Actualité de la loi de 1975 sur le divorce
LARCHÉ (Jacques)
RAPPORT D'INFORMATION 460 (1999-2000) - commission des lois
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Table des matières
N°
460
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 29
juin 2000
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet
2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les auditions publiques relatives à la proposition de loi de M. Nicolas ABOUT et plusieurs de ses collègues visant à remplacer la procédure de divorce pour faute par une procédure de divorce pour cause objective ,
Par M.
Jacques LARCHÉ,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Robert Bret, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Edmond Lauret, Claude Lise, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir le
numéro :
Sénat
:
266
(1998-1999).
Divorce.
AVANT-PROPOS
_________
En 1975,
sont intervenues plusieurs lois d'inspiration libérale qui ont
apporté d'importants changements à la société.
Il en a été ainsi de la loi sur l'interruption volontaire de
grossesse ou de celle instituant la majorité à 18 ans. Il en a
été de même de la loi sur le divorce ayant introduit dans
notre droit le divorce par consentement mutuel.
Sur cette dernière loi, la commission des Lois, après avoir
initié dès 1998 la réforme de la prestation
compensatoire
1(
*
)
, a souhaité poursuivre
sa réflexion à partir de la proposition de M. Nicolas About et
plusieurs de ses collègues visant à remplacer la procédure
de divorce pour faute par une procédure de divorce pour cause
objective
2(
*
)
.
Vingt-cinq ans après, il importe en effet d'évaluer, à la
lumière de l'expérience, si les différentes
procédures de divorce instituées en 1975 ont répondu aux
attentes et si elles restent d'actualité au regard de l'évolution
de la société.
En 1996 ont été célébrés 280 600
mariages. Les statistiques établies par le ministère de la
justice font apparaître que 119 698 divorces ont été
prononcés la même année, la procédure la plus
employée restant celle du divorce pour faute. Ces derniers ont en effet
représenté 42,2% de l'ensemble des cas de divorce, alors que la
proportion des divorces sur requête conjointe s'est élevée
à 41,4%, celle des divorces sur demande acceptée à 13,3%
et celle des divorces pour rupture de la vie commune à 1,5%.
Une importante réflexion sur le divorce s'est organisée autour de
la volonté annoncée par le Gouvernement de procéder
à une réforme d'ensemble du droit de la famille.
Mais il apparaît que la présentation de cette réforme
devant le Parlement, préparée par les rapports successifs de Mme
Irène Théry
3(
*
)
et du groupe de
travail présidé par Mme Françoise
Dekeuwer-Défossez
4(
*
)
, remis
respectivement en mai 1998 et en septembre 1999, ne devrait pas intervenir
avant l'année 2001. Elle ferait d'ailleurs vraisemblablement l'objet de
plusieurs projets de loi distincts.
Comme elle le fait régulièrement
5(
*
)
, la commission des Lois a souhaité
procéder à des auditions publiques avant de se déterminer.
Elle a également voulu recueillir l'avis de la délégation
du Sénat aux droits des femmes.
Aux termes de la proposition de loi déposée par notre
collègue Nicolas About, ne subsisterait, à côté du
divorce par consentement mutuel, qu'un cas unique de divorce, " le divorce
pour cause objective ", se substituant aux cas actuels de divorce sur
demande acceptée, de divorce pour faute et de divorce pour rupture de la
vie commune.
Ce divorce pour cause objective pourrait être demandé en cas :
- de séparation de fait depuis plus de trois ans ;
- d'altération des facultés mentales du conjoint depuis plus
de trois ans ;
- de faits rendant intolérables le maintien de la vie commune.
La faute ne serait donc plus un cas de divorce. A défaut d'accord entre
les époux sur le principe du divorce, le juge fixerait un délai
de réflexion ne pouvant être supérieur à deux ans
à l'issue duquel il prononcerait le divorce.
La proposition prévoit de plus l'incitation à recourir à
la médiation familiale à tous les stades de la procédure,
et rend celle-ci obligatoire en cas de présence d'enfants mineurs.
Les auditions publiques du mercredi 26 avril 2000 se sont principalement
centrées sur la délicate question de la suppression du divorce
pour faute sur laquelle la commission des Lois a entendu des avis totalement
divergeants.
Après que Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a indiqué
que les treize membres composant le groupe de travail dont elle assurait la
présidence s'étaient prononcés à l'unanimité
pour le maintien du divorce pour faute, sont intervenus deux professeurs de
droit, Mme Jacqueline Rubellin-Devichi, qui s'est déclarée
attachée au maintien de cette procédure compte tenu de son
caractère hautement symbolique, et M. Alain Bénabent, qui,
la jugeant au contraire inadaptée à la société
actuelle, a plaidé pour sa suppression.
Se sont ensuite succédé deux avocats, deux juges et deux
notaires, chacun de ces praticiens apportant un éclairage
complémentaire à la lumière de son expérience
professionnelle propre.
Au fil des interventions se sont ainsi dessinées les grandes
interrogations auxquelles la commission des Lois devra répondre avant de
se déterminer :
- la faute reste-t-elle la sanction sociale des obligations du mariage, le
différenciant en cela du concubinage et du Pacs, ou bien
représente-t-elle une immixtion de la justice dans un conflit devant
rester d'ordre affectif et privé ? En d'autre termes, la
suppression de la faute retirerait-elle une partie de sa signification au
mariage ?
- le divorce pour faute, supprimé par de nombreux pays
européens, est-il un anachronisme ? Répond-il a un
véritable besoin des justiciables ou n'est-il utilisé qu'en
l'absence de procédure plus adaptée ? Peut-on supprimer un
cas de divorce qui représente la majorité de ceux aujourd'hui
utilisés ?
- la procédure du divorce pour faute envenime-t-elle par
elle-même les conflits ou n'est-elle qu'une possibilité offerte
à des époux de se livrer à un combat qu'ils recherchent en
tout état de cause ? Les enfants, notamment, souffrent-ils plus du
fait de cette procédure ou de la mésentente même des
parents ?
- peut-on imposer le divorce à un conjoint non fautif qui ne le
souhaite pas, et, au contraire, peut-on obliger un époux qui ne le
désire pas à rester dans les liens du mariage sans porter
atteinte à sa liberté individuelle ?
- la banalisation des procédures du divorce ne portera-t-elle pas
à la stabilité des unions matrimoniales une atteinte
préjudiciable à l'équilibre des enfants ?
En filigrane, a été posée par plusieurs intervenants la
question d'un divorce sans juge, du moins en l'absence de patrimoine et
d'enfants.
Mais au delà des divergences constatées, cette
demi-journée d'audition aura été l'occasion de faire
apparaître d'importants points de convergences. L'ensemble des
intervenants s'est ainsi accordé sur la nécessité de
dédramatiser le divorce en assouplissant les procédures de
divorce existantes, y compris celle du divorce par consentement mutuel. Chacun
a également souhaité que soit rendu moins pénalisant pour
le demandeur le divorce pour rupture de vie commune, seul divorce pour cause
objective existant actuellement.
Au-delà du consensus sur la nécessité d'éviter
d'aviver les conflits au cours de la procédure de divorce, tant pour les
enfants que pour les conjoints, il est ainsi apparu que la suppression de la
faute pourrait ne pas constituer la seule réponse adéquate aux
difficultés constatées actuellement par les praticiens.
Plusieurs personnes ont exprimé leur inquiétude de voir le
Sénat se pencher sur la question du divorce indépendamment de la
réforme d'ensemble attendue sur le droit de la famille.
Néanmoins, en suivant ce raisonnement, la réforme de la
prestation compensatoire initiée en 1998 par le Sénat n'aurait
pas vu le jour.
Il est donc apparu utile à la commission des Lois de poursuivre ces
réflexions afin de réunir les éléments
d'appréciation indispensables au législateur pour évaluer
les textes en vigueur et les propositions de modification qui lui sont
soumises. Elle livre dans le compte-rendu qui suit les réactions de
professionnels du droit sans préjudice de futurs travaux destinés
à compléter son information.
AUDITIONS PUBLIQUES
DE LA COMMISSION DES LOIS DU
SÉNAT
sur la proposition de loi de M. Nicolas About n° 266 (1998-1999)
visant à remplacer la procédure de divorce pour faute par une
procédure de divorce pour cause objective
MERCREDI 26 AVRIL 2000
Présidence de M. Jacques Larché, président de
la commission des Lois
M. le
PRÉSIDENT
.- Mes chers collègues, nous allons procéder
à une audition publique de la Commission des Lois du Sénat et
nous le ferons d'autant plus volontiers que c'est la Commission des Lois qui,
il y a dix ans déjà, a institué cette procédure qui
nous permet de consulter avant de décider.
Nous consultons donc sur une importante proposition de loi
déposée par notre collègue Nicolas About tendant à
réformer certains aspects de la loi de 1975 sur le divorce.
En 1975, un certain nombre de grandes lois libérales ont modifié
notre société sur des points importants : il y a eu
-- je le rappelle -- l'institution de la majorité à
18 ans, la loi sur l'interruption volontaire de grossesse et, enfin, cette
loi de 1975 qui réformait fondamentalement la procédure de
divorce.
Cela s'est passé il y a vingt-cinq ans. Les choses ont
évolué, les couples se sont modifiés et, avant de nous
décider sur la proposition que notre collègue Nicolas About a
déposée et tendant à réformer des aspects
importants de cette loi de 1975, nous avons voulu, comme nous le faisons
toujours dans le cadre de cette commission, entendre et consulter.
Un certain nombre de personnes particulièrement qualifiées ont
bien voulu se joindre à nous pour nous dire leur sentiment et je les en
remercie.
Nous entendrons, en premier lieu, Mme Dekeuwer-Défossez, qui
était présidente d'un groupe de travail sur la rénovation
du droit de la famille. Nous entendrons également
Mme Rubellin-Devichi, qui dirige, à Lyon, le centre du droit de la
famille, et M. Bénabent, qui est à la fois professeur
agrégé et avocat aux Conseils.
Nous avons aussi souhaité entendre des avocats, des magistrats et des
notaires, toutes professions qui, bien évidemment, sont directement
concernées par l'évolution du droit du divorce.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez,
professeur à l'université de Lille II,
présidente du groupe de travail "rénover le droit de la
famille"
M. le
PRÉSIDENT
- Madame, nous allons vous demander de nous dire votre
point de vue et de répondre, par ailleurs, à certaines de nos
questions, étant entendu que le débat entre les membres de la
commission des Lois viendra le moment venu en commission.
Il est inutile de vous présenter, madame ; chacun vous
connaît. Vous êtes professeur à Lille, et je vois que vous
pratiquez indifféremment le droit commercial et le droit de la famille.
M. FAUCHON
.- D'où l'expression "avoir commerce".
M. le PRÉSIDENT
.- C'est une expression ancienne et très
jolie. Vous avez écrit et publié une réflexion sur les
mythes fondateurs de la famille et, en même temps, vous avez
effectué une publication reconnue sur le divorce en 1995. Vous
êtes auteur du rapport "Rénover le droit de la famille" qui a
été remis au garde des Sceaux en septembre 1999.
Je vous donne la parole.
Mme DEKEUWER-DÉFOSSEZ
.- Je ne suis pas l'auteur du rapport ;
j'étais le président d'une commission qui est l'auteur du
rapport. Il est très important de le signaler dès le
début, parce que l'opinion qui a été transcrite dans ce
rapport est celle de cette commission qui a été nommée par
Mme la Ministre de la justice et qui comportait treize personnes. C'est
donc une opinion collective et non pas individuelle.
J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de la proposition
de loi consistant à remplacer le divorce pour faute par un divorce pour
cause objective. C'est une question sur laquelle la commission avait
réfléchi au cours de ses travaux et avait apporté, comme
vous le savez, une réponse négative, sans avoir pour autant
conscience que le débat soit clos à tout jamais car, de toute
évidence, c'est l'une des grandes questions qui traversent le divorce
à l'heure actuelle.
Il faut bien reconnaître que la position de la France, qui a
conservé le divorce pour faute et où le divorce pour faute a
gardé une place tout à fait importante, voire
prééminente, est relativement isolée au sein des pays
européens. Beaucoup de nos voisins ont supprimé le divorce pour
faute et l'ont remplacé par un divorce pour cause objective.
Il n'est pas totalement certain qu'en définitive, ils en soient tous
satisfaits, mais le fait est que le divorce pour faute apparaît à
certains égards comme quelque chose d'anachronique ou, en tout cas,
passéiste.
Pourquoi conserver, dans notre proposition, cette position qui apparaît
donc relativement isolée et anachronique ? Parce qu'à la
réflexion, il nous a semblé que c'était, dans la nature du
mariage et la nature du droit de la famille, un changement considérable
dont nous n'étions pas persuadés qu'il soit fait pour de bonnes
raisons ni qu'il produise en définitive les effets escomptés.
Ce changement est considérable parce que -- cela ressort d'ailleurs
tout à fait de la proposition de loi en sa page 6 --, s'il n'y
a plus de divorce pour faute, cela veut dire que le mariage ne comporte plus
d'obligations juridiquement sanctionnables. Page 6, la traduction de cette
transformation est faite dans la phrase, d'ailleurs relativement
courante :
"Est-ce seulement le rôle de la justice de trancher
des conflits d'ordre affectif et privé" ?
Cela veut dire que les conflits entre époux ne sont plus
considérés comme des conflits appréhendés au
travers du prisme d'obligations juridiques, qui, à l'heure actuelle,
sont des obligations de fidélité, secours, assistance et
cohabitation, mais des relations privées dans lesquelles le droit et la
société n'ont plus à s'immiscer.
Si le mariage n'entraîne plus d'obligations juridiques, il n'est plus une
union, une institution juridique ; il devient un arrangement privé,
je ne dirai même pas un contrat parce qu'un contrat entraîne des
obligations juridiquement sanctionnables alors que nous sommes en
présence d'obligations qui ne sont plus juridiquement sanctionnables.
Donc le mariage tombe en dessous du niveau du contrat. C'est le premier point.
Le deuxième point, c'est que le fait de remplacer le divorce pour faute
par un divorce pour cause objective signifie que l'on supprime le principe
selon lequel on ne peut imposer le divorce à quelqu'un qui ne le
souhaite pas et qui n'a commis aucune faute. C'est tout à fait
logique : s'il n'y a plus de concept "d'époux innocent", il n'y a
plus de raison non plus de respecter la volonté de l'un des époux
de maintenir une union, même si l'autre ne le souhaite pas.
C'est aussi une grande question qui traverse le droit du divorce. Est-il
légitime, pour un époux, de s'opposer à ce que l'autre
reprenne sa liberté ?
Jusqu'à présent, au travers de modifications législatives
complexes, le droit français a conservé le principe selon lequel,
pour divorcer, il faut justifier d'une raison. Cette raison peut être
l'accord des deux époux. Si les deux époux sont d'accord
-- cela a été le changement de 1975 --, ce que la
volonté commune a pu faire, la volonté commune peut le
défaire.
En revanche, si un seul veut se libérer, il faut qu'il puisse justifier
de ce que l'union n'existe plus, soit parce qu'il y a séparation de fait
depuis six ans, soit parce que l'autre a commis à son égard un
certain nombre de fautes ; c'est le divorce pour faute.
Si l'on pousse un peu le trait, la seule différence qui reste entre le
mariage avec la possibilité de rupture unilatérale et le PACS,
c'est une question de délai. Pour le PACS, il faut trois mois et pour le
mariage, dans la proposition de loi, il faut deux ans. C'est une question de
délai et de durée et non plus une question de nature. Est-il
opportun de transformer le mariage à ce point au moment où l'on
vient d'adopter le PACS ? C'est une question qui se pose.
Ce sont donc des transformations qui sont non seulement considérables
mais radicales, puisque le changement sur le droit du divorce entraîne un
changement total sur le droit du mariage.
Ces changements seront-ils judicieux ? A quoi cela servira-t-il ? Le
but recherché -- et je crois que chacun est concerné, chacun
souhaite que ce but soit atteint --, c'est d'éviter ces combats
judiciaires qui non seulement sont stériles mais aggravent la situation
du couple en surajoutant les blessures de la procédure à celles
de la séparation.
En disant cela, on suppose que c'est la procédure qui crée le
litige, ce qui ne peut pas être considéré comme certain
à 100 %. D'ores et déjà, il y a bien d'autres
terrains de litige très durs entre les personnes qui se séparent
que la faute comme cause de divorce et, que je sache, les femmes qui ne se sont
pas mariées avec le père de leurs enfants ne sont pas plus
réticentes que les épouses divorçantes à accuser le
père d'abus sexuels.
Lorsqu'un couple est décidé à se battre, si on lui
supprime une manière juridique de le faire, il en trouvera une autre.
D'ailleurs, la proposition de loi a déjà prévu un terrain
de repli à travers les dommages et intérêts pour faute, et
nul doute que le cadre pénal sera également utilisé par
les personnes qui se séparent et non pas seulement par les
divorçants, bien sûr. Il est certain que ce n'est pas la
procédure de divorce qui crée le litige. Les litiges existent
parce que le couple se sépare et le couple qui veut s'accuser
mutuellement trouve les moyens de le faire dans l'arsenal juridique.
C'est une façon de voir qui est souvent utilisée dans toutes
sortes d'autres domaines. On a souvent dit que si la responsabilité
médicale a tellement d'implications et progresse tellement, c'est parce
que, au moins aux Etats-Unis, les avocats sont là pour venir susciter
les plaintes de la part des malades. C'est une vision un peu courte des choses.
En effet, ce n'est pas uniquement parce qu'il y a des avocats que les malades
se plaignent de leur médecin et ce n'est pas uniquement parce qu'il y a
une procédure de divorce pour faute que les époux choisissent
toutes les stratégies possibles pour s'entre-déchirer
perpétuellement.
Donc notre commission avait pensé (mais c'est un peu de la futurologie
et je reconnais que nous n'avons aucune possibilité de vérifier
ce que nous avançons) que s'il y avait disparition de la faute comme
cause de divorce, il y aurait déplacement des terrains des bataille mais
pas du tout suppression des batailles et que les juges qui ne veulent pas
entendre parler de la faute comme cause de divorce entendraient parler d'abus
sexuels, de violences conjugales, de détournements financiers, d'abus de
confiance, d'escroqueries, de vols ou de toutes sortes de choses et
continueraient à entendre parler des litiges entre époux.
J'ai parlé des juges et c'est mon point suivant. Il nous a semblé
qu'à tout le moins, avant de sauter le pas, il fallait éclaircir
de manière plus nette l'origine de la demande. C'est un point sur
lequel, postérieurement au rapport, j'ai encore eu l'occasion de
constater des choses qui m'ont paru tout à fait curieuses et, en tout
cas, à élucider.
Manifestement, la demande de suppression du divorce pour faute vient en grande
partie de la magistrature. De toute évidence, un nombre croissant de
juges aux affaires familiales ne supporte plus ce type de litige et j'ai
entendu publiquement -- je ne raconte pas des choses secrètes
puisque ce sont des interventions publiques dans plusieurs colloques --
certains juges accuser les avocats de monter des dossiers de toutes
pièces et de contribuer à souffler sur le feu pendant que les
avocats, évidemment, se défendaient de cette accusation en disant
qu'il était trop facile de prétendre que leurs allégations
étaient fausses, que ce n'étaient pas eux qui soufflaient sur la
litigiosité de leurs clients mais que, bien au contraire, ils
s'employaient dans toute la mesure de leurs possibilités à la
tempérer.
Je n'ai strictement aucun moyen de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux
là-dedans. Il est vraisemblable que tout est partiellement vrai et
partiellement exagéré. Cela dit, il me semble qu'il faudrait
quand même se rendre compte que le fait de reporter du juge sur le
médiateur la résolution des conflits conjugaux s'apparente
à une forme de déni de justice, puisque ce que demandent les
époux en litige, c'est leur droit et que ce qu'on leur propose, c'est un
arrangement dans lequel on ne veut pas dire que quelqu'un a tort et quelqu'un a
raison.
Cela constitue donc bien ce que l'on appelle un déni de justice,
c'est-à-dire un litige que le juge refuse de trancher. Cela rejoint ce
que l'on disait au début, c'est-à-dire que l'on considère
que ce ne sont plus des litiges juridiques mais des litiges purement
privés.
Il me semble qu'avant de trancher dans le sens du retrait de la justice et du
retrait du droit, il faudrait quand même être sûr qu'il ne
s'agit pas simplement d'une inaptitude de nos institutions à
gérer les situations, parce que la justice et le droit sont un droit du
citoyen. Si, un jour, il se trouve que l'on ne répond plus aux personnes
qui se plaignent de ce que l'on ait méconnu leurs droits, il n'y aura
pas un progrès mais un recul de la démocratie.
Pour terminer, puisque des questions ont été
évoquées et qu'il va rester quelques minutes pour y
répondre, je voudrais vous faire part d'une difficulté que nous
avons particulièrement ressentie dans le groupe et de deux
écueils entre lesquels nous avons eu conscience de devoir louvoyer.
D'un côté, chacun s'accorde à dire que les
procédures de divorce ne doivent pas rajouter de la souffrance à
la souffrance et des difficultés aux difficultés. D'où
l'idée, qui n'est pas neuve du tout, de dédramatiser le divorce
et d'en faire un temps de pacification et d'organisation plutôt qu'un
temps de bagarre.
D'un autre côté, on s'accorde aussi à trouver que la
fragilité des couples et des familles est quand même une
difficulté, un handicap et, il faut bien le dire, une cause de
souffrance pour les enfants. Je lisais encore hier dans un grand quotidien peu
suspect d'être ringard ou passéiste que, dans les causes de
suicide des adolescents, il y a, certes, l'échec scolaire, mais aussi
les séparations et recompositions familiales.
Comment trouver un droit du divorce qui, à la fois, ne soit pas trop dur
pour les personnes qui divorcent en accumulant les obstacles et ne soit pas
perçu comme un appel à la facilité, à la
permissivité ou à des séparations plus faciles et donc
plus anodines ? C'est une interrogation qui n'est pas nouvelle et qui a
été posée à propos de la loi de 1975, que d'aucuns
ont accusée d'avoir engendré le nombre de divorces qui ont suivi,
d'autres ayant dit que le mouvement d'expansion des divorces avait
précédé la loi de 1975.
En tout cas, la suppression de la faute comme cause de divorce ne peut pas
être considéré comme un signal fort en faveur de la
stabilité des unions matrimoniales. Il reste à savoir si on veut
donner un signal de stabilité des unions matrimoniales.
M. le PRÉSIDENT
.- Je vous remercie, non pas de la clarté
de votre exposé, car cela allait de soi, mais des précisions que
vous avez bien voulu nous apporter de manière très franche, dans
la mesure où, malheureusement, nous avons dû vous indiquer un
cadre de temps.
Si je résume votre position, vous précisez bien que ce que vous
nous avez dit est la position du groupe de travail sur la rénovation du
droit de la famille, qui est le titre même de votre rapport.
Dans ces groupes, on parvient toujours à des attitudes consensuelles.
Puis-je vous demander si cela a été l'objet de débats
très approfondis, avec des opinions allant dans des sens relativement
divergents ?
