Pour une République territoriale : l'unité dans la diversité
MERCIER (Michel)
RAPPORT D'INFORMATION 447 tome 2 (1999-2000) - MISSION COMMUNE D'INFORMATION
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N°
447
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 juin 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information (1) chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales,
Tome
II : Annexes et comptes-rendus des auditions
Par M. Michel MERCIER,
Sénateur.
(1) Cette mission est composée de : MM. Jean-Paul Delevoye, président ; Jacques Bellanger, Joël Bourdin, Paul Girod, vice-présidents ; Robert Bret, Louis de Broissia, Jean-François Picheral, Lylian Payet, secrétaires ; Michel Mercier, rapporteur ; Claude Domeizel, Patrice Gélard, Hubert Haenel, Claude Haut, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Jean-François Humbert, Philippe Marini, Gérard Miquel, Bernard Murat, Philippe Nachbar, Jacques Oudin, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Raincourt, Philippe Richert, Bernard Seillier, Guy Vissac.
Collectivités locales. |
|
Audition de M. Jean-Pierre SUEUR,
président de
l'Association des maires de grandes villes de
France
(10 février 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission d'information a tout d'abord procédé à
l'audition de M. Jean-Pierre Sueur, président de l'association des
maires de grandes villes de France (AMGVF).
Le président de l'association des maires de grandes villes de France a
déclaré que la décentralisation ne devait pas être
considérée comme une négation de l'Etat, mais comme un
remède à un Etat ankylosé. Il a estimé qu'il ne
serait pas dans la tradition française d'évoluer vers un
système fédéral où le bien commun
résulterait de l'addition de l'action de différentes
collectivités.
M. Jean-Pierre Sueur
a rappelé que, outre la suppression de la
tutelle préfectorale, les lois de décentralisation
s'étaient essentiellement traduites par l'ajout d'un niveau de
collectivité, la région, sans qu'un choix soit
opéré entre cette dernière et le département.
M. Jean-Pierre Sueur
a jugé que la décentralisation se
caractérisait désormais par son manque de clarté et de
lisibilité pour les citoyens, peu au fait de la répartition des
compétences entre les différents niveaux de collectivités.
Il a indiqué que la multiplication des contrats et des financements
croisés était, malgré l'efficacité de ces
procédures, à l'origine d'un phénomène de
" confusion des pouvoirs ". Or, a-t-il déclaré, la
décentralisation devrait plutôt consister en une
" spécialisation des pouvoirs ". Il a plaidé en faveur
d'un " nouvel âge de la décentralisation ",
marqué par une spécialisation des compétences et des
impôts.
Le président de l'AMGVF a constaté que les institutions de la
République n'avaient pas assez pris en compte, jusqu'à
présent, le fait urbain, pourtant l'une des principales
évolutions du XXe siècle. Afin de tirer les conséquences
de ce phénomène, il a indiqué que son association avait
pris position dès 1994 en faveur du développement de
l'agglomération. Il a rappelé que les décisions relatives,
notamment, aux schémas directeurs, aux plans de déplacement
urbains ou aux programmes locaux d'habitat étaient dorénavant
prises à ce niveau.
M. Jean-Pierre Sueur
a fait valoir qu'un certain nombre de secteurs
relevant de l'environnement, tels que les transports en commun ou la voirie, ne
pouvaient plus être traités ailleurs qu'au niveau de
l'agglomération.
Il a ajouté que le développement de l'intercommunalité
permettrait de renforcer les villes françaises, de taille
généralement inférieure à celles des autres pays
européens. Il a également appelé à une prise en
compte du fait urbain dans le cadre de la réforme des fonds structurels
européens, qui risquait d'être réalisée au
détriment de l'" Europe des villes ".
Puis,
M. Jean-Pierre Sueur
a considéré que la
montée en puissance des agglomérations devait s'accompagner de
l'élection au suffrage universel des organes délibérants
de ces structures, de plus en plus amenées à voter les taux de
leurs impositions, sans avoir de légitimité. Mais il s'est
néanmoins déclaré partisan du maintien des communes et des
départements.
Le président de l'AMGVF a fait valoir que, contrairement à la
situation rencontrée dans les zones rurales, la circonscription
cantonale n'avait plus de signification pour les citoyens résidant en
milieu urbain. Aussi, a-t-il suggéré de remplacer
l'élection au suffrage universel des conseillers généraux
par l'élection au suffrage universel de l'assemblée
intercommunale, laquelle désignerait des représentants au conseil
général. Il a relevé que cette réforme
n'augmenterait pas le nombre de scrutins.
M. Jean-Pierre Sueur
a souhaité que, parallèlement
à la montée en charge de l'intercommunalité urbaine, la
logique des communautés de communes et des pays se développe en
milieu rural, afin de favoriser l'émergence d'espaces de
développements structurés sur l'ensemble du territoire.
Il s'est félicité de la prise de position du Président de
la République en faveur de l'élection au suffrage universel des
assemblées d'agglomération et des communautés rurales.
Le président de l'AMGVF a considéré que la mise en oeuvre
de ses préconisations permettrait d'ouvrir la voie à une nouvelle
conception de l'échelon départemental, qui serait le lieu de
rencontre des espaces urbains et ruraux.
M. Jean-Pierre Sueur
a alors évoqué les enjeux de la mise
en place de la taxe professionnelle unique. Il s'est félicité de
la volonté du Gouvernement d'inciter à son développement
à travers la création des communautés
d'agglomération. Toutefois, il a estimé qu'en l'état, le
texte gouvernemental fondé sur le volontariat risquait de créer
une nouvelle forme d'intercommunalité et non une structure susceptible
d'absorber les établissements publics de coopération
intercommunale existants.
M. Jean-Pierre Sueur
a qualifié d'"échec"
l'expérience des communautés de villes et l'a expliqué par
le manque d'intérêt de cette solution pour les communes ayant des
bases de taxe professionnelle élevées.
Il a estimé que la loi pourrait obliger les agglomérations
à adopter le régime de la taxe professionnelle unique avec une
période transitoire de dix ans. A l'appui de cette proposition, il a
rappelé les réticences, aujourd'hui dissipées, qui
s'étaient manifestées lors de la création des
communautés urbaines.
Selon le président de l'AMGVF, une disposition obligeant les
agglomérations de plus de 100.000 habitants à adopter la taxe
professionnelle unique permettrait de transformer celles-ci en
véritables espaces de développement économique. Il a
constaté une corrélation entre les écarts de taux sur un
même territoire et l'incapacité à mettre en oeuvre une
politique cohérente en matière de développement, de
logement ou encore d'atteinte à l'environnement dans les entrées
de ville.
M. Jean-Pierre Sueur
a souligné que la réforme de la taxe
professionnelle allait affaiblir l'efficacité de la taxe professionnelle
unique. Il a fait valoir qu'un débat entre le Gouvernement et les
associations d'élus sur la fiscalité locale allait se
révéler inévitable.
Dans cette perspective, il s'est déclaré hostile à la
proposition du Conseil des impôts consistant à
" nationaliser " la taxe professionnelle. Il a insisté sur la
nécessité de maintenir un impôt liant les
collectivités locales aux entreprises. Evoquant une éventuelle
spécialisation de la fiscalité locale, il a
considéré que l'agglomération lui paraissait être le
niveau adéquat de perception de la taxe professionnelle.
M. Jean-Pierre Sueur
a par ailleurs appelé à une
réforme des modalités d'attribution des concours financiers de
l'Etat aux collectivités locales, dont la fonction
péréquatrice restait très faible.
Le président de l'AMGVF a insisté sur le rôle de l'Etat et
la nécessité d'augmenter les moyens financiers pour mener une
politique forte et ambitieuse de recomposition urbaine.
Il a également évoqué la nécessaire réforme
du mécanisme des contingents d'aide sociale, les communes comportant le
plus d'habitants défavorisés payant proportionnellement plus que
les communes mieux dotées.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a déclaré partager
l'idée selon laquelle la décentralisation était la
dernière chance de l'Etat unitaire. Il a estimé qu'un
éventuel échec de la décentralisation obligerait à
modifier radicalement l'organisation de l'Etat.
Le rapporteur s'est demandé comment, en cas de suppression du lien
électif direct des conseillers généraux, les
départements pourraient conserver leur légitimité.
Il s'est interrogé sur la coexistence éventuelle, au sein du
conseil général, d'élus désignés par
l'agglomération et d'élus issus du suffrage universel direct.
En réponse,
M. Jean-Pierre Sueur
a estimé que la
coexistence dans une même assemblée de personnes
désignées selon des règles différentes pouvait
soulever une difficulté d'ordre constitutionnel. Tout en écartant
l'idée de supprimer le département, il a néanmoins
considéré que celui-ci devait évoluer. Sans nier
l'utilité d'une représentation basée sur le territoire
aussi bien que sur la population, il a mis en avant l'obsolescence du
découpage cantonal, qui aboutit à la surreprésentation des
cantons ruraux dans les conseils généraux.
Le président le l'AMGVF a envisagé une alternative à la
suppression de l'élection des conseillers généraux au
suffrage universel, consistant à organiser les élections
municipales, intercommunales et cantonales le même jour.
M. Michel Mercier
a demandé au président de l'AMGVF si,
dans son esprit, les agglomérations avaient vocation à rester des
établissements publics ou à devenir des collectivités
locales dotées d'une clause de compétence générale.
Il a cité un récent jugement du tribunal administratif de Lyon
selon lequel une agglomération ne pouvait intervenir dans le domaine
universitaire car elle était tenue au respect du principe de
spécialité des compétences régissant les
établissements publics.
M. Jean-Pierre Sueur
a déclaré que les structures
intercommunales avaient vocation à devenir des collectivités
territoriales. Il a ajouté que des entorses au principe de
spécialité étaient fréquemment constatées.
M. Louis de Broissia
a interrogé M. Jean-Pierre Sueur sur sa
conception des relations entre les régions et les structures
intercommunales. Il s'est demandé si l'AMGVF était en mesure de
formuler des propositions concrètes en matière de
décroisement des compétences, et si elle disposait d'instruments
de mesure de l'efficacité de l'exercice d'une compétence par une
collectivité.
Evoquant le projet de loi relatif à l'intercommunalité,
M. Jean-Paul Delevoye, président
, s'est
interrogé sur l'attitude de l'Etat qui décidait d'encourager
l'intercommunalité en considérant que les dépenses de
fonctionnement des structures intercommunales urbaines méritaient
d'être plus soutenues que celles des groupements de communes rurales,
alors que l'intégration des communes devrait conduire à des
économies d'échelles, et donc à une diminution des
dépenses de fonctionnement.
Revenant sur la question de la surreprésentation des cantons ruraux dans
les conseils généraux, il s'est demandé si l'inverse
n'était pas constaté dans les conseils régionaux.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a interrogé M.
Jean-Pierre Sueur sur les orientations que pourrait prendre une nouvelle
spécialisation des compétences entre les différents
niveaux territoriaux, notamment en matière d'éducation.
En réponse,
M. Jean-Pierre Sueur
s'est déclaré
partisan de régions fortes, dotées des compétences
relatives à l'aménagement, aux infrastructures et à la
structuration de l'espace économique.
Il a affirmé son attachement à l'articulation entre la
région et les communes situées sur son territoire. Il a
cité en exemple la conférence des maires mise en place dans la
région Rhône-Alpes à l'initiative de M. Raymond Barre,
instance de dialogue entre les maires et la région.
Le président de l'AMGVF a exclu le risque de surreprésentation
des villes dans les conseils régionaux. Il a indiqué que les
élections régionales, jusqu'à présent
organisées dans le cadre du département, étaient
marquées par une forte logique départementale. Il a cité
l'exemple du conseil régional de la région Centre, où ne
siégeait aucun des maires des grandes villes de la région.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, s'est interrogé sur le
lien entre la taille d'une structure et son efficacité. Il a
constaté que les entreprises avaient tendance à quitter les
grandes villes pour s'installer dans les territoires périurbains.
Il a observé que la ville était souvent un lieu de concentration
des misères plutôt qu'un levier du développement. Il a
ajouté que s'il était exact que 80% de la population
française était aujourd'hui établie en milieu urbain, une
décomposition de cette population entre les habitants des villes-centres
et communes péri-urbaines permettrait de relativiser l'ampleur du
phénomène urbain.
M. Jean-Pierre Sueur
s'est déclaré en accord avec cette
analyse, tout en rappelant que la taille des villes françaises
était réduite au regard de celles des autres pays
européens.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a relevé que cette
situation ne constituait pas un obstacle à la croissance de
l'économie française.
Il a souligné que l'accroissement de la taille des communes allemandes
avait été lié au renforcement de leurs compétences,
notamment en matière d'éducation et de lutte contre le
chômage. Il a demandé à M. Jean-Pierre Sueur si, dans son
esprit, le renforcement des agglomérations françaises devait
être effectué à compétences constantes ou
évoluer vers le modèle allemand.
M. Jean-Pierre Sueur
a estimé que le renforcement de
l'intercommunalité était le seul moyen de préserver la
diversité du tissu communal français.
Il a considéré que le renforcement des agglomérations
françaises devait surtout s'effectuer dans le cadre d'une politique
globale. Il a rappelé que le développement des villes
était lié à un processus historique. Il a
considéré que, dans le contexte économique contemporain,
marqué par la mobilité des activités, les entreprises
pouvaient aussi bien délocaliser une partie de leurs activités
vers des pays lointains que vers des parties défavorisées du
territoire national.
S'agissant des compétences, il a insisté sur la
nécessité de revoir leur répartition en matière
sociale. Il a regretté que les maires des grandes villes touchées
par le chômage, la précarité et la délinquance ne
soient pas compétents en ces matières. Il s'est
déclaré favorable à l'expérimentation d'un
transfert aux agglomérations des compétences du
département en matière sociale. Il a fait valoir qu'en
matière d'environnement, un grand nombre de compétences devrait
être exercé à un niveau plus large. Il a par ailleurs
constaté le cumul des aides économiques versées par les
différents échelons d'administration.
M. Jean-Pierre Sueur
a ensuite affirmé son attachement à
la notion de " collectivité chef de file ".
Répondant à
M. Jean Huchon
qui s'interrogeait
sur l'opportunité d'accorder aux agglomérations une dotation
globale de fonctionnement supérieure à celle des structures
intercommunales rurales,
M. Jean-Pierre Sueur
a souligné les
charges de centralité pesant sur les agglomérations. Il a
indiqué qu'une étude récente avait montré que les
villes de plus de 100.000 habitants dépensaient 1.200 francs par an et
par habitant au financement de services qui profitaient également
à des habitants des autres communes du département.
Le président de l'AMGVF a souligné que les grandes villes se
trouvaient confrontées à une double difficulté, à
savoir, d'une part, l'obligation de supporter seules des équipements
utilisés par les habitants de l'ensemble des communes environnantes et,
d'autre part, la gestion de quartiers très difficiles.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a estimé qu'il fallait se garder
de tirer des conclusions générales de certaines situations
locales.
A propos des charges de centralité, il a constaté que les
départements participaient fréquemment au financement
d'investissements que les communes-centres ne pouvaient assumer dans leur
totalité.
M. Jean-Pierre Sueur
, tout en reconnaissant la diversité des
situations, a néanmoins réaffirmé la réalité
des charges de centralité, tant en matière d'investissement que
de fonctionnement. Il a plaidé pour une mutualisation de ces charges au
bon niveau de compétences.
Audition de M. Jean-Pierre
RAFFARIN,
président de
l'Association des régions de
France
(10 février 1999)
La
mission commune d'information a ensuite procédé à
l'audition de M. Jean-Pierre Raffarin
,
président de
l'Association des régions de France
.
M. Jean-Pierre Raffarin
a souligné deux priorités
susceptibles d'améliorer la décentralisation.
En premier lieu, il a mis en avant la nécessité d'alléger
les structures administratives et de réformer l'État. Il a
estimé que les départements ministériels au budget
inférieur à un milliard de francs n'avaient pas les moyens de
leur politique et pourraient être supprimés, en donnant l'exemple
du ministère du tourisme. En second lieu, tout en approuvant l'objectif
de clarification des compétences, il a affirmé que le contrat
devait être le moteur de la décentralisation, à la
condition qu'une collectivité chef de file assume la
responsabilité politique du projet. Il a estimé que le
cofinancement était nécessaire à un " actionnariat de
projet ", soulignant ainsi que les financements croisés ne
pouvaient être totalement évités.
Répondant à
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, qui l'interrogeait sur les évolutions
envisageables de l'organisation territoriale,
M. Jean-Pierre Raffarin
a
fait valoir que le contrat devrait permettre de résoudre les
problèmes liés à la complexité de la
répartition des compétences. Il a considéré que le
pays et l'agglomération étaient des solutions d'avenir, mais ne
devaient pas devenir des armes contre le département. En particulier, il
a recommandé la signature d'une charte entre la région et le
département.
M. Hubert Haenel
a demandé si, la décentralisation allant
de pair avec la déconcentration, il était opportun de maintenir
une organisation des services de l'Etat à la fois au niveau
départemental et régional. Il a également souhaité
connaître la position de l'Association des régions de France sur
les expériences récentes menées en matière de
régionalisation des transports ferroviaires.
M. Jean-Pierre Raffarin
s'est déclaré favorable à
la déconcentration et a souligné le rôle du préfet,
partenaire privilégié des collectivités locales. Il a
regretté que tous les services extérieurs de l'État ne
soient pas encore subordonnés à l'autorité du
préfet, en particulier dans le domaine de l'éducation où
l'absence d'autorité hiérarchique du préfet sur le recteur
conduit à des dysfonctionnements.
Il s'est déclaré favorable à la régionalisation des
transports ferroviaires dans son principe, mais réservé quant
à sa mise en oeuvre, un contrat ne pouvant être signé
qu'avec un partenaire qui, disposant d'une comptabilité analytique,
présenterait toutes les garanties de transparence comptable et
financière. Il a par ailleurs souhaité que le Parlement soit le
garant des contrats conclus entre l'État et les collectivités
territoriales.
De façon générale, il a approuvé la pertinence de
l'exemple espagnol, les régions n'ayant pas le même degré
de décentralisation, en fonction des situations locales.
En réponse à
M. Bernard Murat
,
M. Jean-Pierre
Raffarin
a précisé que, pour être efficace, un bon
contrat devait être caractérisé par une règle
financière, c'est-à-dire l'établissement d'une enveloppe
budgétaire pluriannuelle, par la définition de critères
d'éligibilité des projets, et par la désignation d'une
collectivité chef de file chargée du suivi.
A
M. Jean-Paul Delevoye, président,
qui se demandait si le
récent " plan Lycées " du Gouvernement ne
s'éloignait pas de ces critères,
M. Jean-Pierre Raffarin
a
répondu que l'enveloppe de 4 milliards de francs annoncée
excédait très largement l'effort financier réel de
l'État, puisque que cette enveloppe désignait l'encours de
prêts bonifiés, alors que seuls les intérêts seraient
à la charge de l'État. De plus, il a remarqué que deux
questions posées par les régions n'avaient pas trouvé de
réponse, à savoir si les établissements d'enseignement
privés avaient droit à ces prêts bonifiés, et si la
durée de remboursement pouvait être portée de douze
à quinze ans.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a noté que le ministre
de l'éducation nationale préconisait de nouvelles exigences
pédagogiques, susceptibles d'aggraver les charges supportées par
les collectivités locales.
M. Jean-Pierre Raffarin
a regretté que l'Etat utilise
le contrat pour imposer des transferts de charges aux collectivités dans
des domaines qui relevaient de ses responsabilités propres. Il a
souligné que le contrat devait être utilisé pour exercer
une compétence et non pour la transférer.
M. Michel Mercier
ayant observé que le contrat pouvait
avoir pour effet d'orienter l'action d'une autre collectivité, voire
d'organiser la tutelle d'une collectivité sur une autre,
M. Jean-Pierre Raffarin
a estimé que la
collectivité chef de file devait pouvoir coordonner la mise en oeuvre
des projets, mais dans le cadre d'une charte signée au préalable
entre la région et les départements. Il a mis en avant la
nécessité de préciser clairement dans le contrat le
montant de l'effort financier par habitant.
Répondant à
M. Bernard Murat
qui l'interrogeait sur la
participation de personnes privées à des contrats conclus entre
collectivités publiques,
M. Jean-Pierre Raffarin
a estimé
que cette solution, bien que juridiquement difficile à mettre en oeuvre,
était retenue dans certains cas.
En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président,
M.
Jean-Pierre Raffarin
a estimé que le développement des
nouvelles technologies remettrait en cause la " logique du
gigantisme " selon laquelle seules les grandes collectivités
seraient efficaces.
Audition de M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT,
ministre de
l'Intérieur
(2 mars 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission d'information a procédé à
l'audition de
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.
En préambule,
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a
indiqué que la mission envisageait d'orienter ses réflexions sur
le bilan et l'avenir de la décentralisation autour de trois axes
principaux : l'efficacité de l'action publique, l'évolution
des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales,
l'exercice de leurs responsabilités par les acteurs de la
décentralisation et, en particulier, les élus locaux.
M. Jean-Pierre Chevènement
a constaté que, depuis dix-sept
ans, la décentralisation avait modifié l'organisation
administrative et politique de notre pays et qu'elle s'était
enracinée dans l'organisation des pouvoirs publics. Il a rappelé,
à cet égard, que les collectivités locales assuraient
à travers leurs budgets les trois quarts des dépenses
d'investissements publics civils en France.
Il s'est félicité que la décentralisation ait
entraîné la multiplication des foyers d'initiatives et de
responsabilités et qu'elle ait amélioré la participation
des citoyens à la vie publique.
Il a déclaré que le Gouvernement veillait à ce que les
collectivités locales aient les moyens d'assurer leur mission et qu'il
souhaitait approfondir le champ de leurs responsabilités.
Pour conforter et faciliter les missions des collectivités locales, le
Gouvernement intervient dans les domaines de la démocratie locale, des
moyens financiers, de la sécurité juridique et de la
déconcentration.
M. Jean-Pierre Chevènement
a estimé que la réforme
du scrutin régional et celle du cumul des mandats participaient au
renforcement de la vie démocratique locale.
Ainsi, la réforme du mode de scrutin régional a pour objet de
dégager des majorités stables de gestion dans les
régions ; la limitation du cumul des mandats vise à tenir
compte du fait que la décentralisation avait permis le
développement de collectivités locales puissantes et alourdi les
responsabilités qui pèsent sur certains exécutifs locaux.
S'agissant des moyens financiers,
M. Jean-Pierre Chevènement
a
indiqué que le Gouvernement souhaitait donner aux collectivités
locales des marges de manoeuvre financières suffisantes.
Il s'est félicité que les investissements locaux, notamment ceux
des communes, aient progressé de plus de 10 % en 1998 par rapport
à 1997 et que l'évolution des prélèvements fiscaux
locaux soit, dans le même temps, maîtrisée.
Il a souligné que le contrat de croissance et de solidarité
portant sur les dotations de l'Etat permettrait une visibilité accrue de
l'évolution des dotations versées aux collectivités
locales sur trois ans, en prenant en compte une fraction croissante du taux
d'évolution du PIB pour le calcul de la dotation globale de
fonctionnement (DGF), tout en augmentant les efforts de
péréquation à travers la dotation de solidarité
urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR).
Il a estimé néanmoins que les directives européennes et la
réglementation nationale relative à la mise aux normes de
certains services publics locaux auraient un impact financier lié
à la normalisation des équipements.
S'agissant de la sécurité juridique des décisions locales,
M. Jean-Pierre Chevènement
a déclaré que cette
question était devenue une préoccupation essentielle des
élus locaux en raison de l'accroissement des contraintes imposées
par le droit administratif et la multiplication de dispositions pénales.
A cet égard, il a relevé que le droit de la commande publique
avait été étendu aux délégations de service
public et que la technicité de la matière se doublait d'un
" éparpillement juridique " en raison des contraintes
liées à la transposition du droit communautaire.
Il a observé que le code pénal avait été
complété et précisé par des dispositions
répressives en matière d'usage des fonds publics, qu'il incluait
la notion nouvelle de délit non intentionnel relatif à la mise en
danger d'autrui et qu'il posait le principe de la responsabilité
pénale des collectivités locales pour des activités
faisant l'objet de conventions de délégation de service public.
Il a relevé que la " pénalisation de l'activité
administrative " résultait également de la multiplication
des incriminations pénales inscrites dans diverses lois.
Il a souligné par ailleurs que l'évolution des comportements
avait accru les risques de contentieux : si le délit d'imprudence a
toujours existé, de nombreuses poursuites pénales reposent
désormais seulement sur la méconnaissance d'une règle de
droit public interprétée comme une obligation de
sécurité. Les victimes tendent à privilégier la
mise en cause de la responsabilité pénale des décideurs
publics plutôt que leur responsabilité administrative.
M. Jean-Pierre Chevènement
a considéré que, si le
principe de précaution dans la prise de décision publique devait
systématiquement prévaloir sur toute autre préoccupation,
il en résulterait un risque de sclérose, voire d'immobilisme.
Rappelant que la loi du 13 mai 1996 avait déjà permis de
mieux prendre en compte la situation particulière des élus
lorsque leur responsabilité était mise en cause, il a
souhaité " aller plus loin " en renforçant les
équipes techniques et administratives préparant les
décisions des élus ainsi que par un meilleur encadrement de la
fonction publique territoriale.
Afin de stabiliser le cadre juridique des collectivités locales, il a
annoncé la parution, en milieu d'année, de la partie
réglementaire du code général des collectivités
territoriales.
Concernant le contrôle de légalité, il a envisagé
l'étude d'un renforcement de l'interministérialité pour
l'élaboration des instructions aux préfets, la diffusion plus
rapide de l'information juridique vers les préfectures grâce
à la constitution d'une banque de données juridiques et aux
possibilités du réseau intranet ainsi que l'amélioration
de l'évaluation grâce à des outils statistiques plus
élaborés et plus fiables. Il a souhaité le
développement de la mission de conseil des préfets aux
collectivités locales, en particulier dans les domaines des
marchés publics et de l'urbanisme, tout en refusant d'entrer dans une
" logique de certification " des décisions des
collectivités locales.
S'agissant de la déconcentration des pouvoirs de l'Etat, il s'est
prononcé en faveur du rôle accru des préfets au sein du
collège des chefs de services départementaux.
Evoquant, dans un second volet, le thème de l'adaptation et de
l'approfondissement de la décentralisation,
M. Jean-Pierre
Chevènement
a déclaré que le Gouvernement ne
souhaitait remettre en cause aucun des niveaux de collectivités
territoriales consacrés en 1982, qui avaient chacun leur
légitimité et remplissaient chacun leur rôle.
Ne voyant, à l'heure actuelle, aucune justification à un
" bouleversement " des institutions locales, il a exprimé le
souhait de faire évoluer la décentralisation sans rompre
l'équilibre actuel.
Il a indiqué que le projet de loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire visait
à préparer et organiser la nouvelle génération des
contrats de plan et à favoriser la recherche de nouveaux
équilibres pour le développement du territoire à travers
la notion de pays et celle d'agglomération.
Par ailleurs, il a indiqué que le projet de loi sur le renforcement et
la simplification de la coopération intercommunale constituerait une
nouvelle étape de la décentralisation en permettant notamment le
développement de la taxe professionnelle unique d'agglomération.
Soulignant que le département était une institution
profondément enracinée au niveau local et que la commune
était par excellence " l'instance de la démocratie de
base ",
M. Jean-Pierre Chevènement
a considéré
que le développement de l'intercommunalité était la
meilleure voie pour apporter le correctif nécessaire au très
grand nombre et à la diversité des communes.
Refusant " d'opposer le rural et l'urbain ", il a
précisé que le projet de loi avait pour objet de faciliter
l'instauration progressive de la taxe professionnelle urbaine,
d'améliorer les incitations financières, d'assouplir les
règles de liaison entre les taux des taxes directes locales et
d'instaurer des dispositions particulières pour la région
d'Ile-de-France.
Evoquant la clarification des compétences,
M. Jean-Pierre
Chevènement
a déclaré partager l'approche pragmatique
du précédent gouvernement en vue de corriger et d'ajuster le
domaine d'attribution partagée entre l'Etat et les collectivités
locales.
Il a rappelé que la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte
contre les exclusions s'était attachée à mieux organiser
la coopération de l'Etat, des départements et des communes dans
un domaine qui demeurait par nature une compétence partagée.
Il a précisé que, dans le même esprit, le Parlement aurait
à débattre prochainement du projet de loi relatif à la
couverture maladie universelle (CMU) et de celui portant sur les interventions
économiques des collectivités locales.
Concernant la CMU,
M. Jean-Pierre Chevènement
a rappelé
que le projet de loi, élaboré à partir des propositions de
M. Jean-Claude Boulard, prévoyait une extension universelle de la
couverture de base de la sécurité sociale ainsi qu'une couverture
complémentaire à toutes les personnes ayant de faibles revenus.
Il a précisé que le dispositif entraînait la suppression de
l'assurance personnelle dont la compétence relève actuellement,
à titre subsidiaire, des départements et que les discussions
engagées avec l'Assemblée des présidents de conseils
généraux (APCG) avaient conduit à retenir également
le transfert vers l'Etat de la couverture complémentaire.
Concernant les contingents communaux d'aide sociale, il a indiqué qu'une
réforme serait engagée afin d'éviter que la
recentralisation de l'aide médicale n'entraîne une baisse de la
contribution des communes.
S'agissant du soutien de l'initiative économique,
M. Jean-Pierre
Chevènement
a indiqué que le contenu du futur projet de loi
serait exposé par M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction
publique, tout en précisant qu'il s'agissait de sécuriser les
décisions des élus locaux en matière de soutien à
l'emploi et de clarifier les responsabilités respectives de chacun.
En conclusion,
M. Jean-Pierre Chevènement
a fait part de
" sa volonté pragmatique de consolider, autant que faire se peut,
le grand oeuvre de la décentralisation ".
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné que
l'asphyxie financière et judiciaire qui menaçait les
collectivités locales justifiait d'autant plus une réflexion sur
l'efficacité de l'action publique.
Concernant la fiscalité locale, il a constaté que la
décentralisation avait parfois accru les écarts entre les
collectivités locales et que l'Etat n'avait pas su assumer son
rôle péréquateur. Il s'est interrogé sur la mise en
place de nouveaux outils fiscaux pour favoriser la péréquation.
Constatant que les dépenses des collectivités locales tendaient
à augmenter plus vite que l'inflation et que l'évolution des
dotations de l'Etat, il s'est demandé quelles mesures étaient
envisagées pour que l'Etat contribue à la maîtrise des
dépenses locales.
S'agissant des transferts de charges, il a constaté que les
collectivités locales étaient de plus en plus sollicitées
pour participer, dans un cadre contractuel, aux dépenses dans le domaine
social, de l'éducation ou de la sécurité et il s'est
interrogé sur l'opportunité de nouveaux transferts de
compétences qui tiendraient compte des évolutions
observées.
M. Jean-Pierre Chevènement
a tout d'abord constaté que le
contrat de croissance et de solidarité était plus favorable pour
les collectivités locales que le pacte de stabilité
financière prévu par M. Alain Juppé. Il a fait état
du taux satisfaisant de progression de la DGF en 1999 (2,7 %).
Concernant la réforme de la taxe professionnelle, tout en reconnaissant
que le fait d'attribuer un impôt propre à chaque catégorie
de collectivités locales pouvait être considéré
comme un réel facteur de responsabilisation,
M. Jean-Pierre
Chevènement
a estimé que l'autonomie de la gestion
décentralisée n'avait pas nécessairement pour corollaire
le recours à la fiscalité directe locale. Il a souligné
que, chez nos principaux partenaires en Europe, la part relative des ressources
transférées par l'Etat, par rapport à celles
résultant de la fiscalité propre, était plus importante
qu'en France.
Revenant sur la loi de finances pour 1999, il a précisé que
l'exonération de la part salariale de la taxe professionnelle, qui
représentait en moyenne une diminution du tiers du montant de la
contribution, constituerait un élément positif important pour les
entreprises et que le manque à gagner pour les collectivités
locales était intégralement compensé par un versement
indexé sur la DGF.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président
,
qui s'interrogeait sur le niveau d'évolution des bases de taxe
professionnelle par rapport à celui de la DGF,
M. Jean-Pierre
Chevènement
a remarqué que l'augmentation de la masse
salariale sur les huit dernières années avait été
moins rapide que celle de la DGF.
Enfin, il a estimé que la réforme de la taxe professionnelle ne
remettait nullement en cause le projet du Gouvernement d'harmoniser les taux de
taxe professionnelle grâce à l'instauration d'une taxe
professionnelle unique (TPU).
M. Jean-Pierre Chevènement
a indiqué par ailleurs que le
Gouvernement envisageait, après analyse des simulations en cours, de
mettre en oeuvre la révision des valeurs locatives cadastrales à
partir de 2001, progressivement sur quatre ans, conformément au voeu
déjà émis par le Comité des finances locales en
1996.
Il a rappelé que l'Etat s'engageait, dans le cadre d'un mécanisme
de lissage, à prendre en charge le coût pour le contribuable de
l'augmentation de la taxe d'habitation, de la taxe foncière sur les
propriétés bâties ou de la taxe foncière sur les
propriétés non bâties pour la fraction dépassant un
niveau fixé en valeur absolue ou par rapport à un taux
d'évolution.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné que, dans un
dispositif où l'Etat maîtrise, en réalité,
près des trois quarts des facteurs d'évolution des
dépenses des collectivités locales et où la progression
des dotations de l'Etat tend à se ralentir en raison de la baisse de
l'inflation, les collectivités locales seraient inéluctablement
conduites à recourir de manière accrue à la
fiscalité. Il a souligné, par ailleurs, la dérive des
coûts liés à la distribution de l'eau et à la
collecte des ordures ménagères.
M. Jean-Pierre Chevènement
s'est déclaré conscient
du poids de la fixation de normes toujours plus contraignantes, en particulier
en matière d'incinération des déchets ménagers et
d'épuration de l'eau. Rappelant qu'une évaluation du coût
de ces normes avait été demandée au Comité des
finances locales, il a souhaité que celles-ci puissent être mises
en oeuvre avec plus de progressivité.
Concernant la prise en charge des dépenses d'investissements sur les
bâtiments universitaires, il a considéré qu'il
n'était pas anormal de solliciter les régions, les
départements ou les communes intéressés par la
présence, sur leur territoire, d'une filière de recherche et il a
fait remarquer que les dépenses de fonctionnement des universités
demeuraient en tout état de cause à la charge de l'Etat.
En réponse à une observation de M. Jean-Paul Delevoye,
président,
M. Jean-Pierre Chevènement
a
souligné qu'il n'était pas intervenu légalement de
transfert de compétences en matière d'enseignement
supérieur, tout en se demandant si les collectivités locales
auraient intérêt à un tel transfert, dans la mesure
où les dépenses universitaires pouvaient s'avérer
relativement lourdes selon les besoins de la recherche.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a souligné que la
responsabilisation des élus locaux allait traditionnellement de pair
avec le droit de voter l'impôt. Il s'est demandé si
l'approfondissement de la décentralisation n'appelait pas une
réforme de la fiscalité locale et si la suppression de la
composante salariale de la taxe professionnelle était compatible avec la
volonté du Gouvernement de faciliter l'unification des taux de cette
taxe au niveau des bassins d'emploi ou des bassins de vie. Il s'est
inquiété du foisonnement des dispositifs conventionnels de
financement entre l'Etat et les collectivités locales et il s'est
interrogé sur la reconnaissance qui pourrait être utile d'un droit
à l'expérimentation.
En réponse,
M. Jean-Pierre Chevènement
a
considéré que l'harmonisation des taux de la taxe professionnelle
pouvait être conduite en même temps que la réforme de la
taxe professionnelle prévue dans la loi de finances pour 1999 dans la
mesure où les deux tiers des bases de cette taxe sont maintenus.
S'agissant de la réforme de la fiscalité locale, il a
réaffirmé que, dans des pays tels que la Grande-Bretagne,
l'Allemagne et l'Italie, où les collectivités locales jouent un
rôle essentiel, la part des ressources locales provenant des dotations de
l'Etat était plus importante qu'en France.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a observé que la
comparaison devrait porter à la fois sur les compétences
exercées et les moyens financiers attribués.
Concernant les dispositifs de cofinancement contractuel,
M. Jean-Pierre
Chevènement
a admis que leur multiplication pouvait entraîner
une certaine confusion dans le partage des compétences, tout en
constatant que les collectivités locales étaient fortement
motivées pour participer à ces dispositifs et que le
législateur ne pouvait pas interdire le développement des
partenariats. Il a souhaité néanmoins une harmonisation des
rythmes d'intervention des différentes procédures contractuelles.
S'agissant du droit à l'expérimentation, il a
considéré que celui-ci était largement ouvert aux
collectivités locales à l'intérieur du champ des lois
actuelles, en soulignant qu'il fallait éviter les risques de confusion
ou de rupture du principe de l'égalité des citoyens.
M. Daniel Hoeffel
a appelé de ses voeux une clarification des
compétences en matière universitaire et il a souhaité que
l'on tire les conséquences du plan Université 2000 en
transférant aux régions la charge des travaux de construction ou
de maintenance des bâtiments universitaires, tout en procédant au
transfert des ressources nécessaires.
M. Jean-Pierre Chevènement
a rappelé que le transfert de
compétences relatif aux lycées avait entraîné une
explosion des dépenses à la charge des régions et il a
jugé qu'il serait prudent, avant toute réforme, d'évaluer
avec précision les besoins en matière d'investissement et de
maintenance des universités.
M. Lylian Payet
a appelé l'attention sur les
particularités institutionnelles de La Réunion qui constitue une
région " monodépartementale ". Evoquant les
inconvénients respectifs de la création d'une assemblée
délibérante unique et de la création d'un second
département, il a préconisé l'instauration d'un
" conseil mixte " qui serait compétent pour trancher les
problèmes importants concernant les deux collectivités locales
concernées ainsi qu'un renforcement de la déconcentration.
M. Jean-Pierre Chevènement
a considéré que, sur ce
dossier délicat et difficile, il serait souhaitable que les deux
assemblées élues de La Réunion formulent chacune un voeu
allant dans le même sens afin de faciliter l'action du Gouvernement.
En complément d'une observation de
M. Jean-Paul Delevoye,
président
, qui soulignait l'utilité de prévoir des
contrats de plan " à géométrie variable " pour
les départements et territoires d'outre-mer,
M. Jean-Pierre
Chevènement
a considéré que la " globalisation
des moyens " pouvait être une solution.
M. Paul Girod
a souligné que, du fait de la réforme de la
taxe professionnelle, les communes qui auront incité des entreprises
à s'implanter sur leur territoire seront pénalisées
puisque leur taxe professionnelle ne tiendra plus compte de la masse salariale
imputable aux nouveaux emplois créés. Il s'est interrogé,
à cet égard, sur les objectifs poursuivis à travers la
remise en cause de la liaison entre les taux des taxes directes locales.
Par ailleurs, il a souligné que, dès lors que le
législateur habilitait juridiquement le " pays " à
passer des contrats, il prenait le risque de le transformer en un nouvel
échelon de collectivité territoriale.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a estimé que le
" pays " devait demeurer une structure informelle et souple sous
forme d'une association d'élus qui ne devait pas donner lieu à la
création de " structures figées ". Il a souligné
l'ambiguïté à cet égard du dispositif prévu
par le projet de loi sur l'aménagement du territoire.
M. Jean-Pierre Chevènement
a rappelé que le texte du
projet de loi adopté par l'Assemblée nationale indiquait que le
pays pouvait être " adossé " à un syndicat mixte
de collectivités locales, à un groupement d'intérêt
public ou à une communauté de communes. Il a souligné que,
dans ces conditions, le " pays " n'avait pas vocation à
devenir une nouvelle collectivité locale, ni un échelon
administratif supplémentaire.
Concernant la taxe professionnelle, il a rappelé que la compensation
versée aux communes en contrepartie de la suppression de la part
salariale aurait un effet péréquateur en faveur des communes qui
perdent des emplois sur leur territoire.
Il a estimé que les mesures destinées à assouplir les
règles de liaison entre les taux des taxes locales introduites dans le
projet de loi relatif à l'intercommunalité étaient sans
lien avec la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, en
souhaitant que l'on fasse confiance au sens de la responsabilité des
élus locaux pour ne pas pénaliser excessivement les entreprises.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a estimé qu'il faudrait
procéder à un bilan précis de la réforme de la taxe
professionnelle afin de savoir si l'argument relatif à la
péréquation était bien justifié.
M. Joël Bourdin
a souligné la double contrainte qui pesait
sur les collectivités locales du fait de l'abaissement du plafond de la
taxe professionnelle par rapport à la valeur ajoutée et du
relèvement de la cotisation minimale et il s'est demandé si une
réflexion ne devait pas être ouverte pour asseoir la taxe
professionnelle sur la valeur ajoutée.
M. Gérard Miquel
s'est interrogé sur l'importance des
écarts entre le montant de la DGF par habitant pour les nouvelles
communautés d'agglomérations et pour les communautés de
communes. Il a souhaité que la taxe des ordures ménagères
distingue le coût de la cotisation imputable à la collecte de
celui relatif au traitement des ordures ménagères.
S'agissant de l'assiette de la taxe professionnelle,
M. Jean-Pierre
Chevènement
a souligné qu'il convenait de laisser un
" espace vital " entre le plafond et le plancher prévus pour
le calcul des cotisations de taxe professionnelle. Il a rappelé que la
valeur ajoutée était calculée au niveau de l'entreprise et
non pas de ses établissements locaux, ce qui rendait difficile la mise
en oeuvre de cette assiette pour calculer une taxe locale.
Concernant le financement des structures intercommunales, il a tout d'abord
rappelé que, si l'intercommunalité avait progressé en
milieu rural, elle avait enregistré en revanche un échec au
niveau des communautés de ville. Il a considéré que le
montant de la dotation de base par habitant était fixé, sous la
responsabilité du comité des finances locales, afin d'assurer une
juste péréquation des charges entre les différentes
catégories de structures intercommunales.
Il a estimé intéressante l'idée de distinguer deux niveaux
relatifs à la collecte et au traitement pour le recouvrement de la taxe
sur les ordures ménagères.
Audition de M. Emile ZUCCARELLI,
ministre de la
fonction
publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation
(16 mars 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a procédé à l'audition de
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation
.
Le ministre a tout d'abord souligné la volonté du Gouvernement de
poursuivre la décentralisation, au moyen de trois projets de loi
complémentaires, relatifs à l'aménagement durable du
territoire, à la coopération intercommunale et aux interventions
économiques des collectivités territoriales.
Il a rappelé l'installation récente, en février 1999,
du Conseil national de l'évaluation des politiques publiques, dont les
travaux seront utiles aux collectivités territoriales. Il a noté
qu'un nombre croissant de politiques publiques nécessitait la mise en
oeuvre de moyens à l'échelle intercommunale.
S'agissant de la modernisation des finances locales, il a souligné que
le contrat de croissance et de solidarité renforcerait la
péréquation entre collectivités et que la suppression de
la part salariale de la taxe professionnelle favoriserait les petites
entreprises créatrices d'emplois.
Il a souhaité que l'approfondissement de la décentralisation
respecte les libertés locales, l'unité nationale et
l'efficacité administrative.
M. Emile Zuccarelli
a déclaré que la réforme de
l'État -à la fois national et territorial- était
nécessaire pour recréer le pacte républicain. Se
présentant comme un " jacobin décentralisateur ", il a
affirmé que la décentralisation n'était pas un partage de
souveraineté. Il a rappelé que le pacte républicain
était fondé sur l'égalité d'accès aux
services publics et il a souligné le rôle de l'Etat pour mettre en
oeuvre les nécessaires solidarités, prenant l'exemple du projet
de couverture maladie universelle (CMU).
Il a noté que le préfet devait fédérer l'ensemble
des compétences de l'Etat pour une meilleure gestion de proximité
et que la déconcentration, outil de modernisation de l'administration,
devait permettre de passer d'une logique de moyens à une logique de
résultats au niveau local.
Il a préconisé le développement de la contractualisation
des politiques publiques, apte à concilier l'esprit de la
décentralisation et la solidarité républicaine, et
donné en exemple les " maisons des services publics ", dont le
cadre juridique est précisé dans le projet de loi relatif aux
droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
M. Emile Zuccarelli
a ensuite souligné que l'approfondissement de
la décentralisation devait s'exercer de manière pragmatique, sans
opposer Paris et province, rural et urbain, secteur privé et fonction
publique.
Il a reconnu que l'enchevêtrement des compétences constituait un
problème réel auquel ne pouvait être apportée de
réponse simple.
A propos du projet de loi relatif aux interventions économiques des
collectivités territoriales, il a observé que dans ce domaine,
intéressant a priori la région, la notion de " bloc de
compétences " s'était révélée
irréaliste, puisque tous les niveaux de collectivités
participaient au soutien de l'activité économique, sur des bases
juridiques au demeurant fragiles.
Observant que la notion d'intervention économique était difficile
à cerner, il a annoncé que le projet de loi supprimerait la
distinction artificielle entre aides directes et aides indirectes.
Il a indiqué qu'en 1996, les interventions économiques des
collectivités territoriales s'étaient élevées
à 14 milliards de francs, à comparer au budget total des
collectivités locales qui s'élevait à près de
800 milliards de francs, les communes occupant le premier rang avec
5,7 milliards, les régions versant 4,7 milliards et les
départements 3,3 milliards de francs.
Bien qu'une simplification du système institutionnel puisse
paraître opportune à certains, il a écarté
l'idée de remettre en cause le nombre de niveaux de collectivités
territoriales.
En matière de répartition des compétences, il a
également préconisé le pragmatisme tout en reconnaissant
qu'une meilleure lisibilité serait souhaitable.
Il a indiqué que le projet de loi relatif aux interventions
économiques protégerait les collectivités territoriales
contre les pressions et les inciterait à la mutualisation des risques en
limitant le niveau des aides en fonction de leur budget, un pourcentage plus
important étant réservé aux groupements, en particulier
les communautés d'agglomération.
Il a ajouté que le projet de loi étendait aux départements
la possibilité de participer au capital de sociétés de
capital-investissement à hauteur de 20 %, rappelant que la
région pouvait intervenir à hauteur de 50 %. Il a
précisé que les aides seraient, en outre,
différenciées selon la taille et l'implantation
géographique des entreprises et pourraient ainsi varier de 7,5 à
25 % du montant de l'investissement.
M. Emile Zuccarelli
a ensuite évoqué les projets du
Gouvernement en matière de fonction publique territoriale. Il a
jugé que le dispositif statutaire élaboré en 1984
était désormais achevé, mais qu'il était possible
d'améliorer le recrutement, la formation et le déroulement de
carrière des fonctionnaires territoriaux, afin d'établir une
réelle parité avec la fonction publique de l'Etat.
Il a relevé que les administrateurs territoriaux
bénéficieraient d'une mobilité sur des postes
d'administrateurs civils avant fin 1999. Il a indiqué que les
propositions contenues dans le rapport de M. Rémy Schwartz seraient
soumises au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale le
30 mars 1999, précisant qu'il s'agissait d'améliorer la
gestion des emplois supérieurs, d'abaisser de 5.000 à
3.500 habitants le seuil des emplois fonctionnels, d'assouplir les quotas
de promotion interne, de permettre le recrutement d'un secrétaire
général adjoint dès 10.000 habitants, et de
réformer les concours, en particulier les concours sur titres, pour
s'adapter à l'évolution des métiers et aux besoins des
collectivités locales.
En matière d'aménagement et de réduction du temps de
travail, il a déclaré que le rapport remis par
M. Jacques Roché ferait l'objet d'une concertation et d'un
débat au sein des Conseils supérieurs des trois fonctions
publiques, puis que le Gouvernement présenterait ses conclusions au
Parlement.
En conclusion, il a déclaré que les réformes conduites
pour approfondir la décentralisation et réformer l'État
avaient pour objet de permettre aux décideurs de faire face à
leurs responsabilités dans un pays en profond changement.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, ayant souhaité
obtenir des précisions sur les projets du ministre en matière de
réforme de l'Etat et de déconcentration,
M. Emile
Zuccarelli
a rappelé qu'il avait présenté au conseil
des ministres une charte pour la réforme de l'Etat le
5 novembre 1997. Tout en souhaitant réaffirmer le pouvoir de
coordination des préfets sur les services déconcentrés, il
a noté que l'autorité des préfets ne pouvait s'exercer de
la même façon à l'égard des différents
services et d'un département à l'autre. Il a jugé
préférable de proposer une " boîte à
outils ", incluant la déconcentration des crédits, afin que
les préfets choisissent le mode d'organisation le plus adapté
à leur département.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a appelé
l'attention du ministre sur la nécessaire prévention des risques
juridiques encourus par les maires, soulignant que les mises en cause devant la
juridiction pénale pouvaient freiner l'action publique.
M. Emile Zuccarelli
a signalé que des " pôles de
compétences juridiques " dans les préfectures
amélioreraient l'exercice du contrôle de légalité.
Il a observé que la clarification des règles était
nécessaire pour réduire l'insécurité juridique
pesant sur les décideurs locaux, en particulier dans le domaine des
interventions économiques des collectivités territoriales.
A
M. Jean-Paul Delevoye, président
, qui remarquait que le
contrôle de légalité ne valait pas sécurité
juridique, il a répondu qu'il souhaitait une
homogénéisation des jurisprudences des chambres régionales
des comptes.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a constaté qu'en
matière d'aide sociale, les collectivités locales,
appréciant la situation de chaque demandeur, apportaient une aide
personnalisée, alors que l'Etat ne faisait que verser des allocations
générales. Il a craint que la couverture maladie universelle
(CMU), correspondant à la suppression de la compétence des
départements en matière d'aide médicale, ne conduise
à faire financer par les départements une compétence
recentralisée, dans la mesure où la CMU serait financée
par prélèvement sur la dotation générale de
décentralisation des départements.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a rappelé que les
communes versaient 1,5 milliard de francs aux départements au titre
du contingent d'aide sociale et il a observé que la CMU priverait de
justification cette contribution.
S'agissant des interventions économiques des collectivités
territoriales,
M. Michel Mercier, rapporteur
, a souhaité
savoir si le projet de loi tiendrait compte de la circulaire du Premier
ministre en date du 8 février 1999, visant à encadrer
les aides publiques pour les mettre en conformité avec le droit
communautaire.
M. Emile Zuccarelli
a répondu que le
projet de loi était conforme aux dispositions du droit communautaire, en
particulier la règle générale de concurrence et le
principe de non-intervention. Mais il a expliqué que le plafonnement des
aides pourrait faire l'objet de dérogations, à condition que
l'Etat et les collectivités locales concluent une convention en ce sens
et la notifient aux autorités communautaires.
Relevant que la Chancellerie se préoccupait peu du risque pénal
encouru par les maires,
M. Bernard Murat
a demandé un
engagement du Gouvernement pour faire avancer ce dossier avant les
élections municipales de 2001. Il a plaidé en faveur d'un
véritable statut de l'élu.
M. Emile Zuccarelli
a reconnu que les élus, qui se doivent
d'être aussi intègres que vigilants, étaient souvent pris
au piège d'une réglementation trop complexe. Il a
préconisé la simplification des règles applicables, citant
l'exemple de la refonte du code des marchés publics, et mis en avant
l'aide apportée aux élus par la création des pôles
de compétences juridiques dans les préfectures.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souligné
qu'à la différence de la juridiction civile ou de la juridiction
administrative, la juridiction pénale mettait en cause la
responsabilité personnelle de l'élu. Il a souhaité que la
responsabilité personnelle ne soit pas engagée en cas de risques
imprévisibles.
M. Gérard Miquel
a proposé d'expérimenter le
regroupement des directions départementales de l'agriculture (DDA) et de
l'équipement (DDE), celles-ci étant complémentaires. Il a
regretté la difficulté de mettre en oeuvre
l'intercommunalité, citant l'exemple de la création d'un centre
intercommunal d'action sociale. De manière générale, il a
craint qu'en raison des risques juridiques encourus les élus ne soient
conduits à se limiter à une gestion au quotidien, au
détriment de politiques plus innovantes, en particulier dans les petites
communes.
M. Louis de Broissia
s'est inquiété de la
contradiction qui existait parfois entre l'exercice du contrôle de
légalité et l'avis rendu par la chambre régionale des
comptes.
En matière de fonction publique territoriale, il a souhaité la
suppression des mesures discriminatoires entre les fonctions publiques, mettant
en avant la difficulté pour une collectivité locale de recruter
un sous-préfet.
Il a estimé que la réforme de l'Etat ne devrait pas être
imposée par l'administration centrale mais résulter de
propositions de simplification émises par des cercles de
réflexion composés d'élus. Enfin, il a observé que
l'instrument de contrôle des dysfonctionnements de la
décentralisation existait, sous la forme des chambres régionales
des comptes, mais qu'à l'inverse aucune institution actuellement
n'évaluait la performance des élus locaux.
M. Emile Zuccarelli
a fait part des possibilités nouvelles
offertes aux petites communes par les projets de loi relatifs à
l'aménagement du territoire et aux droits des citoyens dans leurs
relations avec les administrations, puisque la commune par convention pourrait
partager du personnel avec une agence postale.
S'agissant du regroupement entre DDA et DDE, il a souligné que les
expériences de fusion s'étaient soldées par un
échec, alors qu'elles avaient le mérite de limiter le nombre
d'interlocuteurs auxquels devaient s'adresser les collectivités locales.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souhaité savoir
quelle serait la souplesse accordée aux employeurs locaux en
matière de politique sociale en faveur de leurs collaborateurs, et si
dans le cadre de l'intercommunalité les primes des agents seraient
soumises à la règle de plafonnement. Il a regretté les
divergences d'appréciation des chambres régionales des comptes
selon les régions.
M. Bernard Murat
ayant souhaité que les
collectivités puissent recruter des salariés du secteur
privé exerçant des métiers nouveaux pour lesquels
n'existerait pas de filière de la fonction publique territoriale,
M.
Emile Zuccarelli
a réaffirmé le principe de la
carrière, mais a reconnu qu'il était possible de compléter
les filières en fonction des nouveaux métiers.
En conclusion,
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a
estimé nécessaire que la prise de risque continue à
caractériser l'action publique.
Audition de Mme Martine
BURON,
vice-présidente de
l'Association des petites villes de France (APVF),
de M. Claude HAUT,
membre du Bureau,
et de M. Adrien ZELLER,
vice-président
(24 mars 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission commune d'information a tout d'abord procédé à
l'audition de
Mme Martine Buron, vice-présidente de
l'Association des petites villes de France
(APVF),
et de
M.
Claude Haut, membre du bureau
, puis
de M. Adrien Zeller,
vice-président
de cette association.
Mme Martine Buron
a présenté l'association des petites
villes de France (APVF), qui, regroupant les villes de 3.000 à
20.000 habitants, représente l'échelon public le plus proche
des citoyens. Elle a jugé que les petites villes offraient
l'accès à leurs services et équipements non seulement
à leurs résidents, mais aussi à la population
environnante, ce qui occasionnait pour elles une charge supplémentaire
dite de " centralité ".
Mme Martine Buron
a fait part de l'attachement que l'APVF porte au
principe d'un aménagement équilibré du territoire, qu'il
s'agisse du maillage des territoires ruraux par les villes ou de la
répartition des services dans les grandes agglomérations. Elle a
considéré que l'APVF s'inscrivait en faux tant contre la
désertification que contre une métropolisation excessive.
Evoquant le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, elle s'est déclarée
attentive aux schémas de services collectifs qui consacrent, à
son sens, une reconnaissance de la présence des services publics dans
les petites villes. Elle a évoqué les dispositions de ce projet
de loi relatives à la contractualisation entre collectivités et
particulièrement entre les régions et les petites villes.
Mme Martine Buron
a jugé que le développement de
l'intercommunalité, dans le cadre de la discussion actuelle au
Sénat du projet de loi sur le renforcement et la simplification de la
coopération intercommunale, permettait d'aborder la question des
" charges de centralité ". Elle a considéré que
la France avait eu, de longue date, une démarche volontariste en
matière d'intercommunalité, qui devait être poursuivie.
Elle a estimé que la nécessaire polyvalence de fonctions
assumées par les petites villes les rendait particulièrement
attentives à la notion de " chef de file " du projet de loi
sur l'aménagement du territoire, pour organiser les actions communes aux
différents niveaux de collectivité, au lieu d'une clarification,
par blocs, de la répartition des compétences. Jugeant toutefois
nécessaire une évolution de la répartition de ces
compétences,
Mme Martine Buron
a illustré son propos de
deux exemples :
- alors que la compétence en matière d'action sociale est
dévolue au département, le projet de loi sur la
coopération intercommunale propose une intervention en la matière
des communautés d'agglomérations ; cette compétence
pourrait également être partagée par les petites villes et
les pays ;
- pour l'application des normes environnementales et sanitaires, la
compétence des communes en la matière est, pour les plus petites
d'entre elles, peu cohérente avec leur manque de moyens humains,
techniques et financiers, et constitue un facteur d'insécurité
juridique.
Mme Martine Buron
a ensuite abordé le sujet du statut de la
fonction publique territoriale. Souhaitant que les principes régissant
la fonction publique territoriale ne soient pas mis en cause, elle a
considéré que leur application à des employeurs tels que
les petites villes conduisait souvent à des difficultés de
gestion du personnel. En matière de recrutement, elle a
évoqué les problèmes posés dans les filières
sociales et culturelles, ainsi que la difficulté des
collectivités pour créer des postes à horaires
réduits ou variables. Jugeant que les petites communes étaient
souvent appelées à former les jeunes fonctionnaires territoriaux,
elle a souhaité qu'une durée minimale d'emploi dans la
collectivité de première affectation leur soit imposée.
Elle a enfin évoqué les problèmes posés, pour la
gestion des carrières, par le système des quotas d'avancement,
qui créent des blocages, dans les petites villes, à la promotion
des agents.
Mme Martine Buron
a également évoqué le
problème de la formation des élus et de leur statut.
En matière de finances locales,
Mme Martine Buron
a jugé
indispensable une meilleure stabilité des ressources des
collectivités locales et une sécurité accrue quant
à leur évolution. Elle a considéré, à titre
personnel, que la spécialisation de l'imposition locale pour chaque
niveau de collectivité n'était pas un corollaire indispensable
à leur autonomie. Evoquant l'exemple danois, elle a estimé que
les ressources des collectivités pouvaient, à condition
d'être déterminées de façon claire et
concertée, provenir, pour l'essentiel, de l'Etat, sans que l'autonomie
des collectivités dans l'utilisation de ces deniers ne soit remise en
cause. Elle a, par ailleurs, jugé indispensable la mise en oeuvre rapide
de la révision des valeurs cadastrales servant d'assiette à la
taxe d'habitation.
Mme Martine Buron
a considéré qu'une meilleure
concertation entre l'Etat et les collectivités locales était
nécessaire. En particulier, elle a jugé que les
collectivités territoriales devraient être systématiquement
consultées, voire associées, à la préparation des
textes législatifs et réglementaires ayant un impact financier ou
juridique sur la gestion locale. Elle a considéré l'exemple
autrichien comme particulièrement intéressant à cet
égard, et évoqué la disproportion de moyens entre les
associations d'élus françaises et certaines de leurs voisines
mieux dotées en la matière, comme au Royaume-Uni.
Mme Martine Buron
a condamné l'inflation législative
actuelle, ainsi que la multiplication des outils juridiques de
contractualisation entre les collectivités. Elle a souhaité une
plus grande homogénéité, sur le territoire, de
l'application du contrôle de légalité et du contrôle
financier de l'Etat sur les collectivités. A cet égard, elle a
souhaité accroître la concertation entre, d'une part, ces
collectivités, et, d'autre part, les services préfectoraux, les
chambres régionales des comptes et les tribunaux administratifs en vue
d'une aide à la décision pour les élus locaux, à
condition d'un renforcement de leurs moyens humains. Elle a condamné le
recours croissant au droit pénal en matière de gestion locale,
qui entraîne une confusion entre les responsabilités politique,
civile et pénale des élus.
M. Claude Haut, membre du bureau de l'APVF
, a souligné
l'intérêt que portent les petites communes à
l'intercommunalité, qui leur permet de travailler ensemble sur des
projets d'aménagement rural ou urbain. Il a regretté que le
projet de loi du Gouvernement propose des seuils, en termes de population, ne
permettant pas de prise en compte des petites villes. Jugeant que les
communes-centre de 3.000 à 20.000 habitants supportent
d'importantes " charges de centralité ", il a souhaité
que leur soit allouée une aide financière plus importante que ne
le prévoit le projet de loi du Gouvernement.
Répondant à une question de
M. Jean-Paul Delevoye,
président, Mme Martine Buron
a indiqué qu'elle
souhaitait, plutôt qu'une clarification des compétences entre les
différents niveaux des collectivités, leur meilleure
articulation, jugeant que, si la spécialisation des compétences
pouvait être adaptée aux collectivités territoriales plus
éloignées des citoyens, il n'était pas opportun d'exclure
les petites communes de tel ou tel domaine d'intervention.
Répondant à
M. Jean-Paul Delevoye, président,
sur
l'éventualité d'un transfert de compétences en
matière de police,
Mme Martine Buron
a considéré
que le maire d'une petite ville ne pouvait assumer les risques -dont la
réalisation se concrétise par une mise en cause de sa
responsabilité- liés à des incidents tels que le
dysfonctionnement d'un abattoir ou d'une station d'épuration.
Un échange de vues s'est alors instauré entre
M. Jean-Paul
Delevoye
,
président
,
Mme Martine Buron
et M. Claude
Haut
sur l'autonomie fiscale des collectivités et les dotations
budgétaires de l'Etat à ces collectivités.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, a estimé que,
depuis les lois de décentralisation, un transfert de charges
s'était opéré, de l'Etat aux collectivités, au
détriment de ces dernières.
Mme Martine Buron
a considéré que, malgré
l'expérience, parfois décevante, des collectivités
territoriales françaises en la matière, les exemples
étrangers montraient qu'il était possible d'instaurer, par la
loi, voire par une inscription dans la constitution, de meilleures
règles pour la définition des dotations de l'Etat aux
collectivités.
M. Paul Girod
a évoqué la récente réforme de
l'assiette de la taxe professionnelle, tendant à en faire
disparaître la part salariale. Il a regretté que la compensation
prévue, dans le cadre de la loi de finances, par l'Etat, ne permette pas
de tenir compte de l'incidence de futures créations d'entreprises. Il a
jugé lourde la procédure de constitution des pays prévue
par le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire.
Evoquant des exemples de constitution de pays,
Mme Martine Buron
a
souhaité que la loi conserve une certaine souplesse, afin de tenir
compte de la diversité des territoires concernés.
M. Claude
Haut
a corroboré ce point de vue.
M. Adrien Zeller, vice-président de l'APVF,
a indiqué que
les régions étaient désormais capables d'assurer certaines
missions mal exercées par l'État, par exemple les politiques en
direction des PME et PMI, de l'environnement, du patrimoine ou du tourisme. Il
a estimé que les collectivités locales étaient en mesure
de rendre un service de meilleure qualité que l'Etat, à
coût identique, et qu'il était nécessaire d'éviter
les " doublons ". Constatant que l'Etat sollicitait constamment le
financement de ses compétences par la région, il a
considéré qu'un nouveau transfert de compétences
permettrait un meilleur usage des fonds publics, puisque les
collectivités agissaient sous le double contrôle de
légalité et financier.
Puis il a fait part des inquiétudes des petites villes,
confrontées au développement des métropoles, à la
tertiairisation de l'économie et à l'exigence de rationalisation
des services publics, citant l'exemple de la suppression par l'Etat de postes
de policiers nationaux, sans concertation avec les collectivités
concernées.
M. Adrien Zeller
a estimé que de nombreuses politiques, comme
celles de l'emploi et de la formation, seraient pertinentes au niveau du
" pays ". Il a souhaité que le rôle de centralité
des petites villes soit mieux reconnu et que les régions, lors de la
négociation et de la signature des contrats de plan avec l'Etat,
prennent davantage en compte le rôle des villes " relais ".
Il a préconisé une clarification de la répartition des
compétences, qui admette l'existence de compétences variables
d'une région à l'autre, au lieu d'un modèle uniforme. Il a
observé que deux voies étaient envisageables, une
répartition des compétences à géométrie
variable, ou le développement des délégations de
compétences, la seconde solution permettant à la région,
demeurant compétente en matière de soutien aux entreprises, de
déléguer cette compétence au département.
Il s'est prononcé en faveur de la délégation de
compétences à titre expérimental, à l'image du
secteur des transports ferroviaires, à condition que la démarche
s'appuie sur un contrat et prévoie l'évaluation en cours de
réalisation et un bilan.
S'agissant du débat sur l'autonomie des collectivités locales,
M. Adrien Zeller
a affirmé que l'augmentation des
dotations de l'Etat au détriment de la fiscalité directe locale
ne signifiait pas une perte d'autonomie pour les collectivités, comme le
montraient les nombreux exemples européens, à la condition que
les dotations tiennent compte des charges imposées aux
collectivités par l'Etat. Pour répondre à cette condition,
a-t-il indiqué, il conviendrait que la dotation globale de
fonctionnement soit indexée sur l'évolution de la masse salariale
des collectivités locales, en incluant les effets du glissement
vieillesse technicité (GVT), selon le principe " qui décide
paie ", puisque les rémunérations dans la fonction publique
territoriale dépendent de décisions de l'Etat s'imposant aux
employeurs territoriaux, et que les rémunérations
représentent 45 % des dépenses des communes.
En conclusion,
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est
félicité qu'ait été posée la question de la
répartition des compétences, à géométrie
variable ou déléguées, et a pris acte des points de vue
exprimés sur le débat opposant fiscalité locale et
dotations de l'Etat.
Audition de M. Frédéric
NÉRAUD,
secrétaire général de la
Fédération nationale des maires
ruraux
(24 mars 1999)
La
mission d'information a ensuite procédé à l'audition de
M. Frédéric Néraud, secrétaire
général de la Fédération nationale des maires
ruraux
.
En préambule,
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a
souhaité que
M. Frédéric Néraud
présente à la mission sa lecture des lois de
décentralisation et de leur application.
M. Frédéric Néraud
a indiqué qu'il
partageait le sentiment général et qu'il considérait que
la décentralisation était une réussite incontestable. Il a
distingué trois acquis majeurs de la décentralisation : une
contribution essentielle des collectivités à l'équipement
du pays et à l'amélioration du cadre de vie, une meilleure
efficacité des politiques publiques grâce à l'atout de la
proximité, une gestion des finances locales globalement très sage.
Il a reconnu toutefois que la décentralisation était
limitée par certaines faiblesses et par des facteurs de blocages. Ainsi,
la décentralisation est restée aux yeux de nombreux citoyens une
réforme technocratique et complexe : ils ne savent toujours pas
exactement qui fait quoi. D'autre part, l'abondance et la
sévérité des normes applicables, élaborées
sans concertation et sans prendre en compte les contraintes financières
des communes conduit, selon lui, à une recentralisation insidieuse.
M. Frédéric Néraud
a également fait
remarquer que les transferts de charges s'étaient poursuivis depuis 1982
sans être compensés par le transfert de ressources
correspondantes, en contradiction avec l'esprit et la lettre des lois de
décentralisation. Il a noté que les disparités de
développement entre les collectivités s'étaient
aggravées durant les dix dernières années en raison de
l'insuffisance du rôle péréquateur de l'Etat.
Enfin,
M. Frédéric Néraud
a regretté
que la réforme des finances locales qui aurait dû logiquement
accompagner la décentralisation ne soit pas intervenue et il a
dénoncé l'accroissement de la pression fiscale locale dont la
responsabilité ne doit pas incomber entièrement aux
collectivités locales.
M. Frédéric Néraud
a déclaré que
la décentralisation, facteur de démocratie et
d'efficacité, devait être relancée. Dans une France
entièrement décentralisée, l'Etat pourrait recentrer son
action sur certaines missions stratégiques : aménagement du
territoire, arbitrage, application des lois.
M. Frédéric Néraud
a défini six
orientations :
- développer les solidarités, par une péréquation
financière plus efficace et une stabilisation des dotations de
l'Etat ;
- rechercher une meilleure efficacité dans l'exercice, par les
collectivités locales, de leurs compétences, et notamment
désigner une collectivité chef de file pour chaque
compétence partagée à plusieurs niveaux ;
- renforcer la concertation pour l'élaboration des normes, et
différencier leur application selon les collectivités ;
- réformer la fiscalité locale, et d'abord réviser les
valeurs locatives, prélude indispensable à une
péréquation plus efficace ;
- améliorer les conditions d'exercice de leur mandat par les
élus, et notamment assouplir les règles de la fonction publique
territoriale pour permettre aux élus de recruter les collaborateurs dont
ils ont besoin ;
- enfin, mieux associer les citoyens à la vie locale.
Il a souhaité, en conclusion, que l'approfondissement de la
décentralisation fasse l'objet d'une réflexion d'ensemble,
préférable à l'accumulation de désengagements
sectoriels de l'Etat.
M. Jean-Paul Delevoye
a demandé à M.
Frédéric Néraud de préciser ses propositions
concernant la péréquation.
M. Frédéric Néraud
a indiqué qu'il
préconisait un renforcement de la péréquation de la taxe
professionnelle dans le sens d'une plus grande efficacité. Il s'est
étonné que 30.000 communes sur 36.000 soient éligibles au
fonds de péréquation de la taxe professionnelle. Opposé
à une nationalisation de la taxe professionnelle, qui priverait les
collectivités de la nécessaire maîtrise de leurs moyens, il
s'est prononcé en faveur du développement de la
péréquation entre collectivités.
En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président, il a
souligné l'isolement des communes rurales et regretté
l'insuffisante déconcentration des moyens de l'Etat.
Audition de M. Jean-Louis CHAUZY,
président de
l'assemblée permanente des présidents des
conseils
économiques et sociaux régionaux,
et de M. Pierre
TROUSSET, président d'honneur
(7 avril 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
M.
Jean-Louis Chauzy, président de l'assemblée permanente des
présidents des conseils économiques et sociaux
régionaux,
a relevé que les conseils économiques et
sociaux régionaux (CESR), créés par la loi du
5 juillet 1972, étaient installés depuis vingt-cinq ans.
Soulignant la grande diversité de leur fonctionnement selon les
régions,
M. Jean-Louis Chauzy
a regretté la
dépendance économique des conseils vis-à-vis de
l'exécutif régional. Rappelant que les crédits du CESR
étaient inscrits au budget de la région et notifiés par le
président du conseil régional, il a souhaité que les
conseils économiques et sociaux régionaux
bénéficient d'une plus grande autonomie financière.
M. Jean-Louis Chauzy
a fait part de la consultation menée par les
préfets de région, en vue de la révision de la composition
du CES régional. Il a rappelé que les conseils étaient
composés de trois collèges, le premier représentant les
entreprises et activités professionnelles non salariées, à
parité numérique avec le deuxième représentant des
organisations syndicales de salariés, le dernier collège
représentant les organismes qui participent à la vie collective
de la région, une quatrième catégorie de conseillers
économiques et sociaux régionaux regroupant des
personnalités qualifiées.
En souhaitant que les conseillers soient davantage représentatifs de la
société, il a évoqué l'idée d'une
parité numérique entre les trois collèges de conseillers,
afin d'assurer une meilleure représentation des associations.
M. Jean-Louis Chauzy
a rappelé que le conseil
économique et social régional, assemblée consultative,
s'exprimait par des avis et rapports communiqués au conseil
régional, certains avis présentant un caractère
obligatoire, d'autres étant sollicités par le président du
conseil régional. Il a souligné que le CESR disposait de la
faculté d'auto-saisine pour se prononcer sur toute question entrant dans
les compétences de la région. Il a souhaité que le
président du conseil économique et social régional puisse
présenter des avis directement devant l'exécutif régional,
et non devant la seule assemblée délibérante.
M. Pierre Trousset, président d'honneur de l'assemblée
permanente des présidents des conseils économiques et sociaux
régionaux,
a estimé nécessaire de poursuivre la
décentralisation en améliorant la lisibilité de la
répartition des compétences et des responsabilités. Il a
affirmé qu'il ne pouvait y avoir de décentralisation
réelle sans donner aux régions une dimension politique, avec des
compétences claires assorties des ressources correspondantes, mais
qu'une telle volonté politique faisait défaut, comme l'avait
illustré le débat sur le mode de scrutin régional. Il a
rappelé que l'assemblée des présidents des CES
régionaux s'était prononcée en faveur d'un mode de scrutin
proche du scrutin municipal organisé dans la circonscription
régionale. Il a regretté la fragilité des exécutifs
régionaux résultant du mode de scrutin finalement retenu et
souligné la difficulté à dégager des
majorités relatives, non seulement au sein de l'assemblée, mais,
ce qui lui paraissait plus grave pour la région, au sein même de
la commission permanente.
M. Pierre Trousset
a exprimé son attachement à la fonction
consultative du conseil économique et social régional. Il a
estimé que, sans se substituer au pouvoir délibératif de
l'assemblée ou au pouvoir décisionnel de l'exécutif, le
CES régional associait démocratie représentative et
démocratie participative. Il a jugé souhaitable que les avis et
propositions du conseil économique et social régional
éclairent les choix de l'exécutif régional et de
l'assemblée délibérante, tout en respectant le pouvoir de
décision lié à l'élection au suffrage universel.
Il a mis en avant le bilan largement positif des conseils économiques et
sociaux régionaux, précisant que les dysfonctionnements
constatés pouvaient aisément être surmontés si le
CESR, assemblée consultative, évitait tant de s'ériger en
assemblée politique, que de se cantonner dans un rôle purement
formel.
M. Pierre Trousset
a ensuite fait part de quelques pistes de
réforme. Il a souhaité que la modification, par voie
réglementaire, de la composition des CESR se traduise par la suppression
de la quatrième catégorie de membres du conseil économique
et social, celle des personnalités qualifiées, permettant ainsi
le rééquilibrage en faveur de la représentation du monde
associatif. De plus, il a jugé primordial que les personnes
désignées par les différents organismes soient
effectivement en activité, les retraités
bénéficiant d'une représentation spécifique.
Afin de garantir la liberté d'expression et l'indépendance du
conseil économique et social au sein de la région,
M. Pierre
Trousset
a appelé de ses voeux un véritable statut du
conseiller économique et social régional, évoquant la
proposition de loi sur ce sujet déposée par
M. Jean-Paul Delevoye. Il a suggéré que le droit
à la formation des conseillers soit reconnu et que leur régime
indemnitaire ne relève plus de l'autorité régionale mais
soit fixé au niveau national, par référence à
l'indemnité perçue par les élus régionaux.
M. Jean-Louis Chauzy
a ensuite abordé la question des
conférences régionales de l'aménagement et du
développement du territoire (CRADT), mises en place par la loi du
4 février 1995. Il a rappelé que la CRADT était
une instance de concertation où étaient représentés
l'Etat, les exécutifs des collectivités territoriales, les
structures intercommunales, ainsi que le conseil économique et social
régional.
Il a regretté les orientations retenues par le projet de loi
présenté par Mme Dominique Voynet, tendant à modifier
la composition de la CRADT, en incluant des représentants des
activités économiques et sociales et des associations qui ne
seraient pas membres du CESR.
Rappelant que la CRADT était le lieu unique où pouvaient se
réunir les représentants de l'État, des
collectivités locales et des partenaires économiques et sociaux,
il a insisté sur les dangers d'une double représentation des
forces économiques et sociales, susceptible d'aggraver certains
problèmes de communication.
M. Pierre Trousset
a regretté le nombre trop faible des
représentants du CESR au sein des CRADT.
S'agissant de la répartition des compétences et de
l'efficacité de l'action publique,
M. Jean-Louis Chauzy
a
considéré que la région était la
collectivité la mieux placée pour organiser la solidarité
et la péréquation, mais qu'elle n'en avait pas les moyens. Il a
souligné l'importance des trois compétences essentielles de la
région, à savoir l'action économique, l'aménagement
du territoire et la formation professionnelle.
Evoquant la question des compétences de l'Etat que les régions
seraient susceptibles d'assumer, en particulier l'enseignement
supérieur, il a estimé que le plan " U3M " ne devrait
pas être négocié comme l'avait été le plan
" Universités 2000 ". Il s'est déclaré
réservé sur l'adage qui voudrait que les transferts d'aujourd'hui
seraient les compétences de demain, soulignant que l'Etat avait
imposé aux régions des transferts de charges sans nouveaux
transferts de compétences. Il a ajouté que la mise en oeuvre de
la notion de collectivité " chef de file " n'avait de sens que
précédée d'une clarification des compétences.
M. Jean-Louis Chauzy
s'est interrogé sur l'émergence de la
notion de " territoire de projet " en mettant en garde contre la
tendance à opposer le territoire " institutionnel " au
territoire " vécu ".
Il a estimé que le canton, périmètre de solidarité
bien défini en milieu rural, n'était plus adapté en milieu
urbain.
M. Pierre Trousset
a regretté que les financements
croisés, associés à une répartition des
compétences peu lisible, engendrent une complexité croissante
aussi bien pour les citoyens que pour les élus. Il a souhaité une
analyse des surcoûts dus aux financements croisés.
Il a indiqué que les régions étaient prêtes à
exercer des compétences actuellement dévolues à l'Etat,
notamment en matière d'éducation. Il a souligné que la
moitié du budget régional était consacrée aux
dépenses correspondant aux compétences transférées
en matière d'éducation et de formation professionnelle, mais que
la région ne faisait que financer la construction et l'entretien des
infrastructures, sans intervenir sur le contenu des enseignements. Constatant
de surcroît que le quart du budget régional correspondait aux
dépenses contractualisées avec l'Etat et que 15 %
étaient dévolus au transport ferroviaire, il a regretté la
faible marge de manoeuvre des régions.
M. Pierre Trousset
a relevé que la notion de collectivité
" chef de file " évoquée à l'occasion du
débat sur le projet de loi d'orientation relatif à
l'aménagement du territoire laissait sous-entendre que pouvait
être réglée " au cas par cas " la question de la
collectivité compétente. Il a jugé
préférable de redéfinir au préalable la
répartition des compétences de façon plus
générale.
En particulier, il a souhaité que l'éducation fasse l'objet d'un
transfert de compétence explicite, l'Etat conservant le monopole de la
délivrance des diplômes.
En matière de développement économique,
M. Pierre
Trousset
a redouté que le projet de loi relatif aux interventions
économiques préparé par le Gouvernement affaiblisse la
compétence de la région en ce domaine et limite sa
capacité d'intervention.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a demandé si
l'indépendance financière du conseil économique et social
régional devait être assurée par des ressources autonomes,
en instaurant par exemple une fiscalité additionnelle régionale,
ou si les CESR devait continuer à dépendre du budget
régional mais suivant des clés prédéfinies, voire
des minima.
M. Bernard Seillier
a demandé si une
homogénéisation du statut des conseillers économiques
régionaux était souhaitable.
M.
Pierre Trousset
a repoussé l'idée
d'une fiscalité additionnelle mais a fait savoir que le débat sur
les ressources du CES régional et le statut des conseillers était
ouvert au sein de l'association des présidents de CESR.
A
M. Jean-Paul Delevoye, président,
qui s'interrogeait sur la
nécessité de tirer les leçons du plan
" Universités 2000 " à l'occasion de la
négociation du plan " U3M ",
M. Jean-Louis Chauzy
a confirmé que le financement devait s'accompagner d'un transfert de
compétence et que le rôle de la région ne devait pas
être limité à la construction des établissements
mais inclure le contenu pédagogique.
M. Jean-François Humbert
a noté que la région
finançait la construction des campus universitaires sans que la loi ne
lui en donne la compétence.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
étant revenu sur le
débat entre territoire " vécu " et territoire
" institutionnel ",
M. Pierre Trousset
s'est
déclaré favorable à l'élection au suffrage
universel des conseillers des futures communautés d'agglomération
et à une meilleure reconnaissance du pays.
M. Bernard Seillier
s'est demandé si le mode de
désignation des membres du CESR permettait d'assurer une
représentation des professions émergentes.
M. Jean-Louis Chauzy
a cité en exemple le fait qu'il
n'avait pas trouvé d'interlocuteurs au sein du CESR qu'il préside
pour la rédaction d'un rapport sur l'exclusion
.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
approuvé par
M. Jean-François Humbert,
a noté que la présence de
personnalités qualifiées pouvait contribuer à
améliorer la représentativité du CES régional.
M. Pierre Trousset
a observé que des personnalités
qualifiées pourraient toujours être nommées par le biais
d'un des trois collèges existants et que la représentation en
trois tiers renforcerait l'autorité des organismes dotés du
pouvoir de nomination.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a approuvé l'idée
que la désignation au CES régional corresponde à
l'exercice de compétences réelles.
Abordant ensuite la question des politiques européennes
territorialisées,
M. Pierre Trousset
, présentant le
rapport de mission remis en avril 1998, intitulé " Pour une
efficacité renforcée des politiques structurelles
communautaires ", a estimé que les régions devaient affirmer
leur place dans les politiques communautaires, d'autant plus que l'Etat
entendait la participation de l'échelon régional non comme celle
des conseils régionaux mais comme celle des préfets de
région.
Il a noté l'importance des montants financiers en jeu, soit
100 milliards de francs versés par l'Union européenne en six
ans, complétés par 200 milliards de francs au niveau national, et
il a remarqué que la prochaine génération des contrats de
plan (2000-2007) se caractériserait par une plus grande concentration
des aides distribuées.
Audition de M. Jean PUECH,
président de
l'Assemblée des départements de
France
(27 avril 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à l'
audition de M. Jean
Puech, président de l'Assemblée des départements de France
(ADF).
M. Jean Puech
a considéré que la mondialisation, qui
s'accompagne d'une prise de décision à un échelon de plus
en plus élevé, suscite chez le citoyen le désir de mieux
appréhender l'action publique. Il a jugé, en outre, que la mise
en place de l'Euro permettrait une comparaison des modes de fonctionnement des
différentes collectivités européennes. Dans un contexte
où, particulièrement en France, les prélèvements et
les dépenses publics sont élevés, il a estimé que
le contribuable devenait de plus en plus exigeant quant à l'utilisation
des deniers publics. Il a affirmé que la décentralisation,
à son sens irréversible, permettait de satisfaire ces nouvelles
exigences.
Il a rappelé que les lois de décentralisation ont mis en oeuvre
une logique de transfert de blocs de compétences aux
collectivités territoriales. Il a cité les propos du ministre de
l'intérieur de l'époque, qui affirmait que la
décentralisation simplifierait l'action publique, en s'appuyant sur
l'exemple de l'attribution des écoles aux communes, des collèges
aux départements, des lycées aux régions, des
universités à l'Etat.
M. Jean Puech
a estimé que la pratique de la
décentralisation avait pourtant entraîné l'émergence
de missions partagées entre collectivités, soit à la
demande de l'Etat, qui a encouragé les logiques contractuelles
permettant la mise en commun de moyens et de financements, soit à
l'initiative des collectivités, qui ont souhaité mettre en
oeuvre, avec des partenaires, de nouvelles politiques. Il a
considéré que l'instauration d'un " chef de file " pour
ces actions communes permettrait d'organiser et de clarifier ces partenariats.
Il a souligné que le Sénat avait d'ailleurs proposé
d'inscrire, au projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, une définition de cette
notion, élaborée avec la participation des présidents de
trois associations d'élus : l'Association des maires de France,
l'Association des régions de France et l'Assemblée des
départements de France.
M. Jean Puech
a évoqué la possibilité de nouveaux
transferts de compétences, suggérée lors d'un
récent congrès de l'ADF. Il a estimé que le
département disposait, dans le domaine social, d'un réseau
efficace, dont l'organisation pourrait être mieux articulée avec
les autres acteurs de la politique de la ville. Il a considéré,
à cet égard, que ce dernier était qualifié pour
traiter, de façon privilégiée, des questions de
délinquance et de protection de l'enfance. Il a indiqué que le
département, chargé de l'insertion, était
désormais, à ce titre, un partenaire actif de la formation
professionnelle, compétence régionale, les actions respectives
des collectivités pouvant être organisées sous la forme
d'un " chef de filat " régional.
En matière d'environnement,
M. Jean Puech
a jugé que,
malgré le silence des lois de décentralisation, le
département avait pris des initiatives importantes pour la collecte et
le traitement des déchets.
Il a considéré que le département avait un rôle
particulièrement actif pour la mise en oeuvre de la politique
structurelle européenne, en collaboration avec la région.
S'agissant de l'enseignement,
M. Jean Puech
a indiqué que, dans
l'éventualité où la gestion des universités serait
transférée aux régions, les départements
pourraient, le cas échéant, envisager de prendre en charge les
lycées. Il a estimé que la gestion des collèges
n'était pas facilitée par l'insuffisance de financement, par
l'Etat, de postes d'ATOS (Personnel administratif, technicien, ouvrier et de
service).
En matière d'interventions économiques des collectivités,
il a souhaité rester dans le cadre d'une mission partagée entre
les différents acteurs locaux. Souhaitant une
complémentarité sur ce sujet, il a estimé que le
département était mobilisé davantage sur la
création et le développement des petites et moyennes entreprises,
l'artisanat, l'octroi d'avances remboursables et l'aide à l'immobilier,
les régions axant davantage leur action sur la
recherche-développement et l'innovation.
S'agissant des questions sociales, il a considéré que les
départements avaient démontré leur efficacité dans
la gestion de l'action sociale, dont les dépenses étaient
désormais maîtrisées. Il a jugé que le projet de loi
sur la couverture maladie universelle devrait simplifier l'accès des
usagers à la protection sociale, l'ADF y étant en
conséquence favorable. Il a indiqué que
80 départements avaient d'ailleurs déjà
confié, par convention, aux caisses primaires d'assurance maladie la
gestion de leur action en la matière. Il a évoqué la
possibilité de supprimer le système des contingents communaux
d'aide sociale, dont il a jugé l'organisation actuelle peu conforme
à l'esprit des lois de décentralisation, les communes
étant sollicitées alors que les départements
décident.
