Mercredi 5 juillet 2023, la commission des affaires économiques a adopté à l’unanimité les conclusions de sa mission d’information transpartisane sur les conditions d’utilisation de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), confiée aux rapporteurs Dominique Estrosi Sassone (Alpes Maritimes – Les Républicains) et Fabien Gay (Seine Saint Denis – Communiste, républicain, citoyen et écologiste).
Le relèvement exceptionnel de l’Arenh, de 19,5 térawattheures (TWh), en mars 2022, a généré des comportements opportunistes de la part de fournisseurs alternatifs. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a ainsi procédé à 11 relances et 4 enquêtes, au titre de 2022. De plus, elle a suscité 14 corrections et 3 suspensions, au titre de 2023. Au total, les demandes d’Arenh ont excédé de 5,6 % les droits pour l’année 2022 ; les pénalités à l’encontre des fournisseurs alternatifs ont atteint plus de 1,6 Md € !
Pour les rapporteurs, si ce relèvement du plafond de l’Arenh a joué un rôle pour contenir la hausse du prix de l’électricité, il a aussi induit des arbitrages saisonniers, de la part de fournisseurs alternatifs, et des coûts importants, pour le groupe EDF. Pour ce dernier, l’exposition à l’Arenh atteindrait 248 TWh et la perte de recettes 8,1 Mds€.
Dans ce contexte, les rapporteurs ont formulé 4 propositions, déclinées en 25 mesures législatives ou règlementaires opérationnelles, qu’ils ont remises à la présidente de la CRE, auditionnée le même jour.
- Tout d’abord, les rapporteurs appellent à corriger les « effets de bord » de l’Arenh. Pour ce faire, ils proposent de relever son prix à 49,5 € / mégawattheure (MWh) et de laisser son plafond légal à 120 TWh. Ils plaident pour modifier son calcul, afin de prévenir les arbitrages saisonniers et de tenir compte de la part de l’énergie nucléaire dans le mix électrique. S’agissant des pénalités dues par les fournisseurs alternatifs, le complément de prix 1 (CP1) doit être entièrement alloué aux consommateurs et le complément de prix 2 (CP2) doit être déplafonné. Enfin, les contrats de long terme, prévus dans le cadre de la réforme du marché européen de l’électricité, doivent être encouragés afin, le cas échéant, de substituer à l’Arenh, un dispositif plus équilibré et plus protecteur, après 2025.
- Les rapporteurs plaident aussi pour renforcer les contrôles et les sanctions liés à l’Arenh. À cette fin, ils souhaitent élargir la notion d’abus d’Arenh, pour englober les comportements opportunistes, dont les arbitrages saisonniers. Ils proposent aussi d’ajouter une sanction auprès du comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDis), de manière à lui permettre de supprimer le bénéfice de l’Arenh, en cas d’abus avéré. Les procédures du CoRDiS en matière d’Arenh doivent être plus rapides (référé, transaction, clémence) et plus ouvertes (saisine). Les signalements du Médiateur national de l’énergie (MNE) doivent faire l’objet de suites ! Enfin, les transferts de compétences des autorités ou juridictions nationales vers celles européennes, dans le cadre de la réforme du marché européen de l’électricité, doivent être rejetés.
- Autre point, les rapporteurs proposent de renforcer les obligations des fournisseurs. Pour ce faire, ils plaident pour conforter les conditions requises pour bénéficier d’une autorisation de fourniture, avec l’imposition aux fournisseurs alternatifs d’obligations prudentielles et de stress tests. Une centralisation des demandes et des contrôles des autorisations auprès de la CRE est aussi proposée. Une fois délivrées, ces autorisations doivent être davantage contrôlées (réexamen, retrait, suspension). Il faut également pérenniser les fournisseurs de secours, désignés à titre provisoire en 2021. Enfin, les obligations prudentielles doivent être promues, en France comme en Europe, dans le cadre de la réforme du marché européen de l’électricité.
- Dernier point, les rapporteurs suggèrent d’améliorer la protection des consommateurs. Dans cette perspective, il faut mieux encadrer l’évolution des contrats de fourniture (allongement des préavis, renforcement des informations, encadrement des modifications). L’information des consommateurs sur le caractère risqué des offres doit être consolidée, notamment via le comparateur d’offres du MNE. Enfin, la réforme du marché européen de l’électricité constitue l’opportunité de soutenir des dispositifs protecteurs des consommateurs (élargissement des tarifs réglementés de vente d’électricité, encadrement des contrats à tarification dynamique, encadrement de l’interruption de la fourniture, reconnaissance d’un service universel).
Pour Dominique Estrosi Sassone, rapporteur, « Les travaux conduits par la mission ont démontré la nécessité de renforcer les autorisations, les contrôles et les sanctions sur le marché de l’électricité. Pour conjurer le risque de défaillance, il faut assortir les autorisations de fourniture d’obligations prudentielles. Leur centralisation auprès de la CRE est une nécessité. De plus, l’abus d’Arenh doit être mieux défini et davantage réprimé. L’accélération des procédures du CoRDiS est une urgence. »
Pour Fabien Gay, rapporteur, « Les auditions réalisées par la mission ont révélé l’ampleur des comportements opportunistes induits par le relèvement du plafond de l’Arenh, de mars 2022. Certains fournisseurs ont eu pour stratégie de maximiser leur portefeuille de clients l’été, pour constituer des droits à l’Arenh, puis de s’en départir l’hiver, pour revendre ces droits sur les marchés. C’est une logique spéculative ! »
Pour Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, « Le relèvement du plafond de l’Arenh en 2022, a constitué une décision mal anticipée et mal exécutée. Elle a grevé les recettes du groupe EDF, à hauteur de 8,1 Mds €. Elle est symptomatique de la politique du Gouvernement, qui navigue à vue en matière de politique énergétique, a fortiori nucléaire. Il faut corriger le tir, à l’occasion notamment de la prochaine loi quinquennale sur l’énergie ! »
Lancée le 1er février dernier, la mission d’information a été l’occasion d’entendre 45 personnalités, issues de 25 organismes, ce qui a permis de recueillir le point de vue de l’ensemble des parties prenantes : les acteurs du marché (EDF et les fournisseurs alternatifs), de la régulation (la Commission de régulation de l’énergie – CRE, le Médiateur national de l’énergie – MNE, la Direction générale de l’énergie et du climat – DGEC, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF) ou de la consommation (les associations de consommateurs et les syndicats de l’énergie).
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