Mme DEKEUWER-DÉFOSSEZ
.- Non, assez curieusement. La
manière dont cela s'est passé n'est pas du tout ce qui
était prévu. Nous avions été mandatés par
Mme Guigou pour travailler sur le problème du divorce et nous
avions en tête le problème du divorce sans juge, sur lequel nous
avons eu des séances nombreuses et houleuses, des oppositions et des
discussions.
En revanche, nous n'avions pas envisagé au départ -- ce
n'était ni dans la lettre de mission, ni dans le projet -- de
travailler sur le divorce sans faute. C'est donc au cours des auditions que la
question du divorce sans faute nous a été posée. Or il ne
s'est pas trouvé, dans le groupe, de défenseur du divorce sans
faute, peut-être parce que le groupe n'avait pas été choisi
pour travailler sur cette question. Je pense que, de toute façon, il y a
une difficulté conceptuelle et pratique énorme à concevoir
la suppression de ce qui fait 50 % des cas de divorce en France, ce qui
est énorme. C'est comme si vous disiez que l'on va supprimer les
sociétés à responsabilité limitée.
Ce qui fait l'essentiel de la pratique d'un tribunal serait supprimé du
jour au lendemain pour le remplacer par quoi ? On ne l'imagine pas
très bien, il faut le confesser. Il est possible qu'il y ait un manque
d'imagination des juristes, tant des universitaires que des techniciens, mais
on imagine très mal, dans le paysage juridique français actuel,
ce qui pourrait remplacer le divorce pour faute.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, madame. Peut-être y a-t-il, dans
le cadre du temps que nous devons respecter, quelques questions à vous
poser.
M. ABOUT
.- Madame la Présidente, je vous comprends parfaitement
lorsque vous nous dites que le divorce pour faute, en gros, est celui qui
sépare le plus sûrement ou le mieux les époux. C'est
effectivement radical et c'est en tout cas certain sur le plan affectif.
Maintenant, malheureusement, il sépare aussi le mieux ou le plus les
parents et il est le plus destructeur.
Vous avez évoqué l'enfant à travers le divorce à la
toute fin de votre propos en nous disant : "je signale au passage que,
dans les suicides des adolescents, comme l'a montré un article, l'une
des causes est la séparation des familles".
Toute la proposition qui est faite aujourd'hui consiste au contraire à
replacer l'enfant au coeur du divorce. J'ai été très
sensible à ce qui a été indiqué dans le rapport de
votre commission, lorsqu'il est dit qu'entre le divorce pour faute et le
divorce pour rupture de la vie commune, qui est le seul que vous évoquez
comme divorce pour cause objective, ils survivraient tous deux mais que le
souhait exprimé par le groupe est que le premier régresse (il
s'agirait donc bien qu'il disparaisse petit à petit) et que le second
devienne en pratique un véritable divorce pour cause objective. C'est
bien la question que nous posons ce matin.
J'ai évoqué le problème de l'enfant parce que je crois
vraiment que c'est le coeur de la question.
J'en viens à une deuxième remarque sur laquelle je souhaiterais
connaître votre réaction. Vous avez dit que nous souhaitions faire
disparaître la faute, ce qui n'est pas exact. Nous souhaitons dissocier
la faute du divorce, car la préoccupation immédiate du divorce
doit être l'enfant et la relation entre l'enfant et les parents. C'est
cela qu'il faut régler au moment du divorce.
Ensuite, vous avez dit que l'une des façons, pour les époux, de
se rattraper, c'était qu'ils règlent leur querelle ailleurs, mais
ce n'est que l'un des deux pieds du système. Madame la
Présidente, partagez-vous ces soucis ou considérez-vous que cela
ne va pas dans le bon sens ?
Ma dernière remarque, c'est que je ne comprends pas l'idée selon
laquelle, puisque, aujourd'hui, les divorces pour faute représentent
50 % des cas, il ne faut pas les supprimer. Malheureusement, les autres
systèmes ne règlent pas les problèmes et à la fin,
les époux n'ont rien d'autre à leur disposition que de se battre.
Je me demande alors pourquoi on a fait le PACS alors que l'union libre,
après tout, représentait la majorité des façons de
s'unir entre les couples. Si l'on s'appuie sur un pourcentage, on ne changera
pas beaucoup les aspects du droit.
Mme DEKEUWER-DÉFOSSEZ
.- Sur la question de l'enfant, il y a une
chose que je ne comprends pas. A l'heure actuelle, en droit, la faute des
parents n'a strictement rien à voir avec le sort de l'enfant. Vous
pouvez chercher dans le Code civil : il n'y a pas un quart de demi ligne
disant que la faute des parents a quelque chose à voir avec le sort des
enfants. Cela n'empêche pas que vous proposez d'améliorer le sort
des enfants en ne vous occupant pas de la faute des parents.
A mon avis, on essaie désespérément de séparer
juridiquement des choses que les gens s'attachent à raccrocher.
Pourquoi ? Je ne le sais pas. Encore une fois, je suis absolument
persuadée que l'on n'arrivera pas à résoudre ce lien entre
la faute et les enfants d'un coup de baguette magique en supprimant le concept
de faute comme cause de divorce. C'est une chose qui me paraît trop
réelle, malheureusement.
Vous avez posé une autre question sur la suppression des
procédures de divorce et je vais me montrer plus précise pour y
répondre, en essayant d'être rapide. En 1975, on a
créé quatre procédures, c'est-à-dire que l'on a
fait trois procédures pour supprimer la procédure de divorce pour
faute. Donc pourquoi continue-t-on à divorcer pour faute ? Avant de
supprimer le divorce pour faute, il faudrait savoir pourquoi les gens
continuent à y recourir. Cela vient-il simplement de questions de
malfaçon dans les autres formes de divorce ou est-ce parce que les
époux veulent se battre ?
Si cela vient de malfaçons dans les autres procédures, ce qui est
le pari que nous avons pris, il faut les améliorer. Je suis
persuadée que l'on peut considérablement les améliorer et
que, si c'était le cas, il y aurait une décrue
considérable des procédures de divorce pour faute. Mais si les
gens continuent à divorcer pour faute parce qu'ils ont envie de se
battre, on ne les en empêchera pas, malheureusement, et on aura
détruit le mariage sans obtenir le résultat souhaité quant
à la pacification des rapports familiaux.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, madame. J'indique que nous en sommes au
stade d'une proposition de loi. Il n'y a donc pas de "nous" pour l'instant mais
simplement un "je", une proposition de loi qui, le cas échéant,
sera reprise et qui sera de toute façon discutée en commission.
Madame, je vous remercie.
Je demande maintenant à Mme Rubellin-Devichi et à
M. Bénabent de bien vouloir nous rejoindre.
Mme Jacqueline Rubellin-Devichi,
professeur
agrégé à l'université de Lyon III,
directeur du centre du Droit de la Famille,
M. Alain Bénabent,
professeur agrégé, avocat aux Conseils
M. le PRÉSIDENT
.- Nous avons eu un exemple extraordinaire, que je
vous demande de suivre, de concision et de clarté pour illustrer ce
travail que nous avons entrepris.
Madame Rubellin-Devichi, vous êtes directeur du centre du Droit de la
Famille à l'université de Lyon III et c'est à ce
titre que nous vous avons demandé de venir, ce dont je vous remercie.
Quant à vous, Monsieur Bénabent, vous êtes professeur
agrégé et avocat aux Conseils.
Je suggère que vous preniez environ dix minutes chacun.
Mme RUBELLIN-DEVICHI
.- J'irai donc à l'essentiel. Laissez-moi
vous dire tout d'abord que je suis contente d'être encore auprès
de vous, sachant que, cette fois, je vais dire du bien des juges, contrairement
à la dernière fois.
M. le PRÉSIDENT
.- Vous en aviez dit du mal ?
Mme RUBELLIN-DEVICHI
.- C'est vous qui me l'avez reproché...
(Rires.)
Il est très bien que Mme Dekeuwer-Défossez vous ait
rappelé ce qu'a décidé la commission qu'elle
présidait, car cela m'évite de vous dire pourquoi ce principe de
la suppression de la faute me rend triste.
Cela me rend triste parce qu'on a accepté le PACS mais non pas pour les
raisons qui ont été dites. En effet, le PACS était
destiné aux couples homosexuels, qui n'étaient
considérés ni comme mariés, bien entendu, ni comme pouvant
se marier, ni comme concubins. Le PACS était tout à fait
nécessaire pour eux qui étaient privés de reconnaissance
d'une vie de couple et cela n'a rien à voir avec la proposition de M. le
sénateur About. La question, c'est le mariage, qui crée certaines
obligations : fidélité, secours, assistance. On aime bien
parler de la contractualisation du droit de la famille. Or la sanction des
obligations du mariage, jusqu'à présent, c'était
précisément la possibilité de divorcer pour ce que je
continue à appeler la faute, c'est-à-dire la violation des
obligations du mariage.
Cela me rend infiniment triste, mais je n'en parlerai plus dans les huit
minutes qui vont me rester, quand je vous aurai dit qu'il faut rendre hommage
à la proposition de loi, qui comporte d'excellentes dispositions, mais
ne pas supprimer la faute du tout.
Il faut dire aussi un mot des 47 % (et non pas 50 ; le chiffre est en
régression) des divorces pour faute qui continuent d'être
demandés. Il n'est pas tout à fait vrai, comme le sénateur
About l'a écrit dans son exposé des motifs, que cette proportion
est due la plupart du temps à des gens qui sont rebutés par la
longueur et les difficultés des divorces par consentement mutuel
(requête conjointe ou sur demande acceptée que je continuerai
à appeler "sous double aveu", c'était le mot du doyen Carbonnier).
Je crois au contraire que, comme c'était vrai en 1975, il y a encore des
gens qui pensent que le mariage ne sera probablement pas pour
l'éternité mais, au moins, pour le temps où les
époux, soi-même et l'autre, se conduiront convenablement. On aura
beau faire un divorce pour cause objective et ravaler les obligations du
mariage à des obligations morales, finalement, rien ne m'empêchera
d'être fidèle à mon mari et rien ne l'empêchera
-sinon moi- de ne pas m'être fidèle.
C'est la raison pour laquelle le divorce pour faute doit être maintenu et
c'est sur ce principe que je souhaite attirer votre attention, étant
entendu que, dans la proposition de M. About, il y a beaucoup de choses
importantes et intéressantes.
Il me semble que la symbolique de la faute comme sanction de la violation des
obligations du mariage mérite une certaine considération, de
même que le mariage, bien sûr. Il faut bien qu'on lui laisse
quelque chose, à ce mariage, qu'il ne soit pas réduit à un
chiffon de papier doublé d'une cérémonie mondaine, et il
me semble qu'il y a là une considération importante. Le doyen
Carbonnier disait justement que les fautes du divorce dessinent en creux les
devoirs du mariage. Plus de fautes, plus de devoirs dans le mariage. Ne nous
marions plus, sauf pour les jolies robes.
Cela dit, pour aller vite, j'en viens à l'exposé des motifs de la
proposition. Il est vrai que l'on a un peu trop mélangé l'envie
de supprimer le divorce pour faute et les inconvénients des autres
divorces. Par exemple, pourquoi dites-vous, en page 3, que le divorce par
consentement mutuel est épouvantable ? Parce qu'on n'arrive pas à
l'accord parfait et qu'il y a un contentieux terrible ?
En fait, ce contentieux terrible n'est pas dû au consentement mutuel mais
à une sottise de la Cour de cassation -- je vais encore dire du mal
de la Cour de cassation --, sur laquelle elle appelle elle-même de
ses voeux un changement et a peut-être amorcé un revirement le
27 janvier 2000 : le fait d'avoir dit que le divorce sur
requête conjointe englobait absolument tout, c'est-à-dire la
proposition de liquidation dans la convention définitive, et ne donnait
lieu à aucune contestation, ni pour dol, ni pour erreur, ni pour
violence, ni à tout ce que M. Bénabent sait mieux que moi
puisque, après l'avoir enseigné, il écrit encore
là-dessus aujourd'hui.
Voilà encore ce qui me gêne un peu dans la proposition de
loi : la mise en avant des enfants, qui souffriraient plus du divorce pour
faute de leurs parents que d'un divorce pour tout autre cause. Qu'on le veuille
ou non, la façon de divorcer des parents n'a rien à voir avec
l'attribution de l'exercice de l'autorité parentale. Dans le Code, par
la loi de 1975 et la loi de 1993, aujourd'hui, qu'il y ait divorce ou non, les
enfants qui sont nés légitimes sont en principe sous
l'autorité conjointe des parents. Le juge n'intervient que s'ils
n'arrivent pas à se mettre d'accord.
Par-dessus le marché, il faut insister sur l'idée que même
si vous essayez d'exiger des époux, par le biais des médiateurs
ou du juge, qu'ils s'accordent sur l'exercice de l'autorité parentale,
parce que vous ne pouvez pas leur retirer le droit lui-même, cela ne
change rien. Les mesures vis-à-vis des enfants sont toujours
révisibles jusqu'à ce qu'ils aient 18 ans, et davantage
s'ils font des études. Par conséquent, il faut laisser cela de
côté.
Que le divorce soit pour faute ou non, les enfants ne souffrent pas plus. Ils
souffrent des agissements des parents, bien sûr, mais est-ce plus grave,
pour un enfant, de s'entendre dire : " on ne s'aime plus et on se
sépare ; ton père va avec "Machine" et moi avec
"Machin"" que d'introduire la faute ? Peu importe. Sur le plan des
conséquences sur les enfants, il faut vraiment séparer les deux
choses. Il y a des parents qui ont la distance nécessaire et savent
ménager les enfants, même dans un divorce très conflictuel,
et il y a des parents qui veulent faire croire à leurs enfants que le
divorce est la faute de l'autre, même lorsqu'ils divorcent par
consentement mutuel.
De toute façon, tout est dans la façon dont on présente le
jugement de divorce. A Lyon, par exemple, les juges sont très souvent
saisis par les époux, et donc par leurs avocats, sur le fondement de
l'article 248-1 du code civil, de la demande de ne pas mentionner la faute
dans le jugement de divorce, par peur que leur entourage retrouve un jour
l'énoncé des griefs.
Je crois aussi qu'il n'est pas juste d'affirmer que le divorce sur demande
acceptée a pour inconvénient majeur d'obliger l'époux non
demandeur à accepter le principe (il est libre de le faire ou non) et,
ensuite, de laisser le juge décider d'office des effets. En effet,
très sagement, je dirai même astucieusement, le doyen Carbonnier
avait complètement séparé l'accord sur le principe de la
séparation et les effets patrimoniaux du divorce, mais avec des
limites : le juge ne peut statuer sur les conséquences que comme en
matière de divorce aux torts partagés (article 234 du code civil)
et cela n'empêche pas l'accord des époux là dessus.
Je crois qu'il n'est pas vrai non plus de dire que la formule de la faute est
la seule qui permette de contraindre l'autre époux au divorce.
Justement, le divorce sur demande acceptée est là pour ça,
et ce n'est que lorsque l'autre ne prend pas parti qu'il faudra l'assigner pour
faute.
Je voudrais aussi rappeler, parce que je crois que c'est l'une des raisons de
la volonté de supprimer la faute dans ce qu'elle a de
délétère dans les rapports entre les époux, que le
divorce non pas du fautif contre le non-fautif mais contre celui qui a
été condamné "à ses torts exclusifs"
n'empêche pas le juge de prononcer un divorce aux torts partagés,
même si " l'innocent " n'a rien demandé de son
côté ou n'a pas fait une demande reconventionnelle (article 245,
alinéa 3 du code civil). Je crois aussi que les garde-fous et les
adoucissements nécessaires existaient dans la loi de 1975 mais ont
été mis en oeuvre un peu tardivement dans les autres divorces et
par les magistrats.
A mon avis, il n'est pas tout à fait juste (mais j'irai très vite
parce qu'il y a des choses tout à fait positives) de dire qu'il est
épouvantable de faire entendre aux enfants les réponses faites
par les parents. Le sénateur à l'origine de la proposition sait
bien -- et il le montre -- que les enfants ne sont jamais entendus
dans une procédure de divorce pour faute. Concernant leur garde ou bien
l'autorité parentale, c'est autre chose, mais les enfants ne sont jamais
entendus sur le divorce lui-même, et leur témoignage est interdit
depuis le siècle dernier (article 205 du code de procédure
pénale).
Il est vrai que les parents des divorçants peuvent raconter des choses,
mais cela ne changera rien parce qu'en réalité, le divorce
proposé sous le nom de "cause objective" va en froisser plus d'un,
spécialement tous ceux qui croient encore au mariage. Ce divorce pour
cause objective est en fait un divorce pour faute.
Il n'est plus vrai, aujourd'hui, que les enfants sont hébergés
par l'époux innocent. L'autorité parentale s'exerce
conjointement, les époux choisissent ensemble la résidence de
l'enfant et le juge peut parfois l'imposer s'il estime que la résidence
choisie présente des dangers, mais il peut parfaitement attribuer la
résidence à l'épouse coupable. Il le faisait d'ailleurs
tout de suite après 1804, s'agissant de la garde, lorsque c'était
pour le plus grand avantage des enfants.
J'en viens à une affirmation qui me gêne beaucoup. Vous
évoquez les pays européens qui ont supprimé le divorce
pour faute, ou plus exactement la faute dans le divorce. Il faut savoir que,
par exemple, le Danemark a été obligé de
réintroduire la faute au moins pour les violences conjugales, qui
constituent un cas exprès (vous évoquez d'ailleurs souvent les
violences).
Il faut savoir aussi que le droit anglais, qui va vers un fiasco total en
essayant de créer un divorce par médiateur (cela coûte
tellement cher que cela fait deux fois que la loi est reportée),
compense le dommage subi, c'est-à-dire par celui qui n'a pas
été adultère ou violent avec les enfants. Cela veut dire
qu'en Angleterre, on ne partage pas les biens selon un régime
matrimonial ; le juge décidera que monsieur -- je le dis au
hasard -- attribuera ou laissera la maison dans laquelle les deux
époux habitaient à l'épouse et que les enfants seront
exclusivement confiés à l'épouse, surtout si elle peut
arriver à alléguer des violences et des adultères. C'est
bien la faute qui est réintroduite d'une façon qui, à mon
avis, n'est même pas très juste pour l'autre.
La proposition de loi dit clairement ce qu'elle veut : un divorce par
volonté unilatérale. Mais c'est vraiment ce qui est choquant.
Permettre à un époux de divorcer tout seul, par volonté
unilatérale, me gêne un peu. Je pense que la faute n'est pas
seulement le motif ou l'expression d'un dysfonctionnement au sein du couple.
Cela nous permettrait de prendre des maîtresses ou des amants comme nous
le voudrions.
Il faut supprimer l'article 212 du code civil si l'on veut supprimer la
faute dans le divorce. Mais que va-t-il rester des obligations du mariage ?
Cela dit, je trouve que, de la proposition de loi (c'est mon voeu et ce
n'est pas du tout raisonné ni raisonnable), la commission doit retenir
au moins les propositions annexes, sans quoi nous n'aurons notre réforme
du divorce que dans cent vingt ans : la séparation de fait depuis
trois ans (bravo) et l'altération des facultés mentales depuis
plus de trois ans (encore mille fois bravo).
Quant à l'existence des faits rendant intolérable le maintien de
la vie conjugale, c'est autre chose. Ce qui me gêne et ce qui fait que
l'on revient un peu au divorce pour faute sans vouloir le dire, c'est que, dans
le cas des faits rendant intolérable le maintien de la vie conjugale, le
juge peut imposer un délai de deux ans pour que l'autre arrive à
se faire une raison. Pendant ce temps-là, si cela m'arrivait, je n'irais
pas voir le juge, et je mettrais ce délai à profit pour me
constituer de belles preuves pour mon action fondée sur l'article 1382.
Je ne pense pas que la suppression de la faute favorise la
réconciliation.
Il en est de même, pour les enfants, pour ce qui est des mesures
concernant les pensions et les prestations. Il s'agit bien des pensions pour
les enfants puisqu'il n'y en a pas d'autres. Ce n'est pas la peine de
dépenser beaucoup d'argent pour faire de la médiation quand on ne
veut pas s'accorder là-dessus puisque ces mesures seront toujours
révisibles, même après le divorce, tant que l'enfant n'a
pas 18 ans ou n'a pas fini ses études.
Par ailleurs, j'ai trouvé admirable le fait que vous alliez encore plus
loin, dans les effets du divorce sans faute pour certaines personnes, que la
loi de 1975. Si j'ai bien compris, vous parlez du maintien d'un devoir de
secours entre les époux divorcés si le divorce devait avoir, pour
l'un des époux, des conséquences matérielles et morales
d'une extrême dureté. C'est la restauration de la pension
alimentaire en fonction des besoins et des ressources d'une façon ou
d'une autre.
Je trouve cela très heureux, parce que vous avez suivi
l'Assemblée nationale et supprimé la prestation compensatoire
sous forme de rente. Je trouve très bien que vous restauriez la pension
alimentaire entre les époux. Evidemment, ce sera en faveur de
l'époux le plus démuni, mais le juge tiendra compte de la
conduite qu'ils ont eue tous les deux.
Par ailleurs, je ne suis pas d'accord avec Mme Dekeuwer-Défossez
quand elle dit que l'histoire des fautes conjugales va se transférer au
pénal. Aujourd'hui, les épouses bafouées peuvent aller au
pénal, mais en fait, elles n'y vont pas parce qu'elles ne traînent
pas en justice pénale le père ou le faux père de leurs
enfants.
En revanche, je trouve que l'effet d'annonce qui consiste à dire que la
France, comme les pays nordiques que l'on admire tellement, supprime le divorce
pour faute n'est pas une très bonne idée. D'autant que vous
conservez ce qu'il y a dans la loi de 1975, s'agissant du recours aux articles
266 et 1382 du code civil.
Dans l'article 266, on prévoit la possibilité de demander des
dommages et intérêts pour "
fautes graves et
caractérisées qui donneront lieu à une réparation
symbolique
". A mon avis, cela ne signifie pas qu'il s'agira du franc
symbolique de dommages et intérêts mais de la réparation du
préjudice causé. En tout cas, il y a l'article 1382.
Je tiens à revenir, en quelques secondes, sur un autre point. Je trouve
magnifique (c'est demandé par les juristes de tous bords politiques,
depuis très longtemps), une information envoyée aux
divorçants. Il est incroyable que, dans notre pays, les gens qui sont
concernés, non pas forcément par le divorce mais par le droit de
la famille, ne sachent rien. Il y a longtemps que j'avais souhaité,
à la première conférence de la famille, sous le
règne d'Alain Juppé, que l'on fasse un petit livret accessible
informant les individus, et les maires par la même occasion, de leurs
droits et de leurs devoirs au moment de la publication des bans du mariage ou
au moment de la naissance d'un enfant
Par exemple, personne ne sait qu'entre époux, les donations sont
toujours révocables, alors qu'elles ne le sont pas entre les concubins
ni entre les "pacsés".
Le fait d'informer les divorçants de leurs droits et des
médiations qui vont être organisées est une belle
initiative, mais si le juge invite les divorçants à se tourner
vers la médiation et s'il l'impose quand il y a des enfants, ce que je
trouve très bien, qui va payer la médiation ? De plus, la
médiation ne sera pas obligatoire : vous n'empêcherez pas
l'avocat de madame de dire à sa cliente : "Madame, allez voir le
médiateur mais n'acceptez pas s'il vous propose telle ou telle chose".