M. Jean Puech
a estimé que la définition
arrêtée par le Sénat de la notion de " chef de
file " permettrait de répondre à la demande de clarification
et de responsabilisation s'agissant des actions communes à plusieurs
collectivités.
En matière de fiscalité locale, il a jugé que, sans
ressources propres, les collectivités n'auraient pas d'autonomie.
Rappelant que le vote du budget est un acte politique majeur pour les
élus locaux, il a considéré que l'accroissement de la part
des dotations de l'Etat dans les ressources des collectivités nuirait
à leur indépendance. Il a toutefois convenu que le système
d'imposition actuel est peu lisible pour le contribuable local et appelé
de ses voeux une clarification, déplorant que -au moyen parfois
d'artifices de présentation- chaque niveau de collectivité soit
tenté de se défausser sur les autres de la responsabilité
de l'augmentation de la pression fiscale.
M. Jean Puech
a ensuite qualifié de difficiles les relations
entre l'Etat et les collectivités locales, en raison du non-respect par
l'Etat, à plusieurs occasions, de sa parole. Citant des exemples de
dénonciation unilatérale de ses engagements par l'Etat, il a
déploré que ces décisions ne se soient même pas
accompagnées d'une évaluation de leurs conséquences
financières pour les collectivités.
M. Jean Puech
a jugé que le département était un
espace de solidarité, non seulement du fait de la
péréquation départementale de la taxe professionnelle,
mais également par le budget départemental, qui corrige certaines
disparités entre les communes, en permettant par exemple
l'équipement des communes rurales.
Il a estimé insuffisante la déconcentration de l'Etat. Il a
déploré que le préfet soit un interlocuteur de moins en
moins " décisionnaire " face aux élus locaux et qu'il
se trouve trop souvent mis à l'écart par les administrations
déconcentrées, au profit d'un dialogue direct avec leur
administration centrale. Il a en outre regretté l'affaiblissement de la
qualité des personnels de l'Etat depuis la décentralisation.
M. Jean Puech
a ensuite abordé la question des disparités
entre les départements en matière d'exercice par l'Etat du
contrôle de légalité, liées à son sens au
manque de personnel qualifié dans les préfectures pour traiter
une masse importante d'actes. Il a toutefois jugé les services de l'Etat
particulièrement mobilisés pour le contrôle des
décisions touchant à la gestion du personnel territorial.
Abordant les relations conventionnelles entre l'Etat et les
collectivités locales,
M. Jean Puech
a jugé ce
système de cogestion parfois inefficace. Il a évoqué
à cet égard les exemples du revenu minimum d'insertion et du
fonds social logement (FSL). Il a estimé que les contrats locaux de
sécurité pouvaient présenter un risque de confusion des
responsabilités dans un domaine qui constitue une des missions
essentielles de l'Etat.
M. Jean Puech
a indiqué que les départements entretenaient
de bonnes relations avec les décideurs locaux, et notamment les
compagnies consulaires.
Abordant la question de l'organisation territoriale,
M. Jean Puech
s'est
inscrit en faux contre une éventuelle spécificité
française en la matière. Il a rapporté des propos
récents du ministre de l'intérieur montrant que, tant que pour le
niveau régional que pour les niveaux départemental ou communal,
l'échelle territoriale des collectivités françaises
était comparable à celle de ses consoeurs européennes,
même si la France se distinguait par le nombre élevé de ses
communes.
Evoquant l'émergence des pays et des agglomérations, il a
précisé que les départements avaient, de longue date,
favorisé tant l'intercommunalité que la reconnaissance de bassins
de vie ou d'emploi, parfois par la mise en place de syndicats mixtes. Il a
précisé que l'ADF était favorable au pays en tant
qu'espace de projet. Il a en revanche refusé que le pays devienne un
nouvel échelon territorial, première étape vers un
regroupement forcé de communes, à son sens contraire à la
culture et à l'histoire de notre pays.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a interrogé M. Jean
Puech sur son approche en matière de répartition des
collèges et des lycées entre les départements et les
régions, ainsi que sur l'idée, exprimée par l'orateur,
d'une plus grande complémentarité entre insertion et formation
professionnelles.
M. Jean Puech
a évoqué l'existence d'établissements
scolaires regroupant à la fois un collège et un lycée,
pris en charge conjointement par un département, avec un financement
régional pour le lycée. Il a jugé l'expérience
satisfaisante et considéré que, dans la mesure où il
serait proposé de transférer les universités aux
régions, une prise en charge des lycées par les
départements pourrait être envisagée. Soulignant la
complémentarité entre l'insertion et la formation
professionnelles, il a cité des exemples d'actions communes entre
collectivités, le département devenant un relais indispensable
pour la région dans le cadre de l'exercice de ses compétences en
matière de formation.
M. Louis de Broissia
a souhaité savoir s'il était
envisagé de mettre en place, par secteur d'activité, une
évaluation des actions menées par les départements, afin
de faire ressortir les expériences les plus réussies. Il a
préconisé, en cas de " cogestion " avec l'Etat d'une
action commune, d'en confier la responsabilité à l'acteur le
mieux à même de la mener à bien.
M. Jean Paul Delevoye, président,
a souligné que le grand
public n'était souvent informé que de façon
négative de la vie des collectivités locales, qu'il s'agisse des
procédures judiciaires en cours, ou d'éventuelles erreurs de
gestion des responsables locaux, les réussites, pourtant nombreuses,
n'étant pas mises en avant.
M. Jean Puech
a convenu qu'il faudrait renforcer l'évaluation
afin de présenter aux citoyens un bilan équilibré au terme
de quinze ans de décentralisation.
Répondant à une question de
M. Jean Paul Delevoye
sur
l'interdépartementalité,
M. Jean Puech
a rappelé
que de nombreuses expériences avaient lieu en la matière. Il a
cité l'exemple de la vallée du Lot, projet regroupant un nombre
important de départements, régions et communes.
M. Jean Paul Delevoye
a abordé la question du partage des
compétences en matière de transport scolaire et de traitement des
déchets.
M. Jean Puech
a estimé que ces dossiers
nécessitaient une bonne coordination entre les différents niveaux
de collectivités, au bénéfice de l'usager.
Audition de M. Marc CENSI,
président de
l'Assemblée des districts et communautés de
France
(27 avril 1999)
La
mission a ensuite procédé à l
'audition
de
M.
Marc Censi
,
président de l'Assemblée des districts et
communautés de France
.
M. Marc Censi
a estimé que la décentralisation poursuivait
à l'origine deux objectifs : d'une part, améliorer
l'efficacité de la gestion publique en responsabilisant les élus
locaux ; d'autre part, améliorer l'efficience de la
démocratie participative en rassemblant les élus locaux et les
citoyens.
Concernant le premier objectif, il a considéré que la
décentralisation était globalement une réussite même
si quelques réserves étaient émises sur la
répartition des compétences.
En revanche, il a considéré que le second objectif de la
décentralisation appelait un bilan plus nuancé en évoquant
la diminution constante de la participation aux élections locales,
notamment en milieu urbain, au cours de ces dernières années.
D'une manière générale, il a estimé que la
décentralisation procédait du postulat que l'Etat était au
centre de la vie publique et que des compétences accrues devaient
être transférées " du centre vers la
périphérie ", c'est-à-dire vers les divers cercles
concentriques de collectivités publiques d'autant plus proches du
citoyen qu'elles sont moins importantes en taille.
Il a noté toutefois que " l'onde de la
décentralisation " avait eu tendance à s'amortir en partant
du centre et que les instances de décision les plus
" périphériques " -les communes, voire les citoyens-
n'en avaient pas suffisamment bénéficié.
Il a souligné en outre deux faiblesses de la
décentralisation : le centralisme de l'Etat a parfois
été remplacé par un " absolutisme local "
fortement démobilisateur ; la décentralisation n'est pas
toujours allée de pair avec la déconcentration comme le montrait
l'absence de diminution sensible du nombre de fonctionnaires de l'Etat.
Appelant de ses voeux un renversement de perspectives qui permettrait de
renforcer le rôle du citoyen et de la commune, il a souhaité la
généralisation du " principe de subsidiarité ".
Admettant que l'histoire et la tradition juridique de la France
n'étaient pas favorables au principe de subsidiarité, il a
souligné qu'il s'agissait d'un outil d'analyse pertinent
déjà utilisé au niveau européen.
Dans cette perspective, il a souligné que l'intercommunalité
était en fait la seule construction institutionnelle française
fondée sur le principe de subsidiarité puisque les structures
intercommunales avaient vocation à prendre en charge des
compétences qui ne pouvaient être assumées par les communes
seules.
Puis
M. Marc Censi
a abordé les diverses questions transmises par
le président et le rapporteur.
Concernant la répartition des compétences,
M. Marc Censi
a
considéré qu'il était illusoire de délimiter des
frontières nettes, dans la mesure où l'aménagement du
territoire, l'organisation de l'espace, la lutte contre l'exclusion et
l'intervention économique étaient par nature des domaines
" à responsabilité partagée ". Aussi, il a
estimé essentiel d'améliorer en priorité l'organisation
des relations, notamment contractuelles, entre les différents
partenaires.
Il a rappelé que les maires des villes moyennes, qui rencontraient des
problèmes liés à l'incivisme ou à la
délinquance, n'étaient pas compétents en ce domaine. Il a
estimé qu'il importait d'essayer de réguler et de coordonner le
jeu des acteurs, qu'il s'agisse des travailleurs sociaux, de la police ou de la
justice, plutôt que de créer de nouvelles institutions.
S'agissant de la notion de collectivité " chef de file ",
M. Marc Censi
a souhaité que cette notion ne soit pas
utilisée pour confier la responsabilité de certains types
d'opérations à un même niveau de collectivité. Il a
estimé important de choisir comme " chef de file ", non pas la
collectivité locale la plus large sur le plan territorial, mais celle
qui serait la plus apte à faire face sur le terrain aux problèmes
posés. Il a remarqué que les structures intercommunales
représentaient souvent un échelon de décision plus
adéquat que le niveau départemental.
S'agissant de la fiscalité locale, il a considéré que le
maintien d'une fiscalité propre était une condition indispensable
de l'autonomie des collectivités territoriales, tout en rappelant qu'il
convenait d'assurer également une solidarité entre les
collectivités locales par des mécanismes de
péréquation.
A cet égard, il a considéré que le système actuel,
qui faisait reposer les ressources des collectivités locales pour
moitié sur des ressources fiscales propres et pour moitié sur des
dotations de l'Etat, assurait un équilibre satisfaisant.
Concernant la péréquation en matière de taxe
professionnelle (TP),
M. Marc Censi
a estimé que le risque
d'une concurrence déloyale entre les collectivités locales
était plus grave que celui de la démotivation des élus
résultant d'un abaissement de leurs ressources fiscales de TP.
M. Marc Censi
a souhaité le développement de la taxe
professionnelle unique intercommunale en rappelant que la taxe professionnelle
à caractère communal était incontestablement un obstacle
à la bonne gestion de l'espace.
Concernant la spécialisation de l'impôt par catégorie de
collectivité locale, il a estimé que ce principe pourrait
être mis en oeuvre entre les régions, les départements et
les communes mais qu'il ne serait pas pertinent de spécialiser les
ressources fiscales respectives des structures intercommunales et des communes
qui ont vocation à rendre les mêmes services. Il a estimé
que les communes devaient demeurer compétentes pour choisir le
régime fiscal applicable au sein d'une structure intercommunale.
S'agissant des concours financiers de l'Etat,
M. Marc Censi
a
jugé difficile de modifier significativement l'équilibre entre
l'autonomie, garantie par la fiscalité directe, et la solidarité
entre collectivités locales, favorisée par les dotations de
l'Etat, tout en regrettant que les mécanismes de
péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement
(DGF) ne compensent pas suffisamment les inégalités en termes de
potentiel fiscal par habitant.
Concernant la déconcentration de l'Etat,
M. Marc Censi
a
constaté, prenant l'exemple de la création de places en maison
d'accueil spécialisée pour handicapés et de
l'aménagement routier, que celle-ci n'avait pas beaucoup
progressé, sinon peut-être en matière de procédures
financières, et il a regretté qu'il faille trop souvent remonter
jusqu'à l'administration centrale pour régler des
problèmes locaux.
S'agissant du développement des conventions entre l'Etat et les
collectivités locales, il a souligné que, pour les contrats
portant mise à disposition des services de l'Etat, ce dernier
était à la fois juge et partie, ce qui pouvait avoir des
conséquences fâcheuses.
A propos des contrats de plan entre l'Etat et les régions, il a
regretté que l'Etat ait " manqué de parole ", soit en
modifiant l'échéance de ces contrats, soit en ne respectant pas
les délais de réalisation de certains équipements,
notamment routiers. Il a insisté sur l'importance du respect des
engagements de l'Etat.
Concernant l'organisation territoriale,
M. Marc Censi
a souligné
qu'il fallait distinguer entre le besoin d'administrer un territoire en
recourant à des circonscriptions administratives pérennes et
celui de " manager " le territoire au sens
" entrepreneurial " du terme qui pouvait justifier de définir
des zones d'action mouvantes et variables dans le temps.
S'agissant des incitations financières à
l'intercommunalité, il a souhaité que la dotation globale de
fonctionnement (DGF) des groupements soit modulée à partir de
critères multiples définissant le degré
d'intégration du groupement. Il a regretté que le projet de loi
sur la coopération intercommunale prévoie des écarts
importants entre la DGF par habitant des communautés
d'agglomération de plus de 50.000 habitants et celle des
communautés à taxe professionnelle unique n'atteignant pas ce
seuil démographique. Il s'est félicité des avancées
sur ce point lors du débat au Sénat.
Concernant l'élection au suffrage universel des structures
intercommunales,
M. Marc Censi
a indiqué que
l'Assemblée des districts et communautés de France, longtemps
réticente, avait évolué, près de la moitié
des membres de l'association étant maintenant favorables à cette
idée. Il a envisagé l'hypothèse de l'élection des
membres des conseils des communautés sur des " listes
associées ", lors de l'élection des conseillers municipaux
dans les communes de plus de 3.500 habitants.
Concernant les conditions d'exercice des mandats locaux, il a souligné
que la situation financière des maires devant exercer leur
activité à temps plein était aujourd'hui incontestablement
difficile et il a souhaité des améliorations en termes de
retraite et de couverture sociale.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné la
qualité de l'intervention de M. Marc Censi et a mis l'accent sur la
revalorisation du statut de l'élu local.
Audition de M. Jean AUROUX,
président de la
Fédération des maires de villes moyennes,
accompagné de
MM. Bruno BOURG-BROC, Bernard MURAT et
Antoine ROGNARD, membres du
conseil d'administration de cette association
(27 avril
1999)
La
mission a ensuite procédé à l'
audition de M. Jean
Auroux, président de la Fédération des maires de villes
moyennes,
accompagné de
MM. Bruno Bourg-Broc, Bernard Murat et
Antoine Rognard, membres du conseil d'administration
de cette association.
M. Jean Auroux
a souligné, en préambule, que les lois de
décentralisation, rapidement mises en oeuvre par rapport à
d'autres réformes, avaient été bien acceptées,
même par ceux qui les avait combattues.
Se déclarant peu favorable à de nouveaux transferts de
compétences, il a jugé cependant nécessaire de clarifier
les responsabilités ainsi que l'organisation fiscale de la
décentralisation. Les villes moyennes, a-t-il précisé, ne
souhaitent pas se voir attribuer de nouvelles compétences, car elles
supportent des charges propres aux villes-centres déjà
très lourdes. Ces charges de centralité posent un
véritable problème dans la mesure où les villes se
dépeuplent et perdent leur population aisée au profit de la
périphérie.
A propos de la complémentarité souhaitable entre les
différents niveaux de collectivités locales en matière
d'interventions économiques,
M. Jean Auroux
a reconnu que la
situation actuelle pâtissait d'un flou juridique dangereux auquel le
projet de loi préparé par M. Emile Zuccarelli, ministre de
la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation, apporterait un vrai remède. Il a rappelé
que sur ce sujet, deux écoles s'affrontaient : les partisans d'un
acteur unique (la région) et les partisans de la pluralité
(intervention de toutes les collectivités territoriales). Il a
estimé plus réaliste de permettre à toutes les
collectivités d'intervenir, tout en imaginant une répartition des
rôles selon qu'il s'agit du foncier, de l'immobilier ou des aides
à l'emploi. Il a préconisé le doublement du seuil de
subventions autorisé par Bruxelles, actuellement fixé à
650.000 francs.
S'agissant de l'action sociale,
M. Jean Auroux
a estimé que
les communes étaient peu désireuses de prendre en charge cette
compétence traditionnelle du département, tout en
préconisant une meilleure coordination des services offerts au citoyen.
M. Bernard Murat
a souligné tout l'intérêt de mettre
en place un " guichet unique " auquel le citoyen puisse s'adresser au
niveau de la municipalité.
M. Jean Auroux
a confirmé qu'il convenait d'offrir un service
à taille humaine capable de répondre vite à la demande
sociale, plutôt que de rechercher des solutions institutionnelles. Il a
ajouté que les communes étaient favorables à la
suppression des contingents d'aide sociale.
M. Jean Auroux
s'est déclaré favorable au concept de
" collectivité chef de file ", à la condition qu'il
s'applique à des compétences déterminées.
Il a estimé que la fiscalité locale directe était
indispensable pour garantir l'autonomie des collectivités. Selon lui, la
disparition de la fiscalité locale directe transformerait les
élus locaux en fonctionnaires chargés de gérer des
subventions. Il s'est déclaré intéressé par une
spécialisation des impôts locaux, à condition d'an avoir
évalué toutes les conséquences concrètes sur la
liberté de manoeuvre financière des collectivités.
M. Jean Auroux
a indiqué que la Fédération des
maires de villes moyennes était favorable à doter les groupements
de communes d'une fiscalité propre. Il a estimé cependant que la
superposition de lignes de prélèvement obligatoire sur l'avis
d'imposition risquait de décourager le contribuable local.
A propos des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales,
M. Jean Auroux
a insisté sur la nécessité d'en
assurer la stabilité, la croissance ainsi que la transparence. Il a
estimé que les mécanismes de péréquation entre Etat
et collectivités locales, trop complexes, mériteraient
d'être établis sur la base de principes clairs.
M. Jean Auroux
a considéré que la déconcentration
de l'Etat n'avait guère progressé au cours des années
récentes ; il a observé que les services
déconcentrés continuaient à faire remonter à Paris
la prise de décisions même sur des problèmes secondaires.
Il a souligné la nécessité de préserver des centres
de décision au niveau des villes-centres, tant dans le secteur
administratif que des activités privées.
M. Jean Auroux
a appelé plus de clarté dans les
dispositifs conventionnels liant l'Etat aux collectivités locales,
source de confusion des responsabilités. Il a indiqué que
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la
ville, se proposait de simplifier les contrats de ville, ce dont il s'est
félicité.
M. Bruno Bourg-Broc
a regretté que la politique contractuelle
soit trop souvent mise en oeuvre par l'Etat, en fonction de ses
intérêts financiers, et non dans le but de répondre aux
besoins des collectivités territoriales, le contrat apparaissant comme
un moyen " élégant " d'organiser des transferts de
charges. Il a précisé que la multiplicité des objectifs
poursuivis par les contrats de ville avait entraîné une
complexité nuisible à l'efficacité.
M. Bernard Murat
a confirmé que l'objectif de la politique de la
ville, à savoir l'assistance et l'intégration des personnes en
difficulté, avait été perdu de vue dans les contrats de
ville.
M. Jean Auroux
a indiqué que le Gouvernement, conscient de ces
difficultés, avait l'intention de recentrer les contrats de ville sur
les objectifs sociaux.
M. Jean Auroux
a estimé que les problèmes de
sécurité touchaient directement les villes moyennes, 350 sur les
750 quartiers y étant localisés. Il a déclaré que
la Fédération des maires de villes moyennes était
favorable aux contrats locaux de sécurité, mais veillait à
éviter à cette occasion de nouveaux transferts de charges sur les
communes ; c'est avant tout à l'Etat, c'est-à-dire à
la police, à la gendarmerie et à l'éducation nationale,
qu'il appartient d'assurer ses responsabilités dans ce domaine.
M. Jean Auroux
a considéré que l'organisation territoriale
actuelle était sans doute trop compliquée, trop lourde et trop
onéreuse pour le contribuable. Il a estimé peu probable que
" le pays " devienne un échelon de collectivité
supplémentaire.
Réfutant l'idée que la promotion respective des pays et des
agglomérations puisse conduire à une remise en cause des
solidarités entre ville et campagne, il a indiqué que bien des
villes moyennes se trouvaient intégrées au centre de leur
" pays ".
Evoquant ensuite l'insécurité juridique qui menace les
élus locaux dans l'exercice de leurs fonctions,
M. Jean
Auroux
a souligné que la stricte application des normes existantes
grèverait aujourd'hui les budgets locaux de plus de 140 milliards
de francs. Il a ensuite émis le voeu que les associations
représentatives d'élus locaux soient associées à
l'élaboration des normes. Il a souhaité qu'un équipement
mis en place par une collectivité ne puisse pas être remis en
cause par de nouvelles normes avant la fin de son amortissement. Il a par
ailleurs appelé de ses voeux une réforme des règles de
responsabilité civile et de responsabilité pénale pour les
élus locaux, ainsi qu'un renforcement des moyens des préfectures
en personnel qualifié.
Pour faciliter les conditions d'exercice de leurs mandats par les élus
locaux et prévenir leur découragement, il a
préconisé une meilleure rémunération des maires qui
se consacrent à plein temps à leur fonction.
M. Bruno Bourg-Broc
a jugé excessivement " tatillon "
le contrôle de légalité effectué par les
préfectures.
M. Antoine Rognard
a souligné que l'insécurité
juridique résultait de la pluralité des contrôles, qui
s'exercent à des moments très différents selon qu'il
s'agit du contrôle de légalité ou de celui des chambres
régionales des comptes. Il a rappelé que le contrôle de
légalité n'apportait pas une garantie juridique, la justice
pouvait être mise en action à tout moment, sur intervention du
citoyen ou sur requête de la chambre régionale des comptes, et que
la nouvelle définition du délit d'imprudence à l'occasion
de la réforme du code pénal de 1993 constituait un facteur
d'insécurité juridique supplémentaire.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a regretté que la loi
adoptée en 1996 à l'initiative du Sénat pour inviter les
juges à apprécier le délit d'imprudence " in
concreto " n'ait pas encore porté tous les effets
espérés.
MM. Bernard Murat et Jean-Paul Delevoye, président,
ont
donné plusieurs exemples de poursuites engagées à
l'encontre d'élus locaux pour des délits involontaires.
M. Jean Auroux
a rappelé les difficultés auxquelles donne
lieu la réglementation en matière de passation de marchés
publics que le Gouvernement envisage de réformer.
M. Antoine Rognard
a souligné la nécessité de
renforcer les moyens juridiques des collectivités locales.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a estimé
inéluctable la " professionnalisation " de la fonction de
maire, et redouté un alourdissement des dépenses des
collectivités rendues nécessaires pour prévenir les
risques juridiques ou faire face aux frais de justice.
Il a enfin appelé de ses voeux une évolution de la justice et des
médias afin, pour les élus locaux, de " passer de
l'ère du soupçon à l'ère de la confiance ".
Audition de M. Jean-Bernard AUBY,
président de
l'Association française de droit des collectivités
territoriales,
professeur à l'Université de Paris
II
(6 mai 1999)
Présidence de M. Michel MERCIER, Rapporteur
La
mission d'information a procédé à
l'audition de
M. Jean-Bernard Auby,
président de l'Association
française de droit des collectivités territoriales, professeur
à l'Université de Paris II
.
S'intéressant en premier lieu à l'exercice des compétences
locales,
M. Jean-Bernard Auby
a fait valoir que la
décentralisation avait été mise en oeuvre à partir
d'une logique de blocs de compétence confiant à chaque niveau de
collectivité locale des actions administratives selon la classification
retenue auparavant par les administrations de l'Etat.
Il a souligné que ces classifications étaient très
abstraites et qu'elles ne correspondaient pas à la réalité
des politiques locales qui avaient au contraire un caractère transversal.
Après avoir estimé qu'il paraissait difficile d'attribuer de
manière exclusive une compétence à une collectivité
locale,
M. Jean-Bernard Auby
a observé que la notion de
collectivité chef de file pouvait apporter la clarification
souhaitée et était concevable au plan juridique.
Exposant que la coordination entre les différents niveaux pouvait
être recherchée à travers des dispositifs contractuels,
M. Jean-Bernard Auby
a néanmoins fait valoir que ces
dispositifs étaient imparfaits en particulier lorsque l'Etat
était partie
au contrat. Il a ainsi relevé qu'il
était difficile d'obtenir de la part de ce dernier un engagement
à moyen terme permettant le cas échéant à ses
partenaires de l'obliger à exécuter ses obligations ou, à
défaut, d'obtenir le versement de pénalités compensatrices.
Prenant l'exemple des contrats de plan,
M. Jean-Bernard Auby
a
relevé que l'Etat, avec l'appui bienveillant de la jurisprudence
administrative, se reconnaissait le droit de modifier ses engagements initiaux.
Il a considéré que le législateur devrait remédier
à cette situation.
Faisant valoir que la règle de l'annualité budgétaire
n'interdisait pas à l'Etat de passer des contrats l'engageant
au-delà de l'exercice budgétaire,
M. Jean-Bernard Auby
a considéré que dans les
relations entre l'Etat et les collectivités locales devrait
prévaloir la règle applicable aux relations de l'Etat avec les
entreprises cocontractantes, lesquelles pouvaient obtenir des indemnités
lorsque l'Etat ne respectait pas ses engagements.
Puis abordant la question de la déconcentration et de l'exercice du
contrôle de légalité,
M. Jean-Bernard Auby
a
fait valoir que la fonction des services déconcentrés
était marquée d'une très grande ambiguïté. Il
a souligné que bien que la décentralisation ait fait
évoluer leur mission vers le contrôle et la régulation, ces
services continuaient néanmoins à mener des actions dans un grand
nombre de domaines et exerçaient une fonction de conseil souvent
demandée par les collectivités locales de petite taille. Il a
estimé que, compte tenu de cette ambiguïté, le
contrôle de légalité ne pouvait pas fonctionner de
façon satisfaisante.
Traitant ensuite de la question de l'insécurité juridique,
M. Jean-Bernard Auby
a considéré qu'il serait
difficile de remédier à la complexité du droit applicable
aux collectivités locales dans la mesure où celui-ci était
de plus en plus chargé de réguler les rapports sociaux.
Tout en considérant que la codification des textes et une
" pause " dans la législation pourraient atténuer les
problèmes posés par cette complexité excessive,
M. Jean-Bernard Auby
a néanmoins souligné que
l'inachèvement du processus de décentralisation pouvait expliquer
en grande partie la confusion actuelle dans l'exercice des compétences
locales. Il a ainsi relevé que le transfert des compétences aux
collectivités locales avait parallèlement ménagé la
faculté d'intervention de l'Etat, cette superposition d'intervenants
constituant un obstacle à la nécessaire clarification.
Soulignant la nécessité de renforcer les services juridiques des
collectivités locales,
M. Jean-Bernard Auby
a fait observer
que les concours de la fonction publique territoriale étaient
inadaptés à cette exigence. Il a ainsi regretté que le
métier de juriste ne soit pas reconnu en tant que tel.
Se déclarant réservé sur le soutien que l'Etat pourrait
apporter aux collectivités locales dans ce domaine, il a estimé
que ces dernières devaient améliorer leur capacité
d'expertise interne comme les entreprises l'avaient déjà fait et
comme l'Etat commençait à le faire.
En conclusion,
M. Jean-Bernard Auby
a fait valoir que la
décentralisation n'avait pas vraiment " trouvé sa
théorie ". Il a relevé que l'appareil administratif avait
conservé ses caractéristiques traditionnelles marquées par
une forte hiérarchie et une structure pyramidale. Il a regretté
que continue à prévaloir l'idée selon laquelle l'Etat
serait seul dépositaire de l'intérêt public.
Relevant que la régulation par le contrat impliquait une
égalité entre les parties qui était loin d'être
assurée,
M. Michel Mercier, rapporteur
, s'est
demandé si les collectivités locales étaient armées
pour contracter avec l'Etat ou avec d'autres organismes.
En réponse,
M. Jean-Bernard Auby
, reconnaissant que
toutes les collectivités locales ne disposaient pas des armes
suffisantes à cette fin, a néanmoins souligné que
l'idée d'une égalité entre les parties au contrat devrait
d'abord être admise par l'Etat lui-même. Il a
considéré qu'il ne serait pas choquant que les
prérogatives que s'octroyait l'Etat dans ses relations contractuelles
avec les collectivités locales soient remises en cause.
Après avoir fait observer que le contrôle de
légalité subordonnait la capacité des collectivités
locales à passer des contrats à la condition qu'elles soient
dotées des compétences correspondantes,
M. Michel Mercier, rapporteur,
s'est interrogé sur une
éventuelle contradiction entre le régime des compétences
et la logique contractuelle.
En réponse,
M. Jean-Bernard Auby
a estimé que le
contrat devait permettre aux collectivités locales de s'affranchir d'une
répartition des compétences souvent artificielle. Il a
considéré que la loi devrait préciser que les contrats
pourraient être conclus par les collectivités locales pour des
actions qui ne relevaient pas de leurs compétences stricto sensu.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a fait valoir que la
répartition par blocs de compétences avait eu pour effet
d'atténuer la portée de la clause générale de
compétence reconnue aux collectivités locales.
En réponse à
M. Bernard Seillier,
M. Jean-Bernard Auby
a estimé que la théorie selon
laquelle la souveraineté de l'Etat devait lui permettre de changer
à tout moment de politique était admissible pour des questions
relevant de l'intérêt national mais pas pour celles qui
intéressaient la vie quotidienne.
Il a réaffirmé que le non-respect par l'Etat de ses engagements
contractuels devrait l'obliger, comme c'était le cas pour des
débiteurs privés, à verser des pénalités
à ses cocontractants.
En réponse à M. Michel Mercier, rapporteur
,
M. Jean-Bernard Auby
a indiqué que la culture du contrat
était plus développée dans les pays anglo-saxons moins
convaincus de l'efficacité d'une régulation par la loi. Il a
précisé que de manière générale, l'action
publique unilatérale avait tendance à céder la place au
développement de pratiques contractuelles. Il a par ailleurs fait valoir
que ce serait une erreur de développer la fonction de conseil des
services de l'Etat auprès des collectivités locales, ces services
interprétant fréquemment le droit de manière
erronée sans que leur responsabilité financière soit pour
autant mise en cause.
M. Bernard Seillier
a estimé que l'exercice par les
services déconcentrés de l'Etat d'une double mission de
contrôleur et d'acteur créait une ambiguïté. Il a fait
valoir que les collectivités locales souhaitaient essentiellement avoir
avec l'Etat des relations entre partenaires égaux.
En réponse,
M. Jean-Bernard Auby
a relevé qu'une
suppression du contrôle de légalité aurait pour effet de
renforcer le pouvoir des tribunaux, ce qui pourrait poser un problème
compte tenu des délais de jugement des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a alors jugé essentiel
de renforcer les services juridiques des collectivités locales.
A l'invitation du rapporteur,
M. Jean-Bernard Auby
a enfin
évoqué les améliorations qui pourraient être
envisagées dans le droit de l'urbanisme.
Après avoir fait observer que le droit de l'urbanisme était
désormais essentiellement jurisprudentiel,
M. Jean-Bernard Auby
a relevé qu'il était en
outre également mieux articulé à partir de certains
principes. Il a considéré qu'il serait difficile de
remédier à la complexité actuelle sauf à
développer la décentralisation dans ce domaine.
Prenant l'exemple des communes qui ne peuvent délivrer de permis de
construire sans s'être dotées d'un plan d'occupation des sols,
M. Jean-Bernard Auby
a observé que lever cette
interdictions permettrait de supprimer plusieurs articles du code de
l'urbanisme.
Puis, constatant l'accroissement du contentieux en matière d'urbanisme,
M. Jean-Bernard Auby
a mis en cause l'existence de recours
abusifs très nombreux dus notamment à des associations
créées pour la circonstance. Il a estimé qu'un
raccourcissement des délais de jugement des tribunaux administratifs
permettrait d'atténuer les effets négatifs de tels recours. Il a
en outre fait valoir qu'à l'instar de ce qui était prévu
dans les Etats voisins, l'intérêt à agir pourrait
être moins largement reconnu.
En réponse à
M. Michel Mercier, rapporteur,
qui
se demandait s'il était envisageable de restreindre
l'intérêt à agir des associations, récemment
étendu,
M. Jean-Bernard Auby
a estimé que la
saisine d'une chambre des requêtes pourrait prévenir les effets de
recours abusifs mais qu'elle se heurterait à la conception très
absolue du droit de faire un recours pour excès de pouvoir qui
prévalait en France contrairement aux Etats voisins.
M. Jean-Bernard Auby
a enfin considéré que le
contrat devrait jouer un rôle plus important en droit de l'urbanisme. Il
a ainsi indiqué qu'en droit anglais, allemand ou belge, les
administrations étaient appelées à négocier sur les
modalités de mise en oeuvre de permis de construire ou
d'opérations déterminées.
Audition de M. Jean-Pierre DUPORT,
préfet de
la
région d'Ile-de-France et
président de l'association du corps
préfectoral
(6 mai 1999)
Puis, la
mission d'information a procédé à l'audition de
M. Jean-Pierre Duport, préfet de la région
d'Ile-de-France et président de l'association du corps
préfectoral
.
M. Jean-Pierre Duport
a tout d'abord écarté
l'éventualité de la suppression d'un échelon territorial
dans les années à venir. En conséquence, il s'est
déclaré partisan d'une démarche pragmatique qui
consisterait à faire vivre les dispositifs existants plutôt que de
fixer des perspectives qui ne pourraient être atteintes.
Il a estimé que l'Etat devait collaborer avec l'ensemble des niveaux
institutionnels, sans empêcher que les collectivités territoriales
recherchent des moyens de travailler ensemble.
S'agissant de la répartition des compétences entre les niveaux
d'administration et du développement des procédures
contractuelles,
M. Jean-Pierre Duport
a estimé que la
situation actuelle présentait à la fois des avantages et des
inconvénients. Déplorant un manque de clarté, il a mis en
avant l'utilité d'un processus de décision qui associe l'ensemble
des acteurs et permet, dans un contexte de rareté des ressources,
d'élargir le nombre des financeurs.
En certaines matières, notamment les équipements et les
transports
, M. Jean-Pierre Duport
a considéré
que ces concertations étaient extrêmement utiles et
évitaient les processus de prise de décision trop
technocratiques. Il a estimé que, compte tenu du caractère
inéluctable des financements croisés pour certaines
opérations, la notion de "collectivité chef de file" était
intéressante.
Le président de l'association du corps préfectoral a
déclaré que la répartition actuelle des compétences
pouvait être aménagée. A cet égard, il a fait valoir
que les dispositions de la loi d'orientation contre les exclusions et du projet
de loi créant la couverture maladie universelle apportaient une
clarification souhaitable, en observant que la santé était un
domaine qui ne saurait tolérer d'inégalité et que, par
conséquent, la compétence de l'Etat se justifiait. Il a
ajouté que la recherche de cofinancements n'était pas
nécessaire pour la gestion d'opérations quotidiennes et
ponctuelles.
M. Jean-Pierre Duport
a ensuite abordé l'évolution du
processus de déconcentration des structures de l'Etat. Il a
constaté que la déconcentration des procédures
d'investissement progressait, tout comme celle des procédures de
décisions individuelles. Il s'est également
félicité de la globalisation de la gestion des personnels dans
plusieurs ministères.
Le préfet de la région d'Ile-de-France a toutefois fait observer
que la déconcentration impliquait une prise de responsabilité par
les représentants de l'Etat.
M. Jean-Pierre Duport
a estimé que la déconcentration ne
pouvait être véritablement efficace que si le représentant
de l'Etat assurait la coordination entre les actions des différents
services déconcentrés. Il a approuvé l'idée de
"projet territorial" élaboré sous l'autorité du
préfet et a plaidé pour un renforcement des systèmes
d'information territoriaux.
M. Jean-Pierre Duport
s'est félicité de l'abandon de
l'idée de créer des pôles de compétences autour des
trésoriers payeurs généraux ou des recteurs, idée
qui allait à l'encontre de la clarification. Il a toutefois
réaffirmé la nécessité de préserver le
principe de séparation de l'ordonnateur et du comptable, tout en
estimant nécessaire le respect par chacun de son domaine de
compétence. Il a considéré que le processus de recrutement
des emplois-jeunes dans l'éducation nationale ne constituait pas un
exemple de bonne coordination au plan local entre les différents
représentants de l'Etat.
Le préfet de la région d'Ile-de-France s'est
déclaré opposé à des regroupements autoritaires de
services de l'Etat, estimant nécessaire de maintenir dans chaque
département des spécialistes dans chaque domaine de
compétence.
S'agissant du fonctionnement de l'appareil d'Etat,
M. Jean-Pierre Duport
a reconnu les disparités selon les départements dans
l'application du contrôle de légalité. Tout en souhaitant
que les directives gouvernementales soient claires, il a toutefois
insisté sur l'utilité de maintenir une souplesse au plan local,
le contrôle de légalité étant principalement, selon
lui, l'occasion d'un dialogue entre le représentant de l'Etat et les
élus locaux. Il a mis en avant la nécessité d'une
confiance mutuelle entre les acteurs et a considéré que le
contrôle de légalité était une garantie
démocratique qui devait être exercée sans faiblesse, mais
avec bon sens.
Le préfet de la région Ile-de-France a mis en garde, dans le
contexte actuel de réduction des effectifs du secteur public, contre une
diminution du nombre des agents affectés à l'exercice des
missions régaliennes de l'Etat.
M. Jean-Pierre Duport
a estimé que l'exercice du contrôle
de légalité dans le cadre de " pôles de
compétences ", mis en place à titre expérimental dans
quarante départements, donnait des résultats satisfaisants. Il a
reconnu que l'articulation entre le contrôle de légalité et
l'activité des chambres régionales des comptes était
parfois difficile, mais, en s'appuyant sur son expérience actuelle dans
la région d'Ile-de-France, a estimé que les relations pouvaient
être efficaces.
Evoquant les questions financières et fiscales, le président de
l'association du corps préfectoral a constaté que, du fait de la
suppression de la part "salaires" de la taxe professionnelle, le système
de financement local était en train de changer de nature, avec, à
terme, une inévitable marginalisation de la fiscalité directe
locale. En conséquence, il s'est interrogé sur
l'opportunité de maintenir une fiscalité locale compliquée
lorsque celle-ci représenterait moins du quart des ressources des
collectivités locales.
Tout en se déclarant partisan de la taxe professionnelle unique
d'agglomération,
M.
Jean-Pierre Duport
a
déclaré qu'une spécialisation des impôts locaux
serait source de fragilisation des collectivités territoriales. En
effet, en cas de mauvaise conjoncture économique, les ressources des
collectivités dépendant de la taxe professionnelle seraient
inévitablement déséquilibrées.
S'agissant de la question de l'insécurité juridique, le
président de l'association du corps préfectoral a indiqué
qu'il partageait la préoccupation des élus locaux face aux mises
en cause pénales des élus et des fonctionnaires territoriaux. Il
s'est également déclaré choqué par l'annulation
d'actes d'urbanisme pour des motifs formels. Il a estimé souhaitable que
le juge administratif se prononce d'emblée sur l'ensemble des motifs de
forme et de fond, de manière à raccourcir les délais et
les procédures.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a constaté que le
développement de dispositifs conventionnels, qui permettaient d'associer
tous les acteurs à la prise de décision et au financement,
pourrait se heurter à l'inégalité actuelle entre l'Etat et
les collectivités parties au contrat. Il a ajouté que les
contrats impliquaient un engagement réciproque des parties et, en cas de
non-respect, des pénalités.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a également demandé si
l'existence de services extérieurs de l'Etat répondait à
une utilité ou constituait une survivance d'un Etat centralisé.
En réponse,
M. Jean-Pierre Duport
ne s'est pas
déclaré hostile à un renforcement des obligations
liées au système contractuel. Il a suggéré qu'une
instance suive ces dispositifs, mais a indiqué qu'un renforcement trop
important des contraintes imposées à l'Etat pourrait contribuer
à mettre en péril les dispositifs contractuels.
Evoquant les services extérieurs de l'Etat, il a indiqué que la
réponse à la question du rapporteur devait prendre en compte
l'organisation des compétences. Il a ainsi fait valoir que le transfert
de certaines compétences semblait inimaginable et que, tant qu'une
compétence restait du ressort de l'Etat, les services extérieurs
étaient nécessaires. Il a précisé que tous les
ministères ne devaient pas bénéficier de tels services.
Le préfet de la région d'Ile-de-France a rappelé que le
rôle du préfet était de mettre en cohérence l'action
des services extérieurs. Il a constaté que les élus
souhaitaient avoir un interlocuteur unique.
Evoquant l'avenir,
M. Jean-Pierre Duport
s'est demandé, à
titre personnel, s'il était nécessaire que l'organisation de
l'Etat soit la même sur toutes les parties du territoire.
Après avoir
rappelé que la réforme de la taxe
professionnelle portait en elle un changement de philosophie dans la
définition des ressources locales,
M. Paul Girod
s'est
interrogé sur la compatibilité de cette évolution avec le
principe de libre administration des collectivités locales.
En réponse,
M. Jean-Pierre Duport
a observé que dans
certains pays, les Pays-Bas notamment, les ressources des collectivités
locales provenaient de dotations budgétaires, dont le montant
était fixé, de manière pluriannuelle, après
négociation entre l'Etat et l'association des communes. Il a
considéré que la libre administration n'était pas alors en
cause, la liberté de dépense des collectivités locales
étant préservée. Toutefois, compte tenu des
spécificités de la France, il a admis que le pouvoir de lever
l'impôt était une garantie démocratique et que les
conséquences de la réforme de la taxe professionnelle ne
seraient pas uniquement financières.
M. Bernard Seillier
a observé que le contrôle de
légalité, même exercé avec "bon sens" dans le
contexte actuel de complexification des normes, se trouve fragilisé par
les possibilités de recours de tiers.
En réponse,
M. Jean-Pierre Duport
a rappelé que le
contrôle de légalité n'était que la capacité
de saisir le juge en cas de doute. Il a souligné que la
responsabilité de l'Etat pouvait être mise en cause pour
non-exercice du contrôle de légalité.
M. Jean-Pierre Duport
a insisté sur la nécessité
d'améliorer la connaissance du droit, et sur le rôle que
pourraient jouer les nouvelles technologies de l'information dans ce domaine.
Il a plaidé pour un renforcement des pôles juridiques dans les
préfectures.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a estimé que le contrôle de
légalité s'analysait comme un dialogue entre les élus et
le préfet, lequel pouvait choisir de saisir ou de ne pas saisir le juge.
Il a ajouté que lorsque le juge n'avait pas été saisi d'un
acte illégal par le représentant de l'Etat, les élus se
trouvaient menacés par les éventuels recours de tiers ou
d'associations. Le rapporteur a conclu que le contrôle de
légalité, dès lors qu'il n'avait pas de caractère
automatique, ne constituait pas une garantie absolue pour les élus
locaux contre une mise en cause de leurs actes.
Audition de M. Jean BERGOUGNOUX,
président du
groupe d'études et de réflexion interrégional
(GERI)
(11 mai 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à l'
audition
de
M. Jean Bergougnoux, président du groupe d'études et de
réflexion interrégional (GERI).
M. Jean Bergougnoux
a tout d'abord rappelé que le GERI,
créé en 1989 par M. Jacques Voisard, a pour rôle
d'examiner les conditions de l'action publique sur les territoires, dans une
optique de maintien de la cohésion sociale mais aussi
d'amélioration de leur compétitivité.
Il a ensuite précisé que la démographie française
était caractérisée par un nombre moyen d'enfants par femme
inférieur à deux depuis près de 20 ans, ce qui
pouvait donner l'impression d'un " suicide démographique ",
même si la complexité de l'indice de fécondité
utilisé par l'Institut national de la statistique et des études
économiques (INSEE) rendait impossible toute conclusion trop
hâtive.
M. Jean Bergougnoux
a présenté les taux de
fécondité par tranche d'âge, en soulignant que si ce taux
baissait pour les femmes âgées de 14 à 26 ans, il
augmentait néanmoins pour celles qui avaient entre 27 et 38 ans,
retardant à 29 ans l'âge moyen de la maternité.
M. Jean Bergougnoux
a indiqué que l'espérance de vie
à la naissance augmentait parallèlement, ce qui amènerait
les courbes des naissances et des décès à se croiser vers
les années 2030, date prévisible d'une stabilisation de la
population française, avant une légère décrue,
selon le scénario dit " central " de l'INSEE, basé sur
un taux de fécondité de 1,8 enfant par femme. Il a estimé
qu'il convenait d'ajouter à ces mouvements naturels le solde migratoire,
dont l'évolution est toutefois très difficilement
prévisible.
M. Jean Bergougnoux
a affirmé que l'allongement de la
durée de la vie conduirait à un vieillissement de la population,
l'âge médian étant d'ailleurs en augmentation constante
depuis 1980 et devant atteindre, à l'horizon 2050, un chiffre
situé entre 42 et 51 ans. S'agissant de la population de 29
à 59 ans, en âge de travailler, après une augmentation
de son nombre jusqu'en 2005-2010,
M. Jean Bergougnoux
a
précisé qu'elle devrait décroître, les moins de
vingt ans étant en diminution depuis les années 1980, et le
nombre des plus de soixante ans en augmentation continue. Il a
précisé que 2010 serait l'année charnière où
il y aurait, dans notre pays, autant de moins de vingt ans que de plus de
soixante ans.
M. Jean Bergougnoux
a estimé que ces grandes tendances
démographiques s'étaient manifestées de façon
très contrastée sur le territoire national. Soulignant les
difficultés méthodologiques liées à la
nécessité d'extrapoler des tendances datant du recensement de
1990, il a commenté une carte des soldes migratoires intérieurs,
qui montre un accroissement de la population du sud-est du pays ainsi que de
l'Ile-de-France et un dépeuplement des régions situées
à l'est et au nord-est de la France. Il a insisté sur la
capacité d'attraction importante de l'Ile-de-France, région qui
enregistre un solde migratoire net positif, malgré des départs,
notamment vers la région Rhône-Alpes, le littoral
méditerranéen, la Loire-Atlantique, la Gironde et le Nord.
Répondant à une interrogation de
M. Jean-Paul Delevoye,
président, M. Jean Bergougnoux
a convenu qu'une partie des
migrations vers le sud du pays était le fait de personnes atteignant
l'âge de la retraite. Il a toutefois souligné l'existence d'un
phénomène de mobilité d'actifs vers le littoral
méditerranéen.
M. Jean Bergougnoux
a relevé que les études
supérieures constituaient également un motif de migration
important entre régions.
Le président du GERI a souligné que les projections sur
l'évolution de la densité de la population dépendaient
largement des hypothèses de départ, et qu'on ne pouvait parler en
la matière que de scénario et non de prévision. Il a
estimé que les femmes en âge d'avoir des enfants
connaîtraient dans les vingt années à venir une croissance
de leur nombre plus élevée dans le Languedoc-Roussillon et plus
faible dans le nord, le centre et l'est du pays. Il a jugé que les
différences de densité de population entre départements
devraient s'aggraver d'ici à 2020, les régions à forte
densité, comme l'Ile-de-France, la région Rhône-Alpes et le
littoral méditerranéen continuant d'accroître le plus
rapidement leur population, l'est et le centre du pays connaissant un taux
d'accroissement plus faible.
Abordant la répartition par âge de la population sur le
territoire,
M. Jean Bergougnoux
a considéré que,
dès 1975, était apparue une distinction très nette entre
le nord du pays, auquel il fallait ajouter la région Rhône-Alpes,
qui bénéficiait d'une population plus jeune que la moyenne
nationale, et le sud de la France. Il a indiqué que cette
différence s'était accentuée depuis lors et qu'elle
devrait encore s'amplifier d'ici à 2010, le Nord, l'Alsace et
Rhône-Alpes ayant probablement, à cette date, une population plus
jeune que la moyenne nationale. Il a indiqué que, si les moins de vingt
ans seraient proportionnellement plus nombreux dans ces régions, cette
tranche d'âge serait toutefois significativement
représentée sur le littoral méditerranéen.
M. Jean Bergougnoux
a affirmé que la part de la population active
était supérieure, en Ile-de-France, en région
Rhône-Alpes et en Alsace, à la moyenne nationale, alors que des
régions comme la Bourgogne, l'Auvergne, Poitou-Charentes ou le Limousin
avaient, quant à elles, une part plus importante que la moyenne
nationale de personnes âgées dans leur population.
Le président du GERI
a considéré que ces grandes
tendances démographiques posaient des problèmes d'ampleur
nationale. Il a souligné que l'augmentation jusqu'en 2005 de la
population d'âge actif ne faciliterait pas la résolution du
problème du chômage des jeunes. De plus, il a indiqué que
l'accroissement à venir de la population à la charge des actifs
poserait des problèmes, comme l'avaient d'ailleurs mis en lumière
les travaux récents menés par le Commissariat
général du Plan sur les retraites.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a observé que les
déséquilibres prévisibles dépendaient en partie des
hypothèses de calcul et, notamment, de l'âge de départ
à la retraite.
M. Jean Bergougnoux
a considéré que ces perspectives
démographiques permettaient d'envisager toutefois un allégement
des besoins quantitatifs en matière d'enseignement, le nombre de jeunes
en âge de passer le baccalauréat décroissant depuis 1990 et
devant se stabiliser jusqu'en 2015, le nombre de jeunes en âge de faire
des études supérieures devant décroître de 1995
à 2005, puis se stabiliser. Il a relevé les différences
entre certaines régions où les jeunes restaient pour faire leurs
études et d'autres -comme la Bourgogne- où les études
supérieures étaient pour les étudiants un motif de
mobilité géographique. A cet égard, il a souligné
la très forte attractivité de l'Ile-de-France, et
singulièrement de la ville de Paris, vis-à-vis des
départements limitrophes, Rhône-Alpes et l'Alsace attirant
également des étudiants, contrairement aux régions de
l'ouest du pays.
M. Jean Bergougnoux
a souligné l'extrême concentration
géographique des formations de troisième cycle sur le territoire.
Commentant la carte des fonds structurels européens,
M. Jean
Bergougnoux
a indiqué que la France était, pour une grande
partie de son territoire, éligible à l'objectif 2, dans seize
départements pour les reconversions industrielles et dans
quarante-neuf départements pour les reconversions rurales,
certaines zones répondant, de surcroît, aux critères
d'éligibilité, même au sein des départements non
éligibles. Il en a déduit que des mutations très profondes
étaient à l'oeuvre sur le territoire.
M. Jean Bergougnoux
a estimé que ces évolutions,
démographiques et économiques, entraînaient un risque de
perte de cohésion sociale, déjà illustré, à
son sens, par l'inégale densité des médecins sur le
territoire, ou par les différences entre les régions pour le
montant des dépenses de santé par personne.
En réponse à
M. Paul Girod
qui a souligné la
relative faiblesse de ce ratio dans la région d'Ile-de-France,
M.
Jean Bergougnoux
a fait valoir que cette région
bénéficiait d'une population jeune.
M. Daniel Hoeffel
a demandé si des différences de
comportement pouvaient expliquer l'écart constaté entre les
montants des dépenses de santé par personne entre les
différentes régions françaises.
En réponse
, M. Jean Bergougnoux
a estimé que ces
dépenses étaient déterminées non seulement par
l'âge et le niveau de revenu des populations concernées, mais
également par leur comportement.
Il a noté une autre disparité territoriale, relative au taux
d'encadrement de la population, c'est-à-dire à la proportion de
cadres et de professions intellectuelles supérieures, plus
élevée dans la région d'Ile-de-France, la région
Rhône-Alpes, le littoral méditerranéen ainsi qu'en
Haute-Garonne.
S'agissant de la criminalité,
M. Jean Bergougnoux
a
indiqué que, si le nombre de crimes et délits constatés
avait été multiplié par six de 1950 à 1996, le taux
de criminalité était, en outre, directement lié au
degré d'urbanisation, certains délits étant exclusivement
urbains, comme la destruction et la dégradation de biens publics et
privés ou les délits à la police des étrangers, par
exemple. Il a toutefois relevé que les zones de criminalité
moyenne connaissaient actuellement une croissance supérieure du nombre
de crimes et délits et rattrapaient, en quelque sorte, les grandes
métropoles.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président, M. Jean
Bergougnoux
a jugé qu'un effort particulier des pouvoirs publics
expliquait vraisemblablement le recul de la criminalité observé
dans le Var et les Alpes-Maritimes.
Il a relevé la baisse de la participation aux consultations
électorales ces vingt dernières années, en ce qui
concerne, dans une moindre mesure, l'élection présidentielle, les
élections législatives et, surtout, les élections
européennes. Il a jugé que l'abstention était surtout un
phénomène urbain.
Répondant à
M. Jean-Paul Delevoye, président,
qui
s'est interrogé sur l'impact de la sociologie de la population urbaine
sur ce phénomène,
M. Jean Bergougnoux
a convenu que les
villes avaient, en général, une population plus jeune, et donc
moins encline à voter.
Abordant le sujet des moyens financiers dont disposaient les
collectivités locales,
M. Jean Bergougnoux
a indiqué que
les recettes tirées des quatre grandes taxes de la fiscalité
directe locale représentaient en 1997 295 milliards de francs, dont
146 milliards pour la taxe professionnelle, soit 49,5 % du total,
78 milliards de francs pour la taxe sur le foncier bâti, soit
26,6 % du total, 66 milliards de francs pour la taxe d'habitation,
soit 22,2 % du total et 5 milliards de francs pour la taxe sur le
foncier non bâti, soit 1,7 % du total.
Il a indiqué que les communes recevaient 55,6 % du produit de la
fiscalité directe locale, les départements 27,9 %, les
groupements à fiscalité propre, 8,5 % et les régions
8 %. Il a souligné que ces quatre taxes avaient vu leur produit
multiplié par deux en quinze ans, la fiscalité d'Etat n'ayant pas
évolué dans les mêmes proportions.
Le président du GERI a affirmé que la fiscalité directe
locale représentait une part croissante du produit intérieur
brut, qui était passée de 2,4 % en 1979 à 3,4 %
en 1995. Il a indiqué que la taxe professionnelle avait connu une
croissance de 82 % entre 1980 et 1995, l'évolution des bases
étant le principal facteur explicatif. Il a cité les croissances
respectives des autres impôts locaux : 194 % pour la taxe sur
le foncier bâti, 68 % pour la taxe d'habitation et 35 % pour la
taxe sur le foncier non bâti.
M. Jean Bergougnoux
a relevé que le produit de la taxe
professionnelle par habitant variait de un à cinq selon les
départements. Il a indiqué, en outre, que le montant par habitant
du produit des quatre taxes directes locales augmentait avec le taux
d'urbanisation des départements.
En matière d'aide sociale, il a considéré que
l'augmentation des dépenses s'accompagnait d'une diversité, entre
les départements, des montants consacrés, par habitant, à
l'aide sociale. Il a relevé que les départements du Nord, du
Pas-de-Calais, de Seine-Maritime, du Calvados et des Bouches-du-Rhône,
par exemple, consacraient une part prépondérante à l'aide
sociale dans leur budget.
M. Jean Bergougnoux
a estimé que les investissements localisables
de l'Etat avaient baissé après 1977, puis augmenté
à la fin des années 1980, au bénéfice d'un soutien
plus sélectif à certaines régions ;
parallèlement, l'investissement direct des collectivités locales
s'est accru, passant d'un indice 100 en 1977 à un indice 125 à la
fin des années 1980, pour s'établir aujourd'hui autour de 77. Il
a relevé les disparités existant entre les régions en
matière d'investissement.
M. Jean Bergougnoux
a noté le renforcement du poids des fonds
structurels européens dans le financement des investissements publics,
soulignant l'importance de la modulation, en fonction des régions, des
crédits européens, dans le cadre du financement des contrats de
plan Etat-régions.
A ce sujet,
M. Jean Bergougnoux
a estimé que, si les contrats de
plan Etat-régions étaient encore dans une phase d'apprentissage,
ils constituaient toutefois un instrument important de cohésion et de
cohérence entre l'Etat et la région. Evoquant certaines critiques
sur le caractère parfois léonin de ces contrats, il a jugé
qu'ils n'en restaient pas moins un outil indispensable. Bien que le
caractère réellement contractuel de cet instrument juridique
puisse être discuté, eu égard, d'une part, à la
nature de l'Etat et, d'autre part, au fait que les régions
s'engageaient, parfois, au nom des autres collectivités, il a
jugé que le contrat de plan permettait une meilleure coordination des
actions des différentes collectivités. Il a toutefois
estimé que les contrats de plan seraient plus cohérents si l'Etat
avait une vision globale de l'aménagement du territoire et de la
planification. Il a toutefois estimé qu'ils étaient un
" appel à la réflexion prospective ".
Enfin, le président du GERI a souligné qu'une évaluation a
posteriori des contrats de plan permettrait de mieux vérifier
l'efficacité de l'action publique.
Abordant le sujet de l'organisation territoriale française,
M. Jean Bergougnoux
a souligné la grande
diversité des solutions retenues par les Etats membres de l'Union
européenne en la matière, phénomène qui,
renforcé par le principe de subsidiarité, place l'Etat comme
l'interlocuteur principal pour les actions communautaires. Il a toutefois
insisté sur le dialogue qui s'était instauré, entre les
régions et la Commission, pour la mise en oeuvre de la politique
structurelle.
Le président du GERI a relevé que les pays et les
agglomérations bousculaient l'organisation territoriale traditionnelle.
Il a jugé que nombre de communes rurales étaient trop petites et
qu'il était nécessaire pour elles d'avoir un projet
intercommunal, ce qui n'affaiblissait pas, à son sens, le
département.
Abordant la question de la suppression éventuelle d'un niveau
d'administration en France,
M. Jean Bergougnoux
a indiqué que le
GERI avait entrepris une étude comparative des différentes
structures locales. Il a estimé qu'il n'existait pas, en la
matière, de solution évidente et que toute modification devait
être envisagée avec la plus grande prudence, compte tenu de ses
éventuelles conséquences. Il a jugé qu'il convenait
plutôt d'organiser le bon fonctionnement des différents niveaux
d'administration.
Audition de M. Gérard-François
DUMONT,
démographe, ancien recteur de l'académie de
Nice,
professeur à l'université de
Paris-Sorbonne
(11 mai 1999)
La
mission a ensuite procédé à l'
audition
de
M.
Gérard-François Dumont, démographe, ancien recteur de
l'académie de Nice, professeur à l'université de
Paris-Sorbonne.
M. Gérard-François Dumont
a d'emblée souligné
le caractère spécifique de la France, où la
décentralisation semble s'être arrêtée, au sein d'une
Europe où ce mouvement progresse, comme l'illustraient les exemples de
l'Espagne, de la Suisse ou du Royaume-Uni.
Il a relevé les insuffisances de l'outil statistique à
disposition des démographes, et a redouté que l'écart de
neuf ans séparant les deux derniers recensements généraux
menés en France (1990, puis 1999), n'ait induit une perte de
savoir-faire parmi les responsables chargés de cette opération.
A ses yeux, l'évolution démographique actuelle de la France
reflète la poursuite des grandes orientations constatées depuis
le début des années 1980, qui tiennent à une concentration
des emplois et du peuplement, à un allongement des distances entre lieux
de travail et de résidence, à une émigration industrielle
aussi intense que l'avait été, en son temps, l'émigration
rurale, à un héliotropisme qui touche toutes les classes
d'âge, et pas seulement les personnes retraitées, et à un
vieillissement général de la population.
M. Gérard-François Dumont
a fait observer que ces
éléments avaient un impact divergent selon les
régions ; trois d'entre elles -l'Auvergne, le Limousin et le
Poitou-Charentes- sont en déclin démographique, mais l'ensemble
du territoire français est marqué par une accentuation des
diversifications spatiales et sociales, qui peuvent, si elles se poursuivent,
menacer la cohésion nationale.
Il a relevé que la formule souvent utilisée d' " exode
rural " était à la fois inexacte et fataliste, alors que les
emplois induits par l'agriculture avaient crû ces dernières
années et n'étaient pas forcément de nature agricole.
Il a observé que l'aménagement du territoire n'opposait plus,
comme dans les années 1960, Paris et la province, mais l'ensemble des
espaces compétitifs de même niveau au sein de l'Europe.
M. Gérard-François Dumont
a jugé qu'en France, tous
les niveaux territoriaux d'administration étaient, à leur mesure,
pertinents : ainsi, les 36.000 communes de notre pays sont-elles les
héritières des 45.000 paroisses que comptait la France alors
qu'elle était le pays le plus peuplé d'Europe, au
XVII
e
siècle. Cette structure de base demeure, selon lui,
indispensable au maillage démocratique de notre territoire. Il en a
conclu qu'il fallait, certes, faciliter l'intercommunalité, mais sans
s'inquiéter du grand nombre de communes. Il a rappelé que,
contrairement à une idée reçue, l'Allemagne avait un
nombre de niveaux et une variété de collectivités
territoriales analogues à la France.
Les différences les plus marquées entre les collectivités
françaises tiennent, selon lui, à ce que certaines s'appuient sur
une identité historique marquée, comme la région de
Bretagne, ou le département de l'Aveyron, alors que d'autres n'ont pas
cette base identitaire. Il a estimé qu'une réforme globale de nos
structures territoriales n'était pas un impératif, et que seules
des modifications de détail pouvaient s'imposer, à la demande des
collectivités intéressées.
Quant à la délimitation de territoires pertinents de
compétences, elle repose, selon
M. Gérard-François
Dumont
, sur trois principes de base : la démocratie, qui
implique une clarification des compétences entre collectivités
territoriales, la subsidiarité, pour situer le bon niveau de
décision, et l'efficacité, qui rend impérative la
poursuite de la décentralisation.
M. Gérard-François Dumont
a fait valoir que le recours
à ces trois principes permettrait de situer le bon niveau de
décision suivant les secteurs de compétence
évoqués : ainsi, ce qui touche à la
sécurité locale doit-il être décidé au plus
près du terrain, tout comme l'action sociale, gérée
efficacement par le département, alors que la formation professionnelle
relève, à l'évidence, d'un niveau plus vaste, comme la
région. Il a estimé qu'en matière d'éducation,
décentraliser l'enseignement technique et professionnel favoriserait
l'adaptation des formations aux besoins des entreprises.
En conclusion,
M. Gérard-François Dumont
a mis en exergue
trois éléments de réflexion : les réformes
structurelles n'assurent pas, en elles-mêmes, l'amélioration de la
gestion du territoire ; la France doit améliorer ses outils de
connaissance des mouvements migratoires ; elle doit prendre conscience que
la possession d'un vaste territoire est un atout, et non un handicap.
En réponse aux questions de
M. Daniel Hoeffel,
portant sur
l'opportunité d'expérimenter des réformes
institutionnelles, et sur les freins existant à la coopération
transfrontalière entre régions,
M.
Gérard-François Dumont
a reconnu la nécessité
d'un recours à une logique d'expérimentation, qui permettrait
d'éviter le risque, bien réel, de sur-réglementation.
Quant à la coopération transfrontalière, elle continue
à susciter la méfiance de la capitale française.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est
inquiété de l'incidence des évolutions
démographiques sur les distorsions entre l'évolution des
dépenses, affectant plus fortement les collectivités les plus
démunies, comme en matière sociale, et celle des recettes, dont
la pérennité n'était pas garantie.
Audition de M. Roger BRUNET,
géographe,
directeur
de recherche au Centre national de la recherche
scientifique
(11 mai 1999)
Puis la
mission a procédé à l'
audition
de
M. Roger
Brunet, géographe, directeur de recherche au Centre national de la
recherche scientifique.
M. Roger Brunet
a indiqué que les principales
caractéristiques françaises étaient, du point de vue du
géographe, que notre pays était le plus étendu d'Europe,
peu dense, très centralisé, et quelque peu décentré
par rapport au coeur économique de l'Europe, lequel était
situé sur l'axe rhénan. Selon lui, les évolutions
principales résident dans la croissance des territoires situés au
sud, mais aussi le long des littoraux, dans le développement des
chefs-lieux -et, a-t-il souligné, le département n'a jamais eu
une réalité géographique aussi forte qu'aujourd'hui-, dans
la " métropolisation " des emplois, dans l'étalement
des villes, dans le rétrécissement des espaces en déclin,
dans une tendance à l'uniformisation des activités
économiques et des emplois sur tout le territoire, et dans
l'accroissement des différences sociales à l'intérieur des
villes, plus qu'entre les villes elles-mêmes. Ce dernier
élément conduit à la naissance, au sein d'une même
cité, de " ghettos " de riches et de pauvres, à l'image
des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne. A ces éléments, s'ajoute
une " nouvelle idéologisation " de la croissance de la
région parisienne.
M. Roger Brunet
a estimé que la croissance économique se
nourrissait de la proximité géographique d'une région
dynamique, d'une métropole ou d'un axe de circulation -ainsi, la France
de l'Est bénéficie-t-elle du dynamisme rhénan-, de la
concentration des agréments de vie, qui regroupe les populations les
plus riches et les plus développées dans les mêmes
cités, et des différences croissantes en matière de
fiscalité locale.
Evoquant l'avenir,
M. Roger Brunet
a jugé qu'une politique de
" laisser-faire ", comme celle qui résulterait de l'actuel
projet de loi sur l'aménagement du territoire, accentuerait l'opposition
entre villes et campagne, bénéficierait aux plus grandes
cités au détriment des villes moyennes, ou situées en
périphérie du territoire français, et inverserait les
priorités d'investissement du Sud vers le Nord.
M. Roger Brunet
a estimé que les différences de
densité démographique entre la France et les pays qui
l'entourent, conduiront inévitablement à des migrations et qu'il
fallait s'attendre à voir les étrangers remplir nos territoires
dépeuplés. Il a récusé l'idée d'une
désertification du territoire qui n'existe qu'au centre de la France, et
aux limites de certains départements.
M. Roger Brunet
a estimé inopportun d'opposer
l'agglomération au " pays ", celui-ci permettant d'associer
une ville et son espace environnant, donc le rural et l'urbain. Il a
souligné l'émergence de nouvelles solidarités de bassins
de vie, espaces adéquats pour la mise en oeuvre de projets communs
confortés par une solidarité fiscale, qui dans la
réalité correspondent souvent au territoire de l'arrondissement.
M. Roger Brunet
a estimé que la faiblesse des villes
périphériques et les déficiences en matière de
voies de circulation, notamment aux frontières, constituaient des
obstacles à une bonne insertion du territoire dans l'espace
européen. Il a regretté que la France, pays de passage entre la
péninsule ibérique et l'Europe du Nord, n'ait pas su organiser ce
transit.
Notant que l'organisation institutionnelle du territoire était
indépendante de la géographie, il a estimé que
l'organisation traditionnelle -commune, département, région,
Etat- ne présentait pas de caractère aberrant par rapport aux
pays voisins. Il a souligné tout l'intérêt de
l'intercommunalité et de la promotion des pays. Il a jugé en
outre nécessaire de prendre en compte la diversité des situations.
En conclusion, il a souligné le rôle indispensable de l'Etat comme
instance de régulation pour assurer la cohésion sociale.
Après l'intervention du
président Jean-Paul Delevoye
,
soulignant que les trois exposés avaient en commun de rappeler le
rôle nécessaire de l'Etat, et de mettre en évidence
l'accentuation des inégalités sociales,
M. Louis de
Broissia
a évoqué les difficultés spécifiques
aux zones péri-urbaines qui sont souvent aussi des zones
" périrurales " regroupant des habitants marqués par
l'individualisme, dans lesquelles il est souvent difficile de promouvoir des
projets cohérents.
Le président Jean-Paul Delevoye
a appuyé cette remarque,
en soulignant que ces espaces concentrent les problèmes de
sécurité, de transports et de rupture des liens sociaux, sans
disposer des moyens adéquats pour y faire face.
M. Roger Brunet
a souligné que les solidarités
étaient plus difficiles à organiser dans les zones
péri-urbaines situées à la périphérie des
grandes agglomérations.
M. Gérard-François Dumont
a jugé nécessaire
de répondre aux besoins spécifiques des habitants de ces zones
péri-urbaines qui souhaitent bénéficier tout à la
fois des avantages de la ville et de la campagne.
M. Daniel Hoeffel
a rappelé que la politique d'aménagement
du territoire devrait viser à réduire les
inégalités les plus flagrantes, objectif que permettait de
prendre en compte le schéma national d'aménagement et de
développement du territoire dont il a regretté l'abandon. Il a en
outre fait valoir que cette politique devait permettre de mieux insérer
le territoire national dans l'espace européen, ce qui impliquait qu'elle
prenne en compte les impératifs de développement et de
création d'infrastructures adaptées.
M. Roger Brunet
a conclu cet échange en rappelant que le
développement devait concilier équité et performance.
Audition de M. Gérard
CHRISTOL,
président
de la conférence des bâtonniers
(18 mai
1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à
l'audition de M.
Gérard Christol, président de la conférence des
bâtonniers.
M. Gérard Christol
a considéré que la question de la
procédure pénale applicable aux élus locaux connaissait
une évolution préoccupante.
Il a rappelé que les élus locaux et les avocats avaient pour
caractéristique commune d'être confrontés à des
situations humaines qui échappaient aux normes et règles sociales
habituelles.
Il a admis que, dans un premier temps, l'action des élus locaux avait
dû être mieux encadrée sur le plan pénal pour
corriger certains dysfonctionnements peu conformes à la " vertu
républicaine " ; en revanche, il a considéré
qu'il était devenu maintenant urgent de mieux préciser la nature
des infractions commises par les élus afin de les soustraire à
une évolution manifestement perverse qui conduisait à
élargir exagérément le champ de leur responsabilité.
S'agissant des statistiques sur les élus condamnés ou mis en
examen,
M. Gérard Christol
a estimé que la
réalité était sans doute plus importante que les
données avancées par la Chancellerie dans la mesure où le
nombre de mises en examen augmentait quotidiennement.
Il a regretté la satisfaction de l'opinion publique à voir des
élus " cloués au pilori " sans qu'il ne soit tenu
compte de la gravité des faits qui leur étaient reprochés
ni du caractère intentionnel ou non de la faute commise.
Il a estimé que les dispositions de la loi du 13 mai 1996, invitant les
juges à apprécier les moyens concrets dont disposent les
élus locaux dans l'exercice de leur mission, n'étaient pas encore
intégrées dans la jurisprudence.
Prenant l'exemple de décisions de justice portant sur des accidents
survenus lors de fêtes locales, il a estimé que les tribunaux
n'admettaient pas qu'il soit parfois impossible de maintenir certaines
pratiques culturelles sans une certaine marge de risque que des normes
générales et impersonnelles ne peuvent prendre en compte.
A propos de la notion de délit non intentionnel, il a souhaité
que les tribunaux tiennent compte du fait qu'un maire ne pouvait veiller
à tout dans sa commune. Il a estimé qu'en cas d'accident, il
faudrait tout d'abord examiner si le maire avait bien pris les mesures qu'il
lui appartenait de prendre dans le cadre " de la gestion d'un père
de famille " et si la faute éventuellement commise était
détachable de l'activité municipale.
Il a considéré que la justice devrait déterminer si un
litige était d'ordre administratif ou pénal avant de
déclencher la procédure de mise en examen.
Concernant les dérives constatées en matière d'exercice de
l'action civile par les associations, il s'est inquiété d'une
certaine " atomisation de la République ",
révélatrice d'une crise de la représentativité, qui
conduit à ce que chacun s'octroie le droit de perturber, au nom d'un
intérêt réputé collectif, le fonctionnement
régulier de l'action publique. Il a souhaité un encadrement plus
précis des conditions dans lesquelles les associations peuvent se porter
parties civiles.
Concernant les garanties supplémentaires à apporter dans le cadre
de la procédure pénale, il a regretté tout d'abord le
caractère " incantatoire " de la notion de présomption
d'innocence en raison des fuites dans la presse sur les affaires judiciaires en
cours. Estimant que la procédure " accusatoire " de tradition
anglo-saxonne n'était efficace que pour les affaires les plus
importantes, il s'est prononcé en faveur du maintien de la
procédure inquisitoire assortie de techniques accusatoires.
Il a insisté sur la nécessité d'éviter la mise en
examen dès lors que l'élu n'avait pas commis de faute
intentionnelle ainsi que sur le respect du secret de l'instruction.
Concernant la notion de responsabilité pénale de la
collectivité locale en tant que personne morale, il a souligné la
difficulté que posait la définition législative des cas
dans lesquels cette responsabilité de la personne morale pourrait
être engagée à la place de celle de l'élu.
S'agissant des moyens d'inciter les plaignants à recourir en
priorité à la voie civile pour obtenir réparation d'un
préjudice, il a considéré qu'il serait nécessaire
de rendre la procédure civile aussi peu coûteuse et aussi rapide
que la procédure pénale, tout en soulignant que cette
dernière aurait toujours un retentissement médiatique plus
important.
S'agissant du recours à l'expertise juridique dans la gestion locale, il
a souligné que le recours à un conseil juridique à titre
préventif et permanent était un bon moyen pour le maire d'une
commune modeste de lever certaines inquiétudes.
En conclusion, il a souligné que l'excès de réglementation
était " desséchant " et immobilisant pour les
décideurs publics et qu'un élu devait conserver une certaine
marge d'initiative pour exercer ses fonctions.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a évoqué les
inconvénients de l'inflation des textes et réglements.
Audition de M. Maurice WYNEN,
maire de Paziols
(Aude)
(18 mai 1999)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition de M. Maurice
Wynen, maire de Paziols (Aude).
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a indiqué que la mission
commune d'information avait souhaité entendre un maire mis en examen
pour une faute non intentionnelle. Il a précisé que l'association
des maires de France estimait que le cas de M. Maurice Wynen illustrait
particulièrement bien les dérives actuelles des procédures
judiciaires.
M. Maurice Wynen
a indiqué qu'il était maire de la commune
de Paziols d'environ 500 habitants, située dans le département de
l'Aude. Il a indiqué que le 9 novembre 1998 un incendie
s'était déclaré dans la décharge municipale,
régulièrement agréée par l'ADEME. Il a
précisé que cette décharge avait vocation à
disparaître en raison de l'ouverture prochaine d'une déchetterie
municipale.
Les pompiers étaient immédiatement intervenus sur le lieu du
sinistre puis étaient venus présenter leur rapport à la
mairie. Ils avaient indiqué que, même si l'incendie était
éteint, le feu pouvait continuer à couver sous les cendres
pendant huit à neuf jours et ils avaient donc demandé que la
municipalité mette en place, autour de la décharge, un coupe-feu
de dimension réglementaire en cas de nouveau départ d'incendie.
M. Maurice Wynen
a indiqué que les services municipaux avaient
pris les mesures requises dès le lendemain matin, comme l'avait au
demeurant constaté un rapport de gendarmerie effectué le jour
même des travaux.
Le 11 novembre 1998, un fort vent s'étant levé, le feu avait
repris avec violence, rendant totalement inopérant le coupe-feu. Le feu
s'était propagé dans la garrigue aux alentours de la
décharge municipale et douze hectares avaient brûlé,
nécessitant une seconde intervention des sapeurs-pompiers.
M. Maurice Wynen
a souligné qu'aucune plainte n'avait
été déposée. En revanche, à la suite du
rapport de gendarmerie qui avait été transmis au parquet, le
procureur de la République avait décidé de poursuivre le
maire de la commune de Paziols en faisant valoir sa responsabilité dans
l'incendie de la garrigue.
M. Maurice Wynen
a vivement regretté de n'avoir pas pu s'exprimer
autant qu'il le souhaitait au cours de l'audience du tribunal lors de son
procès. Il a souligné que tout s'était passé comme
s'il était accusé d'avoir lui-même allumé le feu
à l'origine de l'incendie. Il a noté qu'il lui était
reproché de n'avoir pas pris les mesures nécessaires bien
qu'aucune autorité, y compris judiciaire, ne lui ait clairement
indiqué ce qu'il aurait dû faire en tant que maire face au
problème qui se présentait à lui.
Il a indiqué qu'il avait été condamné à
5.000 francs d'amende sans sursis et qu'il avait fait appel de cette
décision, bien qu'il se soit agi d'une peine moins sévère
que la peine maximale, car il estimait que sa responsabilité
était à tort mise en cause devant ses concitoyens.
M. Maurice Wynen
a remarqué que le caractère trop
fréquent de ce type d'accident dans sa commune avait été
évoqué à l'audience. Il a rappelé que le
précédent incendie dans la commune s'était
déclaré en 1989 et qu'une moyenne d'un incendie tous les dix ans
n'apparaissait pas d'une gravité anormale.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a regretté que les juges
n'aient pas tenu compte de la bonne volonté manifeste du maire. Il
a estimé qu'une solution serait de mettre en place
l'équivalent d'un tribunal des conflits au niveau départemental
qui serait chargé d'apprécier si la commune devait être
poursuivie en tant que personnalité morale ou si le maire, à
l'origine de la faute, devait être poursuivi à titre personnel.
M. Gérard Christol
a estimé qu'il fallait effectivement
distinguer les dommages résultant de l'intention coupable d'un individu,
qui relevaient de la justice pénale, et les dommages " non
intentionnels " qui relevaient de la responsabilité civile. Il
s'est inquiété que des cas de cette nature ne
" créent un fossé " entre le barreau et la magistrature
ainsi qu'entre la justice et les élus locaux.
M. Maurice Wynen,
revenant sur les moyens qui auraient dû
être mis en oeuvre en l'espèce, a rappelé que sa commune
n'était pas en mesure de financer un quatrième employé
communal en plus des trois personnes déjà embauchées pour
surveiller la décharge durant la période où le feu
couvait ; il a observé en outre que cette mission de surveillance
aurait dû incomber aux sapeurs-pompiers.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné qu'il
était impossible de réclamer à un maire de prendre toutes
les mesures nécessaires pour éviter tous les accidents sur le
territoire de sa commune. Il a remarqué que dans diverses instructions
actuellement en cours, les maires éprouvaient le sentiment que la
justice les soupçonnait d'avoir délibérément fait
preuve de carence alors que, dans la réalité, les mairies ne
disposent pas de tous les moyens financiers, humains et techniques qui
permettraient de faire face aux dangers potentiels.
Concernant les réformes législatives envisageables,
M.
Jean-Paul Delevoye
a émis l'hypothèse de la création
d'un tribunal des conflits départementalisés qui permettrait de
distinguer les contentieux pénaux des contentieux purement civils.
M. Maurice Wynen
a indiqué que parmi les peines auxquelles il
aurait pu être condamné, figurait une peine
d'inégibilité. Il a observé qu'il ne lui avait pas
été accordé de sursis, ce qui aggravait la nature de la
sanction.
Il a indiqué que, compte tenu des événements
précités, il avait dû refuser d'autoriser les traditionnels
" feux de la Saint-Jean " dans sa commune, en raison des risques
d'incendie, tout en notant que sa décision avait
mécontenté les habitants de sa commune.
M. Gérard Christol
a estimé qu'il n'était pas
possible de maintenir certaines fêtes locales sans accepter un minimum de
risque, et qu'une société qui refuserait les aléas de la
vie serait une société " morte ". Il a
considéré que les maires ne devraient pas être poursuivis
ou que les poursuites devraient être interrompues lorsqu'il
n'était pas établi que la faute avait été commise
intentionnellement.
M. Maurice Wynen
a souligné qu'en raison de l'augmentation de la
puissance des équipements électriques utilisés, il
était de plus en plus difficile de remplir toutes les conditions de
sécurité lors de fêtes locales.
Il a estimé que lorsqu'un maire était poursuivi pour un dommage
causé sur le territoire de sa commune, aucune condamnation ne devrait
être prononcée avant qu'une enquête précise et
objective ait été conduite.
M. Gérard Christol
a constaté, qu'en l'espèce,
l'enquête était constituée par le rapport de gendarmerie au
vu duquel le procureur de la République avait décidé
d'engager des poursuites contre M. Maurice Wynen.
M. Maurice Wynen
a souligné qu'en l'espèce le procureur
avait décidé de sa propre initiative d'engager des poursuites, le
seul propriétaire d'une vigne touchée par l'incendie ne
s'étant pas porté partie civile.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a estimé anormal que
l'élu mis en examen doive par ses propres moyens assurer la prise en
charge de sa défense alors qu'en règle générale les
fonctionnaires sont défendus aux frais de leur administration en cas de
procès.
M. Michel Mercier, rapporteur,
s'est interrogé sur la notion de
faute non intentionnelle en droit pénal.
En réponse à une observation de
M.
Guy Vissac
,
M. Maurice Wynen
a confirmé que la décharge de Paziols
était agréée par l'ADEME et que la commune de Paziols
adhérerait à un syndicat intercommunal de ramassage et de
traitement des ordures ménagères dès que la
déchetterie, actuellement en construction, entrerait en
fonctionnement.
Audition de M. Yves CHARPENEL,
directeur des affaires
criminelles et des grâces au ministère de la
justice
(18 mai 1999)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition de M. Yves
Charpenel, directeur des affaires criminelles et des grâces au
ministère de la justice
.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, a souhaité
interroger M. Yves Charpenel sur les effets de la loi du 13 mai 1996
relative à la responsabilité pénale pour des faits
d'imprudence et de négligence, ainsi que sur la contradiction entre
l'inflation des normes de sécurité et la part de risque
inhérente à la vie publique.
Après avoir rappelé son expérience de procureur
général
, M. Yves Charpenel
a souligné le contraste
entre le caractère très récent de la mise en cause de la
responsabilité des élus locaux pour des faits non intentionnels
et son appréhension par les magistrats au moyen de principes
généraux du droit pénal, parfois vieux de plusieurs
siècles.
Il a noté la disproportion entre la cinquantaine de condamnations
d'élus pour faute non intentionnelle et le fort degré
d'insécurité juridique ressentie.
Il a rappelé qu'aux 183 procureurs de la République s'ajoutait le
grand nombre de magistrats habilités à engager des poursuites,
cause de l'hétérogénéité des pratiques
judiciaires. Bien que ne disposant pas de statistiques précises
concernant les élus locaux, il a fait part de la stabilisation du nombre
de poursuites à leur encontre, sauf en matière de délits
intentionnels, le nombre de mises en examen ayant augmenté au cours de
la période récente. Il a indiqué que le taux de relaxes
pour les délits non intentionnels était très
élevé par rapport à d'autres contentieux, tout en
reconnaissant que le préjudice subi par les élus résidait
moins dans la condamnation elle-même que dans la mise en examen. Il a
souligné que le nombre important de catégories d'associations
habilitées à se constituer partie civile, une dizaine pouvant
mettre en oeuvre l'action publique, était principalement à
l'origine de l'augmentation de ces poursuites, la procédure de la
constitution de partie civile imposant aux procureurs de la République
la mise en examen, sans possibilité d'appréciation sur son
opportunité.
M. Yves Charpenel
a rappelé que le juge pénal suivait un
raisonnement fondé sur trois éléments : l'existence
de l'infraction, son imputabilité à une personne
identifiée et le lien de causalité entre le préjudice et
l'infraction.
Il a souligné les mérites de la circulaire prise en application
de la loi du 13 mai 1996 pour appeler l'attention des parquets sur la
nécessité d'un examen approfondi " in concreto ", afin
d'apprécier si l'élu mis en examen pour délit non
intentionnel avait eu les moyens matériels et financiers lui permettant
de prendre toutes les précautions utiles. En conséquence, les
parquets poursuivaient moins les élus depuis l'adoption de la loi du 13
mai 1996, sans effet, en revanche, sur les procédures engagées
par les associations. Par ailleurs, a indiqué
M. Yves
Charpenel
, les nouveaux moyens offerts par la loi du 13 mai 1996 semblaient
peu utilisés par les élus mis en examen pour leur défense.
M. Yves Charpenel
a indiqué que la chancellerie allait engager
une réflexion sur les moyens de renforcer la sécurité
juridique des élus, confiée à un groupe de travail
composé de magistrats des trois ordres -civil, pénal et
administratif- dont le garde des sceaux avait récemment annoncé
la création devant le Sénat.
Il a appelé de ses voeux une meilleure information réciproque des
parquets et des magistrats habilités à engager des poursuites,
pour appliquer la politique pénale du Gouvernement.
Il a suggéré que le nouveau code pénal, qui en 1994 avait
rappelé les grands principes généraux du droit
pénal, s'adapte aux évolutions de la société, en
particulier concernant la présomption d'innocence.
Faisant état des rapports entre le droit pénal et le droit
administratif, il a jugé difficile d'introduire dans le droit
pénal les notions de faute lourde et de faute détachable du
service, tout en préconisant un rapprochement des différents
droits qui préserverait la personnalisation des peines, fondement du
droit pénal.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné les effets
déplorables de la " condamnation médiatique " subie par
les élus mis en examen, la sanction politique étant à
certains égards plus dommageable que la sanction finalement
prononcée par le tribunal.
M. Yves Charpenel
a relevé l'originalité de la plainte
récemment déposée par un élu contre un procureur de
la République à l'occasion de ses fonctions, constatant
l'absurdité juridique de cette démarche, mais sa pertinence pour
attirer l'attention sur l'absence de communication préalable à la
mise en examen. Il a regretté que les magistrats aient actuellement des
difficultés à concilier leur devoir de réserve et le
secret de l'instruction avec la liberté de la presse.
Il a approuvé, dans le projet de loi relatif à l'action publique,
l'obligation pour les parquets d'organiser au moins une fois par an des
conférences publiques sur la politique pénale du Gouvernement et
son adaptation aux particularités de leur ressort, ces
conférences permettant de sortir les magistrats de leur confinement.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souligné
l'intérêt d'une bonne communication entre responsables locaux et
parquet, citant l'exemple des réunions organisées par
l'Association des maires de France au niveau départemental.
