative française tendant à suspendre les frappes aériennes pendant quelques jours, tout en surveillant, par des moyens satellitaires adaptés, la réalité du désengagement des forces serbes du Kosovo.
M. Hubert Védrine a rappelé que la recherche d’une solution diplomatique n’avait jamais cessé, même depuis le déclenchement des frappes aériennes. La France était parvenue à faire prévaloir l’idée d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, celle d’un retour des Russes dans le processus de négociation, enfin la définition d’objectifs clairs assignés aux responsables serbes. Dans ce contexte, a précisé le ministre, la suspension des frappes aériennes n’avait jamais été considérée comme une condition préalable à la poursuite du processus diplomatique. Une telle suspension priverait d’ailleurs, a estimé le ministre, la communauté internationale d’un moyen de pression important à l’égard des responsables serbes et permettrait aux forces serbes de se regrouper ou de se dissimuler. Selon M. Hubert Védrine, la situation devait évoluer en trois temps le plus rapprochés possible : l’acceptation par le président Milosevic des conditions posées par la communauté internationale, le vote d’une résolution par le Conseil de sécurité, enfin la suspension des frappes aériennes.
Mme Paulette Brisepierre, de retour d’une session de l’assemblée parlementaire de l’Otan à Varsovie, a fait état des divergences d’approche exprimées par certains parlementaires des pays membres concernant l’opportunité d’une offensive terrestre.
M. Hubert Védrine a estimé qu’il était normal qu’au sein d’une assemblée parlementaire des opinions diverses soient exprimées mais a rappelé qu’à l’exception du gouvernement britannique, aucun des gouvernements des pays membres de l’Alliance atlantique ne s’était déclaré en faveur d’une offensive terrestre, qui ne faisait d’ailleurs l’objet d’aucun préparatif particulier. Seules étaient étudiées les modalités de constitution d’une force militaire de mise en œuvre d’un accord politique.
MM. Paul Masson et Guy Penne ont interrogé le ministre sur les conséquences de la décision du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie de procéder à l’inculpation de M. Milosevic et de plusieurs dirigeants de Belgrade pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
M. Hubert Védrine a souligné que le TPI bénéficiait d’une indépendance totale. Même si les chancelleries étaient conscientes de la possibilité de telles inculpations, le moment choisi par le Procureur a pu surprendre certaines d’entre elles. Pour le ministre, les effets concrets de cette décision étaient difficiles à mesurer à ce stade ; parmi ses effets positifs, on pouvait relever qu’elle confortait le principe de lutte contre l’impunité et revêtait un caractère d’exemplarité ; de même, la décision du tribunal relégitimait l’objectif moral de l’opération en cours. En sens inverse, la décision du tribunal pouvait renforcer l’opinion publique serbe dans son sentiment d’être victime d’un " complot international " ; et M. Milosevic pourrait être tenté de réagir à cette inculpation par un durcissement de ses positions. Le ministre a toutefois relevé que la démarche serbe tendant à accepter progressivement les conditions posées par la communauté internationale lors de la réunion du G8, initiée avant la décision d’inculpation, s’était néanmoins poursuivie après celle-ci.
M. Xavier de Villepin, président, s’est inquiété des conséquences des rivalités entre les actuels responsables politiques de la population albanaise du Kosovo, en particulier MM. Rugova et Thaci.
M. Hubert Védrine a rappelé que, lors des négociations de Rambouillet, il avait déjà été nécessaire d’encourager les responsables kosovars à faire taire leurs divergences pour constituer une délégation commune. Le ministre a indiqué qu’il avait encouragé MM. Rugova et Thaci à se rencontrer dans l’intérêt des Kosovars eux-mêmes. La rivalité entre ces responsables politiques justifiait d’autant plus, aux yeux du ministre, l’option d’une administration internationale provisoire du Kosovo, appuyée sur une force militaire crédible.
A M. Xavier de Villepin, président, qui s’inquiétait des difficultés de la coopération franco-allemande, notamment dans le domaine des rapprochements industriels, M. Hubert Védrine a fait observer que si les gouvernements exprimaient des souhaits politiques de coopération, leur mise en œuvre relevait cependant de plus en plus d’acteurs indépendants, notamment de groupes industriels qui suivaient leurs propres stratégies.
En réponse à une question de M. André Dulait concernant la tension croissante entre l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire, M. Hubert Védrine a indiqué que la France s’efforçait d’inciter les deux parties, dans le cadre d’une politique coordonnée entre les grandes puissances occidentales, à la prudence et à la retenue. M. Xavier de Villepin, président, a alors fait observer qu’aux différends opposant l’Inde et le Pakistan s’ajoutaient, dans chaque pays, des situations politiques internes très difficiles, qu’il a jugées porteuses de dangers.
En réponse à M. Aymeri de Montesquiou , M. Hubert Védrine a précisé que le voyage d’Etat du Président iranien en France n’avait été que reporté. Par ailleurs, a indiqué M. Hubert Védrine au sénateur, aucune date n’était encore fixée pour un déplacement du Président de la République française dans différents Etats d’Asie centrale.
M. Michel Caldaguès a alors interrogé le ministre sur la signification diplomatique de la décision prise lors du sommet franco-allemand de Toulouse de " réactiver " le Corps européen, supposé être opérationnel depuis plusieurs années. Le ministre des affaires étrangères a répondu que Français et Allemands avaient été soucieux d’adresser un signal politique à l’intention de leurs partenaires européens sur la nécessité de remédier aux insuffisances européennes en matière de défense. Ainsi, l’idée d’un " Corps européen de réaction rapide " avait pour objectif de rappeler à nos partenaires qu’un embryon de capacités militaires européennes existait déjà et qu’il fallait désormais l’exploiter davantage et le renforcer. En matière de défense européenne, il convenait d’effectuer une double démarche : la première s’appuyant sur un petit noyau d’Etats déterminés, la seconde, réunissant les Quinze, revêtant un aspect plus institutionnel.
Enfin, en réponse à une question de M. Christian de La Malène sur la prochaine visite du Premier ministre cambodgien en France, M. Hubert Védrine a souligné l’importance, pour les deux pays, de poursuivre un dialogue élargi.
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