C'est évident. Il me reste à dire que la médiation est
contenue pour l'instant dans un domaine limité que l'on devrait sans
doute élargir, mais je ne crois pas que ce soit la panacée. On
verra bien.
J'en aurai fini, quand j'aurai dit, qu'à mon avis, une chose ne va pas
très bien dans la proposition de loi : la façon d'avoir
calqué (c'est encore la faute qui montre le bout de son nez mais
c'était déjà un échec) la procédure sur le
divorce sur demande acceptée. Aujourd'hui, on fait une demande, on
produit un mémoire et le juge fait envoyer ce mémoire à
l'autre époux qui peut répondre ou non. C'est devenu
-- c'est d'ailleurs très bien --un très bon moyen de
divorcer vite par consentement mutuel.
A Lyon, il y a beaucoup de divorces sur demande acceptée parce qu'on ne
veut pas du consentement mutuel qui dure plus de huit mois et qui permet
à l'autre de vous abandonner à chaque instant.
Ce qui est dommage dans le divorce sur demande acceptée, c'est qu'il
suffise aujourd'hui que l'époux auteur du premier mémoire
écrive : "la vie commune n'est plus supportable entre nous" et que
l'époux auteur du second mémoire réponde : "Oui, je
reconnais que la vie commune est insupportable entre nous".
En tout cas, je suis d'accord avec vous sur un point : la suppression pure
et simple du divorce pour rupture de la vie commune, notamment en cas de
maladie grave du conjoint. En effet, c'est un divorce qui n'a presque jamais
lieu puisqu'il représente 0,01 % et 1 100 cas.
Or, par ailleurs, vous acceptez de maintenir cette idée de la pension
alimentaire quand l'un en a vraiment besoin.
J'ajoute que le maintien d'une prestation compensatoire même à
l'époux seul fautif est aujourd'hui très logique.
J'ai donc trouvé tout à fait intéressantes les
propositions qui sont contenues dans la proposition de loi, sauf la suppression
de l'effet symbolique du droit français dont, jusqu'à
présent, on peut être fier, c'est-à-dire le maintien du
divorce pour faute, qui se présente d'une façon tout à
fait neutre et tout à fait souple. On ne parle plus d'adultère ni
de causes de divorce mais de cas de divorce. Donc laissez cela dans le Code
civil et gardez tout le reste. Non, pas tout à fait. Il faut
simplifier, selon les " pistes " ouvertes par la proposition de loi
de M. About. C'est une nécessité.
J'en ai terminé, monsieur le Président, et vous allez voir que je
vais me faire battre.
M. le PRÉSIDENT
.- Monsieur Bénabent, c'est à vous.
M. BÉNABENT
.- Merci, monsieur le Président. Ma
chère collègue, merci de m'avoir laissé quelques secondes
pour dire tout le bien que je pense d'emblée de cette proposition de loi
dont, surtout, l'exposé des motifs met parfaitement en lumière le
"
bilan catastrophique
" (je reprends ses mots qui me paraissent tout
à fait justifiés) de la logique de contentieux imposé que
connaît à l'heure actuelle notre divorce pour faute.
Bien sûr, en 1975 -une date qui semble, par une sorte de gel des
idées, constituer une référence totale- il était
nécessaire de maintenir ce divorce pour faute, puisque c'était
exclusivement ce qui existait auparavant et qu'il ne s'agissait pas de
supprimer d'un seul coup ce qui, jusqu'alors, était la seule voie
admise.
Cependant, cela se passait il y a vingt-cinq ans. Les gens qui se marient
aujourd'hui sont nés en 1975 ; il y a un changement de
génération et l'évolution des idées a fait son
oeuvre. Notre droit du divorce (vous le soulignez parfaitement dans cet
exposé des motifs) est devenu inadapté et cette inadaptation se
traduit par une série de signes. J'en énoncerai simplement quatre
sans les développer, faute de temps.
Le premier est une incompréhension croissante. En effet, les jeunes
générations ne comprennent pas pourquoi il faut, pour divorcer,
aller se faire un procès et se soumettre à une
appréciation judiciaire. Beaucoup, d'ailleurs, ignorent comment cela
fonctionne exactement car, lors de la cérémonie du mariage, on a
pris soin de leur lire des textes sur les obligations du mariage mais non pas
sur sa dissolution...
(rires.)
M. le PRÉSIDENT
.- C'est peut-être une idée à
creuser. On pourrait faire deux discours.
M. BÉNABENT
.- On peut se demander s'il est normal que l'on vous
engage dans un lien sans que vous sachiez exactement jusqu'à quand vous
vous engagez.
Le deuxième signe, c'est l'insatisfaction de tous ceux qui sont
passés par là. Tous ceux qui ont éprouvé ou
expérimenté personnellement une procédure de divorce sont
très sceptiques sur le rôle du juge, sur le rôle de
l'avocat, sur la sorte de plus ou moins grande comédie que cela
représente. Je parle de comédie non seulement lorsqu'il s'agit de
signaler des griefs mais aussi, comme cela est dit, dans cette sorte de fausse
tentative de conciliation complètement artificielle telle qu'elle est
pratiquée.
Il y a donc un scepticisme général, sans parler du coût,
qui fait l'objet de plaintes récurrentes, de ceux qui ont connu une
procédure de divorce pour faute. Ceux qui y sont favorables sont
généralement ceux qui ne l'ont pas personnellement
expérimentée.
Le troisième signe, c'est une déformation de cette
procédure. Le système ne tient -- on vient de nous le dire
et de nous l'expliquer à deux reprises -- que parce que le divorce
pour faute est utilisé même dans un grand nombre de cas où
il ne s'agit pas d'un véritable divorce pour faute mais parce qu'il n'y
a pas d'autre moyen procédural de divorcer.
Par conséquent, sans que les époux veuillent
nécessairement se battre, ils sont bien obligés, parce qu'ils ne
sont pas arrivés à un accord total, d'emprunter cette voie
judiciaire du divorce pour faute. Ce n'est pas vraiment pour gagner ; la
preuve, c'est que 80 % des divorces pour faute sont prononcés aux
torts partagés. Ce n'est pas vraiment pour faire proclamer les
fautes ; la preuve, c'est que, dans la plupart des cas, les époux
eux-mêmes demandent que l'on ne fasse pas figurer la faute dans le
jugement de divorce. C'est donc simplement parce qu'il n'y a pas d'autre voie
procédurale correcte.
Il est donc faux de parler du succès pratique du divorce pour faute en
disant qu'il représente 50 % des cas du divorce actuel. Si on
n'arrive pas à un consentement mutuel, on est bien obligé de
passer par là. C'est donc un argument artificiel que de tirer parti de
ce prétendu succès pratique.
En outre, sur le plan législatif (dans cette enceinte, ce n'est pas
totalement indifférent), est-il normal de maintenir un système
qui ne fonctionne que parce qu'il peut être contourné ? C'est
seulement parce qu'on peut utiliser le divorce pour faute pour tous les cas
où on n'a pas véritablement de griefs que l'on parvient à
cette formule qui est utilisée classiquement à Paris en disant
qu'il n'y a pas véritablement de grief mais que les époux ne
peuvent plus vivre ensemble et qu'il y a donc lieu de prononcer le divorce aux
torts partagés. Certes, il y a des vertus sociologiques au contournement
de la loi : il faut une certaine soupape, mais faire la loi en vue de
compter sur une bonne dose de contournement n'est peut-être pas la
meilleure méthode.
Le quatrième signe, c'est que cette difficulté du divorce
entraîne un délaissement à l'égard du mariage.
Contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, si
le PACS a été voté, ce n'est pas uniquement à cause
du mouvement homosexuel. C'est aussi parce qu'il a été
épaulé par un mouvement important d'hétérosexuels
refusant de s'inscrire dans le droit archaïque actuel du mariage et du
divorce. C'est la conjonction de ces deux mouvements qui est parvenue à
emporter le vote de la loi.
Je crois donc qu'il est nécessaire -- vous avez raison de le
dire -- de rénover le droit de la famille en général,
comme le rapport de Mme Dekeuwer-Défossez l'a souligné, et
le droit du divorce, et qu'il faut le faire en supprimant le divorce pour
faute.
La proposition de loi représente à mon sens un progrès
parce qu'il faut laisser de côté, au moment du divorce, le
débat sur les causes, la question de savoir pourquoi "cela ne marche
plus". Ce n'est pas un débat juridique ; ce n'est pas un
débat qui doit encombrer les tribunaux et il faut s'attacher,
puisqu'alors, il est à peu près exclu que la
réconciliation ait lieu (ce n'est pas d'un débat judiciaire
où les parties s'opposent que peut naître une
réconciliation), à passer le temps dont on dispose pour organiser
les effets.
J'en viens à trois petites questions sur ce qui a été dit
précédemment.
Premièrement, dire que supprimer le divorce pour faute serait ravaler le
mariage en dessous du contrat est inexact. En effet, la proposition ne supprime
pas la notion d'obligations nées du mariage ni de faute. Elle dit
simplement que la faute ne peut constituer la condition pour sortir du mariage
et prononcer le divorce. Ce n'est pas méconnaître le
caractère obligatoire des obligations du mariage.
Deuxièmement, à mon sens, l'idée selon laquelle il y
aurait un déni de justice par transfert du contentieux est
également inexacte.
Mme RUBELLIN-DEVICHI
.- C'est idiot.
M. BÉNABENT
.- Je n'irai pas jusque là, mais c'est inexact.
La proposition n'entend pas supprimer le recours au juge lorsqu'il y a un
contentieux ponctuel sur une difficulté de liquidation, une
difficulté d'autorité parentale ou une difficulté de
contribution à l'entretien des enfants. Elle entend simplement supprimer
le passage nécessaire par un contentieux et même l'obligation qui
est faite à l'heure actuelle aux époux de se battre.
Il est évident qu'il y a des contentieux inévitables et qu'il en
subsiste, comme le dit Mme Dekeuwer-Défossez, et que le juge doit
alors les trancher. Mais pourquoi obliger les époux, comme on le fait
à l'heure actuelle, à passer nécessairement par un
procès qui fera naître ce contentieux ? C'est un excès
qui est peut-être dépassé.
Troisièmement, on dit que cela supprimerait 50 % de la
matière des tribunaux, comme si on supprimait les sociétés
à responsabilité limitée. Les bras m'en tombent. Les
sociétés à responsabilité limitée permettent
de fonctionner et c'est un cadre positif alors que les tribunaux ne sont
là que pour résoudre le contentieux. Si on veut maintenir une loi
parce qu'elle alimente les tribunaux...
M. le PRÉSIDENT
.- Cela n'a pas été dit de cette
manière. Je suis obligé de vous interrompre sur ce point. Je
défends la personne qui l'a dit.
M. BÉNABENT
.- L'idée, néanmoins, car ce n'est pas
cette personne que je visais, n'est peut-être pas exempte d'un
état d'esprit de nostalgie général. On a l'impression que
l'on regretterait l'état de droit actuel et que l'on serait
" triste " (et cette fois, on ne me contestera pas la citation)
d'abandonner le divorce pour faute tel qu'on l'a appris dans le Code civil,
à la Faculté...
Mme RUBELLIN-DEVICHI
.- Traitez-moi de "vieux machin" !...
(rires.)
M. BÉNABENT
.- Toute réforme est, bien sûr, difficile
à faire.
Pour ma part, j'approuve entièrement l'exposé des motifs de la
proposition. La question que je me pose, c'est si, après cet
exposé des motifs, le contenu de la proposition de loi n'est pas un peu
en retrait par rapport aux idées qui étaient
évoquées. A mon sens, il est en retrait sur deux plans.
Il l'est tout d'abord sur le plan technique, parce que l'article 229 dit qu'il
faut une cause objective et que l'article 236 énumère les
cas de cause objective qui sont exigeants : la séparation, c'est
trois ans. Comme la procédure pourra ensuite imposer un délai de
réflexion allant jusqu'à deux ans, cela va faire presque cinq ans
pour obtenir le divorce.
Le visa de "
faits rendant intolérable le maintien de la vie
commune
" présente à mon avis un risque : les juges, qui
seraient habitués ou partisans du maintien de la faute,
sous-entendraient qu'il s'agit de faits fautifs, qu'il y a pour eux un pouvoir
de contrôle et qu'ils pourraient dire à des époux
demandeurs : "les faits dont vous faites état ne sont pas de nature
à rendre intolérable le maintien de la vie commune ; rentrez
chez vous mariés puisque cette vie commune est très
tolérable".
A partir du moment où l'article 229 dit que le divorce "
peut
"
être prononcé (et non pas "est") et où l'article 236-1 dit
qu'il faut "
justifier de faits rendant intolérable le maintien de la
vie commune"
, le contrôle juridictionnel peut toujours
apparaître.
Le second plan sur lequel se traduit ce retrait est d'ordre
philosophique : le texte s'inscrit toujours dans cette logique
d'indissolubilité du mariage. Nous sommes encore, sans vouloir l'avouer
toujours, dans une logique d'indissolubilité du mariage. Il faut
toujours, dans le droit positif, et encore, semble-t-il, dans la proposition,
une cause et un contrôle judiciaire pour pouvoir mettre fin au mariage.
En un mot, il faut se justifier pour avoir droit de mettre fin au lien conjugal
et établir que le maintien de la vie commune est
" intolérable ". Et quand bien même il serait
objectivement " tolérable ", ne doit-on pas ouvrir à
celui qui ne le supporte plus subjectivement une porte de
libération ?
On peut s'interroger là-dessus. Après tout, les pays scandinaves
admettent qu'il y ait un droit individuel au divorce.
Dans l'exposé des motifs, vous citez la phrase de M. Carbonnier
disant que lorsqu'il n'y a plus de communauté affective, le mariage est
une coquille vide. Pourquoi la maintenir ? Si cela convient aux deux,
c'est parfait ; mais s'il n'y en a qu'un et un seul qui veut se
libérer de cette coquille vide, pourquoi le soumettre
nécessairement à l'obligation d'aller justifier devant le juge de
faits dont il doit rapporter la preuve avec le cortège de
difficultés que cela implique ? En effet, comment se procurer cette
preuve ? On dit que cela n'implique pas les enfants, mais ce n'est pas
exact. On le fait y compris en prenant les enfants à témoin,
même moralement, en interceptant des courriers, en produisant un journal
intime qui a été forcément pillé chez l'autre, etc.
Ouvrir l'existence même d'un tel débat aboutit à mon sens
à une méconnaissance de l'esprit de respect mutuel qui doit
être celui du mariage et, en plus, ne se justifie que par l'idée
que le juge pourrait renvoyer les époux mariés,
c'est-à-dire maintenir un demandeur qui apporterait une preuve
insuffisante dans un mariage dont il est établi qu'il ne veut plus.
Où est l'atteinte aux droits de l'homme dans la prétendue
"répudiation" (mais le terme est inexact puisque, par définition,
la répudiation ne peut être que celle de la femme par l'homme) ou
plutôt dans la rupture unilatérale ? L'atteinte aux droits de
l'homme n'est-elle pas plutôt dans l'asservissement qui consiste à
maintenir une personne dans les liens d'un mariage dont elle ne veut plus en
faisant état, par une sorte d'abus de droit, en quelque sorte, du droit
positif et de l'impossibilité pour elle d'apporter la preuve d'une
faute ?
Par ailleurs, la stabilité de l'union matrimoniale, autre
élément qui a été évoqué, est hors de
cause. Ce n'est pas parce que la loi rendrait le divorce difficile que les
époux s'entendraient mieux. On part de ce postulat que si la loi
favorise le divorce, elle fait exploser la cellule matrimoniale et -- pour
reprendre une expression qui ne me sera pas contestée non plus --
qu'elle "bousille" le mariage. (le verbe a été employé).
Mais, ce n'est pas la loi qui fait que les époux s'entendent mal. Ce
n'est pas parce qu'une loi rendra le divorce difficile que les époux,
par une sorte de résignation, se diront : "il est si difficile et
si coûteux de divorcer que l'on va bien s'entendre". Cela me paraît
une vision des choses assez peu crédible. Les citoyens ne sont plus
prêts à sacrifier leur vie à l'idée d'ordre public
de la stabilité du mariage.
En réalité, à l'heure actuelle, l'ordre public n'a plus
beaucoup de place dans le droit du mariage. Or, il n'y a que l'ordre public qui
interdisait de divorcer à une personne, de mettre jamais fin à un
lien qu'elle a elle-même accepté. Il ne faut pas oublier que,
d'une manière générale, on peut mettre fin à tous
les liens auxquels on consent sans durée déterminée, sans
quoi c'est une aliénation de la liberté individuelle. S'il y
avait une exception à ce principe général en
matière de mariage sous l'empire du code Napoléon, c'est parce
que le mariage était conçu comme une question d'ordre public. Or
c'est précisément ce qui a évolué. Le mariage n'est
plus un siège où l'ordre public aurait beaucoup de place. Il n'en
a plus du tout en ce qui concerne les relations des époux, qui sont
grands et capables de s'unir ou de se désunir comme ils le veulent, et
même si seulement l'un le veut.
Il a encore une place en ce qui concerne les relations du couple parental.
Mais, il y a des couples parentaux hors mariage aussi bien qu'en mariage. Ce
qui doit en résulter seulement, c'est qu'à l'occasion d'un
divorce, la situation des enfants doit être prise en
considération, ce qui justifie, au moins dans ce cas, une
nécessaire intervention judiciaire.
Cela ne justifie pas qu'il faille obliger les parents à se jeter des
fautes à la figure, ce qui ne risque pas d'assurer une quelconque
protection des enfants.
En définitive, je crois que la proposition de loi est très
positive. Il faut supprimer le divorce pour faute. Il faut même, à
mon sens, aller plus loin et supprimer toute idée de cause du divorce
pour permettre à tout époux de mettre fin unilatéralement
au mariage, cette décision traduisant en elle-même ce qu'on
appelle la " faillite " du mariage. Il faut développer la
médiation et la réflexion parce que le seul débat, c'est
de permettre aux époux, avec le médiateur ou le juge, d'organiser
leur situation après le divorce.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, monsieur. Nous avons maintenant quelques
minutes pour prendre des questions. Je vous donne la parole, Monsieur le
rapporteur.
M. ABOUT
.- Monsieur le Président, je tiens à remercier Mme
et M. le Professeur non pas des prix qu'il nous ont donnés mais de
ces quelques accessits. Nous allons essayer de nous améliorer, en
retenant bien qu'il s'agit non pas de la suppression de la faute mais de la
dissociation de celle-ci puisque, justement, les obligations dans le mariage
sont maintenues et constituent éventuellement l'existence de faits
rendant intolérable le non-respect de ces obligations. Il n'y a pas
disparition des obligations et des responsabilités de chacun mais
dissociation afin de préserver l'élément le plus fragile
de la famille.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, Monsieur About. J'ai une question
à poser à Monsieur Bénabent. Vous n'en avez pas
parlé dans l'exposé et ce n'était pas le problème,
mais êtes-vous de ceux qui pensent que l'on peut se dispenser de tout
passage devant le juge dans un certain nombre de cas ?
M. BÉNABENT
.- Je n'en ai pas parlé, monsieur le
Président, dans l'exposé.
M. le PRÉSIDENT
.- Je vous demande donc de répondre
très brièvement.
M. BÉNABENT
.- Je le pense quand il n'y a pas d'enfant ; je
ne le pense pas quand il y a des enfants. Je ne peux pas être plus bref.
M. le PRÉSIDENT
.- Très bien. Je vous remercie à la
fois l'un et l'autre.
Me Jacqueline Beaux-Lamotte,
présidente
de la commission du droit de la famille du barreau de Paris
Me Marie-Pierre Certin-Teitgen,
avocat
M. le
PRÉSIDENT
.- J'ai auprès de moi, en sa qualité de
présidente de la commission du droit de la famille du barreau de Paris,
Me Jacqueline Beaux-Lamotte, à laquelle je vais donner la parole,
ainsi que Me Certin-Teitgen, qui a examiné ce texte et qui nous
donnera également son point de vue.
Mme BEAUX-LAMOTTE
.- Merci beaucoup, monsieur le Président.
Je pense que nous sommes tous d'accord pour considérer que le divorce ne
doit pas envenimer les haines et les passions, que la procédure doit
amener le couple à trouver un accord et qu'il faut privilégier
l'intérêt de l'enfant, qui doit souffrir le moins possible de la
séparation de ses parents. Il faut dire aussi que la loi de 1975 est
trop rigide et que tous les praticiens demandent une réforme afin
d'assouplir les règles de procédure, non seulement pour
dédramatiser, mais aussi pour amener une plus grande transparence ainsi
que l'accélération de la liquidation du régime
matrimonial.
Est-il vraiment opportun, aujourd'hui, de proposer une réforme seulement
partielle du droit du divorce alors que le projet d'une grande réforme
du droit de la famille est en cours et que le ministre de la justice organise
un grand débat en mai après les rapports de
Mmes Irène Théry et Françoise
Dekeuwer-Défossez ?
Ce rapport de la commission Dekeuwer-Défossez propose une large
réforme comprenant des propositions de textes qui ont reçu un
accueil très favorable de la part des praticiens (magistrats, notaires
et avocats) et de l'ensemble des professeurs de droit parmi nos plus
éminents juristes.
Concernant le divorce, les propositions Dekeuwer-Défossez vont dans le
sens d'un assouplissement de la procédure et d'une volonté
délibérée de dédramatiser et de privilégier
l'accord des divorçants. Mais attention : la commission, à
l'unanimité, malgré des auditions appuyées, a
refusé de supprimer le divorce pour faute et, récemment encore,
alors que nous avons fait voter les membres de la commission de travail sur le
droit de la famille du barreau de Paris, sur à peu près une
quarantaine de membres, seulement trois étaient pour la suppression de
la procédure pour faute.
Il faut savoir en effet que la suppression du divorce pour faute constitue une
position de principe de nature à modifier profondément le sens du
mariage. Il convient avant tout de s'interroger sur le sens et la portée
que l'on veut donner à l'institution du mariage. C'est un choix de
société. La famille est l'un des piliers de notre
société, comme Madame le Garde des Sceaux l'a rappelé dans
sa lettre de mission à cette commission.
Porter atteinte à l'institution du mariage exige une réflexion
plus approfondie que de simples considérations sur l'esprit de chicane
dans les prétoires. Supprimer la notion de faute, c'est supprimer la
notion de violation des obligations conjugales. C'est, en conséquence,
laisser pour lettre morte les devoirs et obligations qu'implique le
mariage ; c'est le fragiliser. C'est enlever tout sens à la notion
d'engagement solennel dans la durée. C'est, enfin, nier toute protection
issue des liens du mariage dont la dissolution pourrait être
imposée à l'autre.
Quel sens voulons-nous donner à cette institution, surtout depuis la
promulgation de la loi sur le PACS ? Le mariage ne devrait-il pas
constituer l'idéal d'une famille stable, l'objectif que se donnent les
conjoints par leur choix de s'engager durablement ?