M. Yves Charpenel
a observé que le privilège de
juridiction, supprimé en 1993, avait constitué une garantie pour
les élus locaux.
Il a remarqué que les parquets coopéraient de plus en plus avec
les partenaires locaux, dans le cadre de la politique de la ville, lors de la
création de maisons de la justice et du droit, de comités locaux
de prévention de la délinquance ou lors de la conclusion des
contrats de plan Etat-Région. Il a jugé utile que les procureurs
et les élus puissent discuter des règles de marchés
publics, d'urbanisme ou de délégation de service public ailleurs
que dans un prétoire.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a regretté qu'ait
été élargie la possibilité offerte aux associations
constituées en partie civile d'engager l'action publique,
préférant une prérogative exclusive du parquet, seul
chargé d'appliquer la politique pénale du Gouvernement.
M. Yves Charpenel
a rappelé que les procureurs n'étaient
pas favorables à la possibilité pour les associations d'engager
les poursuites pénales, mais a relevé que les dispositions des
articles 2 et suivants du code de procédure pénale étaient
de la responsabilité du législateur.
Il a souhaité que la procédure pénale s'inspire de
l'article 700 du nouveau code de procédure civile, dissuadant les
requérants de présenter des recours abusifs. Soulignant que le
droit d'engager des poursuites était un droit démocratique et
constituait un contre-pouvoir en cas de refus du procureur, il a
préféré ne pas limiter l'accès au juge, quitte
à utiliser a posteriori la poursuite pour dénonciation
calomnieuse.
Il a ensuite fait part de trois propositions de nature à éviter
le recours systématique au juge pénal pour mettre en cause la
responsabilité publique.
Le statut de témoin assisté, prévu par le projet de loi
relatif à la présomption d'innocence, lui a paru un moyen
d'éviter la mise en examen automatique des élus pour des fautes
non intentionnelles, à condition de ne pas devenir une " mise en
examen du riche ".
Il a évoqué la possibilité pour l'élu de se faire
représenter au tribunal correctionnel, au lieu d'une citation directe,
dans les cas où la requête serait manifestement mal fondée,
cette mesure évitant la " condamnation médiatique ".
Enfin, il a réaffirmé la nécessaire prise en compte des
droits des victimes, et il a estimé que leur indemnisation au civil
devrait précéder le procès pénal, qui serait ainsi
abordé dans des conditions plus sereines, dans un moindre souci de
vengeance, rappelant l'expérience du procès dit " de
Furiani ".
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a fait observer que le
législateur devait faire prévaloir l'action sur l'immobilisme, et
apporter aux procureurs les solutions qu'ils attendaient.
Audition de M. Jean-Jacques ISRAEL,
membre du
Conseil de
l'Ordre des avocats au Barreau de Paris,
et de M. Michel
CEOARA,
membre de la commission de droit administratif de
l'Ordre des
avocats au Barreau de Paris
(18 mai 1999)
La
mission a ensuite entendu
M. Jean-Jacques Israel, membre du Conseil de
l'Ordre des avocats au Barreau de Paris, et M. Michel Ceoara, membre de la
commission de droit administratif de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris.
M. Jean-Jacques Israel
s'est déclaré préoccupé
par " l'hyper-pénalisation " de la vie publique, les mises en
examen d'élus locaux et de fonctionnaires territoriaux étant
passées d'une centaine en 1995 à environ huit cents aujourd'hui.
Il a fait état du colloque international organisé sur ce sujet
par le Barreau de Paris, puis évoqué les raisons sociologiques
à l'origine de ce phénomène.
Il a souhaité la restauration de chaque type de responsabilité
dans sa sphère, regrettant que la responsabilité civile ait perdu
la place qu'elle occupait, occultée par la mise en cause
systématique de la responsabilité pénale, ce
déplacement s'expliquant en partie par des raisons juridiques.
Il a en effet rappelé que la responsabilité pénale
était beaucoup plus facile et plus rapide à mettre en oeuvre que
la responsabilité civile, tant pour des raisons de procédure
qu'au fond.
M. Jean-Jacques Israel
a fait observer que le juge pénal
n'était pas en mesure d'appréhender les
spécificités de l'action publique et du droit administratif, si
bien que les mises en examen systématiques des élus devant les
tribunaux pénaux se soldaient régulièrement par des
relaxes en appel.
Après avoir rappelé les travaux du Conseil d'Etat et du
Sénat préalables à l'adoption de la loi du 13 mai 1996, il
a constaté que certaines voies devaient être
écartées, en premier lieu le rétablissement du
privilège de juridiction supprimé par la loi du 4 janvier 1993,
en second lieu la dépénalisation de la vie publique et
l'exonération de la responsabilité des élus locaux.
M. Jean-Jacques Israel
a proposé de mieux définir la
responsabilité pénale pour faute non intentionnelle, en modifiant
la loi du 13 mai 1996, jugée peu conforme au principe, affirmé
par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, selon lequel les
qualifications pénales sont d'interprétation stricte et se
fondent sur les notions de faute volontaire et de responsabilité
personnelle. Il a regretté que cette loi semble méconnaître
les principes généraux du droit pénal et le principe de
sécurité juridique.
Il a préféré la notion de " faute
caractérisée " à celles de faute détachable et
de faute lourde, soulignant l'obligation de motivation imposée par la
loi du 13 mai 1996 au juge pénal. Il a en effet estimé que la
notion de faute lourde pourrait être interprétée comme une
exonération partielle de la responsabilité des élus locaux.
Il a ensuite souhaité l'organisation d'un filtre juridictionnel des
requêtes, rappelant le débat qui avait eu lieu à propos de
la Cour de justice de la République. Il a proposé que dans chaque
cour administrative d'appel soit créée une " commission des
conflits ", composée de magistrats des ordres judiciaire et
administratif, qui donnerait un avis ou même autoriserait les poursuites
pénales.
Afin de développer la responsabilité civile comme alternative
à la mise en jeu systématique de la responsabilité
pénale, il a suggéré une aide aux victimes pour orienter
leur action.
M. Jean-Jacques Israel
a préconisé le développement
de la responsabilité pénale des personnes morales, actuellement
limitée à quelques cas, dont les délégations de
service public.
Il a évoqué l'idée d'une meilleure définition des
délégations de compétence et de signature et une mise en
cohérence des responsabilités des élus et des
fonctionnaires.
Le recours à une expertise voire à une
" certification " lui a paru réaliste sur le plan technique,
mais difficilement applicable sur le plan juridique. Il a souligné que
le conseil aux collectivités locales pouvait être apporté
par des avocats, spécialisés en droit public.
M. Michel Ceoara
a remarqué que l'ensemble des questions
actuellement soulevées avait déjà été
abordé lors de l'adoption de la loi du 13 mai 1996 et que les
solutions actuellement envisagées n'avaient pas été
retenues à l'époque.
Il s'est prononcé contre une exigence de faute lourde en matière
pénale, lui préférant la notion de faute
caractérisée, liée à la notion de causalité.
Il a noté l'opposition entre délit non intentionnel et
théorie de la causalité, la recherche de la responsabilité
personnelle passant aujourd'hui au second plan, alors que la solution
résiderait sans doute dans une meilleure appréciation par le juge
de la prévisibilité des dommages.
M. Michel Ceoara
a préconisé une différenciation
des critères de mise en jeu de la responsabilité pénale
personnelle des élus et de la responsabilité de la
collectivité territoriale, estimant que la première était
justifiée si l'élu avait eu connaissance des dommages
prévisibles qui pouvaient résulter de ses agissements, tandis que
la faute simple ou la faute de service suffiraient pour mettre en cause la
responsabilité de la personne morale, l'Ordre des avocats étant
favorable à une extension des conditions de mise en oeuvre de la
responsabilité des personnes morales.
Il a approuvé la proposition de loi déposée par M.
Jean-Paul Delevoye visant à permettre l'intervention d'associations
d'élus pour éclairer le magistrat instructeur et la formation de
jugement sur les conditions réelles d'exercice du mandat par le maire
mis en examen. Il a regretté la totale méconnaissance des
conditions concrètes de fonctionnement des services publics et des
contraintes liées à ces fonctions, par les juges judiciaires
n'ayant pas reçu de formation en ce sens.
Quant au recours à l'expertise et à la certification, il a
estimé qu'un protocole, élaboré et diffusé par les
associations d'élus, pourrait être mis à disposition des
élus locaux afin de leur indiquer les précautions utiles.
Il a insisté sur la nécessité de formation, les
élus devant être sensibilisés à la culture
judiciaire, tandis que les magistrats répressifs et les avocats
pénalistes chercheraient à mieux connaître le
fonctionnement et l'organisation des administrations.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a conclu en rappelant
l'importance de la notion de faute caractérisée et en remarquant
que les délégations de compétences ne libéraient
pas les maires de leur responsabilité personnelle.
Audition de Me Régis de
CASTELNAU,
président de l'Association française des avocats
spécialisés
dans le conseil aux collectivités
locales
(18 mai 1999)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition de Me
Régis de Castelnau, président de l'Association française
des avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités
locales.
Me Régis de Castelnau
a d'abord souligné que la
pénalisation des rapports sociaux pesait beaucoup trop lourdement sur la
gestion locale.
Il a fait observer que cette pénalisation de la vie publique se
caractérisait par quatre facteurs essentiels. Tout d'abord, la
réforme du code pénal est récente et cela a pour
conséquence que la jurisprudence n'a pas encore fait son travail
d'interprétation et de clarification. D'autre part, avec le nouveau code
pénal et plus particulièrement le livre IV, les élus
cessent d'être des citoyens comme les autres, car pèsent sur eux
désormais des responsabilités particulières plus
importantes. Enfin, le nouveau code pénal protège plus les
personnes que les biens (ce qui constitue un renversement par rapport à
l'ancien code) et cela a pour conséquence une plus grande vigilance et
une plus grande sévérité du juge quand il y a atteinte
même non intentionnelle à l'intégrité physique de la
personne.
Me Régis de Castelnau
a poursuivi en estimant qu'un
deuxième facteur de la pénalisation croissante venait du fait que
l'Etat ne jouait plus son rôle de régulateur, car il avait
cédé sa place aux juges. On pouvait même voir dans cette
pénalisation croissante un véritable outil de recentralisation
indirecte par délégation du contrôle aux procureurs de la
République. D'autre part,
Me Régis de Castelnau
a
rappelé que l'Etat produisait des normes juridiques dont l'application
ne lui appartenait pas, particulièrement dans le domaine de la
sécurité, ce qui entraînait la déresponsabilisation
du producteur de normes.
Selon
Me Régis de Castelnau
, le troisième facteur de la
pénalisation croissante tient au développement du contrôle
juridictionnel de l'action locale. En effet, le juge administratif ne jouant
plus son rôle, une bonne partie du contrôle est désormais
exercée par le juge pénal et par les chambres régionales
des comptes.
Me Régis de Castelnau
a poursuivi en évoquant comme
quatrième facteur de la pénalisation de la vie locale le
rôle des particuliers et des associations. Partant du constat que les
affaires mettant en cause les élus ont pour 70 % à l'origine
une constitution de partie civile, il s'est interrogé sur la trop grande
facilité de constitution de partie civile et sur le fait que cette
faculté était ouverte à un nombre toujours plus grand
d'associations. Il a poursuivi en considérant que la constitution de
partie civile ouverte aux individus comme aux associations était
peut-être aujourd'hui une procédure dépassée et il a
appelé de ses voeux une procédure où la décision de
mise en examen ou de classer soit entièrement du ressort des procureurs
qui, aujourd'hui, ne peuvent plus classer une affaire dès lors qu'il y a
constitution de partie civile. Il a ajouté que la simple mise en examen
consécutive à une constitution de partie civile, même si
elle ne débouchait pas systématiquement sur une condamnation
était déjà un préjudice important pour un
élu.
Abordant le cas particulier des infractions non intentionnelles,
Me
Régis de Castelnau
a considéré que les critères
d'incrimination contenus dans le nouveau code pénal (article 221-6 et
suivants) étaient trop larges. D'autre part, le juge pénal
utilise une théorie ancienne dite de " l'équivalence des
conditions ", ce qui signifie qu'en pratique il va rechercher tous les
actes accomplis qui pourraient avoir eu pour conséquence d'aggraver le
dommage. Or, à cette théorie, il conviendrait de
préférer une autre théorie opposée, celle de la
" causalité adéquate " qui conduit à rechercher
uniquement la cause prioritaire. En s'attachant à la première
théorie, le juge pénal en vient à rechercher qui a fait
quoi et qui devait faire quoi et il finit par contrôler l'organisation de
la vie publique locale et l'ensemble de la gestion publique, ce qui oblige les
élus locaux à organiser leurs services en fonction du risque
pénal.
Interrogé sur la loi du 23 mai 1996,
Me Régis de Castelnau
a reconnu qu'il avait d'abord jugé ce texte superfétatoire
puisqu'on pouvait supposer que le juge faisait déjà le travail
d'appréciation concrète qu'on lui prescrivait dans la nouvelle
loi. Or, dans la pratique,
Me Régis de Castelnau
a reconnu que la
loi de 1996 avait obligé avocats et juges à travailler beaucoup
plus sur les conditions concrètes dans lesquelles les accidents
étaient survenus. Cependant,
Me Régis de Castelnau
a
ajouté que cette loi générait des effets pervers
puisqu'elle encourageait là aussi le juge à se pencher sur la
question de " qui aurait dû faire quoi ? " et à
rechercher la responsabilité de chacun, la répartition des
compétences et l'organisation de la collectivité territoriale
mise en cause. Le juge pénal en venait à poser la question de
savoir si le maire avait bien organisé ses services (domaine où
il ne devrait pas s'immiscer) entraînant ainsi une
généralisation du contrôle juridictionnel.
Puis
Me Régis de Castelnau
a envisagé les solutions qu'il
était possible d'apporter pour remédier à la trop grande
pénalisation de la vie locale et il a d'abord proposé une
modification du droit pénal qui consisterait à ajouter à
l'article 221-6 du code pénal le mot " directement ".
L'article serait ainsi rédigé :
" Le fait de causer directement, par maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou manquement à une obligation de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de
trois ans d'emprisonnement et de 300.000 francs d'amende ".
Cette modification, a-t-il estimé, attendue par tous ceux qui sont en
charge de sécurité et pas seulement les élus, serait
cohérente avec les dispositions du code qui précisent que pour se
constituer partie civile, il faut qu'il y ait un " dommage direct ",
et, combinée avec la loi de 1996, elle aurait pour conséquence
salutaire de rétablir une certaine sérénité.
D'autre part, concernant la prise illégale d'intérêt et le
délit de favoritisme,
Me Régis de Castelnau
a
considéré qu'il s'agissait d'infractions trop largement
définies.
Selon lui, la prise illégale d'intérêt mériterait
d'être recaractérisée. Le délit de favoritisme est
également trop largement défini, mais on constate que le juge
exige que la violation des règles soit consciente et à l'origine
de l'attribution du marché. Aussi n'est-il pas utile de préciser
un texte que le juge applique avec discernement.
D'autre part,
Me Régis de Castelnau
a considéré
qu'il serait utile de travailler sur l'articulation entre responsabilité
et culpabilité ; il a jugé que localement il n'y avait pas
démission de la part des élus et que la responsabilité
existait encore. Ainsi pouvait-on imaginer que ce soit la responsabilité
politique des exécutifs locaux qui soit mise en cause par les
assemblées délibérantes concernées. Cela
permettrait de substituer la responsabilité politique à la
responsabilité personnelle. Il a jugé intéressant le
recours à la notion de " faute détachable ". Il a fait
valoir que l'introduction de cette notion permettrait de distinguer la
responsabilité personnelle du citoyen - élu local de sa
responsabilité en tant qu'élu.
Afin de renforcer la protection des élus,
Me Régis de
Castelnau
s'est prononcé en faveur du statut de " témoin
assisté " qui aurait pour mérite d'éviter à
l'élu l'opprobre de la mise en examen.
Sur la prise en charge par la collectivité territoriale des frais de
défense de l'élu, dans le cas d'une faute non intentionnelle,
Me Régis de Castelnau
a rappelé que la jurisprudence du
Conseil d'Etat considérait que pour les fonctionnaires mis en cause,
c'était l'administration qui payait les frais de défense quand la
faute n'était pas détachable du service.
Me Régis de Castelnau
a également proposé comme
solution une restriction de la possibilité de déclencher l'action
civile : ce déclenchement devrait, selon lui, n'appartenir qu'aux
procureurs.
Enfin,
Me Régis de Castelnau
, tout en reconnaissant que le juge
devait conserver la place centrale qu'il occupait dans notre
société, a souhaité que soit renforcé le
contrôle de la justice par elle-même, qu'on puisse critiquer une
décision de justice et enfin que les magistrats soient mieux
formés afin de posséder une vraie connaissance des
réalités locales. Il a appelé de ses voeux un dialogue
entre tribunaux et avocats, l'ouverture des tribunaux sur l'extérieur et
l'obligation pour le procureur d'annoncer les grands principes de leur action
chaque année.
Interrogé sur la possibilité de mettre en cause la
responsabilité pénale des personnes morales,
Me Régis
de Castelnau
a déclaré qu'il ne croyait pas à cette
solution, car la condamnation pénale ne pouvait avoir une valeur
exemplaire et dissuasive qu'à l'égard des personnes physiques.
Dans le cas d'une personne morale, la pénalité ne pouvait
être que d'ordre pécuniaire ce qui revenait à
pénaliser les contribuables locaux et non la collectivité locale.
Enfin, avec le rythme des élections locales et la lenteur de la justice,
une condamnation de la collectivité risquait d'intervenir sous le
règne d'une équipe autre que celle à qui on reprochait les
faits.
Me Régis de Castelnau
a recommandé que pour cerner la
responsabilité des élus, on passe par une redéfinition de
la faute. Enfin, il a rappelé que le phénomène de
pénalisation était aussi en grande partie dû au fait que le
justiciable s'était tourné vers la procédure pénale
parce que le juge administratif était trop lent et trop peu efficace.
Audition de Mlle Elke LÖFFLER,
administrateur au
département de la gestion publique de
l'Organisation pour la
coopération et le développement économique
(OCDE)
(8 juin 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à
l'audition de Mlle
Elke Löffler, administrateur au département de la gestion publique
de l'Organisation pour la coopération et le développement
économique (OCDE)
.
Mlle Elke Löffler
a pris soin de distinguer la simple
décentralisation administrative, qui se borne à un transfert de
compétences aux collectivités locales dirigées par des
représentants élus -ce qui implique une plus grande
liberté de manoeuvre par rapport au pouvoir central mais pas
nécessairement une plus grande indépendance financière- de
la décentralisation politique, qui octroie aux échelons
infra-étatiques une partie du pouvoir législatif et le droit de
lever l'impôt. Aujourd'hui, selon
Mlle Elke Löffler
, les
pays de l'OCDE sont presque tous engagés dans l'un ou l'autre type de
décentralisation, voire à mi-chemin entre les deux.
Pour ce qui concerne la décentralisation dite administrative,
Mlle Elke Löffler
a fait observer que depuis deux
décennies, deux phénomènes différents
s'étaient développés qui pouvaient parfaitement se
combiner : d'une part, un transfert de compétence administrative,
voire régalienne, de l'Etat central aux échelons
inférieurs, d'autre part, un transfert des activités de l'Etat
central aux secteurs privé et parapublic.
Ainsi, a-t-elle exposé, le Royaume Uni, ancien champion du Welfare
State, avait, sous l'impulsion de Mme Thatcher, décentralisé
la plus grande partie des services collectifs au profit du marché. Cette
politique de contractualisation entre le secteur public et le marché se
poursuivait aujourd'hui sous le gouvernement Blair. Parallèlement, la
décentralisation administrative et politique prenait de l'ampleur avec
l'autonomie qui se profilait aujourd'hui au profit de l'Ecosse, du Pays de
Galles et de l'Irlande du Nord.
Un même mouvement de transfert des services collectifs au marché
existait dans les pays scandinaves qui suivaient le modèle britannique,
mais, chez eux, l'essentiel de la décentralisation administrative
était fait depuis longtemps au profit des communes.
L'Espagne et le Portugal, qui avaient connu des régimes
extrêmement centralisateurs et qui souffraient du trop grand nombre de
leurs petites communes, n'avaient pu bénéficier d'une
décentralisation administrative municipale. Cependant, en Espagne, la
décentralisation avait été poussée jusqu'à
la quasi-autonomie pour certaines régions. Le Portugal, quant à
lui, n'avait pas encore fait sa révolution décentralisatrice.
La France et l'Italie, de tradition jacobine, s'étaient lancées
dans une véritable décentralisation administrative, mais ces deux
pays n'avaient pas fait de véritable ouverture au marché.
L'Allemagne, l'Autriche et la Suisse étaient des
fédérations largement décentralisées, qui de plus
s'étaient efforcées avec succès de confier les services
collectifs au secteur privé.
Mlle Elke Löffler
a considéré que malgré la
diversité de ces expériences, il se dégageait une tendance
maîtresse qui conduisait à une gestion des biens et des services
collectifs en partenariat entre les différents échelons
infra-étatiques et une intervention accrue, dans ces partenariats, du
marché et des groupes parapublics, dans le but d'obtenir des
décisions administratives rapides et des services collectifs efficaces.
Toute forme de partenariat semblait acceptable afin de maintenir les services
publics dans les zones rurales et d'offrir, dans les zones urbaines, chaque
fois que possible, la possibilité d'un guichet unique.
Puis
Mlle Elke Löffler
a justifié les différences
d'approche décentralisatrice d'un pays à l'autre en invoquant les
traditions historiques et la forme constitutionnelle de chaque Etat. Elle a
ainsi distingué quatre catégories de pays en Europe en fonction
de la forme étatique :
1°) les Etats unitaires où les pouvoirs octroyés aux
échelons locaux (le plus souvent aux municipalités)
l'étaient par la loi et non par la Constitution (Danemark, Finlande,
Grèce, Irlande, Luxembourg, Portugal, Suède) ;
2°) les Etats unitaires décentralisés où les
droits des collectivités locales étaient garantis par la
Constitution (France, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni) ;
3°) les Etats régionalisés où la
décentralisation allait jusqu'à l'autonomie législative
dans certains secteurs (Espagne, Italie) ;
4°) les Etats fédéraux où l'échelon
intermédiaire était lui-même un Etat jouissant de sa propre
Constitution (Allemagne, Belgique, Autriche).
Mlle Elke Löffler
s'est ensuite attachée à mettre en
lumière les avantages et les inconvénients des différents
modes d'organisation territoriale des pays européens ; pour ce
faire, elle a distingué trois modes de dévolution des
compétences administratives et politiques :
1°) un mode de répartition stricte entre les différents
niveaux, selon lequel chaque échelon lève l'impôt et est
maître de ses dépenses. Ce système a pour avantage la
responsabilisation fiscale des collectivités locales, mais pour
inconvénient un défaut de coordination politique pour
l'exécution des tâches impliquant plusieurs niveaux. De plus, il
présente le risque d'une compétition fiscale dangereuse entre les
collectivités locales ;
2°) l'établissement de relations contractuelles par lesquelles
la prestation de services est transférée aux niveaux
infra-étatiques tandis que l'Etat central accorde le financement de ces
services. L'avantage réside dans l'introduction d'une grande souplesse
d'adaptation des services à l'échelon local mais ce
système va à l'encontre de la rigueur budgétaire,
malmenée par les pressions des groupes d'intérêts
locaux ;
3°) la recentralisation des dépenses dans les Etats
fédéraux : pour les tâches communes, en Allemagne, par
exemple, la Fédération et les Länder financent
conjointement, ce qui favorise le consensus national, mais s'est
révélé lent et peu souple.
Mlle Elke Löffler
a poursuivi son exposé en analysant la
gestion des services collectifs par les collectivités locales et en
tentant de mesurer leur efficacité ; elle s'est interrogée
sur la taille idéale de la collectivité locale en fonction de la
compétence exercée et elle a reconnu que cette taille
idéale ne pouvait être trouvée que par rapport au
critère d'efficacité. Or, les moyens de mesurer cette
efficacité manquaient. Il ressortait clairement pourtant que l'Europe
souffrait d'une manière générale du trop grand nombre de
ces collectivités.
Devant ce problème, les pays européens avaient
expérimenté quatre solutions : la fusion des petites
communes, les partenariats entre collectivités locales,
l'intercommunalité et les transferts entre collectivités.
La fusion de communes avait bien fonctionné en Autriche, en Allemagne,
au Danemark, aux Pays-Bas, en Norvège et en Suède, mais elle
n'avait jamais réussi en France, malgré les économies
d'échelle engendrées par ce mode d'organisation. Toutefois la
fusion présentait des risques, car elle accroissait la distance entre
les élus et les électeurs et les municipalités
étaient devenues de simples prestataires de services et ne jouaient plus
leur rôle de forum politique local.
Les partenariats avaient l'avantage d'offrir une formule plus souple en
permettant de résoudre le problème de ressources restreintes tout
en garantissant l'autonomie politique des collectivités.
Mlle Elke Löffler
a souligné que la décentralisation
administrative avait eu pour conséquence un accroissement des
dépenses publiques et que les collectivités locales avaient une
part relative plus importante dans l'ensemble des dépenses publiques,
mais que leurs déficits budgétaires étaient restés
tolérables. En effet, les collectivités locales avaient le plus
souvent une politique budgétaire stable et des déficits moins
importants que les Etats centraux.
Audition de M. Anastassios BOUGAS,
chef
d'unité
adjoint à la direction de la coordination et de
l'évaluation
(DG XVI) à la Commission
européenne
(8 juin 1999)
Puis la
mission a procédé à l'audition de
M. Anastassios
Bougas
,
chef d'unité adjoint à la direction de la
coordination et de l'évaluation (DG XVI) à la Commission
européenne
.
M. Anastassios Bougas
a tout d'abord indiqué que la politique
structurelle européenne s'était accompagnée de la mise en
place de partenariats, que la Commission avait récemment
évalués. Il a rappelé que la tendance à une
régionalisation de cette politique était apparue dans les
années 1980, en réponse à la globalisation de
l'économie, à la désindustrialisation de certaines zones
et à la montée de l'exclusion. Il a souligné que, dans le
même temps, les acteurs de la politique structurelle avaient
contesté l'approche " de haut en bas " présidant
jusqu'alors à sa définition. Il a également
évoqué la demande croissante d'information et de transparence
pour la gestion des crédits.
Dans ce contexte, a indiqué
M. Anastassios Bougas,
la mise en
place du " principe de partenariat " avait pour objet de
réduire la dissymétrie d'information entre les différents
partenaires concernés par la politique structurelle, d'aboutir à
une définition concertée des priorités de cette politique,
d'en renforcer l'acceptation et d'accroître l'efficacité de sa
mise en oeuvre.
M. Anastassios Bougas
a cité l'expérience des programmes
intégrés méditerranéens (PIM) qui avaient permis,
à cette époque, d'approfondir les partenariats entre la
Commission et les acteurs nationaux et locaux. Il a ajouté que la
réforme des fonds structurels de 1988 avait
généralisé cette approche, en précisant la place
des autorités régionales et locales dans la mise en oeuvre des
fonds structurels, la réforme de 1993 élargissant ce partenariat
aux acteurs sociaux des politiques structurelles. Il a relevé que la
réforme en cours de la politique structurelle tendait à mieux
prendre en compte le principe de subsidiarité, à clarifier les
responsabilités et à ouvrir le partenariat aux organisations non
gouvernementales et aux bénéficiaires finals des programmes
européens.
M. Anastassios Bougas
a ensuite livré les conclusions de
l'évaluation du " principe de partenariat ", par la
Commission, dix ans après sa mise en place. Il a indiqué que la
politique structurelle avait eu, au sens de la Commission, un impact sur
l'équilibre institutionnel au sein des Etats membres. Il a ainsi
estimé que le Fonds européen de développement
régional (FEDER) avait donné une impulsion aux échelons
local et régional, permettant dans certains cas de dynamiser des
structures locales existantes. Il a considéré que le Fonds social
européen (FSE), avait, dans certains cas, créé une
dynamique de déconcentration d'une partie de la politique sociale. Quant
au Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section
orientation, il a précisé qu'il avait favorisé la mise en
place de micro-partenariats locaux.
En ce qui concerne les rôles relatifs des principaux partenaires dans les
politiques structurelles européennes,
M. Anastassios Bougas
a
jugé que les Etats centraux disposaient d'un poids important dans
l'ensemble des pays de l'Union européenne, sauf en Autriche et en
Belgique. Il a indiqué que les autorités régionales
avaient un poids significatif dans les pays fédéraux ou fortement
décentralisés comme l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, et
modéré dans d'autres Etats tels que l'Autriche, la Belgique, le
Danemark, la France ou les Pays-Bas. Il a considéré que la
Grèce, le Portugal et la Suède évoluaient vers un
renforcement du poids des autorités décentralisées.
M. Anastassios Bougas
a indiqué que les tendances suivantes
étaient, au sens de la Commission, actuellement à l'oeuvre dans
les différents Etats membres :
- l'Allemagne se trouvait dans une phase transitoire, les nouveaux
Länder acquérant progressivement la plénitude des attributs
des anciens ;
- l'évolution institutionnelle espagnole avait une issue encore
incertaine, l'accroissement de la décentralisation s'accompagnant d'une
volonté de l'autorité centrale de maintenir son rôle dans
la gestion de la politique structurelle ;
- en France, c'était principalement l'échelon
déconcentré de l'Etat qui avait été
renforcé, ce qu'illustrait le rôle prépondérant des
secrétariats généraux à l'action régionale
(SGAR) dans la préparation et le suivi des contrats de plan
Etat-régions, les spécificités régionales
étant cependant de mieux en mieux prises en compte par les
préfets de région. Analysant les causes de cette
évolution,
M. Anastassios Bougas
a estimé que l'engagement
des collectivités régionales présentait un
caractère moins durable, en ce qui concerne le suivi de la politique
structurelle, que celui de l'Etat ;
- en Italie, l'échelon régional avait été
significativement renforcé, notamment dans la mise en oeuvre de la
politique structurelle ;
- en Grèce, la décentralisation profitait davantage au
niveau infra-régional ;
- dans les pays scandinaves, la décentralisation était assez
poussée.
S'agissant du poids des collectivités infra-régionales dans la
politique structurelle,
M. Anastassios Bougas
a jugé que
l'échelon municipal, hétérogène, n'était pas
représenté de façon satisfaisante au sein des instances de
suivi de cette politique, en partie à cause du fait que les
municipalités sont souvent le principal bénéficiaire final
des fonds structurels. Il a, d'autre part, estimé que les partenaires
socio-économiques devraient être mieux associés à la
programmation de la politique structurelle, les organisations non
gouvernementales souhaitant, quant à elles, intervenir dans sa
définition et sa mise en oeuvre.
M. Anastassios Bougas
a considéré que des partenariats
" flexibles " pouvaient, à côté du seul cadre
institutionnel, organiser les relations entre les acteurs de la politique
structurelle, en fonction de liens issus de la géographie, de
l'existence d'une économie régionale, de l'histoire industrielle,
de la tradition administrative et du contexte réglementaire.
Abordant le sujet de l'évolution à venir des rôles
respectifs des différents acteurs de la politique structurelle,
M.
Anastassios Bougas
a souligné que l'absence de délimitation
claire des responsabilités nuisait à son efficacité.
Il a indiqué que la Commission souhaitait accentuer sa mission de
définition stratégique de la politique structurelle, de
négociation des priorités, de médiation et de conseil, en
se désengageant, parallèlement, de la gestion quotidienne des
programmes. Il a estimé que les Etats membres maintiendraient leur
rôle de négociation et de suivi des programmes ainsi que de
sélection des projets, tout en demeurant compétents pour la
délimitation, avec la Commission, des zonages éligibles aux aides
communautaires. En outre, les Etats centraux pourraient être responsables
du paiement, de la certification et du contrôle des fonds communautaires.
Soulignant la variété du rôle et des compétences des
collectivités régionales en Europe,
M. Anastassios Bougas
a qualifié l'échelon municipal de " partenaire
émergent " de la politique structurelle européenne.
L'orateur a ensuite identifié quatre obstacles au développement
du partenariat :
- l'absence de clarification des responsabilités ;
- la pratique du " revirement " de certaines autorités
-Commission et Etat central- qui revenaient parfois sur un engagement
pris ;
- la contradiction entre la nécessité d'absorber les fonds
communautaires et celle de promouvoir l'innovation ;
- l'ambivalence du rôle de la Commission, à la fois
partenaire de confiance et autorité de contrôle pour l'emploi des
fonds.
M. Anastassios Bougas
a ensuite estimé que le " principe de
partenariat " avait permis de mieux cibler les priorités et les
objectifs de la politique structurelle, d'améliorer la capacité
d'absorption des fonds, ainsi que la qualité de la mise en oeuvre et de
la gestion des interventions. Il a jugé que la sélection des
projets et la transparence des programmes avaient été
améliorées. Il a toutefois relevé que cette méthode
avait pu conduire à une complication des circuits administratifs et
financiers.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, a souhaité
connaître l'analyse de M. Anastassios Bougas quant à la
capacité des collectivités françaises à mettre en
place des expérimentations.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, s'est également
interrogé sur l'efficacité des fonds structurels qui semblaient
avoir réduit les écarts de richesse entre les pays mais accru
ceux qui existaient entre les régions d'un même Etat.
M. Anastassios Bougas
a déclaré que l'évaluation de
la politique des fonds structurels était difficile mais cependant
pratiquée. D'ailleurs, 4 % des crédits de Bruxelles
étaient affectés en fonction des performances obtenues par le
pays. Mais ce système de récompense avait ses limites, car les
fonds structurels étaient d'abord distribués là où
il y avait nécessité. Certes, les quatre pays les plus pauvres de
l'Union européenne avaient fait leur rattrapage grâce aux fonds
structurels, mais seule l'Irlande avait connu un rattrapage homogène
alors qu'en Espagne, une région comme l'Andalousie ne progressait pas.
Interrogé par
M. Michel Mercier, rapporteur
, sur le bilan des
partenariats entre collectivités locales de différents Etats,
M. Anastassios Bougas
a déclaré qu'en raison de leur
complexité, Bruxelles tendait plutôt à en réduire le
nombre.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a réaffirmé qu'il
partageait l'idée de M. Anastassios Bougas
selon laquelle
les fonds structurels avaient été le moyen pour le préfet
de région de reprendre du pouvoir et de recentraliser.
M. Anastassios Bougas
a reconnu que cette gestion des fonds structurels
était une spécificité française.
M. Jean-François Humbert
a renchéri en déclarant
que le préfet avait eu tendance à considérer que les fonds
structurels étaient un complément des crédits de l'Etat.
Audition de M. Hubert BLANC,
conseiller
d'Etat
(10 juin 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à l'
audition de
M. Hubert Blanc, conseiller d'Etat.
M. Hubert Blanc
a souhaité évoquer les
problèmes généraux posés aux acteurs de la vie
locale par l'insécurité juridique en se plaçant du point
de vue de l'Etat et de l'administration territoriale.
Concernant le contrôle de légalité, il a tout d'abord
constaté que certaines insuffisances techniques de celui-ci pouvaient
avoir des effets négatifs dans la mesure où un maire, en
l'absence d'observations de la préfecture sur un acte transmis, pouvait
ressentir une trompeuse impression de sécurité juridique. Par
ailleurs, du fait d'une certaine inégalité des conditions
d'examen sur le territoire, le contrôle de légalité
apparaît, selon les départements, lacunaire ou tatillon.
Il a rappelé que le contrôle de légalité
n'était pas une tâche simple et qu'en tout état de cause,
l'analyse de l'administrateur chargé d'anticiper un
événement ou de réagir à celui-ci n'était
pas nécessairement celle du juge.
Considérant qu'il n'existerait jamais de sécurité
juridique absolue, il a estimé que le contrôle de
légalité pouvait et devait être amélioré. A
cet égard, il a évoqué l'insuffisance de la qualification
des agents chargés du contrôle de la légalité,
remarquant néanmoins qu'après le " désarroi "
initial, la formation était en nette amélioration depuis quinze
ans, du fait de la mise en place du recrutement par la voie des instituts
régionaux d'administration (IRA). Il a souligné ensuite la
pression en faveur du recours au contentieux dans le contexte de
l'harmonisation des normes au niveau européen et de l'intervention
croissante du secteur associatif.
M. Hubert Blanc
a évoqué deux voies pour
améliorer la situation.
Il a rappelé que le contrôle de légalité
était par nature une tâche interministérielle et qu'il
était donc souhaitable que les préfets essayent de créer
de véritables " pôles de compétences "
juridiques, comme cela existe parfois déjà pour examiner les
délibérations relatives aux marchés publics et aux
délégations de services publics.
Il a considéré qu'une étape pourrait être franchie
en matière d'organisation et de qualification du contrôle de
légalité si, au niveau de chaque région, une cellule
juridique, composée de fonctionnaires qualifiés en liaison avec
les ministères, et comprenant un conseiller de tribunal administratif et
un conseiller de chambre régionale des comptes détachés,
jouait un rôle de support et de référence juridique
auprès des élus locaux, grâce à une capacité
d'audit et d'expertise.
Evoquant la déconcentration, il a souligné que le problème
n'était plus, en dehors de quelques corrections à la marge,
d'accroître les pouvoirs et les compétences des autorités
déconcentrées, mais plutôt de leur donner des outils de
qualité, en particulier juridiques, pour leur permettre d'agir dans un
monde administratif de plus en plus complexe. Il a considéré que
le préfet devrait être " assuré et ferme dans ses
conseils " et mis à même d'éclairer les chambres
régionales des comptes pour éviter " l'effet de
ghetto " qui frappe parfois ces organismes.
Il s'est donc prononcé pour un contrôle de légalité
de plus grande qualité, qui soit exercé plus en amont de la prise
de décision, tout en concluant que la question de
l'insécurité juridique des collectivités locales renvoyait
à celle de l'organisation de l'Etat.
Puis
M. Hubert Blanc
a présenté trois remarques
complémentaires.
Tout d'abord, il a constaté que l'accumulation des contentieux ouvrait
la voie à une exploitation médiatique, souvent malsaine, qui
appelait des mesures de prévention des conflits.
Il a souligné que revenir sur le principe, de plus en plus largement
entendu, de la qualité à agir des associations serait
perçu comme une " régression " par rapport à une
avancée démocratique.
Il a remarqué, au demeurant, que les " digues " qui pourraient
être instaurées en ce domaine pourraient être très
facilement contournées en recourant à l'action d'une personne
directement concernée par l'acte en question.
En revanche, il a estimé que les sanctions prévues en cas de
recours manifestement abusifs ou répétitifs devraient être
davantage utilisées par les juges, qui font souvent preuve d'une
certaine " timidité " en ce domaine.
Par ailleurs, il a souligné l'intérêt d'organiser plus en
amont les consultations et concertations sur les décisions de l'Etat et
des collectivités locales.
Prenant l'exemple de la commission nationale du débat public,
chargée d'intervenir lors de la réalisation de grandes
infrastructures d'équipement, il s'est déclaré
frappé que les maîtres d'ouvrage et techniciens reconnaissaient
souvent qu'ils avaient été incapables de percevoir à
l'avance ce qui allait susciter des réactions négatives de la
part des citoyens, des usagers ou des clients vis-à-vis d'un nouvel
équipement public.
Il a donc estimé qu'il serait utile de tester les attentes des publics
concernés en amont de la prise de décision plutôt que de
corriger a posteriori des erreurs déjà commises, au prix de
procédures longues et coûteuses, comme l'avait montré au
demeurant la mise en place du train à grande vitesse (TGV) sud-est.
En second lieu,
M. Hubert Blanc
s'est interrogé sur la
tendance du législateur à écrire dans les lois des
principes " un peu flous " dont les conséquences
juridictionnelles deviennent ensuite imprévisibles. Il a observé
en particulier que l'inscription dans la loi du principe de précaution
avait pu avoir des implications juridictionnelles erratiques, faute
d'explicitations des textes. Il a regretté à cet égard que
le droit français oscille trop souvent entre un excès de
précision et des généralités de principe.
En dernier lieu, il a souligné que la " pression
juridictionnelle " n'était pas favorable à une bonne prise
de décision. La crainte d'une action au pénal entraîne de
la part des services de l'Etat la tentation de ne pas assumer la
responsabilité des décisions prises, voire de la
transférer le plus possible à d'autres instances.
M. Hubert Blanc
a répondu aux questions qui lui avaient
été transmises par le rapporteur.
Concernant les délais de jugement de la juridiction administrative, il a
estimé que, en dehors des cas extrêmes, les délais actuels
ne posaient pas dans l'ensemble de problèmes graves. Il a
souligné que les justiciables faisaient appel à la juridiction
administrative pour obtenir réparation ou faire annuler les actes
administratifs, ce qui ne répondait pas aux mêmes objectifs que la
voie pénale.
S'agissant du référé administratif, il a estimé
qu'une réforme, telle que celle prévue dans le projet de loi
actuellement en discussion, serait utile dès lors qu'elle n'aboutirait
pas à créer un " quatrième étage " de
jugement.
Concernant l'introduction en droit pénal des notions de " faute
lourde " et de " faute détachable des fonctions ", il a
rappelé qu'il s'agissait, à l'origine, de deux principes
jurisprudentiels qui avaient été dégagés de
manière progressive par le Conseil d'Etat et il s'est interrogé
sur la possibilité d'imposer une transposition législative de ces
deux notions aux juridictions judiciaires.
S'agissant de l'action civile, il a admis l'existence d'une crise de la
juridiction civile et de l'action civile en France en soulignant que le recours
croissant à l'action pénale était un
phénomène de société que l'on pouvait expliquer par
la médiatisation croissante de la justice, une certaine prégnance
du droit anglo-saxon, voire par une sorte de sacralisation quasi religieuse de
la sanction prononcée au pénal. Il a souhaité que l'action
civile " retrouve son lustre " en étant rendue plus rapide et
plus efficace grâce au référé civil.
Concernant les divergences d'appréciation entre le contrôle de
légalité, le juge administratif, le juge des comptes et le juge
répressif, il a estimé qu'en droit administratif, il était
essentiel de renforcer la qualité des appréciations juridiques
qui sont recueillies dès le début de l'instance. Il a
remarqué à cet égard que les divergences entre les
observations provisoires et les observations définitives d'une chambre
régionale des comptes provenaient souvent du fait que les
réponses au premier questionnaire transmis aux autorités locales
apparaissaient insuffisantes, voire désinvoltes.
S'agissant du développement de la fonction de conseil des
collectivités locales, il a estimé très positif que les
collectivités locales disposent aussi d'une capacité d'audit et
d'expertise à leur niveau, tout en souhaitant que ces cellules
juridiques ne s'isolent pas mais qu'elles conservent la possibilité, y
compris financière, de faire appel à des expertises
extérieures.
En conclusion, il a estimé que l'amélioration de la
sécurité juridique des actes des collectivités locales ne
passait pas par une réponse unique mais par une accumulation de mesures
appropriées tendant à améliorer la qualification des
personnels et à prévenir les risques contentieux. Il a
souligné qu'il convenait de ne pas entraver la tendance lourde en faveur
de la " judiciarisation " mais au contraire de la canaliser et de la
diriger.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a
déclaré partager le diagnostic selon lequel les
dysfonctionnements du contrôle de légalité remettaient en
cause l'outil plus que le dispositif lui-même. Il s'est interrogé
sur la mise en place d'une instance au niveau du préfet qui permettrait
d'arbitrer entre tribunal civil et pénal et d'évacuer les recours
abusifs.
M. Hubert Blanc
a admis l'utilité de la mise en place
d'un tel filtre tout en soulignant que la difficulté était
d'encourager les services à y recourir. Il a rappelé à cet
égard que les services préfectoraux utilisaient peu la
procédure prévue aux articles L. 234-1 et L. 234-2 du code
des juridictions financières prévoyant que le préfet peut
transmettre, à titre préventif, à la chambre
régionale des comptes les conventions relatives à des
délégations de service public ou aux marchés publics afin
que celle-ci formule des observations dans un délai d'un mois.
M. Daniel Hoeffel
a estimé qu'il fallait ménager
entre les responsables des collectivités locales et les chambres
régionales des comptes la possibilité d'un recours à
vocation pédagogique ainsi que des formes de consultation
préalable en cas de difficulté juridique possible.
M. Hubert Blanc
a souligné en effet que les chambres
régionales des comptes devraient mesurer leur efficacité, non pas
à l'aune du nombre de sanctions qu'elles prennent, mais à celle
de leur capacité d'intervention en amont pour prévenir les
conflits. Il a estimé néanmoins, qu'après quelques
tâtonnements, le savoir-faire des magistrats des chambres
régionales des comptes se renforçait.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné
l'importance d'une clarification de la responsabilité des divers
maillons de la chaîne de commandement de l'action publique.
M. Jacques Oudin
a rappelé que le rapport
sénatorial sur les relations entre les chambres régionales des
comptes et les élus avait souligné les dysfonctionnements des CRC
et souligné l'insuffisance des voies d'appel. Il a souligné par
ailleurs que le principe de libre administration des collectivités
locales supposerait que le juge des comptes accepte que les décideurs
locaux aient une marge d'appréciation pour tout ce qui n'est pas
interdit par la loi, alors que, trop souvent, celui-ci considère que
tout ce qui n'est pas autorisé par le législateur est en fait
interdit aux élus locaux.
M. Hubert Blanc
a souligné qu'il n'était pas
toujours facile d'organiser une procédure d'avis préalable dans
la mesure où, notamment pour une institution jeune, il existait toujours
des risques de divergence entre les sections pour avis et les sections
contentieuses d'une même chambre. Il s'est prononcé en faveur d'un
élargissement de la procédure de contrôle préalable
de certaines conventions prévues aux articles L. 234-1 et L. 234-2
précités.
Il a remarqué que le juge judiciaire avait trop souvent une idée
erronée de la réalité de la vie administrative dans les
services de l'Etat et des collectivités locales, ce qui
nécessiterait que les échanges ou les procédures de
détachement soient facilités entre les juridictions judiciaires
et l'administration active.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est
interrogé sur la création d'une instance de consultation entre le
représentant des chambre régionales des comptes, des services de
l'Etat et des services des collectivités locales pour mieux
définir les limites juridiques applicables à certains actes.
M. Hubert Blanc
s'est montré favorable à la
création d'une telle concertation pour autant que son objet soit
limité à l'examen de thèmes juridiques
déterminés et non pas d'actes juridiques en particulier. En tout
état de cause, il s'est félicité d'une certaine
stabilisation de la jurisprudence des chambres régionales des comptes.
Audition de M. Pierre FAUCHON,
rapporteur du groupe
de
travail de la commission des lois du Sénat
sur la
responsabilité pénale des élus
(10 juin
1999)
Puis, la
mission a procédé à l'audition de
M. Pierre Fauchon,
rapporteur du groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur
la responsabilité pénale des élus.
M. Pierre Fauchon
a estimé que la loi du 13 mai 1996, relative
à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou
de négligence, était encore trop récente pour qu'il soit
possible de véritablement en dresser le bilan mais que, en raison des
mises en causes actuelles d'élus pour imprudence et négligence,
il était utile de s'interroger à nouveau sur les modalités
de la mise en cause de la responsabilité pénale des élus
locaux.
M. Pierre Fauchon
a considéré que, depuis l'entrée
en vigueur de la loi, les juges tendaient à mieux prendre en compte les
moyens concrets dont disposaient les élus locaux dans l'exercice de
leurs missions. Il a cependant observé que cette évolution
n'était pas généralisée. Se référant
aux précisions données par le garde des sceaux au Sénat le
28 avril dernier, il a indiqué que, de 1995 à 1998, dans 33
parquets, 54 élus avaient été mis en examen pour
délit non intentionnel et 27 avaient fait l'objet d'une condamnation.
Evoquant les raisons pour lesquelles les justiciables se tournaient plus
volontiers vers la voie pénale que les juridictions administratives,
M. Pierre Fauchon
a souligné que, si les délais de
jugement de ces dernières contribuaient fortement à ce choix de
procédure, la raison principale résidait dans la recherche d'un
effet "spectaculaire" accentué par la médiatisation de la
société. Par conséquent, il a estimé que la
réduction des délais de jugement de la juridiction
administrative, notamment avec la réforme du référé
administratif, ne conduirait pas à modifier les comportements des
justiciables sur ce point.
M. Pierre Fauchon
a ensuite rappelé que la notion de
délinquance non intentionnelle était en soi une aberration, la
délinquance étant précisément
caractérisée par l'intention de commettre un acte
répréhensible. Il s'est demandé s'il ne faudrait pas
envisager de renoncer à la notion de responsabilité pénale
non intentionnelle car, du fait de la médiatisation croissante des
procédures, la comparution devant un tribunal correctionnel avait des
effets plus dommageables qu'auparavant sur les personnes mises en cause.
M. Pierre Fauchon
a estimé qu'il était de la
responsabilité du législateur de prendre en compte cet
état de fait, soit en supprimant les délits non intentionnels, le
dommage pouvant alors toujours faire l'objet d'une réparation civile,
soit en limitant les poursuites pour délits non intentionnels aux cas de
fautes lourdes. Il a jugé que cette dernière piste était
réaliste car, même s'il est exact que la faute lourde n'existe pas
en droit pénal, cette notion étant parfaitement
maîtrisée en droit civil, en particulier par le droit
aérien et le droit du travail, elle paraissait tout à fait
transposable en droit pénal.
M. Pierre Fauchon
a toutefois reconnu qu'il serait difficile, au regard
de l'état actuel de l'opinion publique, de limiter l'exigence de la
faute lourde aux seuls élus, même si, à titre personnel, il
a déclaré ne pas être choqué par cette
hypothèse compte tenu des spécificités de l'exercice de la
fonction d'élu local.
M. Pierre Fauchon
n'a pas souscrit à l'idée selon laquelle
la notion de faute détachable pourrait être retenue comme
critère déterminant la mise en cause pénale d'actes commis
par des élus dans l'exercice de leurs fonctions. Il a rappelé
que, depuis l'arrêt du tribunal des conflits " Thépaz "
de 1935, la notion de faute détachable ne s'appliquait pas en droit
pénal, et que cette jurisprudence était considérée
comme protectrice pour les victimes.
M. Pierre Fauchon
a en revanche estimé qu'il n'était pas
opportun d'ouvrir trop largement la possibilité d'engager des actions en
justice à des associations. Il a jugé nécessaire que les
recours abusifs soient davantage sanctionnés, souhaitant une
évolution de la jurisprudence dans ce sens.
Envisageant les garanties supplémentaires qui pourraient être
reconnues aux élus dans le cadre de la procédure pénale,
il a tout d'abord fait observer que les "privilèges de juridiction"
aujourd'hui abrogés permettaient de ne pas faire comparaître les
élus devant un tribunal situé dans leur région
d'élection. Il a néanmoins relevé qu'il serait
désormais difficile de rétablir ces règles de
procédure.
M. Pierre Fauchon
a estimé que la création du statut de
"témoin assisté" prévue par le projet de loi relatif
à la présomption d'innocence allait dans le bon sens. Il s'est
prononcé pour qu'une personne ne puisse être mise en examen sans
qu'elle n'ait préalablement été entendue,
accompagnée par un avocat, par le juge d'instruction. Il a
observé que cette mesure était nécessaire pour
éviter que des élus n'apprennent leur mise en examen par voie de
presse. Il a plaidé pour que la situation de " témoin
assisté " puisse être maintenue pendant une période
plus longue.
M. Pierre Fauchon
a souhaité que les poursuites s'orientent le
plus possible vers la recherche de la responsabilité de la
collectivité personne morale, de préférence à celle
de l'élu local, mais a observé qu'il était plus stimulant
pour des victimes d'attaquer des personnes. Il a ajouté que,
actuellement, la responsabilité pénale des personnes morales
n'existait que pour les compétences pouvant faire l'objet d'une
délégation de service public mais pas pour les compétences
non délégables, telles que les pouvoirs de police. Il s'est
prononcé en faveur de la suppression de cette distinction.
Enfin,
M. Pierre Fauchon
a appelé à l'amélioration
de l'information des élus locaux et s'est désolé de la
complexité croissante de la réglementation en vigueur, qui
conduisait les différentes administrations à ne pas
interpréter de la même manière une même règle
de droit.
M. Jacques Oudin
a confirmé la dernière remarque de
M. Pierre Fauchon, insistant sur la difficulté d'exercer la
fonction d'élu local qui résultait de cette situation. Il a
estimé que le législateur portait une grande partie de la
responsabilité de cette évolution en adoptant des textes trop
précis ou trop flous.
Audition de M. François
TUTIAU,
président
de l'association des juristes territoriaux
(10 juin 1999)
Puis la
mission a procédé à
l'audition de
M.
François Tutiau, président de l'association des juristes
territoriaux
.
Interrogé sur l'application jurisprudentielle de la loi du 13 mai 1996,
M. François Tutiau
a remarqué que les tribunaux de
grande instance faisaient très rarement référence à
cette loi, citant a contrario un jugement du tribunal correctionnel de Toulouse
du 19 février 1997 relatif aux thermes de Barbotan, le juge
ayant effectivement examiné in concreto si les diligences normales
avaient été accomplies.
Tout en relevant que l'allongement des délais de jugement devant les
juridictions administratives constituait un vrai problème pour les
collectivités locales, il a considéré qu'il ne suffisait
pas à expliquer le recours par les justiciables au juge pénal.
M. François Tutiau
a ensuite énuméré les
raisons de la saisine systématique de la juridiction pénale. La
citation directe et le fait que la constitution de partie civile
déclenche l'action publique lui ont paru déterminants, ainsi que
la possibilité pour le requérant d'obtenir sans frais la mise en
oeuvre de moyens inquisitoriaux.
Sur le fond, il a souligné que le juge pénal engageait la
responsabilité de toutes les personnes ayant concouru à la
réalisation d'un dommage et que, conformément à la
théorie de l'équivalence des conditions, le prévenu
était condamné dès lors qu'en l'absence du comportement en
cause, le dommage ne serait pas survenu. Il a opposé l'anonymat de la
procédure administrative contentieuse à la recherche de
l'identité de l'auteur d'une infraction pénale. Enfin, il a
opposé les coûts très faibles de la procédure civile
aux frais d'expertise supportés par le justiciable devant le juge
administratif.
Il a estimé que dans certains cas le contentieux judiciaire appuyait une
revendication sociale, principalement à la demande des associations,
voire s'apparentait à un contentieux de la vengeance.
Quant au référé administratif,
M. François
Tutiau
a souligné le paradoxe entre la lenteur de la justice
administrative et la multitude des procédures d'urgence. Il a
noté l'intérêt de l'article R. 120 du code des
tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel permettant au
juge d'accélérer l'instruction d'une demande de sursis à
exécution, voire de prononcer une dispense d'instruction.
Il a regretté que les tribunaux administratifs adoptent des solutions
très différentes les uns des autres dans ce domaine. Il a
souhaité une uniformisation des pratiques juridictionnelles.
Il a remarqué que le projet de loi récemment adopté en
première lecture par le Sénat, en instituant un
référé suspension, ne réglait pas le
problème du jugement des litiges au fond. Il a proposé la
jonction des deux requêtes afin d'éviter les situations
d'insécurité juridique, en particulier lorsque le sursis à
exécution ne serait pas prononcé mais que la décision
serait annulée au fond deux ou trois ans plus tard.
Il a indiqué les risques du référé suspension,
à savoir la multiplication des recours et la paralysie de l'action
administrative. Il a regretté que des projets importants pour les
collectivités territoriales puissent être suspendus pour une
longue durée sans jugement au fond.
Interrogé sur la notion de faute détachable du service,
M.
François Tutiau
a estimé que la question était
réglée depuis l'arrêt du Conseil d'Etat Thépaz de
1935, l'existence d'une infraction pénale n'impliquant plus que la
responsabilité personnelle de l'agent soit engagée en ce qui
concerne la réparation pécuniaire du préjudice. De plus,
il a remarqué que le délit d'imprudence pouvait correspondre
à une faute de service. Il en a conclu que la notion de faute
détachable ne pouvait constituer une parade efficace contre le recours
abusif au juge pénal.
Afin de privilégier la responsabilité pénale de la
collectivité territoriale, personne morale, il a souhaité une
meilleure définition législative des activités
susceptibles de faire l'objet d'une délégation de service public,
lesquelles, malgré une circulaire du garde des sceaux du
5 avril 1995, ne faisaient pas l'objet d'une jurisprudence bien
établie.
Il a remarqué que les peines appliquées aux personnes morales
étaient peu adaptées aux collectivités locales, les frais
résultant de la condamnation prononcée par la décision de
justice étant en fait supportés par le contribuable local.
De plus, il a relevé que le cumul de responsabilités serait
toujours possible, la responsabilité de la personne morale n'excluant
pas la responsabilité personnelle de l'élu local.
M. François Tutiau
a constaté que l'action civile,
très largement ouverte aux associations, faisait de celles-ci les
porteurs privés de l'action publique. Il a évoqué la
multiplication des recours devant le juge administratif et a regretté
que l'amende pour recours abusif soit exceptionnellement prononcée. Il a
suggéré que cette amende soit inscrite dans la loi et puisse
être demandée par le défendeur.
Il a estimé que l'objet social des associations auteurs de recours
systématiques devrait être davantage contrôlé par le
juge civil.
Afin d'inciter les victimes à utiliser la voie civile, il a mis en garde
contre l'extension du champ de compétence du juge pénal par des
lois spécifiques ou par l'utilisation de formules trop
générales comme la notion " d'inobservation des
règlements ".
M. François Tutiau
a constaté les divergences existant
entre le contrôle de légalité, le juge administratif, le
juge des comptes et le juge pénal, mais il a observé que dans
certains cas ces divergences étaient nécessaires. La
moitié des dénonciations devant les chambres régionales
des comptes étant qualifiées pénalement par le juge des
comptes, il a estimé souhaitable que le juge pénal puisse porter
une appréciation différente de celle de la chambre.
S'agissant du contrôle de légalité, il a regretté
que l'arrêt du Conseil d'Etat Brasseur du 25 janvier 1991 laisse au
préfet un trop grand pouvoir d'appréciation en lui permettant de
ne pas déférer tous les actes illégaux. Constatant qu'un
quart des jugements rendus sur déféré préfectoral
étaient défavorables au préfet, il a regretté le
manque de compétence des services de la préfecture chargés
du contrôle de légalité.
Il s'est inquiété de la juxtaposition de la mission du
contrôle et de la fonction d'instruction au sein d'une même
autorité, en particulier les directions départementales de
l'équipement.
M. François Tutiau
a estimé qu'il n'était pas
possible de limiter le contrôle de légalité aux seuls actes
ou domaines importants ou de le confier à une autorité
indépendante. Il a préféré une augmentation des
effectifs des juristes territoriaux et leur association en amont de
l'élaboration de projets envisagés par les collectivités
territoriales.
Il s'est demandé s'il fallait maintenir le caractère
rétroactif des annulations contentieuses, compte tenu des délais
très tardifs dans lesquels les jugements intervenaient. Il a
proposé une annulation, valable uniquement pour l'avenir, à
compter de la date du jugement, afin d'éviter les problèmes
juridiques liés à l'exécution des jugements,
éventuellement sous astreinte.
Afin d'améliorer la transparence de l'action administrative et de
prévenir le contentieux, il a prôné le développement
des procédures consultatives en amont des décisions.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a avancé l'idée
d'un organigramme qui préciserait très clairement les
compétences de chacun, afin d'éviter la confusion des
responsabilités dans une collectivité locale.
M. François Tutiau
a considéré que la charte de
déontologie établie par le syndicat des secrétaires
généraux et directeurs généraux répondait
à cette préoccupation. Il a conclu en souhaitant un
développement de la fonction juridique dans les collectivités
territoriales, accompagné d'un effort de formation conséquent et
de la reconnaissance de la place du juriste auprès du décideur
public.
Audition de M. Eric WOERTH,
directeur associé
d'Arthur Andersen, responsable des collectivités
locales,
accompagné de M. Philippe PEUCH-LESTRADE,
associé
(15 juin 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à l'
audition de M. Eric
Woerth, directeur associé d'Arthur Andersen, responsable des
collectivités locales, accompagné de M. Philippe
Peuch-Lestrade, associé.
M. Philippe Peuch-Lestrade
a rappelé que le cabinet Arthur Andersen
exerçait son activité dans un grand nombre de pays, ce qui
permettait de confronter les expériences et de procéder à
des comparaisons internationales. Dans le domaine du conseil aux
collectivités territoriales, a-t-il précisé, le cabinet
répond aux demandes des décideurs dans quatre secteurs :
- le conseil financier, juridique et opérationnel ;
- la délégation de service public (public-private
partnership) ;
- l'évaluation des politiques publiques ;
- les études économiques.
M. Eric Woerth
a présenté l'étude comparative sur
les collectivités locales en Europe réalisée pour
répondre aux préoccupations de la mission, à partir des
informations recueillies auprès des partenaires du cabinet Arthur
Andersen, interrogés sur les compétences des niveaux de gestion
locale et sur la nature et l'articulation des relations, notamment
financières, entre ces différents niveaux.
Il a distingué en Europe trois groupes de pays : les pays à
caractère unitaire (Danemark, Royaume-Uni), les pays fortement
régionalisés (Espagne, Italie), et les pays à
caractère fédéral (Allemagne, Belgique, Suisse).
Il a décrit le Danemark comme un Etat unitaire dont la
décentralisation est en route depuis trente ans, où les
collectivités locales ont une très large autonomie et où
les services déconcentrés sont peu nombreux, l'Etat central n'y
ayant conservé que ses fonctions régaliennes. Il a
précisé que le pays se divisait en deux régions autonomes,
14 comtés et 273 communes. Abordant la fiscalité locale, il
a rappelé que les collectivités locales prélevaient
30 % des taxes et charges obligatoires au Danemark et que leurs
dépenses correspondaient à 42 % des dépenses
publiques, un schéma de coopération budgétaire
étant négocié chaque année entre les
collectivités et l'Etat central.
En présentant le Royaume-Uni, il a d'abord rappelé que, bien
qu'il s'agisse d'un Etat unitaire, quatre " nations " s'y trouvaient
promises à une large autonomie depuis l'arrivée au pouvoir du
gouvernement Blair. Il a observé que l'élément de base de
l'organisation territoriale au Royaume-Uni n'était pas la commune mais
le comté (county) et que le poids de l'Etat central était encore
à ce jour très important, d'autant qu'un organe central, la
" Local government commission ", était chargée des
services déconcentrés de l'Etat et de toute l'organisation
territoriale. Il a souligné que les recettes des collectivités
locales britanniques étaient constituées de dotations de l'Etat
à hauteur de 80 %.
Il a considéré que l'Espagne s'orientait progressivement vers une
forme aboutie de fédéralisme, car depuis 1978 l'autonomie
territoriale était très forte. Il a ajouté que les
communautés autonomes étaient les charnières de la
décentralisation et qu'en outre il n'y avait pas de modèle unique
de communauté puisque chacune était organisée " sur
mesure " en fonction de son histoire et de ses traditions. Il a poursuivi
en remarquant que les communautés avaient un pouvoir législatif
qui intervenait autant que celui de l'Etat central pour fixer les règles
de l'échelon inférieur de la décentralisation, la
province. Il a reconnu enfin que sur le plan financier, la
régionalisation de l'Espagne avait créé un système
complexe, mais qu'une simplification pouvait résulter du renforcement de
l'autonomie des communautés autonomes.
M. Eric Woerth
a considéré que l'Italie prenait aussi le
chemin du fédéralisme, compte tenu du développement du
rôle des vingt régions dont quatre avaient déjà un
statut d'autonomie. Il a indiqué que l'Italie connaissait un
système de relations stellaires entre l'Etat et les collectivités
(régions, provinces, communes) au lieu d'un système
hiérarchisé et que les collectivités elles-mêmes
entretenaient des relations croisées. Toutefois, l'Etat central
contrôlait l'activité et les décisions législatives
et administratives des régions et, par l'intermédiaire des
régions, celles des provinces et des communes. Il a souligné que
les dépenses des collectivités italiennes représentaient
45 % des dépenses publiques, mais que l'organisation fiscale
était devenue trop complexe.
Présentant les caractéristiques des Etats fédéraux,
M. Eric Woerth
a rappelé que les Länder allemands
étaient des Etats et non de simples collectivités territoriales.
Il a pris pour exemple le Land de Bad-Würtemberg divisé en
arrondissements (Landkreise) et en communes. Il a signalé que
l'Allemagne d'une manière générale jouissait d'une
organisation territoriale efficace mais que ce système, fruit du
passé, n'était pas exportable et qu'il subissait aujourd'hui les
premiers symptômes d'une recentralisation. Il a ainsi relevé que
les communes, qui constituaient l'unité de base de l'organisation
territoriale, étaient réticentes à accepter de nouvelles
compétences sans que les moyens correspondants leur soient
parallèlement transférés.
En introduisant le cas particulier de la Belgique,
M. Eric Woerth
a
d'emblée reconnu qu'il s'agissait d'une situation complexe et atypique.
Depuis la quatrième réforme de l'Etat en 1993, la Belgique
était devenue un Etat fédéral qui se composait de
communautés et de régions, en tout six collectivités
fédérées définies en grande partie à partir
de quatre régions linguistiques se superposant avec des territoires.
D'autre part, la Belgique comptait 589 communes regroupées en 200
associations intercommunales et 10 provinces. Quant aux relations
financières, elles dépendaient d'un système
fédéral de péréquation, mais la fiscalité
locale était complexe et reposait sur 135 taxes.
Enfin,
M. Eric Woerth
a relevé que la Suisse constituait le plus
bel exemple de la force de la démocratie locale.
Pour conclure ce panorama européen,
M. Eric Woerth
a
constaté une grande diversité des modes d'organisation
territoriale, une grande variété dans le partage des
compétences et dans les relations financières, mais il a
noté que dans tous les cas étudiés les systèmes
étaient en évolution.
Il a fait valoir que les réflexions sur la décentralisation
portaient sur l'autonomie financière des collectivités, la
recherche du bon niveau d'administration pour chaque compétence (la
région apparaissant souvent comme le niveau européen
idéal) ainsi que sur la participation des citoyens aux affaires locales
(référendum, médiateur, rôle renforcé du
maire élu directement).
Il a en outre déclaré que les citoyens en Europe formulaient de
nouvelles exigences : transparence, information, choix entre plusieurs
fournisseurs de services publics, qualité des services, contrôle
renforcé des dépenses publiques.
Tirant les enseignements de cette étude pour l'évolution de la
situation locale en France,
M. Eric Woerth
a souligné certaines
faiblesses de la décentralisation française telles que la
confusion des rôles ou encore la complexité des structures. Il a
estimé, s'appuyant sur les exemples étrangers, que plusieurs
mesures seraient susceptibles d'améliorer le cadre en vigueur, notamment
le renforcement de la transparence des procédures et de la
qualité des services publics, la limitation des compétences
" croisées " par la définition de
" portefeuilles " de compétences, l'équilibre entre
compétences et ressources, le développement de la
coopération entre l'Etat et les collectivités locales en
matière d'investissement, l'allégement voire la suppression de
certains niveaux d'administration. Il a en outre observé que les Etats
voisins avaient souvent choisi la région comme collectivité
" charnière ".
M. Philippe Peuch-Lestrade
a ajouté que ce qui
caractérisait nos voisins européens en matière de
décentralisation, c'était le pragmatisme et que partout,
aujourd'hui, on exigeait la transparence et la fiabilité.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président,
a relevé le
rôle des citoyens dans l'évolution des politiques publiques. Il
s'est en outre interrogé sur la transparence du fonctionnement de l'Etat
et sur le rôle de ce dernier pour assurer une véritable
péréquation financière. Il s'est également
demandé si l'Etat était appelé à prendre en charge
progressivement la fiscalité locale. Il a souhaité savoir si le
renforcement des régions préfigurait une Europe des
régions. Enfin, il a demandé des précisions sur les
mécanismes de contrôle administratif.
M. Philippe Peuch-Lestrade
a tout d'abord indiqué qu'il
était difficile d'établir une synthèse des
différents régimes fiscaux.
Il a souligné que notre pays avait des atouts et des exemples à
proposer, car il avait notamment été un précurseur en
matière de concessions de service public alors que, cent ans plus tard,
la Grande-Bretagne et les pays scandinaves s'interrogeaient sur les meilleures
méthodes pour établir un partenariat public/privé.
S'agissant des contrôles, il a relevé qu'ils portaient
essentiellement sur les dépenses publiques, citant en exemple le
contrôle continu des services publics mis en place au Royaume-Uni
(" value-for-money audit ") dont les résultats étaient
publiés régulièrement dans la presse, ce qui stimulait les
services publics.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président
, qui
s'interrogeait sur les conditions d'exercice des mandats locaux et plus
particulièrement sur la pénalisation de la vie publique,
M.
Eric Woerth
a estimé que cette pénalisation semblait moins
importante dans les Etats voisins. Il a en outre observé que les moyens
donnés aux élus locaux pour l'exercice de leurs mandats pouvaient
être sensiblement plus développés qu'en France, prenant
l'exemple de l'Allemagne où les fonctions municipales avaient
été professionnalisées.
Audition de M. Pierre CALAME,
président de la
Fondation Charles-Léopold Meyer
(15 juin 1999)
La
mission a ensuite procédé à l'
audition de
M. Pierre Calame, président de la Fondation Charles-Léopold
Meyer.
M. Pierre Calame
a rappelé que son expérience de vingt-cinq
ans en tant que fonctionnaire du service des ponts et chaussées au
ministère de l'équipement lui avait permis de participer à
la mise en oeuvre de la décentralisation.
Au préalable, il a précisé que l'usage du
néologisme " gouvernance ", remis à la mode par des
travaux d'origine anglo-saxonne, était justifié dans la mesure
où la langue française ne comportait pas vraiment de terme
recouvrant l'ensemble des notions permettant de comprendre " comment une
société s'organise pour assurer par elle-même sa propre
régulation ".
Il a observé que le mot " gouvernement " recouvrait
l'étude des institutions politiques, que le mot
" administration " portait sur l'organisation des services publics et
que le " management public " était une notion centrée
sur la performance des services publics, alors que le terme gouvernance
permettait de couvrir à la fois l'organisation des pouvoirs publics et
les rapports entre ces derniers et l'administration, ainsi que la
société civile.
M. Pierre Calame
a présenté les différentes
composantes de la crise " internationale et multiforme " de la
gouvernance. Il a d'abord évoqué " la crise des
échelles de la gouvernance " due au fait que les niveaux
d'intervention publics ne sont plus adaptés aux interdépendances.
Regrettant que trop souvent les décideurs publics gèrent les
problèmes de la société de demain " avec les
idées d'hier et les institutions d'avant-hier ", il a
souligné que les institutions, qui étaient certes un
élément de stabilité, évoluaient beaucoup plus
lentement que la réalité : ainsi l'Etat-Nation demeure le
niveau d'intervention fondamental, alors qu'il est trop souvent
dépassé par les interdépendances internationales et
incapable de répondre aux aspirations à l'autonomie et à
la liberté locale.
A cet égard, il a souligné que la décentralisation
répondait à une revendication identitaire à travers la
recherche de la constitution d'ensembles territoriaux cohérents.
Il a considéré que la crise de la gouvernance était due
également à la " délégitimation des pouvoirs
publics ", qui prenait des proportions considérables en Afrique et
en Amérique latine du fait de la corruption des Etats et de
l'incompétence des élites, alors que la France connaissait encore
sur ce plan une situation normale marquée par un certain respect pour
l'action des pouvoirs publics.
Puis
M. Pierre Calame
s'est interrogé sur l'adéquation
entre les formes et les modes de relation entre les pouvoirs publics et la
société civile.
Il a rappelé qu'en France, l'idée était
profondément enracinée que l'Etat était du
côté de la raison, tandis que la société civile
était soumise aux émotions : le " regard " des
pouvoirs publics sur les administrés est donc teinté de
paternalisme, l'Etat mettant en avant sa légitimité, soit
à travers la défense de l'intérêt
général, soit au nom d'impératifs de rationalité
technique.
Il a regretté que les pouvoirs publics se réclament souvent de la
notion de partenariat, alors qu'ils s'avèrent incapables de se
comporter, sur le terrain, comme des partenaires " passant contrat "
avec leurs interlocuteurs.
De même, il a regretté que l'invocation de la notion de
" participation " recouvre seulement l'explication donnée aux
citoyens des projets conçus et préparés dans les termes et
suivant les options voulus par les pouvoirs publics.
Il a souligné que les problèmes quotidiens de la population ne se
formulaient pas dans le même langage et ne se structuraient pas autour
des thèmes des pouvoirs publics et qu'il était donc essentiel de
restaurer un dialogue à travers un langage commun entre les citoyens et
les appareils administratifs.
Par ailleurs, il a déploré que, trop souvent, les pouvoirs
publics se bornent à proposer aux citoyens de choisir entre quelques
alternatives, dont le caractère simplificateur est largement illusoire
face à la complexité des problèmes rencontrés.
M. Pierre Calame
a donc considéré qu'il était
important de construire une démarche qui permette de chercher en commun
des réponses adaptées.
Il a souhaité, par ailleurs, que les rapports entre le pouvoir politique
et l'administration soient repensés : sur ce point, il a
rappelé que ces rapports reposaient toujours sur " le mythe "
d'une séparation entre le décideur politique, qui trancherait des
grandes options, et le technicien qui se présenterait les choix
possibles et exécuterait les décisions prises.
M. Pierre Calame
a estimé que cette représentation
était erronée dans la mesure où le processus
d'élaboration d'une décision conditionnait largement les choix
effectués et où le technicien monopolisait le " sens "
des décisions à prendre.
Il a appelé de ses voeux une véritable " transformation
culturelle " des pouvoirs publics en admettant que celle-ci serait lente
à s'opérer et qu'elle exigerait de faire appel à la
volonté des citoyens de devenir partie prenante de projets collectifs.
A cet égard, il a constaté que les travaux de réflexion
menés sur la réforme de l'administration en France, tels que les
rapports de M. Jean Picq ou de M. Christian Blanc, étaient
trop exclusivement centrés sur les simplifications à
caractère réglementaire et sur les changements d'organigrammes.
Enfin, il a considéré que la crise de la gouvernance tenait
à un " déficit de réflexion " sur les liens qui
devaient exister entre les divers niveaux de collectivités territoriales.
Constatant que les " eurosceptiques " reprochaient paradoxalement aux
institutions européennes à la fois d'être trop tatillonnes
et de se limiter à la création d'un grand marché unique,
il a estimé essentiel de parvenir à concilier, au niveau des
territoires, la gestion des interdépendances.
Il a considéré qu'il n'était pas possible d'affecter des
compétences à une catégorie de collectivité locale
déterminée dans la mesure où certains problèmes ne
pouvaient être résolus au niveau d'un seul échelon
territorial, comme le montraient les difficultés de la lutte contre les
exclusions ou contre la violence urbaine.
Rejetant le principe " des blocs de compétences ", il a
souligné qu'il fallait " associer " les différents
échelons territoriaux en permettant à chaque collectivité
d'exercer des responsabilités partagées.
Il a porté un regard critique sur les effets de la
décentralisation en France, en considérant que l'action publique
territorialisée avait régressé dans la mesure où la
rhétorique partenariale était constamment mise en avant, alors
que la pratique était largement en deçà des
déclarations.
Il a regretté que la décentralisation ait été
accomplie en France en suivant une démarche
" féodale ", c'est-à-dire en procédant d'une
logique où " le pouvoir local assurait la légitimité
de l'action politique ".
A cet égard, il a évoqué la distinction entre le
" pouvoir substantif ", conçu comme un objet que certains
acquièrent au détriment des autres, et le " pouvoir
auxiliaire " entendu comme un instrument au service d'une fin.
Il a estimé que la bonne gouvernance passait par la recherche de la
pertinence de l'action publique, c'est-à-dire l'adéquation entre
les formes de l'action administrative et la nature des problèmes
posés.
Prenant l'exemple de la lutte contre les exclusions, il a regretté que
les services sociaux se dotent d'indicateurs liés au nombre de personnes
accueillies ou d'emplois-jeunes conclus, alors que le vrai problème
était de savoir si l'action territorialisée était efficace
face à l'exclusion. A cet égard, il a estimé que les
représentants des pouvoirs publics ne devaient pas laisser aux
techniciens le monopole des jugements de valeur sur la pertinence des actions
conduites.
Evoquant la similitude des problèmes que posaient les quartiers
d'habitat populaire en Europe ou dans les pays d'Amérique latine, il a
estimé que la bonne démarche était de découvrir les
questions communes qui peuvent se poser afin d'apporter une réponse
pertinente dans l'ensemble des pays concernés.
Il s'est interrogé également sur la marge de manoeuvre
laissée aux collectivités locales. Il a regretté que
l'Etat impose une " obligation de moyens " aux collectivités
locales, alors que les contextes territoriaux sont souvent bien
différents. Il a souhaité un renversement de logique qui
exigerait des collectivités locales une " obligation de
résultat ", à charge pour celles-ci d'inventer des modes de
réponse adaptée aux problèmes locaux en n'hésitant
pas à recourir à des expérimentations.
Il a donc considéré que la fonction de l'Etat central
n'était pas d'envoyer un message uniforme à l'ensemble des
collectivités périphériques, mais plutôt d'organiser
des échanges entre différents partenaires et d'animer un
processus de travail en réseau.
Il a plaidé pour la création " d'organisations
administratives autorégulées " qui réviseraient
automatiquement leur choix en fonction de leurs résultats.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné le
caractère original de l'approche " philosophique " de M.
Pierre Calame. Il s'est interrogé sur la situation relative de la France
en termes de gouvernance ainsi que sur le rôle de la participation des
citoyens.
En réponse,
M. Pierre Calame
a souligné que la France
avait des atouts car l'appareil administratif conservait une grande
légitimité aux yeux de l'opinion, mais il a regretté que
l'appareil politique demeure figé, que les rapports entre l'Etat et les
collectivités locales soient empreints de
" féodalisme ". Il s'est inquiété
également du développement d'une culture d'assistanat ainsi que
des effets négatifs de la concurrence entre communes sur le plan
économique.
Il a souhaité que se développe une véritable
" culture de projets " qui permette d'articuler l'action de niveaux
pertinents de collectivités territoriales autour d'objectifs
mobilisateurs suivant la nature des problèmes posés.
Audition de Mme Mireille MONTAGNE,
directeur de la
vie
sociale du département de la Savoie
(22 juin 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à l'audition de
Mme
Mireille Montagne
,
directeur de la vie sociale du département de
la Savoie
.
Après avoir rappelé qu'elle avait une expérience
professionnelle à la fois dans les services de l'Etat et dans les
services départementaux,
Mme Mireille Montagne
a souligné
que le département de la Savoie pouvait être
considéré comme un département favorisé dans la
mesure où il n'était pas observé de graves fractures
sociales et où les quartiers urbains sensibles étaient peu
nombreux.
Elle a estimé que la décentralisation avait apporté un
" plus " à l'action sociale en rappelant que cette
réforme était rendue nécessaire par l'exigence accrue des
citoyens en matière de " réactivité " des
services publics.
Prenant l'exemple de la Savoie, elle a indiqué que la
décentralisation avait permis une accélération de la
programmation d'équipements nouveaux en particulier pour les personnes
âgées et les personnes handicapées où un réel
retard avait pu être rattrapé depuis 1983.
Elle a souligné la constance de l'effort financier engagée par
les départements dans le domaine social malgré les
inquiétudes qui avaient pu être émises en 1983 à
propos de la volonté des élus de s'engager en faveur des
populations handicapées âgées ou socialement
défavorisées. Elle a observé que l'action innovante des
départements s'était également traduite par un effort de
mise à disposition de personnels qualifiés dans le domaine social
auprès des publics concernés.
Puis
Mme Mireille Montagne
s'est inquiétée de la faiblesse
du dispositif actuel pour évaluer les effets des politiques conduites
d'une part, et anticiper sur les évolutions de la société,
d'autre part.
Elle a observé que si les entreprises du secteur privé mettaient
en oeuvre des moyens sophistiqués pour analyser les anticipations des
comportements des consommateurs, les organismes de protection sociale se
montraient encore " frileux " pour analyser l'évolution de
phénomènes sociaux profonds liés à la modification
des structures familiales ou à la réduction du temps de travail.
Elle a estimé que l'accélération de ces
phénomènes sociaux aurait un impact tangible sur la demande des
citoyens d'ici dix ans.
S'agissant de la répartition des compétences, elle a
estimé que le dispositif issu des lois de 1983 constituait globalement
un progrès, tout en souhaitant que l'Etat recentre prioritairement son
action sociale sur la politique de santé.
Elle a regretté que l'Etat intervienne de manière trop
dispersée et que des dispositifs, tels que les fonds de
solidarité pour le logement ou les fonds d'urgence sociale, soient trop
faibles pour être réellement efficaces.
Elle a estimé que le rôle imparti à la région
était satisfaisant tout en souhaitant que les publics en grande
difficulté soient mieux pris en compte dans les programmes de formation
qualifiante.
Elle s'est demandé si la répartition des compétences ne
pourrait pas être améliorée au profit des régions
dans les domaines de la formation initiale des assistantes maternelles et de la
formation des personnels de proximité au service des personnes
âgées.
Concernant le département,
Mme Mireille
Montagne
a
estimé que cette collectivité, dont la légitimité
était reconnue par les principaux partenaires, avait la dimension
requise pour avoir une vision globale des problèmes et des
réponses sociales à leur apporter.
Elle a regretté toutefois que l'organisation de l'action sociale des
départements repose encore trop sur des filières
organisées sur une base socioprofessionnelle et parfois trop
cloisonnées.
Concernant la commune, elle a estimé que cet échelon
gérait de manière satisfaisante les services de proximité
et qu'il permettait de responsabiliser les habitants en matière d'action
sociale.
Elle a souligné toutefois que la compétence qui avait
été dévolue aux communes en matière d'observation
des besoins sociaux pourrait être utilement transférée aux
départements.
S'agissant de l'efficacité de l'action sociale, elle a souligné
qu'il était important d'évaluer l'aptitude de la
collectivité à créer des réseaux de soutien
efficace en faveur des publics à soutenir au-delà de la stricte
gestion d'un bloc de compétences.
S'agissant de l'aide à l'enfance, elle a souligné que le
département offrait l'avantage d'une approche globale de la prise en
charge des enfants en difficulté, même si dans les quartiers
difficiles, les efforts des départements et des communes semblaient
parfois dispersés.
Insistant sur le fait qu'il existait des jeunes en difficulté, et non
pas une jeunesse à la dérive, elle a indiqué que les
coûts de prise en charge étaient élevés dans ce
secteur en rappelant qu'une mesure de placement d'enfant en
établissement représentait 220.000 francs par an.
Concernant les personnes âgées, elle a souligné que
l'intervention des départements avait permis une meilleure connaissance
des besoins des personnes vieillissantes ainsi qu'un réel
développement des services dont elles ont besoin.
En revanche, elle a estimé que la prise en charge de la
dépendance était effectuée trop souvent au
détriment des personnes issues des classes moyennes.
Estimant injustes les reproches adressés aux départements
concernant la prestation spécifique dépendance, elle a
souligné que celle-ci avait permis d'améliorer la perception du
problème de la dépendance ainsi que la prise en charge des
personnes en bénéficiant.
Envisageant les défis auxquels seraient confrontées les
collectivités locales en matière sociale,
Mme Mireille
Montagne
s'est inquiétée de l'affaiblissement du lien social
traduisant le fait que les citoyens n'ont parfois plus le sentiment
d'appartenir à une collectivité solidaire. Sur ce point, elle a
souligné que le rôle des élus était essentiel. Elle
a observé par ailleurs que l'offre de service en travail social
était aujourd'hui suffisante et que l'objectif devrait être de
réorienter cette offre pour conforter le lien social, en s'appuyant
notamment sur les équipements collectifs tels que les crèches ou
les haltes garderie.
Mme Mireille Montagne
a vu dans la maîtrise des nouvelles
techniques de l'information et de la communication un second défi
d'avenir. Regrettant le décalage croissant entre les concepteurs des
nouvelles technologies de communication et les travailleurs sociaux, elle s'est
inquiétée des difficultés que leur développement
pourrait entraîner pour les personnes inadaptées,
âgées ou handicapées qui y seraient confrontées
quotidiennement.
Elle a rappelé à cet égard que d'ores et
déjà les assistantes sociales consacraient une partie non
négligeable de leur temps de travail à faciliter l'accès
au droit des personnes en difficulté.
S'agissant du problème des personnes handicapées vieillissantes,
elle a estimé qu'il s'agissait d'abord d'un problème qualitatif
qui pourrait être résolu en établissant des
" passerelles " entre les travailleurs sociaux qui s'occupent des
personnes handicapées et ceux qui ont en charge les personnes
âgées afin de trouver une réponse adaptée à
ce nouveau besoin social.
Concernant la coordination entre les services de l'Etat et les
collectivités locales en matière de lutte contre les exclusions,
elle a estimé que les différents services se connaissaient de
mieux en mieux, tout en reconnaissant que l'empilement inévitable des
dispositifs de coordination pouvait être difficile à gérer.
A propos des formes que la décentralisation pourrait prendre pour
être approfondie, ou élargie, dans le domaine de l'action sociale
et de la lutte contre les exclusions,
Mme Mireille Montagne
a
estimé que trois points pouvaient être réexaminés et
deux encouragés.
Premièrement, elle a considéré que le décret de
1995 " avait vu trop court " en confiant l'obligation d'analyser les
besoins sociaux aux centres communaux d'action sociale (CCAS) et que peu de
CCAS s'y étaient conformés. Elle a rappelé qu'il n'y avait
pas de CCAS dans toutes les communes. Elle a estimé que le niveau
départemental serait dans ce domaine plus efficace.
