III. LE DÉMANTÈLEMENT DE LA FISCALITÉ LOCALE
A. UNE FISCALITÉ LOCALE DE PLUS EN PLUS " VIRTUELLE "
1. Une marge de manoeuvre fiscale de plus en plus réduite
a) La marge de manoeuvre fiscale des collectivités locales ...
La marge
de manoeuvre fiscale des collectivités locales se définit comme
la
capacité des collectivités d'influencer le montant de leurs
recettes fiscales en votant les taux de leurs impôts
. Plus les
impôts considérés représentent une part importante
des recettes des collectivités locales, plus la marge de manoeuvre
fiscale est grande.
La part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les
collectivités locales votent les taux, rapportée aux recettes
totales hors emprunt des collectivités locales françaises, est
importante comparée à celles des autres pays de l'Union
européenne. En 1995, une étude réalisée par le
Crédit local de France faisait apparaître que, au sein de l'Union
européenne, seules les collectivités suédoises avaient une
marge de manoeuvre fiscale (60 %) supérieure à la situation
des collectivités françaises (54 %).
En revanche, les modalités du vote des taux par les collectivités
locales françaises correspondent aux pratiques en vigueur dans l'Union
européenne. Il apparaît en effet que, plus la possibilité
de voter les taux s'applique à une fraction importante des recettes
fiscales des collectivités locales, plus la liberté de voter les
taux est encadrée :
- la
Belgique
, les
Pays-Bas
et la
Grande-Bretagne
accordent une liberté totale en matière de vote des taux, mais
les impôts concernés représentent moins de la moitié
des recettes fiscales des collectivités ;
- à l'inverse, au
Danemark
et en
Italie
, les
collectivités votent les taux de la plupart des impôts qu'elles
perçoivent, mais leur liberté en matière de vote des taux
est encadrée par des mécanismes de plafonnement des taux.
- l'
Allemagne
a le régime le plus restrictif puisque les
collectivités locales supportent un encadrement des taux alors que le
impôts concernés ne représentent qu'une faible part de
leurs recettes fiscales. A l'inverse, en
Espagne
, les
collectivités votent librement les taux d'impôts qui
représentent près de 60 % de leurs recettes fiscales totales.
La situation de la France s'apparente à celle du Danemark et de
l'Italie. Le produit des quatre taxes directes locales représentait en
1999 environ
70 % du total des recettes fiscales des
collectivités
.
Cependant, la liberté des collectivités locales de voter les taux
de leurs impôts connaît des
limites
.
Tout d'abord, l'
article 1636 B septies
du code général des
impôts prévoit, d'une part, que "
les taux des taxes
foncières et de la taxe d'habitation votés par une commune ne
peuvent excéder deux fois et demie le taux moyen constaté
l'année précédente pour la même taxe dans l'ensemble
des communes du département ou deux fois et demie le taux moyen
constaté au niveau national s'il est plus élevé
"
et, d'autre part, que "
le taux de la taxe professionnelle voté
par une commune ne peut excéder deux fois le taux moyen de cette taxe
constaté l'année précédente au niveau national pour
l'ensemble des communes
".
L'
article 1636 B sexies
dispose aussi que le taux de la taxe
professionnelle acquittée par les entreprises ne peut pas augmenter
plus, ou baisser moins, que le taux de la taxe d'habitation ou, s'il est
inférieur, le taux moyen pondéré de la taxe d'habitation
et des taxes foncières.
Les collectivités locales n'utilisent pas toujours la possibilité
de faire varier librement les taux de leurs impôts directs qui leur a
été conférée par la loi du 10 janvier 1980 portant
aménagement de la fiscalité directe locale, et continuent
souvent, comme auparavant, à faire varier l'ensemble des taux dans les
mêmes proportions.
Décisions prises en 1999 par les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre en matière de vote des taux
|
Communes |
EPCI |
Variation dans les mêmes proportions |
31.263 |
943 |
Variation différenciée |
5.198 |
172 |
Total |
36.678 |
1.710 |
Source : Direction générale des impôts
Le vote
par les différents niveaux de collectivités de taux qui
s'appliquent à une même assiette aboutit parfois à annuler
l'effet pour les contribuables des baisses de taux décidées par
une collectivité.