Je me garderai pour ma part de prendre parti sur ces grands principes, surtout
au nom d'avocats dont les sensibilités sont diverses, comme vous le
verrez avec l'intervention de ma consoeur. Cependant, je pense que cette
réforme, qui aborde seulement une partie des problèmes
posés sur la législation actuelle du divorce, me paraît
précipitée alors qu'il n'y a aucune urgence, comme cela pouvait
être le cas pour la révision des prestations compensatoires.
Est-ce vraiment la formule du divorce pour faute qui détruit les liens
familiaux ? Le divorce pour cause objective qui constitue un divorce
imposé, est-il le seul moyen de " protéger la famille et de
maintenir les liens de co-parentalité entre les époux ",
ainsi que nous l'a exposé M. le rapporteur dans les motifs de sa
proposition ?
Pour ma part, je me ferai plutôt l'avocat de la proposition de la
commission Dekeuwer-Défossez, à laquelle j'ai eu l'honneur de
participer. L'objectif principal de cette proposition est de
dédramatiser le divorce et de privilégier la recherche d'accords,
même partiels. Elle a aussi pris en compte la nécessité de
rendre le divorce plus équitable, en imposant la transparence et en
obligeant les époux à liquider leur régime matrimonial
dans un délai plus court, si possible, préalablement à la
fixation d'une éventuelle prestation compensatoire.
Ainsi, le projet proposé répond aux préoccupations
exprimées par l'ensemble des praticiens, et je vous rappelle que ce
projet a reçu, de la part de tous, un accueil extrêmement positif.
Je n'aurai pas le temps de vous expliquer cette procédure et
Mme Dekeuwer-Défossez ne l'a pas fait non plus. Le projet de la
commission est extrêmement efficace et va dans le sens de la
dédramatisation. Tout en maintenant les quatre causes de divorce,
c'est-à-dire le consentement mutuel, la demande acceptée, la
faute et la rupture de vie commune, il n'y a plus que deux
procédures : l'une qui est réservée au consentement
mutuel, lorsque les époux sont d'accord sur le tout, et une seule autre
procédure pour les trois autres formes de divorce avec une très
grande souplesse.
J'ajoute que ce que nous proposons en matière de consentement mutuel,
(un élément que je n'ai pas retrouvé dans le projet de loi
de M. le Sénateur About), me semble important. En effet, nous avons
proposé de maintenir le principe des deux audiences, c'est-à-dire
d'un délai de réflexion, avec une possibilité, pour le
magistrat, de dispenser de la deuxième audience, ce qui permet à
la fois de maintenir une protection judiciaire et de simplifier la
procédure des divorces qui ne présentent pas de
difficultés particulières.
Nous avons aussi prévu, dans le cas du maintien d'une deuxième
audience (parce qu'on estime qu'il faut un délai de réflexion
plus long ou qu'il faut établir un acte notarié) que les parties
soient dispensées de se présenter à cette deuxième
audience. En tant que praticien, je peux vous dire que si l'on réforme
déjà de cette façon le divorce par consentement mutuel, on
laissera de côté une multitude de dossiers extrêmement
simples avec des divorces protégés qui aboutiront à une
solution très rapide.
Je passe à cette deuxième procédure contentieuse pour tous
les autres cas de divorce. Ce qui bloque -- nous le savons bien en tant
que praticiens et c'est pourquoi il y a des fausses procédures de
divorce --, c'est que la loi de 1975 a enfermé dans un carcan
chacun des cas de divorce : il faut prendre des passerelles pour aller
d'un cas à un autre. Or l'idée de la commission, qui me
paraît extrêmement efficace, c'est la souplesse. La requête
en divorce n'est pas motivée -c'est une plate-forme commune pour tous
les cas de divorce. Les époux se présentent à l'audience
de conciliation sans avoir énoncé leurs griefs. Ils sollicitent
une tentative de conciliation et des mesures provisoires, et le juge, au stade
de cette audience de conciliation dont nous connaissons tous la grande
importance, ne connaît pas les causes du divorce et statue tout à
fait indépendamment des responsabilités encourues. Vous voyez
donc que l'on dédramatise toute la première phase de la
procédure.
Ce n'est qu'au moment de l'assignation en divorce que l'on choisira son
fondement. Mieux encore, on peut choisir, par exemple, la demande
acceptée sans crainte qu'elle soit refusée, car si elle est
refusée, on pourra en cours d'instance invoquer la faute.
La réforme propose aussi, à tous les stades de la
procédure, des accords homologués, même des accords
partiels. La proposition aboutit à une très grande souplesse que
les praticiens pourront utiliser avec le maximum d'efficacité.
Finies les fausses demandes de divorce pour faute ; finie aussi la crainte
d'engager le divorce sur demande acceptée, en prenant le risque que l'on
refuse la demande, puisque, dès lors, on aura toujours essayé
mais que l'on pourra reprendre par le biais du divorce pour faute.
C'est donc une très grande souplesse qui, à mon avis, aboutit
à dédramatiser. De plus, je tiens beaucoup à tout ce que
l'on a proposé sur l'équité, la transparence et
l'accélération de la liquidation du régime matrimonial.
Comment pouvez-vous fixer une prestation compensatoire sans connaître les
droits de chacun des époux après la liquidation du régime
matrimonial ?
Par conséquent, cette proposition de la commission
Dekeuwer-Défossez, qui rejoint elle-même certaines de vos
propositions, me paraît plus complète et tout aussi efficace, sans
prendre de plein fouet le principe de la suppression de la notion de faute dans
le divorce.
Cette proposition met à l'arrière-plan la recherche de la
responsabilité dans la rupture du couple et va plus loin encore dans
cette voie puisque la notion de faute devient complètement
indépendante des conséquences financières du divorce.
La commission propose en effet :
- que l'époux divorcé à ses torts exclusifs puisse
néanmoins obtenir une prestation compensatoire ;
- que celui qui demande le divorce pour rupture de la vie commune ne soit
plus tenu au devoir de secours mais à une prestation compensatoire
éventuelle comme dans les autre cas.
Avec le délai de séparation réduit à 3 ans, on
ne peut plus prétendre qu'un époux reste enfermé contre
son gré dans les liens du mariage.
Même s'il ne peut prouver la faute de son conjoint, il lui suffit
d'attendre une séparation de trois ans sans en être
pénalisé pour autant.
Si vous me laissez encore quelques instants, je plaiderai pour ce maintien de
la notion de faute non pas tellement d'après mon expérience
d'avocate, qui est malheureusement beaucoup plus longue que celle de
Marie-Pierre Certin-Teitgen, mais d'après mon expérience de
mère et de grand-mère. Personnellement, je doute fortement que
l'après divorce dépende des circonstances plus ou moins
dramatiques de la façon dont s'est passée la procédure de
divorce. L'après divorce dépend de la façon dont les
familles se reconstruisent. Croyez-moi : ce n'est pas facile. On rencontre
des situations dramatiques ; les jalousies et les incompréhensions
existent.
Certes, il faut dédramatiser, mais faut-il vraiment banaliser la
procédure de divorce ? Quelle que soit la procédure choisie,
consensuelle ou contentieuse, les souffrances existent et le divorce reste une
épreuve. Le besoin de justice est réel. Il serait donc dommage
que la justice considère qu'elle n'a pas à se prononcer sur les
responsabilités lorsque c'est ce qu'attendent d'elle certains
justiciables. N'ont-ils pas le droit à une justice qui décide et
non pas qui renvoie systématiquement à une mesure de
thérapie en portant quelquefois un regard moralisateur sur celui qui
refuse cette mesure et qui demande au contraire au tribunal de lui
reconnaître sa place de victime ?
Le rôle du magistrat, dans une procédure contentieuse, est de
trancher au regard des textes, de reconnaître au divorçant sa
place de victime et non pas seulement en cas de sévices. Accorder des
dommages et intérêts maintient le contentieux sans pour autant
satisfaire à ce besoin de reconnaissance des torts de celui qui est
responsable de la rupture. Un divorce prononcé aux torts exclusifs
n'entretient pas systématiquement la haine mais, sur le plan de
l'équité, il est, pour le conjoint qui n'a pas failli, d'une
incontestable importance morale.
Les avocats qui sont à l'écoute du justiciable ont pour
rôle de comprendre la souffrance et de la traduire dans leur plaidoirie
auprès d'une juridiction familiale qui doit trancher. Cette
reconnaissance est primordiale. Croyez-moi, nos magistrats nous écoutent
et savent employer les termes qui seront d'une importance vitale pour celui qui
n'est pas responsable de la faillite de son couple et qui, lui, a
respecté ses engagements.
Débarrassée du contentieux du faux divorce pour faute avec une
procédure rénovée facilitant à tous les stades les
accords, il est important que la juridiction familiale accepte de se pencher
sur la souffrance qui s'exprime dans son prétoire. Le contentieux du
divorce ne peut pas toujours se réduire à l'examen des
intérêts financiers liés à la rupture d'un couple.
Le sort des enfants doit être, certes, réglé
indépendamment du conflit familial mais, comme
Mme Dekeuwer-Défossez l'a rappelé, il l'est
déjà. Pour autant, la juridiction familiale doit pouvoir se
prononcer sur la responsabilité de la rupture lorsque la demande lui en
est faite. Le contentieux du divorce pour faute doit être à mon
sens maintenu si l'on estime que l'institution du mariage implique des
obligations que les époux se sont engagés à respecter.
Maintenu à sa juste place par l'amélioration des autres types de
procédure, le divorce pour faute se justifie encore par la valeur
donnée à l'institution du mariage qui doit garder un sens, sauf
à être inévitablement confondue avec les autres formes
d'union telles que le concubinage ou le PACS.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, Maître, de votre intervention. Je
voudrais, bien que vous soyez allée au fond des choses, relever un
point. Il ne faut pas s'étonner que l'un d'entre nous ait
déposé une proposition de loi sur un sujet important. En effet,
on nous parle beaucoup d'une réforme d'ensemble du droit de la famille
et nous sommes parfaitement conscients que la question du divorce doit prendre
sa place dans le cadre de cette réforme.
Seulement, nous attendons cette réforme depuis un certain temps et ce
que nous observons, de notre côté, en tant que parlementaires, ne
nous laisse pas supposer que, notamment en raison d'un ordre du jour
chargé, nous allons disposer de créneaux de temps suffisants pour
examiner des textes de cette importance, à la condition toutefois que
l'on veuille bien nous en saisir.
Vous avez déjà noté combien nous avions travaillé
utilement sur la prestation compensatoire à partir d'une autre
proposition de Nicolas About. C'est un élément du droit de la
famille, même s'il est marginal, et nous aurions parfaitement compris que
cela s'insère dans une réforme d'ensemble, mais le Sénat
prend parfois des initiatives ; cela lui arrive. En l'occurrence, nous
prenons une initiative sur le divorce et nous verrons d'ailleurs ce que nous
ferons le moment venu, après en avoir longuement débattu en
commission.
Maître Certin-Teitgen, vous avez la parole.
Mme CERTIN-TEITGEN
.- Merci, monsieur le Président. Je vais
aborder la question sous un angle totalement différent. Je le fais
volontairement parce que, tout d'abord, je souscris totalement aux idées
qui ont été déjà développées depuis
quelques années par Mme Danièle Ganancia et
M. le Professeur Bénabent et que, bien évidemment, la
proposition de loi de M. About me semble apporter une réponse
moderne et efficace aux difficultés que nous rencontrons tous les jours
dans notre pratique professionnelle.
Cela dit, un peu comme un mathématicien, que je ne suis pas du tout,
j'ai essayé de voir les choses d'un autre point de vue.
J'ai plutôt voulu chercher le dénominateur commun entre les
détracteurs du divorce pour faute et ses défenseurs, plutôt
que d'insister sur ce qui nous séparait. J'ai cherché le trait
d'union entre nous. Ce trait d'union entre nous, me semble-t-il, comme
Mme Beaux-Lamotte l'a expliqué tout à l'heure, c'est que
cette procédure de divorce est excessive et génère
beaucoup de souffrances.
Les défenseurs du divorce pour faute nous disent que c'est un mal
nécessaire parce qu'il permet, lorsqu'on a besoin de faire appel
à la justice, d'obtenir une réponse, et les détracteurs du
divorce pour faute nous disent que c'est un mal et qu'il faut donc le supprimer
parce qu'il n'est jamais légitime que la loi impose un mal aux citoyens.
Pourquoi ce curieux consensus existe-t-il ? Je me suis interrogée
sur ce point et il me semble, en tout cas pour partie, que l'on peut trouver la
réponse dans le fait que nous sommes tous, en tant que juristes,
imprégnés de principes juridiques totalement différents
que connaissaient les pères du divorce pour faute. L'outil qu'ils
avaient créé de toutes pièces pour décourager les
candidats au divorce est aujourd'hui inefficace, voire nocif.
J'ai essayé d'explorer trois pistes de réflexion : le
divorce pour faute et la dignité humaine, le divorce pour faute et le
partage du risque et le divorce pour faute et la convention européenne
des droits de l'homme.
Le divorce pour faute est-il contraire à la dignité
humaine ? La dignité humaine -- nous le savons -- renvoie
à une idée de valeur. C'est la référence à
une fonction éminente : le dignitaire. Mais elle fait
également référence au respect de la personne humaine et
au respect de soi-même. Cette dignité renvoie à la valeur
de l'homme et le juge, dans la procédure de divorce pour faute, est
chargé par la loi d'estimer cette valeur. Il vérifie si chaque
conjoint a respecté ses devoirs d'époux.
Mais une question est toujours sous-jacente dans ces interrogations :
l'époux a-t-il failli ou a-t-il été assez
" valeureux " pour respecter ses obligations légales ? Le
juge déclare finalement les époux fautifs ou innocents en une
sorte de hiérarchie des valeurs. En haut : le bon époux,
l'innocent, celui qui n'a pas trahi ses engagements, la victime ; en
dessous : le mauvais époux, le coupable, celui qui a failli.
Ce que revendiquent d'ailleurs les tenants du divorce pour faute, ce sont les
bienfaits de cette répartition des bons points et des mauvais points.
Ces bienfaits résideraient en ce que l'un des époux aurait besoin
d'être blanchi par le prononcé du divorce aux torts exclusifs de
son conjoint. Il aurait besoin d'être reconnu comme victime, comme s'il
s'agissait d'un statut social. De l'état de femme mariée, on
passerait à l'état de victime de son conjoint. Je dis "la femme"
parce qu'il s'agit généralement d'elle. Quand on parle de divorce
aux torts exclusifs de son conjoint, on sous-entend que c'est aux torts
exclusifs du mari. Il est en effet plus rare que, dans les
développements qui sont faits sur cette matière, on nous parle du
mari en tant que victime. En tout cas, la femme passerait d'une
dépendance à l'autre, de dépendance de son mari à
la dépendance de l'état de victime.
Cette vision me semble tout à fait désuète lorsqu'on la
met en perspective avec les réformes du droit de la famille depuis
vingt-cinq ans et l'évolution de notre société. Elle me
semble, en outre, tout à fait contraire à la dignité
humaine.
Effectivement, la hiérarchie des êtres, la dépendance, la
subordination sont autant de notions totalement contraires à la
dignité humaine. J'en veux pour preuve l'exemple de l'esclavage.
Pour ce qui concerne l'époux coupable, il est censé être
traité péjorativement, ce qui semble totalement dérisoire
lorsqu'on songe à quel point la réprobation sociale concernant
les personnes divorcées a disparu.
Qu'en est-il du juge ? Il répugne le plus souvent à ce
travail de valorisation ou de dévalorisation. Il se contente de
répartir les torts, qui sont partagés dans 90 % des cas.
Certains magistrats répugnent eux-mêmes à parler de torts
partagés, et on voit régulièrement dans les
décisions apparaître l'expression "torts réciproques". On
n'a donc plus du tout cette idée de hiérarchie mais plutôt
une idée d'égalité, de mutualité.
Les parties elles-mêmes refusent également de suivre la
règle procédurale conflictuelle. On voit assez
régulièrement des parties absentes volontairement de la
procédure parce qu'elles refusent de répondre à leur
conjoint qui a placé le conflit sur ce terrain.
Pourquoi cette répugnance généralisée envers cette
procédure ? D'un point de vue philosophique, cela me semble assez
clair. Kant disait :
"Dans la nature, tout a un prix ; seul
l'homme possède la dignité. En un mot, il n'a pas de prix"
.
La valorisation des êtres entraîne la répartition des torts
et le débat sur la cause du divorce est contraire à ce principe.
Par ailleurs, nous sommes tous égaux, y compris en ce qui nous
distingue. Appréhender le comportement d'un individu en un instant
déterminé est contraire à cette idée. Dès
lors, l'appréhension que le juge fait de la personne qui comparaît
devant lui et de son comportement devient discriminatoire, parce qu'on ne
saisit qu'un instant de la vie des individus, et la répartition des
torts est dérisoire ou, en quelque sorte, fictive.
Le troisième point, c'est qu'il existe une dimension personnelle et
intime de l'individu que le juge a bien du mal à appréhender. Le
juge ne peut faire référence qu'à la violation des devoirs
et obligations du mariage. En cela, il remplit son rôle : pour
être digne, l'homme doit respecter ses devoirs et obligations, notamment
ceux du mariage.
Cependant, le débat entre les parties n'est jamais aussi simple. Il s'y
glisse souvent le mensonge. Pour revenir à Kant,
"aucun comportement
n'est plus attentatoire à la dignité humaine que le mensonge car
il s'agit de surprendre son interlocuteur et de le manipuler"
.
Nous voyons souvent que certains griefs sont totalement fabriqués.
D'autres sont tellement éloignés de la réalité
qu'ils confinent au mensonge. Par exemple, les statistiques démontrent
que, lorsque des parents perdent un enfant de la mort subite du nourrisson,
dans 80 % des cas, ces personnes divorcent parce qu'elles ne surmontent
pas cette épreuve extrêmement douloureuse. Si l'un des
époux n'est pas mûr pour le divorce et n'est pas prêt
à faire cette démarche, l'autre n'aura pour seul recours que
d'engager une procédure de divorce pour faute.
On saisit bien là que la procédure de divorce pour faute n'est
pas la réponse à leurs besoins. Ils ont besoin à ce
moment-là d'un divorce pour cause objective, et nous avons dans ce cas
une fiction de procédure qui entraîne des souffrances
supplémentaires.
On nous parle de la souffrance de la victime, mais je tiens à dire que,
tout d'abord, dans 80 % des cas, ce sont les femmes qui demandent le
divorce et que ce sont souvent elles qui sont les victimes. La loi les plonge
dans un système dans lequel elles doivent revendiquer ce statut.
Le deuxième écueil des débats, c'est la fiction. Les
parties ne livrent au juge que ce dont elles décident de
débattre. Par exemple, le cas de ces époux qui, avant de se
marier, avaient eu une relation à un moment où la femme
était mineure. De cette relation était issu un enfant qu'ils
avaient ensemble décidé d'abandonner parce que, à
l'époque, ils n'avaient pas le projet de se marier. Ils ont donc
abandonné le bébé.
Ils se sont alors mariés avec d'autres personnes, ils ont
divorcé, ils se sont retrouvés, ils se sont mariés et ils
ont eu d'autres enfants, mais ils ont finalement décidé à
nouveau de divorcer parce qu'ils ne surmontaient pas l'épreuve que
constituait l'abandon de ce bébé. Ils ont décidé
d'un commun accord de dissimuler au juge ce fait qui est absolument essentiel
pour comprendre ce qu'est leur histoire, et de se lancer tous les deux dans une
procédure pour faute où il a été question de tout
sauf du véritable problème. Là aussi, cette
procédure était totalement fictive et n'avait rien de conforme
avec la réalité.
Comme cela vous a déjà été dit, les époux
utilisent régulièrement la procédure de divorce à
des fins totalement différentes de son fondement légal. Ainsi,
l'un des époux a disparu, la seule solution est de l'assigner en divorce
pour faute alors que le demandeur n'en a pas spécialement la
volonté et que le divorce pour cause objective serait bien plus conforme
à la réalité, ou bien une partie fait durer la
procédure avec des comportements procéduraux dilatoires pour
faire durer les mesures provisoires, notamment la pension alimentaire.
Le juge lui-même utilise des artifices légaux pour arriver
à ses fins. Par exemple, vous savez que les effets du divorce sont
fixés à la date de l'assignation au divorce. Les époux
peuvent demander le report de ces effets, ce qui a une importance sur le plan
patrimonial quand par exemple l'un des époux a fait des remboursements
d'emprunt pendant toute la durée de la procédure, à une
date antérieure, celle où ils ont cessé de cohabiter ou de
collaborer. Or celui auquel incombe à titre principal les torts de la
séparation ne peut pas obtenir ce report.
Pour rééquilibrer la situation, on voit
régulièrement des magistrats qui prononcent fictivement le
divorce aux torts exclusifs de l'un afin que l'autre partie ne soit pas trop
défavorisée au moment où on fera les comptes dans la
liquidation du régime matrimonial.
Le dernier élément, c'est la partialité. Le débat
est tronqué. On ne débat que des fautes et jamais des
comportements positifs. En quelque sorte, on instruit à charge et jamais
à décharge. Dans le divorce pour faute, l'être humain n'est
jugé que par rapport à son geste, comme dans un projet
pénal. Le juge n'interprète que son acte et non pas ce qu'il est
véritablement.
Par exemple, on dira d'un époux : "il est violent", comme on dit au
pénal : "c'est un assassin", mais on ne prendra jamais en compte
les comportements positifs qu'il a pu avoir avant et après cet acte. La
procédure pénale permet un débat sur ce point alors que la
procédure civile ne le permet pas. Dans le divorce pour faute, on ne
peut pas apporter des points positifs qui permettraient de "blanchir"
l'époux dont on veut faire prononcer la culpabilité. La
procédure de divorce pour faute emprunte d'ailleurs souvent son
vocabulaire au vocabulaire pénal : on parle d'innocents, de
coupables, etc.
Au travers de ces mensonges, de cette fiction et de cette partialité, il
y a la manipulation et l'instrumentation de l'autre. Soit les époux
manipulent le juge, soit le juge lui-même manipule les parties, soit les
époux se manipulent l'un l'autre, ce qui me semble totalement contraire
à la dignité humaine et au respect de la personne humaine. Nous
sommes là bien loin, dans tous ces procédés qui font la
vie quotidienne du divorce pour faute, du respect des grands principes de droit.
Faut-il se laisser gagner par le découragement et accepter le maintien
de cette procédure au nom de la tradition ? Non, bien sûr,
parce que je pense que nous avons tous pris conscience du fait que notre
société est inégalitaire et asymétrique. Le pouvoir
s'exerce de manière inégale. Il appelle à un renforcement
de la protection de l'individu, notamment au travers d'un renforcement de la
dignité humaine.
Cette question me semble essentielle parce que la procédure pour faute
est un combat, une confrontation entre le fort et le faible. On touche à
l'exercice du pouvoir. Toute la question est alors de distinguer les limites
dans l'exercice de ce pouvoir pour ne pas glisser dans l'excès de
pouvoir : le pouvoir du fort sur le faible et celui du juge sur le
justiciable.
En d'autres termes, on a le droit d'en découdre devant un tribunal mais
non pas de faire preuve d'une volonté cruelle ou de détruire. On
a le droit de juger, mais pas d'humilier.