Deuxièmement, en matière de politique en faveur des adultes
handicapés partagée entre l'Etat et le département,
Mme
Mireille Montagne
a reconnu que le département jouait le rôle
d' " amortisseur " et que par exemple quand les places manquaient en
centre d'aide par le travail (CAT), on se reportait sur l'accueil de jour qui
dépend du département ; elle a jugé que si l'Etat
reprenait l'ensemble de la compétence " handicapés ",
il en résulterait une plus grande clarté et, surtout, l'ensemble
de la chaîne serait maîtrisée par un seul décideur et
gagnerait en cohérence.
Dans le troisième domaine, celui des personnes âgées,
Mme Mireille Montagne
a jugé que l'éclatement était
encore plus manifeste. Elle a préconisé d'attribuer la prise en
charge de la dépendance aux organismes de protection sociale et de
confier aux départements des réponses de prévention et de
maintien à domicile, considérant qu'ainsi chaque niveau recevrait
la compétence qu'il sait le mieux assumer : gestion souple de
proximité aux départements et aux communes, prise en charge de la
dépendance par les systèmes d'assurance vieillesse et maladie.
Sur les deux points à encourager, pour améliorer
l'efficacité de l'action sociale,
Mme Mireille Montagne
a reconnu
d'abord que l'action sociale était nécessairement complexe parce
qu'elle faisait intervenir de nombreux opérateurs et décideurs et
qu'il fallait donc encourager le partenariat et le travail en réseau.
D'autre part, elle a appelé de ses voeux une action sociale
territorialisée qui incite les habitants à participer à la
résolution de leurs difficultés et qui ne soit pas à la
seule charge des professionnels, c'est-à-dire des travailleurs sociaux.
Interrogée sur le moyen de concilier le principe du respect de la libre
administration des collectivités territoriales et un niveau de
prestations égalitaire sur le territoire,
Mme Mireille
Montagne
a considéré qu'il ne fallait pas tomber dans
l'illusion d'un traitement social uniforme. Elle a rappelé que les
actions des collectivités locales variaient nécessairement en
fonction des réalités locales et des choix politiques. Elle a
fait remarquer que même l'Etat ne délivrait pas la même
qualité de services partout sur le territoire. Enfin, elle a
demandé que l'on veuille bien admettre que les actions sociales doivent
se construire à partir des besoins des personnes concernées et
non à partir de normes nationales, même s'il convenait de
s'appuyer sur les minimums légaux fixés par la loi.
Abordant ensuite le bilan des relations financières entre l'Etat et les
collectivités territoriales,
Mme Mireille Montagne
a fait
remarquer que la pratique de l'Etat consistait trop souvent à imposer
des dépenses obligatoires aux départements et, ce faisant, ne
respectait pas vraiment le principe de libre administration des
collectivités locales.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, s'est interrogé sur le
meilleur niveau pour un éventuel observatoire chargé d'anticiper
les besoins sociaux.
Mme Mireille Montagne
a confirmé que les besoins seraient mieux
observés au niveau départemental, en liaison avec les caisses
d'allocations familiales, en vue d'une synthèse nationale.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, ayant souligné le
coût particulièrement élevé de la politique d'aide
à l'enfance,
Mme Mireille Montagne
a appelé de ses voeux
la mise en oeuvre d'actions de proximité associant les travailleurs
sociaux, l'éducation nationale et le service de santé scolaire,
afin de prévenir les placements en établissements, très
onéreux.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a regretté que trop souvent les
juges, poussés par les associations, ordonnent des placements dont le
département doit assumer le coût sans être intervenu dans la
décision.
Mme Mireille Montagne
a observé que la grande majorité des
cas faisant l'objet de décisions judiciaires avait été
soumise au juge par les services départementaux. Elle a
déploré le nombre inquiétant de situations familiales
très lourdes, génératrices d'incestes et de violence, face
auxquelles les travailleurs sociaux se trouvent d'autant plus perplexes qu'ils
redoutent des poursuites pénales. Elle a estimé nécessaire
de renforcer les moyens de la politique de santé mentale de
proximité et de favoriser la collaboration des travailleurs sociaux avec
les services d'hygiène mentale, tant pour les enfants que pour les
adultes.
Audition de M. Xavier DUPONT,
directeur de la
solidarité au conseil général
d'Ille-et-Vilaine
(22 juin 1999)
Puis la
mission a procédé à
l'audition de
M. Xavier
Dupont, directeur de la solidarité au conseil général
d'Ille-et-Vilaine
.
M. Xavier Dupont
a succinctement présenté le
département de l'Ille-et-Vilaine, peuplé de 840.000 habitants, et
son service d'action sociale, employant 700 agents, dont 500 travailleurs
sociaux, répartis dans 20 unités distinctes appelées
" centres départementaux d'action sociale ". Tout en
soulignant leur analogie avec les centres communaux d'action sociale, il a
noté que les centres départementaux agissaient dans un domaine
où le département détenait la compétence de droit
commun.
Il a estimé que la décentralisation avait renforcé
l'efficacité et la performance de l'action publique en matière
d'action sociale en contribuant à responsabiliser l'ensemble des acteurs
de la filière sociale : secteur public, communes,
établissements publics de coopération intercommunale, secteur
associatif.
Observant les mutations de l'action sociale, il a souligné la
nécessité du développement des services de
proximité, afin que la prise d'initiatives et de responsabilités
s'exerce le plus près possible des habitants, notamment grâce
à la présence de travailleurs sociaux dans les quartiers en
difficulté. Il a porté un jugement globalement positif sur le
bilan de la décentralisation.
M. Xavier Dupont
a ajouté que l'articulation des rôles
respectifs impartis aux différentes catégories de
collectivités locales, dans les domaines de l'action sociale et de la
lutte contre les exclusions, était relativement aisée à
mettre en oeuvre en Ille-et-Vilaine, le conseil général ayant
développé un travail en commun avec les villes et les organismes
de Sécurité sociale.
Citant l'exemple de Rennes et de Saint-Malo, il a indiqué que, si chacun
des acteurs gardait son domaine de compétences, le regroupement en un
même lieu des centres communaux d'action sociale, des services sociaux
départementaux et des caisses d'allocations familiales avait permis la
mutualisation des moyens humains et la simplification des formalités
administratives pour les usagers.
M. Xavier Dupont
a jugé que la protection et l'aide à
l'enfance constituaient le domaine de compétences le plus
homogène parmi ceux attribués au département en
matière d'action sociale, par opposition avec la prise en charge des
personnes âgées ou des personnes handicapées et le secteur
de l'insertion.
En matière de prise en charge des personnes âgées, enjeu
primordial pour les départements, il a indiqué que la
répartition des rôles entre les différents intervenants
tendait à s'infléchir, en particulier depuis la réforme de
la tarification des établissements d'hébergement. Il a
estimé que le département était la collectivité la
mieux placée pour planifier les réponses en fonction des besoins,
pour repérer l'acteur le plus efficient en fonction de l'action
envisagée, et pour coordonner la prise en charge gérontologique
sur le territoire départemental.
M. Xavier Dupont
a estimé que le vieillissement de la population
serait un des principaux défis auxquels seraient confrontées les
collectivités locales dans les prochaines années.
Il s'est de plus inquiété de l'évolution des relations
entre les services sociaux et les usagers, plus exigeants, connaissant mieux
leurs droits et parfois plus revendicatifs. Constatant que les travailleurs
sociaux n'étaient pas toujours préparés à ces
nouvelles relations, il a souhaité que leurs méthodes de travail
laissent davantage de place à la participation des usagers.
Il a évoqué l'émergence de difficultés sociales
nouvelles auxquelles les services auront à faire face, en raison de la
précarité de l'emploi, de la fragilité des relations
familiales, de la fréquence croissante des situations temporaires de
rupture dans la vie familiale et professionnelle.
M. Xavier Dupont
a estimé que la loi relative à la lutte
contre les exclusions était encore trop récente pour que l'on
puisse apprécier ses résultats. Il a redouté que
l'administration centrale ne cède à la tentation d'édicter
des règles d'application de portée générale,
établies par des fonctionnaires de l'Etat méconnaissant les
réalités sociales dans leur diversité. Il a donné
l'exemple d'une circulaire relative aux plans locaux pour l'insertion. Il a
souhaité que la nécessaire coordination des actions de l'Etat et
des collectivités locales soit adaptée aux besoins de chaque
bassin d'emploi.
Pour approfondir la décentralisation et renforcer la cohérence de
l'action publique, il a appelé de ses voeux le transfert aux
départements de l'ensemble des compétences concernant l'action
sociale en faveur des handicapés tout en reconnaissant qu'une telle
évolution se heurterait à la résistance des associations
concernées. Il a suggéré en revanche que l'Etat soit
chargé de toute la politique sanitaire, à l'exception de la
protection maternelle et infantile maintenue au département.
Il a considéré que les inégalités constatées
d'un département à l'autre en matière d'action sociale
avant la décentralisation n'avaient pas été
aggravées et qu'il appartenait à chaque conseil
général de débattre du niveau de prestations
équitable en fonction de l'offre et des besoins.
M. Xavier Dupont
a souligné que le département
d'Ille-et-Vilaine s'efforçait d'évaluer les
bénéfices de la politique d'action sociale revenant à
chaque commune et à chaque canton.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a relevé
l'intérêt de M. Xavier Dupont pour l'évaluation des
politiques publiques et l'a interrogé sur les méthodes.
Il a noté que M. Xavier Dupont préconisait la constitution d'un
bloc homogène de compétences en matière de politique en
faveur des handicapés au profit du département, d'autres
proposant plutôt de confier cette responsabilité à l'Etat.
Il a souhaité savoir si l'enchevêtrement des compétences en
matière d'aide aux personnes âgées ou d'aide sociale
à l'enfance lui paraissait également préjudiciable
à l'efficacité de l'action publique.
Il a enfin demandé à M. Xavier Dupont si le cloisonnement des
filières de travailleurs sociaux constituait un facteur de
rigidité des structures et des actions.
M. Xavier Dupont
a apporté les réponses suivantes :
- le conseil général d'Ille-et-Vilaine est très favorable
à l'évaluation continue de l'action sociale conduite dans le
département. L'observatoire mis en place à Rennes, commun
à la caisse d'allocations familiales, à la ville et au
département, permet d'échanger les expériences, de les
analyser et d'adresser des recommandations à tous les services ainsi
qu'aux instances politiques ;
- l'action sociale en faveur des personnes âgées relève
d'un trop grand nombre d'intervenants pour faire l'objet d'un bloc de
compétences homogène. La cohérence doit être
recherchée par la mise en commun des expériences et
l'harmonisation des pratiques ;
- la coordination des actions de l'Etat et du département en
matière d'assistance à l'enfance en danger souffre de la tendance
au désengagement des services judiciaires dans le domaine de la
prévention ;
- le renforcement du caractère interdisciplinaire des formations
contribuera à décloisonner les filières des travailleurs
sociaux.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président,
qui
suggérait un travail préventif sur les familles susceptibles
d'éviter des placements coûteux,
M. Xavier Dupont
a
souligné les difficultés croissantes rencontrées par les
travailleurs sociaux pour conduire des actions préventives, en raison
notamment des risques de poursuites pénales. Il a reconnu que son
département dépensait autant pour financer le placement de
2 000 enfants dans des familles d'accueil ou des établissements que
pour l'insertion des attributaires du RMI, mais n'avait pas les moyens
d'intervenir en amont auprès des enfants en danger.
En réponse à
M. Michel Mercier, rapporteur
, qui
relativisait le coût de l'hébergement des personnes
âgées,
M. Xavier Dupont
a observé que la
collectivité ne prenait en charge que 10 à 20 % de ce
coût, largement supporté par les intéressés
eux-mêmes, à la différence du placement en
établissement des handicapés ou des enfants.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a déclaré que l'aide
à l'enfance lui paraissait constituer un bloc de compétences
cohérent dévolu au département.
En réponse à une question de
M. Michel Mercier,
rapporteur
, sur l'aide aux handicapés,
M. Xavier Dupont
a
préconisé le transfert du secteur du travail
protégé aux départements, à son avis mieux à
même que l'Etat de connaître les besoins et d'y apporter une
réponse adaptée, l'Etat gardant la maîtrise de l'allocation
aux adultes handicapés.
Interrogé par
M. Michel Mercier, rapporteur,
sur les relations
entre départements et communes,
M. Xavier Dupont
a mis en avant
le concept de subsidiarité : une commune peut recevoir
compétence du département, assortie de moyens financiers, si elle
est mieux placée pour l'exercer, ce qui suppose capacité
technique et volonté politique. Il a donné l'exemple de quelques
villes de l'Ille-et-Vilaine, notamment Rennes et Saint-Malo, auxquelles le
département a dévolu l'insertion des attributaires du RMI, et il
a évoqué les perspectives ouvertes par le développement de
l'intercommunalité.
Audition de M. Jean-Louis
SANCHEZ,
délégué général de
l'ODAS
(Observatoire national de l'action sociale
décentralisée)
(22 juin 1999)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition de
M.
Jean-Louis Sanchez, délégué général de
l'ODAS
(
Observatoire national de l'action sociale
décentralisée
).
Après avoir rappelé les relations qu'entretient l'ODAS avec les
collectivités locales, au premier rang desquelles les
départements,
M. Jean-Louis Sanchez
a estimé que le bilan
de la décentralisation de l'action sociale pouvait s'apprécier au
regard des trois objectifs qu'avaient fixés les lois de
décentralisation : un accroissement quantitatif, une optimisation
de la gestion et une meilleure adaptation à la diversité des
territoires.
M. Jean-Louis Sanchez
a jugé que la décentralisation
s'était incontestablement accompagnée d'un accroissement de la
dépense publique consacrée à l'aide sociale. Il a
souligné que la générosité des départements
avait permis, ces quinze dernières années, d'accroître de
110 % le montant de cette dépense, cette hausse étant
notamment causée par la montée en puissance de dépenses
non obligatoires pour les départements mais assumées à
titre volontaire. Le délégué général de
l'ODAS a ainsi relevé que le soutien aux handicapés avait
été notablement accru et que les disparités entre les
départements avaient parallèlement été
réduites au cours des quinze dernières années.
M.
Jean-Louis Sanchez
a également observé que les
dépenses d'accompagnement social -protection maternelle et infantile et
travail social- avaient augmenté de 123 % en quinze ans, les
départements n'étant pourtant pas non plus contraints de fournir
un tel effort.
M. Jean-Louis Sanchez
s'est inscrit en faux contre les reproches parfois
adressés à l'encontre des départements au sujet de la
gestion de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), dont il a
souligné les effets pervers, les personnes les moins dépendantes
contribuant davantage que les plus dépendantes, ce qui expliquait,
à son sens, l'attitude restrictive de certains élus en la
matière.
M. Jean-Louis Sanchez
a estimé que la décentralisation
avait aussi amélioré la performance de l'action sociale. Il a
ainsi relevé que l'accès aux soins des plus démunis avait
été engagé, par une grande majorité de
départements, avant même l'adoption de la loi de 1992
généralisant les cartes familiales d'accès aux soins. Il a
considéré que la décentralisation de l'action sociale
avait donné lieu à une optimisation des réponses
apportées, du fait de l'amélioration de la gestion et de la
tarification. Il a constaté que certains départements avaient
engagé une planification de l'action sociale
décentralisée, une enquête menée en 1995 par l'ODAS
montrant que des schémas en matière de gérontologie et de
handicaps avaient été mis en place dans la plupart d'entre eux.
M. Jean-Louis Sanchez
a toutefois estimé que la
décentralisation de l'action sociale ne s'était pas
accompagnée d'une adaptation suffisante à la diversité des
territoires. Insistant sur la liberté des départements pour
gérer certaines actions, comme le travail social ou les dépenses
facultatives de prévention, il a regretté le nombre insuffisant
de redécoupages des circonscriptions d'intervention sociale.
Engagés tardivement durant la dernière décennie, ces
redécoupages permettent en effet d'adapter les interventions aux espaces
de vie réels, et aux évolutions sociales et
démographiques, telles que la concentration urbaine ou la
désertification rurale. Il a affirmé que, jusqu'à un terme
récent, les réorganisations des circonscriptions menées
par certains départements avaient eu un objectif gestionnaire
plutôt que stratégique et ne correspondaient que peu à une
vision renouvelée de la responsabilité des collectivités
en la matière. Il a souligné que, depuis deux ans, un processus
de territorialisation de l'action sociale décentralisée dans un
but préventif semblait pourtant s'engager.
M. Jean-Louis Sanchez
a jugé que les départements avaient
privilégié dans un premier temps l'action sociale en faveur de
l'enfance, de la jeunesse et de l'insertion, au détriment du
nécessaire accompagnement du vieillissement de la population. Il a
relevé qu'un souci de rééquilibrage expliquait
l'engagement actuel de ces collectivités en faveur de la prestation
spécifique dépendance (PSD). Il a regretté que la mise en
place de la PSD n'ait pas été l'occasion d'une véritable
prise de conscience par les départements, dont la compétence est
pourtant reconnue en matière de gérontologie, de l'enjeu que
représente le vieillissement d'un nombre croissant de personnes dans la
solitude et dans la pauvreté. Il a observé que des études
menées aux Etats-Unis montraient que la progression de
l'espérance de vie était plus rapide que celle de
l'espérance de vie sans handicap, à cause de l'augmentation du
nombre de handicaps psychiques chez les personnes âgées,
liée à l'absence de lien social.
M. Jean-Louis Sanchez
a conclu à un bilan positif de la
décentralisation en matière de gestion et d'adaptation de
l'action sociale, qui démentait, selon lui, les craintes initiales. Il a
toutefois souligné le manque de vision prospective et
territorialisée de l'action sociale décentralisée,
particulièrement frappant en matière de vieillissement.
M. Jean Paul Delevoye, président
, reprenant certains propos de
l'orateur, l'a interrogé sur l'approfondissement prévisible du
rôle de l'action sociale dans notre société au cours des
années à venir.
M. Jean-Louis Sanchez
a estimé que les dépenses d'action
sociale s'accroîtraient dans les trois à quatre prochaines
années, principalement à cause du vieillissement de la population
et du financement inéluctable, par les départements, de la
prestation sociale dépendance à domicile. Considérant, en
outre, que le relâchement actuel du lien social entraînerait une
augmentation significative du besoin de soutien public des familles et de
l'enfance, le délégué général de l'ODAS a
jugé que la prévention devrait voir son rôle sensiblement
accru. Il a observé que la mobilisation des élus locaux en faveur
de la restauration du pacte social mettrait sans doute à l'ordre du jour
la question de la responsabilité individuelle, et que des actions
tendant à développer la citoyenneté seraient, en
conséquence, probablement mises en place.
Pour faire face à cet accroissement prévisible du besoin d'action
sociale,
M. Jean-Louis Sanchez
a jugé qu'une mobilisation
des travailleurs sociaux était nécessaire, qui devait, à
son sens, s'accompagner d'une réduction des tâches administratives
effectuées par ces derniers, au profit du " travail social
communautaire ", sur le modèle anglo-saxon. Il a jugé qu'il
serait nécessaire de mettre en place, dans chaque collectivité
locale, des " chartes éthiques " entre travailleurs sociaux et
élus locaux, précisant que le travail social ne doit être
ni un contre-pouvoir, ni un instrument au service d'une tactique politicienne.
Il a souhaité que l'action sociale territorialisée s'inspire des
principes du préambule de la Constitution, qui fonde le consensus
national français.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a demandé au
délégué général de l'ODAS s'il estimait que
la politique en faveur des handicapés devait être
transférée en totalité à l'un ou l'autre des deux
intervenants en la matière, l'Etat et le département.
M. Jean-Louis Sanchez
a répondu que la décentralisation
était à son sens nécessaire dès qu'une
réponse territorialisée était requise. Il a, en
conséquence, jugé que l'octroi de prestations relevait du niveau
national, mais que la mise en oeuvre de politiques adaptées relevait du
niveau décentralisé. Il a donc estimé que la politique en
faveur des handicapés devait être entièrement
décentralisée, jugeant absurde qu'une personne handicapée
puisse relever, selon le moment de la journée, de l'Etat ou du
département. Il a estimé que les politiques de l'enfance et des
personnes âgées nécessitaient également une mise en
oeuvre entièrement décentralisée.
M. Jean-Louis Sanchez
a relevé que les départements de
taille intermédiaire (de 500 000 à 1 million d'habitants)
obtenaient en général de meilleurs résultats en
matière d'action sociale, qu'il s'agisse de leur capacité
à adapter les solutions aux besoins de populations, de la gestion
administrative, de leur savoir-faire pour la mise en oeuvre ou de leur
réflexion stratégique.
Audition de M. Jacques FOURNIER,
membre honoraire du
Conseil d'Etat
(29 juin 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission d'information a procédé à l'audition de
M.
Jacques Fournier, membre honoraire du Conseil d'Etat,
auteur d'un
rapport
sur la responsabilité pénale des agents publics en
cas d'infractions non intentionnelles.
Rappelant les objectifs retenus par la mission d'information
, M. Jean-Paul
Delevoye, président,
a mis en évidence le risque de paralysie
de la chaîne de commandement public, en raison des excès de la
pénalisation de la vie publique, la prise de risque étant
découragée par les recours abusifs. Il a remarqué que 800
postes de proviseurs n'étaient pas pourvus, les enseignants craignant
l'engagement de leur responsabilité personnelle alors même qu'ils
n'auraient pas les moyens de remplir leur mission. Il a estimé que la
pénalisation était due à trois phénomènes,
le besoin de comprendre, la demande d'indemnisation, revendications
légitimes des victimes, mais aussi la soif de vengeance.
M. Jacques Fournier
a rappelé les circonstances dans lesquelles
avait été remis le rapport du Conseil d'Etat sur la
responsabilité pénale des agents publics en cas d'infractions non
intentionnelles, sur commande du Premier ministre M. Edouard Balladur. Il
a observé que la question de la responsabilité des élus
locaux ne se posait pas dans les mêmes termes que celle des
fonctionnaires, et que le Sénat avait mené en parallèle
une réflexion sur ce sujet à l'occasion de l'examen d'une
proposition de loi sénatoriale.
M. Jacques Fournier
a noté que les mises en examen d'agents
publics pour des faits d'imprudence ou de négligence commis dans
l'exercice de leurs fonctions avaient suscité de vives réactions
dans les corps concernés, en particulier les proviseurs et les
préfets, conduisant le Gouvernement à commander au Conseil d'Etat
une expertise juridique. Il a indiqué que la réflexion
confiée à la section du rapport et des études avait
été réalisée par un groupe de travail
composé de membres du Conseil d'Etat mais aussi de personnes
extérieures, en particulier des magistrats de l'ordre judiciaire et des
praticiens de l'administration.
M. Jacques Fournier
a observé que la réflexion du groupe
d'étude avait été menée en liaison avec les
administrations, au moyen de " correspondants administratifs "
désignés à cet effet. Au regard de la mesure statistique
des poursuites pénales pour des faits non intentionnels, il a
remarqué que la médiatisation de ces affaires avait
considérablement amplifié le phénomène, et que le
problème se posait dès la mise en examen de l'agent, même
en l'absence de condamnation.
M. Jacques Fournier
a insisté sur la spécificité de
l'action publique, dont les juges ne tenaient pas suffisamment compte pour
apprécier la responsabilité personnelle des agents. Il a
jugé que cette spécificité était liée aux
pouvoirs de décision et de réglementation, à la
diversité des objectifs poursuivis dans l'intérêt
général, à l'impératif de continuité du
service public et à la complexité des procédures et du
fonctionnement de l'administration.
M. Jacques Fournier
a indiqué que, malgré cette
spécificité, le groupe d'étude n'avait jugé ni
juridiquement possible, ni politiquement acceptable, de réserver un sort
particulier aux agents publics. Il a rappelé l'évolution
historique en vertu de laquelle la situation des agents publics s'était
rapprochée du droit commun, depuis la suppression du privilège de
juridiction.
Il a ajouté que l'étude ne se limitait pas au seul domaine
pénal mais examinait les aspects administratifs de la
responsabilité des agents publics, et recherchait les moyens de
clarifier les responsabilités dans le fonctionnement quotidien de
l'administration. Il a souligné la nécessité de
réformer l'indemnisation par la juridiction administrative des victimes
de dommages dus à des imprudences ou négligences, et la
protection des fonctionnaires par l'administration.
M. Jacques Fournier
a ensuite résumé les recommandations
formulées par l'étude du Conseil d'Etat, articulées autour
de quatre pistes de réflexion, la prévention des dommages par une
meilleure organisation des services, les conditions de mise en oeuvre de la
responsabilité pénale, l'indemnisation des victimes par une voie
non contentieuse ou une voie contentieuse non pénale, enfin la
protection légale des fonctionnaires définie à l'article
11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des
fonctionnaires.
Il a souligné que la loi du 13 mai 1996 relative à la
responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de
négligence avait donné une suite quasi immédiate à
certaines recommandations convergentes du groupe d'étude du Conseil
d'Etat et du groupe de travail du Sénat.
M. Jacques Fournier
a estimé que la pénalisation
croissante de la vie publique n'appelait pas de réponse
spécifique aux agents publics mais une réflexion
générale sur l'application du droit pénal. Il a donc
jugé que, si la législation devait être modifiée,
elle devrait évoluer à l'égard de l'ensemble des
justiciables.
Puis il a fait part des pistes qui avaient été
écartées par le groupe d'étude, concernant
l'appréciation de la gravité de la faute et le lien de
causalité. Il a indiqué que, par opposition à la
théorie de la causalité adéquate, la jurisprudence
pénale retenait une conception très large de la notion de
causalité, dite " théorie de l'équivalence des
conditions ", selon laquelle tout acte intervenant dans la chaîne de
commandement serait assimilé à une faute, à partir du
moment où, s'il n'était pas intervenu, le dommage n'aurait pas eu
lieu. Il a noté que ni le groupe d'étude ni le législateur
n'étaient en mesure de remettre en cause cette jurisprudence
séculaire de la Cour de cassation.
M. Jacques Fournier
a estimé que la loi du 13 mai 1996 avait
apporté une amélioration réelle mais limitée dans
l'appréciation de la faute pénale. Il a appelé l'attention
sur les atteintes involontaires à l'intégrité de la
personne dues à une inobservation des règlements et au manquement
aux obligations de prudence ou de sécurité, lesquelles
engageaient auparavant la responsabilité pénale automatique de
l'auteur des faits, constituant ainsi un " délit
contraventionnel ". Il a rappelé que la loi du 13 mai 1996 avait
supprimé cette automaticité, en demandant au juge d'examiner si
le responsable public avait les moyens et la compétence d'accomplir les
diligences normales, compte tenu de la nature de ses missions ou de ses
fonctions. Cependant, il a jugé que les tribunaux n'avaient pas fait une
application complète de la loi.
M. Jacques Fournier
a proposé de remettre en cause par la voie
législative la jurisprudence de la Cour de cassation établissant
une équivalence totale entre la faute civile et la faute pénale.
Il a appelé de ses voeux une réflexion sur la qualification de la
faute pénale, considérant que la faute civile ne devait
être considérée comme une faute pénale qu'à
partir d'un certain niveau de gravité.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a fait part de deux pistes de
réflexion, la première tendant à instaurer un filtre
pré-juridictionnel, c'est-à-dire à confier à un
juge, par exemple le Tribunal des conflits, le soin d'orienter les
requêtes vers la voie civile, la voie pénale ou vers le juge
administratif, en fonction de la nature de la responsabilité en
cause ; la seconde tendant à développer la
responsabilité pénale de la personne morale. Dans cette
perspective, il lui a semblé que la responsabilité de la personne
physique ne devait être engagée qu'en cas de faute lourde ou de
faute grave. Il a souhaité une indemnisation rapide des victimes, afin
d'atténuer le caractère dramatique du procès pénal.
M. Jacques Fournier
s'est déclaré défavorable dans
leur principe à ces orientations. Il a estimé que l'engagement de
la responsabilité de la personne morale n'était pas de nature
à satisfaire pleinement les requérants, dans la mesure où
la condamnation administrative de l'Etat pour une faute de ses services
n'était pas comparable aux yeux des demandeurs à la condamnation
pénale d'un agent bien identifié. Il a souligné que seuls
certains fonctionnaires, investis d'importantes responsabilités,
relevant de corps particuliers ou exerçant des fonctions
particulières, pourraient engager la responsabilité de l'Etat.
Il a jugé délicat de mettre en cause la responsabilité
pénale des personnes morales de droit public devant les juridictions
judiciaires, en raison des risques de conflits de compétences avec
l'ordre administratif et mis en garde contre le nouveau pouvoir ainsi
confié au juge judiciaire.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a regretté que le juge
pénal prenne actuellement le pas sur le juge administratif, le
régime de la preuve étant beaucoup plus facile à mettre en
oeuvre devant le juge pénal. Il s'est interrogé sur la
coexistence de deux ordres de juridiction était envisageable. Puis il a
souhaité interroger M. Jacques Fournier sur les
délégations de compétences et de responsabilités
d'un maire à un adjoint.
M. Jacques Fournier
a rappelé l'impératif de mieux
clarifier les responsabilités dans le fonctionnement même de
l'administration. Il a estimé que la responsabilité pénale
ne devait pas être confondue avec la responsabilité politique.
Citant l'exemple de la Cour de justice de la République, il a
estimé que certains actes des collaborateurs d'un ministre
étaient de nature à engager la responsabilité politique du
ministre, mais que la responsabilité pénale de ce dernier ne
pouvait être engagée sans un examen précis des moyens dont
il disposait pour connaître les agissements de ses collaborateurs.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a conclu en soulignant les
avancées débattues au Sénat lors de l'examen en
première lecture du projet de loi relatif à la protection de la
présomption d'innocence, notamment la procédure de témoin
assisté.
M. Jacques Fournier
a rappelé qu'en 1995 le
groupe d'étude du Conseil d'Etat avait déjà mené
une réflexion sur l'amélioration de la procédure
pénale, incluant le recours accru au témoin assisté.
Audition de M. Alain LARANGÉ,
inspecteur
général de l'administration,
et M. Sébastien
COMBEAUD, inspecteur de
l'administration
(1
er
juillet 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a procédé à
l'audition de
MM. Alain
Larangé, inspecteur général de l'administration,
et
Sébastien Combeaud
,
inspecteur de l'administration
, auteurs
d'un rapport sur les conséquences des normes techniques pour les
collectivités locales.
A titre liminaire,
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, a
indiqué que la question des normes était au coeur des
préoccupations de la mission d'information, en raison des contentieux
provoqués par leur entrée en vigueur mais également de
leur conséquences macro-économiques sur le niveau de
l'investissement public et leur capacité à orienter les flux
d'investissement.
Il s'est demandé s'il n'existait pas deux types de normes, celles qui
répondaient à la nécessité de concilier
efficacité économique et protection des citoyens, et celles qui
résultaient de l'influence de groupes de pression.
M. Alain Larangé
a rappelé que le ministre de
l'intérieur l'avait chargé, ainsi que M. Sébastien
Combeaud, de rédiger un rapport sur les conséquences des normes
pour les collectivités locales, que ce rapport avait été
remis au ministre au mois de mars 1999 et avait fait l'objet d'une
communication devant le groupe de travail sur les normes animé, au sein
du comité des finances locales, par M. Philippe Adnot, sénateur.
Avant de présenter les grandes lignes de ce rapport,
M. Alain
Larangé
a formulé deux remarques liminaires. En premier lieu,
il a distingué deux types de normes, les normes issues d'un texte
législatif ou réglementaire d'une part, et les normes
professionnelles, issues d'une démarche volontaire et établies
par l'association française de normalisation (AFNOR), d'autre part.
En second lieu, il a déclaré que la poursuite du processus de
normalisation lui apparaissait inéluctable dans une
société au sein de laquelle la notion de risque était de
moins en moins tolérée mais a estimé que, en contrepartie,
il était nécessaire de mieux associer les collectivités
locales à l'élaboration des normes.
M. Alain Larangé
a ensuite présenté les grandes
lignes du rapport remis au ministre de l'intérieur.
Résumant les enjeux du développement des normes, il a
rappelé que le stock de normes établies par l'AFNOR, dont toutes
ne concernaient pas les collectivités locales, s'élevait à
20.000 et qu'il s'enrichissait de 1.800 nouvelles normes chaque année.
Il a précisé que, si les normes applicables en France
étaient encore principalement d'origine nationale, 85% des nouvelles
normes de l'AFNOR avaient une origine européenne ou mondiale et qu'il
convenait de s'interroger sur les moyens adéquats pour mieux associer
les collectivités locales à leur préparation.
M. Alain Larangé
a estimé que les normes aux
conséquences potentiellement les plus coûteuses pour les
collectivités locales étaient les normes d'origine
législative ou réglementaire, notamment en matière
d'environnement et de sécurité. Toutefois, il a regretté
l'absence d'étude globale permettant d'évaluer les
conséquences financières des normes, les chiffrages disponibles
étant soit sous-évalués, car ne prenant pas en compte le
coût de l'entretien des équipements, soit
surévalués, car retenant le coût global des
équipements et non seulement le surcoût lié aux normes.
Il a indiqué que, indépendamment des chiffrage globaux pour un
domaine déterminé, il était possible de chiffrer le
coût des normes par type de collectivité et, à ce titre, a
salué l'étude récemment publiée par la
fédération des maires de villes moyennes, qui faisait état
d'un coût de 100 milliards de francs d'ici à 2005.
De manière générale,
M. Alain Larangé
a
considéré que la mesure a priori de l'impact financier d'une
nouvelle règle était difficile et encore trop rarement
effectuée en amont de la décision. Il a qualifié de
souvent " indigentes ", car souffrant de l'absence de
méthodologie rigoureuse, les études d'impact obligatoirement
jointes aux projets de loi et aux décrets en Conseil d'Etat.
Puis,
M. Alain Larangé
a abordé la question de la
participation des collectivités locales à l'élaboration
des normes, qu'il a jugé insuffisante.
Il a rappelé que le processus de production de normes était
dominé par une logique technicienne, fortement sectorisée, et que
les intérêts des collectivités locales n'étaient pas
représentés. Il en a conclu que le payeur final était donc
absent de l'élaboration des règles à l'origine des
coûts.
Il a constaté que, pour faire face au développement des normes,
les collectivités locales étaient nombreuses et
dispersées, et a estimé possible que le nombre
élevé de collectivités en France explique le
décalage entre la perception du problème des normes en France et
dans les autres pays européens.
M. Alain Larangé
a déploré que, en matière
de normes professionnelles, les collectivités locales ne se prononcent
pas sur la pertinence des normes avant leur entrée en vigueur. Il a pris
acte de l'accroissement de l'investissement des associations d'élus
locaux dans ce domaine, mais l'a encore jugé insuffisant. Il a
ajouté que les collectivités locales étaient souvent
représentées par des techniciens sans mandat précis.
M. Alain Larangé
a jugé nécessaire de passer d'une
phase de contestation a posteriori à une phase d'organisation et de
participation active à l'élaboration des normes. Il a
signalé qu'une brochure conjointe du ministère de
l'intérieur, du ministère de l'industrie et de l'AFNOR avait fait
le même constat dès 1991 et que, pour peser au niveau
européen, les collectivités locales devraient, à l'image
des consommateurs, se regrouper en associations supranationales.
En matière de normes édictées par voie législative
et réglementaire
, M. Alain Larangé
a indiqué
qu'il existait, indépendamment de structures telles que le comité
des finances locales, des organes de concertation spécialisés mis
en place dans certains secteurs sensibles, tels que le comité national
de l'eau et le conseil national du bruit. Il a déploré que la
concertation ne soit pas aussi systématique dans d'autres domaines.
M. Alain Larangé
a observé que, au niveau européen,
le comité des régions, qui avait pourtant vocation à
représenter les collectivités locales, n'avait pas choisi de
faire de la maîtrise de la prolifération des normes un axe fort de
son action et que, au contraire, les avis du comité prônaient
souvent un renforcement de la réglementation.
M. Alain Larangé
a également souhaité que l'Etat
prenne mieux en compte les préoccupations des collectivités
locales et que, en tant qu'autorité de tutelle de l'AFNOR, il inscrive
ce souci dans le contrat d'objectifs pluriannuels de l'association. Il a
également préconisé une meilleure participation de la
direction générale des collectivités locales au travail
interministériel de préparation des normes.
Puis
M. Alain Larangé
a présenté les principales
propositions contenues dans le rapport remis au ministre de l'intérieur.
Il a tout d'abord évoqué des mesures susceptibles
d'améliorer la maîtrise des prescriptions opposables aux
collectivités locales. S'agissant de l'aménagement de
l'obligation de référence aux normes dans les marchés
publics, il a suggéré d'inciter les collectivités locales
à utiliser plus systématiquement les cahiers des clauses
techniques générales qui dressent la liste des normes applicables
à un domaine considéré, d'associer davantage les
collectivités locales aux travaux d'élaboration de ces cahiers et
de leur rappeler qu'elles avaient la possibilité de déroger aux
normes non obligatoires dans le cadre des cahiers des clauses techniques
particulières.
Pour permettre une modération du rythme de révision des
normes
, M. Alain Larangé
a proposé de ne réviser
aucune prescription, sauf raison impérieuse de sécurité,
avant la fin de la période d'amortissement " comptable " des
équipements concernés et de ne pas augmenter le niveau d'exigence
avant l'échéance fixée à l'origine pour
l'application d'une prescription technique. Il a également estimé
que le développement de la coopération intercommunale
était de nature à favoriser une meilleure maîtrise et une
meilleure utilisation de la normalisation par les collectivités locales.
M. Alain Larangé
a ensuite présenté des pistes pour
l'amélioration de l'information et de la transparence sur les normes. Il
a jugé utile de mettre à disposition le texte des normes
professionnelles au coût du support, de proposer en libre accès,
sur Internet par exemple, la liste des principales normes intéressant
les collectivités locales et, pour tirer les conséquences de
l'échec des travaux de codification des normes techniques entrepris en
application de la loi de décentralisation de 1982, de réviser
dans un sens plus réaliste les dispositions des articles L. 1111-5 et L.
1111-6 du code général des collectivités territoriales.
M. Alain Larangé
a suggéré de réaliser un
vade-mecum et des fiches thématiques à l'intention des
élus locaux, de prévoir une formation des agents territoriaux
dans le cadre du centre national de la fonction publique territoriale,
d'informer les agents de l'Etat en fonction dans les services producteurs de
réglementations techniques des conséquences des normes sur les
collectivités, de sensibiliser les élèves de
l'école nationale de la magistrature, et d'organiser dans les
collectivités un réseau de correspondants en matière de
normalisation chargés des fonctions d'alerte, de formation et
d'information.
M. Alain Larangé
a également jugé indispensable de
développer les études d'impact, de manière à
évaluer les conséquences financières d'une norme et
à en déduire les délais appropriés de mise en
conformité. En matière de normes techniques, il a proposé
de doter les départements ministériels des instruments
méthodologiques nécessaires et de prévoir une étude
d'impact pour les textes réglementaires de tous niveaux. Il a
également suggéré d'inscrire, dans le prochain contrat
d'objectifs de l'AFNOR, l'obligation de réaliser des études
d'impact pour les normes professionnelles.
Enfin,
M. Alain Larangé
a estimé que, pour mieux associer
les collectivités locales au processus de normalisation, il convenait de
cibler quelques domaines prioritaires pour elles et d'organiser leur
participation aux travaux des huit comités d'orientation
stratégique de l'AFNOR qui les concernaient le plus. Il a ajouté
qu'il convenait d'utiliser pleinement les structures existantes plutôt
que de créer un éventuel " haut conseil des normes ".
Il a préconisé que les collectivités locales soient
associées aux groupes techniques de l'AFNOR par l'intermédiaire
de représentants dotés d'un mandat précis, qu'elles
participent aux groupes de travail dits " miroirs " que l'AFNOR
organise, parallèlement à ceux du comité européen
de la normalisation, et qu'elles fassent en sorte que le comité des
régions se saisisse du problème des normes.
Il a estimé que les structures de représentation pourraient
être améliorées en faisant siéger un
représentant des élus locaux au comité d'orientation et de
programmation de l'AFNOR, en constituant au sein de l'AFNOR un
pré-comité d'orientation stratégique transversal propre
aux collectivités locales et en instaurant de manière
contractuelle un système de veille entre l'AFNOR et les associations
d'élus locaux permettant aux collectivités locales de
détecter l'initiative des travaux les intéressant directement.
M. Alain Larangé
a également considéré que
la prise en compte des préoccupations des collectivités locales
par l'Etat devait être renforcée. Il a jugé
nécessaire de traduire la volonté du Premier ministre dans une
circulaire rappelant l'importance qu'attache le Gouvernement à la
consultation précoce des associations d'élus locaux avant
l'adoption de toute nouvelle règle technique.
Il a estimé qu'il convenait de renforcer le rôle de la direction
générale des collectivités locales en organisant une
procédure de consultation systématique de celle-ci lorsqu'un
texte réglementaire intéressant les collectivités locales
était en cours de préparation, en améliorant sa
capacité d'expertise, en renforçant sa représentation au
sein du comité interministériel pour les questions
européennes (le SGCI) et en plaçant l'un de ses agents au sein de
la représentation permanente de la France à Bruxelles.
En conclusion,
M. Alain Larangé
a souligné que les
collectivités locales devaient mieux s'organiser pour peser dans
l'élaboration des normes professionnelles et en tirer le meilleur parti.
En matière de prescriptions réglementaires, il a
suggéré de renforcer l'implication et le rôle de la
direction générale des collectivités locales,
d'améliorer le contenu des études d'impact et de
systématiser leur réalisation, quelle que soit la nature du texte
en cours d'élaboration.
M. Sébastien Combeaud
a précisé que
l'instabilité était surtout une caractéristique des normes
réglementaires, les normes professionnelles étant plus
pérennes en raison des délais que nécessitait leur
élaboration. Il a ajouté que les normes professionnelles ne
s'appliquaient aux collectivités locales que lorsque des marchés
étaient passés pour la réalisation d'équipements
nouveaux.
Evoquant la question de la pénalisation de la vie publique,
M.
Sébastien Combeaud
a estimé que les élus
étaient peu souvent inquiétés en raison des normes,
à la différence des fonctionnaires territoriaux, dont un tiers
était mis en cause pour des raisons liées à
l'hygiène et à la sécurité. Il a ajouté que,
depuis la loi du 13 mai 1996, seulement quatre collectivités locales
-communes ou groupements- avaient été condamnées
pénalement.
A propos de l'échec de la codification des normes techniques,
M.
Sébastien Combeaud
a rappelé que les lois de
décentralisation prévoyaient " l'allégement de la
tutelle technique " et la création d'un comité chargé
de l'élaboration d'un code, que ce comité préparatoire
s'était réuni mais que ses travaux n'avaient pas abouti en raison
de la difficulté à définir les normes propres aux
collectivités locales. Il a précisé que ces travaux
avaient pris fin en 1986 et que, aujourd'hui, il convenait de
privilégier la réalisation d'un vade-mecum ou celle de fiches
techniques à destination des élus.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, a approuvé
l'idée selon laquelle il valait mieux faire évoluer les
structures existantes plutôt que de créer un haut conseil des
normes. En revanche, il s'est interrogé sur la possibilité
d'aligner la durée d'application d'une norme sur la période
d'amortissement des équipements. Il lui a semblé que les deux
calendriers ne coïncidait pas toujours et a cité l'exemple de fours
d'incinérations qui n'étaient plus aux normes avant même
leur mise en service.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, s'est demandé
comment concilier l'accélération du progrès technique,
source d'une meilleure protection des individus, et la stabilité
nécessaire à l'amortissement des investissements. Il a
évoqué la mise en oeuvre de procédures de certification et
de labellisation garantissant le respect des normes par les fournisseurs des
collectivités locales.
Il a ajouté que l'évolution de l'opinion publique, de plus en
plus exigeante en matière de normes alors que le niveau de protection
n'a jamais été aussi élevé, était
préoccupante, de même que les conséquences potentiellement
désastreuses sur les produits artisanaux et du terroir d'une
éventuelle uniformisation des standards dans l'Union européenne.
M. Jacques Bellanger
a envisagé les conséquences du
développement de la société d'information sur
l'application des normes par les élus. Il a considéré que
la publicité des projets de modifications des normes conduisait parfois
à reprocher aux élus de ne pas appliquer des prescriptions qui
n'étaient pas encore en vigueur. Il a douté de
l'efficacité d'une évolution vers la labellisation, mettant en
avant le fait que les labels seraient aussi rapidement périmés
que les normes.
M. Daniel Hoeffel
s'est demandé, dans l'hypothèse
où la dispersion des collectivités locales françaises
serait l'une des causes de leurs difficultés à appliquer les
normes, quel serait le remède à ce problème.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président
, s'est
inquiété de l'inégale capacité des Etats
européens à contrôler la mise en oeuvre des normes.
En réponse,
M. Alain Larangé
a estimé
nécessaire de prévoir, au moment où l'on
définissait le contenu des normes nouvelles, des délais
raisonnables pour la mise en conformité des équipements en tenant
compte de leur durée d'amortissement. Il a ajouté que les
procédures de certification de type ISO ne s'appliquaient qu'aux
processus de production et constituaient plus des arguments commerciaux que des
garanties pour les responsables publics.
Il a insisté sur la nécessité de rompre avec le
caractère purement technique de l'élaboration des normes et a
souhaité un renforcement de la prise en compte des préoccupations
d'ordre politique, de façon à faire la part du souhaitable et du
possible et à mieux " gérer " les réactions de
l'opinion publique. Il a ajouté que la rupture avec les
procédures exclusivement techniciennes permettrait également de
remédier aux tendances à l'uniformisation.
Il a ajouté que le comité européen de normalisation
était prêt à accueillir de nouveaux partenaires, mais que
les partenaires possibles n'étaient pas toujours présents.
M. Alain Larangé
a estimé que le développement de
l'intercommunalité permettrait de remédier partiellement à
la dispersion des communes.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a établi un
parallèle entre le moindre développement des
préoccupations liées aux normes dans les autres pays de l'Union
européenne et le faible degré de pénalisation de leur vie
publique.
Audition de M. Jean-Marie PONTIER,
professeur de
droit
public à l'Université d'Aix-Marseille
III
(1
er
juillet 1999)
La
mission a ensuite procédé à l'audition
de
M.
Jean-Marie Pontier, professeur de droit public à l'Université
d'Aix Marseille III.
Après avoir souligné l'actualité de la question de la
décentralisation, et rendu hommage à la qualité des
travaux du Sénat,
M. Jean-Marie Pontier
a indiqué que les
contrats de plan Etat-Régions, créés par la loi de 1982
relative à la planification, avaient vu leur régime juridique
clarifié par l'arrêt du Conseil d'Etat du 8 janvier 1988 (ministre
du plan contre communauté urbaine de Strasbourg) dans lequel la Haute
Assemblée avait conclu à la nature contractuelle de ces derniers,
même si le juge administratif n'avait, jusqu'à présent, pas
eu l'occasion de préciser si les contrats de plan étaient des
contrats administratifs au sens plein du terme. Il a relevé que
l'interprétation du juge administratif pourrait, sur ce point,
s'avérer restrictive, comme semblait l'indiquer la décision du
Conseil d'Etat du 25 octobre 1996 (société de Nantes experts en
écologie) qui laissait supposer que les contrats de plan étaient
un type particulier de contrat administratif.
M. Jean-Marie Pontier
a estimé que, dans l'hypothèse
où les contrats de plan seraient reconnus comme étant de
véritables contrats administratifs, les cocontractants seraient alors
juridiquement tenus de respecter leurs engagements. Il a indiqué qu'il
serait sans doute opportun que le législateur prévoie, à
cet effet, que les contrats de plan sont des contrats administratifs au sens
jurisprudentiel du terme.
Il a observé qu'une loi pouvait parfaitement disposer, sans risquer
d'être contraire à un principe constitutionnel, qu'en cas de
manquement d'un des cocontractants -et notamment de l'Etat- à ses
obligations, des sanctions pécuniaires lui soient infligées. Il a
évoqué la décision du Conseil constitutionnel du
28 juillet 1988, qui n'avait pas conféré à la
liberté contractuelle le rang d'un principe à valeur
constitutionnelle, ce qui laissait au législateur l'entière
liberté de préciser son contenu. Il a relevé que
l'instauration d'une telle obligation légale ne serait pas non plus
contraire au principe constitutionnel de libre administration des
collectivités locales, qu'elle tendait au contraire à renforcer.
M. Jean-Marie Pontier
a estimé que la logique contractuelle entre
l'Etat et les collectivités locales, ou entre les collectivités
locales, était non seulement conforme à l'esprit de la
décentralisation, mais qu'elle en était un instrument
obligé. Il a rappelé les présupposés
théoriques de la relation contractuelle : l'égalité
des parties, l'expression de leur liberté et la manifestation d'un
pouvoir accru confié aux collectivités territoriales. Il a
observé que le droit public était d'ailleurs, avant la
décentralisation, imprégné de la notion d'acte
unilatéral, ce dernier provenant le plus souvent de l'Etat et plus
rarement des maires, dans l'exercice de leur pouvoir de police, les
collectivités locales étant qualifiées de
collectivités " secondaires ". Il a fait valoir que la
décentralisation avait permis l'émergence d'une relation
contractuelle, initialement liée à la planification d'abord
centralisatrice puis décentralisée, les contrats de plan
Etat-Régions ayant aujourd'hui acquis une totale autonomie par rapport
à la planification d'Etat, qui n'existe plus. Il a estimé que les
contrats de plan Etat-Régions devraient plus opportunément
s'appeler des " contrats de décentralisation ".
M. Jean-Marie Pontier
a considéré que la terminologie
employée était parfois source de confusion, les " contrats
de pays " n'étant en réalité pas de véritables
contrats, les pays ne disposant pas de la personnalité juridique. Il a
également estimé que le terme de " contrat local de
sécurité " était inapproprié, cette
terminologie sous-entendant une égalité des parties, qui
n'existait pas en fait, l'Etat faisant prendre en charge, par cette
procédure, certaines de ses responsabilités par les
collectivités locales. Estimant que le terme de contrat devait
être réservé aux procédures réellement
contractuelles, il a relevé que le juge administratif, en raison de sa
tradition centralisatrice, était par ailleurs souvent réticent
à reconnaître le caractère contractuel des rapports entre
l'Etat et les collectivités locales.
M. Jean-Marie Pontier
a jugé intéressante la notion de
" collectivité chef de file " pour l'organisation des
compétences locales, l'estimant conforme à la tradition juridique
française, qui excluait toute hiérarchie ou tutelle entre
collectivités locales. Il a estimé que l'instauration d'un
" chef de file " permettait de concilier l'exigence de l'absence de
tutelle entre les différents niveaux de collectivités et celle de
la cohérence de l'action publique locale. Commentant la décision
du Conseil constitutionnel invalidant la disposition de la loi
n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire tendant à
introduire dans le droit français la possibilité de
désigner par convention une " collectivité chef de
file ",
M. Jean-Marie Pontier
a jugé que le Conseil
constitutionnel n'avait pas définitivement exclu la
constitutionnalité de cette notion, même s'il avait jugé
que le législateur se devait de définir " les pouvoirs et
responsabilités " afférents à cette fonction. Il a
considéré que l'instauration d'un " chef de file "
s'appliquerait mieux aux relations entre l'Etat et les collectivités
locales, plutôt qu'aux actions communes à plusieurs
collectivités territoriales.
M. Jean-Marie Pontier
a estimé que les collectivités
locales françaises n'étaient associées ni à la
définition, ni à la gestion de la politique structurelle
européenne, doublement centralisée, aux niveaux communautaire et
national. Il a jugé que le comité des régions, à
vocation exclusivement consultative, dépendait largement, pour sa
composition, de l'Etat, et qu'il serait intéressant de le transformer en
seconde chambre, représentative des collectivités locales, sur le
modèle du Sénat, plutôt que des chambres hautes des Etats
fédéraux. Il a appelé de ses voeux une meilleure
coordination entre les contrats de plan Etat-Régions et les documents
uniques de programmation des fonds structurels, ainsi qu'une plus grande
information des acteurs locaux sur les modalités d'intervention des
crédits communautaires.
Rappelant que les lois de janvier et juillet 1983 s'intitulaient lois relatives
à la répartition " de " compétences entre l'Etat
et les collectivités locales, il a indiqué que le
législateur n'avait pas effectué de répartition globale de
l'ensemble des compétences publiques, mais avait plutôt
transféré certaines compétences de l'Etat aux
collectivités locales, maintenant toutefois la clause
générale de compétence de chaque niveau. Il a
regretté que le législateur de 1983 n'ait pas
procédé à un transfert des compétences culturelles,
en faveur des collectivités décentralisées.
M. Jean-Marie Pontier
a indiqué que la constitution de blocs
homogènes de compétences, n'était à son sens ni
possible, ni souhaitable, le législateur ayant lui-même
prévu, lorsqu'il avait voulu en instituer, des possibilités de
dérogation, comme par exemple, en matière d'enseignement,
" l'appel de responsabilité " permettant à une commune
d'intervenir en matière d'enseignement secondaire.
M. Jean-Marie Pontier
a considéré que l'organisation
territoriale française n'était pas satisfaisante, en raison de la
multiplication des niveaux de collectivités territoriales, du nombre de
collectivités locales au sein de chaque niveau, et du nombre
d'établissements publics de coopération intercommunale. Jugeant
essentiel pour le maillage territorial de notre pays l'existence des communes,
et insistant sur la réussite des régions -malgré un
découpage purement administratif opéré dans les
années 1960 et un manque consécutif d'identité de
certaines régions -et de leur statut de collectivité de plein
exercice, il a relevé la difficulté, pour les
collectivités intermédiaires, comme le département,
à définir leur rôle. Il a cité l'exemple italien,
les provinces peinant à trouver leur voie entre les communes, qui
délivrent les services locaux de proximité, et les
régions, qui disposent de compétences étendues.
M. Jean-Marie Pontier
a jugé indispensables les concours
financiers de l'Etat aux collectivités locales, même s'il a
estimé qu'il serait envisageable de reverser aux collectivités le
produit d'un impôt d'Etat -l'impôt sur le revenu par exemple-. Il a
toutefois considéré que les dotations d'Etat devaient conserver
un caractère général, au rebours de la tendance actuelle
à leur spécialisation. Insistant sur l'attrait conceptuel de
l'exemple néerlandais, dans lequel l'Etat fournit aux
collectivités locales l'ensemble de leurs ressources, il a estimé
ce système peu compatible avec la tradition française. Il a
détaillé les avantages de l'existence d'une fiscalité
directe locale : responsabilisation des élus, possibilité
d'orientation politique des prélèvements locaux,
responsabilisation des citoyens en raison du nombre élevé des
redevables des taxes locales, qui s'oppose à l'exemption d'une grande
partie de la population du paiement de l'impôt sur le revenu.
M. Jean-Marie Pontier
a dégagé quatre pistes
d'approfondissement de la décentralisation :
- une rupture de l'uniformité des règles applicables aux
collectivités territoriales, à son sens constitutionnellement
possible, en fonction des spécificités de ces dernières,
comme l'indique la décision du Conseil constitutionnel sur le statut de
la Corse de 1991 ;
- une habilitation législative générale des
collectivités locales à contracter, le juge administratif ne leur
reconnaissant pas cette aptitude, comme le montre un arrêt annulant la
décision de la région Lorraine de conventionner la gestion de
certaines lignes ferroviaires avec la SNCF ;
- un financement spécifique des schémas planificateurs qui
s'appliquent aux collectivités locales et une mise en oeuvre par ces
dernières de leurs orientations. L'intervenant a regretté
à cet égard la disparition du schéma national
d'aménagement et de développement du territoire ;
- un assouplissement des règles relatives à la
coopération décentralisée, actuellement limitée aux
actions transfrontalières.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a estimé que le principe
d'unité s'appliquait difficilement à la diversité des
collectivités territoriales. Revenant sur la récente discussion
au Sénat d'un amendement au projet de loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire
instaurant la possibilité de désigner une collectivité
" chef de file ", il a rappelé que la Haute Assemblée
avait souhaité conférer une certaine souplesse à cette
notion, pour lui permettre de s'adapter à la diversité
territoriale. Il a en particulier indiqué que la collectivité
chef de file aurait pu être, dans cette conception, une région, un
département ou une commune. Il a interrogé M. Jean-Marie Pontier
sur la possibilité constitutionnelle d'instaurer un droit à
l'expérimentation en faveur des collectivités locales.
M. Daniel Hoeffel
a jugé que nombre des obstacles
rencontrés par les collectivités locales provenaient de la
conception parfois passéiste de certaines instances, qui ne tenaient pas
compte des évolutions rapides à l'oeuvre. Il a estimé que
cette analyse s'appliquait notablement en matière de coopération
décentralisée. Il a demandé si l'élaboration du
code général des collectivités territoriales avait permis
d'affirmer dans l'ordre juridique la disposition expresse des lois de
décentralisation établissant l'absence de tutelle d'un niveau de
collectivité sur un autre.
M. Jean-Marie Pontier
a précisé que si la codification
avait maintenu cette disposition, elle avait toutefois rationalisé le
droit en la matière, cette mention existant antérieurement dans
quatre législations différentes. Revenant à la
jurisprudence constitutionnelle de janvier 1995 sur la collectivité
" chef de file ", il a précisé que le juge avait
sanctionné " l'incompétence négative " du
législateur, ce dernier devant, non pas désigner
expressément la collectivité " chef de file ", mais en
tout cas définir les conditions d'exercice de cette mission.
M. Jean-Marie Pontier
a considéré qu'il n'existait pas
d'obstacles constitutionnels à l'instauration d'un droit à
l'expérimentation pour les collectivités territoriales, la
décision précitée du Conseil constitutionnel sur le statut
de la Corse prévoyant une possibilité de différence de
traitement en cas de " spécificité " de la
collectivité concernée. Il a relevé que le
législateur pouvait en outre, sans méconnaître de principe
constitutionnel, instaurer une législation différenciée,
à condition qu'elle soit provisoire.
Audition de M. Didier LALLEMENT,
directeur
général des collectivités locales au ministère de
l'intérieur
(6 juillet 1999)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a procédé à
l'audition de M. Didier Lallement,
directeur général des collectivités locales au
ministère de l'intérieur,
sur le thème des
conditions d'exercice des mandats locaux.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souligné que dans le
cadre de la réflexion de la mission sur l'amélioration de la
performance des services publics locaux, il était important de
recueillir l'éclairage de la direction générale des
collectivités locales sur les conditions d'exercice des mandats locaux,
en relation avec la mise en cause de la responsabilité pénale des
élus et l'équilibre des relations entre l'Etat et les
collectivités locales dans l'exercice des compétences
transférées.
M. Didier Lallement
a rappelé que les conditions d'exercice des
mandats locaux n'étaient que l'un des éléments à
prendre en compte pour apprécier globalement la performance d'un
système décentralisé.
Il a précisé que la loi n° 92-108 du 3 février 1992
relative aux conditions d'exercice des mandats locaux avait apporté des
garanties nouvelles, sans rompre toutefois avec l'esprit du dispositif
résultant des textes précédents.
Il a souligné également que la philosophie du dispositif sur le
plan financier demeurait fondée sur le principe que le mandat
était gratuit mais qu'il ouvrait droit à des indemnités
pour l'exercice de la fonction.
Il a rappelé que la loi du 3 février 1992 portait sur deux
aspects : la démocratisation de l'accès aux mandats locaux
et la transparence des modalités d'indemnisation des élus.
Concernant la démocratisation de l'accès aux mandats locaux, le
texte s'est efforcé d'améliorer la disponibilité en temps
des élus par rapport à leurs employeurs en réglementant le
régime des autorisations d'absence pour participation à des
séances ou réunions de travail, ainsi qu'en prévoyant un
crédit d'heures.
M. Didier Lallement
a rappelé que le dispositif du crédit
d'heures, forfaitaire et trimestriel, visait à permettre à
l'élu local de disposer du temps nécessaire à
l'administration de la collectivité et à la préparation
des réunions. Il a observé sur ce point que la loi du
3 février 1992 avait modernisé le dispositif d'autorisation
d'absence qui existait déjà.
Un autre volet de la loi a apporté certaines garanties accordées
aux élus locaux pour l'exercice de leur activité professionnelle.
Il s'agit du maintien du droit aux prestations sociales, de l'interdiction du
licenciement, du déclassement ou des sanctions disciplinaires en cas
d'absence de l'élu pour l'administration de la collectivité
locale, du droit à suspension du contrat de travail et du droit à
la réintégration dans l'entreprise sur le poste de travail
à l'issue du mandat, en bénéficiant éventuellement
d'un stage de remise à niveau.
M. Didier Lallement
a indiqué que la loi avait prévu
également un volet relatif au droit à la formation sous la forme
d'un volume d'heures de formation, ne pouvant excéder 20 % des
crédits ouverts au titre des indemnités de fonction
versées par la collectivité, dans la limite d'un plafond de six
jours de formation par élu et par mandat.
Puis,
M. Didier Lallement
a évoqué le volet relatif au
droit à la protection sociale qui prévoit l'affiliation au
régime général de la sécurité sociale pour
tous les élus ainsi qu'un dispositif spécifique en matière
de retraite à trois étages -un régime de base, un
régime complémentaire géré par l'IRCANTEC et un
régime de capitalisation par rente.
M. Didier Lallement
s'est interrogé sur le fait que le
régime complémentaire de retraite par capitalisation
n'était pas ouvert, en droit, aux élus locaux qui
renonçaient à toute activité professionnelle pour exercer
leur mandat électif.
S'agissant de la transparence de l'indemnisation des élus,
M. Didier
Lallement
a rappelé que la loi avait généralisé
le champ des barèmes d'indemnisation, qui existaient auparavant de
manière partielle, à l'ensemble des mandats électifs
locaux.
Il a relevé que la transparence accrue était allée de pair
avec l'intégration des indemnités dans le régime fiscal de
droit commun, sous réserve du mécanisme de la retenue à la
source.
Il a rappelé la création d'une dotation particulière aux
communes de moins de 1.000 habitants, versée sous condition de potentiel
fiscal, dont le montant global était fixé à
273 millions de francs, sur la base de l'évaluation des sommes
reversées à l'Etat à la suite de la fiscalisation.
Evoquant ensuite les perspectives en matière de condition d'exercice des
mandats locaux,
M. Didier Lallement
a constaté que la loi de 1992
n'avait pas rompu avec la spécificité française de la
gratuité du mandat tout en améliorant les modalités
d'indemnisation. Il a relevé qu'une professionnalisation accrue du
mandat pourrait conduire à mettre en place un système de
carrière de l'élu qui permettrait une
" délocalisation " au fur et à mesure de son accession
à des mandats de plus en plus importants, par analogie avec certains
modèles étrangers. Evoquant les inconvénients de la
professionnalisation, il a estimé préférable de rechercher
l'amélioration de la loi du 3 février 1992.
Il a constaté qu'une revalorisation du barème indemnitaire serait
aisée à mettre en place techniquement. A cet égard, il a
rappelé que la revalorisation du barème d'indemnisation des
maires prévue dans le projet de loi relatif au cumul des mandats
actuellement en discussion, représenterait un surcoût de 800
millions de francs si elle était adoptée en l'état. Il a
remarqué en outre que le dispositif proposé conduirait à
mettre en place deux barèmes différents pour les maires et pour
les adjoints, l'indemnisation de ces derniers demeurant inchangée.
Il a souligné que le dispositif de formation constituait l'une des
principales carences du système actuel en constatant que dans les
comptes administratifs pour 1996, le volume des crédits de formation
s'élevait à 12,5 millions de francs, soit un montant bien
inférieur à ce qu'il aurait pu être, si le montant maximum
des crédits autorisés de l'ordre de 1,3 milliard de francs avait
été consommé.
Il a observé que la procédure d'agrément des organismes de
formation par le conseil national de la formation des élus locaux, dont
les avis étaient généralement suivis par le ministre de
l'intérieur, n'était pas en cause.
Rappelant que la formation était un investissement pour l'avenir, il
s'est interrogé sur l'éventualité d'une mutualisation des
coûts de formation selon l'importance des collectivités locales.
De même, s'agissant des risques liés à l'interruption de
l'activité professionnelle, il s'est demandé si une
réflexion ne devrait pas être engagée en matière de
réinsertion des élus à l'issue de leur mandat, en
prévoyant une mutualisation du financement à partir des
indemnités versées, par analogie avec le dispositif existant pour
les députés.
Concernant la responsabilité pénale et civile des élus
locaux, il s'est demandé si la commune ne pourrait pas se substituer aux
élus dans certaines hypothèses de mise en cause bien
définies.
S'agissant du régime de retraite, il a souligné que le dispositif
actuel donnait satisfaction et reposait sur une logique de mutualisation qui ne
semblait pas critiquable. Il a rappelé toutefois l'existence de
différences de situation résultant en réalité du
régime dont relevait l'élu avant son mandat et notamment de la
possibilité pour les fonctionnaires élus de cumuler le
régime de la Préfon avec celui de la retraite par rente.
En conclusion,
M. Didier Lallement
a estimé que l'économie
générale des principes de la loi de 1992 demeurait satisfaisante
et qu'il importait d'engager une réflexion sur l'amélioration des
moyens de gérer les collectivités locales.
Après avoir relevé les inégalités entre
collectivités locales dans la conception et la mise en oeuvre des
projets de développement,
M. Jean-Paul Delevoye,
président,
s'est interrogé sur les moyens de moderniser le
régime de la fonction publique territoriale. Il a souligné que
l'augmentation du temps consacré aux réunions et à la
concertation nécessitait de réfléchir sur le régime
de délégations du maire. Il s'est interrogé sur le
régime des frais de représentation.
S'agissant du principe des indemnités, il s'est prononcé contre
l'idée d'une professionnalisation de la fonction d'élu en
considérant que cela irait à l'encontre de l'éthique du
mandat électif général. Il s'est interrogé
toutefois sur les désavantages relatifs subis par les élus des
communes de 10.000 à 25.000 habitants.
Rappelant que le programme de formation " Mairie 2000 ",
organisé par l'association des maires de France, avait accueilli 14.000
élus, il s'est demandé si la sous-consommation du droit à
formation n'était pas due aux coûts trop importants
demandés par les organismes spécialisés.
Concernant le régime des retraites, il a regretté que
l'élu local perde la protection sociale complémentaire dont il
bénéficiait en cas de cessation de son activité
professionnelle pour se consacrer à son mandat électif.
Enfin, il s'est interrogé sur la conduite à adopter face aux
demandes de nouvelles règles indemnitaires pour l'exercice de fonctions
dans des organismes tels que les conseils économiques et sociaux
régionaux (CESR) ou les présidences des conseils d'administration
des services départementaux d'incendie et de secours.
En réponse,
M. Didier Lallement
a tout d'abord observé que
la " réunionnite " n'affectait pas seulement les élus
locaux mais qu'il s'agissait d'un phénomène inhérent
à la transformation d'une administration fondée sur
l'édiction d'actes unilatéraux à une administration
privilégiant des interventions contractualisées.
Concernant les collaborateurs des élus locaux, il a constaté que
les services de l'Etat reconnaissaient la valeur et la capacité
d'initiative des administrateurs territoriaux même s'il demeurait exact
que les petites communes n'avaient pas les moyens d'établir un vrai
dialogue administratif avec les grandes collectivités locales ainsi
qu'avec l'Etat.
M. Michel Mercier, rapporteur,
s'est alors interrogé sur les
disparités de rémunération dans la fonction publique
territoriale.
S'agissant des frais de représentation,
M. Didier Lallement
a
rappelé que le dispositif de l'article L. 2123-9 du code
général des collectivités territoriales, issu de la loi du
5 avril 1884, était applicable aux maires sur décision du
conseil municipal, mais qu'il n'avait pas été étendu par
la loi aux conseils généraux, aux conseils régionaux et
aux conseils des établissements publics de coopération
intercommunale (EPIC).
Il a souligné que la récente disposition adoptée à
l'article 46 quindecies du projet de loi relatif au renforcement et
à la simplification de la coopération intercommunale, portant sur
les frais de représentation des titulaires des emplois fonctionnels des
départements, des régions, des communes ou du poste de directeur
d'un EPIC, pourrait conduire à remettre en cause la doctrine, parfois
admise, aux termes de laquelle l'absence de dispositions législatives en
ce domaine ne faisait pas obstacle aux délibérations prises par
les collectivités locales autres que les communes.
M. Jacques Oudin
s'est interrogé sur les conséquences de
la disposition relative aux frais de représentation, incluse dans la loi
précitée, et a souhaité que le dossier des frais de
représentation soit traité globalement.
M. Didier Lallement
a estimé, à titre personnel, qu'un
accord préalable sur le barème des frais de représentation
pourrait être de nature à faciliter la recherche d'une solution
dans ce dossier et a rappelé que la disposition introduite dans la loi
précitée n'avait pas été prise à
l'initiative du Gouvernement.
M. Jacques Oudin
, soulignant le rôle accru demandé aux
collectivités locales en matière de développement
économique et d'aménagement du territoire, a regretté que
celles-ci ne puissent recruter plus facilement des " chefs de
projet ", dotés d'une rémunération appropriée,
pour l'exercice de fonctions de courte durée et très
spécialisées.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné qu'il serait
préférable de faciliter le recrutement de personnels sous contrat
à durée déterminée pour des opérations
ponctuelles plutôt que d'inciter, comme c'est le cas actuellement,
à la passation de conventions de prestations de service avec des
cabinets d'études. Il a estimé que la question de la
réglementation des frais de représentation pourrait être
traitée sans nécessairement heurter l'opinion publique. Il a
déploré l'absence d'une clarification des responsabilités
au sein de la chaîne de commandement public qui conduisait, par exemple,
à ce que le maire ne soit jamais déchargé de sa
responsabilité quelle que soit la nature des délégations
accordées.
En réponse,
M. Didier Lallement
a précisé qu'en
principe le statut de la fonction publique territoriale n'interdisait pas le
recrutement d'agents contractuels pour des tâches spécifiques
à durée déterminée, rappelant toutefois que le
recours des collectivités territoriales, par le passé, à
des personnels contractuels pour des fonctions correspondant à des
emplois permanents avait soulevé de multiples contentieux qui
n'étaient pas encore aujourd'hui complètement
réglés.
S'agissant du régime des indemnités non prévues par les
textes, il a estimé que des solutions législatives pourraient
être mises en place pour les membres des comités
économiques et sociaux régionaux ainsi que pour les
présidents de conseil d'administration des services
départementaux d'incendie et de secours (SDIS) dont les
responsabilités sont importantes. En revanche, il a émis des
réserves sur l'idée d'une généralisation de
l'indemnisation des fonctions exercées dans les établissements
publics locaux dont il a souligné le nombre et la variété.
Concernant la " chaîne des responsabilités publiques ",
M. Didier Lallement
a admis l'imprécision de la jurisprudence et
il a estimé que ce dossier mériterait un examen approfondi en vue
de remettre à jour les textes sur les délégations de
pouvoir.
M. Jacques Oudin
s'est interrogé sur les limites concrètes
apportées à l'exercice du pouvoir hiérarchique des
élus locaux sur les fonctionnaires territoriaux. Il a souhaité
une clarification du cadre juridique en matière de recrutement de
personnel contractuel de haut niveau par les collectivités locales.
M. Didier Lallement
a rappelé que les collectivités
locales étaient autorisées à recruter des personnels sous
contrat à durée déterminée pour l'exercice d'une
activité qui ne relevait pas d'un cadre d'emploi statutaire et il a
estimé que les difficultés d'interprétation actuelle
pouvaient être résolues pragmatiquement dans le cadre d'un
dialogue franc entre les services des collectivités locales et ceux du
contrôle de légalité sur la nature des postes ainsi pourvus.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a considéré qu'il faudrait
distinguer les personnels statutaires, chargés de la gestion courante,
et les personnels contractuels recrutés pour assurer la
réalisation d'un projet déterminé dans l'esprit d'une
" administration de mission ".
M. Jacques Bellanger
a regretté que le débat ait
été plus centré sur les problèmes des
collaborateurs des élus que sur ceux des élus eux-mêmes.
Rappelant que pour les communes de plus de 20.000 habitants, le maire devait
être en fonction en permanence, il a déploré les
inégalités d'accès aux fonctions électives, en
soulignant les difficultés que rencontraient les membres des professions
libérales ainsi que les salariés des petites et moyennes
entreprises qui abandonnaient leur emploi pour exercer les fonctions de maire.
S'interrogeant sur le contrôle du cumul des rémunérations,
il a souligné les insuffisances du barème actuel de
l'indemnisation tout en reconnaissant les contraintes inhérentes
à l'existence de plus de 36.000 communes en France.
M. Jacques Oudin
a souligné que les
" préretraités " ou les " jeunes
retraités " devenaient désormais la catégorie de la
population la plus susceptible d'assumer les fonctions de maire. Il a
souhaité une clarification générale des textes en vue de
faciliter l'accès aux fonctions électives locales.
En réponse,
M. Didier Lallement
a rappelé que les
conditions financières d'exercice des mandats faisaient de la France un
pays " à mi-chemin " entre le principe de la gratuité
des mandats et celui de la professionnalisation du métier politique.
Il a souligné que le dispositif actuel pouvait être
amélioré sur certains points mais que si le " curseur "
était poussé trop loin dans le sens d'une professionnalisation
accrue, la France basculerait dans un nouveau système dont les
inconvénients mériteraient d'être complètement
analysés, notamment du point de vue de la démocratie locale. Il a
souligné la difficulté inhérente à l'existence de
près de 40.000 collectivités locales différentes en
France, d'importance très variable.
S'agissant de la fonction publique territoriale, il a rappelé les
avantages d'un système unitaire qui apporte les mêmes garanties
à une petite commune qu'à une grande collectivité locale
de taille européenne.
S'agissant de la perception du statut financier des élus par l'opinion
publique, il a estimé que la faible consommation des crédits de
formation était vraisemblablement révélatrice d'une
prudence des élus locaux sur ce sujet.
Audition de M. Claude BADRONE,
sous-directeur au
service
de la législation fiscale
au ministère de l'économie,
des finances et de l'industrie
(26 octobre 1999)
Présidence de M. Paul GIROD, Vice-Président
La
mission commune d'information a procédé à l'audition de
M. Claude Badrone, sous-directeur au service de la législation
fiscale au ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie
, accompagné de
Mme Véronique Bied-Charreton,
chef de bureau
.
M. Claude Badrone
a tout d'abord exposé que le produit de la
fiscalité directe locale, qui s'élevait à
350 milliards de francs en 1997, avait augmenté de 93 % depuis
1988. Il a relevé que, parallèlement, les recettes fiscales
nettes de l'Etat avaient progressé au cours de la même
période de 25,8 %. Il a indiqué que la part de la
fiscalité locale dans le produit intérieur brut était
passée de 3,4 % en 1988 à 4,4 % en 1997, cette
progression étant notamment imputable à l'accroissement des
interventions des collectivités locales.
Puis
M. Claude Badrone
a fait observer que l'Etat prenait en charge une
partie importante de la fiscalité locale. Il a ainsi relevé que,
s'agissant de la taxe professionnelle, le coût net pour l'Etat,
après déduction des frais d'assiette et de recouvrement,
s'élevait à 59 milliards de francs en 1998. Il a noté
que la part de la taxe professionnelle prise en charge par l'Etat était
passée de 23 % à 33 % entre 1990 et 1998. En ce qui
concerne la taxe d'habitation, il a observé que l'Etat prenait en charge
18 milliards de francs, soit 20,8 % du produit de cette taxe.
M. Claude Badrone
a indiqué que le plafonnement de la taxe
professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, mesure qui avait
été consolidée par la loi de finances pour 1999,
représentait pour l'Etat un coût de 38,2 milliards de francs
en 1998. Il a noté que ce coût n'avait pas diminué en
dépit de l'adoption de certaines mesures telles que le gel des taux pris
en compte pour le calcul du plafonnement ou l'exclusion de la déduction
des loyers dans le calcul de la valeur ajoutée.
M. Claude Badrone
a par ailleurs précisé que l'ensemble
des dégrèvements accordés aux contribuables modestes en
matière de taxe d'habitation représentait pour l'Etat un
coût de 18 milliards de francs après déduction des
frais d'assiette et de recouvrement. Il a rappelé que l'Assemblée
nationale avait souhaité renforcer ces mesures de
dégrèvement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000.
M. Claude Badrone
a enfin souligné qu'en matière de taxe
foncière sur les propriétés bâties, les
exonérations et dégrèvements étaient plus modestes
compte tenu de la nature même de cette taxe qui portait sur la
propriété de l'immeuble. Il a relevé qu'en
conséquence, l'Etat ne supportait pratiquement aucune charge à ce
titre.
Répondant à
M. Paul Girod, président
,
M. Claude
Badrone
a reconnu que les marges de manoeuvre des collectivités
locales en matière fiscale étaient de plus en plus
étroites. Il a ainsi fait valoir que depuis environ 20 ans, la taxe
professionnelle n'avait pu perdurer que grâce au très fort
engagement financier de l'Etat et que la taxe d'habitation était, pour
sa part, très critiquée.
M. Claude Badrone
a exposé que l'Etat était contraint de
s'engager financièrement soit pour sauvegarder un impôt local,
notamment la taxe professionnelle, soit parce que des
dégrèvements étaient inévitables en matière
de taxe d'habitation.
M. Michel Mercier, rapporteur
, s'étant demandé si l'Etat
ne préférait pas apporter sa contribution financière
plutôt que de prévoir les réformes nécessaires de la
fiscalité locale,
M. Claude Badrone
a
considéré que l'Etat était prêt à engager de
telles réformes lorsque sa contribution financière devenait trop
importante.
En réponse à
M. Paul Girod, président
, qui faisait
observer que la réforme de la taxe professionnelle opérée
par la loi de finances pour 1999 privait les collectivités locales du
dynamisme de l'évolution des bases,
M. Claude Badrone
a fait
valoir que ce dynamisme était préservé en ce qui concerne
les bases de cette taxe portant sur l'investissement.
Sur une question de
M. Michel Mercier, rapporteur
, qui souhaitait
connaître l'évolution réelle des bases fictives de la part
" salaires " de la taxe professionnelle,
M. Claude
Badrone
a indiqué qu'au cours des dernières années,
précédant la réforme, ces bases avaient augmenté de
façon équivalente à la dotation globale de fonctionnement.
A l'invitation de
M. Paul Girod, président
,
M. Claude
Badrone
a ensuite abordé la question de la révision des
valeurs cadastrales. Il a rappelé que les simulations
opérées avaient mis en évidence que cette révision
se traduirait par des transferts de charges importants entre locaux
d'habitation mais aussi entre des locaux d'habitation et des locaux
commerciaux. Il a souligné que les bases imposables des locaux
d'habitation seraient plus élevées à l'issue de la
révision. Il a estimé que ces transferts résultaient de la
superposition d'une fiscalité communale, départementale et
régionale.
Répondant à
M. Michel Mercier, rapporteur
, qui faisait
observer que le prélèvement prévu pour la
réalisation des travaux de révision des valeurs cadastrales avait
été maintenu, alors même que ces travaux avaient
été achevés,
M. Claude Badrone
a fait valoir
que la pérennisation de cette mesure devait être mise en rapport
avec l'accroissement de la prise en charge par l'Etat de la fiscalité
locale. Il a indiqué que, lors de l'examen du projet de loi de finances
pour 2000, l'Assemblée nationale avait prévu le
dépôt par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur la
réforme de la taxe d'habitation, rapport qui devrait en outre examiner
le sort à réserver à ce prélèvement.
M. Claude Badrone
a, par ailleurs, précisé que les
simulations périodiquement réalisées confirmaient les
résultats constatés par les premières simulations. Il a
ainsi noté que la cotisation de taxe d'habitation augmenterait à
l'issue de la révision pour 61 % des locaux d'habitation et que
9,9 % d'entre eux subiraient une hausse supérieure à
50 %.
En réponse à
M. Paul Girod, président
, qui se
demandait si ces hausses ne concernaient pas essentiellement des logements
sociaux de fait,
M. Claude Badrone
a précisé qu'elles se
répartissaient entre des locaux de natures diverses. Il a indiqué
que 41 % des habitations de type HLM subiraient une augmentation et que
4 % d'entre elles enregistreraient une hausse supérieure à
50 %.
Répondant à
M. Michel Mercier, rapporteur
, qui
s'inquiétait du risque d'obsolescence des travaux de révision qui
dataient de 1990,
M. Claude Badrone
, tout en reconnaissant que depuis
cette date les bases avaient pu évoluer, a néanmoins fait valoir
que ces travaux représentaient toujours un progrès par rapport
aux bases actuellement prises en compte qui dataient de 1970.
M. Paul Girod, président
, s'est alors demandé si cette
obsolescence des travaux de révision des valeurs cadastrales ne
servirait pas à justifier le maintien d'un prélèvement
spécifique destiné à leur financement dès lors que
l'Etat était en conséquence conduit à supporter de plus en
plus le coût de la fiscalité locale.
En réponse,
M. Claude Badrone
a fait valoir qu'il fallait
conserver les acquis de la révision qui permettaient une
évaluation plus réaliste des locaux mais en gommant les
transferts de charges importants qui avaient pu être observés. Il
a souligné que ces transferts concernaient non seulement des locaux HLM
mais aussi des locaux à caractère industriel.
Répondant ensuite à
M. Paul Girod, président
, qui
s'interrogeait sur la possibilité d'effectuer un écrêtement
sur la richesse exceptionnelle d'une commune en matière de taxe
professionnelle,
M. Claude Badrone
a fait observer que les fonds
départementaux de péréquation de la taxe professionnelle
mettaient en cause des sommes relativement faibles au regard des enjeux de la
péréquation. Il a reconnu que la substitution d'un critère
lié à la richesse communale au critère des
" établissements exceptionnels " permettrait d'accroître
le montant de la péréquation. Il a indiqué qu'à
l'issue de la réflexion en cours, un rapport dressant un constat de la
situation actuelle serait remis au Parlement avant le vote définitif du
projet de loi de finances pour 2000.
Après avoir fait observer que certains contribuables avaient subi en
1999 de très fortes hausses de leur taxe d'habitation alors même
que leur situation personnelle n'avait pas changé,
M. Michel Mercier,
rapporteur
, a souhaité savoir quelles mesures législatives
avaient pu provoquer de telles variations.
En réponse,
M. Claude Badrone
a rappelé que depuis 1996,
les dégrèvements de cotisation de taxe d'habitation
étaient fondés sur un revenu de référence afin
d'éviter que la réforme de l'impôt sur le revenu,
opérée à cette date, n'aboutisse à une diminution
de ces dégrèvements alors même que la situation personnelle
des contribuables n'avait pas changé. Il a fait observer que la
réduction du quotient familial réalisée en 1999 avait eu
un impact sur le montant de l'impôt sur le revenu mais pas sur le revenu
lui-même, lequel était seul pris en compte dans le calcul des
dégrèvements de taxe d'habitation. Il a en outre relevé
que cette mesure avait concerné entre 3.000 et 4.000 contribuables qui
n'étaient pas susceptibles de bénéficier d'un
dégrèvement au titre de la taxe d'habitation.
M. Claude Badrone
a néanmoins fait valoir que la baisse du
quotient familial avait pu entraîner une diminution du plafonnement des
pensions alimentaires versées à un enfant majeur, ce qui avait pu
avoir des conséquences sur le montant du revenu imposable. Il a
estimé entre 4.000 à 5.000 le nombre de contribuables ayant un
revenu moyen ou modeste qui avaient pu subir les effets négatifs de
cette diminution sur leur cotisation de taxe d'habitation.
Puis répondant à
M. Lylian Payet
qui souhaitait
connaître la part des départements d'outre-mer, notamment la
Réunion, dans le montant de la taxe foncière, ainsi que la part
des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion dans le produit
de cette même taxe,
M. Claude Badrone
a fait valoir qu'il
n'était pas possible d'identifier spécifiquement les
bénéficiaires de cette allocation parmi les redevables de la taxe
d'habitation.
En réponse à
M. Michel Mercier, rapporteur
,
M. Claude
Badrone
a estimé que la réforme du quotient familial n'avait
pas eu d'effets notables sur la taxe d'habitation et a souligné qu'une
faible variation du revenu imposable suffisait à provoquer une hausse
significative de la cotisation acquittée au titre de cette taxe.
M. Paul Girod, président
, s'étant interrogé sur la
possibilité de mieux moduler le régime de cette taxe au plan
local,
Mme Véronique Bied-Charredon
a précisé que
les collectivités locales, qui pouvaient décider d'accorder
certains abattements, le faisaient en pratique rarement car elles devaient
supporter le coût de telles mesures.
M. Michel Mercier, rapporteur
, ayant souhaité connaître le
montant du produit de cotisation destiné à financer le coût
de la réforme de la taxe professionnelle,
M. Claude Badrone
a
rappelé que le législateur avait prévu une augmentation de
la cotisation de péréquation et de la cotisation minimale de taxe
professionnelle, lesquelles étaient acquittées par les
entreprises les moins imposées au titre de cette taxe.
Après avoir précisé que le rapport sur l'application de la
réforme de la taxe professionnelle avait été
déposé devant le Parlement,
M. Claude Badrone
a fait
observer que l'abattement progressif opéré sur la part
" salaires " de la taxe professionnelle favorisait d'abord les
petites entreprises. Il a relevé que les entreprises de taille moyenne
ou grande ne bénéficiaient pas encore des effets de la
réforme et qu'elles devaient, en revanche, supporter l'augmentation de
la cotisation de péréquation et de la cotisation minimale.
Répondant à
M. Michel Mercier, rapporteur, Mme
Véronique Bied-Charreton
a indiqué que le coût net de
la réforme de la taxe professionnelle pour l'Etat s'élevait
à 8,4 milliards de francs en 1999 et qu'il atteindrait
10,4 milliards de francs en 2000.