Ainsi, en 1999, 6,3 % des communes ont diminué les taux de leurs
quatre taxes mais cela s'est traduit dans seulement 3,5 % des communes par
une baisse des taux globaux. Dans 73,9 % des communes, il y a eu
simultanément stabilisation ou augmentation des taux communaux et des
taux globaux. Dans 19,7 % des communes, il y a eu diminution des taux
globaux alors que les communes ne diminuaient pas les leurs, notamment en
raison de la baisse de leurs taux par dix départements et trois
régions.
Si les collectivités locales sont contraintes en matière de
fixation des taux, elles utilisent largement leur capacité de prendre
des délibérations pour accorder aux contribuables locaux des
exonérations
. En matière de taxe d'habitation, 6.894
communes ont décidé en 1999 un abattement général
à la base de 15 %, alors même que le code général
des impôts accorde déjà des exonérations et des
dégrèvements très larges pour les contribuables modestes.
En matière de taxe professionnelle, 10.372 communes,
67 départements et 14 régions ont opté pour
l'exonération de taxe professionnelle en cas de création
d'entreprises industrielles dans les zonages d'aménagement du
territoire. A l'inverse, très peu de communes utilisent leur
possibilité de revenir sur des exonérations accordées par
la loi (seulement 18 ont supprimé l'exonération de taxe
professionnelle dans les zones de revitalisation rurales).
Ces données méritent d'être soulignées car elles
témoignent du fait que les collectivités utilisent les
facultés qui leurs sont accordées en matière de
fiscalité, quand bien même les exonérations qu'elles
accordent ne font pas l'objet d'une compensation financière de la part
de l'Etat.
b) ... se réduit peu à peu
La part
des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les
collectivités votent les taux dans leurs recettes totales hors emprunt
s'élevait à 54 % en 1995. Cette proportion est aujourd'hui
inférieure car, en raison de la conjonction de plusieurs
phénomènes, la marge de manoeuvre fiscale des
collectivités locales françaises tend à se réduire :
La suppression de certains impôts
L'article 53 de la loi de finances pour 1993 a supprimé les parts
régionales et départementales de la taxe foncière sur les
propriétés non bâties.
L'article 29 de la loi de finances pour 1999 a supprimé la taxe
additionnelle régionale aux droits de mutation à titre
onéreux, soit plus de 10 % des recettes fiscales totales des
régions.
La loi de finances rectificative pour 2000 supprime la part régionale de
la taxe d'habitation, soit près de 15 % de leurs recettes fiscales
totales et 22 % du produit des quatre taxes.
En deux ans, la suppression de deux impôts perçus par les
régions a réduit d'environ 25 % le montant total des
recettes fiscales des régions.
La suppression de la possibilité de voter les taux
L'article 29 de la loi de finances pour 1999 a réduit le taux des droits
de mutation à titre onéreux des départements sur les
locaux à usage professionnels et, de fait, a supprimé leur
capacité à voter les taux de cet impôt.
L'article 9 de la loi de finances pour 2000 a poursuivi la réforme de
1999 en unifiant les taux départementaux des droits de mutation à
titre onéreux sur les locaux d'habitation.
En matière de vote des taux par les collectivités locales, les
évolutions constatées en métropole contrastent avec celles
de l'outre-mer. A compter de l'entrée en vigueur de la loi d'orientation
pour l'outre-mer discutée au Parlement au printemps 2000, l'Etat
transférera les droits sur les tabacs aux départements
d'outre-mer, ainsi que le vote de leurs taux.
Les taux votés s'appliquent à des bases réduites
L'article 44 de la loi de finances pour 1999 a supprimé la fraction de
l'assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires, soit environ un
tiers de l'assiette d'un impôt dont le produit représente environ
la moitié du produit des quatre taxes directes locales. Avec cette
réforme, un sixième du pouvoir fiscal des collectivités
locales est en voie de disparition.