Comment fixer ses limites ? On assiste à de nombreuses
dérives qui sont liées à l'assouvissement de besoins
personnels : détruire son conjoint par une argumentation
épouvantable (ce sont les accusations d'abus sexuels sur les enfants,
par exemple), refuser de reconnaître ses propres erreurs, être
incapable d'accepter l'échec, etc.
Par ailleurs, de la part du juge, on assiste souvent à un abus de
pouvoir parce qu'il est difficile de se cantonner à un rôle de
juge totalement objectif, et certains magistrats se croient parfois
autorisés à employer, dans leur jugement, des termes
extrêmement dévalorisants, humiliants, je dirai même
assassins.
Dans 10 % des cas de divorces prononcés aux torts exclusifs,
90 % des autres couples vont devoir supporter des atteintes
irréparables à leur personne, à leur vie familiale et
à leur intimité. J'ai essayé de chiffrer rapidement tout
cela : 120 000 divorces par an et environ 40 % de divorces
pour faute, soit 48 000 couples concernés. Sur ces
48 000 divorces, 10 % vont être prononcés aux torts
exclusifs, soit 4 800 couples concernés, et
43 000 couples divorceront aux torts partagés.
Par conséquent, quand on nous parle de donner le statut de victime
à l'un des deux pour qu'il soit reconnu innocent, en dix ans, cela veut
dire que 430.000 couples, soit plus de 800.000 de nos concitoyens et
environ 1,5 % de la population française, auront subi les affres de
la procédure de divorce pour faute pour satisfaire les besoins de
vengeance et assumer les problèmes psycho-affectifs de
48 000 couples, soit moins de 100 000 personnes.
Je pense que, dans des conditions semblables, il faut se demander si le
maintien de la procédure de divorce pour faute est légitime
à partir du moment où il doit contenter aussi peu de citoyens.
Que doit faire la loi ? Elle n'est pas là pour permettre de tels
excès. Bien évidemment, le droit doit empêcher les
atteintes à la dignité de la personne car elles sont
impardonnables, irréparables, je dirai même mortifères. La
loi n'est pas un instrument de mort. La difficulté pour le droit est de
fixer des normes pour une chose qui est hors norme : l'intimité
d'un couple, ses sentiments, la dignité de la personne humaine. Le droit
doit préserver les relations familiales dans ce qu'elles ont de plus
délicat, de plus fragile et de plus profond. Il doit redonner un avenir
à quelqu'un qui n'en a plus et non pas favoriser cette destruction, et
même inciter à celle-ci.
Cette procédure porte atteinte à la dimension intemporelle de la
famille, à cette chaîne que constitue la famille parce qu'elle en
broie les maillons. Comment reprendre une vie familiale normale lorsqu'on a
supporté pendant des années des attaques parfois très
violentes des membres de sa famille ?
La procédure de divorce enferme les individus dans une logique de
violence et de vengeance dans laquelle ils sont tour à tour forts et
faibles. L'exercice du pouvoir par le plus fort ou le plus faible se confond et
on ne peut plus nous dire que le maintien de cette procédure est
nécessaire pour protéger le faible contre le fort.
Enfin, la procédure de divorce est une part importante de la justice
civile, qui est une justice de réparation et d'indemnisation et non pas
de pénalisation. Or la pénalisation passe par la notion de faute.
Le développement actuel de la médiation, qui concerne les
affaires familiales, en est la démonstration.
Or la médiation familiale ne pourra véritablement émerger,
ce qu'elle a bien du mal à faire à l'heure actuelle, que
lorsqu'on aura dépouillé le divorce de la notion de faute.
Comment est-il possible, en effet, de pactiser dans un environnement
strictement conflictuel et mortifère ?
Voilà pourquoi, me semble-t-il, il faut absolument en finir avec cette
procédure de divorce pour faute.
Très rapidement, je voudrais aborder les deux autres questions que je me
suis posées : le divorce pour faute et le partage du risque, d'une
part, et le divorce pour faute et la convention européenne des droits de
l'homme.
J'ai quatre idées à développer.
Les deux premières concernent le partage du risque. Il faut accepter
l'idée selon laquelle chaque préjudice est réparé
par un mécanisme collectif sans besoin de recourir en premier lieu
à la faute. Nous avons, de ce point de vue, inversé les principes
du Code civil.
Il en est de même en matière de divorce. La rupture du lien
matrimonial peut entraîner un préjudice qui doit être
réparé. Ce sont les mécanismes de dommages et
intérêts, de prestation compensatoire, de pension alimentaire ou
de maintien de la protection sociale du conjoint.
La modernité, en matière de responsabilité, est de faire
appel à la notion de risque et non plus à la notion de faute. Les
époux assument ensemble un risque de rupture lorsqu'ils entretiennent
une relation privilégiée. La faute n'est plus utile dans le
raisonnement juridique.
Cette notion de risque est déjà connue en matière
familiale : il s'agit du risque, par exemple lorsque les conjoints sont de
nationalité différente, de voir son conjoint repartir dans son
pays ou, lorsqu'ils sont de religion différente, de voir un enfant
élevé dans une religion différente de la sienne.
Par conséquent, la notion de risque est familière aux praticiens
du droit de la famille et il n'y a pas de raison qu'aujourd'hui, on ne puisse
pas s'en contenter pour prononcer tout simplement des divorces.
Quant à la convention européenne des droits de l'homme, je
souhaite exprimer deux interrogations.
Tout d'abord, la procédure elle-même est-elle conforme à
cette convention ? Je ne donnerai qu'un exemple : le juge
conciliateur qui est également le juge des divorces. Le juge des
affaires familiales change de casquette dans la seconde phase de la
procédure. Il a connaissance, pendant l'entretien personnel qu'il a avec
chaque époux, de faits qui sont non débattus, non
consignés et non discutables, ce qui pose un problème au regard
de la convention européenne des droits de l'homme. Comment pourrait-il
en faire abstraction dans les débats sur la cause du divorce ? Dans
ces conditions, comment son impartialité pourrait-elle être
garantie ?
En ce qui concerne l'égalité des armes, si le juge conciliateur
reçoit chaque époux sans respect du principe du contradictoire,
ce qui est le cas, comment peut-on vérifier qu'il y a une
égalité des armes ? Quant à l'effectivité de
la conciliation, bien peu de tentatives de conciliation aboutissent.
Dès lors, faut-il supporter un risque permanent de violation des
principes fondamentaux d'impartialité, d'égalité des armes
et d'effectivité pour une utilité sociale quasiment nulle ?
La deuxième question est celle de la preuve. Je n'aborderai pas le
problème des fausses attestations que la loi pénale
prévoit et réprime. Il se pose néanmoins, dans la quasi
totalité des dossiers de divorce pour faute, la question des
attestations vagues et imprécises pour lesquelles il n'existe aucune
sanction. Ces attestations sont le siège de graves atteintes au droit de
la défense. Bon nombre d'attestations produites aux débats sont
vagues et imprécises : quelles dates, quels faits, quels
lieux ? Il est impossible de se défendre et d'apporter la preuve
contraire parce que l'attestation est suffisamment floue pour interdire la
défense.
Or la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme nous dit
régulièrement qu'il n'est pas possible, pour un juge, de fonder
sa conviction ou de considérer comme un grief un fait découlant
d'un témoignage anonyme ou non discutable. Or c'est bien le cas. Dans la
majorité des dossiers, nous trouvons ces témoignages vagues et
imprécis et il n'est pas possible d'en discuter. Pourtant, le juge fonde
sa conviction sur ces attestations.
Dans un dernier point, j'aborderai les preuves obtenues frauduleusement. Il
s'agit d'une violation manifeste de l'article 8 de la convention
européenne des droits de l'homme qui protège le droit au respect
de la vie privée, familiale, du domicile et de la correspondance. Je
veux parler des vols de correspondance, de la violation du secret
médical ou de la violation du journal intime que nous retrouvons
régulièrement. Ces éléments obtenus frauduleusement
sont utilisés comme moyens de preuve par l'une des parties, si bien que
le procès devient inéquitable. Il s'agit alors de la violation de
l'article 6 de la convention.
Dans d'autres cas de figure, certains griefs ne peuvent se concevoir que dans
la violation de l'intimité (par exemple, le refus de relations
sexuelles) ou dans la violation de la loi (par exemple, le témoignage
direct ou indirect des enfants). Il n'existe pas d'outils pour contrôler
ces documents obtenus frauduleusement ou en violation de la loi, si bien qu'ils
ne sont pas discutables pour la partie contre laquelle ils sont produits. A la
violation de l'article 8, s'ajoute la violation de l'article 6.
Je pense ainsi avoir tenté de faire la démonstration que la
procédure telle qu'elle est conçue actuellement n'est pas
conforme aux principes de la convention européenne des droits de l'homme.
M. le PRÉSIDENT
.- Je vous remercie, Maître. Je me
permettrai de dire que nous avons entendu deux plaidoyers
particulièrement brillants et que nous espérons, en tant que
futurs juges de cette affaire, de ne pas avoir été
manipulés par les avocats...
(rires.)
J'ajoute que, dans la réflexion que nous avons entamée, nous
serons très utilement aidés par une décision que nous
avons prise de saisir la délégation du droit des femmes, que
préside notre collègue Mme Derycke et qui voudra bien, quand
elle en aura la possibilité, se saisir du texte et nous faire
connaître son point de vue.
M. ABOUT
.- Cela va dans l'intérêt commun.
M. le PRÉSIDENT
.- Il vous reste deux minutes pour poser des
questions, mes chers collègues.
M. ABOUT
.- Je voudrais tout d'abord remercier les intervenantes. J'aurai
une question à leur poser qui s'adresse à elles deux :
pensez-vous que les avocats seraient prêts à renforcer leur
rôle de conseil, d'écoute, d'apaisement auprès des
divorçants en concentrant leurs efforts sur le règlement
pacifié des conséquences du divorce et non pas à les aider
surtout dans la recherche de griefs ou de torts éventuels pour essayer
de justifier la demande de divorce, voire obtenir la condamnation de
l'autre ? Y a-t-il une nouvelle façon de voir cette approche du
rôle de l'avocat ?
Mme BEAUX-LAMOTTE
.- Je pense que Mme Certin-Teitgen, qui a beaucoup
contribué à former les avocats de la famille, a été
bien sévère pour la profession, car nous avons effectivement pour
rôle premier de toujours essayer d'apaiser les conflits et de rechercher
une transaction et un accord. Nous avons même une règle
préalable dans le règlement intérieur des avocats :
on n'entame jamais une procédure de divorce sans avoir pris un contact
et on a le devoir d'écrire au conjoint pour lui demander le nom de son
avocat afin de parler et de se rapprocher.
Il est vrai que notre éthique est ainsi et que l'avocat de la famille,
je l'espère, a maintenant une meilleure image dans l'esprit du public.
C'est, croyez-le, notre souci primordial.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, maître. Je vous remercie l'une et
l'autre de cet apport.
Mme Danièle Ganancia,
juge aux
affaires
familiales à Nanterre,
Mme Marianne
Lassner,
juge aux affaires familiales à Paris
M. le
PRÉSIDENT
.- Mes chers collègues, nous allons maintenant
entendre, conformément à ce que nous avons décidé,
deux magistrats particulièrement au fait des problèmes dont nous
traitons aujourd'hui : Mme Danièle Ganancia, juge aux affaires
familiales à Nanterre, et Mme Marianne Lassner, juge aux affaires
familiales à Paris.
Mme GANANCIA
.- Monsieur le Président, messieurs les
Sénateurs, il y a deux ans, j'avais eu l'honneur d'être
auditionnée par la Commission des Lois et j'avais déjà
plaidé pour la substitution d'un divorce pour cause objective à
un divorce pour faute que je trouve totalement anachronique. Je constate avec
plaisir que la proposition de loi de M. le Sénateur About a repris,
pour l'essentiel, mes arguments et mes propositions d'alors. Vous imaginez donc
que je ne peux que l'approuver, même si nous divergeons sur quelques
points.
Le premier objectif d'une loi sur le divorce, c'est de pacifier le climat de la
séparation, pour préserver à la fois le respect de la
personne de chacun et les relations de parents que les époux sont
appelés à poursuivre, pour l'équilibre des enfants.
Cela passe donc, à mon sens, par la suppression de ce divorce que la
chambre de la famille de la Cour d'appel de Paris a qualifié de "divorce
barbare" parce qu'il mobilise les énergies destructrices des
époux. Cela passe aussi par un divorce fondé sur le seul constat
de l'échec du mariage qui est le seul adapté à
l'évolution de nos mentalités puisque, aujourd'hui, le divorce
n'est plus vécu par nos concitoyens comme la sanction d'une faute mais
bien comme le constat de la faillite d'un couple. C'est ce qui explique qu'il
soit adopté par la plupart de nos voisins occidentaux.
Dans toutes nos réflexions sur la réforme du droit de la famille,
on a reconnu ce caractère destructeur du divorce pour faute.
Pour raccourcir mon temps de parole, je ne vais pas vous citer le rapport
d'Irène Théry à ce sujet, mais je peux vous dire en quels
termes -- vous l'avez vu -- il explique à quel point ce type
de divorce envenime le conflit et surajoute les blessures. Il en est de
même du rapport de Mme Dekeuwer-Défossez, qui parle de
"
comédie judiciaire entretenant la haine et les rancoeurs",
de
"
procédure démesurée exacerbant les conflits
", etc.
Personnellement, je n'insisterai pas sur la négation de l'autre, le
déballage de la vie privée et, surtout, les enfants,
amenés à choisir leur camp et donc toujours pris en otage.
Quand on sait que l'objectif prioritaire de toute réforme du droit de la
famille est la poursuite de la co-parentalité au-delà des
aléas du couple conjugal et quand on sait également que le
devenir des enfants est mis en danger non pas par la séparation du
couple mais par leurs conflits, comment justifier que l'on n'en tire pas toutes
les conséquences logiques et que l'on maintienne un divorce avilissant
et dévastateur des liens familiaux ?
L'argument consiste essentiellement dans cette considération :
l'abandon de cette procédure constituerait une atteinte au symbolisme du
mariage, dont les devoirs et obligations ne seraient plus respectés.
On peut répondre que le symbolisme du mariage n'a rien à gagner
à superposer un combat judiciaire venimeux ou douloureux aux blessures
d'une séparation qui est de toute façon inéluctable et
acquise. Garder ce divorce, ce serait au contraire pousser massivement le
couple vers le PACS pour s'éviter l'horreur de la procédure.
Surtout, cette notion de " devoirs et obligations " du mariage, qui
nous rappelle le fameux "devoir conjugal" et qui pourrait donc prêter
à sourire, ne repose-t-elle pas sur une conception périmée
du couple qui, au sein même du mariage, est d'abord un espace
privé ? Le mariage n'est plus vécu aujourd'hui par nos
concitoyens comme un carcan de devoirs et obligations imposés de
l'extérieur. Il repose sur un consentement libre et constamment
renouvelé. Le rapport amoureux, même dans le mariage, reste
toujours une aventure que l'on ne peut pas contractualiser. On ne peut plus
l'enfermer dans une obligation à perpétuité même si,
au départ, c'est un légitime voeu d'éternité.
On sait parfaitement que les "fautes" que l'on brandit en justice ne sont que
le symptôme et la traduction de ce que la relation conjugale ne
fonctionne plus. Certains couples se brisent sur un adultère et d'autres
non, ce qui montre bien que la cause du divorce n'est pas la faute mais le
dysfonctionnement de la relation. Ce qui est du domaine du lien affectif ne
peut pas être juridiquement garanti. Seules peuvent être garanties
les obligations résultant du lien social créé par le
mariage et, de ce point de vue, il ne s'agit nullement de supprimer les
obligations d'ordre patrimonial du mariage.
Donc quel est le sens de poser en termes punitifs l'échec d'un couple,
à chercher un coupable et un innocent quand on sait qu'une relation de
couple se fait à deux et se défait à deux, dans une
alchimie mystérieuse qui échappe aux époux
eux-mêmes ? Tout ce qui est du ressort de l'intimité est
l'affaire des individus. La justice n'a pas à dire la morale conjugale.
Elle n'a ni vocation, ni compétence, ni légitimité pour
juger et jauger ce qui s'est tramé dans l'alcôve des couples,
surtout au vu d'éléments partiels, partiaux et tronqués
dans lesquels les époux ne reconnaissent jamais leur histoire.
C'est pourquoi une pratique judiciaire réaliste et progressiste prononce
dans l'immense majorité des cas le divorce aux torts partagés,
dans lequel le constat des fautes devient purement formel. Ces combats
d'arrière-garde se voient ainsi privés de tout enjeu et profit,
sans pour autant que l'on ait fait l'économie de meurtrissures
indélébiles.
Cela dit, il ne s'agit évidemment pas de nier qu'il puisse exister des
fautes qui occasionnent des préjudices et donc que des personnes qui se
vivent comme victimes puissent s'adresser à la justice comme un lieu de
réparation, encore qu'il existe à mon avis des lieux plus
appropriés. Les fautes caractérisées qui accompagnent ou
entourent une rupture pourront et devront toujours être
sanctionnées par des dommages et intérêts lors du divorce.
Mais il ne faut plus subordonner l'obtention du divorce à la preuve de
la faute. La faute ne peut plus être la condition du divorce. Cela ne
correspond plus à notre conception moderne du mariage.
La seule cause objective commune à tous les divorces, c'est
l'impossibilité de vivre ensemble. Le seul fondement du mariage
aujourd'hui, c'est la volonté de chacun, et non plus d'un seul, de
maintenir les liens et aucune loi ne pourra construire des remparts autour d'un
mariage mort. Celui qui veut se libérer y parviendra de toute
façon et, grâce au divorce pour faute, il le fera de façon
perverse en recourant à des fausses accusations, en salissant l'autre et
en aggravant encore ses souffrances.
La loi doit donc cesser de livrer aux époux des armes pour se combattre.
Elle doit les inciter à fermer la porte d'un passé mort pour
ouvrir, sur l'avenir, un dialogue de parents. Il faut imaginer un divorce plus
constructif, plus respectueux de l'autre, qui se borne à constater la
désunion et à en régler les conséquences dans le
respect, en garantissant pleinement les droits de chacun et ceux des enfants
dans un nouveau processus qui ménage des temps de dialogue.
C'est pourquoi je m'associe totalement aux propositions du sénateur
About qui s'était inspiré, encore une fois, de ce que j'avais
proposé.
Il faudrait instituer, à côté du consentement mutuel, une
autre cause de divorce fondée sur la rupture irrémédiable
du lien, ce qui évitera l'alternative actuelle entre consentement mutuel
plus ou moins forcé et faute.
La rupture irrémédiable pourra être constatée dans
trois cas. Les deux premiers sont évidents : la séparation
de fait de plus de trois ans (puisqu'il n'est plus question de laisser
subsister une pénalisation de celui qui le demande) et l'accord de
l'autre époux, sur le constat de la rupture, qui pourra toujours
intervenir en cours de procédure.
C'est dans le troisième cas que réside l'innovation. Si l'un
invoque la rupture irrémédiable des liens et l'autre s'y oppose,
le juge doit imposer au demandeur un délai de réflexion qui ne
pourra pas excéder dix-huit mois. Le juge appréciera ce
délai en fonction de l'état de chaque couple lors de l'audience
initiale de conciliation où il traitera des mesures provisoires. A
l'issue de la période initiale fixée, qui pourra être
renouvelée sans qu'elle puisse excéder dix-huit mois, le juge
devra constater la rupture irrémédiable du lien conjugal et
statuer sur toutes ses conséquences, y compris sur la liquidation du
régime matrimonial. Car actuellement, cette liquidation nourrit le
conflit des années après le divorce et constitue un obstacle
intolérable à la reconstruction des vies de chacun.
Il faudrait donc apurer le passé des époux par un seul et
même jugement. Ce délai de réflexion sera associé
à un processus de médiation et de négociation pour
" travailler " les conflits du couple dans tous ses aspects. Il
présente ainsi un double intérêt : psychologique et
pratique.
L'intérêt psychologique de ce délai de réflexion,
c'est justement de ne pas banaliser le divorce, en différant les
demandes hâtives et intempestives et d'inciter à
réfléchir sur des possibilités de réconciliation,
de donner des chances supplémentaires au mariage, de ménager un
temps de maturation pour panser les souffrances et d'entamer un dialogue
nécessaire pour les couples qui ne sont pas encore prêts au
divorce.
A cet effet, le juge pourra imposer un entretien de médiation qui
correspond à ce que j'appelle un devoir de dialogue entre les conjoints
sur leur histoire commune, dans le respect dû autant à l'autre
qu'à leur engagement initial. On voit que l'on est ainsi à
l'opposé de la répudiation qui, elle, est organisée de la
façon la plus sûre par la procédure actuelle du divorce
pour faute, puisqu'il suffit d'une requête, d'un quart d'heure d'audience
de non-conciliation, sans écoute mutuelle et sans que l'on se soit
parlé avant. La porte est définitivement fermée à
tout dialogue et à toute réconciliation .
L'intérêt du délai de réflexion, c'est qu'il va
pouvoir être utilisé à l'élaboration d'accords pour
l'après-divorce, car la certitude du prononcé du divorce au terme
du délai de réflexion incitera le défendeur à une
négociation équilibrée.
Pour y parvenir, il faut intégrer la médiation familiale au
processus du divorce, à l'instar de certains pays qui en ont fait un
passage obligé avant le divorce, avec un fort taux de succès. Je
pense aux pays nordiques, à certains Etats des Etats-Unis, au Canada et,
maintenant, à l'Angleterre.
La médiation permet aux époux de restaurer entre eux le dialogue
et l'écoute. On constate vraiment que, grâce à l'expression
par chacun, face à l'autre, de ses besoins, de ses émotions et de
ses souffrances, la haine va tomber. Il s'opère un processus de
reconnaissance de l'autre et c'est dans cette sorte de purge du conflit
conjugal, et non dans le combat judiciaire, que les solutions concrètes
sur l'organisation de l'avenir pourront émerger et seront l'oeuvre des
parties elles-mêmes. L'échange recentré sur les enfants
amène à l'apprentissage d'une co-parentalité effective et
donc au maintien des liens parents-enfants.
Dans tous les cas de figure, il serait indispensable de rendre obligatoire un
premier entretien de médiation dès lors qu'il y a des enfants et
un désaccord sur les conséquences du divorce.
Les époux devront être informés, avant l'audience, des
possibilités de recourir à la médiation. Je suis
entièrement d'accord avec M. le Sénateur About sur ce point
et c'est d'ailleurs ce que nous pratiquons actuellement au tribunal de Nanterre
avec des résultats tout à fait encourageants.
Il sera par ailleurs demandé aux avocats d'organiser des réunions
et de présenter des plans d'organisation concernant les modalités
de l'autorité parentale, les obligations financières
d'après le divorce et le sort des biens pour la liquidation à
venir. A défaut d'accord amiable des époux, un notaire, qui
pourra être désigné en début de procédure,
devra établir un projet de liquidation-partage.
En fait, au bout du parcours, l'essentiel du travail sera fait. Si les
opérations de liquidation apparaissent de nature à retarder par
trop l'issue de la procédure, le juge pourra prononcer le divorce et
renvoyer la liquidation à un stade ultérieur.