Après avoir noté que lors de l'examen du projet de loi de
finances pour 2000, l'Assemblée nationale avait retenu une indexation
à 2,05 % pour le calcul de la compensation versée par l'Etat
aux collectivités locales au titre de la réforme de la taxe
professionnelle,
M. Michel Mercier, rapporteur
, a souhaité avoir
des précisions sur l'utilisation du produit de fiscalité locale
acquitté par France-Télécom.
Indiquant que ce produit s'élevait à 6,5 milliards de francs,
M. Claude Badrone
a fait observer que le législateur avait
prévu que la fraction de ce produit correspondant aujourd'hui à
son montant total de 1994, soit 4,4 milliards de francs, revenait à
l'Etat, lequel devait l'utiliser pour alimenter la dotation de compensation de
la taxe professionnelle (DCTP) créée par l'article 6 de la loi de
finances pour 1987, mais que le surplus de recettes alimentait le fonds
national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP). Il a
souligné que ce surplus augmentait rapidement puisqu'il était
passé de 1,7 milliard de francs en 1998 à
2,076 milliards de francs en 1999. Il a estimé que, ce montant
versé au FNPTP représentant le tiers de la fiscalité
locale acquittée par la Poste et France-Télécom, cette
situation ne simplifiait pas la réflexion sur un retour éventuel
de ces deux entreprises sous le régime de droit commun.
M. Claude Badrone
a néanmoins fait valoir qu'il avait
été demandé à France-Télécom, qui
effectuait actuellement une seule déclaration fiscale au plan national,
d'établir des déclarations fiscales pour chacun de ses
établissements.
M. Michel Mercier, rapporteur,
s'interrogeant sur l'avenir du
système de financement local, s'est demandé s'il ne fallait pas
envisager désormais un partage entre l'Etat et les collectivités
locales de certains impôts dont le produit bénéficiait
actuellement exclusivement à l'Etat. Il a relevé qu'une telle
formule pourrait permettre de mieux associer les collectivités locales
aux fruits de la croissance.
Tout en reconnaissant qu'il était désormais difficile de
maintenir en l'état le système actuel,
M. Claude Badrone
a
néanmoins fait observer que dans les Etats qui avaient prévu un
dispositif de ce type, notamment l'Allemagne, les collectivités locales
ne disposaient plus du pouvoir de voter les impôts. Il a fait valoir que
la transposition d'un tel système en France aurait pour effet de changer
la nature des prérogatives des collectivités locales, lesquelles
conservaient actuellement le pouvoir de voter les taux, même si ce
pouvoir était encadré.
Considérant que l'existence de quelque 36.000 communes ne facilitait pas
les évolutions du système de financement local,
M. Claude
Badrone
a jugé qu'une réforme institutionnelle constituait un
préalable à une réforme fiscale. Il a ainsi observé
que le pouvoir de voter un barème pour l'impôt sur le revenu avait
été reconnu depuis le 1
er
janvier 1998 aux 17
régions autonomes d'Espagne dans le cadre d'un système
institutionnel très différent de celui régissant
l'organisation territoriale française.
Audition de M. Guy GILBERT,
professeur à
l'université Paris X Nanterre
(3 novembre
1999)
Présidence de M. Joël BOURDIN, Vice-Président,
puis de M.
Jean-François HUMBERT
La
mission a procédé à
l'audition de M. Guy Gilbert,
Professeur à l'université Paris X Nanterre.
M. Joël Bourdin, président,
a invité M. Guy Gilbert
à s'exprimer sur l'avenir du système de financement des
collectivités locales dans la perspective d'une réforme de la
fiscalité locale.
M. Guy Gilbert
a tout d'abord souligné que le système de
financement des collectivités locales se situait " à la
croisée des chemins " dans la mesure où deux innovations
majeures avaient été mises en place en 1999 : la suppression
de la part salariale de la taxe professionnelle par la loi de finances pour
1999 et le développement des formules de mutualisation des ressources
fiscales par la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la
simplification de la coopération intercommunale.
Il a considéré que ces deux " avancées
législatives " portaient chacune sur deux options concevables pour
sortir du statu quo : soit entamer sérieusement l'autonomie
financière et fiscale des collectivités locales, soit pallier les
dysfonctionnements provenant du problème de l'émiettement
territorial.
Il a rappelé la spécificité de la fiscalité locale
en France en raison de l'importance de la répartition des bases
d'imposition et du nombre élevé des collectivités
territoriales.
Présentant un premier graphique sur lequel les pays de l'Union
européenne étaient classés, verticalement, suivant leur
degré d'autonomie fiscale et, horizontalement, selon la part des
dépenses locales dans le produit intérieur brut (PIB), il a fait
apparaître que deux pays " faisaient sécession " :
les Pays-Bas et la France ; cette dernière se caractérise
par une forte autonomie fiscale, c'est-à-dire une proportion importante
des recettes fiscales dans les ressources locales, conjuguée à un
poids relativement limité des dépenses des collectivités
locales dans le PIB.
A partir d'un second graphique classant les pays en fonction de leur
degré d'autonomie fiscale et de la population moyenne des
" collectivités locales de base ",
M. Guy Gilbert
a fait apparaître que la France se singularisait par un fort degré
d'autonomie fiscale apparente qui allait de pair avec un extrême
fractionnement de la population dans les collectivités locales de base
que sont les communes.
Il a estimé que les deux textes législatifs portant
respectivement réforme de la taxe professionnelle et renforcement de
l'intercommunalité allaient conduire la France à se rapprocher
des caractéristiques majoritaires des pays membres de l'Union
européenne, ce qui conduisait à retenir l'hypothèse d'une
" relative normalisation " de la situation française au cours
des prochaines années.
Evoquant les impôts locaux,
M. Guy Gilbert
a tout d'abord
abordé la question du caractère adéquat ou obsolète
des bases de la fiscalité locale.
Constatant l'impossibilité, ou tout au moins la difficulté, de la
mise en oeuvre effective de la révision des bases, il y a vu le signe
des obstacles à une remise en ordre de la fiscalité directe
locale, tout en remarquant que certaines initiatives récentes, telles
que l'instauration d'une taxe sur les logements vacants, n'avaient pas
simplifié le dispositif.
Concernant la taxe professionnelle (TP), il a considéré que cet
impôt avant 1999 ne pouvait pas être considéré comme
un " impôt mal assis " du point de vue de l'économiste,
dans la mesure où l'évolution des bases avait
reflété celle du PIB.
Rappelant que la croissance des bases brutes de TP s'effectuait avant 1999 au
même rythme que le PIB, avec deux ans de décalage, il a
estimé que sur le plan macro-économique les bases de la TP
n'étaient pas sensiblement éloignées de la notion de
valeur ajoutée.
En revanche, il a considéré que la réforme de 1999
transformait véritablement la TP en un " impôt
imbécile " au sens étymologique du terme,
c'est-à-dire en un impôt affaibli structurellement, dans la mesure
où l'exonération de la fraction salariale des bases
générerait une forte distorsion macro-économique.
Il a envisagé le risque d'une disparition à terme de la taxe
professionnelle en expliquant que la réforme de 1999 ne prenait pas en
compte les demandes récurrentes des entreprises relatives à la
déduction des amortissements et qu'elle générait un
décalage entre l'imposition du capital et celle du travail qui serait
difficile à maîtriser. Il a noté, à cet
égard, que la réforme exacerberait les conséquences des
disparités de répartition du potentiel fiscal de TP entre les
entreprises.
Rappelant que les bases de la TP avant 1999 étaient assises à
40 % sur des éléments liés au travail et à
60 % sur des éléments liés aux immobilisations, il a
estimé que d'un strict point de vue macro-économique, il
eût été opportun d'alléger la part du capital dans
les bases au lieu de l'alourdir afin de refléter plus fidèlement
la proportion relative des facteurs de production dans le PIB.
Du point de vue économique,
M. Guy Gilbert
a estimé que
seuls deux impôts étaient efficaces : les redevances
perçues auprès des usagers des services publics locaux et
l'impôt foncier assis sur la valeur vénale des immeubles.
Evoquant les systèmes, dits de partage fiscal
(" tax-sharing "), appliqués à l'étranger et
consistant à répartir entre plusieurs niveaux de
collectivités locales une ressource fiscale commune, il a
souligné, prenant l'exemple de l'Allemagne, que ces systèmes
étaient " déresponsabilisants " sur le plan fiscal. Il
a ajouté que se posait la question du choix des impôts nationaux
à répartir en rappelant que les pays d'Europe du nord avaient
privilégié le partage de l'impôt sur le revenu alors que
l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui avaient choisi des solutions moins
tranchées, étaient aussi les pays dans lesquels les ressources
locales étaient moins " robustes ".
D'une manière générale, il a souligné qu'en 2004,
les deux tiers des ressources des collectivités locales
françaises proviendraient des dotations de l'Etat, ce qui constituait un
déplacement du centre de gravité par rapport à
l'équilibre traditionnel entre dotations et recettes fiscales
respecté dans notre pays.
Concernant le système de péréquation,
M. Guy
Gilbert
a considéré que celui-ci était complexe et
qu'il ne faisait pas l'objet d'évaluation permettant d'apprécier
réellement et globalement la " performance redistributrice "
du dispositif.
Il a observé que si l'on disposait d'éléments relativement
précis sur l'effet péréquateur de la dotation globale de
fonctionnement (DGF), aucune statistique ne portait sur la
péréquation au sein de l'ensemble des concours aux
collectivités locales et notamment sur l'effet des dotations
versées à titre de compensation.
Il a estimé que ce manque d'instrument d'évaluation poserait
problème dans la perspective d'une augmentation de la part relative des
transferts budgétaires de l'Etat dans les ressources locales.
Il a souligné que le développement de l'intercommunalité
était la dernière chance de sauver l'autonomie fiscale des
collectivités locales.
Il a considéré que beaucoup de dispositions de la loi du 12
juillet 1999 précitée allaient dans le bon sens en observant
toutefois que ce dispositif faisait " mauvais ménage " avec
celui de la réforme de la TP prévue par la loi de finances pour
1999.
Il a remarqué que si la fiscalité locale était une
incitation à l'intercommunalité, la diminution de la part
relative des ressources de TP réduirait mécaniquement le
caractère attractif de cette incitation ; en revanche, si on
considère que la fiscalité locale est une barrière
à la création de structures intercommunales, il y a lieu de
penser que l'allégement de la TP faciliterait la constitution de
structures intercommunales à fiscalité unique.
S'interrogeant sur la possibilité, à terme, d'une
cohérence entre les deux dispositifs, il a estimé envisageable
d'assister à l'avenir soit à une " nationalisation de la
TP ", soit à un développement " furieux et
désordonné " des regroupements à fiscalité
unique.
M. Michel Mercier, rapporteur,
tout en évoquant le
caractère " décapant " de cette approche globale
à laquelle les gestionnaires locaux, habitués aux
aménagements à la marge, sont peu familiarisés, s'est
interrogé sur les voies de réforme de la fiscalité locale.
En réponse,
M. Guy Gilbert
a tout d'abord estimé que les
dotations de l'Etat devaient continuer à abonder de manière
significative les ressources des collectivités locales et qu'il
convenait de ne pas avancer trop fortement sur la voie de l'autonomie fiscale,
afin d'éviter les risques de concurrence entre des collectivités
locales se traduisant soit par une surenchère des services, soit par la
recherche du mieux-disant fiscal.
Il s'est prononcé ensuite en faveur d'une meilleure évaluation de
l'impact des dotations aux collectivités locales en insistant sur
l'importance d'un contrôle accru du citoyen.
Il a estimé par ailleurs souhaitable que les marges de manoeuvre
financières des collectivités locales, au-delà du
versement des dotations de base, soient exclusivement dégagées
par le recours à des ressources fiscales, l'objectif devant être
de rétablir le lien entre la notion de contribuable local et celle
d'électeur.
Il a souligné que les collectivités locales ne
préserveraient pas leur marge de manoeuvre sans accepter une
mutualisation volontaire de leurs ressources fiscales dans le cadre de
structures intercommunales à fiscalité substitutive, et non pas
additionnelle comme on le constate trop souvent.
Il s'est prononcé pour une fiscalité locale plus transparente et
un accroissement des responsabilités des élus locaux, l'objectif
étant d'éviter que certaines collectivités locales, dont
les charges sont faibles, n'accroissent leur pression fiscale plus fortement
que les collectivités dont les charges et les budgets sont plus
importants. Il n'a pas exclu le recours à une fiscalité
spécialisée par catégorie de collectivités,
" à la marge ", tout en soulignant la difficulté de
l'exercice.
M. Joël Bourdin, président,
s'est interrogé sur les
possibilités de moderniser les bases de calcul des impôts locaux
qui reposent largement sur le principe ancien de l'imposition de valeurs
foncières et immobilières. Il s'est demandé s'il fallait
développer la péréquation à l'échelon
territorial entre collectivités locales à l'instar de la
région d'Ile-de-France. Il s'est interrogé sur la pertinence des
multiples systèmes de zonage mis en place dans le cadre de la politique
d'aménagement du territoire.
M. Guy Gilbert
a rappelé que la spécificité d'un
impôt local était constituée par son enracinement sur un
territoire. Un impôt local ne peut taxer que des éléments
susceptibles d'être immobilisés et rattachés à une
fraction du territoire.
Il a considéré que le résident devait
rémunérer par le paiement d'une redevance les services publics
locaux auxquels il avait accès ou, lorsque la tarification était
impossible, verser un impôt assis sur la valeur vénale du bien
immobilier qui mesure en fait la valeur capitalisée de l'utilité
relative des services publics offerts par la collectivité locale.
S'agissant de la péréquation au niveau départemental ou
régional, il a estimé que celle-ci pouvait répondre
à un objectif d'équité tout en soulignant qu'il fallait
éviter de l'instaurer sur des zones trop disparates en termes de
richesse relative.
M. Guy Gilbert
a rappelé qu'il était important de
restaurer des conditions de concurrence normales entre les collectivités
locales en égalisant " le pouvoir d'achat des impôts
locaux " afin que les services rendus dans une commune qui connaît
des charges structurelles importantes, le soient au même prix que ceux
assurés par une commune bénéficiant d'une situation
naturelle plus avantageuse.
Dans cette perspective, il a souligné que le choix du niveau de
péréquation dépendait de l'étendue du territoire
sur lequel les collectivités locales se faisaient concurrence en termes
d'offre de services.
Concernant la politique de zonage, il a estimé que d'un point de vue
micro-économique, les aides fiscales étaient théoriquement
positives puisqu'elles favorisaient un développement économique
de la zone qui était ainsi en mesure de créer de la richesse et
de rejoindre le niveau moyen des autres collectivités locales, ceci
jusqu'au moment où l'incitation devenait inutile.
En revanche, du point de vue macro-économique, il a estimé que
les politiques de zonage constituaient un jeu à somme " au moins
nulle " dans la mesure où ce que gagnait une collectivité
locale était souvent perdu par les autres. A la limite, ces
systèmes de zonage peuvent générer des
inégalités que l'on cherchera paradoxalement à combler par
une péréquation renforcée au sein des dotations de l'Etat
au risque d'alourdir encore le système.
Audition de M. Joël BOURDIN
rapporteur de
l'Observatoire des finances locales
(3 novembre 1999)
Puis la
mission a procédé à l
'audition de
M. Joël
Bourdin, en sa qualité de rapporteur
de l'Observatoire des
finances locales
.
M. Joël Bourdin
a présenté les grandes lignes de son
rapport sur l'état des finances locales en 1999. Il a tout d'abord
constaté que l'accord salarial dans la fonction publique de
février 1998 avait conduit en 1998 et 1999 à une augmentation de
plus de 10 % des charges de personnel des collectivités locales. Il
a rappelé que les charges de personnel constituaient environ 35 % des
charges de fonctionnement des collectivités locales, et que cette
proportion était de 40 à 50 % pour les villes. Il a relevé
que, depuis le début des années 90, les charges de personnel
avaient toujours augmenté d'au moins 4 % par an.
M. Joël Bourdin
a indiqué que les ressources des
collectivités locales évoluaient à un rythme moins rapide
que leurs charges. Il a constaté que les dotations de l'Etat
augmentaient plus vite que l'inflation, mais moins que les salaires, tandis que
la croissance des produits fiscaux était atténuée par la
volonté des collectivités locales de limiter le poids de la
pression fiscale. Il a précisé qu'en matière fiscale les
régions avaient été les plus vertueuses en 1998.
M. Joël Bourdin
a signalé que la décrue des charges
d'intérêt supportées par les collectivités locales
se poursuivait, et que cette baisse atteignait parfois 9 % par an. Il l'a
attribuée à la baisse des taux d'intérêt mais
également à un moindre recours à l'emprunt.
Il a en effet souligné que, malgré la baisse, les taux
d'intérêt réels étaient toujours positifs et que par
conséquent, les collectivités locales, disposant à
présent d'une capacité d'autofinancement, s'endettaient moins que
par le passé.
M. Joël Bourdin
a insisté sur le fait que
l'amélioration de l'épargne des collectivités locales
reposait principalement sur l'évolution des taux d'intérêt
et que ce facteur ne serait pas forcément favorable dans l'avenir. Il a
ajouté que le taux d'épargne des collectivités locales
allait certainement se dégrader sous l'effet de la reprise de
l'investissement.
Il a estimé que la situation financière des collectivités
locales en 2000 serait plus tendue que les années
précédentes en raison de la conjonction de la reprise de
l'investissement, de la faible progression des concours de l'Etat et de
l'augmentation des charges. Il a remarqué que, outre l'augmentation des
salaires, celle-ci serait alourdie par le relèvement du taux de
cotisation employeurs à la caisse nationale de retraite des agents des
collectivités locales (CNRACL).
M. Joël Bourdin
a ensuite observé que la réforme de
la taxe professionnelle introduisait un biais entre les entreprises de main
d'oeuvre et les entreprises plus capitalistiques. Il a constaté que des
distorsions de concurrence pourraient apparaître, d'une part, au sein
d'un même secteur d'activité et, d'autre part, entre les
collectivités locales, selon le type d'entreprise qu'elles accueillent.
M. Joël Bourdin
a rappelé que les collectivités
locales n'avaient pas été associées à la
négociation de l'accord salarial dans la fonction publique de
février 1998 et s'est interrogé sur la légitimité
de l'automaticité de l'application aux fonctionnaires territoriaux des
décisions du Gouvernement relatives à la fonction publique d'Etat.
Le rapporteur de l'Observatoire des finances locales a regretté que les
principaux concours de l'Etat aux collectivités locales évoluent
en fonction d'indices qui tiennent compte du taux d'inflation. Il a
considéré que ce taux n'était pas représentatif de
l'évolution des charges des collectivités locales et a
souhaité la création d'un " panier des charges des
collectivités ". Il a estimé qu'un tel indice serait au
moins trois fois supérieur à celui de l'évolution
prévisionnelle des prix.
M. Joël Bourdin
a indiqué qu'il ne disposait d'aucun
élément relatif à la mise en place des 35 heures dans les
collectivités locales, mais qu'il avait décidé de traiter
ce thème dans son prochain rapport au nom de l'Observatoire des finances
locales.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a considéré que, puisque
les décisions de l'Etat en matière de rémunération
des agents publics s'appliquaient à la fonction publique territoriale et
que les collectivités locales n'étaient pas consultées
à l'occasion de leur négociation, il convenait de prendre en
compte les conséquences des accords salariaux signés par l'Etat
dans le calcul des dotations aux collectivités locales.
M. Joël Bourdin
a estimé que l'Institut national de la
statistique et des études économiques (INSEE) devrait pouvoir
élaborer un indicateur d'évolution des charges des
collectivités locales. Il a considéré qu'un indice
synthétique représentatif devrait tenir compte des
éléments favorables aux collectivités locales, tels que
l'évolution des salaires, mais pourrait également jouer dans
l'autre sens, en cas de baisse des charges d'intérêt par exemple.
Envisageant d'autres réformes possibles du système de financement
des collectivités locales,
M. Joël Bourdin
a jugé
nécessaire de parvenir à une évaluation réaliste
des bases des impôts locaux. Il a estimé que la valeur locative
des immeubles pourrait être déterminée et actualisée
de manière efficace par un panel de notaires et d'agents immobiliers, et
que son mode d'évaluation actuelle occupait inutilement un nombre
important d'agents du ministère de l'économie et des finances.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a estimé qu'il convenait d'en
finir avec le système indiciaire de détermination de l'assiette
des impôts locaux.
M. Jean-François Humbert, président,
a jugé
indispensable une évaluation des conséquences des 35 heures
sur les budgets locaux, question qui préoccupait légitimement de
nombreuses collectivités locales.
A l'issue de cette audition,
M. Michel Mercier, rapporteur
, a
indiqué que, lors de la réunion de la mission du
jeudi 18 novembre, il présenterait une communication sur la
sécurité juridique des actes des collectivités locales,
les conditions d'exercice des mandats locaux et les perspectives du
système de financement local. Précisant que cette communication
serait suivie d'un échange de vues, il a fait valoir qu'elle permettrait
à la mission de définir un certain nombre d'orientations sur ces
trois thèmes essentiels et de faire le point sur l'état
d'avancement de ses travaux, à la veille du congrès de
l'Association des Maires de France.
Audition de M. Daniel HOEFFEL,
vice-président de
l'Association des maires de France (AMF)
(9 novembre
1999)
Présidence de M. Michel MERCIER, Rapporteur
La
mission d'information a tout d'abord procédé à
l'audition de M. Daniel Hoeffel, vice-président de l'Association des
maires de France (AMF), sur les conditions d'exercice des mandats locaux.
M. Daniel Hoeffel
, a rappelé que la question de leur statut
était une des préoccupations centrales des élus locaux. Il
a indiqué que la législation française relative aux
conditions d'exercice des mandat locaux se distinguait nettement de celle des
autres pays européens. Il a notamment souligné les
différences relatives à la durée des mandats et au mode de
désignation des maires. Rappelant qu'en Allemagne le maire dirigeait
à la fois la municipalité et les services administratifs de sa
ville,
M. Daniel Hoeffel
a estimé qu'une telle
" professionnalisation " des mandats locaux ne pouvait être
envisagée en France. En l'absence de mouvements importants de
regroupement et de fusion, les collectivités territoriales
françaises n'atteignent pas en effet une taille justifiant cette
évolution des fonctions électives.
M. Daniel Hoeffel
a ensuite indiqué que l'AMF présenterait
lors de son 82e congrès un livre blanc, organisé autour de sept
axes, proposant des réponses précises et concrètes aux
difficultés que soulève l'exercice de mandats locaux. Il a
estimé que la réflexion engagée par l'AMF semblait
indispensable dans la mesure où les dispositions relatives aux mandats
locaux, prévues par la loi n° 92-108 du 3 février 1992
n'étaient plus adéquates face à l'extension constante des
tâches et des responsabilités des maires.
M. Daniel Hoeffel
a présenté le premier axe de
réflexion de l'AMF, portant sur la compatibilité du mandat avec
l'exercice d'une activité professionnelle. Il a constaté que trop
souvent les droits reconnus aux élus ne trouvaient pas à
s'appliquer. Il a ajouté que les élus éprouvaient des
difficultés à faire valoir les droits sociaux que leur
reconnaît pourtant la loi du 3 février 1992 et que leurs
employeurs les incitaient souvent à accepter contractuellement une
réduction de leur temps de travail, les incitant ainsi à puiser
sur leur temps libre pour exercer leur mandat.
En conséquence,
M. Daniel Hoeffel
a estimé qu'il
conviendrait de clarifier les modalités de calcul des cotisations
sociales sur les périodes d'absence, de maintenir le montant actuel des
crédits d'heures, nonobstant la réduction de la durée
légale du temps de travail, et de clarifier les conditions d'une
adaptation au profit des élus des droits dont bénéficient
actuellement les délégués syndicaux.
M. Daniel Hoeffel
a ensuite abordé le deuxième axe de
réflexion de l'AMF : la question de l'indemnité de fonction
des élus. Il a indiqué que l'AMF proposait de mettre en place les
modalités d'une juste compensation des charges liées à
l'exercice de fonctions électives. Il a recommandé de
prévoir d'accorder automatiquement aux élus le montant maximum de
l'indemnité de fonction prévue par les textes sans intervention
du conseil municipal et de définir légalement la nature de
l'indemnité de fonction qui n'est ni un revenu, ni un traitement, ni un
salaire. Il a ajouté qu'il semblait nécessaire d'établir
que la fraction de l'indemnité de fonction dite
" représentative de frais " ne puisse être saisie dans
le cadre d'une condamnation et ne soit soumise ni au paiement de la
contribution sociale généralisée (CSG), ni au
remboursement de la dette sociale (RDS). Enfin, il a plaidé pour une
revalorisation du montant des indemnités de fonction, mais s'est
déclaré conscient des difficultés qui pourraient se poser
dans cette perspective aux petites communes.
Abordant la troisième orientation du livre blanc de l'AMF, relative
à la protection sociale des élus,
M. Daniel Hoeffel
a
rappelé que dans les 35.000 communes de moins de 10.000 habitants, les
maires qui cessaient d'exercer leur activité professionnelle pour se
consacrer à l'exercice de leur mandat ne bénéficiaient pas
de protection sociale dans le cadre de leur fonction élective. Il a
préconisé de mettre en place un régime de protection
sociale obligatoire au profit de tous les élus locaux qui choisissent de
se consacrer à leur mandat, quelle que soit la taille de leur commune et
d'étendre la possibilité de suspension du contrat de travail et
du droit à la réinsertion à tous les élus qui le
souhaitent.
M.
Daniel Hoeffel
a ensuite présenté les
orientations définies par l'AMF en matière de formation des
élus, quatrième axe de réflexion de l'association. Il a
indiqué qu'il convenait d'adapter le contenu de la formation
dispensée par les organismes agréés aux besoins des
élus locaux en l'articulant autour de trois grands thèmes :
le management politique, la gestion locale et l'exercice des fonctions
régaliennes. Il a également insisté sur la
nécessité de mettre en place un programme de formation
spécifique à destination des nouveaux élus. Enfin, il a
estimé qu'il convenait de prévoir l'instauration d'un
" budget formation " minimum obligatoire.
En ce qui concerne la dotation particulière " statut de
l'élu ", cinquième orientation définie par le livre
blanc de l'AMF,
M. Daniel Hoeffel
a rappelé que les communes
éligibles à cette dotation étaient les communes de moins
de 1.000 habitants dont le potentiel fiscal est inférieur à celui
de la moyenne de cette strate en métropole, et toutes les communes de
moins de 5.000 habitants outre-mer. Il a proposé d'étendre le
bénéfice de ce dispositif à toutes les communes de
métropole de moins de 3.500 habitants en maintenant toutefois le
critère d'un potentiel fiscal inférieur à la moyenne.
M. Daniel Hoeffel
a ensuite présenté le sixième axe
de réflexion de l'AMF, relatif aux questions de retraite et de
fiscalisation des cotisations. Il a indiqué que les élus
regrettaient la faiblesse du montant des pensions de retraite tenant à
la fois à l'assiette et aux taux de cotisations. Il a plaidé pour
une revalorisation de 4,5 % à 8 % du taux de cotisation
à l'IRCANTEC, calculée sur une l'indemnité de fonction
fixée au taux plafond prévu par les textes. Il s'est
également prononcé en faveur de l'instauration de la
déductibilité dans le cadre de l'imposition sur le revenu du
montant des cotisations de retraite complémentaire acquittées par
les élus en contrepartie du renoncement à la
déductibilité partielle de la rente.
Abordant le septième axe de réflexion de l'AMF portant sur la
protection juridictionnelle des élus locaux,
M. Daniel Hoeffel
a
regretté que les frais de procédure liés à la
défense de l'élu ne puissent être pris en charge par la
commune. Il a estimé que dans le contexte actuel de juridiciarisation de
l'exercice de la fonction locale, il convenait de permettre aux élus
locaux de s'assurer pour leur responsabilité personnelle et aux communes
de prendre en charge cette assurance, à l'instar des dirigeants
d'entreprises qui peuvent être assurés par leur entreprise pour
leur protection juridique. Il a également souhaité que les juges
respectent strictement les textes en matière d'outrage, de diffamation
ou d'injure à l'encontre du premier magistrat de la commune.
M. Daniel Hoeffel
a ensuite donné quelques indications sur la
structure sociologique de la représentation municipale en France. Il a
indiqué que le nombre de maires agriculteurs avait largement
diminué de 1989 à 1995, passant de 28 % à 20% et que dans
le même temps, le nombre de maires retraités avait augmenté
de 22 % à 30 %.
M. Daniel Hoeffel
a précisé que les
cadres de la fonction publique représentaient 10,7 % des maires, soit
une proportion stable depuis 1989, les salariés du secteur privé,
16 %, les enseignants, 8,7 %, les chefs d'entreprise, 8 % et les professions
libérales, 5 %. Il a ajouté que l'augmentation du nombre de
maires retraités entraînait une certaine stabilité de la
répartition par âge des maires, soit 30,5 % des maires ayant 60
ans et plus, 30,8 % ayant entre 50 et 60 ans, 31 % ayant entre 40 et 50 ans et
7,4 % ayant moins de 40 ans. Enfin, il a relevé que la
féminisation de la fonction de maire restait très faible (7,5 %
des maires sont des femmes) et que 37,5 % des maires élus en 1995
exerçaient ce mandat pour la première fois.
Commentant ce dernier chiffre,
M. Daniel Hoeffel
a souligné qu'il
était difficile de savoir pourquoi certains maires ne s'étaient
pas représentés aux élections de 1995 ou avaient
démissionné depuis. Prenant l'exemple de son département
dans lequel 1,5 % des maires ont démissionné depuis 1995, il a
noté que ces départs pouvaient avoir pour cause des
problèmes de santé, une mise en minorité au conseil
municipal ou la confrontation avec une fonction trop lourde et comportant trop
de responsabilités. Il a conclu qu'il ne fallait pas chercher à
expliquer une démission par une seule raison et a rappelé que des
maires novices pouvaient se familiariser rapidement avec leurs nouvelles
fonctions.
M. Jean-François
Picheral
a remarqué que les
propositions de l'AMF trouveraient un écho favorable auprès des
jeunes qui ne pouvaient prétendre aux fonctions électives faute
de revenus suffisants ou de stabilité dans un emploi. Commentant les
caractéristiques sociologiques des élus locaux, il a
estimé que dans les prochaines années certains conseils
municipaux pourraient être exclusivement composés de
retraités ou de préretraités. Il a également
indiqué que son conseil municipal respectait un stricte parité
entre hommes et femmes.
M. Daniel Hoeffel,
notant que les femmes et les retraités
étaient souvent plus disponibles et plus impliqués dans les
affaires du conseil municipal, s'est demandé si leur
représentation majoritaire au sein d'un conseil ne risquait pas de
créer quelques difficultés à l'égard des autres
conseillers municipaux qui continuent à exercer leur activité
professionnelle.
M. Jean-François
Picheral
s'est déclaré
très favorable aux propositions de l'AMF relatives aux indemnités
de fonction des élus locaux.
M. Michel Mercier, président,
s'est demandé s'il
était possible de prévoir une indemnité de fonction
importante dans la mesure où la France compte autant d'élus
locaux.
M. Daniel Hoeffel
a admis qu'il s'agissait d'un problème
essentiel. Il a estimé que l'éparpillement communal ne favorisait
pas l'émergence d'un statut de l'élu local satisfaisant.
M. Jean-François Picheral
a déclaré qu'il
était important de revaloriser les indemnités de fonction des
élus locaux pour leur permettre de continuer à travailler au
moins à mi-temps.
M. Michel Mercier, président,
a rappelé que la question du
montant de l'indemnité ne suffisait pas à résoudre toutes
les difficultés auxquelles sont confrontés les élus qui
souhaitent poursuivre leur activité professionnelle.
M. Daniel Hoeffel
a fait valoir que l'insuffisance de l'indemnité
de fonctions pouvait inciter certains élus à participer à
différentes structures syndicales à vocation unique ou à
vocation multiple pour cumuler les indemnités. Il a regretté que
la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à
la simplification de la coopération intercommunale n'ait pas
abordé cette question. Il a considéré que seul le
développement de l'intercommunalité permettrait de parvenir
à des améliorations réelles du statut de l'élu
local.
M. Michel Mercier, président,
a estimé que la prise en
charge par la commune de la prime d'assurance personnelle de l'élu local
ne représentait pas une dépense importante et ne grèverait
pas les budgets communaux, mais constituait une proposition intéressante.
M. Daniel Hoeffel
a expliqué que cette prise en charge aurait un
impact plus moral et psychologique que financier.
Audition de M. Bruno ODIN,
directeur de
l'Association des
maires de Charente-Maritime et président de l'association des directeurs
d'associations des maires,
et de M. Michel OCYTKO,
directeur de
l'Association des maires d'Indre-et-Loire
et responsable de la formation des
élus
(9 novembre 1999)
La
mission a ensuite procédé à l'audition de
M. Bruno
Odin
,
directeur de l'Association des maires de Charente-Maritime
et
président de l'association des directeurs d'Associations des
maires,
et de
M.
Michel Ocytko, directeur de l'Association des
maires d'Indre-et-Loire et responsable de la formation des élus
.
M. Bruno Odin
a tout d'abord estimé que la loi du
3 février 1992, relative aux conditions d'exercice des mandats
locaux, n'avait, malgré ses ambitions, pas réellement accru la
formation des élus. Jugeant son application décevante, il a
relevé que le nombre des départements mettant en oeuvre une
formation des élus n'avait pas augmenté depuis son adoption. Il a
considéré que la loi n'avait pas non plus entraîné
d'augmentation de la demande de formation de la part des élus,
malgré des besoins latents, révélés par
différentes enquêtes.
M. Bruno Odin
a jugé paradoxale la coexistence, concernant les
premiers magistrats, entre un faible nombre d'actions de formations et une
conscience accrue de leur part de la complexité et des risques
liés à l'exercice de leur mission.
Analysant les causes de cette situation,
M. Bruno Odin
a mis en
lumière les difficultés inhérentes à la formation
des élus : hétérogénéité du
public, absence de disponibilité, volonté de ne pas se
déplacer et âge moyen élevé nourrissant une certaine
réticence vis-à-vis de la formation. Il a observé que
l'offre de formation était, quant à elle, peu structurée
et insuffisante. Il a d'ailleurs relevé qu'il n'existait pas de document
recensant l'intégralité des formations offertes.
Déplorant l'absence d'un financement adapté, qui empêche,
à sons sens, la mise en oeuvre du droit à la formation reconnu
par la loi aux élus,
M. Bruno Odin
a estimé que si la
formation était une dépense obligatoire pour les
collectivités territoriales, l'inscription d'une somme très
modique au budget permettait toutefois de satisfaire à cette obligation
légale, tout en contournant, en fait, le droit à la formation
affirmé par la loi. Il a estimé que la nécessité
d'une délibération de la collectivité constituait un frein
à la mise en oeuvre de ce droit, les sommes recueillies étant de
toutes façons très modestes dans les départements
où existe une formation des élus, de l'ordre de 50.000 à
200.000 francs.
M. Bruno Odin
a estimé que l'obligation d'inscrire au budget des
collectivités, mais aussi de mandater, une somme minimale, qui serait
versée à des organismes collecteurs mutualisant les fonds
recueillis, permettrait de structurer l'offre de formation. Il a rappelé
que la tarification actuelle, pourtant symbolique, -de l'ordre de
300 francs par jour- constituait en effet un frein au développement
de la formation, nombre d'élus finançant sur leurs deniers
personnels les frais occasionnés. Il a considéré que le
niveau régional serait sans doute le plus pertinent, tant pour la
mutualisation des fonds qui seraient ainsi recueillis que pour la
création de supports pédagogiques et la mobilisation
d'intervenants de qualité.
M. Bruno Odin
a estimé que les organismes collecteurs pourraient
être des syndicats mixtes, rassemblant les communes, les
établissements publics de coopération intercommunale à
fiscalité propre concernés et les associations de maires, ce qui
permettrait aux élus de conserver un certain contrôle politique de
ces structures.
Prenant l'exemple du département de la Charente-Maritime, il a fait
valoir qu'une somme même modique, de l'ordre de 2.000 francs par
commune, permettrait de disposer d'un budget d'environ 1 million de francs pour
le département, et de 4 à 6 millions pour la région,
chiffres présentant le double avantage d'être soutenables en
termes de charges occasionnées aux communes et pertinents en termes
d'organisation de la formation.
M. Bruno Odin
a estimé que l'assistance et le conseil juridique
fournis au quotidien par les associations de maires étaient
complémentaires de la formation des élus, les associations
d'élus devant, à son sens, être associées
étroitement à la mise en place des actions de formation. Il a
jugé qu'un effort de formation des responsables de structures
intercommunales était particulièrement nécessaire, compte
tenu de l'indigence de l'offre en la matière.
M.
Michel Ocytko
a ensuite détaillé
l'expérience, en matière de formation et d'information des
élus, de l'association des maires d'Indre-et-Loire. Il a indiqué
que cette dernière organisait la formation sous forme de tables rondes
faisant intervenir des personnalités extérieures. Une quarantaine
de réunions annuelles, d'une durée d'environ trois heures, le
plus souvent tenues hors du chef lieu du département permettaient,
a-t-il poursuivi, d'aborder une vingtaine de thèmes -état civil,
marchés publics, finances publiques, notamment- et de toucher environ
40 % des 4.265 élus municipaux d'Indre-et-Loire chaque
année.
Il a relevé que cette activité était étroitement
associée au conseil juridique aux élus, qui était la
mission quotidienne de l'association départementale.
Evoquant les plafonds théoriques de crédits de formation
posés par la loi de 1992,
M.
Michel Ocytko
a
observé que leur application aurait permis de recueillir 9 millions
de francs dans son département, somme considérable au regard du
budget annuel de l'association des maires, (2 millions de francs) et des
crédits réellement consacrés à la formation (autour
de 300.000 francs).
M. Daniel Hoeffel
a considéré qu'en fonction des moyens et
de l'état d'esprit de chaque département, la formation y
était organisée différemment, ce pragmatisme étant,
à son sens, souhaitable.
M. Michel Mercier, président,
a demandé si l'attitude des
maires à l'égard de la formation différait de celle des
autres élus municipaux.
M.
Michel Ocytko
a répondu que les adjoints et les
conseillers municipaux étaient, en effet, plus nombreux à se
former que les maires, en raison de l'emploi du temps surchargé de ces
derniers.
Revenant sur les propositions formulées en matière de recueil
systématique de fonds destinés à la formation,
M.
Michel Mercier, président,
s'est interrogé sur le
degré de liberté qui devait être laissé aux
collectivités, en termes tant de montants que de choix d'organismes
collecteurs. Redoutant un encadrement trop rigide en la matière, il a
cité l'exemple, plus souple, d'autres mécanismes
législatifs, tels que le 1 % logement ou le 1 % formation.
M. Bruno Odin
a relevé que la liberté totale
laissée aux collectivités locales par la loi du
3 février 1992 n'avait pas permis d'obtenir de résultats
significatifs. Il a jugé que la mise en place d'une cotisation minimale
obligatoire n'empêcherait pas les collectivités qui le souhaitent
d'aller au-delà de cette obligation, dans les proportions et la forme
qu'elles souhaiteraient.
M. Michel Mercier, président,
a considéré
qu'au-delà du financement, la disponibilité et l'état
d'esprit des élus constituaient un frein important à la
formation. Il a jugé, par ailleurs, que la démocratie
n'était pas le gouvernement des experts, les élus étant,
avant tout, des non-spécialistes.
Audition de MM. Jean-Paul AMOUDRY,
président,
et
Jacques OUDIN, rapporteur,
du groupe de travail commun de la commission des
lois et de la commission des finances sur les chambres régionales des
comptes
(7 décembre 1999)
Présidence de M. Paul GIROD, Vice-Président
La
mission d'information a procédé à
l'audition de MM.
Jean-Paul Amoudry, sénateur de Haute-Savoie, et Jacques Oudin,
sénateur de la Vendée, respectivement président et
rapporteur du groupe de travail sur les chambres régionales des comptes
commun aux commissions des lois et des finances du Sénat
M. Jean-Paul Amoudry
a indiqué que le contrôle des finances
locales était une des préoccupations majeures des élus
locaux et que depuis 1997 le Sénat avait engagé une
réflexion sur ce sujet. Il a rappelé que la loi n° 82-231 du
2 mars 1982, créant les chambres régionales des comptes, leur
avait confié trois missions : le jugement des comptes, le
contrôle des actes budgétaires et l'examen de la gestion des
collectivités territoriales.
Il a souligné que l'accroissement progressif des pouvoirs des chambres
régionales des comptes, par les lois n° 90-1247 du 29
décembre 1990 et n° 95-127 du 8 février 1995, n'avait
pas été accompagné d'un renforcement parallèle des
garanties de procédure. Il a indiqué que la création du
groupe de travail commun à la commission des lois et à la
commission des finances du Sénat s'était donc inscrite dans un
contexte d'insécurité juridique, engendrée notamment par
la médiatisation excessive des observations provisoires sur la gestion
et par l'absence d'articulation entre le contrôle de
légalité et le contrôle financier, les modalités de
l'examen de la gestion des collectivités locales faisant l'objet de
contestations.
M. Jean-Paul Amoudry
a ensuite présenté le bilan
dressé par le groupe de travail qui a rendu son rapport en juin 1998
(n° 520, 1997-1998).
Rappelant que le rapport n'entendait pas remettre en cause le principe du
contrôle financier, corollaire de la décentralisation, mais les
procédures, il a estimé que ni le jugement des comptes, ni le
contrôle des actes budgétaires ne soulevaient de
difficultés majeures. Il a souligné en revanche les imperfections
du contrôle de la gestion et en particulier le risque de dérive
vers un contrôle de l'opportunité des choix des
collectivités locales, l'absence de critères
d'appréciation communs à toutes les chambres régionales
des comptes, les limites des procédures contradictoires, ainsi que
l'absence de possibilité de recours contre les lettres d'observation
définitives.
Il a noté que la situation des collectivités locales face au
contrôle financier était fragilisée par la divulgation du
contenu des lettres d'observations provisoires et par l'absence de
hiérarchisation des observations des chambres régionales des
comptes. Il a regretté que ce contrôle ne soit pas l'instrument de
l'amélioration de la gestion des collectivités locales qu'il
devrait être.
M. Jean-Paul Amoudry
a conclu son propos introductif en rappelant les
deux recommandations essentielles du groupe de travail : rénover
les conditions d'exercice de l'examen de la gestion des collectivités
locales et renforcer la sécurité juridique des actes des
collectivités locales.
M. Jacques Oudin
a rappelé que le groupe de travail avait
été créé à la suite d'une première
proposition de loi sénatoriale qui avait suscité des
réactions fortes de la part des juridictions financières. Il a
indiqué que la proposition de loi nouvelle n° 84 (1999-2000),
tendant à réformer les conditions d'exercice des
compétences locales et les procédures applicables devant les
chambres régionales des comptes, qu'il venait de présenter avec
MM. Jean-Paul Amoudry, Philippe Marini, Patrice Gélard, Joël
Bourdin, Paul Girod et Yann Gaillard, élaborée en s'appuyant sur
les réflexions approfondies menées par le groupe de travail,
avait pour objectif d'apporter plus de clarté et de rigueur dans le
domaine du contrôle financier des collectivités locales.
Analysant le contexte financier dans lequel s'inscrivait cette proposition de
loi,
M. Jacques
Oudin
a rappelé que la part des
impôts locaux dans les prélèvements obligatoires avait
progressé de façon substantielle pendant les vingt
dernières années avant de se stabiliser. Il a également
souligné que contrairement aux autres administrations publiques, les
collectivités locales présentaient des budgets
équilibrés. Il a estimé que, dans ce contexte globalement
satisfaisant, les erreurs de gestion mises en exergue par les chambres
régionales des comptes avaient fait l'objet d'une médiatisation
excessive.
M. Jacques Oudin
a indiqué que les dérives
constatées résultaient essentiellement de deux
phénomènes, le premier tenant à la vocation même des
chambres régionales des comptes dont le rôle était de
critiquer la gestion financière locale, et le second à la
jeunesse de ces juridictions nouvelles qui avaient connu des difficultés
de recrutement. Il a rappelé que trois recrutements exceptionnels
avaient été nécessaires pour pourvoir les trois quarts des
postes, notamment par des personnels issus des administrations fiscales,
habitués à des méthodes plus brutales que celles
appliquées par la Cour des Comptes.
M. Jacques Oudin
a relevé cinq facteurs explicatifs du malaise
des collectivités locales face au contrôle financier.
Il a indiqué que ce malaise provenait d'abord des méthodes de
travail internes des chambres régionales des comptes, l'instruction
relevant d'un seul magistrat et les grands principes du droit, notamment les
droits de la défense, étant moins bien garantis que devant la
Cour des Comptes.
M. Jacques Oudin
a ensuite souligné le manque de clarté de
la législation, à l'origine des dérives de l'action des
élus locaux, mais aussi des dérives du contrôle financier,
dont il a donné plusieurs exemples. Il a, en conséquence,
plaidé pour une simplification des textes.
M. Jacques Oudin
a ensuite présenté le troisième
facteur d'inquiétude des collectivités locales : l'absence
de coordination des pratiques des chambres régionales des comptes,
tenant à la diversité de leur structure et à
l'hétérogénéité de leurs personnels. Il a
prôné un renforcement du rôle de la Cour des Comptes comme
instance de régulation des chambres régionales des comptes.
M. Jacques Oudin
a ensuite considéré qu'un
quatrième facteur explicatif tenait à l'absence de
procédure de recours contre les lettres d'observations
définitives des chambres régionales des comptes. Il a
rappelé que ces lettres, faisant l'objet d'une forte
médiatisation, pouvaient faire grief et devaient donc pouvoir donner
lieu à un recours.
Enfin, il a indiqué que dans un contexte de prolifération des
textes, parfois peu clairs, il lui semblait indispensable de prévoir la
création d'une structure capable de conseiller les collectivités
locales. Il a estimé que ce rôle ne devait pas échoir aux
chambres régionales des comptes.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a souhaité savoir si la
proposition de loi, en renforçant les garanties de procédures
devant les chambres régionales des comptes, avait pour objet une
" juridictionnalisation " de leurs relations avec les
collectivités locales.
M. Jean-Paul Amoudry
a précisé que la volonté du
groupe de travail n'était pas de " juridiciariser " ces
relations mais de les normaliser. Il a souligné que l'objectif
primordial de la proposition de loi était de renforcer la
sécurité juridique des collectivités locales.
Il a ainsi insisté sur le caractère essentiel de la
création d'une instance de conseil pour les élus locaux, faisant
l'objet des premiers articles de la proposition de loi. Il a indiqué que
ce conseil pourrait prendre la forme d'un groupement d'intérêt
public, composé de représentants du Parlement, des
collectivités locales, du comité des finances locales et de
personnalités qualifiées. Cet organisme, qui pourrait avoir une
antenne dans chaque département, serait un référent
indépendant, garantissant l'autonomie des collectivités locales.
Il a rappelé qu'il convenait en second lieu de corriger les
déséquilibres existant entre les prérogatives des
contrôleurs et celles des collectivités locales. Il s'est
prononcé pour le développement des droits de la défense,
rappelant que la proposition de loi prévoyait de renforcer le rôle
du ministère public pour veiller au respect des procédures. Il a
souligné que la possibilité, prévue par la proposition de
loi, de compléter la lettre d'observation définitive par une
réponse de l'ordonnateur, qui pourrait être publiée,
constituait un moyen important et non juridictionnel de
rééquilibrer les relations entre les collectivités locales
et les chambres régionales des comptes.
M. Jean-Paul Amoudry
a également indiqué que la
proposition de loi prévoyait de donner à la Cour des Comptes un
rôle de régulation des décisions des chambres
régionales des comptes et qu'elle proposait d'adapter enfin les
sanctions de la gestion de fait à leur véritable objet qui
était de rétablir la règle de séparation entre les
ordonnateurs et les comptables.
M. Jacques Oudin
a observé que les juridictions
financières présentaient des particularités qui rendaient
impossible une réelle " juridictionnalisation " de leurs
relations avec les collectivités locales.
Rappelant que le contrôle exercé par les trésoriers payeurs
généraux sur les petites communes posait relativement peu de
problèmes, il a estimé que le contrôle des chambres
régionales des comptes, quasi continu puisqu'il s'exerce tous les quatre
ans, devrait donner lieu à un véritable dialogue entre les
chambres et les élus locaux afin de permettre une amélioration de
la gestion des collectivités locales.
Pour ouvrir aux collectivités locales la possibilité de faire
appel des appréciations portées par les chambres
régionales des comptes,
M. Jacques Oudin
a souligné la
nécessité d'assimiler la lettre d'observation définitive
à un acte faisant grief. Il a indiqué que la mise en place d'une
procédure d'appel ne devrait pas donner lieu à une nouvelle et
longue analyse de la gestion de la collectivité concerné.
Enfin, il a tenu à rappeler que la simplification des textes
était une condition indispensable à l'amélioration des
relations entre les chambres régionales des comptes et les élus
locaux.
M. Gérard Miquel
a également appelé de ses voeux la
simplification des textes. Il a estimé que l'action conduite au cours
des années passées dans sa petite commune avec des moyens
limités ne pourrait sans doute plus être mise en oeuvre
aujourd'hui en raison de la complexité croissante de la
législation. Il a ajouté que la qualification de la fonction
publique territoriale devrait être renforcée pour suivre cette
évolution.
Il a observé que les regroupements de perceptions privaient les petites
communes des conseils des percepteurs, ces derniers étant beaucoup moins
disponibles qu'auparavant. Il a espéré que le renforcement de
l'intercommunalité contribuerait à remédier à ces
difficultés, de même que le développement d'Internet.
M. Jacques Oudin
a fait valoir que la prolifération de textes
parfois incompatibles les uns avec les autres et la multiplication de
structures de coopération locales disposant d'une comptabilité
propre pouvaient renforcer les risques d'irrégularité de gestion.
Il a rappelé que la clarification de la législation constituait
la base même de la clarification du contrôle. Il a regretté
à cet égard que l'office parlementaire d'évaluation de la
législation et l'office parlementaire d'évaluation des politiques
publiques n'aient pas proposé une simplification des textes financiers
et fiscaux applicables aux collectivités locales. Il a également
déploré que la direction générale des
collectivités locales n'envisage pas un aménagement et une
simplification de ces législations.
M. Jean-Paul Amoudry
a rappelé que la responsabilité de la
complexité des textes incombait au législateur et au pouvoir
réglementaire. Il a mentionné la difficulté d'appliquer
l'instruction budgétaire M14, la loi dite " montagne " ou les
lois régissant les marchés publics, dont les imprécisions
laissaient une large marge d'appréciation au juge.
M. Jean-Paul Amoudry
a en revanche souligné la clarté de
la législation relative au tourisme, qui, en précisant les
relations entre les collectivités et les associations dans ce secteur, a
limité les risques de gestion de fait.
Il a rappelé que l'innovation essentielle de la proposition de loi
consistait à définir le contenu de l'examen de la gestion. Il a
indiqué qu'aux termes des dispositions prévues, le juge devrait
indiquer le texte qui avait été méconnu, cette
procédure devant réduire les risques de dérive vers un
jugement d'opportunité des choix des collectivités locales.
M. Paul Girod, président,
a jugé préférable
que les chambres régionales des comptes ne soient pas en charge du
rôle de conseil des collectivités locales.
Il a estimé que la lettre d'observations provisoires pouvait
également faire grief, sa médiatisation étant dommageable
aux collectivités locales. Il a indiqué qu'il avait
proposé qu'une plainte conjointe de la collectivité et de la
chambre régionale des comptes concernée soit
déposée lorsque les appréciations contenues dans cette
lettre étaient divulguées.
M. Jacques Oudin
a indiqué que la proposition de loi
prévoyait que la Cour des Comptes puisse être saisie en pareil
cas. Il a ajouté que la proposition de loi tendait à inciter les
chambres régionales des comptes à hiérarchiser leurs
observations.
M. Jean-Paul Amoudry,
tout en relevant que la valeur normative de cette
dernière disposition pouvait susciter des interrogations, a
observé que les chambres régionales des comptes avaient de plus
en plus fréquemment tendance à hiérarchiser leurs
observations afin de mettre les plus graves en exergue.
Audition de M. Claude DOMEIZEL,
sénateur
des
Alpes de Haute-Provence, président de la Caisse nationale de retraite
des agents des collectivités locales
(CNRACL)
(8 décembre 1999)
Présidence de M. Paul GIROD, Vice-Président
La
mission commune d'information a procédé
à l'audition de
M. Claude Domeizel, sénateur des Alpes de Haute-Provence,
président de la Caisse nationale de retraite des agents des
collectivités locales (CNRACL).
M. Claude Domeizel, président de la CNRACL,
a constaté que le
système de retraite par répartition était fondé sur
une double solidarité, celle entre les générations et
celle entre les régimes, puisqu'en 1945 avait été fait le
choix de laisser coexister à côté du régime
général les régimes spéciaux auxquels les
adhérents étaient attachés. Il a estimé que les
deux formes de solidarité étaient liées, précisant
que le principe de la solidarité entre les régimes n'était
pas remise en cause par le conseil d'administration de la Caisse, mais que ses
modalités pouvaient être aménagées.
Il a insisté sur la différence entre, d'une part, la compensation
généralisée à l'ensemble des régimes de
retraite créée en 1974, utilisant pour référence
les pensions les plus faibles versées, et d'autre part, la
surcompensation, mise en place en 1985, concernant des régimes
spéciaux comme les mines, EDF, la SNCF, ayant pour base la moyenne
pondérée des pensions. Il a indiqué que l'ensemble de la
compensation et de la surcompensation avait coûté 200 milliards de
francs à la CNRACL depuis 1974.
Compte tenu de la méthode de calcul de la surcompensation, il a
observé que la contribution de la CNRACL diminuerait jusqu'à
devenir pratiquement nulle, mais que la Caisse ne deviendrait peut-être
pas bénéficiaire de la solidarité entre les régimes.
Puis
M. Claude Domeizel
a rappelé que le rapport
démographique de la Caisse était de 2,5 actifs pour un
retraité dans les années 1970, pour passer à 4,5 pour un
dans les années 1980, grâce aux recrutements dans les
hôpitaux et dans la fonction publique territoriale à la suite des
lois de décentralisation, avant de redescendre à 3 actifs
pour un retraité lors du cinquantenaire de la Caisse en 1995. Ce rapport
était de 2,9 en 1997, de 2,7 en 1998 et de 2,6 en 1999.
Il a estimé que la dégradation du rapport démographique
allait persister, en raison de l'augmentation de 3,5 % par an du nombre de
retraités, due à l'allongement de l'espérance de vie et
à l'arrivée de classes d'âge nombreuses à
l'âge de la retraite, alors que le nombre d'actifs n'augmentait que de 1
% par an, à savoir 2 % dans la fonction publique territoriale et une
stagnation dans la fonction publique hospitalière.
M. Claude Domeizel
a noté que le rapport
démographique s'établirait à deux actifs pour un
retraité vers 2015 et à un pour un vers 2040, ces chiffres
étant comparables à ceux du régime général
de la sécurité sociale.
Interrogé par
M. Paul Girod, président,
il a
indiqué que la CNRACL avait été consultée dans le
cadre de l'élaboration du rapport sur les retraites confié
à M. Charpin. Il a noté que ce rapport proposait des pistes de
solutions.
Interrogé sur la solidarité envers les régimes
spéciaux de retraite à hauteur de 19 milliards de francs soit 30
% des emplois de la Caisse,
M. Claude Domeizel
a estimé que la
caisse subissait moins le poids de la compensation que celui des
9,5 milliards de francs versés au titre de la surcompensation.
S'agissant des perspectives financières de la CNRACL, il a
indiqué que les cotisations de la Caisse augmentaient de 3 % par an,
soit 57 milliards de francs en 1997 et 59 milliards en 1998. Il a
précisé que la diminution des ressources globales observée
de 1997 à 1998 était due à l'enregistrement de recettes
exceptionnelles en 1997, à la suite de mesures décidées en
1996, à hauteur de 4,5 milliards de francs provenant du fonds de
l'allocation temporaire d'invalidité. Il a fait part des
prévisions concernant les cotisations évaluées à
61 milliards de francs en 1999, 63 milliards en 2000 et
66,5 milliards en 2001.
M. Paul Girod, président,
ayant souhaité savoir dans
quelle mesure le déficit de 1,2 milliard de francs enregistré en
1998 tenait compte des 4,5 milliards de francs de recettes exceptionnelles de
1997,
M. Claude Domeizel
a indiqué que les réserves de la
Caisse résultant de ces recettes exceptionnelles allaient
s'épuiser progressivement, passant de 4,5 milliards de francs en
1997 à zéro en 2000.
Interrogé sur les mesures arrêtées en octobre 1999, il a
rappelé que l'objectif ayant été de financer la Caisse
à hauteur de 6 milliards de francs, il avait été
décidé d'augmenter la cotisation employeur et de diminuer
progressivement le taux d'appel, c'est-à-dire le taux de la
surcompensation, de 36 % actuellement à 34 % en 2000 et 30 % en 2001,
soit une recette attendue d'un milliard de francs supplémentaire. Il a
jugé qu'il s'agissait de mesures importantes mais, à titre
personnel, il a estimé que le taux de la surcompensation aurait dû
être abaissé à 22 %.
Il a rappelé que le Comité des finances locales avait quant
à lui formulé une triple proposition, ajoutant un effort
financier des agents à l'augmentation du taux de cotisation des
collectivités locales et à la diminution du taux de la
surcompensation.
M. Claude Domeizel
a indiqué que le conseil d'administration
de la CNRACL avait envisagé la possibilité d'augmenter l'effort
contributif des agents publics mais que tel n'avait pas été le
choix du Gouvernement.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a considéré que la
situation n'était rétablie que jusqu'à la fin 2001, et
qu'il faudrait trouver de nouvelles solutions à l'avenir. Il s'est
demandé si les taux de cotisation ne pourraient pas être
fixés par une négociation directe entre les collectivités
locales et les agents publics territoriaux, au lieu de laisser l'Etat
décider de l'avenir de la Caisse.
M. Claude Domeizel
a rappelé que la CNRACL, gérant les
retraites des fonctions publiques hospitalière et territoriale,
pratiquait un taux de cotisation employeur de 25,1 % contre 37 % pour la
fonction publique d'Etat, les collectivités locales se trouvant ainsi
relativement favorisées, alors qu'il pouvait paraître discutable
que des régimes offrant des avantages identiques pratiquent des taux de
cotisation employeur si différents.
Il a estimé qu'il était indispensable d'envisager le financement
des régimes d'assurance vieillesse sur un horizon de vingt-cinq
années, en commençant par estimer les évolutions
démographiques, puis en fixant le niveau de pension souhaité,
afin de négocier le taux de cotisation et de prévoir, annoncer et
faire accepter une progression continue des ressources correspondantes. Il a
ajouté que le fonds de réserve avait été
institué en France avec cinquante ans de retard, contrairement au
Québec qui avait su l'installer précocement.
M. Claude Domeizel
a observé que la surcompensation,
créée en 1985 et appliquée dès 1986, était
sans doute liée aux grandes lois de décentralisation, en
particulier la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires
relatives à la fonction publique territoriale. Il s'est demandé
si la surcompensation n'était pas en quelque sorte le prix à
payer pour la décentralisation.
M. Claude Domeizel
a noté que la solidarité n'avait jamais
joué véritablement, les régimes spéciaux ayant
été préservés parce qu'ils étaient plus
favorables que le régime général, alors qu'actuellement
ces régimes spéciaux étaient financés par la
compensation et la surcompensation. Il a estimé que s'il avait
existé une véritable solidarité entre les régimes,
il n'y aurait eu qu'un seul régime d'assurance vieillesse.
Audition de M. Philippe ADNOT,
sénateur de
l'Aube,
rapporteur du groupe de travail
du Comité des finances locales
(CFL)
(15 décembre 1999)
Présidence de M. Joël BOURDIN, Vice-Président,
puis de M.
Michel MERCIER, Rapporteur
La
mission a procédé à
l'audition
de
M. Philippe Adnot, sénateur de l'Aube, rapporteur du groupe de
travail du Comité des finances locales
(CFL), sur la
méthodologie de la prise en compte des normes
.
M. Philippe Adnot
a indiqué que le Comité des finances
locales, présidé par M. Jean-Pierre Fourcade, avait
souhaité que soit effectuée, dans le cadre d'un groupe de travail
spécifique, une synthèse sur les problèmes posés
aux collectivités locales par la mise en oeuvre des normes techniques.
Il a rappelé qu'une étude réalisée par la
Fédération des maires des villes moyennes (FMVM) avec l'appui du
groupe DEXIA, avait évalué à 130 milliards de francs
le surcoût, dû à l'application des normes en France, pour
les collectivités territoriales.
Il a évoqué, par ailleurs, le travail effectué par
l'Inspection générale de l'administration (IGA) qui avait
procédé à une analyse de ce dossier et
présenté un certain nombre de propositions.
Il a rappelé que l'origine des normes était diverse et qu'il
convenait de distinguer les normes à caractère
réglementaire des normes purement techniques.
Présentant les propositions du groupe de travail du comité des
finances locales,
M. Philippe Adnot
a d'abord conclu à la
nécessité de la formation et de l'information des
représentants des associations d'élus afin de leur permettre de
participer au processus d'élaboration des normes sans pour autant
engager directement leur responsabilité en ce domaine. Il a
précisé que le ministère des finances, le ministère
de la jeunesse et des sports, ainsi que l'Association française de
normalisation (AFNOR) étaient ouverts à une concertation avec les
collectivités locales sur la problématique des normes.
M. Philippe Adnot
a jugé indispensable que les normes ne soient
plus remises en cause pendant la durée d'amortissement d'un
investissement.
Il a mis en avant la nécessité de stabiliser les normes dans le
temps, estimant regrettable qu'une maison de retraite, considérée
comme étant aux normes au moment de l'appel d'offres, ne le soit plus au
moment de sa mise en service du fait de modifications de la
réglementation durant les travaux. De même, il a
déploré que les normes relatives aux machines-outils
installées dans les lycées professionnels puissent être
modifiées d'une année sur l'autre même en l'absence
d'accident constaté.
Rappelant que cette " stabilisation " des normes était
également demandée par l'IGA et par la FMVM, il a indiqué
que la direction générale des collectivités locales (DGCL)
était réticente, au motif que cette solution se heurterait
à des obstacles techniques insurmontables.
M. Philippe Adnot
a considéré que la mise aux normes
immédiate d'un investissement non encore amorti pourrait être
prévue de manière dérogatoire et exceptionnelle dès
lors que se poserait un problème de santé publique.
Par ailleurs,
M. Philippe Adnot
a souhaité que des études
d'impact soient systématiquement réalisées en cas de
changement de normes, le coût financier de ces études devant
incomber aux organismes ou autorités à l'origine du changement.
Il a rappelé que les professionnels pouvaient avoir un
intérêt à préconiser des changements de normes pour
se protéger des effets de la concurrence internationale, pour
éliminer des concurrents ou pour obtenir des marchés à
forte valeur ajoutée.
Il a estimé que les agents de l'Etat, ainsi que les magistrats des
ordres judiciaire et administratif, devraient être mieux informés
des normes techniques afin de faciliter une prise de conscience des
difficultés de leur mise en application par les collectivités
locales.
M. Philippe Adnot
a demandé que la direction
générale des collectivités locales du ministère de
l'intérieur soit mieux associée aux différentes
étapes de la mise en place des normes, notamment au niveau des
institutions européennes qui jouent un rôle essentiel en ce
domaine en amont de la prise de décision finale.
Il a préconisé une amélioration de la concertation
interministérielle sur la question de l'élaboration des normes en
précisant que cette concertation devrait concerner la commission
centrale des marchés (CCM) rattachée au ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Philippe Adnot
a souhaité que les associations d'élus
puissent notamment être associées à l'élaboration
des normes au sein de la commission nationale du sport de haut niveau, afin de
permettre un meilleur arbitrage entre les demandes des différentes
fédérations. Il a estimé à cet égard que les
normes de sécurité applicables aux stades et terrains de sports
pouvaient être proportionnées à la taille de la commune
concernée.
Il s'est prononcé en faveur d'un bilan annuel des nouvelles normes
techniques adoptées dans l'année.
Souscrivant à ces analyses,
M. Robert Bret
a souligné que
la mise en oeuvre des normes était plus complexe encore dans les DOM
qu'en métropole, le respect des normes alourdissant sensiblement le
coût des équipements.
M. Philippe Adnot
a estimé anormal que, du fait des normes qui
leur sont imposées, les centres de vacances financés sur des
fonds publics aient un prix de journée plus élevé que
celui appliqué dans le secteur privé.
M. Joël Bourdin, président,
a constaté que la
stabilisation des normes sur la durée d'un cycle d'investissement ne
résoudrait pas toutes les difficultés, car la
responsabilité pénale d'un maire pouvait être
engagée à l'occasion d'un accident survenu sur un
équipement parfaitement aux normes dès lors que le juge estimait
que toutes les précautions nécessaires n'avaient pas
été prises.
Il a évoqué une récente circulaire prescrivant de
nouvelles normes pour les ralentisseurs de voitures et accordant un
délai de cinq ans pour permettre aux collectivités locales de
mettre aux normes les dispositifs existants, tout en précisant toutefois
que la responsabilité du maire pouvait être engagée au
cours de ce délai en cas d'accident dû à un
équipement non remis aux normes.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a estimé que la notion de norme
était ambivalente parce qu'elle correspondait au constat d'un besoin
mais également à un objectif à atteindre en termes de
sécurité.
M. Philippe Adnot
a indiqué que les normes étaient
modifiées soit à la demande des entreprises, soit en
réponse à un accident ou des difficultés
constatées, soit pour tenir compte des innovations technologiques les
plus récentes.
Il a observé notamment que, dans les domaines sanitaire ou de la
protection de l'environnement, la norme évoluait souvent en fonction des
capacités d'analyse des laboratoires scientifiques, et dépendait
alors de la plus ou moins grande précision des systèmes de
mesure, plutôt que de l'évaluation de la réalité des
risques.
M. Michel Mercier, rapporteur,
s'est demandé si le respect des
normes suffisait à préserver les élus de la mise en cause
de leur responsabilité ou si des précautions
supplémentaires pouvaient leur être demandées en plus du
respect de la norme.
M. Philippe Adnot
a confirmé que le respect des normes par un
élu n'excluait pas sa responsabilité en cas d'accident. Il a
souligné cependant qu'une société ne pouvait se
protéger de tous les risques, sauf à cesser d'agir.
M. Robert Bret
a estimé que les problèmes soulevés
par les normes étaient liés à la pénalisation
croissante de l'action publique locale.
M. Joël Bourdin, président,
a souligné l'importance
d'une meilleure distinction entre les normes à caractère
réglementaire et les normes techniques non obligatoires. Il s'est
interrogé sur l'importance du nombre de prescriptions à respecter
en matière de qualité de l'eau.
M. Philippe Adnot
a rappelé que l'étude de la FMVM avait
montré que l'essentiel du coût des normes résultait de leur
mise en oeuvre dans le domaine de l'environnement, incluant la distribution
d'eau. Il a jugé primordial de trouver le moyen de freiner le processus
d'édiction de nouvelles normes en faisant prendre conscience à
ceux qui les élaborent des surcoûts ainsi
générés. Il a ajouté que le renforcement
quantitatif et qualitatif de l'administration territoriale ne constituait pas
une solution adéquate pour résoudre durablement les
difficultés engendrées par la multiplication et la mise à
jour des normes.
Il a précisé que la durée d'amortissement à
prévoir en matière de " stabilisation " des normes
pourrait être différente de la durée d'amortissement
comptable.
Audition de MM. Maurice
TRUNKENBOLTZ,
président du
conseil d'administration de l'IRCANTEC,
Jean-Philippe
TRESARRIEU,
directeur du service administration et pilotage des fonds
gérés,
Jacques MEUNIER, responsable juridique et fiscal,
et
Arnaud-José LOKO, responsable de
l'actuariat
(15 décembre 1999)
La mission d'information a ensuite procédé à
l'audition
de MM. Maurice Trunkenboltz, président du conseil d'administration de
l'IRCANTEC, Jean-Philippe Tresarrieu, directeur du service administration et
pilotage des fonds gérés, Jacques Meunier, responsable juridique
et fiscal, et Arnaud-José Loko, responsable de l'actuariat.
M. Maurice Trunkenboltz
a tout d'abord rappelé l'historique du
régime IRCANTEC. Il a rappelé que la création à la
Libération du régime général de
sécurité sociale avait laissé de côté les
compléments de retraite des agents non titulaires, l'institution de
prévoyance des agents contractuels et temporaires de l'Etat (IPACTE),
réservée aux cadres, n'ayant été
créée qu'en 1949. Il a estimé que le développement
des régimes de retraite complémentaire pour les non-cadres dans
le secteur privé avait limité le développement de la
sécurité sociale. Puis il a fait part de la création en
1961 de l'institution générale de retraite des agents non
titulaires de l'Etat (IGRANTE), pour les non-cadres. Il a indiqué que
des conditions trop nombreuses, être affilié au régime
général de la sécurité sociale et justifier de dix
années d'ancienneté, avaient restreint l'entrée dans le
régime. Il a noté en outre que la distinction entre cadres et non
cadres alors en vigueur était moins pertinente que la distinction
actuelle en fonction de la rémunération, comparée au
plafond de la sécurité sociale.
M. Maurice Trunkenboltz
a noté que la création
en 1971 de l'institution de retraite complémentaire des agents non
titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC) avait
permis de regrouper cadres et non cadres, en dissociant deux tranches et deux
taux de cotisations. Il a précisé que le taux de 4,5 % de
cotisation s'appliquait à la tranche A, correspondant à la partie
inférieure au plafond de la sécurité sociale, tandis que
la tranche B correspondant à la partie de la rémunération
supérieure audit plafond était soumise au taux de 14 %.
M. Maurice Trunkenboltz
a rappelé qu'étaient
affiliés à l'IRCANTEC tous les salariés non titulaires des
trois fonctions publiques et de divers organismes financés sur fonds
publics, soit deux millions d'actifs cotisants et 1,4 million d'allocataires.
Il a remarqué que l'IRCANTEC concernait aussi certains agents titulaires
de l'Etat, dans la mesure où ils travaillaient moins de 31 heures par
semaine.
Il s'est ensuite interrogé sur la nature de l'affiliation des
élus locaux à l'IRCANTEC, dans la mesure où ceux-ci
n'étaient pas assimilables à des salariés, et où le
montant de leur indemnité de fonction n'était pas comparable
à celui d'un salaire.
M. Maurice Trunkenboltz
a rappelé que le décret
constitutif de l'IRCANTEC confiait la direction du régime à un
conseil d'administration, sollicité pour avis sur les problèmes
généraux intéressant la retraite, et sa gestion à
la Caisse des dépôts et consignations. Il a regretté que le
conseil d'administration de l'IRCANTEC ne soit que formellement paritaire, les
représentants des employeurs étant des fonctionnaires des
ministères, tandis qu'aucun directeur des ressources humaines des
collectivités territoriales ou des hôpitaux n'en était
membre.
Interrogé sur le nombre d'élus locaux affiliés à
l'IRCANTEC,
M. Jean-Philippe Tresarrieu, directeur du service administration
et pilotage des fonds gérés,
a indiqué que 148.500
maires, adjoints et conseillers municipaux, 3.900 conseillers
généraux et 13.100 présidents et vice-présidents
d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI)
étaient actuellement affiliés au régime, mais que certains
élus cotisaient au titre de plusieurs mandats.
M. Jean-Philippe Tresarrieu
a indiqué que le rapport entre les
cotisants et les allocataires s'établissait à 1,46 en 1998,
prouvant la bonne santé du régime. Il a souligné que
l'IRCANTEC était très sensible aux évolutions de la
politique des emplois publics menée par le Gouvernement, en particulier
aux mesures de titularisation dans la fonction publique. Mettant en
évidence l'impact significatif des emplois-jeunes, il s'est
interrogé sur l'avenir de ces agents à l'issue de leur contrat de
cinq ans.
M. Maurice Trunkenboltz
a regretté l'absence de constance de la
politique de l'emploi public. Il a remarqué que la durée moyenne
de la carrière des non-titulaires affiliés à l'IRCANTEC
était de neuf ans. Il a noté que, lorsque l'État
déclarait 280.000 postes d'agents non titulaires, ceux-ci
étaient occupés en réalité par 720.000 personnes
affiliées à l'IRCANTEC. Il a mis en évidence le coût
financier des titularisations pour le régime.
M. Jean-Philippe Tresarrieu
a expliqué l'excédent du
compte de résultat du régime, évalué à 760
millions de francs en 1998, par l'impact des emplois-jeunes. Il a ajouté
que le taux de cotisation actuellement pratiqué correspondait à
la logique de pilotage du régime et qu'il n'était pas
envisagé de le réviser.
M. Maurice Trunkenboltz
a précisé qu'il n'était pas
souhaitable que les réserves du régime excèdent
l'équivalent d'un an ou un an et demi de cotisations, mais, à
titre personnel, il s'est prononcé en faveur d'une augmentation des taux
de cotisation, passant de 4,5 à 6 % et de 14 à 16 %.
M. Jean-Philippe Tresarrieu
a quant à lui estimé que le
fonds de réserve, en lissant les tensions financières pesant sur
le régime, constituait une alternative à l'augmentation du taux
de cotisation.
En réponse à
M. Michel Mercier, rapporteur, M. Maurice
Trunkenboltz
a indiqué qu'un élu local, cessant son
activité salariée pour exercer son mandat, et entrant de ce fait
dans le régime général de la sécurité
sociale, pouvait continuer à cotiser à l'IRCANTEC.
Il a souligné que la retraite des élus locaux avait
été mal étudiée, en particulier pour les
élus des villes de moins de 20.000 habitants, défavorisés
par leur appartenance à la tranche A de cotisation. Il a rappelé
que l'affiliation des élus locaux à l'IRCANTEC avait longtemps
été facultative, alors que les élus figuraient parmi les
personnes ayant le plus besoin d'une retraite complémentaire. Il a
regretté que l'affiliation obligatoire à l'IRCANTEC ne se soit
pas accompagnée d'un mécanisme de rachat des cotisations
antérieures. Il a estimé que l'amélioration du
régime applicable pourrait éviter aux élus de rechercher
des compléments par capitalisation.
M. Michel Mercier, rapporteur,
constatant que les collectivités
locales versaient une masse de cotisations inférieure à celle
versée par l'employeur Etat, pour un nombre d'affiliés
supérieur, a demandé si cette différence tenait au montant
des rémunérations.
M. Jean-Philippe Tresarrieu
a précisé que les
collectivités locales représentaient 49 % des cotisants mais 34 %
des cotisations, et que l'assiette moyenne des cotisations était de
51.600 francs pour l'ensemble des cotisants de l'IRCANTEC, mais de 40.000
francs seulement dans la fonction publique territoriale, cette
différence tenant aussi au développement du travail à
temps partiel dans les collectivités locales, et de 35.400 francs
pour les élus locaux.
M. Jean-Philippe Tresarrieu
a estimé que la reconduction du
congé de fin d'activité avait peu d'influence sur l'IRCANTEC, le
bénéficiaire cotisant sur 70 % de son salaire antérieur,
le véritable manque à gagner pour le régime
résidant dans le remplacement du bénéficiaire par un
fonctionnaire titulaire.
M. Michel Mercier, rapporteur,
ayant souhaité avoir le sentiment
des intervenants sur le " rapport Charpin ",
M. Jean-Philippe
Tresarrieu
a répondu que le conseil d'administration de l'IRCANTEC
ne s'était pas prononcé sur cette question.
S'agissant de la déductibilité, dans le cadre de l'impôt
sur le revenu, du montant des cotisations versées par les élus
pour la constitution de leur retraite complémentaire, il a estimé
qu'il fallait s'entendre sur les définitions avant de se prononcer,
soulevant ainsi la question de la définition juridique de la cotisation
en droit social et en droit fiscal. Il a noté que la
déductibilité immédiate encourageait davantage les
intéressés à adhérer à un régime de
retraite complémentaire.
En réponse à
M. Michel Mercier, rapporteur,
qui a
souhaité connaître le montant moyen de la retraite versée
aux élus locaux,
M.
Jacques Meunier, responsable juridique et
fiscal,
a rappelé que celui-ci dépendait du montant de
l'indemnité de fonction et de la durée du mandat, que les
retraites avaient été constituées à une
période où le taux de cotisation à l'IRCANTEC était
de 3,5 %, et que les indemnités versées avant la loi du 3
février 1992 étaient inférieures au montant actuel.
M. Jean-Philippe Tresarrieu
a souligné les problèmes
posés par l'absence de validation des services antérieurs
à 1992.
M.
Arnaud-José Loko, responsable de l'actuariat,
a
indiqué qu'en francs actuels, la moyenne des pensions versées aux
élus était de 1.950 francs par an, la durée moyenne de
cotisation étant de dix à douze ans, soit deux mandats municipaux.
M. Maurice Trunkenboltz
a expliqué ce faible montant par
l'obligation récente pour les élus locaux de s'affilier et
l'absence de rétroactivité.
Il a ajouté que le fonds social, permettant l'ouverture de droits soumis
à condition, était peu accessible aux élus locaux, qui ne
percevaient pas un nombre de points suffisant. Il a souhaité une
intervention des parlementaires afin que les élus locaux
bénéficient du fonds social.
Audition de Mme Bernadette DURAND,
chargée du
développement,
M. Régis PELTIER,
responsable de la
mission développement de la branche retraite
de la Caisse des
dépôts et consignations,
Mme Michelle
VERRECCHIA,
responsable de la gestion administrative du Fonds de pension des
élus locaux (FONPEL)
(15 décembre
1999)
La mission d'information a enfin procédé à
l'
audition
de
Mme Bernadette Durand, chargée du
développement, M. Régis Peltier, responsable de la
mission développement de la branche retraite de la Caisse des
dépôts et consignations, et Mme Michelle Verrecchia,
responsable de la gestion administrative du fonds de pension des élus
locaux
(FONPEL).
M. Régis Peltier, responsable de la mission
développement,
a rappelé que le régime FONPEL,
créé à la suite de la loi du 3 février 1992,
était ouvert à l'ensemble des élus locaux
indemnisés, y compris ceux des établissements publics de
coopération intercommunale. Il a indiqué qu'il s'agissait d'un
régime facultatif, ouvert aux élus qui en faisaient la demande,
ceux-ci choisissant le taux de cotisation applicable (4, 6 ou 8 %), leur
collectivité abondant le fonds à la même hauteur. Il a fait
remarquer que le régime FONPEL était un régime par points,
et qu'à la sortie du régime l'élu
bénéficiait d'une rente viagère. Il a fait valoir que le
régime, mis en place par les élus, était dirigé par
l'association FONPEL et géré par la Caisse des
dépôts et consignations.
Mme Bernadette Durand, chargée de développement,
a
considéré que la grande différence entre le FONPEL et les
régimes par répartition résidait dans le fait que le
régime FONPEL était entièrement approvisionné,
c'est-à-dire que si le versement des cotisations venait à cesser,
l'ensemble des retraites en cours de liquidation et de celles en cours de
constitution seraient honorées.
M. Régis Peltier
a indiqué qu'il était
possible d'adhérer à tout moment au FONPEL, à condition
d'exercer un mandat en cours, et qu'il était possible d'adhérer
rétroactivement, pour les six années précédant
l'adhésion. Il a suggéré la possibilité de remonter
jusqu'à 1992. Il a précisé que l'élu connaissait
à tout moment le montant de sa rente future, la valeur d'achat du point
et sa valeur à la sortie, et qu'il recevait un état de son compte
chaque année.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a demandé si un élu local
cessant son activité professionnelle pour se consacrer à son
mandat, donc pris en charge par le régime général de
sécurité sociale, pouvait continuer à cotiser au FONPEL.
M. Régis Peltier
a répondu que l'élu local qui
cessait d'exercer son activité professionnelle était pris en
charge par le régime de base de la sécurité sociale, par
l'IRCANTEC au titre de la retraite complémentaire, et qu'il n'avait plus
droit à une retraite surcomplémentaire.
Mme Michelle Verrecchia, responsable de la gestion administrative du
FONPEL,
a précisé que l'élu qui relevait du
régime général de sécurité sociale au titre
de son mandat n'avait pas accès au FONPEL contrairement à
l'élu qui relevait du régime général au titre de
son activité professionnelle.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a estimé qu'il
s'agissait-là d'un facteur de complexité et d'injustice.
M. Régis Peltier
a estimé que le taux maximal de 16 %
permettait d'offrir une rente équivalente à la retraite offerte
par le régime général. Il a noté que le FONPEL
comptait 5.320 adhérents, et versait actuellement environ 280 rentes. Il
a fait part des simulations concernant ce régime, un élu
entré en 1993, adoptant le taux maximal de cotisation de 16 %, partant
à la retraite à 60 ans en 2001, percevant une rente de 7.300
francs par an, pour un mandat exercé.
Interrogé sur le régime fiscal appliqué à la rente,
M. Régis Peltier
a fait savoir que le droit commun s'appliquait
à l'entrée et qu'à la sortie la rente FONPEL était
considérée comme une rente viagère à titre
onéreux, une partie étant donc fiscalisée en fonction de
l'âge de l'allocataire.
Mme Bernadette Durand
a rappelé que le régime couvrait
actuellement 110 % de ses engagements et était dans une situation
financière excellente.
M. Régis Peltier
a indiqué que le décret
constitutif de FONPEL obligeait le régime à provisionner la
totalité de ses engagements, ce qui lui a semblé être une
saine contrainte.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a noté que 93 % des élus
adhérents avaient opté pour le taux de cotisation de 8 %,
c'est-à-dire le maximum autorisé.
Constatant que seuls les maires des villes de plus de 30.000 habitants
bénéficiaient de l'affiliation au régime
général de sécurité sociale en cas de cessation de
leur activité professionnelle,
M. Régis Peltier
a
souhaité l'abaissement du seuil permettant de s'affilier au
régime général au titre du mandat local.
Mme Bernadette Durand
a souhaité une réflexion d'ensemble
sur la retraite des élus, par comparaison avec les différentes
possibilités offertes aux salariés.
Interrogé sur le plan de développement du FONPEL,
M.
Régis Peltier
a noté que 1998 avait été
marquée par un effort particulier d'information en direction des
conseillers régionaux et généraux, à la suite des
élections régionales et cantonales. Il a estimé que 1999
s'inscrirait dans cette continuité mais qu'en 2000 et 2001, les efforts
seraient davantage orientés vers les élus municipaux.
M. Michel Mercier, rapporteur,
ayant souhaité connaître les
relations entre l'IRCANTEC et le FONPEL,
M. Régis Peltier
a
répondu que les deux régimes, bien que gérés tous
deux par la Caisse des dépôts et consignations à Angers,
étaient complètement distincts.
M. Michel Mercier, rapporteur,
ayant noté que le FONPEL
s'était largement fait connaître en 1992 au moment de sa
création mais que sa politique de communication semblait moins active
aujourd'hui,
M. Régis Peltier
a considéré que la
communication du fonds était plus ciblée. Il a estimé
à 150 ou 200.000 le nombre théorique d'élus
concernés par le FONPEL, c'est-à-dire les élus percevant
une indemnité de fonction. Il a remarqué que le FONPEL
était tributaire du cycle électoral, les adhésions
étant concentrées sur les périodes électorales.
Enfin il a fait part des sécurités offertes par le régime,
soulignant le contrôle par un commissaire aux comptes,
précédé d'un audit par un conseil indépendant,
ainsi que la certification du régime par la norme ISO 9002.
Audition de M. Rémy SCHWARTZ,
maître des
requêtes au Conseil d'Etat, auteur d'un rapport
sur le recrutement, la
formation et le déroulement de carrière
des agents
territoriaux
(26 janvier 2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a procédé à
l'audition
de
M. Rémy Schwartz,
maître des requêtes au
Conseil d'Etat,
sur le rapport relatif au recrutement, à la
formation et au déroulement de carrière des agents territoriaux,
publié en mai 1998.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a demandé à
l'intervenant si le parallèle entre les fonctions publiques devait
être maintenu, étant donnés les enseignements du
récent rapport de la Cour des comptes sur la fonction publique de l'Etat.
M. Rémy Schwartz
a noté que la réflexion avait
évolué depuis la publication de son rapport. Il a souligné
que l'ensemble des élus et gestionnaires territoriaux s'accordaient
à refuser une nouvelle réforme d'ampleur de la fonction publique
territoriale, préférant aménager le système
existant plutôt que remettre à plat des textes statutaires.
Il a noté que le recrutement de personnes compétentes en nombre
suffisant était essentiel pour les collectivités locales, dans la
mesure où l'Etat avait tendance à leur transférer sans
cesse de nouvelles responsabilités.
M. Rémy Schwartz
a fait part des propositions de son rapport
tendant à améliorer la transparence et la coordination des
concours et des nominations dans la fonction publique territoriale. Il a
constaté en outre la contradiction entre l'existence d'un statut
national et le caractère local du recrutement.
Il a estimé qu'il fallait opérer un juste équilibre entre
décentralisation et centralisation de l'organisation des concours, dans
la mesure où celle-ci génère un coût financier
important et un risque contentieux. Il a regretté que les candidats et
les collectivités territoriales elles-mêmes ne connaissent pas
toujours les dates des concours organisés par les centres
départementaux de gestion.
Il a proposé que les concours similaires soient organisés sur
l'ensemble du territoire à une même date, ce qui éviterait
les " norias " de candidats qui se déplacent d'un concours
à l'autre. Il a insisté sur les efforts à mener en
matière de publication et de diffusion des informations sur les concours
territoriaux.
Il a indiqué qu'il avait proposé la création d'un
groupement d'intérêt public (GIP) compétent pour la gestion
des concours territoriaux, plutôt qu'un établissement public,
lequel risquerait d'affaiblir le Centre national de la fonction publique
territoriale (CNFPT). Il a cependant fait part de ses réserves quant
à la création d'une nouvelle structure
" budgétivore " et accentuant la lourdeur administrative.
Constatant de nombreuses illégalités,
M. Rémy
Schwartz
a estimé que les nominations aux postes de cadres
territoriaux devraient être publiées. Il a estimé que le
manque de transparence pénalisait les fonctionnaires territoriaux en
dévalorisant leur image. Il a de plus proposé la
régulation nationale des emplois " A + ", lesquels ont
vocation à une mobilité géographique réelle, par la
création d'une commission administrative paritaire nationale
composée d'élus et d'agents territoriaux, placée
auprès du CNFPT ou de l'Union nationale des centres de gestion. Il s'est
enfin prononcé pour la mobilité vers la fonction publique de
l'Etat.
M. Rémy Schwartz
a proposé de renforcer
l'attractivité de la fonction publique territoriale en garantissant aux
lauréats des concours de trouver un emploi, à l'image de la
fonction publique de l'Etat. Sans imposer le recrutement aux élus,
mesure trop radicale, il a jugé nécessaire une augmentation du
nombre d'emplois d'administrateurs territoriaux offerts, constatant que les
besoins existaient, à condition de permettre, par une harmonisation des
seuils démographiques, la création d'emplois statutaires dans les
cas où seuls des emplois fonctionnels étaient actuellement
ouverts.
Il a suggéré d'encourager les collectivités locales
à déclarer vacants les emplois, soulignant la contradiction entre
les besoins immédiats des employeurs et la formation initiale des
fonctionnaires organisée après leur recrutement. Il a
estimé que l'organisation de la formation initiale avant le recrutement
des administrateurs territoriaux obligerait à une mutualisation des
efforts de formation, alors qu'actuellement les collectivités de taille
moyenne étaient dissuadées d'embaucher des administrateurs,
ceux-ci les quittant rapidement pour de plus grandes collectivités.
M. Rémy Schwartz
a ensuite appelé l'attention sur la
compétence des fonctionnaires territoriaux, regrettant que ceux-ci
soient très peu mobiles, à l'exception des emplois
supérieurs. Il a souhaité un rapprochement des formations des
administrateurs territoriaux et administrateurs civils de l'Etat ainsi que le
bénéfice du détachement des fonctionnaires territoriaux
dans tous les corps de l'Etat. S'agissant de la mobilité interne
à la fonction publique territoriale, il a souhaité un
assouplissement de l'interdiction de la mobilité à
l'intérieur d'une même collectivité, d'une filière
à l'autre.
Enfin il a estimé que les concours étaient organisés sur
le fondement d'épreuves obsolètes, qu'il convenait d'actualiser,
sans oublier de substituer des concours sur titres aux concours sur
épreuves.
La création d'un recueil des actes administratifs territoriaux à
diffusion nationale pour les emplois des catégories A et B ne lui a pas
paru en contradiction avec le principe le l'autonomie de gestion des
collectivités territoriales, dans la mesure où ces actes sont
déjà publiés localement.
Interrogé sur l'association des collectivités non
affiliées au fonctionnement des centres départementaux de
gestion,
M. Rémy Schwartz
y a vu un moyen de
préserver le caractère volontaire de l'adhésion des
collectivités aux centres de gestion.
Il a estimé que l'obligation de recrutement sur liste d'aptitude,
imposée aux collectivités ayant déclaré un emploi
vacant, n'était pas contraire à la libre administration des
collectivités locales, dans la mesure où la collectivité
était libre de déclarer ou non l'emploi vacant voire de licencier
l'agent concerné dans les conditions prévues par le statut.
Il a considéré que l'essentiel des mesures visant à
améliorer la gestion des concours relevaient du pouvoir
réglementaire, regrettant l'absence d'instance de concertation en la
matière.
M. Rémy Schwartz
a jugé que la réduction de la
part relative des contractuels dans la fonction publique territoriale
était une question très délicate, étant
donné les besoins des collectivités locales non satisfaits par
les emplois statutaires, mais aussi la dérive consistant à
employer des contractuels sur la durée. Il a estimé que
l'amélioration des règles de recrutement des fonctionnaires
territoriaux dissuaderait à terme les employeurs de se tourner vers
l'emploi contractuel.
Interrogé sur la " jurisprudence Berkani " du Tribunal des
conflits, selon laquelle les agents travaillant pour un service public
administratif géré par une personne publique sont des agents
contractuels de droit public, il s'est demandé si cette jurisprudence ne
contraindrait pas le Gouvernement à proposer un statut des contractuels,
tout en soulignant la contradiction fondamentale entre le statut et le contrat.
Questionné sur les quotas de promotion interne et les quotas
d'avancement de grade,
M. Rémy Schwartz
a jugé
incompréhensible le système des quotas, mais a souligné
que les élus et gestionnaires territoriaux souhaitaient son maintien,
les quotas offrant un cadre pour la gestion des effectifs, même s'ils
génèrent pesanteur administrative et inégalités
entre les collectivités.
Après que
M. Jean-Paul Delevoye, président,
et
M.
Michel Mercier, rapporteur,
se furent interrogés sur la fonction
publique hospitalière,
M. Rémy Schwartz
a
estimé que les conditions de travail différaient sensiblement de
celles de la fonction publique territoriale, qu'il s'agissait d'une fonction
publique locale fortement contrainte par l'échelon national, qui ne
connaissait pas la problématique des quotas et des seuils, et
présentait une mobilité supérieure, non pas
géographique mais entre le secteur privé et le secteur public.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est ensuite interrogé
sur l'application du principe de parité entre les fonctions publiques
pour les indices et échelles de rémunération des
fonctionnaires. Puis il a estimé que l'équivalence des titres
devait être mieux reconnue, regrettant l'obligation de faire passer un
concours territorial à une personne diplômée d'Etat. Enfin
il a estimé que l'Etat fermait certains services publics locaux en en
transférant la charge sur les collectivités locales, sans se
préoccuper des contraintes de gestion qu'elles devaient ainsi supporter.
M. Rémy Schwartz
a partagé ce point de vue,
considérant que l'Etat avait plus de facilité à organiser
la mobilité géographique sur le territoire national et qu'il
devait assumer les charges liées au maintien des services publics.
Après avoir fait part de la tendance des services de l'Etat à
faire supporter aux communes les charges de personnel des universités et
établissements d'enseignement supérieur,
M. Bernard Murat
a souhaité l'établissement d'une " passerelle "
permettant aux collectivités locales d'employer des cadres du secteur
privé, mieux adaptés aux nouveaux métiers.
M. Rémy Schwartz
a rappelé l'incompatibilité
entre le statut général des fonctionnaires et l'emploi de
personnes du secteur privé, le recours aux contractuels n'étant
prévu que pour une durée limitée. Il a indiqué
qu'il avait suggéré l'instauration d'une " troisième
voie " permettant aux personnes travaillant sous contrat depuis dix ou
vingt ans pour une collectivité locale d'intégrer la fonction
publique territoriale. Il a noté que les différences de
rémunération entre secteur privé et secteur public
rendaient la " passerelle " improbable.
M. Joël Bourdin
a estimé que les épreuves des
concours n'étaient pas du tout adaptées aux besoins des
employeurs territoriaux, obligeant les collectivités à recruter
sur des postes ne correspondant pas au profil de la personne recherchée.
Il a estimé que les demandes des directeurs généraux en
termes de rémunération étaient souvent excessives.
Audition de M. Jacques RIGAUD,
président de
RTL
(26 janvier 2000)
La
mission d'information a ensuite procédé à l'audition de
M. Jacques Rigaud, président de RTL,
auteur d'un rapport sur
la refondation de la politique culturelle.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souligné que la
culture était un enjeu important de la décentralisation, et a
rappelé qu'à l'heure de la mondialisation la demande
d'identification culturelle locale s'était accrue.
Il a regretté que cette demande ne puisse parfois pas être
satisfaite en raison notamment des carences du système éducatif
français en la matière. A titre d'exemple, il a souligné
que sans éducation religieuse l'héritage culturel
judéo-chrétien, partie intégrante du patrimoine national,
perdait son sens.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a indiqué que les
élus locaux avaient pris conscience de l'importance des enjeux
culturels, du besoin d'" émotion culturelle partagée ".
Il s'est demandé quelle devrait être dans cette perspective la
répartition des compétences culturelles entre l'Etat et les
collectivités territoriales, soulignant les contraintes parfois
excessives que les réglementations nationales font peser sur les
élus.
Enfin,
M. Jean-Paul Delevoye, président
, s'est
interrogé sur l'impact que pourrait avoir sur la culture le
développement des nouvelles technologies.
A titre liminaire,
M. Jacques Rigaud
a estimé que la
principale évolution observée dans le domaine de la culture
depuis le début de la V
e
République était
l'implication croissante des collectivités locales dans ce secteur. Il a
indiqué que son expérience au ministère de la culture lui
avait permis de prendre conscience du rôle essentiel de l'Etat mais aussi
de la nécessité d'associer à la politique culturelle de
nouveaux partenaires : les collectivités locales.
M. Jacques Rigaud
a également observé que
l'implication des collectivités locales dans le domaine culturel se
traduisait par un effort financier conséquent, trois fois
supérieur à celui du ministère de la culture et deux fois
plus important que l'ensemble des dépenses culturelles de l'Etat. Il a
indiqué que cette intervention accrue des collectivités
territoriales, ainsi que le développement du mécénat
d'entreprise, rapprochaient les structures françaises de financement de
la culture des normes européennes. Il a remarqué que les
collectivités locales tendaient d'ailleurs à développer
les partenariats européens dans ce domaine.
M. Jacques Rigaud
a ensuite analysé l'impact des lois de
décentralisation sur la culture.
Il a estimé que le mouvement de décentralisation culturelle,
antérieur à ces textes, résultait essentiellement des
initiatives des collectivités locales. Il a rappelé que
dès le XIX
e
siècle, les grandes villes avaient
développé leurs équipements culturels, sans subventions
étatiques. Il a indiqué qu'elles avaient eu des initiatives
culturelles " modernes " avant 1958, en organisant des festivals
notamment, et que les départements avaient dès les années
soixante un important patrimoine culturel à gérer.
M. Jacques Rigaud
a rappelé que le ministère de la
culture avait mené des actions en faveur de la décentralisation
culturelle avant 1982. Il a ainsi relevé qu'André Malraux avait
mis en place les maisons de la culture, financées à parité
par l'Etat et les villes concernées, et les secteurs sauvegardés.
Il a insisté sur les initiatives de M. Jacques Duhamel, qui ont
concrétisé la prise de conscience du rôle essentiel des
collectivités locales dans le domaine culturel, telles que la politique
de chartes entre l'Etat et les villes, la transformation des maisons de la
culture en centres d'action culturelle, le plan décennal pour la
musique, la collaboration avec la délégation à
l'aménagement du territoire et à l'action régionale
(DATAR) et la mise en place du fonds d'intervention culturelle (FIC).
M. Jacques Rigaud
a souligné que le mouvement de
décentralisation en matière culturelle s'était
développé bien au-delà des transferts de compétence
prévus par la loi, au demeurant modestes en raison de la conception
relativement centralisatrice de la politique culturelle du gouvernement
d'alors. Il a insisté sur l'importance qu'avait eue, dans ce mouvement
de décentralisation, la prise de conscience par les élus locaux
du rôle déterminant de la culture, en termes de
développement local, d'image et de renforcement du sentiment
d'appartenance à un territoire. Ayant présidé la
commission nationale attribuant le label de centre culturel de rencontre, il a
témoigné de l'investissement réel des petites communes et
de la forte implication des élus locaux dans ces projets.
M. Jacques Rigaud
a souligné le rôle joué par
les médias dans l'évolution des pratiques culturelles. Il a
noté que les responsables locaux avaient bien compris quel pouvait
être l'impact des activités culturelles sur l'économie
locale et l'emploi, grâce à une meilleure connaissance
réciproque des gens de culture et des élus.
M. Jacques Rigaud
a jugé que l'Etat avait globalement
accompagné cette évolution, les directions régionales des
affaires culturelles (DRAC), armature territoriale du ministère de la
culture, adoptant une conception extensive du rôle que leur confiait les
textes et devenant des conseillers privilégiés des
collectivités locales.
M. Jacques Rigaud
a conclu son analyse de la
décentralisation en constatant l'émergence d'une capacité
d'expertise culturelle des équipes municipales. Il a souligné la
permanence des politiques culturelles locales au-delà des alternances
politiques, à de regrettables exceptions près. Il a salué
le développement des partenariats entre collectivités locales,
associations culturelles et mécènes privés, ainsi que
l'émergence de réseaux culturels européens, estimant que
la vitalité culturelle en Europe dépendait de ces réseaux
plutôt que des institutions européennes.
M. Jacques Rigaud
a ensuite répondu aux questions
soulevées par M. Jean-Paul Delevoye.
Il a reconnu que l'Etat avait une attitude parfois trop rigide en
matière de décentralisation culturelle. Il a cependant
jugé nécessaire qu'il dispose de prérogatives
régaliennes pour la protection et la sauvegarde du patrimoine, tout en
recommandant dialogue et transparence.
M. Jacques Rigaud
a jugé que, dans les autres domaines de
l'action culturelle, l'Etat devait accepter le mouvement de
décentralisation et considérer les collectivités locales
comme des partenaires et non plus comme des relais de sa politique, en
soutenant notamment les initiatives des régions, échelon
pertinent pour l'investissement culturel.
M. Jacques Rigaud
a souligné que la mondialisation
s'accompagnait d'un besoin d'enracinement culturel local. Il a noté que
le sentiment d'appartenance locale contribuait au développement de la
vie culturelle des régions, et a souhaité qu'il s'inscrive dans
leur histoire.
M. Jacques Rigaud
a ensuite analysé un enjeu qu'il estime
essentiel pour le développement de la décentralisation
culturelle : le partage des charges financières. Il a ainsi
plaidé pour le développement de l'intercommunalité afin de
mieux répartir les charges inhérentes aux grands
équipements culturels. Il a également estimé que la mise
en place d'établissements culturels locaux répondrait à
des besoins réels.
Regrettant la perte de signification du patrimoine religieux,
M. Jacques Rigaud
a observé que M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, tentait d'intégrer la
connaissance des religions dans les programmes scolaires.
A propos des nouvelles technologies,
M. Jacques Rigaud
a
considéré que ces nouveaux outils pouvaient permettre de
favoriser la fréquentation des oeuvres. Il a cependant jugé que
la légitimité de la politique culturelle du XXI
e
siècle consisterait à veiller à la connaissance de l'art
réel par opposition à la culture virtuelle.
En conclusion,
M. Jacques Rigaud
a regretté que sa
recommandation de créer un comité interministériel pour
l'action culturelle n'ait pas été suivie d'effet. Estimant que la
culture est à la fois un secteur mais aussi une dimension de toute
action publique, il a plaidé pour la mise en place de cet instrument de
sensibilisation à la culture. Il a suggéré que les
préfets de région soient régulièrement
réunis autour du Premier ministre pour débattre des enjeux
culturels.
Enfin,
M. Jacques Rigaud
a observé que face au
développement des initiatives locales, le ministère de la culture
devait reconsidérer son action et s'orienter vers un rôle
d'expertise et de mémoire, tout en conservant une tâche
essentielle : le brassage et la diffusion de la culture nationale.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souligné le
rôle essentiel des collectivités locales, bien au-delà des
transferts de compétences prévus par la loi. Il a estimé
que l'Etat devait pour sa part veiller à sensibiliser les
Français à la culture.
Il a approuvé les observations de M. Jacques Rigaud concernant
l'impact des nouvelles technologies sur la diffusion des pratiques culturelles.
Enfin, il s'est demandé si une nouvelle répartition des
compétences entre l'Etat et les collectivités locales serait
souhaitable.
M. Jacques Rigaud
a indiqué qu'il ne semblait pas
nécessaire de proposer une réforme législative dans le
domaine de la culture dans la mesure où les collectivités locales
pouvaient déjà mener leurs initiatives sans obstacle juridique.
Il a observé que cette liberté pouvait être source de
gaspillage, problème que les collectivités locales étaient
à même de résoudre seules par un effort de concertation.
Il a estimé que l'Etat, qui gardait une réelle capacité
d'empêchement mais n'était plus le moteur de l'innovation
culturelle, devait se cantonner à un rôle de conseil et
d'expertise auprès des collectivités locales, l'innovation
culturelle étant aujourd'hui portée par les élus locaux,
les entreprises et les médiateurs culturels et sociaux. Il a
déclaré que l'Etat devait prendre en compte cette dynamique et se
contenter de l'accompagner.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, s'est demandé s'il
fallait adapter les structures institutionnelles existantes afin de favoriser
le développement d'un mécénat mixte associant
collectivités locales et entreprises. Il a souligné
l'utilité du mécénat privé dans un contexte
où l'Etat, faute de moyens suffisants, ne peut freiner l'évasion
du patrimoine français vers l'étranger.
M. Jacques Rigaud
a estimé que les collectivités
locales devaient développer leur action culturelle dans le cadre de leur
mission légale, le mécénat étant l'affaire des
entreprises.
Il a rappelé qu'à son initiative, les revendications
exprimées aux assises du mécénat avaient été
prises en compte par le ministre de l'économie et avaient abouti
à l'adoption de l'article 17 de la loi de finances pour 2000,
améliorant le régime fiscal applicable aux actions de
mécénat. Il a appelé de ses voeux une réforme
fiscale qui permettrait d'inciter les entreprises à créer des
fondations destinées au mécénat.
M. Joël Bourdin,
a dénoncé la tendance du
ministère de la culture, relayé par les DRAC, à
privilégier certaines modes artistiques sans tenir compte des
réels besoins des collectivités locales. Il a également
regretté que le contrôle des architectes des bâtiments de
France soit parfois trop contraignant, voire arbitraire, et que les
possibilités de contester leurs décisions soient aussi
réduites. Enfin, il a tenu à indiquer que la protection de la
culture était l'enjeu prioritaire des collectivités locales
regroupées en pays.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a redouté que
près de 50 % des édifices cultuels disparaissent faute de
moyens dans les vingt prochaines années. Il a souhaité que ces
bâtiments retrouvent une vocation laïque complémentaire,
estimant, qu'à défaut, ils seraient remplacés, dans leur
fonction cultuelle même, par les salles polyvalentes municipales.
M. Jacques Rigaud
, répondant à M. Joël Bourdin,
a observé que Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de
la communication, s'employait à " démocratiser " la
culture. Il a estimé que la demande de culture, devenue une
revendication nationale, pouvait être satisfaite aussi bien en favorisant
la fréquentation du patrimoine ancien qu'en développant les
pratiques artistiques nouvelles.
Audition de M. Michel RICARD,
directeur-adjoint de
l'architecture et du patrimoine
au ministère de la
culture
(8 février 2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a procédé à
l'audition
de
M. Michel
Ricard, directeur-adjoint de la direction de l'architecture et du patrimoine au
ministère de la culture
, accompagné de
M. Jean-Marie
Vincent, chef du service de l'inspection générale de la
direction
.
M. Michel Ricard
a tout d'abord rappelé que le domaine du
patrimoine et de l'architecture se situait à la frontière de la
question beaucoup plus vaste de l'action culturelle des collectivités
publiques.
Il a souligné que les lois de décentralisation n'avaient
touché qu'" à la marge ", le domaine culturel à
travers le transfert des services des archives et des bibliothèques. Il
a rappelé que la direction du patrimoine et de l'architecture (DPA)
était de création relativement récente, dans la mesure
où les services d'Etat relatifs à l'architecture avaient
été longtemps rattachés au ministère de
l'équipement avant d'être transférés à celui
de la culture.
Il a indiqué que la politique du patrimoine faisait partie du domaine
régalien de l'Etat pour des raisons historiques liées au droit de
propriété sur les monuments classés qui se prêtaient
mal à un mouvement de décentralisation ; il a mis en
évidence néanmoins le développement de procédures
de partenariat contractuel avec les collectivités locales.
M. Michel Ricard
a estimé que les conseils d'architecture,
d'urbanisme et d'environnement (CAUE) créés par la loi
n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture avaient permis de
tisser de nouvelles relations institutionnelles entre l'Etat et les
collectivités locales, fondées sur le rôle de conseil des
services de l'Etat. D'une manière générale, il a
souligné qu'en matière culturelle, les services
déconcentrés de l'Etat s'efforçaient d'être des
pôles de compétences et de savoir faire au service d'une
" relation forte " avec les collectivités publiques
décentralisées.
Abordant les compétences de la DAP, il a estimé que " peu de
portes " étaient ouvertes à la
décentralisation, car il était difficile de transférer des
compétences et les moyens financiers afférents sur les
éléments du patrimoine classé.
Pour autant, il a noté que l'Etat n'avait pas une " conception
monopolistique " de son droit de propriété, et que le
patrimoine était considéré, en pratique, comme un champ de
" compétences croisées " ouvert au partenariat
volontaire avec les collectivités territoriales.
En outre, il a rappelé que la DAP était chargée de
l'organisation, de la formation et du suivi de l'exercice des professions de
l'architecture, en observant que ce domaine se prêtait mal à des
interventions décentralisées, en raison du rôle important
des ordres professionnels nationaux et régionaux, de la faible taille
des cabinets d'architecture et de la part non négligeable des commandes
internationales.
S'agissant des écoles d'architecture qui constituent un réseau de
22 établissements publics,
M. Michel Ricard
a indiqué
que l'objectif prioritaire de la DAP était de rapprocher ces
établissements des universités et des organismes de recherche et
de mieux répartir les flux d'étudiants sur l'ensemble du
territoire.
Il a estimé que la mise en oeuvre d'un transfert de compétences
des écoles d'architecture aurait un coût excessif au regard des
17.000 étudiants et du millier d'enseignants concernés.
D'une manière générale,
M. Michel Ricard
a
constaté que le ministère de la culture, qui apparaissait encore
comme un ministère relativement jeune au moment de la préparation
des lois de décentralisation, avait donné la priorité
à la déconcentration de ses services plutôt qu'à la
décentralisation de ses compétences.
Il a souligné, à cet égard, la difficulté de
renforcer les services déconcentrés de l'Etat en matière
culturelle face à des administrations centrales, parfois jalouses de
leurs prérogatives. Sur ce point, il a souligné la
complexité de la constitution des services départementaux de
l'architecture et du patrimoine (SDAP) en rappelant que les directions
régionales de l'environnement conservaient encore aujourd'hui certaines
compétences en matière, notamment, de suivi de la profession des
architectes. Il a noté par ailleurs la difficulté
d'établir des liens de subordination entre les SDAP au niveau
départemental et les directions régionales des affaires
culturelles (DRAC) dont la circonscription d'action était plus large.
M. Michel Ricard
a souligné que le ministère de la culture
avait privilégié les relations avec les villes sur la base du
partenariat volontaire dans un contexte où la valorisation du patrimoine
était perçue de plus en plus comme un élément
d'attraction essentiel pour un territoire.
Evoquant le rôle croissant de l'agglomération en milieu urbain et
du pays en milieu rural, il a indiqué que la DAP souhaitait
développer un partenariat plus fort avec la Délégation
à l'aménagement du territoire et à l'action
régionale (DATAR) et la Délégation
interministérielle à la ville (DIV).
M. Michel Ricard
a indiqué que la DAP n'était pas une
structure très lourde dans la mesure où l'on décomptait
340 personnes en administration centrale et 450 agents dans les SDAP.
Il s'est félicité que des éléments de
coopération décentralisée, tels que le programme des
villes et pays d'art et d'histoire, soient mis en place mais il a reconnu que
la tendance majoritaire était de se fonder, en matière de
patrimoine et d'architecture, sur l'intervention de l'administration centrale
assortie de nombreux " correctifs " locaux.
Prenant l'exemple de la cité de l'architecture et du patrimoine de l'art
de Paris du Palais de Chaillot, il a souligné l'importance du
développement de grandes institutions nationales ainsi que de la
coopération internationale qui pouvaient être des
éléments d'enrichissement de la relation entre l'Etat et les
collectivités locales.
M. Jean-Marie Vincent
a souligné que le contenu des politiques du
patrimoine et de l'architecture avait connu une forte évolution sous
l'effet de l'élargissement de la notion de patrimoine. Alors que ce
dernier correspondait autrefois à quelques monuments importants, il est
composé aujourd'hui de multiples éléments architecturaux,
archéologiques, urbains, paysagers et mobiliers,
considérés à la fois comme porteurs de mémoire et
support de mobilisation pour le devenir d'une collectivité.
M. Michel Ricard
a souligné que la création de la DAP
avait permis de croiser la notion de conservation de la mémoire avec du
patrimoine à celle de promotion et d'accompagnement de la qualité
architecturale et urbaine du patrimoine en formation. Il a indiqué que
la création des zones de protection du patrimoine architectural, urbain
et paysager (ZPPAUP) par la loi de 1982-1983 permettait de promouvoir une
relation plus équilibrée entre l'Etat et les collectivités
locales en matière d'urbanisme. Il a rappelé que le mouvement
était ancien puisque la création des secteurs sauvegardés
par André Malraux en 1962 avait déjà permis l'intervention
complémentaire de l'Etat et des collectivités locales.
D'une manière générale, il a estimé que l'Etat
était compétent en matière de conservation du patrimoine,
qu'il s'agisse de la protection des monuments historiques, de l'étude ou
de la promotion du patrimoine archéologique ou du suivi des architectes
des Bâtiments de France et des architectes des monuments historiques,
mais qu'en revanche, l'Etat concevait son intervention en
complémentarité de celle des collectivités locales en
matière d'usage et de transformation du patrimoine.
M. Jean-Marie Vincent
a souligné le rôle des ZPPAUP pour
assurer de manière globale et coordonnée la gestion d'un
patrimoine porteur de la mémoire et de l'identité culturelle
d'une ville ou d'un village. Il a discerné une évolution des
documents d'urbanisme, notamment du POS, dont le rôle tendait à
s'étendre à la protection du patrimoine, en évoquant la
modulation de la circonférence des espaces protégés aux
abords des monuments historiques prévue dans le cadre du projet de loi
relatif à la solidarité et au renouvellement urbain.
Pour l'avenir, il a estimé souhaitable une diversification des outils
afin de faciliter la collaboration entre l'Etat et les collectivités
locales. Il a souligné, à cet égard, que les
collectivités décentralisées pourraient intervenir dans le
domaine de l'inventaire du patrimoine architectural du XX
ème
siècle à conserver ainsi que de la protection et la promotion des
éléments non classés du patrimoine mobilier.
Se prononçant en faveur d'une déconcentration plus importante des
procédures et de leur mise en oeuvre, il a souligné que les SDAP
devaient devenir l'échelon d'une politique de proximité,
d'échange, d'accompagnement et de croisement des décisions au
niveau local.
S'agissant du rôle des diverses catégories de collectivités
locales, il a indiqué que la commune demeurait incontestablement un
" lieu fort " en termes de gestion de l'urbanisme quotidien et de
proximité, mais qu'il était parfois nécessaire, en termes
qualitatifs, de concevoir une politique à un échelon plus
élevé.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est demandé si la DAP
était favorable au développement de procédures
contractuelles permettant à l'Etat ou à une collectivité
locale d'être " chef de file " d'une politique. Il a
jugé encourageante la volonté du Gouvernement de faire du
document d'urbanisme un objectif plutôt qu'un catalogue de normes. Il
s'est interrogé sur le rôle de l'Etat en matière de
définition du patrimoine classé en soulignant la
nécessité d'une procédure d'appel en cas de divergence
avec une collectivité locale. Il a souhaité que les
décisions des architectes des Bâtiments de France ou des
architectes des monuments historiques soient mieux adaptés à la
situation locale.
M. Michel Ricard
a rappelé l'existence des conventions de villes
pour la qualité architecturale qui étaient mises en place sous
l'impulsion des communes.
M. Jean-Marie Vincent
a souligné qu'il était important de
constituer un inventaire du patrimoine, afin de permettre à la
collectivité de hiérarchiser ses choix en matière de
protection. Il a rappelé que la loi du 28 février 1997 avait
institué une procédure d'appel des décisions des
architectes des bâtiments de France, ce qui allait dans le bon sens.
M. Philippe Richert
a constaté que les représentants du
ministère se bornaient à proposer le maintien du statu quo actuel
fondé sur la compétence de droit de l'Etat en matière
culturelle, assortie d'un cofinancement toujours plus important demandé
aux collectivités locales. Il a estimé que l'apport financier des
collectivités territoriales en matière de patrimoine était
devenu plus important que celui de l'Etat sans, pour autant, que soit
acceptée la mise en oeuvre d'un véritable principe de
subsidiarité.
M. Guy Vissac
a regretté que les collectivités
territoriales soient en " situation de tutelle " plutôt que de
partenariat avec l'Etat en matière de patrimoine et d'architecture et il
a souhaité des avancées en termes de décentralisation. Il
a observé toutefois que les charges liées à l'entretien du
patrimoine architectural pouvaient être excessives pour des communes
rurales.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souhaité un retour au
principe classique en matière de compétence qui veut que
" la collectivité qui paie commande ".
M. Philippe Richert
a souligné que les collectivités
locales pouvaient conduire, en matière de patrimoine, des politiques
ambitieuses, par elles-mêmes, sans impulsion ni contrôle de l'Etat.
M. Michel Ricard
a réaffirmé que les administrations
centrales du ministère de la culture n'étaient pas
" jacobines " et que les transferts de compétence en
matière de patrimoine entraîneraient des transferts financiers
difficiles à mesurer, notamment en milieu rural.
M. Jean-Paul Develoye, président,
s'est interrogé sur
la création d'une procédure " d'appel à
responsabilité " qui permettrait à une collectivité
locale d'avoir sa propre politique du patrimoine.
M. Jean-Marie Vincent
a indiqué que les procédures
contractuelles entre l'Etat et les collectivités locales avaient
vocation à évoluer dans le sens d'une collaboration plus
étroite.
Audition de Mme Maryvonne de SAINT
PULGENT,
Conseiller
d'Etat
(8 février 2000)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition
de
Mme Maryvonne de Saint Pulgent,
Conseiller d'Etat
.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a rappelé que les transferts de
compétence dans le domaine de la culture étaient restés
très modestes en raison de la conception centralisatrice du ministre de
l'époque. Elle a estimé que ce choix pouvait être au moins
partiellement expliqué par la relative " jeunesse " du
ministère de la culture à l'époque des lois de
décentralisation.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a rappelé que les
collectivités locales n'avaient pas attendu les lois de
décentralisation pour investir le secteur culturel, constituant
dès le 19
e
siècle un tissu important d'institutions
culturelles. Elle a indiqué que l'intervention culturelle des
collectivités locales, freinée par les besoins de la
reconstruction, avait retrouvé son plein essor dès le milieu des
années soixante-dix. Elle a ajouté que les collectivités
locales, d'abord influencées par les orientations définies par
l'Etat, avaient rapidement développé des politiques culturelles
autonomes.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a observé que les
collectivités territoriales avaient renforcé leurs efforts en
faveur de la culture, devenant le premier financeur public dans ce domaine,
avec un budget plus de deux fois supérieur à celui du
ministère de la culture.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a ensuite analysé l'impact des
lois de décentralisation. Elle a observé qu'il n'y avait pas eu
de décentralisation effective dans le domaine de la culture, les
transferts de compétence se limitant aux archives et aux
bibliothèques. Elle a constaté que ce choix avait abouti à
une mise en concurrence des différents niveaux de pouvoirs publics,
central et territoriaux, dans le domaine de la culture, malgré le
développement de formules de coopération.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a constaté que les tentatives du
ministère de la culture pour clarifier la répartition des
compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales dans
différents secteurs culturels n'avaient jamais abouti, ainsi qu'en
témoignaient les échecs des projets de réforme de
l'enseignement artistique. Elle a ajouté que le ministère de la
culture, conscient des remises en cause de son action, avait tenté de
légitimer sa politique en développant la déconcentration
de ses services, proposée comme une alternative à la
décentralisation.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a estimé que le ministère
de la culture était toujours opposé à la
décentralisation. Elle a rappelé à cet égard que sa
proposition de décentraliser l'inventaire des richesses
archéologiques, architecturales et patrimoniales, lors de la
préparation de la loi d'orientation du 4 février 1995 relative
à l'aménagement et au développement du territoire n'avait
pas été retenue. Elle a jugé que la position du
ministère nuisait à la crédibilité de sa politique
culturelle, par trop " jacobine ".
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a indiqué que la réticence
du ministère de la culture à développer la
décentralisation s'appuyait à la fois sur des raisons historiques
et sur la méfiance du milieu culturel à l'égard des
collectivités locales. Elle a noté qu'à cela s'ajoutait
l'attachement des services centraux à leurs compétences.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a estimé qu'il était
désormais nécessaire que la répartition des
compétences culturelles évolue afin de répondre aux
souhaits des élus locaux de développer un nouveau type de
relation avec l'Etat. Elle a rappelé que le système actuel
était d'une grande complexité et a dénoncé
l'instrumentalisation des financements croisés par l'Etat. Elle a
observé qu'au titre d'une participation financière très
minoritaire, les services centraux s'octroyaient la direction des projets
culturels, notamment dans le domaine de l'enseignement musical
spécialisé.
Considérant le dysfonctionnement des fonds régionaux pour l'art
contemporain (FRAC), qui auraient dû être le lieu d'un partenariat
équilibré entre l'Etat et les régions,
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a estimé que l'Etat suscitait
fréquemment de faux partenariats, impliquant des contributions
financières des collectivités locales, alors qu'il conservait la
maîtrise de la politique culturelle menée dans ce cadre.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a estimé que la centralisation
excessive de la définition de la politique culturelle risquait de
favoriser l'hégémonie de certaines valeurs artistiques aux
dépens de la diversité culturelle que la France défendait
par ailleurs lors des négociations de l'organisation mondiale du
commerce (OMC). Elle a indiqué que ce danger disparaîtrait si les
décideurs publics territoriaux pouvaient être
libérés de la tutelle culturelle étatique.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souhaité savoir quelle
pouvait être la répartition optimale des compétences entre
l'Etat et les collectivités locales dans le domaine de l'enseignement
artistique.
Mme Maryvonne de Saint Pulgent
a considéré que le
Gouvernement ne devait intervenir que dans la définition des programmes
et la gestion de l'enseignement artistique supérieur, tel qu'il
était dispensé par le conservatoire national supérieur de
musique, l'école supérieure des Beaux-Arts et les écoles
d'architecture. Elle a souhaité que les autres niveaux d'enseignement
artistique soient placés sous l'entière responsabilité des
collectivités locales lesquelles étaient d'ailleurs à
l'origine de leur création. Elle a estimé qu'une compensation
financière appropriée devait accompagner cette nouvelle
répartition des compétences.
Afin de répondre à certaines inquiétudes que pouvait
susciter la décentralisation dans le domaine de la culture,
Mme
Maryvonne de Saint Pulgent
a proposé deux solutions originales. Pour
apaiser les craintes du milieu culturel relatives au risque
d'instrumentalisation de la culture par les collectivités locales, elle
a recommandé la création d'une autorité de
médiation nationale indépendante. Enfin, pour éviter que
les inégalités en matière d'offre culturelle ne se
creusent entre les collectivités locales, elle a suggéré
de confier aux régions la mission de régulation et de
redistribution que remplit actuellement l'Etat. Elle a noté que les
régions avaient commencé spontanément à jouer ce
rôle.
Audition de M. Alain VAN
der MALIÈRE,
directeur de la DRAC
d'Ile-de-France
(8 février 2000)
Puis la
mission a entendu
M. Alain Van der Malière, directeur de la DRAC
d'Ile-de-France
.
M. Alain Van der Malière
a d'abord rappelé que sa propre
carrière illustrait parfaitement la fin du système pyramidal et
centralisateur puisqu'il avait été successivement Directeur
régional des affaires culturelles du Nord-Pas-de-Calais, puis Directeur
d'administration centrale, puis Directeur régional des affaires
culturelles d'Ile-de-France. Il a reconnu que la décentralisation
n'avait pas évolué depuis 1982-83 dans le sens où aucun
nouveau secteur de compétence culturelle n'avait été
confié aux collectivités locales autres que ceux
transférés alors (archives, bibliothèques). Mais il a fait
valoir que grâce à la montée en puissance des DRAC, la
déconcentration menée par le ministère avait
transformé le paysage local autant que l'administration centrale.
M. Alain Van der Malière
a souligné qu'en choisissant une
déconcentration régionale, le ministère avait
montré que la région était l'échelon pertinent dans
le domaine culturel. Il a ajouté que cette prédominance du niveau
régional ne nuisait pas aux autres collectivités locales
puisqu'aussi bien la plupart des objectifs et des projets concrets faisaient
l'objet de concertation et de coopération entre tous les partenaires
(Etat, région, département, communes) grâce à un
outil majeur : le contrat.
M. Alain Van der Malière
a déclaré que, devant le
succès de cette coopération, on pouvait sans crainte, à
propos de la culture, parler " d'une responsabilité publique
partagée " et soutenir que la décentralisation culturelle
avait fait d'énormes progrès. Il s'est également
réjoui que le dialogue avec les élus ait conduit l'administration
déconcentrée à mieux appréhender le réel et
il a reconnu que les agents déconcentrés étaient plus en
phase avec les élus et les acteurs locaux qu'avec leur administration
centrale. Pour M. Van der Malière, le facteur essentiel de renouveau
décentralisateur depuis quinze ans réside dans le succès
des DRAC et la position du ministère ne peut que s'infléchir sous
leur influence, même si, aujourd'hui encore, l'administration culturelle
souffre de cette opposition entre Paris et les régions qu'il a
qualifiée d'opposition entre une " fixité verticale et une
transversalité dynamique ".
Soulignant que la réflexion sur l'expérimentation en
matière de décentralisation devait être approfondie,
M.
Jean-Paul Delevoye, président,
s'est interrogé sur les effets
durables et bénéfiques d'une décentralisation qui se
faisait en dehors des textes. Il a rappelé que la déconcentration
n'avait pas empêché que l'Etat, moindre contributeur, restait
toujours le pilote de tous les projets auxquels il participait.
M. Alain Van der Malière
a reconnu que la pratique l'emportait
sur les textes, mais qu'il était difficile de demander à un
ministère encore jeune mais héritier de 350 ans de centralisme de
se défaire brutalement de toutes ses prérogatives. Il a fait
valoir que l'administration centrale conservait le désir et les moyens
d'une gestion directe des dossiers culturels et que la pratique était
plus nuancée selon les régions. Il a jugé
nécessaire de permette la diversité des pratiques dans le respect
de certains grands principes.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a estimé que, dans la
mesure où les collectivités locales payaient la plus grande part
de l'action culturelle, elles ne pourraient pas toujours se soumettre aux
injonctions des DRAC.
M. Alain Van der Malière
a admis que les DRAC se trouvaient
parfois dans une situation inconfortable, mais que cela ne justifiait pas de se
détacher totalement d'une administration centrale dont le rôle
devait être de conceptualiser, d'évaluer, d'expertiser et
d'inspecter. Il s'est déclaré favorable à un recours
à l'expertise de l'administration centrale mais à une mise en
oeuvre déconcentrée des actions culturelles. Il a rappelé
avec force que la gestion des crédits déconcentrés avait
fait d'énormes avancées dans le sens souhaité par les
collectivités locales.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a ensuite interrogé M.
Alain Van der Malière sur la politique de sensibilisation du public
à la culture.
M. Alain Van der Malière
s'est réjoui des progrès
considérables accomplis par l'éducation nationale et son
ministère dans leur coopération sur ce secteur sensible. Il
existerait aujourd'hui plus de 1 800 accords entre les deux
ministères. Il a souligné l'effort consenti par les
collectivités locales en matière d'enseignement artistique tout
en rappelant que l'intervention normative de l'Etat dans ce domaine se
justifiait au nom des garanties qu'il fallait offrir aux usagers du service
public.
Audition de M. René RIZZARDO,
directeur de
l'Observatoire des politiques culturelles
(9 février
2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à
l'audition de
M. René Rizzardo
,
directeur de l'observatoire des politiques
culturelles.
Après avoir constaté le succès des deux seuls transferts
de compétences opérés dans le domaine culturel par les
lois de décentralisation, qui concernaient les archives et les
bibliothèques,
M. René Rizzardo
a formulé trois
remarques liminaires. En premier lieu, il a insisté sur le fait que la
décentralisation de ces compétences avait été
réalisée en près de dix ans car les lois de
décentralisation avaient prévu que les équipements
devaient être mis aux normes par l'État avant d'être
transférés. Il a considéré que cette
procédure constituait l'une des clef de la réussite des
transferts de compétences.
En deuxième lieu, s'agissant des domaines de l'action culturelle qui
étaient restés en dehors du champ des lois de
décentralisation, le directeur de l'observatoire des politiques
culturelles a estimé que le mode actuel de relations entre l'État
et les collectivités locales, fondé sur le partenariat
contractuel, atteignait ses limites en raison de sa complexité.
En troisième lieu,
M. René Rizzardo
a observé un
tassement des dépenses culturelles des collectivités locales.
Après avoir rappelé que les collectivités
dépensaient environ 50 milliards de francs par an en faveur de la
culture, contre 15 milliards de francs pour le ministère de la
culture, il a indiqué que le tassement des dépenses concernait
moins les services publics culturels que les autres activités. Il a
souligné que, compte tenu du poids du financement des institutions
culturelles dans les budgets locaux, les marges de manoeuvre des
collectivités locales pour développer des activités
nouvelles étaient réduites.
Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a ajouté que,
selon lui, les collectivités locales aspiraient à plus
d'autonomie et que, après avoir pris une part importante au
développement des services publics culturels de bases sur le territoire,
elles étaient aujourd'hui en mesure d'apporter des réponses aux
aspirations des populations, jeunes notamment, d'une manière
différente de celle de l'Etat qui, pour sa part, semblait avoir du mal
à adapter ses interventions aux évolutions de la
société.
M. René Rizzardo
a jugé que le champ des interventions des
collectivités locales dans le domaine culturel avait
évolué depuis les lois de décentralisation et qu'il
convenait, au-delà des actions dans les domaines traditionnels tels que
le spectacle vivant ou les arts plastiques, de favoriser le
développement de nouvelles disciplines. Il a notamment insisté
sur le fort développement depuis quinze ans des pratiques en amateur et
de l'éducation artistique et culturelle. A ce sujet, il a
regretté la complexité des modalités du partenariat entre
les collectivités locales, le ministère de l'éducation
nationale et le ministère de la culture.
Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a souligné que
les collectivités locales assumaient l'essentiel des dépenses en
matière de culture scientifique, technique et industrielle. Dans ce
domaine, il a constaté que, si l'Etat avait mis en place avec
succès la cité des sciences et de l'industrie à Paris, ses
projets dans les régions avaient du mal à être
pérennisés. Il a également insisté sur le
rôle moteur des collectivités locales dans le soutien aux musiques
actuelles amplifiées et à la musique traditionnelle ainsi que
dans le secteur du multimédia.
S'agissant de l'audiovisuel et du cinéma,
M. René Rizzardo
a indiqué que, à la suite du rapport établi en 1982 par le
député Jean-Jack Queyranne, l'État avait cherché
à développer un partenariat avec les régions à
travers les conventions de développement culturel. Il a constaté
que ce type de production cinématographique contractualisée avait
disparu aujourd'hui mais que les conseils régionaux développaient
des aides directes à la production. Il a fait valoir l'importance de la
question de la diffusion des oeuvres cinématographiques et, à cet
égard, a mis en avant une contradiction apparente entre la
volonté des élus d'encourager la diversité des productions
et leur intérêt financier à l'implantation de multiplexes
sur leur territoire. Il a également observé que les projets de
coopération avec France 3 continuaient d'être
considérés comme des solutions envisageables, sans pour autant
donner lieu à des initiatives concrètes.
En tout état de cause, le directeur de l'observatoire des politiques
culturelles a insisté sur le fait que de nombreux élus
considéraient que leurs projets de développement de territoire
devaient nécessairement comporter une dimension culturelle, notamment en
raison de l'atout que le développement de ces activités
représentait dans les décisions d'implantation des entreprises et
des pôles universitaires.
M. René Rizzardo
a estimé que les transferts de
compétences opérés par les lois de décentralisation
avaient été trop limités mais a rappelé que les
partisans de transferts plus poussés étaient rares au
début des années 80. Il a fait observer que les milieux
artistiques étaient alors fortement demandeurs d'une intervention de
l'Etat et que le ministre de la culture de l'époque n'était pas
partisan d'un transfert de crédits aux collectivités locales. Il
a évoqué les difficultés rencontrées lors de la
création du fonds spécial de développement culturel,
doté de 500 millions de francs dont 350 étaient consacrés
aux collectivités locales.
Evoquant les transferts possibles aux collectivités locales, le
directeur de l'observatoire des politiques culturelles a jugé que rien
ne s'opposait au transfert des orchestres, de l'enseignement artistique, que
l'Etat finançait à hauteur de 10 % seulement, et du
patrimoine rural non protégé. Il a indiqué que la
protection et l'entretien du patrimoine constituaient aujourd'hui le
deuxième poste de dépense des départements.
M. René Rizzardo
a cependant remarqué que, en 1982, les
élus locaux n'avaient pas demandé des transferts
supplémentaires de compétences en matière culturelle. Il a
estimé que, compte tenu de la complexité des relations
contractuelles entre l'Etat et les collectivités locales, une
augmentation des moyens dégagés par l'Etat n'améliorerait
pas forcément l'efficacité des politiques publiques mais que, en
revanche, la plus grande proximité entre le décideur et le
citoyen à laquelle aboutiraient de nouveaux transferts de
compétences serait un facteur d'une plus grande efficacité.
M. René Rizzardo
a relevé que la ministre de la culture
avait compté la décentralisation parmi ses priorités mais
que cette déclaration n'avait pas été suivie d'effet. Il a
cependant signalé la création d'un conseil des
collectivités locales pour le développement culturel, mis en
place pour élaborer des propositions susceptibles d'alimenter les
réflexions de la commission sur la décentralisation
présidée par M. Pierre Mauroy. Il a ajouté que la
faible mobilisation du ministère de la culture en faveur de la
décentralisation pouvait s'expliquer par les difficultés
rencontrées par ce ministère dans la mise en oeuvre du processus
de déconcentration.
Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a
considéré que l'organisation territoriale actuelle de la France
était globalement adaptée à la mise en oeuvre des
politiques culturelles mais a néanmoins déploré l'absence
de transferts de postes entre l'administration centrale et les directions
régionales de l'action culturelle (DRAC). Il a considéré
que cette insuffisance de transferts de moyens freinait l'action des DRAC,
notamment dans le domaine des musées et du cinéma.
M. René Rizzardo
a également évoqué le
rôle de l'échelon départemental en préconisant la
mise en place dans les préfectures d'un chargé de mission qui
assurerait la liaison avec les DRAC. Il a précisé que les seuls
services de l'Etat présents au niveau du département dans le
domaine culturel étaient les services départementaux de
l'architecture, qui avaient récemment été rattachés
au ministère de la culture.
Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a estimé qu'il
serait utile de faire dépendre du ministère de la culture les
services de la direction de la jeunesse et de l'éducation populaire,
aujourd'hui intégrés au ministère de la jeunesse et des
sports. Il a mis en avant les effets positifs potentiels d'une telle
réforme dans les domaines des pratiques amateurs, de la jeunesse et de
l'action dans les quartiers.
Evoquant la répartition des compétences entre l'Etat et les
collectivités locales dans le domaine culturel,
M. René
Rizzardo
a estimé que l'on avait atteint les limites de la
contractualisation et que le système actuel aboutissait à une
mauvaise adéquation entre la nature des activités, leur mode de
financement et le niveau territorial qui en était responsable. Il a
cité l'exemple des orchestres, qui dépendaient de la
région mais qui étaient principalement financés par les
communes, et de l'inventaire qui était une compétence de l'Etat
majoritairement financée par les départements, qui l'utilisaient
dans le cadre de leurs politiques touristiques. Dans ce dernier domaine, il a
considéré qu'un transfert de la compétence et des
ressources aux départements permettrait une meilleure lisibilité
et une plus grande proximité entre le décideur et l'expression
des besoins.
Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a signalé que
certaines compétences étaient difficilement transférables
en raison de la difficulté de déterminer le niveau territorial le
plus approprié pour bénéficier du transfert. Il a
cité l'exemple des écoles de musiques, qui assuraient des
enseignements qui relevaient aussi bien du premier cycle, du deuxième
cycle que de l'enseignement supérieur. Pour remédier à
cette difficulté sans renoncer à rapprocher du terrain l'exercice
de la compétence, il s'est déclaré partisan de la
création d'établissements publics culturels, qui seraient
financés par les différents niveaux de collectivités.
Evoquant la notion de " collectivité chef de file ",
M.
René Rizzardo
a indiqué que l'observatoire qu'il dirigeait
venait de réaliser un bilan de la régionalisation culturelle en
Corse. Il a rappelé qu'une loi de 1991 prévoyait le transfert des
crédits d'État à la collectivité territoriale de
Corse en matière de politique culturelle et que, de ce fait, la
collectivité territoriale devenait progressivement chef de file dans ce
domaine en pilotant la plupart des projets structurants, dans le cadre d'un
partenariat avec les communes. Il a constaté que ce changement
institutionnel avait conduit au retrait des départements en
matière culturelle. A titre d'exemple, le directeur de l'observatoire
des politiques culturelles a indiqué que la région, et non plus
l'Etat, était désormais maître d'ouvrage pour l'entretien
des monuments historiques classés en cas de défaillance de leur
propriétaire.
M. René Rizzardo
a considéré que l'exemple
corse, sans être directement transposable en l'état, pouvait
contribuer à enrichir la réflexion sur le rôle de l'Etat en
matière culturelle. Il a rappelé que, dans sa décision
relative à la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire du 4 février 1995, le Conseil
constitutionnel avait précisé que seule une loi pouvait placer un
niveau territorial en situation de " chef de file " et, en
conséquence, avait exclu le renvoi au contrat ou à la convention.
M. Jean-Paul Delevoye
,
président,
s'est interrogé
sur la possibilité de concilier la diversité culturelle qui
serait encouragée par une plus grande décentralisation, et le
principe de l'unité de la République.
M. René Rizzardo
a estimé qu'il convenait de clarifier la
situation actuelle marquée par une inadéquation entre les
financements et l'exercice de la compétence. Il a cependant
considéré que, dans cette perspective, rien n'empêcherait
l'État de continuer à intervenir pour préserver
l'égalité des citoyens devant la culture s'il estimait que les
collectivités locales ne répondaient pas à l'ensemble des
besoins. Il a cependant observé que la très grande
majorité des collectivités locales s'impliquaient dans le domaine
culturel.
Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a ajouté qu'il
convenait de distinguer les services publics culturels qui devaient être
identiques sur l'ensemble du territoire, tels que la carte scolaire ou le
contenu des programmes, et les domaines qui relevaient de la libre initiative
des acteurs locaux. Il a rappelé que les fondements les plus solides de
la politique culturelle en France étaient issus du mouvement associatif
et des initiatives locales. Il a cité l'exemple des centres dramatiques
nationaux, qui s'étaient implantés en s'appuyant sur les
mouvements d'éducation populaire.
M. René Rizzardo
a indiqué que le succès des
politiques culturelles reposait sur quatre orientations, la sensibilisation,
l'éducation, la diffusion et l'encouragement de la
créativité, et que, de son point de vue, les collectivités
locales étaient aujourd'hui les plus à même de les mettre
en oeuvre.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est interrogé sur les
modalités techniques d'un éventuel transfert aux
départements de la compétence en matière d'inventaire.
Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a
considéré qu'il serait possible de transférer le personnel
et de renforcer les services départementaux. Il a précisé
que la direction de l'architecture et du patrimoine réalisait
actuellement une évaluation de ces services. Il a estimé que
l'Etat pourrait garder la direction scientifique de l'inventaire, tandis que
les départements en assureraient la mise en oeuvre. S'agissant du
patrimoine classé, il a observé que l'exemple de la Corse
était intéressant et que, à terme, la
décentralisation de cette compétence était
nécessaire, les collectivités locales pouvant la combiner avec
leurs actions en matière de développement et de tourisme.
Audition de M. Didier DURAFFOURG,
président du
syndicat national des secrétaires généraux et des
directeurs généraux des collectivités
locales
(9 février 2000)
La
mission a procédé à
l'audition
de
M. Didier
Duraffourg, président du syndicat national des secrétaires
généraux et des directeurs généraux des
collectivités locales
, accompagné de
M. Michel
Camy-Peyret, secrétaire général de la ville de
Créteil
.
M. Didier Duraffourg, président du syndicat national des
secrétaires généraux et des directeurs
généraux des collectivités locales
, a estimé
que la décentralisation ne pouvait être envisagée sans
réorganisation et déconcentration des services de l'État.
Il a indiqué que l'organisation territoriale de l'État, pour des
raisons historiques, n'était adaptée ni à
l'évolution démographique actuelle tendant à ce que 80 %
des Français vivent désormais en milieu urbain, ni au
développement de l'intercommunalité.
S'agissant des rapports financiers entre les collectivités territoriales
et l'État,
M. Didier Duraffourg
a fait valoir que le
principe constitutionnel de libre administration des collectivités
locales impliquait que les élus disposent d'une liberté
financière. Il a regretté la tendance récente à
globaliser les concours financiers attribués par l'État aux
collectivités territoriales. Illustrant son propos par la réforme
fiscale en matière de taxe professionnelle et de taxe d'habitation, il a
noté que l'État, attaché au principe de solidarité,
répartissait de plus en plus les moyens financiers sur l'ensemble du
territoire à travers des concours financiers globalisés, sans
possibilité pour les collectivités locales de lever leurs
impôts.
M. Didier Duraffourg
a ensuite estimé que la
décentralisation devait s'accompagner de l'évaluation des
politiques publiques, qu'elles soient nationales ou locales. Il a
regretté l'absence de critère d'évaluation, constatant que
les tentatives actuelles d'évaluation des politiques publiques
accordaient davantage de place au pragmatisme qu'à des méthodes
objectives et scientifiques.
Enfin, sur la question des liens entre administration et politique, il a
souligné la nécessité de faire respecter sur le terrain le
principe de neutralité de la fonction publique.
Puis
M. Didier Duraffourg
a fait part de sa réflexion sur les
ressources humaines. Il a indiqué que les élus avaient besoin
à leurs côtés de fonctionnaires territoriaux de direction
expérimentés, porteurs d'expertise, qu'ils auraient librement
choisis. Il a noté que la création d'une direction
générale dans une collectivité territoriale
nécessitait de clarifier les responsabilités et les
compétences imparties à cette direction générale.
Il a jugé paradoxale la situation des directions générales
depuis une dizaine d'années. D'une part, il lui a semblé que la
définition statutaire des emplois de direction des collectivités
territoriales, se contentait d'indiquer que les secrétaires
généraux étaient chargés, sous l'autorité du
maire, de diriger l'ensemble des services de la commune et d'en coordonner
l'organisation. D'autre part, il a relevé que l'évolution
jurisprudentielle abondante tendait de plus en plus à définir les
responsabilités des titulaires de la direction générale.
M. Didier Duraffourg
a estimé que le législateur et le
pouvoir réglementaire devaient clarifier les compétences
dévolues aux directions générales, plutôt que de
laisser la jurisprudence en décider.
M. Didier Duraffourg
a insisté sur les efforts de formation dont
devraient, selon lui, bénéficier les emplois de direction,
soulignant l'expertise demandée et le risque d'un défaut de
compétence. Il a estimé que la formation actuellement
dispensée ne prenait pas en compte les besoins spécifiques des
directions générales, hormis les efforts du Centre national de la
fonction publique territoriale en ce sens.
Il a estimé que la formation professionnelle dans la fonction publique
territoriale ne pouvait être envisagée sans
référence à celle des services de l'État. Il a
noté que l'effort de formation de l'État employeur était
de 3 à 6 % de la masse salariale contre 1 % dans les
collectivités locales.
S'agissant de la gestion de la fonction publique territoriale,
M. Didier
Duraffourg
a souhaité un nouvel effort de la part du Gouvernement
afin de laisser aux élus un espace de liberté. Il a estimé
que la fonction publique territoriale devait reposer sur un statut national
fixant des droits et obligations, mais que la gestion du personnel d'une
collectivité locale n'avait rien à voir avec la gestion d'un
ministère. Il a donc plaidé en faveur d'une souplesse pour la
gestion du personnel territorial dans le cadre du statut national. Il a
regretté que le Gouvernement ait adopté pour principe de calquer
les règles applicables à la fonction publique territoriale sur
celle de l'État. A titre d'exemple, il a souhaité un
assouplissement des seuils démographiques, estimant que les élus
étaient enfermés dans le carcan des strates démographiques.
Interrogé par
M. Jean-Paul Delevoye, président
, sur la
répartition des compétences entre État et
collectivités territoriales,
M. Didier Duraffourg
a émis
des réserves sur la répartition actuelle des compétences
en matière d'enseignement, en particulier la dichotomie artificiellement
opérée entre collèges et lycées. Il a noté
que les collectivités territoriales avaient largement été
mises à contribution financièrement pour remettre à niveau
les équipements scolaires et accompagner les politiques d'enseignement
lancées par l'État, seul responsable par ailleurs de la gestion
des personnels enseignants. En application du principe de subsidiarité,
il a jugé qu'il n'était pas aberrant que les
collectivités, en contrepartie de leurs apports financiers, participent
davantage à la vie des établissements d'enseignement, y compris
pour l'enseignement supérieur. Il lui a semblé que
l'attractivité et le développement économiques d'un
territoire ne pouvaient s'envisager indépendamment de la politique
d'enseignement.
M. Didier Duraffourg
a noté que la première partie de la
décentralisation avait été marquée par la mise en
place de politiques contractuelles entre l'État et les régions
principalement, celles-ci contractant ensuite avec les départements et
les communes. Il a jugé que les politiques contractuelles étaient
intéressantes pour éviter le dérapage des
compétences croisées qui compliquaient la réalisation des
projets. Cependant, il a émis la crainte que les politiques
contractuelles n'incitent certaines collectivités à
contrôler les actions des collectivités situées à
l'échelon territorial dit " inférieur ".
M. Michel Camy-Peyret, secrétaire général de la ville
de Créteil,
a appelé de ses voeux un bilan des normes
applicables, en particulier des normes d'origine européenne, les jugeant
actuellement impossibles à connaître et à mettre en oeuvre,
cette question étant directement liée à celle de la
responsabilité pénale des élus et des fonctionnaires. Il a
souhaité un " toilettage " des normes et la création
d'un organisme d'évaluation.
Tout en relevant la tradition administrative française favorable
à l'uniformité de l'organisation institutionnelle sur l'ensemble
du territoire, il s'est néanmoins prononcé en faveur
d'organisations distinctes selon les territoires, en fonction des pratiques, en
particulier en fonction de l'état d'avancement de
l'intercommunalité.
M. Didier Duraffourg
a souhaité que soit reconnu aux
collectivités territoriales un droit à l'expérimentation,
notamment en matière de répartition des compétences, dans
la mesure où certaines solutions, adoptées avec succès
dans telles régions, pouvaient ne pas être adaptées aux
autres.
Audition de M. Michel GARNIER,
directeur de la
programmation et du développement
au ministère de
l'éducation nationale
(9 février 2000)
Puis la
mission a procédé à l'
audition
de
M. Michel
Garnier, directeur de la programmation et du développement au
ministère de l'éducation nationale.
M. Michel Garnier
a tout d'abord décrit les missions de la direction
de la programmation et du développement : mise en place d'un
système d'information permettant notamment une meilleure connaissance
des effectifs ; prévision sur leur évolution et sur celle
des disciplines enseignées ; négociation et suivi de
l'exécution des contrats de plan Etat-région en matière de
construction d'établissements d'enseignement ; évaluation
des compétences des élèves ; analyse des besoins du
monde économique afin d'orienter l'offre de formation.
Sur ce dernier point, il a observé que la reprise économique
mettait en évidence la nécessité d'adapter les formations
aux besoins de l'économie.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président,
qui s'interrogeait sur les possibilités d'approfondir la
déconcentration et la décentralisation,
M. Michel Garnier
a précisé qu'un correspondant
de la mission formation-emploi avait été mis en place dans les
rectorats.
Puis
M. Michel Garnier
a estimé que si le partage actuel des
compétences entre l'Etat et les collectivités locales en
matière d'enseignement n'était sans doute pas totalement
figé, il convenait toutefois de garder la plus grande prudence
s'agissant d'un éventuel transfert des compétences
pédagogiques aux collectivités. Il a jugé
nécessaire de préserver le caractère national des
diplômes et estimé, par ailleurs, qu'une évaluation
uniforme des formations était nécessaire, seul l'Etat pouvant
garantir une telle égalité.
Répondant à
M. Jean-Paul Delevoye, président
,
M. Michel Garnier
a estimé que si les évolutions
devaient être progressives, elles n'en demeuraient pas moins possibles,
comme l'avait montré la récente implication des régions,
au travers des contrats de plan, dans le domaine de la vie étudiante. Il
a jugé, à titre personnel, envisageable un recentrage de l'Etat
sur ses compétences pédagogiques.
M. Michel Garnier
a considéré que le plan
" Université 2000 " répondait avant tout à une
urgence démographique, compte tenu du fort accroissement, sur la
période concernée, du nombre d'étudiants. Tout en
convenant que ce plan avait fait appel à la
générosité des régions, il a néanmoins fait
valoir qu'il avait été par la suite intégré dans
les contrats de plan Etat-région. S'agissant du plan " U3M ",
il a relevé qu'il avait été intégré
dès l'origine aux négociations des contrats de plan, la logique
contractuelle impliquant nécessairement, à son sens, des
financements croisés dans des matières qui relevaient des
compétences de l'une ou l'autre partie.
Répondant à une question de
M. Jean-Paul Delevoye,
président,
sur la spécialisation territoriale des formations
universitaires,
M. Michel Garnier
a jugé que, s'il était
irréaliste de vouloir permettre la délivrance de DEUG partout sur
le territoire, le premier cycle de l'enseignement supérieur devait
toutefois demeurer une formation de proximité, alors qu'une
spécialisation territoriale paraissait plus indiquée pour les
deuxième et troisième cycles, en fonction du tissu
économique et des particularités locales.
Après une observation de
M. Jean-Paul Delevoye,
président,
sur les crédits nécessaires à
l'entretien et à l'équipement des locaux universitaires,
M.
Michel Garnier
a détaillé les quatre volets du plan
" U3M " :
- la vie étudiante -résidences, bibliothèques,
équipements sportifs- à laquelle 25 % des crédits
devaient être consacrés ;
- la réhabilitation et la restructuration des établissements
universitaires ;
- le développement de la recherche et le renouvellement des
équipements de recherche, pour 25 % des financements ;
- la mise en réseau des universités et des organismes de
recherche.
M. Michel Garnier
a noté que les régions se mobilisaient
peu, dans le cadre de la négociation contractuelle en cours, sur le
thème de la réhabilitation des locaux universitaires.
Répondant à
M. Jean-Paul Delevoye, président
, qui
l'interrogeait sur l'opportunité d'un transfert de compétences
aux régions en matière universitaire,
M. Michel Garnier
a considéré qu'une telle hypothèse ne susciterait sans
doute pas beaucoup d'enthousiasme de la part de ces dernières, quelque
peu échaudées par leur expérience en matière de
gestion du patrimoine immobilier des lycées.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souligné l'importance
de l'existence de pôles universitaires pour certains territoires et fait
état des différentes initiatives des collectivités en
matière de coopération décentralisée, par le biais
notamment de l'allocation de bourses à des étudiants
étrangers.
M. Michel Garnier
a estimé que ces initiatives déjà
nombreuses pouvaient se développer dans le cadre légal actuel.
En matière de formation des maîtres, il a rappelé que cette
compétence, dévolue depuis Jules Ferry aux collectivités
locales, était désormais, depuis 1989, du ressort de l'Etat.
En ce qui concerne l'éventualité de sous-traiter au secteur
privé certaines activités relevant de l'éducation
nationale,
M. Michel Garnier
a estimé que la pédagogie et
la recherche devaient, en tout état de cause, être exclues de tout
éventuel transfert. Il a considéré, par ailleurs, que la
création d'emplois-jeunes au profit des établissements
d'enseignement s'était avérée une expérience
très positive.
Abordant la question du bilan, en matière éducative, des contrats
de plan Etat-régions, il a regretté que les règles de
délégation et d'engagement des crédits de l'Etat n'aient
pas permis, pour la génération arrivant à
échéance, une évaluation aussi fine qu'il serait
souhaitable. Il a précisé que la génération en
cours de négociation s'accompagnerait de la mise en place d'outils
informatiques permettant de dresser des tableaux de bord plus
détaillés de la nature des crédits engagés par
l'Etat.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président
, qui
jugeait que les départements et territoires d'outre-mer étaient
confrontés à une situation démographique justifiant,
à son sens, un traitement particulier en matière
d'équipements scolaires.
M. Michel Garnier
a corroboré
cette analyse et souligné que l'Etat finançait d'ailleurs, dans
ces collectivités, la construction de nouveaux équipements.
Evoquant le coût pour la collectivité de la fermeture
d'écoles rurales,
M. Michel Garnier
a fait état d'une
analyse établie sur un canton, mettant en évidence que cette
mesure accompagnée de l'extension, en contrepartie, des transports
scolaires, avait permis une optimisation de l'action publique éducative.
Il a, enfin, estimé, en matière de programmation de l'offre
d'enseignement, que les critères démographiques globaux
étaient insuffisants et devaient s'accompagner, dans le cadre d'une
contractualisation avec les établissements, d'une nécessaire
adaptation aux réalités locales.
Audition de M. Dominique HOORENS,
directeur des
études du Crédit local de
France
(29 février 2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à l'audition de
M. Dominique Hoorens, directeur des études du Crédit
local de France.
M. Dominique Hoorens
a indiqué que le poids du secteur public local
dans l'économie était en augmentation constante et que sa part
dans le produit intérieur brut (PIB) était passée de
6 % à 10 % depuis 1970. Il a rappelé que l'importance
de l'investissement local dans l'investissement public total, entre 70 et
75 %, était une spécificité française.
Observant que la part des investissements locaux dans le PIB était
restée stable depuis les années 70, de 2,5 à 3 %, il en a
déduit que l'augmentation de la part des budgets locaux dans le PIB
provenait de l'augmentation des dépenses de fonctionnement.
M. Dominique Hoorens
a estimé que l'augmentation des
dépenses de fonctionnement s'expliquait en partie par la volonté
des élus de développer les services de proximité.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a demandé si les
instruments comptables permettaient de distinguer entre, d'une part, les
dépenses qui correspondaient à l'entretien et à la mise
aux normes d'équipements et, d'autre part, les dépenses
créatrices de richesse.
M. Dominique Hoorens
a expliqué qu'il était possible, au
sein des dépenses d'investissement, de distinguer les dépenses de
consommation de capital fixe et les dépenses correspondant à des
investissements nouveaux. Il a cependant regretté que la
comptabilité nationale ne permette pas d'appréhender l'ensemble
de l'investissement local, notamment les investissements réalisés
par les concessionnaires qui n'étaient pas retracés dans les
budgets locaux. Il a déploré que la nouvelle norme comptable
aboutisse à réduire encore le champ de l'investissement local, en
excluant notamment les dépenses d'équipement liées aux
ordures ménagères.
Evoquant les principales évolutions en matière de finances
locales depuis le début des années 80,
M. Dominique
Hoorens
a insisté sur l'augmentation des dépenses de
fonctionnement, la stabilisation de la part des dépenses
d'investissement et la modification du mode de financement de leurs
investissements par les collectivités locales. Il a rappelé que,
depuis 1996, les collectivités locales dégageaient une
épargne brute qui leur permettait d'autofinancer une partie de leurs
investissements. Il a considéré que l'obligation de rembourser
les emprunts par des ressources propres pouvait expliquer le sentiment des
élus locaux d'être asphyxiés financièrement. Il a
cependant estimé que cette règle permettait d'éviter un
recours excessif à l'endettement et que ses effets pouvaient être
limités par un allongement de la durée des emprunts.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souligné que
contrairement à l'Etat, la formation brute de capital fixe des
collectivités locales était supérieure à leur
consommation de capital fixe, et que, par conséquent, leurs
investissements engendraient une augmentation de leur patrimoine.
M. Dominique Hoorens
a indiqué que les collectivités
locales connaissaient aujourd'hui un mouvement de désendettement,
principalement marqué dans les collectivités fortement
endettées. Il a observé que les collectivités
étaient désireuses d'afficher de bons résultats sur le
plan de la gestion financière et qu'un certain nombre d'entre elles
s'étaient fixé comme objectif de dégager une
épargne en constante augmentation. Il a observé que de tels
objectifs pouvaient s'avérer trop rigides, car il était difficile
de maintenir une augmentation du taux d'épargne après des
années de forte augmentation des recettes.
Evoquant le dépôt au Trésor des fonds libres des
collectivités locales,
M. Jean-Paul Delevoye,
président
, a estimé que les collectivités, même
lorsqu'elles pratiquaient la gestion de trésorerie, devaient toujours
conserver un volume minimal de disponibilités au Trésor, puisque
les comptables publics n'autorisaient les dépenses que s'il existait une
ressource correspondante sur le compte au Trésor public. Il a
ajouté que, pour les petites communes, les dépôts au
Trésor s'apparentaient à une épargne non
rémunérée.
M. Dominique Hoorens
a rappelé que le Crédit local de
France était favorable à la mise en place de comptes
" épargne-investissement ".
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a considéré que,
paradoxalement, certains investissements réduisaient la marge
d'investissement des collectivités locales en engendrant des frais de
fonctionnement très élevés.
Evoquant la fiscalité locale,
M. Dominique Hoorens
a
considéré que son rôle était de constituer un levier
et de faire bénéficier les collectivités d'un retour sur
investissement. Par exemple, il a jugé qu'une éventuelle
suppression de la taxe d'habitation réduirait l'intérêt des
collectivités à construire des logements.
M. Dominique Hoorens
a insisté sur le fait que le rythme moyen
d'augmentation des taux des impôts directs locaux connaissait une baisse
sensible depuis 1996 et devrait s'établir à 0,2 % en 2000.
Il a précisé que les comportements des collectivités en la
matière étaient très divers à l'intérieur de
chaque strate démographique.
En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président, il a
indiqué que les travaux de M. Jacques Méraud avaient fait
apparaître une corrélation positive entre la variation de
l'investissement local et la variation du PIB. Il a ajouté qu'une telle
corrélation n'avait pas été observée s'agissant de
l'investissement de l'Etat, et que ce moindre impact sur le PIB de la variation
de l'investissement de l'Etat s'expliquait notamment par le faible volume de
celui-ci.
Evoquant les facteurs d'inquiétude pour l'évolution des budgets
locaux, le directeur des études du Crédit local de France a
d'abord mis en avant les évolutions de la masse salariale, et notamment
l'augmentation des cotisations à la caisse nationale de retraite des
collectivités locales (CNRACL), la réduction du temps de travail
dans la fonction publique territoriale et la pérennisation des
emplois-jeunes. Il a constaté que les collectivités locales ne
maîtrisaient pas les évolutions de leurs dépenses de
personnel, à l'exception du nombre des recrutements.
M. Dominique Hoorens
a également cité les charges
liées à l'accélération des dépenses
sociales, et notamment la prestation spécifique dépendance. Il
s'est inquiété de l'augmentation probable, bien que
limitée, des taux d'intérêt qui devrait interrompre le
mouvement de réduction des frais financiers enregistré depuis
plusieurs années. Il a rappelé que les élus locaux
étaient particulièrement préoccupés par l'avenir de
leur autonomie fiscale et l'évolution des concours financiers de
l'Etat.
Audition de M. Philippe LAURENT,
consultant,
président de la société Philippe Laurent
Consultants
(29 février 2000)
Puis la
mission a entendu
M. Philippe Laurent, consultant, président de la
société Philippe Laurent Consultants.
M. Philippe Laurent
a décrit les évolutions qui
s'étaient produites dans le domaine des finances locales, en indiquant
qu'elles avaient avait revêtu sept aspects principaux.
En premier lieu, il a observé que ces mutations étaient d'abord
dues au phénomène essentiel de la décentralisation
introduite par les lois de 1982-83, cette volonté politique
s'étant toutefois exprimée à un moment où les
esprits étaient mûrs pour l'accepter. Le deuxième aspect de
ces évolutions était, selon lui, l'explosion des budgets locaux
depuis les années quatre-vingt. En troisième lieu, ces
évolutions s'étaient traduites par la modernisation de la vie
financière locale (création de la DGF, liberté pour voter
les taux et pour emprunter, réformes comptables).
M. Philippe Laurent
a ensuite fait Etat d'une
" professionnalisation " de la gestion, soulignant que les directions
financières des collectivités locales étaient devenues des
institutions très performantes et que l'ensemble des acteurs locaux
avaient pris conscience du coût de la dette.
Il a relevé la substitution progressive de l'Etat aux contribuables par
le biais des dotations de compensation (taxe professionnelle, taxe
d'habitation, droits de mutation, etc.).
En outre, il a jugé que ces évolutions pâtissaient d'une
vraie rigidification avec le système des dotations octroyées par
l'Etat et aujourd'hui contrôlées au sein d'une enveloppe
normée.
Enfin, il a considéré qu'à partir des années
1995-96, on était entré dans l'ère de la
territorialisation (Loi Voynet, Loi Chevènement), c'est-à-dire
dans une approche du problème financier par territoire, et non plus par
collectivité.
S'interrogeant sur la réalité de l'autonomie fiscale des
collectivités territoriales,
M. Philippe Laurent
a reconnu
qu'elle était plus théorique que réelle et qu'elle irait
en s'amenuisant. Il a en particulier estimé que cette autonomie
réduite était très marquée pour les groupements
à taxe professionnelle unique, car même si une certaine forme de
déliaison des taux avait été introduite par la loi du
12 juillet 1999, ces groupements resteraient néanmoins
contraints par les taux des taxes foncières et de la taxe d'habitation
de leurs communes membres. Il a donc jugé que les taux de taxe
professionnelle des groupements ne seraient pas libres et qu'à ce
problème s'ajoutait une prise en compte incomplète des charges
transférées, qui favorisait les communes-membres dans un premier
temps, mais constituait une menace pour l'avenir.
D'autre part,
M. Philippe Laurent
s'est interrogé sur
l'évolution de la dotation globale de fonctionnement des groupements,
aujourd'hui très favorable, mais dont personne ne savait si
l'évolution positive se maintiendrait dans deux ou cinq ans.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a interrogé M. Philippe
Laurent sur le moyen d'assurer aux collectivités locales un vrai partage
des fruits de la croissance.
M. Philippe Laurent
a répondu que si l'" enveloppe
normée " des concours de l'Etat dans le cadre du contrat de
croissance et de solidarité permettait une meilleure
" lisibilité " de ces concours, il n'y avait
malheureusement toujours aucune concertation, ni réflexion, sur le
partage des fruits de la croissance et sur le rôle économique des
collectivités locales.
Il a déclaré qu'il serait souhaitable d'ouvrir le débat
sur un partage des impôts nationaux, mais qu'une telle démarche
serait rendue plus difficile qu'en Allemagne en raison de l'inexistence en
France d'une culture de négociation entre le niveau central et les
administrations locales. Il a estimé qu'une disposition en ce sens
devrait être inscrite dans la Constitution.
Il a par ailleurs fait valoir que les communes moyennes risquaient une
véritable asphyxie financière, dans un contexte marqué par
des attentes accrues de la population qui se conjuguaient à une
restriction des ressources.
Puis après avoir considéré que le transfert de
compétences au profit des établissements publics de
coopération intercommunale provoquerait des " doublons " avec
l'action des communes,
M. Philippe Laurent
a fait valoir que les
dotations de l'Etat seraient progressivement réorientées vers les
structures intercommunales, ce que traduisait déjà le financement
partiel de ces structures par le biais de la dotation de compensation de la
taxe professionnelle. Il a estimé que les communes
" isolées " perdraient peu à peu leur DGF.
Enfin, répondant à
M. Jean-Paul Delevoye,
président, M. Philippe Laurent
a fait observer que la
capacité d'investissement des collectivités locales était
plus forte que celle qui ressortait des statistiques. Il a, en effet,
souligné le rôle de différents intervenants tels que les
sociétés d'économie mixte, ainsi que
l'absence d'une
volonté politique de diminuer les investissements
. Il a en outre
estimé que le cadre comptable actuel ne permettait pas de rendre compte
de ce qu'était un investissement public.
Audition de M. Jean PICQ,
conseiller maître
à la Cour des Comptes,
auteur d'un rapport sur la réforme de
l'Etat
(29 février 2000)
La
mission a enfin entendu
M. Jean Picq, conseiller maître à la
Cour des Comptes, auteur d'un rapport sur la réforme de l'Etat
.
Après avoir indiqué qu'il s'exprimerait à titre personnel,
M. Jean Picq, conseiller maître à la Cour des Comptes, auteur
d'un rapport sur la réforme de l'Etat,
a noté l'existence
d'une tendance erronée consistant à réduire l'Etat
à son centre, au lieu de considérer l'ensemble des pouvoirs
publics concernés par la " question de l'Etat ". Jugeant
nécessaire de répondre à la question : " quel
Etat pour une nation qui a tant changé ? ", il a estimé
qu'un Etat radicalement autre devait être pensé.
M. Jean Picq
a indiqué que le rapport sur la réforme de
l'Etat établi six ans auparavant à la demande du Premier
ministre, n'allait pas encore assez loin, le grand débat public qu'il
appelait de ses voeux n'ayant pas eu lieu.
Il lui a semblé que l'Etat, confronté au défi de la
diversité du terrain et au partage de la décision politique,
avait été sérieusement ébranlé et que son
architecture, résultat d'un climat de méfiance envers des
collectivités locales, était à repenser.
Il a noté que la France n'était pas le seul pays confronté
à la question de l'Etat, dans la mesure où la régulation
économique internationale et la définition d'une politique
budgétaire et fiscale dans un contexte de monnaie unique n'allaient pas
de soi. Etablissant une comparaison avec la Grande Bretagne, il a
indiqué que si Mme Thatcher avait mené la privatisation,
l'étape appelée " next steps ", consistant à
réformer l'Etat par le système des agences et la
décentralisation, était due avant tout à MM. Major et
Blair.
M. Jean Picq
a noté que l'Etat en France, ébranlé
par la décentralisation, ne devait plus limiter le rôle des
collectivités locales au financement des politiques
décidées par lui, mais les faire participer pleinement à
leur conception.
Il a considéré que la France était prisonnière
d'une certaine vision de la fonction publique, consistant en deux
extrêmes, plaçant le fonctionnaire soit en situation de simple
exécutant soit, au contraire, en position de " technocrate "
face à un politique défaillant. Il a noté qu'il pouvait
paraître singulier de confier une question aussi éminemment
politique que la réforme de l'Etat à un haut fonctionnaire.
M. Jean Picq
a estimé que la responsabilité de la
réforme de l'Etat incombait au chef de l'Etat, garant de la
cohésion nationale, au chef du Gouvernement, chargé de
l'impulsion des politiques publiques, et au Parlement.
M. Jean Picq
a jugé qu'il fallait
" déconstruire " trois visions fausses de la réforme de
l'Etat. Tout d'abord, il lui a paru erroné de réduire la
réforme de l'Etat à une réforme de l'administration, la
réforme de l'Etat devant intéresser l'ensemble des citoyens et
s'organiser autour d'objectifs politiques. Il a indiqué que la
réforme de l'Etat ne pouvait être l'affaire d'un seul ministre et
que le Parlement devait être pleinement associé à la
définition des objectifs et des missions de l'Etat, ainsi qu'à
son architecture. Ensuite, il a préféré une logique
d'objectifs et de résultats à une logique de budget, soulignant
l'intérêt des agences. Enfin, il a jugé que le débat
entre " Etat minimal " et Etat providence réformé
était un mauvais débat, et que l'idée du recentrage de
l'Etat sur ses " missions régaliennes " n'était pas non
plus pertinente. Il a en effet souligné que des missions comme
l'éducation ou la culture, sans être
" régaliennes ", laissaient à l'Etat un rôle
déterminant, tandis que l'exercice des missions
" régaliennes " ne relevait pas du seul Etat, donnant pour
exemple le développement de la médiation et de l'arbitrage dans
le domaine de la justice, le partage des responsabilités au niveau
communautaire en matière de défense, la concertation
internationale sur les affaires étrangères ou la
responsabilité des élus locaux en matière de
sécurité.
M. Jean Picq
a souhaité redéfinir dans une perspective
radicalement différente l'architecture de l'Etat, sans le réduire
à son centre, mais en considérant l'ensemble des pouvoirs
publics. Il a appelé de ses voeux une définition plurielle, et
non " décrétale et parisienne ", des politiques
publiques, tenant compte des réalités locales et des
interférences entre les niveaux international, national, local,
professionnel...
M. Jean Picq
a jugé que la question centrale devait être le
" retour sur investissement " des politiques publiques, le rapport
entre leur efficacité et leur coût étant actuellement peu
satisfaisant.
Il a estimé que l'Etat devait aujourd'hui relever trois défis, le
premier étant la mondialisation, obligeant la France à mieux
valoriser ses talents, le deuxième tenant au caractère
désormais multiculturel de nos sociétés, la France se
caractérisant par sa capacité à intégrer des
populations nouvelles, le dernier étant imputable à
l'urbanisation accélérée, avec les violences qu'elle
engendre.
M. Jean Picq
a fait part de la nouvelle architecture institutionnelle.
Il a indiqué que face à l'Union européenne, premier niveau
de décision, la France devait s'organiser pour défendre ses
intérêts nationaux dans la logique de compromis dominante en
Europe, après avoir recensé précisément quelles
missions étaient déjà gérées par Bruxelles,
quels objectifs la France pouvait retenir pour chacune d'elles, sachant que le
principe de subsidiarité n'était pas respecté à
l'heure actuelle, les directives communautaires se faisant de plus en plus
précises.
M. Jean Picq
s'est ensuite intéressé au niveau de
décision publique des collectivités locales, faisant valoir deux
pistes d'approfondissement de la décentralisation.
En premier lieu, il lui a paru essentiel de réaffirmer le principe selon
lequel les payeurs devaient être les décideurs. Il a
indiqué que décentralisation et déconcentration ne
devaient être ni opposées, ni confondues, la
déconcentration étant un moyen de maintenir le pouvoir du centre.
Il a souhaité un découplage des rôles entre le centre d'une
part, chargé de la conception et de l'évaluation des politiques
publiques, et le local d'autre part, chargé de la gestion et de la mise
en oeuvre des politiques publiques.
En second lieu, il a jugé utile de réviser la carte territoriale,
afin que celle-ci accompagne le dessein politique, considérant que pour
certaines missions, l'intervention de plusieurs échelons n'était
pas efficace. Il lui a paru possible de laisser une place à
l'expérimentation, tout en réaffirmant que l'Etat devait
être placé non pas dans un face à face avec les
collectivités locales, mais en position de médiateur.
Venant enfin au pilotage de l'Etat,
M. Jean Picq
a regretté
l'absence d'outils administratifs permettant d'aider les ministres à
coordonner les politiques publiques. Il a considéré que l'Etat
devait mettre en oeuvre une décentralisation fonctionnelle, en
responsabilisant les acteurs locaux au moyen de contrats d'objectifs. Il lui a
semblé nécessaire de promouvoir les appels à candidatures,
afin de recruter les hauts fonctionnaires en fonction des objectifs retenus,
plutôt qu'un recrutement administratif corporatiste. Il a conclu son
propos en affirmant que l'Etat devait à la fois être plus modeste
et plus ambitieux.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a estimé que la
substitution de contrats d'objectifs aux actuels contrats de moyens
constituerait une " révolution culturelle ". Il a
estimé que l'inégalité de moyens était parfois une
condition de réalisation de l'égalité des chances.
M. Jean Picq
a considéré que la loi devait fixer les
objectifs, les collectivités locales étant libres des moyens de
mise en oeuvre.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est demandé si la
première étape pour un tel changement n'était pas la
transparence de la gestion des effectifs publics et des
rémunérations, afin de développer la mobilité.
M. Jean Picq
a indiqué que le centre devait avoir le souci,
vis-à-vis de Bruxelles, de ne pas se faire imposer les traditions
juridiques des autres Etats membres, de faire valoir l'égalité
des citoyens devant l'accès aux services publics, et il regretté
que le centre ne soit pas organisé pour le pilotage fin des politiques
publiques.
En conclusion, il a indiqué que la réforme de l'Etat
nécessitait une réflexion sur le " vivre ensemble ",
posait la question de la communauté et de la responsabilité
politique. Il a estimé que, dans une démocratie, les citoyens
étaient les porteurs de l'Etat, et il a regretté que les hommes
politiques ne soient pas davantage convaincus que la réforme de l'Etat
était la question politique essentielle de notre temps.
Audition de M. Jean-Pierre FOURCADE,
président du
comité des finances locales, sénateur des
Hauts-de-Seine
(8 mars 2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à
l'audition de
M. Jean-Pierre Fourcade, président du comité des finances
locales, sénateur des Hauts-de-Seine.
Après avoir rappelé que le comité des finances locales
(CFL), composé de représentants des diverses catégories de
collectivités territoriales, avait pour mission de surveiller et de
contrôler les flux de financement entre l'Etat et les
collectivités locales,
M. Jean-Pierre Fourcade
a
présenté quatre observations concernant l'évolution des
finances locales depuis le début des années 80. En premier lieu,
il a constaté l'insuffisance des sommes consacrées par l'Etat aux
dépenses transférées. Il a analysé trois
évolutions.
Tout d'abord, les sommes transférées au titre de la dotation
générale de décentralisation ou des autres dotations
spécifiques se sont avérées inférieures aux
besoins, concernant, notamment, les investissements sur les lycées ou
les collèges ou les dépenses d'aide sociale. Pour les
collèges, qui relèvent des départements, et les
lycées, qui relèvent des régions, il a estimé de 1
à 5 l'écart entre les dotations transférées et les
besoins réels constatés. S'agissant de l'aide sociale
transférée aux départements, il a relevé
qu'après une légère maîtrise de l'évolution
des dépenses de 1980 à 1990, la création du RMI avait
entraîné une augmentation sensible de la progression de la charge
transférée aux départements.