En bref, l'esprit de la loi doit changer. La négociation doit devenir
l'axe prioritaire. Il n'y aura pas obligation de résultat mais
obligation de moyens et, sans accord, évidemment, le juge tranchera.
Cette réforme pourra entraîner un nouveau rôle pour les
différents acteurs du procès : le juge, qui se recentre sur
son rôle de trancher un litige quand toutes les voies de la
négociation ont échoué, car son rôle n'est pas de
remédier aux dysfonctionnements de la communication d'un couple ;
les avocats, qui ne seront plus submergés par l'aspect émotionnel
du conflit, qui seront plutôt à la recherche de solutions
d'apaisement et qui deviendront la cheville ouvrière de la
négociation de l'après-divorce ; les notaires -- on l'a
vu -- pour préparer la liquidation du régime
matrimonial ; mais surtout les époux, car ils doivent devenir les
acteurs principaux de leur procès.
La restitution de leur pouvoir de décision constitue le point de
départ de toutes solutions durables qui pourront être enfin
applicables et appliquées.
En conclusion, il faut substituer à une logique de destruction une
logique de dialogue et de responsabilisation. Je pense qu'aujourd'hui, toute
réforme d'envergure du droit de la famille qui laisserait subsister le
divorce pour faute raterait vraiment son entrée dans le siècle et
tournerait résolument le dos à la formidable mutation des moeurs
de notre société.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, madame le juge. Madame Lassner,
c'est à vous.
Mme LASSNER
.- Je vais essayer d'être rapide et de rattraper le
temps déjà largement utilisé.
Je souhaiterais tout d'abord revenir sur le fait, comme il a été
dit, que cette proposition de loi, si intéressante qu'elle soit, serait
prématurée dans le cadre de ce que les praticiens du droit
espèrent devoir être une grande réforme du droit de la
famille. Il est vrai qu'elle n'arrive pas encore, même s'il y a quelques
frémissements, et que l'on voudrait bien voir traiter l'ensemble du
droit de la famille et non pas le faire par petits bouts ou par petites
touches, en réparant ou modifiant certains petits morceaux. Je pense que
le droit de la famille mérite une réflexion et une réforme
d'ensemble.
Certes, la révision de la prestation compensatoire était
importante et il y avait une vraie attente. En revanche, je regrette que cette
loi soit passée seulement sur ce point parce que, du coup, on n'a pas
reparlé du fondement de la prestation compensatoire. Or il me semble
tout à fait déraisonnable de parler de la révision sans
parler du fondement.
Il me semble donc aussi déraisonnable d'envisager le droit de la famille
uniquement sous l'aspect de la suppression du divorce pour faute sans parler de
tout le reste. Il est nécessaire de voir la construction d'ensemble et
de ne pas procéder par petites touches. C'est ma réflexion
première.
En second lieu, je crois important d'arrêter d'opposer
systématiquement le divorce pour faute et le divorce pour cause
objective. Je crois essentiel de créer un divorce pour cause objective.
A cet égard, la proposition de loi va, à mon avis, dans le bon
sens ; les praticiens l'appellent. Il est nécessaire d'avoir un
divorce pour cause objective qui ne soit plus le divorce pour rupture de la vie
commune, avec tous les défauts qu'on lui connaît.
C'est une nécessité et une obligation : on a besoin de
permettre aux gens qui n'ont pas envie de combattre de ne pas avoir besoin
à le faire. Nous sommes tous d'accord là-dessus, mais cela
veut-il forcément dire qu'il faut abandonner le divorce pour faute et
qu'il faut forcément opposer les tenants du divorce pour cause objective
aux tenants du divorce pour faute. Et est-on obligé d'abandonner le
divorce pour faute parce qu'on craint le divorce pour cause objective ?
C'est là que je ne vous suivrai pas.
Je pense qu'il est important de limiter le divorce pour faute à ce qu'il
doit être, c'est-à-dire le besoin qu'il remplit, parce qu'on sait
bien qu'il remplit une fonction, lorsque quelqu'un est poussé à
demander le divorce alors qu'il ne le souhaitait pas. C'est le vrai fondement
du divorce pour faute. On a rappelé que c'étaient beaucoup les
femmes qui demandaient le divorce et que c'étaient surtout elles qui en
étaient victimes dans le cadre de la procédure de divorce.
Pourquoi demandent-elles le divorce ? Parce qu'elles sont amenées
à faire le constat que c'est insupportable, que celles qui en ont besoin
(elles ne sont pas forcément très nombreuses) souhaitent une
reconnaissance sociale du fait qu'elles n'ont pas pu faire autrement. Si elles
demandent le divorce, c'est parce qu'elles ne peuvent pas faire autrement. Le
divorce pour faute, c'est cela.
Pourquoi, si on permet à tous ceux qui peuvent s'en passer, de le faire
grâce à la création d'un divorce pour cause objective,
obligerait-on celles-là qui ne peuvent pas s'en passer de voir
disparaître cette solution ? Je crois que c'est important.
Il ne faut pas oublier que, dans les situations où la faute reste
vraiment nécessaire, cette procédure permet éventuellement
une " catharsis ", un passage. M. le Professeur Bénabent
a évoqué tout à l'heure la fausse tentative de
conciliation en parlant d'une " comédie ". Je ne pense pas que
ce soit une comédie. Il se passe énormément de choses lors
de la tentative de conciliation. C'est une vraie audience. Bien sûr, on
ne réconcilie pas les couples. Quand on en arrive à demander le
divorce, à faire une procédure et à aller devant le juge,
on ne va évidemment pas repartir bras-dessus bras-dessous. Cela arrive
de temps en temps, mais c'est exceptionnel. Depuis six ans que je suis juge aux
affaires familiales, cela a dû m'arriver deux fois.
En fait, ce n'est pas cela qui se passe dans une tentative de conciliation. Ce
qui se passe, c'est que celui qui ne voulait pas le divorce va être
confronté à la réalité que l'autre le veut. Cette
confrontation avec la réalité va permettre de déboucher
sur autre chose, de tourner une page et d'aller ailleurs, de faire autrement,
de comprendre que le mariage a abouti à un échec et qu'il faut
organiser la séparation.
Pourquoi beaucoup de procédures de divorce se poursuivent-elles par une
procédure non contradictoire ? Parce qu'on est arrivé
à des accords au moment de la procédure de conciliation, parce
que celui qui n'était pas demandeur n'a pas forcément envie de
partir dans un débat, de dépenser de l'argent pour prendre un
avocat. Il est d'accord, on a réussi à mettre tout le monde
d'accord et cela va se terminer par une procédure non contradictoire. Ce
sera parfois à torts exclusifs parce qu'on n'aura pas réussi
à obtenir que celui qui était demandeur du divorce accepte
l'idée d'en être également l'acteur. Peu importe, parce
que, finalement, cela perd de son intérêt.
Il est donc important d'avoir une procédure pour cause objective et
d'avoir un tronc commun de procédure qui permette de déboucher
vers une cause objective si tout le monde est d'accord, mais il est important
aussi de conserver ce divorce pour faute pour ce qu'il doit être,
c'est-à-dire de le limiter à une vraie procédure de
divorce pour faute. Cela veut dire aussi qu'il est indispensable de supprimer
le lien entre la prestation compensatoire et les torts. A partir du moment
où il n'y aura plus de lien entre le divorce pour faute et la prestation
compensatoire, on n'aura plus de fausse procédure uniquement
diligentée dans le but soit d'obtenir une prestation compensatoire, soit
d'éviter celle-ci.
Il est vrai qu'à Paris, en tout cas, nous avons un nombre important de
divorces pour faute uniquement dus à la prestation compensatoire et au
fait que l'on va essayer d'y échapper en ayant un " torts
exclusifs " de l'autre époux.
Si on permet un divorce pour cause objective à ceux qui ne veulent pas
combattre, on laisse au divorce pour faute ce qu'il est, c'est-à-dire
une possibilité, pour ceux qui ne peuvent pas faire autrement, de
demander un divorce qu'ils n'ont pas forcément souhaité mais
qu'ils considèrent comme une calamité qui leur tombe dessus. Si
les femmes demandent le divorce alors qu'elles sont victimes dans la
procédure, c'est bien parce qu'un certain nombre d'hommes peuvent tout
à fait tolérer d'être violents avec leur épouse ou
de la tromper, tout en continuant d'être mariés. Cela ne les
trouble pas beaucoup. C'est une réalité.
Or beaucoup de femmes ne peuvent pas supporter cela et elles viennent demander
le divorce alors qu'elles n'ont pas envie de divorcer, qu'elles souhaiteraient
rester mariées et garder leur mari. Simplement, cela n'a pas
réussi, cela n'a pas fonctionné.
Dans un certain nombre de situations, il faut accepter l'idée qu'il y a
un fautif, que l'autre n'a rien fait de mal, même si la femme n'a pas
été l'épouse que le mari aurait souhaité, et
qu'à un certain moment, l'épouse dit : "je ne peux plus
supporter qu'il parte toutes les semaines en voir une autre ou qu'il me batte
régulièrement. J'aimerais bien rester mariée, mais ce
n'est pas possible".
Pourquoi supprimerait-on cela ? Il faut une cause objective pour permettre
à ceux qui ne veulent pas combattre de ne pas le faire. C'est essentiel.
Il faut aussi permettre à ceux qui veulent combattre d'avoir un terrain
de combat qui ne soit pas celui des enfants. L'idée de faire
disparaître la procédure pour faute veut dire que ceux qui veulent
combattre -- et il y en a -- n'auront plus pour seul terrain de
combat que celui des enfants, ce qui est dramatique.
La médiation familiale, dans le projet, est entourée d'une aura
merveilleuse. C'est un bon outil ; il faut pouvoir y recourir et avoir
parfois des injonctions un peu appuyées pour que les époux y
aillent. Bien entendu, ce n'est pas la panacée ; ce n'est pas parce
qu'on enverra tout le monde en médiation familiale que l'on pourra
arrêter le combat. Les médiateurs sont les premiers à
mettre dehors des gens qui ont été envoyés par le juge,
qui ont accepté d'aller en médiation, qui n'y font rien et qui
font éventuellement traîner le débat pour gagner du temps.
La médiation familiale ne peut pas tout résoudre, bien entendu.
Il faut utiliser cet outil, le développer et trouver de l'argent pour
cela, parce que c'est un vrai problème, mais il ne faut pas croire que,
parce que l'on va envoyer tous les gens qui ont des enfants en médiation
familiale -ce qui serait une dépense nettement excessive et hors de
proportion- on arrivera à empêcher les gens qui ont envie de
combattre de le faire. Le combat n'est pas lié à la
procédure. Il est lié à la pathologie du couple, à
la souffrance et à la difficulté qu'ont les gens de se
séparer. Il n'est pas facile de se séparer et d'accepter que la
vie que l'on avait espérée n'a pas abouti et que l'on est
arrivé à un échec.
Il faut accepter l'idée qu'en tant que juges aux affaires familiales,
nous travaillons dans la souffrance et la pathologie des gens. Nous ne pouvons
pas faire comme si " tout le monde était beau, tout le monde
était gentil ". On n'arrivera pas à pacifier tout le monde.
Je pense que le divorce pour faute peut permettre de déplacer le
débat entre les deux époux quand il y a vraiment une
nécessité de combat et d'éviter que ce combat se focalise
sur les enfants. Or, si on supprime totalement le divorce pour faute alors que
l'on peut en avoir besoin dans certains cas, c'est cela que l'on va amener.
Dans des situations de concubins qui se séparent et qui viennent me voir
pour traiter uniquement du problème de leur enfant, puisque celui de
leur séparation en tant que concubins n'est pas de ma compétence,
il m'arrive de leur dire : " je suis vraiment désolée
que vous ne soyez pas mariés, parce que j'aurais pu, pour votre divorce,
parler d'autre chose que de vos enfants ".
Il y a des gens qui ont besoin de se battre et il faut leur donner un terrain
pour le faire. Il ne faut pas les obliger à se battre pour les enfants,
qui sont trop souvent pris en otage dans ce combat. Il faut absolument
éviter cela.
Notre but à tous, c'est la coparentalité et
l'intérêt des enfants. Pour cela, il faut créer un divorce
pour cause objective afin de permettre aux gens qui sont capables de divorcer
sans combattre de le faire, mais il ne faut pas interdire ce combat à
ceux qui en ont besoin.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, madame. Mes chers collègues,
avez-vous des questions ? Je passe la parole à notre rapporteur.
M. ABOUT
.- Monsieur le Président, je voudrais tout d'abord
remercier les deux intervenantes, et particulièrement Mme Ganancia
qui, effectivement, a inspiré cette proposition de loi par ses
écrits et par une discussion que nous avons eue quand nous nous sommes
rencontrés sur une radio. Cela a été un moment très
intéressant et quand je l'ai quittée, je me suis dit qu'il
convenait de beaucoup travailler et de lire tout ce qui avait été
écrit sur le sujet avant de se lancer dans cette proposition de
réforme. Je la remercie donc particulièrement.
Je voudrais aussi remercier Mme Lassner en lui disant que nous attendons
tous cette grande réforme mais que nous sommes malheureusement
démotivés, en particulier depuis ce matin, en lisant le
compte-rendu de la conférence de presse qui a eu lieu hier et qui a
annoncé que ce grand projet allait prendre la forme de petits projets
qui allaient passer par petits bouts durant les années à venir.
Nous sommes loin de la grande réforme qui nous était
annoncée et nous avons bien le sentiment qu'il nous faut aller de
l'avant sur les dossiers les plus brûlants.
Ma question porte sur la vision de Mme Lassner sur la place des enfants.
J'ai le sentiment que, dans le divorce pour faute, on ne fait aucune
économie, c'est-à-dire que l'enfant est utilisé pour
essayer de trouver des torts, puisqu'il est instrumentalisé pour essayer
de punir. En fait, il sert avant et après.
Lorsque ceux qui sont aujourd'hui en communauté de vie viennent vous
voir, ils viennent régler le problème de la garde des enfants et
n'ont pas eu à utiliser les enfants pour s'accuser, ce qui est
déjà un gain considérable.
Ce qui m'a le plus touché, lorsque nous en avons discuté avec
Mme Ganancia et que j'ai lu un certain nombre de papiers dont les auteurs
sont présents ce matin, ce n'est pas l'aspect juridique ou le fait qu'il
faut sauver une idée mais c'est ce vécu, cette humanité,
que comportait cette approche en considérant non pas un aspect juridique
mais humain.
Je me suis dit qu'il y avait certainement quelque chose à faire et une
énorme économie à trouver, surtout pour les enfants, dans
cette réforme.
Mme LASSNER
.- J'aimerais vous suivre. Malheureusement, mon
expérience professionnelle me fait penser que c'est faux. Ce n'est pas
la procédure pour faute qui instrumentalise les enfants. Les enfants
sont instrumentalisés dans la procédure pour faute comme dans
l'importe quelle autre procédure, notamment dans l'instance modificative
ou dans la procédure d'enfant naturel si les concubins se
séparent, lorsque les parents ont besoin de combattre. Ce n'est pas la
procédure qui crée le combat ; c'est le combat qui utilise
la procédure, n'importe quelle procédure.
Je ne crois donc pas du tout qu'il faille lier la procédure pour faute
et la souffrance des enfants. La souffrance des enfants existe quand les
parents combattent et lorsqu'ils font porter le combat sur les qualités
de père et de mère.
Quand je disais tout à l'heure que, parfois, il m'arrive de regretter de
ne pas pouvoir divorcer des concubins, c'est parce que, justement, quand ils
ont besoin de combattre, ils n'ont que cela à se mettre sous la dent.
Ils ne peuvent que s'accuser d'être mauvais père ou mauvaise
mère et non pas mauvais époux ou mauvaise épouse, alors
que dans le cas du divorce pour faute, ils peuvent au moins parler de cela.
Mme GANANCIA
.- Je ne suis pas tout à fait d'accord, parce qu'en
tant que magistrat, je constate que les enfants sont amenés,
malgré tout, à prendre parti pour l'un ou l'autre époux,
qu'ils sont amenés à partager la vision de l'innocent et celle du
coupable, c'est-à-dire, en bref, qu'ils sont amenés à
choisir leur camp, ce qui aggrave beaucoup les souffrances.
M. le PRÉSIDENT
.- Ils n'y sont pas amenés dans tous les
cas.
Mme GANANCIA
.- Je crains malheureusement qu'ils n'y soient amenés
très souvent.
M. le PRÉSIDENT
.- Ils peuvent y être invités, mais
on peut se demander en tout état de cause si le divorce idéal
dans le rapport entre les parents et les enfants existe.
Mme LASSNER
.- Je ne sais pas si le divorce idéal existe, mais je
pense qu'il est possible, pour les parents, de comprendre que le fait de
prendre un enfant à témoin, c'est le faire souffrir. On arrive
à le faire comprendre, mais cela prend du temps, car les gens sont dans
la souffrance. Ils ne viennent pas divorcer comme ils vont acheter leur kilo de
carottes. C'est une vraie souffrance.
Ils sont pris dans cette souffrance et ils ne voient pas le mal qu'ils font
à leurs enfants quand ils se plaignent auprès de leurs enfants de
leur souffrance, quand ils pleurent dans les bras de leurs enfants, quand ils
font en sorte que leurs enfants les préfèrent à l'autre.
Ils ne voient pas le mal qu'ils font. Bien entendu, s'ils le voyaient, ils ne
le feraient pas. Les deux époux aiment leurs enfants. C'est bien le fond
du débat.
Donc je ne crois pas du tout, lorsqu'ils utilisent leurs enfants, qu'ils le
fassent sciemment dans le but de gagner la procédure pour faute. Nous
sommes tout à fait dans un autre débat. Ce n'est pas le fond du
problème. Il faut permettre aux gens qui sont capables de
dépasser ce combat de le faire. C'est pourquoi il est important d'avoir
un divorce pour cause objective pour ceux qui sont capables de dépasser
le conflit soit avec l'aide de la médiation, soit tout seuls.
Heureusement, en effet, beaucoup de gens divorcent de façon assez
paisible, même s'ils ont des enfants. Certes, ils souffrent, mais ils
gèrent leur souffrance ; ils se font aider ou non mais ils y
arrivent. Je suppose que vous connaissez tous, dans votre entourage, des gens
qui ont divorcé, qui divorcent ou qui divorceront. C'est une situation
d'une banalité extraordinaire en proportion aujourd'hui. Donc on sait
bien que des gens arrivent à divorcer en gérant cela à peu
près bien, mais nous avons aussi autour de nous des gens qui n'y
arrivent pas, qui sont dans le malheur, la souffrance et le désespoir et
qui font partager ce désespoir à leurs enfants.
Je ne crois pas du tout que la procédure soit en cause. Encore une fois,
quelle que soit la procédure, si la souffrance est trop envahissante,
les parents font partager leur souffrance aux enfants, et ce n'est pas parce
qu'il y aura ou non un divorce pour faute que cela changera quoi que ce soit.
Ce sont deux choses différentes.
Cela dit, il est important qu'il y ait un divorce pour cause objective, afin
que, lorsque les gens sont capables de ne pas combattre, on ne les y oblige pas
parce qu'ils n'ont pas réussi à se mettre d'accord, par exemple,
sur la liquidation. Il est vrai que, lorsqu'il y a un désaccord sur la
liquidation, on ne peut pas faire un consentement mutuel puisqu'il y aura des
biens en commun. Dans ce cas, on va donc être amené à faire
plutôt un divorce pour faute, parce que cela évite l'aléa
de la demande acceptée.
Pourquoi le divorce sur demande acceptée fonctionne-t-il mal ? On
pourrait en effet se dire que, s'ils ne sont pas d'accord sur les
conséquences, ils pourraient prendre le divorce sur demande
acceptée, puisque c'est le juge qui va trancher. En fait, il fonctionne
mal parce que c'est un divorce qui comporte des aléas. Il faut attendre
le délai de réflexion, il faut que l'autre prenne un avocat, etc.
On n'est jamais sûr de ce qui va se passer derrière.
Avec le divorce pour faute, on lance la procédure et il se passe quelque
chose. On vient en tentative de conciliation et on discute. C'est pour cette
raison que l'on utilise le divorce pour faute de façon aussi importante.
Créons un vrai divorce pour cause objective. Nous sommes tous
entièrement d'accord là-dessus. C'est important parce que cela
permet, quand on ne s'est pas mis d'accord sur tout, d'avoir une
procédure simple et pratique au cours de laquelle on peut dire les
choses et avancer, mais de là à supprimer entièrement le
divorce pour faute sous prétexte d'éviter la souffrance des
enfants, je crois que c'est un faux débat parce qu'on n'évitera
pas la souffrance des enfants tant qu'ils seront pris à témoin
dans la souffrance des parents.
M. le PRÉSIDENT
.- Dans l'hypothèse où vous arrivez
à prononcer des divorces aux torts exclusifs de l'un ou de l'autre
(peut-être le plus souvent aux torts exclusifs du mari, mais je n'en sais
rien), cette décision influencerait-elle votre autre décision sur
la détermination de la situation des enfants ?
Mme LASSNER
.- Absolument pas.
Mme GANANCIA
.- Bien sûr que non.
Mme LASSNER
.- Je crois pouvoir me faire le porte-parole de tous les
magistrats de France. Il m'étonnerait beaucoup qu'un seul magistrat
puisse dire le contraire. Cela n'a rien à voir. Pourquoi fait-on des
divorces aux torts exclusifs ? Très souvent parce qu'on est dans la
situation de n'avoir personne en face. Vous avez un demandeur de divorce pour
faute et vous n'avez personne en face. Dans ce cas, il est assez
compliqué de faire un divorce partagé, parce qu'il faut quand
même que le demandeur ait donné quelque chose qui laisse à
supposer qu'il ait commis des fautes aussi.
On y arrive. Je le fais souvent en tentative de conciliation. Au moment
où les gens arrivent en tentative de conciliation, le défendeur
est souvent là : il n'a pas besoin d'avocat, il vient tout seul, on
discute et il se passe des choses. On arrive donc très souvent à
des accords. Je m'adresse alors ainsi aux époux :
"Si vous êtes d'accord pour divorcer, si vous n'avez pas des moyens
suffisants pour vous payer un avocat et si vous ne pouvez pas
bénéficier de l'aide juridictionnelle parce que vous gagnez
7 500 F par mois, vous êtes dans la situation la plus mauvaise.
Or, si vous êtes d'accord pour divorcer et si nous sommes d'accord sur
toutes les mesures, il n'y a pas de soucis. Votre conjoint a
démarré une procédure de divorce pour faute, mais il n'y a
pas de difficulté ; on peut tout à fait continuer comme
cela. Simplement, vous allez, monsieur (parce qu'en général,
c'est le monsieur qui est en cause), faire une lettre d'aveu avec la photocopie
de votre carte d'identité en disant : "c'est vrai, je suis parti".
Vous pourrez dire n'importe quoi car, en fait, cela n'a aucune espèce
d'importance.
Quant à madame, elle va dire dans son assignation qu'elle n'a pas
été très gentille, qu'elle n'a pas toujours
évité les problèmes, qu'elle a mis dehors son mari, etc.,
c'est-à-dire n'importe quoi puisque tout le monde s'en fiche. On va
faire ainsi, au bout du compte, un divorce aux torts partagés."