S'agissant toujours des transferts de compétences,
M. Jean-Pierre
Fourcade
a constaté, par ailleurs, que les recettes fiscales, qui
avaient été transférées par l'Etat aux
collectivités locales, notamment la vignette et la taxe sur les cartes
grises, avaient connu des évolutions satisfaisantes, qui avaient
contribué à l'amélioration du financement des
collectivités locales et compensé, ainsi partiellement,
l'insuffisance du montant des dotations transférées.
Toutefois,
M. Jean-Pierre Fourcade
a observé qu'à partir
de 1987, l'Etat avait refusé de financer des dépenses qu'il
prenait en charge auparavant, en matière de santé, de
construction de routes ou de travaux sur les bâtiments universitaires. Il
a noté, pour le regretter, que le principe du transfert de
dépenses sans recettes correspondantes s'était progressivement
généralisé.
Il a observé qu'actuellement, près des trois-quarts de
l'investissement public étaient assurés par les
collectivités locales, au lieu de 40 % avant la
décentralisation. Il a fait état aussi de l'augmentation des
dépenses de fonctionnement liées aux dépenses de
personnel, qui avaient été supérieures à celles des
recettes transférées. D'une manière
générale, il a observé que les collectivités
locales avaient dû recourir, plus fortement qu'auparavant, à leurs
ressources fiscales, ce qui expliquait que le taux de prélèvement
des collectivités locales sur le produit intérieur brut (PIB)
était passé de 4 % à 6 % en vingt ans, soit une
augmentation de 50 %.
En second lieu,
M. Jean-Pierre Fourcade
a souligné ensuite les
effets du passage de la notion simple de transfert de compétences
à celle, plus complexe, de " partenariat " entre l'Etat et les
collectivités territoriales.
Il a rappelé qu'à l'origine, la décentralisation, telle
qu'elle avait été envisagée par le Sénat et mise en
oeuvre sur le fondement de la loi du 2 mars 1982, reposait sur un concept
simple, celui du transfert par l'Etat de blocs de compétences, assorti
du transfert des ressources correspondantes. Il a relevé que l'Etat,
devenu impécunieux, avait développé de nouveaux
systèmes de partenariat.
Il a observé que, lorsque l'Etat engageait des programmes nouveaux en
demandant une participation des collectivités locales, beaucoup de ces
dernières prenaient d'elles-mêmes l'initiative de compléter
l'effort de l'Etat, comme le montraient les exemples du programme de
rénovation des instituts universitaires technologiques (IUT) ou le plan
" Universités 2000 ".
Il a remarqué que le passage d'un système de blocs de
compétences transférées à celui d'un système
de partenariat avait compliqué le paysage de la décentralisation
et rendu de surcroît plus lourdes les procédures de financement,
qui nécessitaient dorénavant l'accord de plusieurs partenaires
institutionnels.
En troisième lieu,
M. Jean-Pierre Fourcade
a observé que
l'Etat, depuis vingt ans, avait essayé de maîtriser la progression
des concours financiers aux collectivités locales. Il a
évoqué les différentes étapes qui avaient
consisté à supprimer le principe de l'indexation de la dotation
globale de fonctionnement (DGF) sur les recettes de la taxe sur la valeur
ajoutée (TVA), à réformer l'assiette de la taxe
professionnelle et à réduire les taux des droits d'enregistrement.
Il a observé que la part des recettes fiscales transférées
avait diminué au sein des ressources des collectivités locales au
profit des transferts provenant des dotations budgétaires de l'Etat.
Enfin,
M. Jean-Pierre Fourcade
a relevé le développement
de l'intercommunalité en observant que, compte tenu de
l'élargissement des responsabilités européennes, le
contribuable français présentait la singularité
d'être confronté à six niveaux de décision en
matière de prélèvement fiscal. Il a estimé que,
conjuguée à l'augmentation massive du prélèvement
social, cette situation expliquait que le taux de prélèvement
obligatoire sur l'économie française atteigne désormais
45,7 %.
Il a considéré que l'existence d'une fiscalité directe
locale était bien une condition nécessaire du principe de libre
administration des collectivités locales. Il a souligné que, dans
un Etat encore jacobin comme la France, il était fondamental et conforme
à notre culture que coexistent des recettes fiscales propres,
levées sous la responsabilité des collectivités locales,
et des transferts de l'Etat. Il a considéré que remettre en cause
l'autonomie fiscale locale reviendrait à opérer un mouvement de
recentralisation. Il a souligné toutefois que la réforme de la
taxe professionnelle, ainsi que les projets de réforme annoncés
de la taxe d'habitation, risquaient de faire basculer le système
français du principe de l'autonomie fiscale locale à celui d'un
système plus centralisé.
Evoquant l'hypothèse parfois émise d'un partage du produit des
grands impôts nationaux au profit des collectivités territoriales,
M. Jean-Pierre Fourcade
a estimé que cette solution serait
difficile à appliquer en raison de la culture administrative
française, peu favorable à un véritable dialogue
constructif, et de l'existence de près de 36.000 communes, 15.000
structures intercommunales et 100 départements qui rendraient
extrêmement complexes l'opération de localisation des impôts
d'Etat ainsi transférés. Il a souligné enfin que se
poseraient, en tout état de cause, des enjeux en matière de
critères de répartition des recettes ainsi
transférées, qui conduiraient inéluctablement à
instaurer un dispositif au moins aussi complexe que celui de l'actuelle DGF.
Concernant l'autonomie fiscale,
M. Jean-Pierre Fourcade
a estimé
que celle-ci était d'autant plus réelle que les
collectivités locales disposaient de ressources propres et bien
gérées.
Il a observé que, dans les villes de plus de 10.000 habitants, les
budgets étaient suffisamment significatifs pour permettre aux
décideurs locaux d'opérer de véritables choix
d'investissement et d'arbitrer, comme il incombe au responsable politique
élu, sur la répartition des charges entre les usagers des
services publics locaux et les contribuables locaux.
Il a relevé, de plus, que l'autonomie fiscale était d'autant plus
efficace que les collectivités locales maîtrisaient
l'évolution de leur endettement. Il a souligné à cet
égard que la France n'aurait pas rempli les critères
prévus par le traité de Maastricht pour la création de la
monnaie unique si les collectivités locales, contrairement à
l'Etat, n'avaient pas été capables d'assurer une gestion fine de
leur dette.
M. Jean-Pierre Fourcade
a considéré que la prise en charge
par l'Etat d'une part croissante de la fiscalité locale n'était
pas " une fatalité ", mais une tendance naturelle des
fonctionnaires du ministère de l'économie et des finances, qui
semblaient difficilement admettre les conséquences financières de
la pluralité des collectivités locales et
préféraient l'instauration de règles de répartition
uniformes sur le plan national à une adaptation locale des règles
nationales.
Il a jugé révélateur que l'Etat soit devenu " le
premier contributeur " local, qu'il ait pris en charge la moitié
des recettes de taxe professionnelle et qu'il se prépare à
intervenir pour une part plus grande du produit de la taxe d'habitation. Face
à cette tendance, il a estimé que la solution de facilité
serait de poursuivre ce mouvement de prise en charge par l'Etat de la
fiscalité locale, plutôt que de rénover et de créer
de nouveaux impôts locaux plus modernes.
D'une manière générale,
M. Jean-Pierre Fourcade
a
estimé qu'en matière de finances locales, s'était
opéré un mouvement de recentralisation, du fait, notamment, de la
récente réforme de la taxe professionnelle. Il a relevé
que la suppression de l'assiette salariale n'avait pas totalement
profité aux entreprises, du fait de divers correctifs renforcés
par le Gouvernement dans un souci d'économie concernant la cotisation de
péréquation, le seuil minimal de recouvrement de la taxe
professionnelle (TP) et la réduction du plafonnement en fonction de la
valeur ajoutée.
S'agissant de l'évolution du montant des concours financiers de l'Etat,
il ne s'est pas déclaré favorable à une indexation sur les
charges des collectivités locales. Il a rappelé que les concours
financiers de l'Etat, inscrits en dépenses budgétaires,
étaient financés par des impôts, dont le produit
dépendait de paramètres économiques. Il a
considéré que l'autonomie fiscale des collectivités
locales devait aller de pair avec une indexation des concours financiers de
l'Etat sur les recettes à franc constant de l'Etat. Il a souligné
que les collectivités locales ne pourraient pas demander à
être associées aux résultats de la croissance si elles
refusaient les diminutions de ressources dans les périodes de
conjoncture économique défavorable.
M. Jean-Pierre Fourcade
a considéré que la
" lisibilité " du système des concours financiers de
l'Etat serait difficile à atteindre sans un effort pédagogique
considérable. Il a estimé que l'exemple de la DGF montrait bien
la complexité d'un système de répartition itérative
malgré l'effort de clarification résultant de la réforme
réalisée sous l'impulsion de M. Daniel Hoeffel, par la loi du 31
décembre 1993.
Il a estimé que le dispositif serait amélioré, si le
comité des finances locales procédait à la
répartition de la DGF, en trois parts distinctes relatives
respectivement aux départements, aux communes et aux groupements de
communes, jugeant anormal que les dotations de péréquation
subissent actuellement le contrecoup du développement de
l'intercommunalité.
En matière de prévisibilité des concours de l'Etat,
M.
Jean-Pierre Fourcade
a estimé que celle-ci pourrait être
améliorée, si les collectivités locales étaient
informées plus précocement de l'évolution des bases des
impôts directs locaux et si les différents concours financiers de
l'Etat étaient indexés globalement sur le " pouvoir d'achat
des recettes fiscales de l'Etat ".
Interrogé sur la conciliation contre les principes de
péréquation et de décentralisation,
M. Jean-Pierre
Fourcade
a estimé que la DGF ne jouait plus aussi bien qu'avant son
rôle de péréquation, en raison de l'accumulation de
législations sédimentaires. Il a mis en avant trois principes
pour éviter que la péréquation ne remette en cause la
décentralisation. Il s'est prononcé tout d'abord contre le
principe d'une péréquation par un prélèvement sur
les recettes fiscales locales, en estimant que l'appréciation, par
l'administration, du degré de richesse d'une collectivité locale
était généralement contestable. Il a souligné, par
ailleurs, que l'accent mis sur les recettes fiscales revenait à ne pas
tenir compte de l'ensemble des ressources patrimoniales des communes qui
peuvent susciter des écarts de richesse importants.
De plus, il a émis des réserves sur les mécanismes de
péréquation automatique qui conduisent à ce que les
communes bénéficiaires pensent avoir un " droit
acquis " au maintien de leur dotation de péréquation,
quelles que soient les évolutions conjoncturelles dont elles
bénéficient.
Il a indiqué, enfin, que la péréquation devait être
opérée non seulement au titre de la DGF, mais aussi pour le
calcul des subventions attribuées, soit par l'Etat, soit par les
collectivités locales entre elles.
Enfin, il a souligné la nécessité d'apporter une
compensation, en cas de " sinistre " économique sur le
territoire d'une collectivité locale, du fait, notamment, de la
fermeture d'un établissement ou d'une entreprise, les dispositifs
actuels apparaissant insuffisants sur ce point.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a estimé que
l'intervention de M. Jean-Pierre Fourcade mettait opportunément l'accent
sur les conséquences négatives, au regard de la
décentralisation, de la suppression de la composante salariale de
l'assiette de la taxe professionnelle, sur la nécessité de
créer une véritable " assurance risque ", pour les
collectivités locales, en cas de mutation économique
défavorable, sur la difficulté de trouver un principe
légitime de localisation des recettes fiscales dans l'hypothèse
d'un partage des impôts nationaux et sur la disparité des
dépenses sociales entre catégories de collectivités
territoriales.
Audition de M. Alain GUENGANT,
professeur à
l'université de Rennes
(8 mars 2000)
Puis la
mission a procédé à l'audition de
M. Alain Guengant,
professeur à l'université de Rennes.
M. Alain Guengant
a mis en évidence les trois évolutions
financières suivantes depuis le début des années 80. Il a
tout d'abord constaté que les collectivités locales avaient su
s'adapter à l'évolution des taux d'intérêt et
éviter le risque de surendettement. Il a ajouté que
l'assainissement de la situation financière des collectivités
locales s'était également traduit par un faible dynamisme de
l'investissement local, notamment des investissements " de
développement ". En deuxième lieu, il a souligné que
la capacité de mobilisation des ressources des collectivités
locales restait forte. Il a expliqué ce phénomène par
l'augmentation de la pression fiscale locale, au rythme de progression
supérieur à celui du produit intérieur brut et des
concours financiers de l'Etat. Il a estimé que la prise en charge
croissante de la fiscalité locale par l'Etat s'analysait comme la
contrepartie de l'absence de réforme de l'assiette des impôts. En
troisième lieu, il a observé une mutualisation accrue des
ressources des collectivités locales, provoquée par
l'intervention croissante de l'Etat dans la fiscalité locale, ainsi que
par le développement de la solidarité intercommunale et de la
taxe professionnelle unique. Il a regretté l'absence d'évaluation
des effets de la péréquation résultant tant des concours
de l'Etat que des actions complémentaires menées en ce domaine
par les départements et les régions. Il a rappelé que le
mode de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF)
permettait de corriger 40 % des écarts de potentiel fiscal, mais
que ce taux n'avait pas augmenté depuis de nombreuses années.
Constatant l'essoufflement des mécanismes nationaux de
péréquation, il a insisté sur l'intérêt de
développer les dispositifs de péréquation " par le
bas ", au niveau local.
M. Alain Guengant
a considéré que l'existence d'une
fiscalité directe locale était une condition nécessaire du
principe de libre administration des collectivités locales et a
estimé qu'une décentralisation qui se limiterait à la
liberté de dépenser serait une décentralisation
" tronquée ". Observant que les usagers contribuaient
faiblement au financement des services publics locaux, il a estimé qu'il
était possible d'approfondir la décentralisation tarifaire.
M. Alain Guengant
a relevé des limites à l'autonomie
fiscale des collectivités locales. Il a rappelé que les
règles applicables aux collectivités locales étaient
décidées par le Parlement, que la loi encadrait leur
capacité à voter les taux des impôts locaux, que les
décisions des élus pouvaient être sanctionnées par
les électeurs et que la concurrence fiscale entre collectivités
limitait les marges de manoeuvre à la hausse.
Malgré ces limites,
M. Alain Guengant
a estimé que
l'autonomie fiscale des collectivités locales était réelle
et se manifestait par la croissance des taux, qui témoigne d'une marge
de modulation des budgets locaux, et par la différence entre les niveaux
de taux pratiqués d'une collectivité à l'autre, qui ne
s'expliquent pas seulement par les écarts de bases entre
collectivités.
M. Alain Guengant
a considéré que la prise en charge par
l'Etat d'une part croissante de la fiscalité locale n'était pas
une fatalité mais que, compte tenu de la nature des impôts directs
locaux, un tel scénario demeurait le plus probable. Il a ajouté
que les facteurs qui expliquent ce phénomène, notamment la
réticence de l'Etat à réviser les bases, ne semblaient pas
devoir disparaître.
Evoquant l'avenir de la taxe professionnelle, il a estimé que la
suppression de la fraction de son assiette reposant sur les salaires rendait
improbable l'évolution vers un impôt assis sur la valeur
ajoutée. Il a cependant constaté que, du fait, d'une part, de
l'augmentation de la cotisation minimale et de la cotisation de
péréquation et, d'autre part, du maintien du plafonnement en
fonction de la valeur ajoutée, la taxe professionnelle devenait
progressivement, au sein d'un tunnel de taux, un impôt calculé au
niveau national en fonction de la valeur ajoutée.
S'agissant de la taxe d'habitation,
M. Alain Guengant
a
considéré que cet impôt n'avait pas d'avenir si ses bases
n'étaient pas réformées. Il a jugé concevable une
évolution vers une assiette comparable à celle de la cotisation
sociale généralisée.
M. Alain Guengant
a insisté sur le fait que les taux de la taxe
foncière sur les propriétés bâties, dont un tiers du
produit est acquitté par les entreprises et deux tiers par les
ménages, augmentaient deux fois plus vite que les taux des autres
impôts directs locaux. Jugeant qu'une telle éventualité
constituerait une menace pour le maintien d'une fiscalité directe
locale, il a craint que le recours à cet impôt ne se heurte un
jour à l'absence de révision des bases.
M. Alain Guengant
a considéré qu'il était
légitime de parler de recentralisation en matière de finances
locales et a observé que, si les tendances actuelles se prolongeaient,
la fiscalité locale pourrait avoir totalement disparu en 2010.
Il a estimé qu'il était préférable, au niveau
national, de lier l'évolution des concours financiers aux
collectivités locales à l'évolution des recettes fiscales
de l'Etat, plutôt qu'à l'augmentation des charges des
collectivités locales, de manière à associer ces
dernières à l'effort de maîtrise des dépenses
publiques et au respect des engagements européens de la France.
S'agissant de la répartition des concours financiers entre les
collectivités locales, il s'est déclaré favorable à
la prise en compte d'indicateurs de charges, tout en insistant, d'une part, sur
la nécessité de ne pas assimiler les charges aux dépenses
et, d'autre part, sur la difficulté de distinguer entre les
dépenses qui constituent des charges et celles qui correspondent
à un service rendu. Il a souligné l'importance de cette
distinction en rappelant que les collectivités les plus riches
étaient également celles qui dépensaient le plus. Il a
ajouté que plusieurs pays européens avaient renoncé
à utiliser des indicateurs de charges en raison de la difficulté
à les élaborer.
M. Alain Guengant
a estimé que l'absence de lisibilité des
concours financiers de l'Etat aux collectivités reflétait la
diversité des situations rencontrées au plan local. Il a
indiqué que cette complexité résultait en partie de la
nécessité de combiner les impératifs de la compensation
avec ceux de la péréquation. Il a attribué l'absence de
prévisibilité de l'évolution des concours financiers de
l'Etat aux collectivités locales au mode d'indexation de ces concours,
qui dépend de l'évolution de variables macroéconomiques.
M. Alain Guengant
a considéré que la
péréquation était une nécessité pour
compléter la décentralisation et optimiser le bien-être
social. Il a estimé que la péréquation n'était
possible que si l'on concevait les différents territoires comme faisant
partie d'un ensemble plus vaste, la Nation, et que cette communauté
d'appartenance impliquait une solidarité entre les différentes
composantes.
Audition de M. Jacques CREYSSEL,
directeur
délégué du mouvement des entreprises de France
(MEDEF)
(8 mars 2000)
La
mission a ensuite entendu
M. Jacques Creyssel, directeur
délégué du mouvement des entreprises de France (MEDEF).
M. Jacques Creyssel
a indiqué qu'il n'était pas opposé
au principe de l'existence d'un lien fiscal entre les collectivités
locales et les entreprises, estimant toutefois que l'augmentation
incontrôlée du montant de la taxe professionnelle risquait de
remettre en cause ce principe.
Analysant les défauts de la taxe professionnelle, il a souligné
l'impact négatif qu'avait son application en amont de la production. Il
a observé que ses taux variaient d'une commune à l'autre,
créant de réelles inégalités. Il a remarqué
que l'évolution sur dix ans des bases de cette taxe, extrêmement
complexe, induisant une progression de la fiscalité supérieure
à celle de la valeur ajoutée des entreprises, était
difficilement supportable.
M. Jacques Creyssel
a noté que la progression des bases
fiscales avait incité les collectivités locales à
accroître leurs dépenses de fonctionnement de manière
anormale, et a estimé que, dans cette perspective, toute diminution des
bases se traduisait automatiquement par une progression des taux, afin que les
collectivités territoriales puissent maintenir le même niveau de
dépenses de personnel.
Dénonçant ce système,
M. Jacques Creyssel
a
estimé qu'il ne pouvait être réformé et devait
être supprimé. Il a proposé de remplacer le produit de la
taxe professionnelle par l'affectation d'une partie du produit d'un impôt
national, tel que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Cette solution
permettrait d'améliorer la prévisibilité des recettes
locales, le produit de la TVA dépendant directement de la croissance du
produit intérieur brut (PIB). Elle serait préférable
à la création d'un nouvel impôt, dans la mesure où
la pression fiscale française est déjà supérieure
de 450 milliards de francs à la moyenne européenne.
M. Jacques Creyssel
a noté que le montant du " versement
transport ", correspondant à la participation des entreprises au
financement des transports en commun, avait augmenté, au cours des dix
dernières années, de 170 % en francs courants, soit
60 % en francs constants, son produit s'élevant désormais
à 17 milliards de francs. Il s'est prononcé contre
l'extension, prévue par le projet de loi relatif à la
solidarité et au renouvellement urbains, de ce prélèvement
aux transports périurbains, qui engendrerait une nouvelle charge
fiscale, pour les entreprises, d'environ 500 millions de francs.
Analysant le régime fiscal de la taxe professionnelle unique (TPU),
M. Jacques Creyssel
s'est déclaré plutôt favorable
à ce régime, qui permet de réduire les disparités
de taux de taxe professionnelle. Il a cependant regretté que sa mise en
place se traduise par l'augmentation du taux de taxation moyen de la zone
considérée.
En ce qui concerne les zonages fiscaux,
M. Jacques Creyssel
a
estimé que leur efficacité était contestable et que ces
mécanismes étaient inutilement coûteux et complexes. Il a
rappelé qu'ils pouvaient de plus avoir des effets pervers. Il a
indiqué que ce genre de mesures fiscales était moins efficace
qu'une diminution de la pression fiscale globale.
M. Jacques Creyssel
a jugé que le vote de taux s'appliquant
à une même assiette par les communes, les structures
intercommunales, les départements et les régions n'était
pas pénalisant pour les entreprises mais soulevait le problème de
la spécialisation des impôts.
Il a indiqué que la politique fiscale locale, entraînant des
distorsions de concurrence, n'était pas optimale. Il a recommandé
l'abandon des différents systèmes d'aide et d'exonération
au profit d'un recentrage des collectivités locales sur des
investissements d'infrastructures, utiles aux entreprises.
Enfin, le directeur délégué du MEDEF a appelé de
ses voeux une réforme en profondeur de la fiscalité locale, dans
le cadre d'une refonte globale de la fiscalité nationale, afin de
réduire le nombre d'impôts et taxes existants.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a estimé que la
suppression des impôts locaux et la mise en place d'un système de
répartition du produit des impôts nationaux entre l'Etat et les
collectivités locales poseraient des problèmes de localisation de
la ressource, de définition de l'assiette et de fluctuations des
recettes. Il a souligné qu'il y aurait une contradiction à
souhaiter l'accroissement des investissements locaux sans s'assurer de la
pérennité de leur financement. Il s'est interrogé sur la
mise en place d'un dispositif qui permettrait de répondre à
certaines situations exceptionnelles, telles que la cessation d'activité
d'une entreprise sur le territoire d'une collectivité locale.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances
, a
souhaité souligner le lien existant entre la dépense et
l'impôt, et a estimé que le contribuable local appréhendait
mieux cette relation que le contribuable national.
M. Alain Lambert
a estimé qu'il serait paradoxal de faire
preuve de défiance à l'égard des collectivités
locales, alors même que ces dernières s'étaient
montrées plus responsables dans leur gestion que les autorités
nationales.
Il a également observé que l'augmentation des dépenses des
collectivités territoriales tenait essentiellement à
l'accroissement des revenus de la fonction publique territoriale, fixé
par l'Etat et non par les acteurs locaux. Il a rappelé que
l'investissement constituait le second poste de dépenses des
collectivités locales, notamment dans le domaine des infrastructures,
afin de pallier les carences de l'Etat.
M. Alain Lambert
a ensuite précisé que la mise en
oeuvre de la taxe professionnelle unique pouvait se traduire par une
augmentation du taux de cette taxe dans un grand nombre de communes, en raison
des écarts de taux qui se traduisaient par un taux moyen
élevé.
Il a conclu son propos en rappelant que la prise de conscience de la relation
existant entre la dépense et l'impôt était un enjeu de
démocratie, les élus devant être responsables de l'emploi
de l'impôt, et de citoyenneté, les citoyens devant consentir
à l'impôt en contrepartie des dépenses.
Répondant à
M. Alain Guengant,
M. Jean-Pierre
Fourcade
a indiqué que l'idée de remplacer la taxe
d'habitation par une fraction de contribution sociale
généralisée (CSG) semblait progresser. Il a
précisé que cet impôt possédant une assiette
très large serait plus adapté que l'impôt sur le revenu.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a précisé que si
la suppression des impôts locaux était compensée par un
partage entre les collectivités territoriales et l'Etat des impôts
nationaux, la pression fiscale n'en serait pas allégée, mais
simplement transférée du contribuable local au contribuable
national.
M. Jean-Pierre Fourcade
a remarqué que les entreprises qui
contestaient la création de nouveaux impôts, tels que la taxe
générale sur les activités polluantes, ou l'augmentation
des impôts existants, notamment de la taxe professionnelle, semblaient en
revanche s'accommoder de l'augmentation du coût des baux commerciaux.
M. Jean-Pierre Fourcade
a admis que la taxe professionnelle s'appliquant
en amont de toute production pouvait sembler injuste aux entreprises et
décourageait les investissements étrangers.
Il a estimé que si la taxe professionnelle était
supprimée, il semblerait équitable de compenser cette perte de
recettes par l'affectation d'une partie des impôts nationaux pesant sur
les sociétés plutôt que ceux pesant sur la consommation.
M. Jean-Pierre Fourcade
a indiqué que la création de la
taxe unique professionnelle aurait pu permettre de réformer en
profondeur la fiscalité locale si la " part salaires " de la
taxe professionnelle n'avait pas été supprimée. Il a
regretté que la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 sur
l'intercommunalité incite les collectivités territoriales
à se doter d'un impôt qui risquait de ne pas être
pérenne.
M. Jacques Creyssel
a souhaité que la réforme du
système de financement local ne se traduise pas par un simple transfert
de charges, mais par un réel allégement de la pression fiscale.
Par ailleurs, il a estimé que, si la taxe professionnelle devait
être supprimée, les collectivités locales auraient
intérêt à percevoir une partie du produit de la TVA,
impôt moins fluctuant que l'impôt sur les sociétés.
Il
a rappelé que la taxe professionnelle, représentant
2,5 % de la valeur ajoutée des entreprises, grevait les charges des
établissements et décourageait les investissements
étrangers. Il a ajouté que la trop forte progression de la taxe
professionnelle avait conduit les entreprises à souhaiter sa suppression.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a indiqué que la taxe
professionnelle pénalisait plus fortement certains secteurs
d'activité, atteignant 4 % de la valeur ajoutée des entreprises
du secteur industriel, et seulement 1,8 % dans le secteur tertiaire.
M. Alain Lambert
a observé que la progression de 3,4 % des
dépenses de fonctionnement des collectivités locales en 1999
recouvrait deux réalités distinctes : une augmentation de
6,6 % des dépenses de personnel, due essentiellement à des
décisions nationales, et une diminution de 4 % des autres postes de
dépenses. Il a estimé que l'augmentation de 7 % des
investissements locaux soulignait l'efficacité de gestion des ressources
locales. Il a jugé indispensable que les pouvoirs locaux puissent
maîtriser l'évolution de chacun de leurs postes de dépenses
afin de pouvoir en rendre compte aux citoyens.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a remarqué que l'impôt local
souffrait de n'être pas suffisamment associé au service rendu.
Il a souhaité atténuer l'opposition entre dépenses de
fonctionnement et dépenses d'investissement, rappelant que les
dépenses de fonctionnement permettaient de satisfaire les nouvelles
exigences des ménages et des entreprises.
Il a plaidé pour le renforcement de l'autonomie fiscale des
collectivités territoriales, gestionnaire plus rigoureux que l'Etat en
étant plus proche des citoyens.
M. Michel Mercier
a observé que le souhait du MEDEF de voir
supprimer les impôts locaux montrait qu'ils étaient moins bien
acceptés que les impôts nationaux. Après avoir
indiqué qu'il avait été plutôt favorable à
l'idée d'un partage des impôts nationaux, il a néanmoins
fait valoir que la suppression des impôts locaux et leur remplacement par
l'affectation d'un produit des impôts nationaux risquaient d'engendrer un
déficit public structurel. Il a expliqué que les
compétences nouvelles des collectivités territoriales, notamment
dans le domaine social, rendaient leurs dotations inélastiques à
la baisse.
Audition de M. Jean-Pierre
BALLIGAND,
vice-président de
l'Institut de la Décentralisation, député de
l'Aisne
(8 mars 2000)
Puis la
mission a entendu
M. Jean-Pierre Balligand, vice-président de
l'Institut de la Décentralisation, député de l'Aisne
.
M. Jean-Pierre Balligand, vice-président de l'Institut de la
Décentralisation, député de l'Aisne,
a
présenté trois observations liminaires. Tout d'abord, il a
observé que la réforme de la fiscalité locale ne pourrait
se faire " à territoire constant " en raison des
conséquences des réformes institutionnelles, résultant de
la loi sur le renforcement et la simplification de la coopération
intercommunale et des projets de réforme en cours concernant la Corse et
l'Outre-mer.
Il a souligné que, d'une manière générale, la
stabilité des bases des impôts directs locaux et l'augmentation de
la part des transferts financiers de l'Etat avaient conduit à une
restriction financière de l'autonomie locale.
Il s'est prononcé en faveur d'impôts locaux assis sur des flux
économiques et tenant compte des nouveaux territoires.
Il a estimé que, globalement, les finances locales connaissaient une
évolution saine malgré la tendance à une réduction
de leur autonomie financière. Il a considéré que sept
évolutions avaient marqué les finances locales depuis le
début des années 80 :
- la prise en charge de la fiscalité locale, par l'Etat, a
été multipliée par 10 en vingt ans ;
- l'intervention croissante de l'Etat a été la contrepartie
d'une absence de modernisation du calcul des bases des impôts directs
locaux ;
- de multiples tentatives de réformes de la fiscalité locale
ont avorté, notamment le projet de taxe départementale sur le
revenu en 1991 ;
- les règles du jeu en matière de finances locales sont
instables, le Gouvernement ayant pour habitude de modifier la
législation, lors de la discussion de chaque projet de loi de finances,
alors qu'existent, en Allemagne, des garanties constitutionnelles pour la
redistribution des ressources des collectivités locales ;
- l'accroissement des transferts de charges de l'Etat vers les
collectivités territoriales constitue une tendance lourde et
durable ;
- les " dépenses contraintes " augmentent, qu'il s'agisse
de dépenses d'investissement consécutives à l'application
de normes ou des dépenses de personnels liées à la
réglementation du travail, ou encore des financements croisés
dans le cadre des contrats de plan ;
- enfin, la mise en place de la monnaie unique a entraîné une
forme de " mutualisation des finances publiques ", sous le
contrôle de l'Etat, chargé de veiller à l'évolution
de l'ensemble des prélèvements financiers sur l'économie
nationale.
En ce qui concerne le lien entre la fiscalité directe locale et le
principe de libre administration,
M. Jean-Pierre Balligand
a
souligné qu'il ne fallait pas assimiler l'autonomie fiscale des
collectivités locales à leur marge de manoeuvre financière.
Il a rappelé que la réduction de l'autonomie fiscale
n'empêchait pas le maintien de marges de manoeuvre importantes pour les
collectivités locales, du fait de la croissance. Il a souligné
l'effet positif de l'augmentation des ressources liées aux droits
d'enregistrement, de la baisse des taux d'intérêt sur la gestion
de la dette locale et des économies résultant de la mise en
commun des moyens dans le cadre des structures intercommunales.
Il a rappelé, en revanche, que l'insécurité
financière et le poids des dépenses contraintes avaient
freiné le niveau de l'investissement public local de 1992 à 1996.
Il a estimé que les politiques de retouches ponctuelles de la
fiscalité locale avaient atteint leurs limites comme le montrait le
rôle croissant de l'Etat dans le financement de la taxe d'habitation et
de la taxe professionnelle.
S'interrogeant sur le point de savoir si l'autonomie fiscale était
réelle ou théorique,
M. Jean-Pierre Balligand
a
considéré que les termes d'" autonomie des recettes
locales " seraient plus appropriés que ceux d'autonomie fiscale
locale. Il a rappelé, à cet égard, que l'insertion des
collectivités locales sur les marchés financiers les avait
contraintes inéluctablement à des efforts de productivité.
Il s'est interrogé sur le desserrement du lien entre le contribuable
local et sa collectivité locale, tout en rappelant que le pouvoir fiscal
des collectivités locales n'était pas garanti par la Constitution
et que dans aucun pays européen, l'autonomie fiscale locale
n'était totale.
Evoquant les propositions de réformes,
M. Jean-Pierre Balligand
s'est prononcé en faveur d'une amélioration de la
lisibilité et de la prévisibilité des dotations de l'Etat
aux collectivités locales, en remarquant que l'Etat ne pouvait demander
aux collectivités locales de participer au financement des routes et des
universités, sans leur apporter en contrepartie des garanties sur
l'évolution de leurs ressources à long terme.
Il s'est prononcé en faveur d'une révision des systèmes de
péréquation, en estimant que celle-ci devait porter sur des
masses financières significatives et ne pas jouer seulement un
rôle correctif à la marge, comme c'est le cas actuellement.
M. Jean-Pierre Balligand
a estimé important de ne pas confondre
zonage et péréquation, en constatant, à regret, que
l'absence de péréquation régionale en Ile-de-France avait
des conséquences négatives en termes de versement des fonds de
péréquation européens pour les départements
défavorisés concernés.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président,
M. Jean-Pierre Balligand
a estimé qu'il appartenait à
l'Etat d'organiser les péréquations au niveau local.
Il a souhaité que soient améliorés les mécanismes
de redistribution dans les dispositifs de prise en charge par l'Etat d'une
fraction des impôts locaux.
Il a considéré que les critères de la distribution de la
DGF devraient être révisés, en introduisant " un
critère de bonne gestion " et en rendant cette dotation plus
incitative à l'investissement local.
Souhaitant une modernisation des impôts locaux,
M. Jean-Pierre
Balligand
a estimé possible de spécialiser les impôts
pour les régions, dont les compétences demeurent limitées.
En revanche, pour les " collectivités
généralistes ", il a estimé indispensable de
diversifier la nature des prélèvements pour garantir la
pérennité des financements face aux dépenses
incompressibles.
Il a ouvert enfin les pistes de réformes suivantes :
- la modernisation des bases ;
- la mise en place d'une " fiscalité mixte à
l'échelle communale " ;
- l'inclusion de La poste, de France-Télécom et du
" tiers-secteur " dans le champ des contributeurs locaux ;
- le remplacement de la taxe d'habitation par " une contribution
locale généralisée " ;
- la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation ;
- le partage, au profit des collectivités locales, d'impôts
" modernes et évolutifs ", tels que l'impôt sur les
sociétés (IS) ou la taxe intérieure sur les produits
pétroliers (TIPP) ;
- le renforcement du pouvoir fiscal, économique et politique des
nouvelles structures intercommunales, fondées sur une mutualisation des
compétences, des moyens et des risques, et l'organisation de
péréquations sur ces nouveaux territoires.
Audition de M. Philippe VALLETOUX,
membre du Directoire du
Crédit local de France-Dexia
(8 mars 2000)
Puis la
mission a procédé à
l'audition de
M. Philippe
Valletoux, membre du Directoire du Crédit local de France-Dexia.
Présentant les grandes évolutions des finances locales depuis le
début des années quatre-vingt,
M. Philippe Valletoux
a
tout d'abord remarqué que si les finances locales n'avaient jamais fait
l'objet d'une grande réforme, ni même d'une réflexion
globale d'ensemble, les changements intervenus presque chaque année
depuis vingt ans avaient entraîné au total une profonde
modification du " panorama ".
Il a estimé que la situation financière des collectivités
locales apparaissait contrastée : si elle est globalement
satisfaisante, l'analyse de chacune des composantes peut révéler
des problèmes.
Il a noté que l'Etat considérait les collectivités locales
comme des " acteurs financiers mineurs ".
Il a observé que la bonne santé financière des
collectivités locales dépendait d'un taux de
prélèvement fiscal relativement élevé, d'un niveau
très variable des investissements, parfois insuffisant par rapport aux
besoins, et de la constitution de réserves financières de
précaution.
M. Philippe Valletoux
a estimé que l'existence d'une
fiscalité directe locale était une condition nécessaire du
principe de libre administration des collectivités locales, mais qu'il
était très difficile en revanche de déterminer à
partir de quel degré d'intervention de l'Etat dans les finances locales
le principe de libre administration ne serait plus respecté.
Il a souligné que l'autonomie fiscale locale était réelle
en apparence, mais théorique dans les faits. Il a mis l'accent sur le
rôle de l'Etat en matière de recensement et de calcul de la
matière imposable, de fixation des règles de plafonnement et de
liaison des taux des taxes directes locales, enfin d'exécution des
tâches administratives de recouvrement et d'encaissement de l'impôt
local. Il a noté que l'Etat ne tenait pas de comptabilité
distincte de ses encaissements au titre des recettes locales.
Il a estimé que la prise en charge par l'Etat d'une part croissante des
impôts locaux n'était sans doute pas " une
fatalité ", tout en se demandant s'il n'était pas
" trop tard " pour revenir sur l'architecture actuelle de la
fiscalité locale. Il a souligné, à cet égard, que
la réforme de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle
avait des effets négatifs sur les mesures prises pour développer
la taxe professionnelle unique dans un cadre intercommunal.
M. Philippe Valletoux
a estimé qu'il n'y avait pas eu de
véritable décentralisation en matière de finances locales.
Il a néanmoins considéré que le terme de
" recentralisation " était pertinent, dans la mesure où
la fiscalité locale demeurait " fragile " face aux
décisions de l'Etat et où tout semblait décidé hors
l'intervention des élus locaux.
M. Philippe Valletoux
a estimé qu'il ne fallait pas lier
l'évolution du montant des concours financiers de l'Etat à celle
des charges des collectivités locales, en rappelant que le
problème posé était celui de la répartition de
l'argent public entre les différents niveaux de l'administration du
territoire national. Il a rappelé que se posaient les trois questions de
la définition de la masse à répartir, de la
répartition nationale du montant alloué entre les
différentes catégories de collectivités locales et des
modalités de répartition territoriale. Il a estimé que la
DGF pourrait être indexée sur l'évolution des recettes
définitives de l'Etat et que l'enveloppe nationale pourrait être
répartie entre les régions, niveau où elle ferait l'objet
d'un partage entre catégories de collectivités locales.
Concernant l'amélioration de la lisibilité et de la
prévisibilité des concours financiers de l'Etat, il a
considéré que, dans le cadre du Traité de Maastricht, ces
deux priorités devaient s'appliquer aux finances publiques prises dans
leur ensemble.
Il s'est interrogé, en outre, sur les conséquences de la
généralisation du principe des financements
contractualisés dans des domaines toujours plus variés.
En conclusion, il a souligné que la priorité devrait être
de sortir de la situation de défiance de l'Etat à l'égard
des collectivités locales.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné que la
modernisation de la décentralisation soulevait les questions de la
définition des blocs de compétences et de la mise en place d'une
péréquation accrue, par exemple au niveau régional.
M. Philippe Valletoux
a estimé qu'un débat pourrait
être ouvert sur deux principes prévus par la loi du 2 mars 1982.
Il s'est demandé si le principe d'absence de tutelle d'une
collectivité locale sur une autre n'était pas un dogme
peut-être irréaliste. Il s'est interrogé sur la pertinence
de la notion de " bloc de compétences " en constatant que,
dans la plupart des cas, les collectivités locales ne pouvaient plus
agir seules et devaient coordonner leurs efforts. Il a souligné
cependant que les contrats passés avec l'Etat étaient
" dangereux ", dans la mesure où le dialogue entre les parties
n'était pas égal.
M. Alain Guengant, professeur à l'université de Rennes,
a
rappelé qu'il n'existait pas d'évaluation globale des
résultats des mécanismes de péréquation. Il a
estimé que la péréquation devait rester
" multiforme " et s'effectuer à la fois par le haut, au niveau
de l'Etat, et par le bas entre collectivités territoriales. Il a
souligné la permanence du débat entre péréquation
et compensation, rappelant à cet égard que la DGF était
issue des dispositifs de compensation instaurés en contrepartie de la
suppression du versement représentatif de la taxe sur les salaires
(VRTS).
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a rappelé que les
collectivités locales, confrontées au défi de la
" fracture territoriale ", devaient faire face à l'aggravation
des dépenses liées aux politiques sociales à
l'égard des populations défavorisées. Il a
considéré que la réflexion sur la
péréquation des ressources devait être
complétée par une réflexion sur la correction des
inégalités générées par les besoins sociaux.
M. Alain Guengant, professeur à l'université de Rennes,
a
souligné que la notion de péréquation recouvrait bien la
redistribution en fonction des ressources et des charges et qu'elle visait, en
définitive, à assurer une meilleure adéquation entre
l'offre de services et l'effort fiscal pour chaque collectivité
territoriale. Il a estimé que la péréquation devait donc
intégrer une évaluation des charges géographiques,
sociologiques et économiques des collectivités territoriales. Il
a souligné que l'exercice était d'autant plus difficile que les
charges ne pouvaient pas être évaluées directement à
partir du niveau des dépenses, rappelant à cet égard que
les collectivités locales dont les dépenses sont les plus
élevées sont aussi celles qui disposent le plus de moyens. Il a
indiqué que la loi du 4 février 1995 d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire avait
prévu l'élaboration d'un indicateur synthétique de
ressources, pondéré par des charges, mais que ce projet n'avait
pas eu de suite. Il a souligné que les modalités de
répartition de la dotation de solidarité urbaine (DSU)
s'efforçaient de prendre en compte le niveau des charges, mais qu'il
était toujours difficile d'établir une méthodologie
commune pour près de 36.000 communes.
Audition de M. Christian SAUTTER,
ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie
(8 mars
2000)
La
mission a enfin procédé à l'
audition
de
M.
Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie.
M. Christian Sautter
a contesté que l'on puisse reprocher au
Gouvernement actuel, héritier du Gouvernement de Pierre Mauroy, de
vouloir procéder à une recentralisation en matière de
finances locales. Il a rappelé que les lois de décentralisation,
votées au début des années 80, n'avaient pas rallié
l'unanimité, mais qu'elles avaient permis d'affirmer le dynamisme des
collectivités locales en matière de solidarité et
d'équipements.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a
souligné que le Gouvernement avait " porté " deux lois
importantes pour l'affirmation des compétences des collectivités
locales, la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire et la loi du 12 juillet 1999
relative au renforcement et à la simplification de la coopération
intercommunale.
Il a estimé qu'il était temps de procéder à un
bilan de la décentralisation. Dans cette perspective, le Gouvernement a
confié à M. Pierre Mauroy la présidence d'une commission
qui sera amenée à faire des propositions pour rendre la
décentralisation plus légitime, efficace et solidaire.
Considérant que la France est le pays européen où
l'autonomie des collectivités locales est la plus affirmée,
M.
Christian Sautter
a qualifié d' " exceptionnel " le
système fiscal local français.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a
observé que la situation financière des collectivités
locales était bonne dans l'ensemble, comme en témoigne le fait
que leur épargne est supérieure à leurs investissements.
Il s'est félicité de la bonne gestion des collectivités
locales, qui permet leur désendettement, et a ajouté que les
collectivités locales constituaient un exemple pour l'Etat qui, pour sa
part, " en est encore à réduire le déficit ".
M. Christian Sautter
a rappelé que les relations
financières entre l'Etat et les collectivités locales
s'inscrivaient désormais dans un cadre pluriannuel concerté. Il a
indiqué que les concours de l'Etat aux collectivités locales
s'élevaient à 293 milliards de francs dans la loi de finances
pour 2000, en augmentation de 4 % par rapport à 1999. Il a
souligné que ce poste budgétaire était un de ceux qui
connaissaient la plus forte croissance.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie s'est
félicité de ce que le Gouvernement ait rompu avec l'ancien pacte
de stabilité, qui indexait les concours de l'Etat sur la seule
évolution des prix à la consommation, et l'ait remplacé
par le contrat de croissance et de solidarité qui prend en compte le
taux de croissance du produit intérieur brut, à hauteur de
20 % en 1999, 25 % en 2000 et 33 % en 2001. Il a indiqué
que si les règles du pacte de stabilité avaient été
appliquées au cours de ces trois années, cela se serait traduit
par une moins-value de 4 milliards de francs pour les collectivités
locales.
M. Christian Sautter
a rappelé que l'Etat était le premier
contribuable local. Il a insisté sur la complexité de la
fiscalité locale, qui n'est pas assise sur des flux, mais sur des
actifs. Il a jugé la taxe d'habitation particulièrement
compliquée et injuste en raison de son caractère
dégressif. Il a constaté que les dégrèvements
s'étaient multipliés au fil des années et que la loi de
finances pour 2000 avait permis aux anciens bénéficiaires du
revenu minimum d'insertion de continuer à en bénéficier
pendant la première année de leur retour à l'emploi, de
manière à permettre que la reprise d'une activité puisse
se traduire par une augmentation du niveau de vie. Il a souligné que le
montant de la prise en charge par l'Etat de la taxe d'habitation
s'élevait à 12 milliards de francs.
Rappelant que la part communale de taxe d'habitation constituait le coeur de
l'autonomie fiscale des collectivités locales, le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie a déclaré que
le Gouvernement avait engagé une réflexion visant à
procéder à des baisses d'impôt dès l'automne 2000,
si un excédent de recettes fiscales était constaté. Il a
ajouté que ces baisses, dont les modalités précises
figureraient dans la loi de finances rectificative pour 2000, devraient
être conçues dans le but de favoriser le retour à l'emploi
et de rendre l'impôt plus juste.
M. Christian Sautter
a estimé que la suppression de la
" part salaires " de la taxe professionnelle était une mesure
susceptible d'encourager les créations d'emplois et que son effet sur
les petites et moyennes entreprises était avéré. Il a
jugé qu'il n'y avait aucune raison de considérer cette
suppression comme le préalable à une suppression totale de la
taxe professionnelle. Il a qualifié de " judicieux " le mode
de compensation aux collectivités locales de la suppression de la
fraction de la taxe professionnelle assise sur les salaires.
Evoquant la fiscalité écologique,
M. Christian Sautter
a
indiqué qu'il était nécessaire d'agir pour respecter les
engagements pris par la France au sommet de Rio. Il a ajouté que
l'utilisation du produit de la fiscalité sur les activités
polluantes pour financer l'allégement du coût du travail
s'inspirait de la théorie du " double dividende ". Il a
souligné que la mise en place d'une fiscalité écologique
était constatée dans tous les pays de l'Union européenne
et qu'une directive sur ce sujet était en préparation.
S'agissant de la péréquation, le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie a insisté sur l'importance des relations
financières entre collectivités. Il a observé que le
Gouvernement avait fait un effort en faveur de la dotation de solidarité
urbaine et de la dotation de solidarité rurale, mais que la
péréquation pouvait encore être améliorée.
En conclusion,
M. Christian Sautter
a insisté sur le fait que
l'Etat et les collectivités locales devaient unir leurs forces dans la
bataille pour l'emploi et que l'Etat ne devait pas être le seul
interlocuteur des entreprises françaises ou étrangères. Il
a considéré que l'implantation en France de l'usine Toyota
constituait un bon exemple de collaboration entre l'Etat et les
collectivités locales.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a observé que l'Etat
sollicitait les collectivités locales dans des domaines qui
n'étaient pas prévus par les lois de décentralisation, les
efforts financiers consentis par les collectivités locales paraissant
justifier une revalorisation de l'indexation des concours financiers de l'Etat.
Il s'est demandé à partir de quel seuil la prise en charge par
l'Etat de la fiscalité locale était de nature à remettre
en cause l'autonomie des collectivités locales.
M. Christian Sautter
a souligné que le taux de croissance pour
1999, supérieur aux prévisions initiales, se traduirait
vraisemblablement par un recalage et une régularisation du montant de la
dotation globale de fonctionnement favorable aux collectivités locales.
Il a ajouté que le contrat de croissance et de solidarité durait
trois ans et qu'il était toujours bon de respecter les contrats. Il a
rappelé que la situation financière des collectivités
locales était meilleure que celle de l'Etat et que celui-ci devait
poursuivre son effort de maîtrise des dépenses publiques. Il a
pronostiqué un débat cordial, mais vigoureux, sur ce sujet
à l'occasion de la discussion de la loi de finances pour 2001. Il a
souligné que l'expérience montrait les efforts consentis en
faveur des dotations de solidarité pour atténuer les
conséquences de règles dont les effets peuvent parfois être
brutaux.
Evoquant l'autonomie fiscale des collectivités locales,
M. Christian
Sautter
a constaté que le Conseil constitutionnel n'avait pas
jugé qu'un seuil avait été franchi lorsque la part de
l'assiette de la taxe professionnelle reposant sur les salaires avait
été supprimée. Il a considéré que la France
devait conserver sa superposition de niveaux de collectivités, unique en
Europe, et que cette richesse institutionnelle coûteuse faisait partie de
la tradition nationale.
M. Michel Mercier, rapporteur
, a observé que personne ne
défendait les défauts de la taxe d'habitation, mais que les
élus locaux étaient attachés à la
" proximité fiscale " entre les communes et les citoyens. Il a
ajouté que la taxe d'habitation comportait également une part
régionale et une part départementale, dont le produit
s'établit respectivement à 5 milliards de francs et à
20 milliards de francs, qu'il serait envisageable de réformer.
Le rapporteur a affirmé que les élus craignaient la
déresponsabilisation et préconisaient un lien entre
l'activité économique et les ressources des collectivités
locales en matière de fiscalité locale. Par conséquent, il
a considéré qu'il ne fallait pas appliquer à la
compensation de l'éventuelle suppression des parts départementale
et régionale de taxe d'habitation le dispositif mis en place lors de la
réforme de la taxe professionnelle. Il a préconisé de
compenser cette éventuelle suppression par le transfert d'un autre
impôt ou d'une part d'un impôt existant, qui devrait avoir une base
facilement localisable. Il a ajouté que seuls les impôts assis sur
les revenus remplissaient aujourd'hui cette condition.
M. Jean-Claude Peyronnet
s'est déclaré inquiet pour
l'avenir de l'autonomie des collectivités locales. Il a invité le
Gouvernement à la prudence en ce domaine, rappelant que le Conseil
constitutionnel avait déjà indiqué, sans le
définir, qu'il existait un seuil de prise en charge des impôts
locaux par l'Etat au-delà duquel serait remis en cause le principe de
libre administration des collectivités locales.
Il s'est demandé pourquoi le Gouvernement choisissait toujours de
diminuer les impôts locaux plutôt que les impôts d'Etat, et a
précisé que, de son point de vue, les dispositions en
matière de fiscalité locale intervenues depuis deux ans ne
constituaient pas une véritable réforme de la fiscalité,
mais des suppressions avec compensation.
M. Jacques Oudin
a souligné que les collectivités locales
étaient confrontées à des défis lourds en
matière environnementale et qu'il aurait été plus logique
d'affecter au financement de ces dépenses le produit de la
fiscalité sur les activités polluantes. Il s'est indigné
que le comité interministériel d'aménagement du territoire
(CIAT) tenu à Nantes n'ait pas attribué de crédits
à l'île de Noirmoutier, victime de la marée noire.
Il a regretté que les collectivités locales doivent subir des
observations désagréables des chambres régionales des
comptes lorsqu'elles augmentent leur fiscalité, alors que les hausses
d'impôts sont souvent dues à la diminution des concours financiers
de l'Etat. Il a qualifié de " bouteille à l'encre " le
projet de révision des valeurs locatives.
M. Christian Sautter
a expliqué que si la taxe d'habitation
devait être réduite dans des proportions importantes, il
conviendrait de le faire avec prudence et après un dialogue approfondi,
de manière à déterminer la ressource de remplacement la
plus appropriée sans porter atteinte à l'autonomie des
collectivités locales.
Il a considéré que l'augmentation de 9 % des investissements
en 2000 allait se traduire par une augmentation du produit de la taxe
professionnelle et une association des collectivités locales aux fruits
de la croissance.
Il a expliqué qu'il était difficile de remplacer la taxe
d'habitation par une ressource calculée à partir du revenu, car
la répartition des bases actuelles de la taxe d'habitation ne
reflétait pas la répartition du revenu. A titre d'exemple, il a
indiqué que, à Paris, une taxe d'habitation assise sur le revenu
entraînerait une augmentation de 358 % de son produit tandis que la
même opération en Guadeloupe se traduirait par une diminution de
62 %.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président
,
M. Christian Sautter
a indiqué que la révision des
bases pallierait sans doute en partie cet inconvénient. Il a
rappelé que le ministère des finances avait mené un
travail important pour mettre en oeuvre la révision des bases, mais
qu'il avait cru comprendre que, malgré la position favorable de
l'Association des maires de France, les élus avaient
préféré attendre.
Répondant à
M. Jean-Claude Peyronnet
, il a indiqué
que le Gouvernement envisageait de réduire la taxe d'habitation
plutôt que l'impôt sur le revenu, de manière à
alléger la pression fiscale sur les ménages qui paient la taxe
d'habitation mais ne sont pas redevables de l'impôt sur le revenu.
En réponse à
M. Jacques Oudin
, il a concédé
que l'idée selon laquelle le produit de la fiscalité
écologique aurait dû être consacré au financement de
dépenses d'amélioration de l'environnement relevait d'une logique
compréhensible, mais que le Gouvernement avait fait un autre choix. Il a
ajouté que la superposition des normes n'était pas acceptable et
qu'il comptait évoquer ce sujet lors de son audition par la commission
présidée par Pierre Mauroy. Il a rappelé que le ministre
de l'intérieur avait déjà ouvert ce chantier.
M. Christian Sautter
a reconnu que le succès de
l'intercommunalité entraînait des dépenses
supplémentaires, mais a rappelé que le déficit de l'Etat
s'élevait encore à 206 milliards de francs, tandis que les
collectivités locales dégageaient, pour leur part, un
excédent budgétaire. Il s'est étonné que le CIAT de
Nantes n'ait pas retenu de disposition en faveur de l'île de Noirmoutier.
M. Jean-Claude Peyronnet
a constaté que le mode de calcul de la
compensation des suppressions d'impôts locaux constituait une prime aux
mauvais gestionnaires, puisqu'il figeait les taux à leur niveau de
l'année précédant la suppression, favorisant ainsi les
collectivités qui pratiquaient des taux élevés.
Audition de M. Pierre STEINMETZ,
directeur
général de la gendarmerie nationale
(14 mars
2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a procédé à
l'audition de
M. Pierre
Steinmetz, directeur général de la gendarmerie nationale.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souhaité savoir quelle
répartition des compétences entre Etat et collectivités
locales était la mieux à même d'assurer l'efficience de la
politique de sécurité publique. Il a soulevé en
particulier la question du financement des casernes de gendarmerie par les
collectivités locales.
M. Pierre Steinmetz, directeur général de la gendarmerie
nationale,
a fait part des conclusions du colloque de Villepinte tendant
à placer la sécurité parmi les domaines de
responsabilité partagée entre Etat et collectivités
territoriales, et à affirmer la nécessité tant de
s'attaquer aux causes de la délinquance que de sanctionner les troubles
à l'ordre public.
S'agissant des contrats locaux de sécurité,
M. Pierre
Steinmetz
a indiqué qu'ils ne constituaient pas une innovation mais
s'inscrivaient dans la continuité des conseils communaux et
départementaux de prévention de la délinquance. Il a
estimé que ces instances de concertation permettaient une
efficacité réelle, à condition d'obtenir l'implication des
autorités compétentes et l'établissement de relations de
confiance, en particulier entre policiers et travailleurs sociaux, afin de
faire circuler l'information et de renforcer l'efficacité de la
prévention et de la répression.
Il a indiqué que la gendarmerie prenait part au tiers des contrats
locaux de sécurité, pour un tiers dans les zones où la
gendarmerie était seule intéressée, et pour les deux tiers
dans les zones partagées avec la police nationale, en particulier en
milieu suburbain.
Après avoir estimé que les caractéristiques propres de la
gendarmerie, interministérielle et horizontale, favorisaient sa
participation aux contrats locaux de sécurité,
M. Pierre
Steinmetz
a mis en garde contre le risque de confusion des rôles et
des responsabilités.
Concernant l'articulation entre police et gendarmerie sur le territoire, il a
indiqué que le rapport de MM. Hyest et Carraz s'était
révélé plus difficile à mettre en oeuvre que
prévu, seules trois communes ayant donné lieu à un
transfert effectif de compétences. Les transferts de personnels à
l'intérieur des zones de gendarmerie ont été plus
aisés à appliquer en privilégiant l'arrivée de
gendarmes adjoints dans les brigades les moins chargées et l'affectation
prioritaire de militaires professionnels dans les brigades les plus difficiles.
M. Pierre Steinmetz
s'est félicité des résultats du
conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, tendant à recruter
1500 sous-officiers supplémentaires, en complément du mouvement
de recrutement de gendarmes adjoints et de personnels civils. Il a
indiqué que ces recrutements, à raison de 500 par an,
permettraient de renforcer les centres opérationnels de gendarmerie
(COG) et de créer des pelotons spéciaux d'intervention (PSIG).
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souhaité savoir si
l'Etat devait continuer à utiliser le patrimoine des
collectivités locales pour loger les gendarmes.
M. Pierre Steinmetz
a noté que trois solutions s'offraient
à l'Etat. La première est de loger les gendarmes en utilisant
exclusivement le patrimoine de l'Etat, avec pour inconvénients de figer
la répartition des effectifs sur le territoire et de nécessiter
des investissements très importants à court terme. La
deuxième solution consiste à faire financer par les
collectivités locales les constructions de casernes, la subvention
versée par l'Etat sous forme de loyer variant selon la taille de la
commune, ce qui permet un effort de construction important avec un
investissement initial minime pour l'Etat, mais présente des
inconvénients à long terme : l'Etat doit verser des loyers
sur une durée indéterminée et ne se constitue pas de
patrimoine. La dernière solution, consistant à loger les
gendarmes dans le secteur privé, favorise la mobilité et
évite tout investissement, avec cependant le risque de dispersion des
gendarmes et des inconvénients majeurs pour le patrimoine de l'Etat.
M. Pierre Steinmetz
a noté que le logement en caserne
semblait moins bien accepté qu'auparavant par les gendarmes et leurs
familles.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a regretté que l'Etat
demande aux collectivités locales d'importants efforts d'investissement,
sans garantir pour autant la pérennité de l'implantation des
brigades de gendarmerie. Il s'est demandé si l'efficience des politiques
publiques de sécurité, la proximité du service et la
rapidité des interventions, passaient par une meilleure coordination des
acteurs locaux, ou par une " municipalisation " des services de
sécurité.
Il
s'est également interrogé sur les liens à
établir entre un service de sécurité de proximité
et les instances judiciaires, les citoyens ayant trop souvent l'impression que
les plaintes déposées auprès des autorités de
police n'étaient pas suivies d'une réponse appropriée et
rapide de la part de la justice.
M. Hubert Haenel
a estimé que la présence des services
publics sur le territoire nécessitait une révision de la carte
judiciaire, dont devait tenir compte le découpage territorial de la
gendarmerie. Il a rappelé que les avantages d'un logement en caserne
pour utilité absolue de service étaient liés à la
disponibilité exigée des gendarmes.
" L'intermunicipalisation " de la gendarmerie lui a semblé
dangereuse, celle-ci devant rester une force d'Etat, interministérielle,
afin de remplir ses fonctions de maintien de l'ordre public, de surveillance du
territoire et de police judiciaire. Il a estimé que la gendarmerie, bras
séculier du préfet mais aussi instrument de la justice, ne
pouvait être comparée à la police nationale. Il a
ajouté que la gendarmerie était à la fois la seule force
en France capable d'être mobilisée sur l'ensemble du territoire,
en cas de crise, voire de belligérance, et une force de proximité
apportant une réponse rapide aux faits de délinquance. Il a
considéré que l'exercice de la fonction de police judiciaire par
la gendarmerie contribuait à garantir l'indépendance des
magistrats.
M. Hubert Haenel
s'est félicité du renforcement des
centres opérationnels de la gendarmerie et des pelotons spéciaux
d'intervention. Il s'est interrogé sur la répartition entre
gendarmerie et police nationale, opposant l'habitude d'obéir propre aux
militaires à la syndicalisation de la police nationale. S'agissant du
logement des gendarmes, il a estimé que l'Etat n'était pas en
mesure de faire face seul à tous les besoins d'investissement.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a émis des
réserves concernant la présentation comptable des investissements
patrimoniaux des collectivités publiques et l'absence d'actif
patrimonial de l'Etat.
M. Pierre Steinmetz
a fait part des importants mouvements de population
prévus à l'échéance 2025, cinq millions d'habitants
supplémentaires devant s'installer en zone de gendarmerie. Il a
ajouté que la question de la dimension de la gendarmerie devrait
être traitée lors de la prochaine loi de programmation militaire.
M. Louis de Broissia
s'est interrogé sur les conséquences
des récentes lois relatives à l'intercommunalité et
à l'aménagement du territoire sur la répartition entre
police et gendarmerie. Il a demandé si le regroupement des zones de
défense n'allait pas menacer directement l'emploi dans la gendarmerie.
Tout en soulignant qu'aucune décision n'était
arrêtée à ce jour,
M. Pierre Steinmetz
a
estimé que la réduction de neuf à sept zones de
défense nécessiterait la redéfinition des circonscriptions
de gendarmerie.
M. Hubert Haenel
a redouté que le développement de
l'intercommunalité ne conduise à remplacer les gendarmes par des
policiers dans les zones suburbaines, au détriment d'un traitement
efficace d'une délinquance de plus en plus liée aux transhumances
journalières ou saisonnières.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a souligné que la gendarmerie
devrait être présente non seulement à la
périphérie des communautés urbaines, mais aussi en leur
centre pour lutter efficacement contre la délinquance.
Audition de M. Patrice BERGOUGNOUX,
directeur
général de la police nationale
(21 mars
2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission a tout d'abord procédé à
l'audition de
M. Patrice Bergougnoux, directeur général de la police
nationale.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souhaité faire le point
sur la mise en place de la police de proximité, le redéploiement
des personnels et le statut des polices municipales, au regard de la contrainte
d'une efficacité accrue de l'action publique.
M. Patrice Bergougnoux
a rappelé que les principes de la police
de proximité avaient été définis par le ministre de
l'intérieur, lors du colloque de Villepinte en octobre 1997. Il a
précisé que celle-ci avait été mise en oeuvre,
à partir d'avril 1999, dans une première phase, à la
préfecture de police de Paris et sur cinq sites pilotes.
Il a souligné que cette expérimentation avait été
étendue à 62 autres sites à l'automne 1999. Au total,
l'expérimentation concerne 2 millions d'habitants dans
37 départements, hors Paris.
Il a indiqué que les évaluations, qui avaient été
confiées à l'inspection générale de
l'administration (IGA) et à l'inspection générale de la
police nationale (IGPN), montraient, de façon concordante, que la mise
en oeuvre de la police de proximité ne suscitait pas de blocage
administratif, mais qu'en revanche des efforts devaient être
engagés en matière d'information et de communication
auprès des personnels de police. Aussi, un vaste plan de communication
a-t-il été mis en place avec l'approbation du ministre,
constitué de réunions d'information au niveau
inter-régional, départemental et de chaque circonscription de
police. L'objectif est que chaque fonctionnaire de police ait reçu
directement une information sur la police de proximité.
M. Patrice Bergougnoux
a estimé que la réforme
était bien accueillie par les agents, qui appréciaient
l'accroissement de leurs responsabilités sur le terrain, aussi bien en
matière de prévention que de répression. Il a
rappelé, à cet égard, que la police de proximité se
différenciait de l'îlotage qui se caractérisait
essentiellement par des actions préventives.
M. Patrice Bergougnoux
a souligné, en outre, que la mise en
oeuvre de la réforme de la police de proximité, constituant une
sorte de " révolution culturelle ", était
accompagnée d'un effort significatif en matière de
formation : le ministère de l'intérieur a adopté un
schéma directeur de la formation qui a conduit à remanier le
programme de formation du gardien de la paix ; 380 personnels,
actuellement en cours de formation, se consacreront à la formation
continue en matière de police de proximité ; des stages
d'intégration à la police de proximité ont
été mis en place, y compris pour les adjoints de
sécurité ; des stages plus spécifiques ont
été instaurés pour former à la pratique de la
médiation dans les quartiers sensibles et à la résolution
amiable des conflits.
Admettant que les résultats de la police de proximité
étaient difficilement quantifiables,
M. Patrice Bergougnoux
a
observé toutefois une stabilisation de l'évolution de la
délinquance à partir du deuxième semestre de 1999. Se
refusant à assimiler " causalité et
simultanéité ", il a relevé toutefois que cette
stabilisation correspondait à la phase de mise en oeuvre de la police de
proximité et il y a vu un signe encourageant pour poursuivre et
généraliser la réforme.
Il a indiqué que les Assises nationales de la police, qui se tiendraient
le 30 mars 2000 à Paris, ainsi que sur 6 sites
décentralisés, constitueraient un moment fort de communication et
d'évaluation. Un coup d'envoi sera donné à la
généralisation de la police de proximité qui concernera,
en juin 2000, 63 circonscriptions entières de police, soit 10 millions
d'habitants, en priorité dans les zones couvertes par un contrat local
de sécurité (CLS). Une deuxième phase devra être
lancée en octobre 2000, puis une troisième phase en juin 2001.
S'agissant des CLS,
M. Patrice Bergougnoux
a rappelé qu'ils
avaient été mis en place par une circulaire du 28 octobre 1997
qui posait les principes d'un nouveau partenariat entre les
collectivités locales et l'Etat, ce dernier demeurant responsable de la
sécurité tout en mobilisant les énergies locales et en
articulant son intervention avec les autres partenaires concernés.
Il s'est félicité de l'engagement des conseils
généraux, signataires de 55 CLS sur 330, dans les domaines de
l'insertion des jeunes délinquants, de la lutte contre la toxicomanie,
de l'aide aux parents en difficulté et de la sécurité dans
les transports en commun.
M. Patrice Bergougnoux
a estimé que les CLS donnaient des
résultats d'autant plus satisfaisants que le diagnostic initial en
matière de sécurité était pertinent, en admettant
que des améliorations avaient été apportées
à mesure que la procédure contractuelle s'était
développée.
Il a souligné que la police de proximité, aussi bien que les CLS,
procédaient d'une même logique, qui était d'organiser les
services de police selon le principe de territorialisation autour de
territoires bien identifiés. Il a estimé que la police nationale
ne devait pas être seulement réactive à
l'événement mais devenir aussi " pro-active ",
c'est-à-dire capable d'anticiper et de prévenir les
difficultés.
Concernant les redéploiements de personnels,
M. Patrice
Bergougnoux
a tout d'abord rappelé que la carte d'implantation des
forces de police datait d'une loi du 23 avril 1941, aujourd'hui largement
périmée du fait des changements démographiques et de
l'évolution de la délinquance. Il a indiqué que la loi du
21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la
sécurité avait actualisé le dispositif, en fixant à
20.000 habitants le seuil démographique de la présence de la
police nationale, au lieu de 10.000 habitants auparavant, et en permettant de
mieux tenir compte des particularités de certaines zones urbaines, ainsi
que des mouvements saisonniers de population.
Il a précisé que la mission parlementaire confiée à
MM. Roland Carraz et Jean-Jacques Hyest, suivie par une mission d'expertise
confiée à M. Guy Fougier, conseiller d'Etat, avait conduit le
Gouvernement à apprécier, au cas par cas, les opérations
de transfert de compétence territoriale de la police vers la
gendarmerie. Il a précisé que les redéploiements
effectués sur 6 sites avaient permis de transférer environ 200
policiers vers des zones urbaines sensibles (ZUS).
D'une manière générale, en matière de gestion de
personnels, il a indiqué que le Gouvernement faisait appel à
quatre types de " ressources ".
Il a rappelé tout d'abord que le conseil de sécurité
intérieure avait pris la décision de redéployer 3.600
policiers de zones ne connaissant pas de problèmes aigus de
sécurité, vers des zones " sensibles ", au rythme de
1.200 par an.
Par ailleurs, il a rappelé que, pour compenser le mouvement
d'accélération des départs à la retraite, le
ministre de l'intérieur avait obtenu le recrutement de 2.100 gardiens de
la paix pour 1999, puis pour 2000, auxquels il convenait d'ajouter un effort
exceptionnel de recrutement de 1.000 policiers supplémentaires en 1999.
M. Patrice Bergougnoux
a souligné que ces recrutements
exceptionnels permettaient de titulariser des fonctionnaires de qualité,
issus notamment des rangs des policiers auxiliaires. Il a précisé
que 7.100 nouveaux gardiens de la paix, actuellement en cours de formation,
dans les écoles de la police, rejoindraient le service actif le
1
er
janvier 2001.
M. Patrice Bergougnoux
a abordé ensuite les missions de
" fidélisation " des forces mobiles de sécurité
dans les départements très urbanisés : le principe
est de mettre des unités de compagnie républicaine de
sécurité (CRS) et de gardes mobiles à la disposition du
directeur départemental des services de police dans les
départements les plus sensibles. Il a souligné, toutefois, que
les forces mobiles de sécurité devaient demeurer en nombre
opérationnel, pour faire face aux tâches d'encadrement des
manifestations sur la voie publique.
Enfin,
M. Patrice Bergougnoux
a souligné que les personnels de
police étaient mieux utilisés du fait de
" l'externalisation " des tâches techniques et administratives
vers le secteur privé, dans les domaines, notamment, de la
réparation mécanique ou de la maintenance informatique.
Considérant néanmoins que trop de policiers étaient
affectés à des tâches administratives,
M. Patrice
Bergougnoux
a rappelé que la loi de finances pour 2000 avait
prévu le recrutement de 100 personnels administratifs
supplémentaires qui seraient affectés à la police
scientifique et technique.
Concernant les adjoints de sécurité (ADS),
M. Patrice
Bergougnoux
a rappelé que 14.072 postes avaient été
ouverts au 1
er
mars 2000, dont 1.280 en cours de formation. Au
total, 17.667 ADS ont été recrutés, près de 3.000
d'entre eux ayant trouvé des débouchés dans la police
nationale ou dans les métiers de la sécurité depuis la
signature de leur contrat. Il a précisé que la durée de
formation initiale, d'abord fixée à 6 semaines, avait
été portée à 8 semaines et
complétée par 2 semaines de service actif, les ADS étant
affectés dans les départements où ils ont
été recrutés.
Remarquant que les policiers auxiliaires n'avaient
bénéficié que d'un mois de formation,
M. Patrice
Bergougnoux
a souligné que les ADS s'intégraient bien dans
les rangs de la police nationale et que la population appréciait leur
présence sur le terrain. Il a rappelé qu'un encadrement de ces
personnels devait être assuré, leur mission consistant à
assister les policiers professionnels.
S'agissant des agents locaux de médiation sociale (ALMS),
M. Patrice
Bergougnoux
a rappelé que 8.200 agents avaient été mis
en place à la fin de 1999, dont 5.760 dans les départements
très sensibles. Il a indiqué que leurs employeurs étaient
soit des collectivités locales, soit des personnes morales
chargées d'une mission de service public, notamment dans le domaine des
transports.
Concernant la police municipale,
M. Patrice Bergougnoux
a tout d'abord
indiqué que la loi du 15 avril 1999 avait permis, après de
nombreuses tentatives, de fournir un cadre juridique clair aux activités
des policiers municipaux, de valoriser leurs tâches et d'améliorer
les instruments de coordination entre l'Etat et les services de police
municipale.
A propos de la publication des décrets d'application, il a
souligné que l'Etat n'était pas resté inactif et que 9
décrets ainsi que 6 arrêtés d'application avaient
été publiés au Journal officiel du 21 janvier 2000,
concernant le volet statutaire du dispositif. Il a annoncé la prochaine
parution des décrets relatifs aux conventions de coordination entre
l'Etat et les services municipaux de police, à l'armement des personnels
des services de police municipale et à leur intervention en
matière d'infraction au code de la route.
Il a indiqué que la mission des policiers municipaux serait
encadrée en matière de police routière et que l'armement
des policiers municipaux devrait être rendu possible au cas par cas. Il a
indiqué que l'Etat veillerait à la formation des policiers
municipaux aux techniques de la police de proximité.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a remercié M. Patrice
Bergougnoux pour cet exposé qui répondait largement aux
interrogations de la mission d'information.
Audition de M. Loïc
LE MASNE,
président
de la fédération nationale des sociétés
d'économie mixte,
accompagné de M. Maxime PETER,
directeur général
(21 mars 2000)
Puis, la
mission a procédé à l'audition de
M. Loïc Le
Masne, président de la fédération nationale des
sociétés d'économie mixte, accompagné de M. Maxime
Peter, Directeur général.
M. Loïc Le Masne
a rappelé que les sociétés
d'économie mixte (SEM) avaient été créées
par les lois de décentralisation dans le but d'offrir aux
collectivités locales un outil alliant les avantages du secteur
privé et ceux du secteur public. Il a souligné que le capital des
SEM devait être majoritairement public mais que les acteurs privés
ne pouvaient en détenir moins de 20 %.
Après avoir rappelé qu'il existait aujourd'hui 1.300 SEM en
France, employant 60.000 personnes pour un chiffre d'affaires de 70 milliards
de francs,
M. Loïc Le Masne
a considéré que
le secteur de l'économie mixte était en bonne santé, comme
en témoignent les quarante nouvelles adhésions
enregistrées par la fédération nationale des
sociétés d'économie mixte depuis décembre 1999.
Il a indiqué que le modèle français des
sociétés d'économie mixte était unique en Europe,
précisant que, dans les autres pays, la participation au capital des
acteurs publics et privés n'était pas strictement
délimitée. Il a signalé que, en Europe, les
sociétés de service public comparables aux SEM
représentaient un million de salariés pour un chiffre d'affaire
de 130 millions d'euro.
M. Loïc Le Masne
a indiqué que, depuis 1983, 45 textes
législatifs ou réglementaires avaient modifié le
régime juridique des sociétés d'économie mixte. Il
a insisté sur le fait que les SEM étaient aujourd'hui en
concurrence tant avec les organismes HLM qu'avec les deux grandes
sociétés privées de gestion de services publics. Il a
estimé que le régime actuel des SEM ne leur permettait pas de
lutter à armes égales avec ces concurrents. Il a notamment
regretté que les collectivités soient régulièrement
accusées de favoritisme lorsqu'elles travaillent avec des SEM
présidées par un élu issu de leur assemblée.
M. Loïc Le Masne
s'est inquiété des dispositions
relatives aux SEM figurant dans le projet de loi relatif à la
solidarité et au renouvellement urbains ainsi que dans le projet de loi
relatif aux interventions économiques des collectivités locales.
Il a estimé que ce dernier texte ne répondait pas aux aspirations
des SEM et s'est réjouit que plusieurs sénateurs aient
décidé de déposer une proposition de loi contenant de
dispositions véritablement adaptées aux besoins des SEM.
M. Loïc Le Masne
a considéré que, pour que les SEM
soient véritablement concurrentielles, les collectivités locales
devaient bénéficier de marges de manoeuvre plus grandes dans
l'exercice de leur rôle d'actionnaire. Il a rappelé que le conseil
d'administration de sa fédération était composé en
nombre égal de représentants des quatre grandes tendances
politiques. Il a considéré qu'il était indispensable de
restaurer l'image de marque des SEM, qui sont des sociétés
rentables et qui rémunèrent leurs actionnaires. Il a
précisé que les pertes enregistrées par les SEM dans le
secteur de l'immobilier avaient été très
inférieures aux pertes enregistrées par le secteur privé.
M. Loïc Le Masne
a estimé que les SEM étaient les
entreprises les plus contrôlées de France puisque, comme les
entreprises privées, elles étaient soumises au contrôle
d'un conseil d'administration, d'un commissaire aux comptes et de
l'administration fiscale mais que, du fait de leur actionnariat public, elles
relevaient également du contrôle de la légalité et
des chambres régionales des comptes. Il a ajouté que l'ensemble
des rémunérations versées par les SEM aux élus
devaient être approuvées par la collectivité actionnaire.
M. Loïc Le Masne
a déploré les difficultés
rencontrées par les SEM transfrontalières, et notamment le fait
que la participation à leur capital de collectivités locales
étrangères soit considérée comme une participation
privée. Il a constaté que cette situation rendait les
partenariats difficiles puisque les collectivités françaises
avaient toujours la majorité absolue.
Il a préconisé la mise en place d'un conseil supérieur de
l'économie mixte pour veiller à garantir la cohérence de
la législation applicable aux SEM.
Répondant à
M. Jean-Paul Delevoye, président
,
M.
Loïc Le Masne
a signalé qu'il existait, au sein de sa
fédération, un débat relatif aux modalités de
répartition du capital des SEM entre le secteur public et le secteur
privé.
Audition de M. Gérard MARCOU,
universitaire,
professeur à l'université de Paris I
(28 mars
2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission d'information a procédé à
l'audition de
M. Gérard Marcou
,
professeur à l'Université
de Paris I.
M. Gérard Marcou
a indiqué que la notion de
décentralisation recouvrait plusieurs sens : dans le cadre d'un
pays unitaire tel que la France, elle est perçue comme un mode
d'organisation des compétences tendant à garantir la
liberté des collectivités territoriales. Dans les Etats
fédéraux, elle décrit les rapports existant entre les
différents niveaux de collectivités publiques, sans
préjuger du degré d'autonomie des collectivités locales.
M. Gérard Marcou
a rappelé que la
décentralisation, correspondant à l'exercice de fonctions
administratives par des élus, devait être distinguée de la
notion, plus politique, d'autonomie.
Il a estimé que dans les Etats unitaires, tels que la France, les
Pays-Bas, la Suède ou la Pologne, les critères utilisés
pour évaluer le degré de décentralisation
caractérisaient la liberté dont les collectivités locales
jouissent dans l'exercice de leurs attributions. Il a observé
qu'étaient notamment appréciés le champ des
compétences des collectivités territoriales et l'étendue
du pouvoir d'appréciation discrétionnaire dans l'usage des moyens
dont elles disposent. Il a indiqué que la comparaison du volume des
dépenses de l'Etat avec celui des collectivités locales pouvait
être un indicateur du degré de décentralisation, mais il a
rappelé que ce ratio devait être interprété avec
prudence, afin de tenir compte des financements de compétences
liées et de l'affectation prédéterminée de certains
moyens financiers.
M. Gérard Marcou
a ensuite observé que le partage des
compétences entre l'Etat et les collectivités locales en Europe
s'organisait selon des principes communs. Il a ainsi rappelé que, dans
la plupart des pays européens, existait une disposition
équivalente à la clause générale de
compétence des communes. Il a constaté qu'au Royaume-Uni, une loi
introduisant ce principe devrait être adoptée en 2000. Il a
noté que la clause générale de compétence
s'appliquait également aux collectivités locales
intermédiaires, notamment en Allemagne.
M. Gérard Marcou
a indiqué que, dans la
majorité des pays européens, les collectivités
exerçaient des compétences administratives au nom de l'Etat. Il a
précisé que ces compétences étaient plus largement
étendues qu'en France mais qu'il ne s'agissait pas de compétences
propres aux collectivités territoriales et que le contrôle des
autorités nationales ou des états fédérés
était très étroit, notamment en Allemagne, en Autriche et
en Europe de l'Est.
M. Gérard Marcou
a estimé qu'il était plus
difficile d'établir des comparaisons européennes sur le
détail de la répartition des compétences entre l'Etat et
les collectivités locales, chaque domaine se caractérisant en
effet par un partage vertical des compétences propres à chaque
pays. Selon les pays, les collectivités locales peuvent se voir
attribuer des pouvoirs propres, des pouvoirs d'intervention ou une simple
compétence consultative, dans le même secteur d'action locale.
M. Gérard Marcou
a ensuite constaté que se dessinait
une tendance à la décentralisation en Europe, mais que des
mouvements de recentralisation pouvaient être observés et
coexistaient avec cette tendance.
Il a ainsi rappelé que l'Italie avait d'abord connu un fort mouvement de
centralisation dans les années soixante-dix avant de rétablir
à partir de 1992 une forte autonomie fiscale des différents
niveaux de collectivités locales. Il a ajouté que le Royaume-Uni
avait également connu des évolutions contradictoires ; le
fort mouvement de centralisation financière observé dans les
années quatre-vingt n'a pas été remis en cause, mais des
dispositions ont depuis été prises afin de renforcer
l'autorité politique des collectivités locales, notamment la
possibilité d'élire leur autorité exécutive au
suffrage universel.
M. Gérard Marcou
a noté que la mise en place d'une
forte décentralisation au Pays de Galles et l'institutionnalisation d'un
régime d'autonomie régionale en Ecosse étaient
l'expression d'une tendance commune à d'autres Etats, tels que l'Espagne
et la Belgique : la résurgence d'identités locales
fondées sur la culture, la langue ou l'appartenance à une
même ethnie. Il a cependant rappelé la spécificité
des réformes au Royaume-Uni, dans la mesure où les pouvoirs
dévolus à l'Ecosse et au Pays de Galles sont fondés sur la
souveraineté du parlement anglais.
M. Gérard Marcou
a estimé que l'organisation
territoriale des Etats européens privilégiait l'échelon
communal, jusqu'à assimiler certains niveaux intermédiaires
à la commune, notamment l'arrondissement en Allemagne et, dans une
certaine mesure, les communes provinciales créées en 1970 au
Danemark.
Il a indiqué que lorsque le niveau régional avait
été renforcé, les échelons communaux perdaient en
partie leur autonomie, selon des processus différents observés en
Espagne et en Flandre.
M. Gérard Marcou
a estimé que l'évolution
interne des Etats et la construction européenne n'entraîneraient
probablement pas la disparition de niveaux de collectivités locales,
mais pourraient favoriser le renforcement de certaines d'entre elles au
détriment d'autres.
M. Gérard Marcou
a observé que les communes et les
structures intercommunales pouvaient remplir le rôle de chef de file dans
la mise en oeuvre de l'action publique locale, tel que le prévoit la loi
n° 95-125 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement
et le développement du territoire. Il a indiqué que les villes
disposaient de moyens administratifs suffisamment importants pour assumer ce
rôle. Il a préconisé l'extension à d'autres domaines
de la procédure d'appel à responsabilité, prévue
par les lois de décentralisation en matière d'éducation
nationale, permettant aux communes qui en sont capables d'étendre leur
compétence aux collèges et lycées. Il a
considéré que cette disposition pourrait être
généralisée, notamment dans les zones de forte
urbanisation, les collectivités territoriales intermédiaires
gardant un rôle plus important dans les zones où les structures
communales sont plus faibles.
Il a appelé l'attention sur la constitution polonaise qui prévoit
que l'échelon communal reçoit toutes les compétences
décentralisées, sauf si la loi les attribue à d'autres
collectivités locales. Il a estimé que ce principe lui semblait
correspondre à la logique de la décentralisation, qui doit
privilégier la gestion de proximité, effective à
l'échelon communal.
M. Gérard Marcou
a ensuite défini les grands
critères qui doivent être respectés pour garantir la
gestion autonome des collectivités locales. Il a observé que
l'origine des ressources financières des collectivités locales
était déterminante, celles-ci devant disposer d'un pouvoir fiscal
significatif. Il a rappelé que la France avait été le pays
européen le plus favorable à l'autonomie financière des
collectivités locales, 46 % de leurs ressources provenant
d'impôts dont elles fixaient elles-mêmes le taux. Il a
estimé que les réformes de la taxe professionnelle et de la taxe
d'habitation portaient atteinte à la libre administration des
collectivités territoriales. Il a ajouté que la fiscalité
locale devait sans doute être modifiée et adaptée, mais pas
supprimée.
M. Gérard Marcou
a indiqué que l'Italie avait, pour
sa part, réintroduit un impôt régional sur les entreprises
dont la valeur ajoutée constituait l'assiette. Il s'est
déclaré favorable à ce type d'impôt,
intéressant les collectivités territoriales au
développement économique et les entreprises à leur
territoire d'implantation.
M. Gérard Marcou
a constaté que les modes de
relations des collectivités locales avec l'autorité centrale
avaient suivi dans toute l'Europe la même évolution, les
contrôles se bornant désormais au seul contrôle de
légalité sur les compétences propres des
collectivités locales. Il a souligné la juridictionnalisation
croissante de ce contrôle, semblant garantir plus sûrement la
liberté des acteurs locaux.
Il a également noté le développement de la
contractualisation des rapports entre collectivités publiques, indiquant
que le contrat permettrait la résolution de problèmes
transversaux, auxquels les collectivités territoriales sont plus
fréquemment confrontées.
M. Gérard Marcou
a constaté que la
décentralisation en France était nettement plus
développée que dans les autres pays européens, notamment
en matière d'urbanisme. Il a considéré que la France
pouvait dans certains domaines s'inspirer d'expériences
étrangères, telles que l'expérience italienne en
matière de fiscalité locale et les récentes
évolutions allemandes dans le domaine de la coopération
intercommunale. Le renforcement des structures intercommunales de Francfort et
de Stuttgart n'a pas dévitalisé les communes, qui peuvent
continuer à exercer certaines compétences auxquelles elles
restent attachées.
M. Gérard Marcou
a appelé
de ses voeux le développement de structures intercommunales
préservant l'existence des communes. Enfin il a indiqué que la
constitution polonaise était exemplaire en matière de
décentralisation.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souhaité savoir
si le régime des sociétés d'économie mixte devait
être assoupli, au regard des formules appliquées dans les autres
pays européens aux entreprises publiques locales.
M. Gérard Marcou
a rappelé que le service public
local était beaucoup plus développé dans d'autres pays
européens qu'en France, et a noté que la petite taille des
communes françaises constituait un obstacle à leur
développement économique. Il a remarqué que de nombreuses
formules coexistaient en Europe, telles que les structures intercommunales
belges associant collectivités locales et entreprises, ou les
sociétés de droit privé en Allemagne.
M. Daniel Hoeffel
a estimé que les expériences allemandes
de mise en place de structures intercommunales dont l'autorité
exécutive est élue au suffrage universel étaient
très intéressantes.
Il s'est demandé s'il était possible en France de mettre en place
des expérimentations tendant à favoriser la simplification
institutionnelle au niveau local.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souhaité savoir
si de telles expérimentations ne seraient pas inconstitutionnelles en
vertu du principe d'égalité des citoyens.
M. Gérard Marcou
a indiqué que la loi pouvait
autoriser, dans certaines limites, les collectivités locales à
diversifier l'organisation de leurs compétences, donnant en exemple la
loi sur l'intercommunalité qui donne aux communes membres le choix de
transférer ou non leurs compétences à la communauté
d'agglomérations. Il a estimé que les expérimentations ne
pouvaient être inconstitutionnelles dès lors qu'elles ne mettaient
pas en cause l'égalité devant la loi des citoyens et des
entreprises situées sur le territoire concerné.
Audition de MM. Alain BAUER et Xavier
RAUFER,
auteurs de
l'ouvrage " Violences et insécurités
urbaines "
(28 mars 2000)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition de
MM.
Alain Bauer et Xavier Raufer, auteurs de l'ouvrage " Violences et
insécurités urbaines ".
M. Alain Bauer
a estimé que l'action des collectivités
territoriales en matière de sécurité avait une
légitimité historique. Il a rappelé que les deux projets
de constitution de 1946 avaient prévu la
" remunicipalisation " de la police, et qu'en 1983 la
sécurité avait été le seul secteur ayant fait
l'objet d'une " recentralistaion ".
M. Alain Bauer
a estimé que les pouvoirs publics n'étaient
pas capables de mesurer l'insécurité urbaine, en raison de
l'absence d'indicateurs pertinents, qu'il s'agisse des insuffisances de
l'indicateur " état 4001 ", ou du système d'analyse
informatisée des violences urbaines (SAIVU). Il a estimé que
" l'état 4001 " était trop restrictif, ne mesurant que
les faits relevant d'une qualification pénale, uniquement les crimes et
délits, à l'exception des contraventions, et ne rendant compte
que des faits constatés et non des faits vécus.
M. Alain Bauer
a regretté que la première enquête
française de " victimation " ait eu lieu en 1999. Il a
noté qu'elle avait donné des résultats inattendus, 16,8
millions de faits étant subis par la population, alors que la police ne
recensait que 3,5 millions de crimes et délits. Relevant qu'un million
de plaintes déposées étaient consignées en main
courante et ne donnaient lieu à aucun enregistrement statistique, il a
déploré l'élimination de la plainte par la
procédure administrative. Il a estimé que le niveau de
délinquance en France était dans la norme des autres pays, mais
mal mesuré, la volonté politique d'avoir un indicateur
statistique fiable étant absente.
M. Alain Bauer
a
souhaité que des relevés statistiques indépendants
remplacent la statistique effectuée à l'échelon national
par le ministère de l'intérieur.
Il a indiqué que 1964 marquait le début de la progression forte
de la délinquance, et 1994 le regain des violences contre les personnes,
sources du sentiment d'insécurité.
M. Alain Bauer
a
noté le retour sur la voie publique de la délinquance, en raison
d'une " sanctuarisation " des biens. Il a ajouté que les
cibles prioritaires de la délinquance de voie publique étaient
les distributeurs de billets et les téléphones portables, que la
moitié des auteurs interpellés étaient des mineurs et que
les personnes interpellées représentaient moins de 10 % des
auteurs des faits délictueux.
Interrogé sur les contrats locaux de sécurité (CLS),
M.
Alain Bauer
a estimé que leur rôle n'était pas de
lutter contre la délinquance urbaine mais d'instaurer un dialogue et un
partenariat actifs entre instances administratives. Il a rappelé que les
contrats locaux de sécurité avaient été
inventés en Belgique dix ans auparavant et ne constituaient pas de
véritables contrats au sens juridique. Il a souligné leur
réussite dans l'amélioration des relations entre la police, les
collectivités territoriales et les sociétés de transports
urbains. Il a estimé que le tiers des contrats locaux de
sécurité étaient véritablement productifs,
déplorant l'échec dans la définition des
périmètres des CLS, seuls 15 % d'entre eux étant
intercommunaux et la plupart ne prenant pas en compte les bassins de
délinquance ou les bassins de transports.
S'agissant des diagnostics locaux de sécurité,
M. Alain
Bauer
a regretté que les collectivités locales se contentent
de " l'état 4001 " fourni par la police, que la direction de
la sécurité publique n'établisse pas de cartographie de la
délinquance et n'exploite pas suffisamment les statistiques, l'absence
de description des faits comptabilisés empêchant toute tentative
d'explication. Il a cité en exemple la méconnaissance du taux
d'absentéisme scolaire, pourtant directement corrélé
à la délinquance des mineurs.
M. Alain Bauer
a noté que les collectivités territoriales
qui ne respectaient pas de méthodologie scientifique n'avaient pas
réussi à établir de diagnostics utiles et qu'elles avaient
privilégié une logique quantitative consistant à signer le
plus de contrats possibles.
M. Alain Bauer
a relevé que la notion de " police de
proximité ", très souvent employée, était
rarement définie. Il a insisté sur l'impossibilité de
calquer des dispositifs existants dans des villes différentes, les
politiques de sécurité devant au contraire être
définies " sur mesure ".
M. Alain Bauer
a souhaité que le concept de " police de
proximité " s'accompagne d'une dimension territoriale pertinente,
qu'elle ne s'appuie ni sur un quartier ni sur une ville, mais sur une
agglomération, correspondant à un bassin de délinquance.
Il a mis en évidence le rôle du directeur départemental de
la sécurité publique, le préfet étant plus
spécifiquement chargé de l'ordre public. Il a indiqué que
l'agglomération, sans empiéter sur les prérogatives des
communes, devait assurer la coordination des actions menées, afin
d'éviter les phénomènes d'exportation de la
délinquance. Il a souhaité que les circonscriptions de police
suivent le découpage territorial des agglomérations. Il a
regretté que dans de trop nombreux cas seuls les cadres savaient
réellement ce qu'était la police de proximité, et non les
policiers de terrain.
M. Alain Bauer
a ensuite souligné la dimension sociale et
culturelle de la " police de proximité ". Il a insisté
sur l'importance de rémunérer les heures supplémentaires
effectuées, estimées à 350 millions de francs, sur la
crise historique liée aux départs en retraite et au fort taux de
départs anticipés. Il a souligné le risque
d'inégalité de traitement entre agents effectuant le même
métier dans les mêmes conditions, faisant référence
à la fidélisation des forces mobiles.
Concernant le redéploiement entre police et gendarmerie,
M. Alain
Bauer
a observé que Paris comptait un policier pour 100 habitants
alors que les zones périurbaines pouvaient en compter un pour 2000, les
violences urbaines ayant pourtant augmenté de 200 % dans ces zones
en un an. Il a estimé que le projet de redéploiement, mal
conçu, paraissait abandonné. Il a approuvé le recours aux
gendarmes adjoints afin d'affecter les gendarmes titulaires vers les zones
prioritaires, et souligné l'exigence de négociation avec les
collectivités territoriales, avant tout rééquilibrage
entre police et gendarmerie.
S'agissant de la répartition des effectifs policiers en fonction des
besoins,
M. Alain Bauer
a fait part des résultats de son
rapport, remis en 1999, regrettant l'exercice par la police nationale de
nombreuses missions indues, par exemple les tâches pénitentiaires
tenant au transfert, à la garde et à l'hospitalisation des
détenus. Il a souhaité la création d'une police
pénitentiaire, dépendant du ministère de
l'intérieur ou de celui de la justice. Il a de même
évoqué la possibilité de confier la garde statique des
institutions à des entreprises privées sous traitantes.
Interrogé sur les polices municipales,
M. Alain Bauer
a
noté la parution très récente des décrets
d'application relatifs à la convention avec l'Etat et à
l'armement. Il a approuvé la démarche législative tendant
à reconnaître les polices municipales, à fixer un cadre et
à affirmer le principe de complémentarité avec les forces
de l'Etat. Il a appelé l'attention sur la définition des
rôles respectifs de la police nationale et des polices municipales, lors
de la signature de la convention. Il a ajouté que l'armement des polices
municipales ne soulevait pas de problèmes sur le terrain mais
n'était pas toujours indispensable.
M. Xavier Raufer
a déploré la méconnaissance des
violences urbaines par les autorités chargées de les combattre,
mais aussi la volonté d'édulcorer la délinquance, alors
que celle-ci s'orientait de plus en plus vers une criminalité
avérée, voire la constitution de quartiers hors contrôle
dans les zones périurbaines. Il a regretté que le nombre de
consommateurs de stupéfiants soit totalement inconnu.
M. Xavier Raufer
a estimé que le tabou majeur en matière
de délinquance urbaine concernait l'origine des auteurs d'infractions.
Il a fait part d'une enquête des renseignements généraux
mettant en évidence que sur 3000 auteurs de violences urbaines, une
cinquantaine seulement avaient un patronyme " gaulois ". Il a
estimé impossible de traiter la délinquance sans disposer d'un
diagnostic précis. Enfin il a noté l'inadaptation de certaines
lois aux réalités du terrain, en particulier la loi sur les
animaux dangereux.
Audition de M. Marceau LONG,
président de
l'Institut de la gestion
déléguée,
vice-président honoraire du Conseil
d'Etat
(28 mars 2000)
La
mission a ensuite entendu
M. Marceau Long, président de l'Institut de
la gestion déléguée, vice-président honoraire du
Conseil d'Etat.
M. Marceau Long
a tenu à préciser, en préambule,
qu'il n'y avait pas de hiérarchie, selon lui, entre la gestion directe
et la gestion déléguée, et que le choix entre ces deux
modes devait se faire au cas par cas. Puis il a rappelé que deux
facteurs essentiels ont stimulé et multiplié les occasions
d'intervention des collectivités territoriales : tout d'abord avec
la décentralisation, une ère de liberté plus grande s'est
ouverte, car la tutelle a été abolie, les contrats-type ont
disparu et le contrôle ne s'est plus exercé qu'
a
posteriori
; ensuite, toujours sous l'effet des lois de
décentralisation, de nombreuses compétences ont été
transférées aux collectivités territoriales. De là
datent, selon lui, le développement des contrats et l'introduction du
marché d'études de travaux publics, qui se sont
révélés très utiles pour les écoles, les
collèges et les lycées.
M. Marceau Long
a reconnu que le dispositif législatif mis
en place en 1995 était particulièrement lourd, et que
l'application de la loi Sapin entraînait une procédure en 18
étapes (ou 16 étapes pour la " procédure
allégée "), ce qui expliquait que l'on recoure au
système des sociétés d'économie mixte pour
échapper à la loi Sapin.
M. Marceau Long
a rappelé qu'il n'existait toujours pas de
définition législative, ni de la délégation, ni de
la concession de service public. Toutefois, il a considéré que le
nouveau cadre législatif avait apporté plus de transparence
à un moment où le contexte local l'exigeait. D'autre part, ce
cadre législatif avait, à ses yeux, l'avantage de mettre la
France " à l'abri " des reproches de Bruxelles, même si
Bruxelles continuait à se méfier de la notion
d'intuitu
personae
.
M. Marceau Long
a précisé que le modèle
français suscitait des inquiétudes, car il était
très éloigné du modèle anglo-saxon et du
modèle germanique ou d'Europe centrale où, par exemple, l'eau,
l'électricité et les transports pouvaient faire l'objet d'un
contrat global au sein duquel il y avait péréquation ; mais
ce modèle était en perte de vitesse, car on exigeait maintenant
la vérité des prix.
Abordant le bilan de la loi Sapin,
M. Marceau Long
a
souligné que la jurisprudence avait fait son oeuvre en proposant une
définition de la délégation : pour qu'il y ait
délégation, il faut qu'une partie substantielle de l'exploitation
soit assurée par la rémunération du service, mais encore
convenait-il de s'entendre sur ce qu'il faut comprendre par
" substantielle " (15, 20 ou 25 %).
M. Marceau Long
a ensuite énuméré les nouveaux
secteurs où la gestion déléguée était
amenée à intervenir : loisirs, vacances, spectacles et
l'ensemble de " l'économie de la relation ". Il a
indiqué que ces nouveaux secteurs seraient le moteur de
l'activité locale et que l'Etat ne les disputerait jamais aux
collectivités territoriales. D'autre part, il a souligné que ces
secteurs feraient appel à des compétences externes et
pluralistes, et que la gestion déléguée serait mieux
adaptée. Mais il n'a pas caché que se poserait la question de
savoir qui paierait pour ces nouveaux services urbains : l'usager ou le
contribuable ?
Interrogé sur les autres domaines de l'activité publique qui
pourraient être donnés en gestion déléguée,
il a affirmé que l'Etat, sans pour autant aliéner la moindre
parcelle de souveraineté, pourrait " externaliser " beaucoup
plus, et que même quand il s'agit de fonctions régaliennes, l'Etat
pourrait confier à la gestion déléguée les locaux,
par exemple pour leur entretien et leur surveillance.
Enfin, il a souhaité une réforme de l'Etat, préalable
à tout renforcement de la décentralisation.
Audition de M. Hugues FELTESSE,
directeur
général de l'Union nationale interfédérale
des
oeuvres privées sanitaires et sociales
(UNIOPSS)
(29 mars 2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
M.
Jean-Paul Delevoye, président,
a accueilli
M. Hugues Feltesse,
directeur général
de
l'Union nationale
interfédérale des oeuvres privées sanitaires et
sociales
(UNIOPSS), accompagné par
M. Bruno Delaval, directeur
de
l'Union régionale interfédérale des oeuvres
privées sanitaires et sociales
(URIOPSS)
du
Nord-Pas-de-Calais
,
Mme Christine Chognot, directrice du
département institutions sociales et régulation de l'UNIOPSS,
et
M. Arnaud Vinsonneau, conseiller technique
.
Concernant le bilan de la décentralisation en matière sociale et
médico-sociale,
M. Hugues Feltesse
a rappelé que
l'approche des résultats devait être diversifiée en
fonction des départements et qu'il était difficile de
présenter un bilan global. Il a fait état, malgré certains
progrès, d'un déficit d'observation des besoins sociaux et des
moyens utilisés pour leur apporter une réponse. Il a
indiqué que l'UNIOPSS se dotait de moyens de mieux cerner les besoins
sociaux et d'inventorier les dispositifs existants, tout en indiquant que les
pouvoirs publics pourraient également faire un effort en ce domaine. Il
s'est félicité que certains départements se soient
dotés de schémas prévisionnels en matière sociale
et médico-sociale.
Mme Christine Chognot
a regretté que la population
concernée par les dispositifs sociaux et médico-sociaux soit
encore mal déterminée, en rappelant, par exemple, que si le
nombre de personnes âgées était bien connu, l'incertitude
était beaucoup plus grande en ce qui concerne le nombre de personnes
handicapées, s'agissant notamment de celles qui n'étaient pas
hébergées dans un établissement. Elle s'est
prononcée en faveur d'un dispositif " d'observation
partagée " entre l'Etat et le secteur local. Elle a souligné
la prééminence donnée aux discussions sur la fixation des
crédits par rapport à la connaissance des populations et de leurs
besoins, en regrettant que le débat public porte aujourd'hui sur les
moyens plutôt que sur les besoins.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président,
qui
s'interrogeait sur l'évaluation des politiques publiques,
Mme
Christine Chognot
a admis qu'en matière de traitement du handicap
social il existait un risque que les conséquences des politiques suivies
soient différentes des objectifs recherchés.
Interrogée par
M. Jean-Paul Delevoye, président
, sur le
rôle de l'Etat,
Mme Christine Chognot
a regretté que
les associations intervenant en matière sociale ne dialoguent pas avec
un " interlocuteur majeur ", ceci quelle que soit la population
concernée. Elle a précisé que l'Etat devait être
à la fois un acteur de la réponse aux besoins locaux et le
" garant des droits " des personnes à l'action sociale, qui ne
devaient pas nécessairement être uniformes sur tout le territoire.
M. Hugues Feltesse
a considéré que la démarche
sociale devait toujours se fonder sur l'examen de la situation des personnes
concernées elles-mêmes et que l'Etat devait leur garantir des
droits sociaux fondamentaux. Il a souligné qu'il était important
d'apprécier la situation des personnes en fonction de leurs
difficultés et de leur environnement, tout en se prononçant pour
la création de conférences régionales du territoire, qui
permettraient d'apporter une réponse globale en assurant un maillage de
tous les services publics.
Il a souhaité le maintien de l'esprit de la loi du 30 juin 1975 relative
aux institutions sociales et médico-sociales, qui faisait reposer le
dispositif sur les initiatives prises par les acteurs de terrain porteurs de
projets. Il a considéré qu'il était plus important de
mieux coordonner les interventions des différents intervenants
plutôt que de modifier l'organisation des pouvoirs publics, même
s'il a admis que, dans certains cas, une meilleure articulation des
compétences pourrait être recherchée.
M. Arnaud Vinsonneau
a fait référence à la notion
de collectivité locale " chef de file ", notamment dans les
domaines de l'action en faveur de la petite enfance et de la coordination
gérontologique.
Mme Christine Chognot
, évoquant la prochaine réforme de la
loi du 30 juin 1975, a souhaité que le rôle du Comité
national d'organisation sanitaire et sociale (CNOSS) et des Comités
régionaux d'organisation sanitaire et sociale (CROSS) ne soit pas
affaibli et qu'une coordination soit mieux assurée entre ces derniers et
les conférences régionales d'aménagement du territoire.
En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président,
Mme
Christine Chognot
a estimé que les établissements sociaux et
médico-sociaux devaient être ouverts en fonction des
" opportunités " sur le terrain, en insistant sur le fait que
l'aménagement du territoire devait intégrer une forme de
planification sociale.
Elle a estimé que les disparités constatées en
matière d'équipements sociaux et médico-sociaux ne
pouvaient pas seulement s'expliquer par des différences de besoins au
niveau local et elle a souligné l'importance d'un " dialogue
prospectif " sur les populations concernées et leurs besoins au
niveau local.
M. Bruno Delaval
a mis l'accent sur l'enchevêtrement des
compétences, ainsi que la nécessité d'une ouverture sur la
société civile en matière sociale et
médico-sociale. Il a souligné qu'il était important de
réfléchir sur l'adéquation des dispositifs sociaux et
médico-sociaux par rapport aux besoins des populations locales, en
prenant l'exemple de la sous-utilisation des stages de lutte contre
l'illettrisme ou des dépenses d'insertion du revenu minimum d'insertion
(RMI). Il a estimé que la décentralisation pouvait faciliter
cette adaptation des politiques d'action sociale.
S'agissant du rôle d'une autorité régulatrice, il a
estimé que la démarche contractuelle, illustrée par les
contrats de plan et les contrats de ville, permettait aux collectivités
locales et aux différentes parties prenantes de travailler en
réseau avec une certaine efficacité. En cas de tension sur le
terrain,
M. Bruno Delaval
a estimé que les débats
pouvaient être arbitrés de manière pertinente au niveau de
la région, par exemple au niveau des CROSS.
Mme Christine Chognot
a estimé que les CROSS pourraient jouer un
rôle plus important dans l'élaboration de schémas locaux
d'action en faveur de la petite enfance, tout en soulignant la
nécessité de poursuivre une concertation au niveau
régional dans des instances parallèles permettant de mobiliser
des compétences très variées.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président,
qui
se demandait s'il était raisonnable que chaque structure
compétente en matière d'action sociale dispose de ses propres
intervenants,
Mme Christine Chognot
a estimé possible que chaque
bénéficiaire de l'action sociale soit accompagné par un
conseiller référent individuel qui serait susceptible de faire
converger les différentes politiques sociales locales. A défaut,
elle s'est prononcée en faveur de la création d'une instance de
mise en cohérence des politiques sociales locales.
Elle a souligné qu'il fallait veiller à respecter les
spécificités de certains secteurs d'intervention sociale afin
d'éviter que la notion de collectivité locale " chef de
file " ne soit utopique. Elle a pris l'exemple de l'insertion des jeunes
en difficulté qui supposait non seulement de mobiliser l'Agence
nationale pour l'emploi (ANPE) ou les régions, mais également de
faciliter l'accès aux transports publics par exemple.
Elle a considéré important de mettre en place un réseau de
conseillers référents aptes à orienter la personne en
difficulté sociale vers le dispositif le plus pertinent. Elle a
souligné que le principe de libre choix de l'établissement par la
personne prise en charge supposait d'apporter des réponses en
matière d'amélioration de l'accès à l'information,
plutôt que par une organisation contraignante. Elle a mis en garde contre
la notion de " mise en réseau " appliquée de
manière systématique et obligatoire.
M. Hugues Feltesse
a souligné que l'accompagnement social ne
devait pas devenir une forme de " mise sous tutelle " des
bénéficiaires ou des acteurs de l'action sociale. Il a
rappelé que l'UNIOPSS avait demandé la création d'une
conférence régionale sur l'action sociale dans le cadre de la
réforme de la loi du 30 juin 1975, afin de permettre un croisement des
compétences pluridisciplinaires.
Enfin,
M. Arnaud Vinsonneau
a rappelé que l'UNIOPSS souhaitait
une clarification concernant la mise en oeuvre de l'amendement
" Creton " posant clairement le principe que chaque adulte
handicapé avait droit à une place dans un établissement
d'hébergement. Par ailleurs, l'UNIOPSS demande que les foyers à
double tarification (FDT) soient pourvus d'une base réglementaire
permettant de définir les obligations des départements. Enfin,
l'UNIOPSS souhaite que la prestation spécifique dépendance (PSD)
devienne une prestation de sécurité sociale à part
entière.
Audition de M. François MASSEY,
directeur
régional et départemental de la jeunesse et des
sports
(région Centre et département du
Loiret)
(29 mars 2000)
La
mission commune d'information a ensuite procédé à
l'audition de
M. François Massey, directeur
régional et départemental de la jeunesse et des sports
(région Centre et département du Loiret).
M. François Massey
a indiqué que le champ de l'action
sportive locale avait largement évolué depuis une vingtaine
d'années. Il a observé que la progression du temps libre et
l'évolution démographique entraînaient une certaine
diversification des pratiquants sportifs, qui comprennent désormais des
adultes et des personnes âgées. Il a rappelé qu'un effort
particulier avait permis d'ouvrir la pratique sportive aux personnes
handicapées et aux femmes. De même, la pratique des sports de
loisirs s'est largement développée. Enfin, de nouveaux acteurs
privés ont investi le champ de l'action sportive, entraînant une
certaine mercantilisation du sport.
M. François Massey
a observé que les lois de
décentralisation n'avaient pas permis de clarifier la répartition
des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales,
et entre les différentes catégories de collectivités, dans
le domaine du sport. Il a précisé que les communes avaient
poursuivi et intensifié leurs actions sportives, devenant les premiers
acteurs de l'organisation sportive. Il a indiqué que les
départements avaient tenté depuis 1982 de rationaliser leur
politique sportive, sans parvenir toutefois à l'inscrire dans une
perspective de coordination avec les autres politiques sportives locales. Les
régions, enfin, ont bénéficié de réels
transferts de compétence dans le secteur sportif, en matière de
formation et de construction des équipements sportifs des lycées.
M. François Massey
a rappelé que le ministère
de la jeunesse et des sports avait, pour sa part, perdu l'essentiel de ses
attributions du fait du transfert de la responsabilité des
équipements sportifs aux collectivités territoriales et du
transfert du corps des enseignants d'éducation physique et sportive au
ministère de l'éducation nationale. Il a noté que le
ministère de la jeunesse et des sports avait ainsi été
conduit à réorienter son action en direction de la formation, en
créant de nombreux brevets d'Etat, du renforcement du contrôle des
pratiques sportives et de la promotion et du développement du sport,
dans le cadre de partenariats, ces compétences étant
partagées.
M. François Massey
a estimé que les lois de
décentralisation avaient favorisé la multiplication des acteurs
locaux sportifs, la concertation entre ces multiples acteurs devenant
très complexe. Il a appelé de ses voeux une diminution du nombre
des responsables dans le domaine sportif afin d'améliorer
l'efficacité et la lisibilité de leur politique.
Abordant la notion de " chef de file " dans la mise en oeuvre de
l'action sportive locale, le directeur a estimé que le conseil
régional avait une action essentielle sur les équipements
sportifs et sur la formation. Il a indiqué qu'il serait possible de
renforcer le rôle structurant des régions, en leur confiant une
mission de coordination de la répartition des équipements
sportifs, semblable à leur rôle en matière
d'aménagement du territoire.
M. François Massey
a indiqué que l'animation et le
développement sportifs devaient être gérés par les
communes. Il a estimé que le renforcement de l'intercommunalité
permettrait une plus grande efficacité dans ces domaines. Enfin, il
s'est demandé quel rôle pouvait assurer le département dans
l'organisation sportive, jugeant peu probable qu'il constitue l'échelon
idéal pour organiser la coordination territoriale dans le domaine du
sport.
M. François Massey
a plaidé pour le
développement de l'intercommunalité qui permettrait de
répondre à la diversification de la demande sportive et aux
besoins financiers dus au vieillissement du patrimoine sportif en
spécialisant les communes membres. Il a estimé que la
coopération intercommunale favoriserait également
l'efficacité des actions menées en faveur du sport de haut niveau
et du développement sportif des zones rurales.
M. François Massey
a indiqué que l'action sportive
des collectivités locales relevait d'une démarche autonome. Il a
rappelé que l'Etat n'avait qu'une influence limitée dans le
domaine sportif. Outre son rôle en matière de
réglementation, il ne dispose en effet que de subventions, très
réduites, pour infléchir la politique sportive des
collectivités territoriales.
Le directeur régional des sports a souligné l'existence de forts
partenariats entre les acteurs nationaux, dont les fédérations,
et locaux du sport, qui permettent à la France d'être le pays le
plus médaillé, proportionnellement à sa population. Il a
remarqué que ces excellents résultats étaient dus à
la fois aux efforts des collectivités territoriales et aux politiques
sportives menées depuis 1958. Il a mis en exergue le rôle
essentiel des lois de programmation pour le développement des
installations sportives, et de la mise en place des cadres sportifs techniques,
dont 1.500 sont aujourd'hui mis à disposition des
fédérations sportives.
M. François Massey
a constaté que le contrat
était devenu un mode essentiel de mise en oeuvre des politiques
sportives. Il a précisé qu'au cours des sept derniers mois
avaient été signés, outre les contrats de plan
Etat-régions, le document unique de programmation pour les fonds
européens (DOCUP) et les schémas des services collectifs
sportifs. Il a ajouté que la multiplicité des acteurs dans le
secteur sportif et la nécessité d'envisager des actions de long
terme rendaient nécessaire le recours aux contrats.
Il a indiqué que le ministère de la jeunesse et des sports avait
toujours encouragé les modes de gestion contractuelle et avait entrepris
récemment de rationaliser ces pratiques, comme en témoignent la
mise en place des contrats éducatifs locaux en partenariat avec le
ministère de l'éducation nationale, et la conclusion de contrats
d'objectifs sur quatre ans entre chaque fédération sportive et le
ministère des sports. Il a plaidé pour que les conseils
régionaux soient associés à l'élaboration et
à la réalisation de ces contrats d'objectifs, afin de renforcer
la cohérence de l'action sportive.
M. François Massey
a relevé la tendance
centralisatrice qui existe encore dans le domaine sportif, nuancée par
les efforts de coordination du ministère, s'appuyant à la fois
sur les fédérations sportives et sur les collectivités
territoriales. Il a estimé que les collectivités territoriales
répondaient mieux aux nouvelles problématiques du sport,
notamment au développement de la pratique du sport de loisirs, hors
association, qui échappe totalement aux fédérations.
M. François Massey
a ensuite abordé la question des
contraintes techniques s'imposant aux collectivités territoriales. Il a
indiqué que les contraintes de sécurité et
d'hygiène définies par l'Etat ne devaient pas être remises
en cause. En revanche, il s'est interrogé sur les normes techniques
fixées par les fédérations, dont les fréquentes
modifications ont des répercussions très lourdes pour les
propriétaires d'installations sportives. Il a considéré
que si ces normes techniques étaient définies par l'Etat, les
évolutions seraient sans doute moins fréquentes et importantes.
Il a noté que certaines fédérations faisaient des efforts
pour renforcer la stabilité de ces normes, notamment la
fédération française de football qui s'est engagée
à ne pas réviser plus d'une fois tous les vingt ans ses normes.
Il a par ailleurs observé que le pouvoir d'appréciation des
fédérations sportives réduisait notablement le pouvoir de
police que le maire exerce sur les installations sportives, et a estimé
qu'il était sans doute nécessaire de modifier les
compétences des fédérations sportives.
M. François Massey
a estimé que l'organisation
territoriale de l'Etat dans le domaine sportif était adaptée
à la structure des collectivités territoriales et permettait le
bon exercice des missions dévolues au ministère de la jeunesse et
des sports. Il a rappelé que ces missions consistaient à assurer
la protection des usagers et à réduire les disparités
existant entre les différentes collectivités locales dans le
domaine sportif. Il a douté du succès des schémas des
services collectifs sportifs, trop peu contraignants pour être efficaces,
alors que les collectivités territoriales défendent leur
autonomie en la matière.
M. François Massey
a, par ailleurs, plaidé pour le
renforcement du rôle de l'Etat, notamment dans le domaine du
contrôle des pratiques sportives et du développement de la
formation des professionnels sportifs et des bénévoles. Il a
également souhaité que la décentralisation soit
renforcée estimant que l'action des collectivités locales
seraient plus efficace dans le secteur de l'animation sportive que l'action du
ministère, souvent limitée faute de moyens comme en
témoignent les expériences des contrats éducatifs locaux
et des coupons sport.
M. François Massey
a indiqué que des actions de
concertation entre les différents services de l'Etat, associant les
caisses d'allocations familiales, étaient menées dans la
région Centre afin de pallier les insuffisances de moyens et mettre en
oeuvre des politiques complémentaires. Il a estimé qu'un effort
de clarification en amont réduirait les difficultés de mise en
oeuvre de la politique sportive au plan local.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souligné l'enjeu
que représente l'amélioration de la lisibilité des
politiques publiques. Il s'est déclaré favorable aux pistes de
redéfinition des compétences de l'Etat dans le domaine sportif
proposées par M. François Massey, estimant que l'Etat devait
avoir un rôle de coordination et d'anticipation afin de trouver des
solutions adaptées aux situations locales.
Il a souhaité savoir si le développement de la
professionnalisation de l'encadrement sportif permettrait de répondre
aux évolutions des pratiques sportives.
M. François Massey
a estimé que la
professionnalisation permettrait notamment d'améliorer l'encadrement des
personnes âgées souhaitant pratiquer un sport, en partenariat avec
les conseils régionaux et les services extérieurs sociaux. Il a
indiqué que les fédérations ne parvenant pas à
répondre à ces nouvelles attentes, l'Etat devait retrouver un
rôle important. Il a estimé, par ailleurs, qu'il était
nécessaire de réduire les disparités entre
départements dans le domaine sportif.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, s'est demandé si
l'Etat devait prendre en charge cette péréquation territoriale.
M. François Massey
a répondu qu'actuellement aucune
catégorie de collectivité territoriale ne semblait en mesure
d'assumer ce rôle.
Audition de M. Jean-Jacques HYEST,
sénateur de
Seine-et-Marne, coauteur du rapport " Une meilleure répartition des
effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure
sécurité publique "
(4 avril 2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission d'information a procédé à
l'audition de
M. Jean-Jacques Hyest, sénateur de Seine-et-Marne, coauteur du
rapport " Une meilleure répartition des effectifs de la police et
de la gendarmerie pour une meilleure sécurité publique ".
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est interrogé sur la
répartition des compétences et des moyens apte à garantir
la meilleure efficacité de l'action publique, que ce soit entre l'Etat
et les collectivités territoriales, entre la police et la gendarmerie,
ou concernant l'affectation des policiers aux différentes
fonctions : police administrative, police judiciaire, tâches
pénitentiaires, police de proximité, tâches
administratives, lutte contre le terrorisme, etc.
M. Jean-Jacques Hyest
a rendu hommage à son collègue
député Roland Carraz, coauteur du rapport, aujourd'hui
décédé. Puis il a rappelé que le " rapport
Roussot-Nouaille de Gorce ", qui avait précédé le
" rapport Hyest-Carraz ", avait abouti à un constat similaire,
à savoir le paradoxe existant entre la dotation élevée en
personnels de sécurité et le développement de la
délinquance, l'accroissement des inégalités territoriales
et le très fort sentiment d'insécurité
éprouvé par nos concitoyens. Il a mis en évidence que les
zones de plus forte délinquance étaient celles où le
nombre de policiers affectés était le plus faible, en particulier
en milieu urbain et périurbain.
M. Jean-Jacques Hyest
a indiqué que le découpage des
circonscriptions de police remontait à 1941 et n'avait fait l'objet
d'aucune révision depuis, alors que 80 % des Français
vivaient désormais dans les zones urbaines et périurbaines. Il a
souhaité la suppression des commissariats dans les trop petites
circonscriptions et l'affectation des forces de police sur le territoire en
fonction de critères objectifs, comme la population, le taux de
délinquance et la part de la délinquance de voie publique.
M. Jean-Jacques Hyest
a appelé de ses voeux la suppression
des zones de superposition entre police et gendarmerie. Il a toutefois admis la
difficulté d'un tel exercice, en raison d'arguments liés à
l'aménagement du territoire. Pour la gendarmerie, il a proposé le
développement du travail en réseau, une " brigade
mère " et une " brigade fille " pouvant être
désignées, afin de cumuler deux lieux de travail le jour mais de
permettre le regroupement des forces la nuit et l'exercice conjoint des
missions de police judiciaire.
M. Jean-Jacques Hyest
a regretté que de nombreux policiers
ne soient pas affectés à des tâches de
sécurité. Il a mis en évidence un " culte de l'ordre
public ", conduisant à affecter un policier pour 100 habitants
à Paris, alors que l'influence des migrations saisonnières dans
l'exportation de la délinquance n'était pas prise en compte pour
les affectations de personnel. Il a déploré les
inégalités ainsi entretenues, citant l'exemple de commissariats
où la moyenne d'âge des fonctionnaires était de 28 ans
à Bobigny, et de 49 ans à Perpignan.
Il a souligné que les statistiques actuelles de la délinquance
n'étaient pas fiables, en raison d'un phénomène de
dissuasion de la plainte. En particulier, il a noté que la
délinquance en matière de stupéfiants ne donnait lieu
à aucune plainte et que le recensement des faits délictueux
dépendait uniquement de l'activité policière, l'inaction
des forces de sécurité faisant mécaniquement baisser les
chiffres de la délinquance.
Interrogé sur les polices municipales,
M. Jean-Jacques Hyest
a indiqué que leur développement résultait trop souvent de
la défaillance de l'Etat pour remplir ses missions de police
administrative, et se traduisait ainsi par un transfert de charges de l'Etat
vers les collectivités locales. Il a considéré que la
sécurité devait rester une mission d'Etat. Cependant, il a
reconnu que les policiers municipaux, assurant de plus en plus la
sécurisation des quartiers, étaient bien acceptés sur le
terrain, et que la loi du 15 avril 1999 était équilibrée,
s'agissant notamment de la formation des policiers municipaux ou de la
coordination des missions des polices nationale et municipale.
M. Jean-Jacques Hyest
s'est interrogé sur la signification
de la notion de " police de proximité ". Il a jugé
essentiel que les policiers soient présents sur le terrain aux heures
où le besoin est le plus grand, et préconisé une
annualisation et une modulation des horaires. Il a estimé que des
fonctionnaires confirmés, et non des adjoints de sécurité,
devaient être affectés en priorité à la police de
proximité, caractérisée par une bonne connaissance du
territoire.
Il s'est déclaré réservé sur la distinction
opérée entre prévention et répression, en fait
assurées par les mêmes forces sur le terrain. Il a souhaité
une plus grande responsabilisation des autorités de police, en
particulier le renforcement de l'autorité du commissaire de police.
M. Jean-Jacques Hyest
a regretté que la loi d'orientation et
de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995
n'ait pas été appliquée, en particulier que seuls 1300 des
5000 agents administratifs prévus aient été
recrutés. Il a estimé que les départs massifs à la
retraite devaient être l'occasion de réviser les affectations des
policiers en fonction des besoins, s'inquiétant par ailleurs que le
ministère de l'intérieur ne soit pas en mesure de connaître
l'affectation exacte des policiers.
M. Michel Mercier, rapporteur,
s'est interrogé sur
l'opportunité d'une force nationale de sécurité
unifiée.
M. Jean-Jacques Hyest
a répondu que la
gendarmerie avait prouvé son efficacité et sa capacité
à s'adapter en milieu périurbain.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a observé qu'une gestion
décentralisée des personnels pourrait favoriser une organisation
différenciée des horaires de travail.
M. Jean-Jacques Hyest
a regretté que les débats sur
la réduction du temps de travail dans la fonction publique n'aient pas
posé la question de l'annualisation du temps de travail, plus facile
à organiser au niveau local.
Il a considéré que la gendarmerie devait se réformer elle
aussi, la traditionnelle brigade de six agents n'étant pas toujours la
solution la plus efficace. Il a souligné qu'une brigade mère et
une brigade fille, placées sous une autorité commune, pouvaient
fonctionner de manière plus souple.
M. Michel Mercier, rapporteur, et M. Jean-Paul Delevoye, président,
ont évoqué le problème des casernes de gendarmerie,
construites par les collectivités locales.
M. Jean-Jacques Hyest
a rappelé que la construction des
casernes par les collectivités locales avait constitué une
réponse à l'insuffisance des crédits d'investissement dont
disposait la gendarmerie, le plafonnement des loyers et leur gel pendant une
période de neuf ans permettant aux collectivités locales de
rétablir l'équilibre financier à l'échéance
de vingt-cinq ans.
Audition de M. Pierre GAUTHIER,
directeur de l'action
sociale,
délégué interministériel au revenu
minimum d'insertion
(4 avril 2000)
La
mission a ensuite procédé à l'
audition
de
M. Pierre Gauthier, directeur de l'action sociale,
délégué interministériel au revenu minimum
d'insertion.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a rappelé que la gestion de
l'action sociale était l'un des enjeux du XXI
e
siècle
qu'il s'agisse du principe d'égalité ou de l'évaluation de
l'efficacité des politiques publiques.
M. Pierre Gauthier
a tout d'abord annoncé que la direction de
l'action sociale (DAS) du ministère de l'emploi et de la
solidarité serait prochainement fusionnée avec la
délégation interministérielle au revenu minimum
d'insertion (DIRMI) afin de constituer une direction générale
unique. Il a rappelé que cette opération de regroupement
était originale dans la mesure où la tendance
générale de ces dernières années était
plutôt à l'éclatement des structures administratives.
Du point de vue de la gestion de l'action sociale, il a rappelé que la
France présentait la particularité d'être un Etat unitaire
mais décentralisé alors que la majorité des pays
européens est constituée d'Etats fédéraux ou
dotés de communes institutionnellement très fortes. Il a
souligné l'originalité des compétences exercées par
la DAS par rapport aux autres pays.
Puis il a mis en évidence une double évolution concernant
l'action sanitaire, sociale et médico-sociale en France : en 1983 a
été mis en place un dispositif de blocs de compétences
clairement définis, auquel est venue s'ajouter, à partir de la
fin des années quatre vingt, une série de dispositions instaurant
des formes de " partenariat obligatoire ". Il a rappelé que la
philosophie de ces partenariats était très différente de
celle qui avait prévalu au moment du vote des lois de
décentralisation en 1982.
M. Pierre Gauthier
a considéré par ailleurs que le paysage
de l'action sociale en France, pour diverses raisons techniques ou historiques,
était " terriblement émietté ", ce qui
générait incontestablement des dysfonctionnements et faisait
perdre en productivité et en efficacité.
Interrogé sur la répartition des compétences,
M. Pierre
Gauthier
a estimé que, d'une manière générale,
la décentralisation avait fait la preuve de son efficacité dans
chacun des secteurs de l'action sociale et médico-sociale. Qu'il
s'agisse de la politique en faveur des handicapés, des personnes
âgées ou de la protection de l'enfance, l'expérience a
montré que, depuis 1982, les départements ont réussi
globalement à développer des politiques efficaces.
Concernant l'avenir de la décentralisation,
M. Pierre Gauthier
a
considéré que le découpage actuel, qui remontait à
quinze ans, apparaissait complexe pour des motifs techniques et que les blocs
de compétences n'étaient pas toujours harmonieux. Il a
estimé possible de renforcer le mouvement de décentralisation en
matière sociale qui avait été " arrêté
à mi-chemin " en 1983, d'autant plus que les formules de
partenariat obligé semblaient avoir atteint leurs limites.
Il a envisagé " d'aller plus loin " en matière de
handicap, d'aide aux personnes âgées ou de prise en charge de
l'enfance en difficulté et il s'est prononcé, à titre
personnel, en faveur du principe du transfert global d'une compétence
à une collectivité locale, à l'image de ce qui peut
exister en Allemagne ou en Espagne, afin de conforter la dynamique des
politiques d'action sociale. Il a indiqué néanmoins qu'il
conviendrait de maintenir le financement des soins par l'assurance maladie.
En réponse à
M. Jean-Paul Delevoye, président, M.
Pierre Gauthier
a admis que l'autonomie des collectivités locales
était limitée en matière de protection de l'enfance, du
fait de la judiciarisation croissante des décisions en matière de
placement d'enfants en difficulté.
S'agissant de la mise en oeuvre du volet relatif à l'insertion du revenu
minimum d'insertion (RMI),
M. Pierre Gauthier
a considéré
que l'intervention des collectivités locales avait été
efficace et que, d'une manière générale, les
inégalités s'étaient réduites malgré
certaines difficultés apparues au début de la mise en oeuvre du
dispositif. Il a constaté que des départements dont la population
active était faible par rapport à la population totale,
obtenaient néanmoins des résultats honorables.
Il a reconnu que certains départements obtenaient de meilleurs
résultats que d'autres en raison d'un réel volontarisme et d'un
dynamisme local qui se traduisaient dans les initiatives prises dans les plans
départementaux d'insertion.
S'agissant des inégalités éventuellement
générées par la décentralisation,
M. Pierre
Gauthier
a rappelé que, dans le système d'action sociale tel
qu'il s'était construit historiquement, la décentralisation
n'avait pas accru les disparités mais les avait réduites.
Il a souligné que les disparités constatées dans les
secteurs d'intervention des collectivités locales existaient avant la
décentralisation et qu'elles étaient également
présentes dans les domaines de compétence de l'Etat. Il a
indiqué à cet égard qu'en matière de centres d'aide
par le travail (CAT), le taux d'équipement variait suivant les
départements de un à deux, qu'en matière de maisons
d'accueil spécialisé (MAS), l'écart était de un
à cinq et que, s'agissant d'une prestation en nature dont les
règles de calcul sont homogènes telle que l'allocation aux
adultes handicapés (AAH), le nombre de bénéficiaires de
l'allocation variait de un à cinq entre des départements de
population comparable.
Rappelant que les disparités territoriales avaient des causes
socio-économiques profondes,
M. Pierre Gauthier
a reconnu que les
politiques sociales conduites par l'Etat avaient laissé se creuser des
écarts significatifs entre les territoires et a considéré
que, depuis 1983, dans les domaines de compétences qui avaient
été transférés aux collectivités locales,
les écarts avaient plutôt eu tendance à se restreindre.
Il a observé néanmoins que l'effort de rattrapage devait se
poursuivre puisque des différences quantitatives, mais aussi
qualitatives, subsistaient entre les départements.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a observé que les
collectivités locales les plus pauvres ou qui connaissaient des
reconversions économiques, étaient aussi celles qui connaissaient
les besoins en dépenses sociales les plus élevés alors que
leurs ressources fiscales, fondées sur la valeur du patrimoine ou le
dynamisme de l'activité économique, présentaient une
faible marge de manoeuvre.
M. Pierre Gauthier
a estimé, à titre personnel, qu'il
serait sans doute nécessaire d'aller plus loin dans le sens de la
péréquation des ressources transférées par l'Etat
aux collectivités locales en tenant mieux compte des critères
sociaux. Il a remarqué notamment que les départements qui
connaissaient la proportion la plus élevée de personnes
âgées étaient en général ceux dont le
potentiel fiscal était le plus bas, à l'exception de quelques
départements du pourtour méditerranéen. Il a
rappelé en outre que les dépenses sociales allaient
considérablement augmenter au cours des prochaines années du fait
de l'accroissement du nombre de personnes âgées
dépendantes.
Interrogé par
M. Michel Mercier, rapporteur,
sur
l'évolution des dépenses d'aide à l'enfance,
M. Pierre
Gauthier
a estimé que ces dépenses étaient globalement
maîtrisées, qu'il s'agisse de la gestion des placements en
établissements ou des placements familiaux.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est interrogé sur le
coût de la médecine scolaire, de la protection maternelle et
infantile (PMI) ainsi que de la prise en charge des personnes
âgées dépendantes.
M. Pierre Gauthier
a estimé que le transfert de la PMI
était une réussite mais il a regretté, à titre
personnel, que le domaine de la santé scolaire ait été
maintenu au sein de l'éducation nationale au moment des transferts de
compétences de 1983.
S'agissant de la politique du handicap, il a estimé que les
départements avaient su maîtriser leurs dépenses. Il a
observé le taux de progression satisfaisant de l'allocation
compensatrice pour tierce personne (ACTP) aussi bien que des dépenses en
établissements d'accueil. Tout en notant que les départements
avaient été en mesure de maîtriser la création de
nouveaux établissements ou services, il a reconnu que la question de la
maîtrise des coûts de fonctionnement était toujours
posée : il a rappelé à cet égard que,
même si l'évolution des points d'indice de
rémunération était modérée, les effets du
glissement vieillesse technicité (GVT) sur la masse salariale
étaient considérables ; il a constaté par ailleurs
que certaines libertés étaient prises dans l'application des
conventions collectives sur le terrain.
Concernant la procédure d'agrément prévue à
l'article 16 de la loi du 30 juin 1975, il a souligné que le
dispositif actuel avait globalement permis de maîtriser les
évolutions salariales et que peu de mesures catégorielles avaient
été mises en place.
En revanche,
M. Pierre Gauthier
a souligné qu'en matière
de politique du handicap, le problème des prochaines années
serait celui de l'augmentation du nombre de personnes lourdement
handicapées et vieillissantes. Il a noté à cet
égard que l'augmentation de l'espérance de vie des personnes
handicapées avait pour effet que la capacité d'accueil des
établissements pour les jeunes adultes, qui semblait suffisante ces
dernières années, apparaissait maintenant en deçà
des besoins.
Abordant la complexité du paysage institutionnel en matière
d'accueil des handicapés,
M. Pierre Gauthier
a rappelé
l'existence de trois sources de financement différentes : la
sécurité sociale pour la prise en charge des soins et le paiement
des pensions d'invalidité ; le budget de l'Etat pour les
dépenses de fonctionnement des CAT, le financement de la garantie de
ressources des travailleurs handicapés et les crédits relatifs
aux auxiliaires de vie ; les budgets des départements pour les
dépenses d'hébergement des personnes handicapées et le
financement de l'ACTP.
Il a observé la coexistence de trois sortes d'établissements pour
personnes handicapées, financés soit entièrement par
l'assurance maladie, soit entièrement par les départements, soit
conjointement par l'assurance maladie et par les départements, tout en
reconnaissant que les populations accueillies étaient souvent voisines.
M. Pierre Gauthier
a estimé qu'il serait possible de redistribuer
les compétences et de simplifier le dispositif en ne prévoyant
plus qu'une seule catégorie d'établissement où seraient
distinguées seulement les dépenses d'hébergement et les
dépenses de soins à partir d'un système
d'hébergement uniforme et d'un complément
médicalisé adapté. Il a rappelé que des
négociations avaient été engagées en ce sens en
1994 mais n'avaient pas eu de suite.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est interrogé sur
l'intervention des agences régionales d'hospitalisation (ARH) en
matière de reconversion de services hospitaliers.
M. Pierre Gauthier
a rappelé qu'il fallait distinguer entre la
question du financement de nouveaux services sociaux et médico-sociaux
à partir du redéploiement d'enveloppes hospitalières et
celle de la compétence des directeurs d'ARH de décider de ces
reconversions. Il a indiqué que, si le premier point ne posait pas
problème, il convenait néanmoins d'être prudent sur le
transfert de compétence aux ARH en matière de création de
services aux personnes handicapées en soulignant que, pour des raisons
historiques, les associations de personnes handicapées étaient
relativement réticentes à l'idée d'une intervention accrue
des autorités hospitalières dans leur domaine.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est interrogé sur le
développement des activités lucratives des ateliers
protégés.
M. Pierre Gauthier
a rappelé que, sauf exception, les ateliers
protégés n'étaient équilibrés
financièrement que grâce aux moyens dégagés par la
garantie de ressources. Il a souligné qu'il était important de
prévenir la tentation des gestionnaires des ateliers
protégés de réserver ce dispositif aux handicapés
les plus productifs : les autorités de tutelle doivent veiller
à ce que ces dispositifs, relativement coûteux, soient
centrés sur les personnes lourdement handicapées et les plus
éloignées de l'emploi.
En matière de collectivité " chef de file ",
M.
Pierre Gauthier
a considéré qu'il ne fallait pas avoir d'a
priori et que, si le département avait fait ses preuves, les communes
faisaient régulièrement état de leur souhait d'animer des
politiques sociales. Il a rappelé que, si la loi de 1983 avait
prévu la possibilité pour les départements de passer des
conventions avec les communes pour leur confier des responsabilités en
matière sociale, seuls trois départements avaient effectivement
recouru à cette faculté.
Concernant la conscription territoriale d'action la plus pertinente,
M. Pierre Gauthier
a considéré que l'échelon
départemental était assurément adapté en
matière sociale et médico-sociale alors que, dans le domaine
sanitaire, l'échelon régional apparaissait le plus
adéquat.
Il a admis cependant que dans les départements les plus peuplés,
il serait possible d'envisager une répartition des compétences en
matière sociale entre le département et les villes les plus
importantes.
S'agissant de l'échelon territorial infra-départemental, il a
indiqué que, les zones définies par les comités locaux
d'insertion (CLI), qui correspondaient pour l'essentiel aux bassins de vie,
pouvaient représenter un découpage satisfaisant. Il a
nuancé toutefois en soulignant que dans certains départements les
CLI avaient en charge l'insertion d'un trop grand nombre de
bénéficiaires du RMI.
Concernant la réforme de la loi du 30 juin 1975 relative aux
institutions sociales et médico-sociales, il a précisé que
le principe avait été posé dès 1996 de travailler
sur une réforme à compétences constantes, afin
d'éviter de compliquer et d'alourdir le débat.
M. Michel Mercier, rapporteur,
s'est demandé si la réforme
annoncée de la prestation spécifique dépendance (PSD)
s'intégrerait dans un mouvement de décentralisation ou de
" recentralisation ".
M. Pierre Gauthier
a indiqué que le nouveau dispositif se
situerait " à mi-chemin ". Il a précisé que Mme
Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, avait
insisté sur le maintien d'une " gestion de proximité "
en souhaitant que la nouvelle PSD assure un même niveau minimum de
prestation, à niveaux de ressources et de dépendance comparables.
Il a rappelé que la loi de 1997 avait représenté une
avancée importante dans la mesure où elle avait inscrit la PSD
dans une " logique d'offre " en permettant d'offrir aux personnes
dépendantes non pas une prestation unique, mais un panier de services.
M. Michel Mercier, rapporteur,
a souligné la contradiction qu'il
y aurait à instaurer la prise en charge d'un " cinquième
risque " sans le faire financer par l'assurance maladie.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a remercié M. Pierre
Gauthier pour son intervention riche et pertinente.
Audition de M. Michel DELEBARRE,
président du
Centre national de la fonction publique territoriale
(CNFPT)
(5 avril 2000)
Présidence de M. Jean-Paul DELEVOYE, Président
La
mission d'information a procédé à
l'audition de
M. Michel Delebarre, président du Centre national de la fonction
publique territoriale (CNFPT).
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souhaité interroger
M. Michel Delebarre sur le principe de parité entre les
fonctions publiques, sur l'opportunité de régionaliser les
concours de la fonction publique territoriale, sur les contraintes statutaires,
sur la réduction du temps de travail et sur le système du
concours.
M. Michel Delebarre
a souligné la situation
" extraordinaire " de l'emploi territorial, 1,6 million d'agents
territoriaux et 50 000 employeurs. Estimant que la liberté d'action
des collectivités territoriales devait s'étendre à la
gestion de leur personnel, il a souhaité l'association des employeurs
territoriaux aux négociations salariales, regrettant que le
véritable employeur de la fonction publique territoriale soit
désormais l'Etat, à travers la production législative et
réglementaire et la conduite des négociations avec les syndicats.
Il a indiqué que, paradoxalement, le principe de parité entre les
fonctions publiques était formellement " respecté ", en
raison de l'unité de décision, permettant à l'Etat de
régir l'ensemble de la fonction publique d'Etat et territoriale. Il a
regretté l'absence de parité de fait, notamment en matière
de rémunérations et d'indemnités. Il a estimé que
la récente circulaire du ministère de l'intérieur mettait
en cause les avantages reconnus par la loi aux cadres supérieurs de la
fonction publique territoriale.
M. Michel Delebarre
a estimé nécessaire d'organiser
la représentation des collectivités employeurs dans les
négociations touchant la fonction publique, cette participation devant
être inscrite dans la loi. Il a préconisé la constitution
de conférences régionales des employeurs et d'une
conférence nationale dans ce but.
Il a estimé que tout dispositif national relatif à la
réduction du temps de travail des fonctionnaires territoriaux arriverait
trop tard, les négociations étant déjà
menées sur le terrain. Il a toutefois admis qu'un texte national
pourrait servir à valider les négociations locales. Après
avoir souligné que la réduction du temps de travail dans la
fonction publique territoriale s'effectuait sans aide de l'Etat, contrairement
au secteur privé, il a fait part d'une étude en cours,
menée par le CNFPT, tendant à évaluer le coût de la
réduction du temps de travail pour les collectivités locales.
Interrogé sur l'emploi contractuel,
M. Michel Delebarre
a
estimé sa part à 15 % des effectifs territoriaux. Tout en
admettant le bien fondé de l'objectif de réduire la part de
l'emploi contractuel, il a souligné que certains besoins ne pouvaient
être assurés que par des contractuels et que la liberté de
l'employeur devait être respectée, en particulier pour certains
emplois supérieurs. Il a estimé que la régulation par le
contrôle de légalité était satisfaisante.
S'agissant de la " jurisprudence Berkani " du Tribunal des conflits,
il a estimé que la simplification selon laquelle la nature de
l'employeur conditionnait la nature publique du contrat était
sérieusement battue en brèche par l'existence d'exceptions non
négligeables, au premier rang desquelles les emplois-jeunes.
M. Michel Delebarre
a souligné les difficultés
actuelles en matière de mobilité des agents territoriaux.
S'agissant de la mobilité au sein de la fonction publique territoriale,
il a rappelé la nécessité de recueillir l'accord des deux
parties, agent et employeur. Concernant la mobilité entre fonctions
publiques, il a regretté que celle-ci soit quasiment inexistante des
administrations territoriales vers l'Etat. Il a toutefois souligné que
l'évolution du niveau de recrutement dans la fonction publique
territoriale ferait évoluer la question de la mobilité, les
administrateurs territoriaux étant aujourd'hui recrutés au
même niveau que les élèves de l'ENA.
Après avoir regretté l'absence de volonté politique pour
promouvoir la mobilité des fonctionnaires territoriaux vers les services
de l'Etat, en raison du corporatisme de certains corps d'Etat, il a fait part
d'une proposition de nature législative, tendant à ce qu'un tiers
des fonctionnaires des chambres régionales des comptes soient issus de
la fonction publique territoriale, voire hospitalière.
M. Michel Delebarre
a estimé que le principe du concours
comme mode normal d'accès à la fonction publique interdisait de
recourir à des quotas pour rééquilibrer la
répartition entre les hommes et les femmes dans les emplois de
direction. Constatant les progrès déjà
réalisés en la matière, il a considéré que
l'évolution de la société et la volonté politique
seraient sans doute plus efficaces qu'une mesure législative.
Il a souligné les inconvénients de la formation initiale
actuelle, conduisant à répéter l'enseignement de
connaissances déjà acquises par les agents. Il a estimé
que la validation des acquis permettrait d'améliorer la formation
complémentaire d'application, laquelle devait être mieux
définie et plus courte.
M. Michel Delebarre
a proposé d'organiser la formation sur
le terrain, c'est-à-dire au sein même de la collectivité
ayant procédé au recrutement de l'agent, afin de remédier
aux dysfonctionnements actuels, la longueur excessive de la formation
préalable à la titularisation posant des problèmes aux
jeunes agents territoriaux en termes de déroulement de carrière.
Constatant que de nombreux jeunes embauchés quittaient leur
collectivité d'origine à l'issue des six mois de formation
complémentaire d'application, il a jugé utile de créer une
obligation de fidélité à l'égard de la
collectivité employeur, pour une durée de trois ans. Il a
noté que cette mesure, déjà prévue, n'avait
donné lieu à aucun décret d'application, et était
restée lettre morte. A défaut, il a suggéré
l'instauration d'une obligation contractuelle entre les deux
collectivités, la deuxième remboursant une partie des sommes
engagées par la première au titre de la formation de l'agent.
Concernant la proposition du " rapport Schwartz " de créer un
groupement d'intérêt public associant le CNFPT, les centres
départementaux de gestion et l'Union nationale des centres de gestion,
M. Michel Delebarre
n'a pas jugé souhaitable de créer
une structure supplémentaire. De plus, il lui a semblé
nécessaire d'aller plus loin dans la régionalisation des concours.
Il s'est déclaré favorable à un assouplissement des
quotas, en particulier pour la catégorie C, afin de faciliter les
progressions dans les premiers échelons et la gestion des situations
individuelles. Il a cité le cas de nombreux agents territoriaux
confirmés, que certaines épreuves du concours, inadaptées
au contexte professionnel, empêchaient d'accéder au grade
supérieur. Il lui a semblé que les concours internes devaient
mieux reconnaître la valeur et l'expérience professionnelles des
agents.
M. Michel Delebarre
a jugé indispensable de revoir le
système des seuils démographiques, en particulier afin de
permettre aux collectivités de plus de 40 000 habitants de recruter
un administrateur territorial.
Enfin, il a souhaité que soit renforcé le rôle des centres
de gestion en matière d'action sociale des collectivités en
direction de leurs agents.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a interrogé M. Delebarre
sur l'équivalence des diplômes, jugeant inadaptée la
situation actuelle selon laquelle les professeurs territoriaux des
écoles de musique devaient passer un concours, alors qu'ils
étaient titulaires de prix du conservatoire.
M. Michel Delebarre
a approuvé cette appréciation du
président. Il a estimé suffisant de valider les
compétences, quitte à apporter des éléments
complémentaires de formation après le recrutement, afin d'adapter
les connaissances au travail spécifique en collectivité
territoriale.
Interrogé sur la formation professionnelle continue, il a noté
que celle-ci relevait déjà en partie du secteur privé,
obligeant le CNFPT à fournir des prestations concurrentielles.
M. Michel Delebarre
a insisté sur les perspectives
démographiques de la fonction publique territoriale, l'âge moyen
des agents étant de 43 ans et celui des administrateurs de 50 ans. Il a
noté que le développement de l'intercommunalité et le
remplacement de la moitié des administrateurs dans les huit prochaines
années allaient générer une demande accrue de formation,
obligeant les employeurs à s'organiser différemment. Il a
regretté l'absence de prévision et de gestion des effectifs
à moyen ou long terme.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a appelé l'attention sur
la nécessaire évolution des carrières en fonction des
besoins, la reconversion des agents devant être encouragée.
M. Michel Delebarre
a estimé que les agents de catégorie C
étaient actuellement les plus aptes à changer d'affectation en
fonction des besoins, par exemple passer de l'école maternelle à
la maison de retraite pour personnes âgées, où les besoins
étaient croissants.
Il a regretté l'absence d'un corps de médiateurs polyvalents,
alors que la politique de la ville générait de plus en plus de
besoins de médiation en matière sociale, culturelle ou
sportive.
Audition de M. Joël DELPLANQUE,
directeur des
sports
au ministère de la jeunesse et des sports
(5 avril
2000)
Puis la
mission a procédé à l'
audition
de
M. Joël
Delplanque, directeur des sports au ministère de la jeunesse et des
sports.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a rappelé que le sport,
comme la culture, était un des domaines de l'action publique peu
décentralisé. Il s'est demandé si la
décentralisation ne devait pas être renforcée, notamment
pour mieux répondre à de nouveaux enjeux, tels que l'augmentation
du temps libre, la professionnalisation de l'encadrement sportif, ou
l'aménagement du temps de vie de l'enfant. Il a remarqué que le
sport était confronté à une médiatisation accrue de
certaines disciplines qui induit une réorientation des flux financiers
en leur faveur, nuisant à d'autres sports dont la fonction
d'intégration sociale est pourtant essentielle.
M. Joël Delplanque, directeur des sports,
a indiqué qu'il
partageait l'analyse du président sur les évolutions auxquelles
est confronté le domaine sportif, et a estimé qu'il convenait de
préserver les valeurs que véhicule le sport.
Il a indiqué que 93 milliards de francs ont été
consacrés au financement du sport en 1999, représentant une
contribution équivalente du secteur public et du secteur privé.
Il a indiqué que les collectivités locales contribuaient de
façon importante au financement du sport, les dépenses des
communes s'élevant à 27 milliards de francs, celles des
départements à 2,35 milliards, celles des régions à
0, 75 milliards. L'Etat consacre 14 milliards de francs aux activités
physiques et sportives, tous ministères confondus.
M. Joël Delplanque
a souligné la place essentielle
occupée par la commune dans le financement du sport. Il a
également noté que, de 1984 à 1992, les crédits
alloués par les régions aux activités physiques et
sportives ont été multipliées par dix-huit.
M. Joël Delplanque
a remarqué que l'émergence d'un
secteur économique sportif constituait la principale évolution
intervenue dans le domaine du sport depuis 1982. Il a observé que les
effets positifs étaient nombreux : développement de la
pratique sportive, structuration et professionnalisation du secteur sportif,
créations d'emplois dans ce domaine, affirmation d'une image positive du
sport chez les jeunes, qui lui consacrent près de 75 % de leur temps
libre. Il a souhaité que cette image positive soit
préservée et que l'Etat et les collectivités territoriales
s'associent pour défendre les valeurs sportives.
M. Joël Delplanque
a indiqué que l'action conjointe des
collectivités publiques devait permettre la mise en place d'actions de
prévention, la structuration de la vie associative, la création
de structures, notamment destinées au sport de haut niveau, et la
diversification la plus large possible des pratiques sportives. Il a
estimé que le partenariat entre les collectivités locales et le
ministère de la jeunesse et des sports devait pallier les
conséquences néfastes de la médiatisation des
activités physiques et sportives pour les disciplines qui ne sont pas
concernées par ce phénomène, contribuant ainsi à
renforcer la force d'insertion et de cohésion sociale du sport. Il a
ajouté que l'existence de 180 000 associations sportives était
une garantie de la participation active des jeunes à la vie sociale.
M. Joël Delplanque
a souligné l'importance du mouvement
associatif sportif, ébranlé par les événements du
Tour de France 1998. Il a souhaité la mobilisation de tous les services
publics pour lutter contre le dopage et a annoncé la création
d'une agence mondiale contre le dopage pour les jeux prochains olympiques.
M. Joël Delplanque
a rappelé que l'étroite
association entre le mouvement sportif et les pouvoirs publics constituait une
spécificité française, exemplaire en Europe. Il a
indiqué qu'une réflexion était ouverte à
l'échelon européen tendant à préserver la fonction
sociale du sport. Il a rappelé que lors du Sommet de Vienne du 2
décembre 1999 les chefs d'Etat avaient adopté une
résolution en ce sens. Il a précisé que cette
résolution devrait trouver une application concrète durant la
présidence française de l'Union européenne.
M. Joël Delplanque
a observé que le sport représente
un enjeu économique et commercial comme en témoignent les
négociations relatives au droit de retransmission des
événements sportifs sur Internet. Il a rappelé que le
mouvement associatif souhaitait que les pouvoirs publics défendent leur
conception du sport face aux pressions économiques.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souhaité savoir
comment renforcer la décentralisation dans le domaine sportif, notamment
au profit des régions. Il s'est demandé en particulier si la
préservation des valeurs du sport induisait une réorganisation
des structures administratives concernées.
M. Joël Delplanque
a indiqué que lors de
l'élaboration du projet de loi modifiant la loi n° 84-610 du 16
juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des
activités physiques et sportives, avait été
envisagée une spécialisation des compétences de chaque
catégorie de collectivités territoriales dans le domaine sportif.
La région aurait reçu compétence en matière de
formation et de développement du sport de haut niveau, le
département en matière d'action sociale et d'insertion par le
sport et la commune en matière d'animation et de développement
des activités physiques et sportives.
M. Joël Delplanque
a observé que cette spécialisation
ne correspondait pas aux souhaits des élus et que les textes en vigueur
permettaient déjà une articulation satisfaisante des
différentes politiques locales. Il s'est prononcé en faveur du
renforcement de la cohérence et de la complémentarité des
politiques sportives publiques. Il a notamment regretté la tendance des
collectivités locales à suivre les phénomènes de
modes générés par la médiatisation de certaines
disciplines sportives. Il a estimé nécessaire de créer un
lieu de concertation afin de " réorienter les actions
locales " et de permettre aux collectivités locales de trouver leur
place dans la politique de développement du sport.
M. Jean-Paul Delevoye, président
, a souhaité savoir
quelles mesures devaient être envisagées pour soutenir le sport de
haut niveau.
M. Joël Delplanque
a rappelé qu'aux termes des dispositions
de la loi du 16 juillet 1984 la possibilité qu'avaient les
collectivités locales de subventionner les clubs sportifs devait
s'éteindre le 31 décembre 1999. Il a observé que la
plupart des pays européens prévoyaient des dispositifs de soutien
au sport de haut niveau, et que les élus locaux souhaitaient que leurs
aides puissent être pérennisées. Il a indiqué que
dans cette perspective, la loi n°99-1124 du 28 décembre 1999
portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités
physiques et sportives avait rétabli la possibilité pour les
collectivités locales d'accorder des aides aux clubs sportifs. Il a
rappelé que ces subventions devraient être affectées
à des missions d'intérêt général, telles que
la formation professionnelle des sportifs, le renforcement de la
sécurité du public et le développement d'activités
d'animation. Il a précisé que dans ces conditions, la commission
européenne ne devrait pas s'opposer à ce système de
subventionnement.
M. Joël Delplanque
a ajouté que le projet de loi modifiant
la loi du 16 juillet 1984 devait conforter la capacité des
collectivités territoriales à soutenir le sport professionnel,
grâce à des contrats de partenariat, selon des modalités
techniques qui restaient à définir.
Il a rappelé que ce projet de loi ne bénéficierait pas au
seul sport professionnel, mais tendait à favoriser le
développement de toutes les activités physiques et sportives,
facteur de cohésion sociale.
Audition de M. Jean-Jacques ANDRIEUX,
directeur
général de l'Union nationale des associations de sauvegarde de
l'enfance, de l'adolescence et des adultes (UNASEA)
(5 avril
2000)
La
mission d'information a procédé à
l'audition de M.
Jean-Jacques Andrieux, directeur général de l'Union nationale des
associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes
(UNASEA).
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné que la
déstabilisation des familles et l'aggravation de la fracture sociale
soulevaient de nouveaux problèmes en matière de protection de
l'enfance qui conduisaient à réfléchir sur l'intervention
accrue des collectivités locales.
M. Jean-Jacques Andrieux
a tout d'abord indiqué qu'il centrerait
son intervention sur l'aide sociale à l'enfance bien que les
associations de sauvegarde relevant de l'UNASEA accueillent également
des enfants handicapés mentaux.
Il a rappelé que les associations de sauvegarde de l'enfance et de
l'adolescence, qui sont pour certaines centenaires, étaient au nombre de
118, réparties sur tous les départements, et qu'elles
représentaient 10.000 bénévoles ainsi que
25.000 travailleurs sociaux, principalement des éducateurs
spécialisés.
A titre liminaire, il a rappelé que la crise économique et
l'évolution des modes de vie avaient induit de nouveaux comportements
qui avaient eu des conséquences dans le domaine de la protection de
l'enfance.
L'apparition du chômage de longue durée, la concentration des
difficultés économiques sur des territoires
déterminés ont fragilisé les familles et affaibli le sens
de la solidarité de proximité. Les familles touchées par
la crise ont eu tendance à chercher une réponse à leurs
difficultés immédiates plutôt que de s'investir sur le lien
social.
M. Jean-Jacques Andrieux
a mis l'accent parallèlement sur la
transformation du modèle familial. Il a souligné la
multiplication des familles monoparentales ainsi que la remise en cause du
rôle des pères : ceux-ci, qui jouent un rôle important
dans les familles d'origine méditerranéenne, ne sont pas parvenus
à prendre le relais éducatif de la mère alors même
que les situations de chômage les rendaient plus présents à
la maison.
M. Jean-Jacques Andrieux
a souligné que la situation de la
famille avait donc considérablement changé depuis l'intervention
des lois de décentralisation de 1983 qui avaient transféré
aux départements la compétence et la charge financière de
la protection de l'enfance.
Il a estimé que, de 1983 à 2000, la dégradation avait
été telle que les outils de l'aide sociale à l'enfance
s'étaient trouvés parfois difficiles à mettre en oeuvre.
Il a vu un facteur aggravant dans le fait que les lois de 1983 avaient
organisé une " zone de conflit ", en inscrivant en
dépense obligatoire à la charge des départements le
financement des décisions de placement en établissement prises
par les magistrats de l'ordre judiciaire. Il a considéré que,
s'il était difficile de revenir en arrière sur ce point, le
manque de concertation entre les départements et les juges était
regrettable.
Concernant le bilan de la décentralisation, il a souligné que
celui-ci devait être apprécié au niveau des
possibilités et des moyens.
Il s'est félicité que la décentralisation ait ouvert la
possibilité d'aménagements positifs et de progrès en
permettant de rapprocher la décision de l'action et de renforcer la
cohérence des interventions. Toutefois, il a regretté que,
parfois, comme avant 1983, les compétences des acteurs sociaux se
juxtaposent sans converger nécessairement, prenant l'exemple de la
détection d'un problème scolaire chez un enfant qui peut
révéler un problème familial en amont.
Il a mis également au crédit de la décentralisation une
capacité accrue d'analyse multipartite des besoins et des
réponses en matière de protection de l'enfance.
En revanche, concernant les moyens,
M. Jean-Jacques Andrieux
a
estimé qu'il s'agissait du point faible de la décentralisation.
Il a considéré que le dispositif de transfert de ressources
adopté en 1983 était trop rigide. Il a regretté l'absence
d'évaluation globale de ce dispositif qui avait entraîné
une distorsion croissante entre les besoins sociaux et la capacité
financière des départements en matière d'aide sociale
à l'enfance (ASE).
Il a noté que des départements sinistrés
économiquement, tels que la Lorraine par exemple, connaissaient des
besoins sociaux considérables tout en étant confrontés
à une diminution de l'assiette des recettes fiscales
transférées au titre de la vignette et des droits de mutation en
raison de la crise économique.
Il a estimé que cette situation s'était traduite par une approche
financière " assez angoissée " de l'ASE par les
conseils généraux qui avaient été rapidement
empêchés d'imaginer ou de mettre en place de nouvelles
réponses sociales.
Evoquant les propositions de l'UNASEA,
M. Jean-Jacques Andrieux
a tout
d'abord rappelé que son association avait alerté les pouvoirs
publics depuis 1994, sans véritable succès.
Il a tout d'abord souhaité une concertation entre l'Etat, les conseils
généraux et les associations pour repenser l'assistance
éducative en milieu ouvert (AEMO) dont il a souligné le
caractère essentiel.
Il a rappelé la distinction entre l'AEMO administrative,
décidée à l'initiative des conseils généraux
avec le consentement des familles, et l'AEMO judiciaire qui résulte
d'une décision imposée aux familles par le juge, en regrettant
que cette dernière se soit développée au détriment
de la première.
Il a envisagé une redéfinition du contenu et des objectifs des
AEMO en estimant que le suivi effectué par un éducateur
spécialisé ne devait pas porter seulement sur un enfant mais
également sur une famille et en regrettant par ailleurs que, dans le
contexte actuel, certains enfants ne puissent être vus par leur
éducateur que deux heures par semaine.
Il a observé que le prix de journée de l'AEMO était dix
fois moins élevé qu'une mesure de placement familial et quinze
fois moins élevé que celui du placement en établissement.
Il a estimé urgente une concertation visant à améliorer le
dispositif actuel en l'appuyant de compléments institutionnels, tels,
par exemple, que de nouvelles formes d'internat scolaire avec un encadrement
éducatif permettant d'offrir un cadre plus strict pour certains enfants.
M. Jean-Jacques Andrieux
a souligné le gaspillage de l'argent
public lorsque les AEMO débouchaient sur un échec qui conduisait
quasi inéluctablement à une décision de placement en
établissement par le juge.
En second lieu,
M. Jean-Jacques Andrieux
a souhaité une
concertation entre les conseils généraux et les associations,
d'une part, et les magistrats judiciaires, d'autre part, afin de rechercher un
meilleur suivi des besoins et des réponses et de permettre de sortir de
la logique de défiance, sinon d'opposition, qui semble s'être
instaurée entre les parties prenantes.
Enfin,
M. Jean-Jacques Andrieux
a appelé de ses voeux une
réforme du financement des dépenses d'aide sociale.
Il a estimé que la dotation générale de
décentralisation (DGD), indexée sur la dotation globale de
fonctionnement (DGF) depuis 1983, ne suivait pas l'évolution
réelle des dépenses sur le terrain.
Il a proposé que la DGD soit calculée suivant la logique qui
avait été adoptée par la caisse nationale d'allocations
familiales (CNAF) en 1986 lors de la création du " contrat
enfance " : celui-ci était basé sur une
évaluation de la dépense d'ASE par enfant et donnait lieu
à un accompagnement financier par l'Etat dès lors que l'objectif
de progression des dépenses de la collectivité locale
était de plus de 15 %.
Il a considéré que la DGD devrait être modulée en
fonction de critères objectifs qui tiendraient compte de l'effort
financier en dépenses d'ASE par enfant et des recettes du
département rapportées au nombre d'enfants, afin que l'Etat
contribue à assurer les rattrapages nécessaires et à
accompagner les engagements nouveaux des collectivités locales.
Il a souhaité qu'un tel dispositif permette de sortir de la logique qui
veut que les départements considèrent l'ASE comme une
dépense obligatoire, non contrôlée et pour laquelle ils ne
jouent pas de rôle moteur.
Il a indiqué qu'il ne s'agissait pas d'instaurer une forme de
péréquation entre collectivités locales mais plutôt
d'imposer à l'Etat de compléter le niveau de la DGD pour tenir
compte de l'évolution de la dépense d'ASE depuis 1983.
En matière de coordination de l'action sociale,
M. Jean-Jacques
Andrieux
a rappelé que l'UNASEA défendait la
nécessité d'une action sociale globale et il a estimé,
à cet égard, qu'il manquait aujourd'hui un comité
départemental de suivi de l'ASE afin d'analyser les données
locales, d'organiser la complémentarité des acteurs et de
repérer " les cas lourds ". Des comités locaux de suivi
de l'ASE pourraient relayer l'action du comité départemental
à l'échelle de la commune ou du quartier. L'objectif serait
d'institutionnaliser la nécessité de rencontres entre les
intervenants pour leur permettre de se concerter sur un contrat d'objectifs et
de simplifier les procédures administratives.
Evoquant par ailleurs la modernisation du cadre des interventions
socio-éducatives,
M. Jean-Jacques Andrieux
a regretté le
dispositif d'habilitation prévu par la loi du 30 juin 1975 relative
aux institutions sociales et médico-sociales, confirmé dans le
futur projet de réforme, qui prévoit que l'autorisation
d'ouverture est accordée pour chaque établissement ou service.
Rappelant que l'intervention éducative devait être
diversifiée et que l'entité juridique responsable était
l'association qui mettait en oeuvre une palette de réponses
évolutive en fonction de la situation de l'enfant, il a
préconisé un mécanisme d'habilitation sous la forme d'une
convention passée entre le conseil général et une
association.
Il a précisé que le Québec avait mis en place des
mécanismes intéressants s'inspirant de cette logique
d'instauration d'un " partenariat de confiance " qui permet de
réduire les contrôles a priori.
Enfin,
M. Jean-Jacques Andrieux
a souhaité une réforme du
financement des interventions en matière d'aide sociale à
l'enfance actuellement assuré dans le cadre d'un prix de journée.
Afin de restaurer plus de souplesse, il s'est prononcé en faveur de la
technique du budget global pluriannuel, fondé sur le respect d'objectifs
qualitatifs, sur des évaluations régulières et sur des
critères de gestion des flux de placement qui permettent des adaptations
rapides en fonction des besoins des différents services.
S'agissant de la notion de collectivité locale " chef de
file ",
M. Jean-Jacques Andrieux
a estimé que le
conseil général devait incontestablement jouer un tel rôle,
tout en notant que la compétence des départements devrait
être réaffirmée dans le cadre de conventions à
l'égard des jeunes mineurs de 16 à 18 ans pour lesquels
apparaissent parfois des conflits de compétences avec les régions
en matière de formation professionnelle.
S'agissant des relations entre les travailleurs sociaux et les
départements,
M. Jean-Jacques Andrieux
les a qualifiées
" d'excellentes ", tout en notant qu'il n'en avait pas
été toujours ainsi dans la mesure où, au début du
processus de décentralisation, les différentes parties prenantes
étaient naturellement en situation de " confrontation de
légitimité ".
Il a souligné que les échanges techniques entre les
professionnels de l'action sociale et les fonctionnaires devaient être
complétés par des échanges politiques responsables entre
les conseils d'administration des associations et les autorités
politiques locales.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
a souligné la
qualité de l'intervention de M. Jean-Jacques Andrieux.
Audition de M. Philippe THILLAY,
secrétaire
national de l'association " Les Francas "
(5 avril
2000)
Puis la
mission d'information a procédé à
l'audition de M.
Philippe Thillay, secrétaire national de l'association " Les
Francas "
M. Philippe Thillay
a précisé que l'association " Les
Francas " était un mouvement d'éducation populaire
centré sur le temps libre des enfants et des adolescents qui avait
été créé en 1945, sous l'égide du conseil
national de la résistance (CNR), sur la base d'un projet du mouvement
des " Eclaireurs de France ", afin de permettre à tous les
jeunes d'accéder aux valeurs et aux richesses du scoutisme.
Il a indiqué que l'association avait d'abord animé des patronages
laïcs puis avait développé des centres aérés
et qu'elle comptait aujourd'hui 17.000 centres de loisirs sans
hébergement sur toute la France.
Il a souligné qu'une nouvelle approche de l'enfant et de la place du
temps libre devait être mise en oeuvre.
Il a constaté l'émergence, dans nos sociétés, du
temps libre des enfants qui n'étaient plus pris en charge par la famille
ni par le système éducatif : ainsi, la
généralisation du travail féminin, l'augmentation du
nombre de familles monoparentales et la civilisation urbaine ont
considérablement modifié le rôle des structures familiales.
Parallèlement, il a observé que l'école prenait en charge
les enfants moins de 1.000 heures par an alors que les centres de loisirs
permanents pouvaient fonctionner près de 2.000 heures.
En termes de finances publiques, il a rappelé que si les dépenses
publiques dans le domaine scolaire représentaient annuellement environ
600 milliards de francs et la politique familiale près de
300 milliards de francs, il demeurait impossible de chiffrer les moyens
mis en oeuvre en matière de prise en charge du temps libre des enfants.
Il a souligné que ce temps libre était un espace d'initiatives et
d'expériences mais qu'il était aussi porteur
d'inégalités car tous les enfants n'étaient pas dans les
mêmes conditions pour le valoriser.
Socialement,
M. Philippe Thillay
a souligné l'apparition d'une
forme de " désynchronisation des temps sociaux " due à
l'apparition des horaires variables et du télétravail, en
particulier dans les petites entreprises de moins de dix salariés,
qui représentent 90 % des entreprises. Il a fait ainsi état
d'un sondage réalisé dans la commune de Saint-Denis, montrant que
seulement 10 % de la population active travaillaient suivant des horaires
traditionnels.
Il a estimé que cette situation faisait courir un risque
d'émiettement et de repli sur soi pour la cohésion sociale, en
soulignant que les grandes manifestations sportives ou la consommation
médiatique de masse n'étaient sans doute pas suffisantes à
elles seules pour recréer un lien social.
Il a jugé illusoire de vouloir agir pour une meilleure articulation des
temps de vie des enfants en déconnectant cette préoccupation des
temps de vie des adultes.
Evoquant les propositions de réforme,
M. Philippe Thillay
a
constaté que les lois de décentralisation ne traitaient pas du
temps libre de l'enfant alors que les communes étaient
régulièrement confrontées à cette question dans le
cadre des partenariats proposés dans les contrats éducatifs
locaux, les contrats de ville ou les contrats spécifiques de la caisse
nationale des allocations familiales.
Rejetant l'idée d'une législation contraignante,
M. Philippe Thillay
a souhaité que les pouvoirs publics
incitent chaque commune, agglomération ou pays à élaborer
un schéma local d'aménagement du temps libre autour duquel
viendraient s'articuler les différentes politiques publiques en
matière éducative, sportive et culturelle.
Il a rappelé qu'en Italie les agglomérations de plus de
50.000 habitants pouvaient créer des " bureaux du temps "
afin de réguler les horaires de fonctionnement des services publics.
Il a pris l'exemple de l'aménagement des horaires d'ouverture des
différents lycées d'une même commune qui permettrait de
mieux répartir les flux de passagers dans les services de transports
publics.
Il a souligné que l'aménagement de " l'espace-temps "
représenterait, à l'avenir, un enjeu aussi important pour les
collectivités locales que celui de l'aménagement du territoire.
En matière éducative,
M. Philippe Thillay
a
souligné que le développement du temps libre de l'enfant allait
de pair avec l'entrée dans une société de l'information
" post-industrielle " qui mettait l'accent sur les valeurs
individuelles d'initiative, de responsabilité et de
créativité.
A cet égard, il a constaté que l'école n'était plus
le seul lieu de formation des enfants et que, simultanément, les adultes
étaient appelés à des formes d'éducation permanente.
De ce point de vue, il a estimé que le temps libre détenait un
fort potentiel éducatif illustré par les valeurs du scoutisme.
Il a donc souhaité l'émergence, au niveau local, de projets de
développement éducatif : les collectivités locales,
à l'échelle d'un pays ou d'une agglomération, devraient
élaborer, en responsabilité partagée avec l'Etat, une
offre de services éducatifs sur le temps non scolaire, ou, le cas
échéant, pour accompagner les activités scolaires.
Il a souhaité que ce dispositif soit accompagné d'un renforcement
de la compensation des inégalités des richesses entre
collectivités locales au sein de la dotation globale de fonctionnement.
S'agissant des mouvements associatifs,
M. Philippe Thillay
a
estimé que la loi de 1901 sur les associations était toujours
moderne car elle favorisait la prise de responsabilité par les citoyens.
Il a regretté que la décentralisation ait laissé de
côté les réseaux fédératifs entraînant
ainsi une fragilisation du tissu associatif local, tout en regrettant que les
subventions distribuées aux associations dans le cadre de la politique
de la ville n'aient pas apporté véritablement de point d'appui
pour consolider la vie associative.
Rappelant que le budget de la jeunesse et des sports représentait
0,2 % du budget de l'Etat et que 40 % de celui-ci étaient
destinés au secteur de l'éducation populaire, il a
regretté que, depuis les lois de décentralisation, les
subventions aux associations ne soient plus distribuées au niveau des
" têtes de réseau " départementales mais
versées directement au niveau local, au risque d'un certain
émiettement.
M. Philippe Thillay
a proposé tout d'abord un renforcement des
lieux de concertation avec la création de structures régionales
ou départementales destinées à relayer, au niveau local,
le rôle joué par le conseil national de la vie associative (CNVA).
Par ailleurs, il a souhaité que les conseils économiques et
sociaux régionaux (CESR) assurent une meilleure représentation
des associations par rapport à la représentation du monde du
travail qui est aujourd'hui dominante.
Financièrement, il a souhaité la restauration des flux de
subventions sur les têtes de réseau associatives dans le cadre de
conventions pluriannuelles et d'une procédure de labellisation pour
définir des critères clairs d'éligibilité.
Enfin, il s'est prononcé en faveur d'une simplification des
procédures de contractualisation aujourd'hui trop complexes.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est demandé à
quel niveau local pouvait être mise en place une politique globale du
temps libre de l'enfant.
M. Philippe Thillay
a considéré que la commune ou le pays
était le bon niveau pour impulser une politique générale
conçue de manière non autoritaire.
Il a rappelé, à cet égard, que trop souvent les enfants ne
percevaient pas leur présence en centres de loisirs comme du temps libre
en raison du caractère impératif et contraignant des horaires.
M. Jean-Paul Delevoye, président,
s'est interrogé sur la
prise en charge des enfants délinquants.
M. Philippe Thillay
a tout d'abord rappelé que la non-violence
n'était pas naturelle et que le système éducatif qui se
donnait pour vocation d'apprendre un métier, était
décrédibilisé dès lors que plusieurs
générations au sein de la même famille étaient
touchées par le chômage. Il a donc souligné qu'il
était indispensable de redonner des perspectives économiques aux
familles pour lutter contre la violence des jeunes.