Pourquoi attache-t-on tant d'importance au divorce pour torts
partagés ? Parce que c'est ainsi que cela fonctionne. Il est vrai
que l'on trahit la loi, mais c'est parce qu'il n'y a pas le divorce pour cause
objective dont on a besoin.
Enfin, il y a la toute petite proportion des cas dans lesquels on a un vrai
débat sur la faute et pour lesquels on a vraiment besoin de cette faute,
parce que celui qui le demande est dans une telle souffrance qu'il ne peut pas
la dépasser.
Je pense qu'il n'y a pas vraiment de difficultés sur le fond. On a
besoin d'un divorce pour cause objective, mais je ne pense pas qu'il soit d'une
nécessité absolue de supprimer le divorce pour faute
entièrement.
M. le PRÉSIDENT
.- Monsieur Hyest, vous vouliez intervenir.
M. HYEST
.- Oui, monsieur le Président. Depuis ce matin, j'entends
et j'écoute ce qui est dit mais je n'ai pas encore très bien
compris ce qu'était le divorce pour cause objective, ou plutôt,
j'ai compris que certains voulaient supprimer le divorce pour faute, l'une des
causes objectives du divorce étant une faute. Sinon, on tourne autour du
pot. Sur le plan intellectuel et philosophique, j'essaie d'avoir une certaine
logique parce que je ne sais pas comment définir la cause objective.
Mme GANANCIA
.- La cause objective, c'est tout simplement le constat de
l'échec du mariage, c'est-à-dire de la dissolution du lien. Il
peut être constaté de différentes façons. On peut le
rendre totalement mathématique et objectif en disant que la dissolution
du lien interviendra après une séparation de tant
d'années, trois ans, deux ans ou dix-huit mois.
M. HYEST
.- C'est autre chose.
Mme GANANCIA
.- Pas du tout.
M. HYEST
.- Il peut y avoir rupture de la vie commune qui existe
déjà et qui n'est pas utilisée. S'il y a rupture de la vie
commune, je suis d'accord pour que l'on réduise sa durée, mais la
rupture de la vie commune est un divorce pour cause objective qui est
actuellement très peu utilisé.
Mme GANANCIA
.- Tout à fait, mais actuellement, c'est un divorce
totalement pénalisant et ce n'est pas un vrai divorce pour cause
objective à cause de cela.
M. HYEST
.- Si je comprends bien, quand Mme Lassner dit qu'il
faudrait créer un divorce pour cause objective qui se rajouterait au
dispositif actuel, je me demande si cela n'aboutirait pas à
mélanger les causes et les conséquences. En prenant en compte le
divorce par consentement mutuel ou par acceptation, ne pourrait-on pas modifier
la procédure et les conséquences ? Vous dites que des
personnes ne veulent pas se battre et qu'elles sont donc d'accord, en fin de
compte, pour accepter le divorce, mais les conséquences n'étant
pas les mêmes dans le divorce pour faute, notamment aux torts
partagés, ce qui entraîne ensuite un certain nombre de
problèmes. N'y aurait-il pas lieu, plutôt que de créer une
nouvelle catégorie juridique, de modifier la procédure ou de
permettre une procédure qui se rapproche de celle du divorce par
consentement mutuel à un certain stade ?
Vous avez beaucoup dit que l'on choisissait telle ou telle procédure
pour les conséquences que cela entraîne sur la liquidation. A
partir de là, ne faudrait-il pas envisager, au lieu de créer de
nouvelles catégories, de modifier des procédures ? De toute
façon, on sait bien que le divorce est un échec et une crise.
Comme vous l'avez dit, ce n'est pas la même chose que d'aller faire son
marché : c'est une chose grave. Cela dit, pour faciliter les
choses, n'y aurait-il pas lieu de modifier la procédure plutôt que
de créer une nouvelle catégorie juridique ?
Il s'agirait, bien sûr, de garder le divorce pour faute -- j'ai bien
retenu vos arguments --, mais comme j'ai entendu les arguments contraires,
ce n'est pas le lieu d'en débattre ce matin.
Mme LASSNER
.- Quand je parle du divorce pour cause objective, il est
vrai que je ne parle pas du divorce pour rupture de la vie commune tel qu'il
existe actuellement puisqu'il s'agit d'un mauvais divorce : c'est un
divorce qui pénalise le demandeur et c'est bien pour cela qu'il n'est
pas utilisé.
Maintenant, si on crée un nouveau divorce qui s'appelle "divorce pour
cause objective" et qui est la séparation de plus de deux ans ou de
trois ans (c'est un débat qu'il faut avoir) ou si on dit que l'on
maintient l'actuel divorce pour rupture de la vie commune mais qu'on le
transforme pour qu'il ne soit plus pénalisant pour le demandeur, qu'il
ne maintienne plus le devoir de secours, qu'il n'ait plus la charge des
dépens, etc., c'est possible. Je ne m'attarde pas sur les questions
techniques : toutes les possibilités sont ouvertes.
Bien entendu, on peut soit créer une nouvelle catégorie, soit
modifier les catégories existantes. L'important, à mon avis,
c'est d'avoir dans la palette des possibilités un divorce constat qui ne
soit pas pénalisant pour celui qui le demande, même s'il peut
l'être éventuellement dans les situations où celui qui est
parti depuis longtemps finit par demander le divorce.
Dans les ruptures de la vie commune que nous avons à traiter, il s'agit
le plus souvent de personnes qui ont été abandonnées
depuis longtemps et qui viennent demander le divorce, sachant que celui qui a
disparu depuis belle lurette se fiche bien d'être marié. Celui qui
vient le demander est en général celui qui a été
abandonné. En réalité, on est dans une situation absurde,
c'est-à-dire dans le contraire de ce qu'avait prévu la loi :
c'est celui qui a été abandonné qui vient demander la
rupture de la vie commune. En l'occurrence, on marche sur la tête.
On a donc besoin d'un vrai divorce pour cause objective, qui est soit la
séparation depuis un certain nombre d'années, soit le constat des
deux que c'est fini. En effet, il peut arriver que, le jour de la conciliation,
c'est-à-dire le jour où il y a confrontation devant le juge, les
deux époux disent : "oui, c'est fini", alors qu'il y a eu un espoir
de celui qui ne demandait pas le divorce pour trouver quelque chose.
Voilà ce qu'est la cause objective. C'est soit la séparation,
parce qu'il y a un certain temps de séparation au-delà duquel on
sait bien qu'il ne se passera plus rien dans le mariage, soit le constat des
deux époux qu'il n'y a plus de possibilité. Quelquefois, le jour
de la conciliation, les époux habitent encore ensemble et l'un des deux
peut croire encore que cela peut continuer. S'il se rend compte à ce
moment-là que c'est fini, on est dans la cause objective. C'est de cela
que je voulais parler, indépendamment des fautes et de ce qui pousse les
gens à penser que c'est fini.
M. le PRÉSIDENT
.- S'il n'y a plus d'autres questions, je vous
remercie, mesdames, des interventions et des éléments
extrêmement intéressants que vous nous avez apportés.
Me Gérard Crémont,
rapporteur
de
la commission "
Demain la famille, les ruptures
" du
95
ème
congrès des notaires de France,
Me Annie Rollet,
Mouvement Jeune
Notariat
M. le
PRÉSIDENT.-
Nous allons entendre maintenant Me Gérard
Crémont, qui, comme je l'avais indiqué au début de nos
travaux, a été le rapporteur de la commission qui s'est tenue au
95
ème
congrès des notaires de France avec comme
thème "
Demain la famille, les ruptures"
.
M. CRÉMONT
.- Particulièrement les ruptures.
M. le PRÉSIDENT
.- Vous n'imaginez la conception de la famille que
dans le cas des ruptures ?
M. CRÉMONT
.- Absolument pas, bien sûr. Il y a aussi des
familles qui fonctionnent bien. Elles sont même en majorité.
M. le PRÉSIDENT
.- Quant à vous, maître Rollet, vous
êtes membre du Mouvement Jeune Notariat.
Maître Crémont, vous avez la parole.
M. CRÉMONT
.- Je vous remercie, monsieur le Président. Je
crois qu'il est nécessaire de situer cette proposition de loi qui nous
est soumise dans le cadre d'une perspective historique qui est celle de la loi
de 1975, et particulièrement des motivations qui avaient alors
inspiré le législateur.
La loi de 1975 avait marqué une profonde, une réelle
évolution dans le droit du divorce et dans le droit de la famille. En
effet -- nous en avons parlé tout à l'heure --, ce
texte, d'une certaine manière, avait fait voler en éclat un
certain nombre de règles pesantes, un certain carcan de l'ordre public
familial qui était à l'époque omniprésent. Cette
réforme a consacré la possible contractualisation du principe et
des effets de la rupture.
A cet effet, deux objectifs avaient imprégné cette loi de 1975.
Le premier était de dédramatiser, en favorisant dans toute la
mesure du possible les accords des époux. Le deuxième objectif
était une globalisation, le fait de régler un maximum de
problèmes dans un minimum de temps.
Malgré quelques critiques, il faut bien reconnaître que la loi de
1975, pour l'essentiel, n'a pas démérité. Il suffit, pour
s'en convaincre, de voir que la moitié des divorces sont
prononcés aujourd'hui sur la base d'une requête conjointe,
même s'il y a des imperfections et des difficultés, ce que nous
savons bien et ce dont nous sommes témoins.
Après vingt-cinq ans d'application de cette loi, l'heure a sonné
de faire le bilan. Que peut-on dire ?
Sur la dédramatisation, si la procédure de consentement mutuel
favorise incontestablement les accords des époux et participe à
cet objectif de dédramatisation, il faut reconnaître en toute
modestie que, de toute manière, le droit ne peut pas tout. Soyons
modestes, autant les praticiens que les législateurs, et essayons de ne
pas ajouter de la douleur à la douleur mais sachons que, de toute
manière, le divorce restera toujours une profonde blessure.
Sur la globalisation des effets du divorce, il faut reconnaître que les
résultats sont moins bien acquis.
En tant que notaire, c'est à ce second objectif que je vais m'attacher
avant de revenir à la dédramatisation qui peut se situer dans le
cadre de notre réflexion d'aujourd'hui. C'est dans cette perspective que
je voudrais vous donner un certain nombre d'éléments
d'appréciation qui vont être utiles à votre
réflexion future.
Le divorce correspond -- on l'a dit tout à l'heure -- à
une période de conflits exacerbés entre les époux au cours
de laquelle ils n'ont pas encore totalement fait le deuil de leur union et sont
animés parfois de sentiments contradictoires. Il faut éviter
autant que faire se peut que se prolonge démesurément cette
période de crise conjugale et tirer parti du temps pour préparer
et reconstruire l'avenir. Il faut surtout faire en sorte que de nouvelles
confrontations n'aient pas lieu dans l'avenir.
Or le notariat constate aujourd'hui qu'au divorce des personnes, dont nous
parlons depuis ce matin, succède, dans la plupart des cas, un second
divorce : le divorce des biens, tout aussi long, tout aussi pénible
et tout aussi destructeur que le premier. A cet égard, il nous semble
que la proposition de loi, pour intéressante qu'elle soit sur divers
points, et j'y reviendrai tout à l'heure, ne fait pas porter
suffisamment son attention sur cette réalité du double divorce.
Il faut éviter -- le notariat y est très
attentif --que, dès le prononcé du divorce, dès que
les époux ont quitté le prétoire, ne s'engage un nouveau
conflit en forme de revanche sur les éléments patrimoniaux et sur
le partage, revanche dans laquelle la partie économiquement la plus
forte va pouvoir, au moyen de différents arguments de procédure,
faire durer ce partage pendant des années et des années. Nous
connaissons bien ce problème. Cela se fera naturellement au
détriment de la partie la plus faible.
Globaliser les effets du divorce, ce serait, dans notre esprit, faire en sorte
que la majeure partie des conséquences patrimoniales soient
réglées en cours d'instance et non postérieurement. Il
nous est apparu qu'il n'était pas toujours possible de régler
absolument toutes les questions, mais il n'en demeure pas moins que l'essentiel
doit avoir été vu, analysé et traité.
On éviterait, c'est certain, un encombrement des tribunaux, bien
entendu, des manoeuvres dilatoires, des disparitions de biens, d'actifs et
autres, et je crois que la procédure y gagnerait en loyauté.
Par ailleurs, lorsque le juge prononce le divorce, aujourd'hui comme hier, et
probablement encore demain, il sera amené à prendre un certain
nombre de décisions graves et importantes qui ont trait à la
situation patrimoniale des époux (prestation compensatoire, pension
alimentaire, logement). Est-il concevable que de pareilles décisions
puissent être prises alors que le juge n'est pas en possession d'un
document suffisamment précis pour se prononcer ? Je fais allusion
à un état liquidatif sans aller jusqu'au partage, qui viendra
plus tard.
Il est vrai que si on a un état liquidatif précis,
c'est-à-dire si on connaît la consistance active et passive, les
reprises, les récompenses et les évaluations des biens, le
partage sera beaucoup plus facile et on évitera d'avoir des
difficultés et d'engorger les tribunaux ; on évitera aussi
une crispation de la procédure.
Cet objectif est-il accessible ? Je pense que l'on pourrait
améliorer considérablement les choses de deux manières. Je
reprendrai à cet égard essentiellement ce qui a été
dit et écrit dans notre rapport du
95
ème
congrès des notaires de France et qui a
fait l'objet de propositions en ce sens.
Il nous semble que, pour globaliser la procédure (puisque globaliser la
procédure, c'est aussi éclairer le juge, qui est demandeur de ces
informations), il faut revoir et, peut-être, faire connaître
davantage un article du Code de procédure civile qui est l'article 1116,
que les juges parisiens semblent appliquer et que ceux de province (cela
résulte des observations que nous avons pu faire) semblent ignorer
presque totalement, ce qui est bien dommage parce que, au cours de l'instance,
grâce à cet article 1116, le notaire peut intervenir pour faire un
arrêt sur image, informer le juge et préparer la liquidation
à intervenir ultérieurement.
C'est sous l'impulsion des magistrats que notre congrès avait
émis le voeu que cet article 1116 soit utilisé dans le cadre des
procédures de divorce dès le stade des mesures provisoires, sauf,
bien entendu, motivation spéciale : cela peut ne pas être
nécessaire dans certaines situations.
La proposition de loi qui est soumise à notre examen permettrait, me
semble-t-il, une utilisation judicieuse de l'article 1116 puisqu'elle
prévoit, à mon avis à juste titre, des délais de
réflexion qui pourraient utilement être mis à profit pour
établir ce projet de liquidation du régime matrimonial. En
même temps que le juge confie au notaire cette mission liquidative et
purement comptable, il doit aussi lui confier une seconde mission en ce qui
concerne le domaine patrimonial : une mission de conciliation et de
médiation.
Il est vrai que le notaire participe déjà grandement à
cela, mais je pense qu'il doit y participer dès le début de la
procédure, dès le stade des mesures provisoires. Je pense que les
notaires sont tout à fait prêts à intervenir comme ils le
font déjà, sachant qu'ils le font actuellement trop tard.
Un autre article du Code civil serait de quelque utilité :
l'article 1450. Je ne vais pas entrer dans une technique que certains
connaissent bien, mais cet article permet d'établir, pour les
époux, des conventions de liquidation en cours d'instance alors qu'en
dehors, ce n'est pas possible.
Il nous semble que cet article serait beaucoup plus utile et efficace s'il
était étendu à tous les époux et non pas seulement
aux époux communs en biens. On ne voit pas trop pourquoi une telle
restriction.
De même, il serait opportun, nous semble-t-il, de permettre
consensuellement aux époux de fixer une prestation compensatoire. Tout
ce qui peut être consensuel doit être recherché et
favorisé.
Actuellement, ce n'est pas le cas. On constate que certaines conventions de
l'article 1450 ne peuvent pas se faire parce qu'on ne peut pas fixer une
prestation compensatoire alors que les époux sont parfaitement d'accord.
Je crois qu'au prix de ces quelques adaptations, on pourrait faciliter les
choses et faire en sorte que la procédure gagne en efficacité, en
loyauté, en clarté et en transparence.
En ce qui concerne la procédure sur requête conjointe, monsieur le
Sénateur, vous constatez avec nous que certaines procédures
tournent mal ou tournent court. Pourquoi ? Il faut bien évidemment
éliminer les causes psychologiques que je n'ai pas traitées. Ce
que nous constatons, nous, c'est que si certaines procédures tournent
mal ou tournent court, cela tient à une interprétation quelque
peu défectueuse de l'article 1091 du Code de procédure
civile. Que dit ce texte ?
Il précise que la requête initiale doit être
accompagnée d'un projet de liquidation, mais ce n'est pas très
précis et, à mon avis, insuffisant. On en fait également
une interprétation qui est parfois très contestable.
A la vérité, que serait un projet de convention portant
règlement complet des effets du divorce qui ne comporterait pas un volet
patrimonial suffisamment précis ?
Nous nous apercevons, en tant que notaires, que lorsque les époux
veulent rentrer dans les détails, ce n'est pas du tout ce qu'ils avaient
pensé, qu'il y a des conséquences qu'ils n'avaient pas
prévues sur le plan de l'évaluation des biens et de la reprise
des passifs. Je pense qu'il faudrait que ce soit vu dès le
départ. On y gagnerait, là aussi, en efficacité et on
éviterait bien des crispations et des frustrations. On ferait en sorte
que les divorces ne tournent pas au drame, comme vous le faites observer.
Sur le deuxième point, qui devrait être le plus important, sachant
que j'ai préféré m'en tenir, pour ce qui me concerne,
à la technique juridique, puisque des auteurs éminents se sont
penchés tout à l'heure sur le problème de la
dédramatisation, il est incontestable que le divorce pour faute tel
qu'il est souvent vécu exacerbe les tensions et focalise l'attention sur
le passé. Il est vrai également que, lorsque le couple a des
enfants, ces derniers risquent de se retrouver bien malgré eux l'enjeu
des conflits de leurs parents.
Par ailleurs, statistiquement, il apparaît que 85 % des divorces
demandés pour faute sont en fin de compte prononcés aux torts
partagés.
Il n'en demeure pas moins qu'en raison même du mariage, si le terme a
encore une signification (on peut d'ailleurs en douter parfois), les
époux se trouvent, par le fait même du mariage, liés par un
ensemble de droits et d'obligations. Ou bien supprimons les articles 212 et 214
du Code Civil. On conçoit difficilement que l'exécution ou
l'inexécution de ces obligations soit laissée au bon vouloir des
époux et qu'aucune conséquence particulière ne s'y
attache.
Je rappelle cette citation du doyen Carbonnier, qui me paraît tout
à fait de circonstance : "
Les fautes dessinent en creux
les obligations qui font le mariage "
.
Si on supprime la faute en tant que cause de divorce (parce que personne n'est
en mesure de la supprimer, même pas le législateur), il faudra
bien que l'époux demandeur invoque devant le tribunal un certain nombre
de faits rendant intolérable le maintien de la vie commune. A cet
égard, je me mets à la place du juge et je me pose la question de
savoir de quoi il s'agit exactement, de savoir quels sont ces faits qui rendent
intolérable le maintien de la vie commune. Est-ce la lassitude,
l'incompatibilité de caractère, l'inaptitude culinaire du
conjoint, que sais-je ?...
Soyons réaliste. Ces faits qui rendent intolérable le maintien de
la vie commune ne seront, dans la plupart des cas, que des manquements graves
aux obligations du mariage et donc des fautes, ou alors il faut modifier la
proposition dans un autre sens. En effet, le juge va considérer qu'il
faut des éléments suffisamment graves.
L'examen du droit comparé des pays qui ont abandonné la faute
montre qu'effectivement, celle-ci va resurgir sous un autre aspect qui ne sera
pas forcément meilleur. De toute manière, à supposer que
l'on abandonne totalement la faute comme cas de divorce et qu'elle n'ait plus
aucune incidence pécuniaire, il faudra bien que certains manquements
particulièrement graves soient d'une manière ou d'une autre
sanctionnés.
Comment le faire ? Je pense que l'auteur de la proposition a très
bien vu le problème. Ces manquements seront sanctionnés par des
actions en responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code
civil. Cela dit, je ne suis pas du tout certain que le combat va pour autant
cesser. Quoi qu'on en dise, il peut y avoir des époux
délaissés et victimes personnellement, mais je pense que
M. le Sénateur About a bien vu cette difficulté en
prévoyant un palliatif dans ce cas.
Il n'en demeure pas moins qu'un divorce pour cause objective s'avère
nécessaire, mais à y regarder de plus près, il y a
déjà, dans notre Code civil, tout ce qu'il faut pour cela et il
me semble qu'à côté du divorce pour faute dont nous
souhaitons personnellement qu'il devienne de plus en plus marginal, il faut
trouver un divorce pour cause objective. Il existe avec le divorce pour rupture
de la vie commune, qui doit être profondément revu et
remanié.
Il faut que le seul fait de la séparation prolongée (je fixerais
cela à trois ans mais c'est à discuter) soit
l'élément unique caractéristique de l'échec. Il
faut également que ses conséquences soient laissées
à l'appréciation du juge et non pas, comme aujourd'hui,
imposées à l'époux demandeur qui, après tout, n'est
pas forcément celui qui a commis des fautes irréparables ou
impardonnables, puisqu'on peut parfaitement ne pas s'entendre sans avoir commis
des fautes d'une exceptionnelle gravité.
Aujourd'hui, ce divorce pour rupture de la vie commune ne représente que
2 % des cas parce que c'est impraticable. Il faut donc le rendre
applicable et l'adapter.
M. le PRÉSIDENT
.- En outre, il est pénalisant.
M. CRÉMONT
.- Absolument. Je pense donc qu'il appartient au
législateur de reprendre la question pour en faire véritablement
ce qu'il devrait être, c'est-à-dire un divorce pour cause
objective.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, maître. Maître Rollet, vous
avez la parole.
Mme ROLLET
.- Merci, monsieur le Président. Mesdames et messieurs
les Sénateurs, faut-il supprimer la faute comme cause de divorce ?
C'est le débat d'aujourd'hui.
Si j'ai l'honneur de vous faire part des réflexions que m'inspire la
proposition de M. le sénateur About, c'est sans doute parce que j'ai
présidé le congrès du Mouvement Jeune Notariat,
congrès intitulé "
Séparation et recomposition
familiale ; le droit au bonheur".
En matière de divorce, toutes les propositions du Mouvement Jeune
Notariat, que je représente aujourd'hui, ont pour objectif de pacifier
la rupture, de réduire le nombre des contentieux, en un mot,
d'alléger les souffrances des familles. Or, aujourd'hui, c'est l'enfant
qui est central dans la famille. Il constitue l'axe, le pivot autour duquel
s'organise la constellation familiale. C'est cet enfant et son avenir qui doit
être protégé dans la tourmente.
Les professionnels du droit de la famille s'accordent d'ailleurs pour dire que
si le couple conjugal a disparu, le couple parental, lui, doit pouvoir
poursuivre sa mission. On sait que lorsqu'un divorce se passe mal devant le
juge, les relations parentales se dégradent très rapidement.
Le maintien des liens parentaux passe donc obligatoirement par une pacification
du divorce. C'est dans cet état d'esprit que je voudrais voir trois
points avec vous :
- les atouts de votre proposition, monsieur le Sénateur About,
- les insuffisances en termes de pacification des propositions émises
par le groupe de travail présidé par
Mme Dekeuwer-Défossez.
- et, enfin, les compléments ou des précisions qui pourraient
être apportés à la proposition de M. About.
Le premier point que j'aborderai concerne donc les atouts de la proposition
About.
Nous sommes très favorables à cette proposition qui constitue un
véritable divorce objectif, qui privilégie la médiation et
qui, en outre, se situe dans le mouvement des législations
européennes qui a tendance à instaurer une seule cause de
divorce : la faillite du couple. Mais ses deux principaux atouts
restent :
- de supprimer la faute comme cause de divorce
- et de simplifier les procédures.
Le premier atout est de supprimer la faute comme cause de divorce, parce
qu'elle est éminemment destructrice, mais aussi parce qu'elle pervertit
aujourd'hui les autres formes de divorce.
La faute est destructrice :
En l'absence d'accord des époux, celui qui veut le divorce va devoir
prouver la faute de l'autre, même si aucune faute n'est à
l'origine de cette faillite, et c'est donc la fabrication du coupable qui
commence, la descente aux enfers pour les époux divorçants.
Cette loi est destructrice des liens des époux avec leur entourage,
leurs proches, mais aussi, bien sûr, avec leurs enfants qui sont,
hélas, comme cela a été souligné ce matin, les
confidents privilégiés des griefs échangés. Ainsi,
nous pensons que le divorce pour faute est socialement contre-productif.
Mais ce n'est pas tout. La faute comme cause de divorce pervertit les autres
formes de divorce :
Aujourd'hui, le divorce pour faute reste en toile de fond de l'ensemble des
autres formes de divorce, en particulier du divorce par consentement mutuel. Le
divorce pour faute est la menace, le chantage qui permet aujourd'hui d'obtenir
les meilleures conditions dans un consentement mutuel. C'est donc lui qui
explique ces faux consentements mutuels, sources de contentieux
postérieurs. Nous pensons donc, comme le sénateur About,
qu'aucune pacification du divorce n'est envisageable aussi longtemps que la
faute reste une des causes possibles du divorce.
Le deuxième atout de votre proposition, Monsieur About, c'est la
simplification des procédures.
Aujourd'hui, nos concitoyens sont perdus dans le dédale de
procédures complexes, rigides et coûteuses, et le fait que cette
proposition instaure, à côté du divorce par consentement
mutuel, une seule cause de divorce nous semble représenter un
progrès important.
Nous tenons à souligner ces atouts de votre proposition puisque, si elle
ne venait pas en discussion, une réforme serait peut-être
inspirée des réflexions et des propositions comprises dans le
rapport du groupe de travail de Mme Dekeuwer-Défossez alors que ces
propositions, en termes de pacification de la rupture et de maintien des liens
parentaux, sont insuffisantes.
Le deuxième point que je souhaite aborder avec vous : les
insuffisances du rapport du groupe de travail de
Mme Dekeuwer-Défossez.
Le groupe de travail de Mme Dekeuwer-Défossez souligne la grande
nécessité de réformer le divorce ainsi que les effets
dévastateurs des procédures actuelles. Qu'il lui soit
donné acte sur ce point.
Cependant, dans ses propositions concrètes, le groupe de travail :
- maintient le divorce pour faute
- sans proposer en contrepartie la création d'un divorce objectif.
La commission propose le maintien du divorce pour faute parce que (je cite sans
les déformer les termes du rapport) :
"elle n'est pas convaincue
que les systèmes de remplacement auraient la même
flexibilité et répondraient aussi bien aux besoins des
justiciables
".
Permettez aux praticiens que sont les notaires, qui s'adressent à vous
en ce moment, de vous dire qu'ils n'ont jamais rencontré de couples
ayant divorcé pour faute qui estiment cette procédure flexible et
adaptée.
Le groupe de travail exprime cependant le souhait que le divorce pour faute
régresse, ce qui est une bonne chose. Seulement, nous nous retrouvons en
1975, époque à laquelle le législateur souhaitait
déjà que ce divorce pour faute régresse sans le supprimer.
On sait ce qu'il en est advenu vingt-cinq ans après.
L'espoir de régression du divorce pour faute est alors mis, par le
groupe de travail de Mme Dekeuwer-Défossez, dans les
aménagements du divorce pour rupture de la vie commune, mais ces espoirs
sont déçus.
Pour le groupe de travail, le divorce pour rupture de la vie commune est un
divorce objectif et il suffirait de raccourcir les délais de
séparation. Or, si on l'examine bien, le divorce qui nous est
proposé n'a rien d'objectif. Le groupe de travail réintroduit
immédiatement la notion de faute en indiquant (je cite encore le rapport
Dekeuwer) : "
ce divorce peut être imposé à un
époux non fautif
". La notion de faute réapparaît
immédiatement dans le divorce pour rupture de la vie commune.
Aussitôt, le groupe propose un arsenal de dispositions à
l'encontre du demandeur, dispositions qui prévoient notamment, selon le
groupe de travail Dekeuwer, que le demandeur continuerait à supporter
seul les charges du divorce, qu'il aurait l'interdiction absolue de se voir
attribuer une prestation compensatoire et qu'il continuerait à pouvoir
se voir refuser le divorce. C'est la clause de dureté.
Le groupe Dekeuwer propose donc que le demandeur du divorce pour rupture de la
vie commune soit "
moins bien traité que l'époux aux torts
exclusifs duquel le divorce est prononcé".
Comme on le voit, les espoirs de divorce objectif sont perdus d'avance et, plus
grave, du même coup, sont perdus les espoirs de régression du
divorce pour faute, puisque c'est précisément dans
l'avènement d'un divorce objectif que réside l'espoir de
régression du divorce pour faute.
Aussi, il nous apparaît clairement que la proposition de M. About
est beaucoup plus à même de dédramatiser et de pacifier la
rupture du lien conjugal. C'est la raison pour laquelle cette proposition, en
l'état, nous satisfait déjà.
Elle pourrait cependant -- nous le disons avec l'humilité des
praticiens que nous sommes -- être précisée ou
complétée sur certains points. C'est le troisième point
que je vous propose de voir maintenant.
Troisième point : les éléments qui pourraient
compléter la proposition About.
Nous les verrons aux trois stades du divorce : la cause, la
procédure et les effets.
En ce qui concerne la cause, j'ai peu de choses à dire. La proposition
About répond parfaitement aux voeux du Mouvement Jeune Notariat. Il
faudrait cependant, comme le soulignait ce matin le professeur Bénabent,
s'assurer que le juge n'a pas de pouvoir d'appréciation des faits qui
rendent intolérable le maintien de la vie commune.
En matière de procédures, je vais évoquer trois ou quatre
points, selon le temps que vous me laisserez : les délais, la
médiation, le principe de connexité et, enfin, le divorce par
consentement mutuel.
En ce qui concerne les délais, trois ans de séparation
préalable nous paraissent un délai trop long parce que, d'une
part, la faillite du couple nous semble irrémédiablement
consommée et facilement constatée, dès avant l'expiration
de ce délai et parce que, d'autre part, il ne faut pas sous-estimer la
longueur des procédures qui vont suivre et commencer après ce
délai de séparation préalable.
Par ailleurs, votre proposition préconise deux délais :
trois ans de séparation préalable ou bien deux ans imposés
par le juge en cas d'invocation de faits rendant intolérable le maintien
de la vie commune. Cette dualité de délai risque de
privilégier l'invocation de faits rendant intolérable le maintien
de la vie commune, ce qui semble contraire à l'objectif de votre
proposition. Un délai unique qui pourrait être d'un an nous
semblerait suffisant.
Je dirai un mot sur la médiation. Le Mouvement Jeune Notariat appelle de
ses voeux des organismes agréés de médiation. En effet,
pour que cette médiation soit efficace, il importe qu'elle ne soit pas
assurée par des professionnels de la défense judiciaire.
Je passerai rapidement sur le principe de la connexité parce que mon
confrère l'a développé. C'est ce principe qui consiste
à démarrer en même temps, d'une part, la procédure
de divorce et, d'autre part, le projet de partage des biens. Ce principe me
paraît devoir être instauré et ajouté à votre
proposition. Il a pour avantage de réduire les délais, et donc
les souffrances, et de ne pas augmenter les coûts. Il permet
également au juge de déterminer la prestation compensatoire
autrement qu'à l'aveugle, comme cela se passe actuellement. Il le fera
en connaissance de cause.
J'en viens au divorce par consentement mutuel. La proposition de
M. le sénateur About apporte peu de précisions sur
ce point et peu de modifications. On est en droit de se demander si c'est le
juge qui doit encore prononcer cette forme de divorce. En effet, comme les
époux sont d'accord, d'une part sur le principe et, d'autre part, sur
les conséquences du divorce, ils vivent leur passage devant le juge
comme une mascarade de justice.
Dans la situation actuelle d'encombrement des tribunaux, les magistrats
devraient pouvoir consacrer toute leur énergie au règlement des
situations conflictuelles. Notre société a peut-être
à assurer une meilleure utilisation de ses finances publiques
plutôt que de surcharger les juges en les obligeant à prononcer
des divorces par consentement mutuel.
M. le PRÉSIDENT
.- Je vous interromps sur ce point. Vous semblez
donc favorable à une certaine "déjudiciarisation" du
divorce ?
Mme ROLLET
.- Il ne s'agit pas d'un scoop.
M. le PRÉSIDENT
.- Nous n'en attendons pas non plus, surtout de la
part du notariat...
(Rires.)
Mme ROLLET
.- Il s'agit effectivement de savoir si ce type de divorce, en
tout cas quand il n'y a pas d'enfant, relève de la justice. Cela
pourrait être confié aux maires, par exemple...
M. le PRÉSIDENT
.- Si l'on passe du juge au maire, c'est une
certaine "déjudiciarisation".
Mme ROLLET
.- ...aux greffiers des tribunaux de grande instance mais
aussi aux notaires, qui appartiennent à l'ordre judiciaire, qui sont
nommés par l'Etat, qui ont une mission de service public et qui sont
détenteurs d'une parcelle de l'autorité de l'Etat. Par ailleurs
-- c'est un argument auquel vous serez peut-être sensibles --,
le notaire ne coûte rien aux finances publiques ; il est
réducteur de coût social.
M. le PRÉSIDENT
.- Voilà le scoop.
Mme ROLLET
.- Les maires et les greffiers de tribunaux de grande instance
ont également des arguments. Je pense qu'il faut aussi explorer ces
pistes et qu'il appartient à leurs organismes de développer leurs
arguments. En tout cas, la piste des maires et des greffiers me semble
également à explorer.
Je ferai une remarque sur les conséquences du divorce. Pour
compléter la proposition About, il me semble qu'il faut
évoquer :
- la prestation compensatoire,
- le maintien du devoir de secours
- et les dommages et intérêts.
Si la prestation compensatoire vient de faire l'objet d'une amélioration
sensible par le vote en deuxième lecture de votre assemblée, la
nouvelle loi n'a pas retenu le principe d'une limitation à un maximum.
Le Mouvement Jeune Notariat pense qu'il est très important, en
matière de prestation compensatoire, que soit établie une
échelle avec des maxima à l'intérieur desquels le juge
prendra sa décision. Ce n'est pas un scoop ni une nouveauté,
puisque vous savez qu'avant 1975, la pension alimentaire connaissait
elle-même des maxima. Donc le principe n'est pas révolutionnaire.
Sans échelle de prestation, le montant de la prestation est soumis aux
aléas de la décision judiciaire ; des coutumes judiciaires
différentes s'installent à Paris, Lyon ou Marseille. Mon
confrère faisait allusion tout à l'heure à ces coutumes
contraires pour l'application ou non du fameux article 1116 selon les
tribunaux. Avec ces coutumes, c'est le principe même de
l'égalité du citoyen devant la loi qui est en jeu.
Voilà ce que je souhaite dire sur la prestation compensatoire, qui
mérite que l'on y revienne.
L'article 33 de votre proposition envisage le maintien du devoir de secours. Il
nous semble que c'est la prestation compensatoire qui doit être
imposée dans tous les cas. Cette prestation compensatoire pouvant, dans
des cas exceptionnels, être servie sous forme de rente viagère.
M. ABOUT
.- Le texte est plus ancien que la réforme.
Mme ROLLET
.- Enfin, sur les dommages et intérêts, il ne
s'agit pas de faire disparaître la faute. Quand elle existe, elle doit
être sanctionnée, à notre avis, selon les principes communs
de la responsabilité civile, c'est-à-dire de l'article 1382. La
création d'un cas de faute spécifique au divorce ne nous
paraît pas judicieuse.
Malgré ces quelques remarques, le Mouvement Jeune Notariat affirme
fondamentalement son soutien franc et entier à cette proposition de loi,
qui est un véritable outil de pacification. A travers votre proposition,
vous avez réellement saisi que le divorce pour faute est socialement
contre-productif et mesuré l'importance que représente, pour les
familles et notre société tout entière, le maintien des
liens de l'enfant avec chacun de ses parents. Tel est l'enjeu de la suppression
du divorce pour faute et l'enjeu de votre proposition.
M. le PRÉSIDENT
.- Merci, maître. Y a-t-il des
questions ?
M. HYEST
.- Me Rollet a dit que la faute est destructrice. Certes,
mais elle est d'abord destructrice du mariage. Quand il y a violation
délibérée des obligations du mariage, vous reconnaissez
que c'est une faute, mais une faute générale, un peu comme la
faute pour responsabilité de l'article 1382.
Je me demande donc s'il faut supprimer le divorce pour faute. Comme l'a dit
Me Crémont et comme vous l'avez dit vous-même, on peut
admettre, dans un certain nombre de cas, un divorce pour cause objective avec
un aménagement du divorce pour rupture de la vie commune.
Par ailleurs, au sujet des "faits rendant intolérable le maintien de la
vie commune", je vais vous donner un exemple : si quelqu'un demande le
divorce en disant : "je n'aime plus ma femme (ou mon mari) ; j'en
aime une autre, elle est trop vieille et j'en ai retrouvé une plus
jeune ; ce sont des faits objectifs et je demande donc le divorce", cela
va apaiser les relations, parce qu'en fin de compte, c'est la volonté de
l'un qui décide de demander le divorce pour des faits qui le concernent,
lui. Il y a une limite que je ne comprends pas, objectivement, au fait que l'on
ne conserve pas le divorce pour faute.
Je comprends que l'on cherche à apaiser, mais à mon avis, on
apaise beaucoup plus si on aménage la procédure et si on fait des
efforts, si on fait tout pour que la procédure ne soit pas conflictuelle
(nous en avons déjà beaucoup parlé ce matin), mais je me
dis qu'il vaut peut-être mieux supprimer le mariage. Ce serait plus
simple.
Mme ROLLET
.- Nous partons d'un constat de la réalité. J'ai
rencontré, la semaine dernière, une épouse battue qui ne
veut pas demander le divorce pour faute, qui ne veut pas étaler les
fautes devant ses enfants et qui souhaite divorcer. Va-t-elle devoir attendre
ses six ans de séparation et subir les conséquences
désastreuses du divorce pour rupture de la vie commune actuel ?
M. le PRÉSIDENT
.- Le mari ne veut pas le divorce ?
Mme ROLLET
.- Exactement. Cela lui convient de continuer comme cela.
M. le PRÉSIDENT
.- Vous envisagez l'aménagement de la
rupture de la vie commune, ce que je comprends très bien. Nous pensons
tous que cela doit être aménagé d'une manière ou
d'une autre mais, si j'ai bien compris votre propos, vous considérez que
le délai que proposait Nicolas About, en passant de six ans à
trois ans, est encore trop long.
Mme ROLLET
.- Il me semble trop long, mais pour moi, cette question de
délai est secondaire par rapport au principe. Qu'il s'agisse de trois
ans ou de deux ans, je ne me battrai pas beaucoup là-dessus. Je constate
simplement que, derrière ce délai, il y a un délai de
procédure qui dure au moins deux ans dans certains tribunaux, ce qui me
paraît allonger les souffrances des divorçants.
M. le PRÉSIDENT
.- Une autre règle importante est
attachée au divorce pour rupture de la vie commune : c'est le seul
divorce qui est effectivement pénalisant, puisque c'est le seul qui
maintient le devoir de secours avec versement d'une pension alimentaire.
Mme ROLLET
.- Dans la proposition de Mme Dekeuwer-Défossez
(c'est d'ailleurs à son actif), on souhaite que le devoir de secours
soit remplacé, même dans ce cas, par une prestation compensatoire.
M. CRÉMONT
.- Il faut l'adapter. En l'état actuel, le texte
n'est pas suffisant.
M. le PRÉSIDENT
.- Il y a 1 % de divorces pour cause de
rupture de la vie commune, de toute façon.
M. CRÉMONT
.- Parce qu'il est impraticable.
Mme DERYCKE
.- Je voudrais vous poser une question, puisque vous
représentez les notaires -- mais vous ne pourrez peut-être
pas y répondre --, sur les problèmes matériels dont
on sait qu'ils pèsent très lourd dans les raisons
invoquées. Comme cela a été très bien dit, un
divorce qui, au départ, a été engagé par
consentement mutuel peut se transformer ensuite, parce qu'on ne se met pas
d'accord, en un divorce pour faute.
Je voudrais simplement avoir votre avis sur le fait que l'on peut faire une
réforme du divorce sans toucher aux régimes matrimoniaux.
Pensez-vous qu'il y aurait des réformes à faire à ce
sujet ? C'est une question très concrète.
J'aurai une deuxième question plus générale : pour
avoir des dommages et intérêts, il faut des cas de faute qui
soient admis. Si on n'a plus de divorce pour faute alors qu'on est
obligé de faire constater une faute pour obtenir des dommages et
intérêts, je trouve qu'il y a une incohérence.
M. le PRÉSIDENT
.- Dans ce cas, ce sont deux procédures qui
s'enchaînent : il y a d'abord une procédure de divorce,
après quoi on passe devant le juge.
M. CRÉMONT
.- Je pense que l'on peut effectivement
améliorer la procédure sans pour autant avoir
préalablement une réforme globale des régimes
matrimoniaux. Les deux ne sont pas nécessairement liés.
Mme DERYCKE
.- Certes, mais pensez-vous que ce serait quand même
utile ? Je formule ma question différemment.
M. CRÉMONT
.- Non, pas forcément. En revanche, il serait
utile (c'est d'ailleurs en cours de discussion) de faire une réforme des
droits du conjoint survivant. C'est utile et nécessaire et on en parle
depuis fort longtemps. Il semble que l'on va enfin voir sortir ce projet
déjà ancien car nous ressentons tous les jours son importance en
tant que praticiens, mais je pense que l'on déborde un peu de notre
sujet.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur la faute. Si, ce soir, pour une raison
quelconque, je ne rentre pas chez moi parce que j'ai rencontré
quelqu'un, dans l'état actuel des choses, je commets une faute. Vous
êtes bien d'accord avec moi. Si cette faute n'est plus une cause de
divorce ni de sanction pécuniaire de quelque nature que ce soit, je me
pose des questions. Si je suis simplement concubin et si je ne rentre pas ce
soir, la jurisprudence considère que, vu la rapidité de la
rupture, je vais avoir à verser des dommages et intérêts.
Mais si je suis marié, j'aurai aussi à verser des dommages et
intérêts. Où est la différence ?
Il y a une question fondamentale de symbolique du droit et de l'institution du
mariage. Le mariage, ce n'est pas le PACS. Ce n'est pas un simple contrat,
même s'il est bon que certaines conséquences de la
séparation puissent être organisées contractuellement. Il
faut l'accepter et aller dans ce sens. Donc je pense qu'il doit y avoir quelque
chose d'autre.
Mme ROLLET
.- Je voudrais compléter la réponse sur les
régimes matrimoniaux. Il faut bien voir la question de l'articulation
entre le divorce et le régime matrimonial. Faute de temps, je n'ai pas
développé la question, mais il me nous paraîtrait
très profitable que l'assignation entraîne automatiquement la
séparation de biens pour alléger la procédure de tout cet
imbroglio qui naît du maintien de la communauté pendant la
procédure.
M. HYEST
.- Vous avez tout à fait raison.
M. le PRÉSIDENT
.- Un dernier mot, monsieur About ?
M. ABOUT
.- Je souhaiterais simplement remercier les intervenants et dire
que je suis surpris d'entendre que le mariage, c'est le divorce pour faute. Je
pensais au contraire que le mariage, c'était à la limite le
pardon des offenses et qu'il s'agissait de tenter de maintenir cette
institution même au-delà des fautes commises par le conjoint. Il
semble que l'on veuille faire la démonstration de la valeur du mariage
par la possibilité de divorcer.
M. HYEST
.- Tu confonds la pénitence et le mariage...
M. ABOUT
.- En revanche, dans l'exemple que mon collègue Hyest a
donné tout à l'heure, on est dans le cadre de l'existence de
faits rendant intolérable le maintien de la vie commune. Si l'un des
époux arrive en disant : "j'ai trouvé quelqu'un d'autre et
je vais vivre avec cette personne", on ne voit pas pourquoi cela ne suffirait
pas à créer le vide. Les conséquences, c'est
l'indemnisation et tout ce que nous avons vu dans d'autres instances.
Je rappelle qu'à partir du moment où il y a des divorces, les
autres combinaisons se font forcément entre des hommes et des femmes qui
ont, eux, très souvent, divorcé tous les deux. On sait
aujourd'hui qu'en région parisienne, un couple sur deux divorce et se
recompose. Donc arrêtons de parler en termes d'hommes ou de femmes. Cela
intéresse autant les hommes que les femmes, comme on l'a vu dans la
prestation compensatoire. On voit un peu les choses par le petit bout de la
lorgnette lorsqu'on fait croire que, désormais, le problème de la
recomposition des familles ne concerne que les hommes.
Comme les notaires l'ont bien vu, c'est un problème qui dépasse
l'homme ou la femme. C'est durablement le problème des hommes et des
femmes.
Notre souci -- ce sera mon dernier mot et cela a aussi été
le premier --et l'ambition de cette proposition, c'est de faire en sorte
qu'à travers le divorce, on sépare les époux mais que, par
pitié, on sépare le moins possible les parents. Voilà le
but de cette proposition. Il s'agit de protéger les acquis et les
enfants et d'essayer de ne pas tout détruire au moment de cette
procédure.
M. le PRÉSIDENT
.- Je remercie les intervenants.
TABLEAU COMPARATIF
1
La loi n° 2000-596 du 30 juin 2000
résulte en effet des propositions de lois sénatoriales
n°
s
151 et 400 (1996-1977) présentés
respectivement par MM. Nicolas About et Robert Pagès et adoptées
le 25 février 1998 par le Sénat.
2
n° 266 (1998-1999)
3
Couple, filiation et parenté aujourd'hui - Rapport remis en
mai 1998 au ministre de l'Emploi et de la Solidarité et au Garde des
Sceaux, ministre de la Justice.
4
Rénover le droit de la famille - rapport remis en
septembre 1999 au Garde des Sceaux, ministre de la Justice.
5
Voir, notamment, le rapport du Sénat n° 481
(1997-1998), " Droit de la famille - ne pas se tromper de réforme "
- auditions publiques du 8 avril 1998.