EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 28 juin 2000, sous la présidence
de M.
Roland du Luart, vice-président, la commission a entendu une
communication de M. Louis-Ferdinand de Rocca-Serra, rapporteur
spécial du budget des charges communes, sur la mission de contrôle
qu'il a effectuée sur la gestion et l'utilisation des dépenses
éventuelles et accidentelles depuis 1990.
M. Louis-Ferdinand de Rocca-Serra, rapporteur, procédant à l'aide
d'une vidéo projection, a rappelé que lors de l'examen du projet
de loi de finances pour 2000, il avait attiré l'attention sur
l'évolution inhabituelle des crédits inscrits sur les chapitres
37-94 et 37-95 du budget des charges communes, destinés aux
dépenses éventuelles et aux dépenses accidentelles, ces
dernières progressant de plus de 260 %, sans la moindre
justification. Son homologue à l'Assemblée nationale, M. Thierry
Carcenac, avait d'ailleurs fait la même analyse. Le rapporteur avait
alors interrogé le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie de l'époque, tant en commission qu'en séance
publique, qui ne lui avait pas apporté une réponse satisfaisante.
C'est pourquoi il avait décidé d'effectuer un contrôle sur
l'utilisation et la gestion de ces crédits depuis 1990.
M. Louis-Ferdinand de Rocca-Serra, rapporteur, a rappelé que le
régime juridique de ces crédits est déterminé par
l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. Son article 7 qui pose le
principe de la spécialité des crédits par chapitre, y
prévoit des exceptions, notamment l'existence de chapitres
budgétaires permettant de faire face à des dépenses
éventuelles ou à des dépenses accidentelles. L'article 10
de l'ordonnance concerne les dépenses éventuelles. Il
prévoit qu'un crédit global pour dépenses
éventuelles sert à abonder, le cas échéant, les
crédits provisionnels, ces derniers s'appliquant aux dépenses
dont le montant ne peut correspondre exactement à la dotation inscrite
en loi de finances. Le prélèvement sur les chapitres
concernés est opéré par arrêté du ministre
des finances. Quant aux dépenses accidentelles, leur régime
juridique est fixé par l'article 11 de l'ordonnance de 1959. Ces
dépenses constituent une exception au principe du caractère
limitatif des crédits, selon lequel une dépense ne peut
être décidée que dans la limite des crédits inscrits
au chapitre auquel elle se rattache. Ainsi, en cas de calamités ou de
dépenses urgentes ou imprévues, le Gouvernement peut recourir aux
dépenses accidentelles, par décret pris sur rapport du ministre
des finances.
Le rapporteur a indiqué que, selon le ministère des finances,
aucune difficulté particulière n'était rencontrée
dans l'application des règles fixées par l'ordonnance organique.
Toutefois, les modifications qui pourraient lui être apportées
auraient très certainement des incidences sur le régime juridique
des dépenses éventuelles et accidentelles. Sans vouloir anticiper
sur les conclusions de la réflexion menée par le président
Alain Lambert sur la réforme de l'ordonnance organique, il a
rappelé que la distinction entre crédits provisionnels et
crédits limitatifs était pour le moins " byzantine ",
et que la réforme qui serait proposée devrait à ses yeux
concerner les articles 10 et 11 de l'ordonnance de 1959.
M. Louis-Ferdinand de Rocca-Serra, rapporteur, a ensuite abordé la
question de la détermination des crédits pour dépenses
éventuelles et accidentelles. Il a rappelé que ces crédits
étaient inscrits au budget des charges communes, dont il avait par
ailleurs souligné le caractère paradoxal et
hétéroclite. Ce budget est passé, en crédits bruts,
de 429 milliards de francs en 1990, à 702 milliards de francs
en 2000, soit une progression de 63,7 % en dix ans. En crédits nets
des remboursements et dégrèvements d'impôts, cette
progression est de 43 %, passant de 259 ,3 milliards de francs
en 1990 à 370,8 milliards de francs en 2000. Les dépenses
éventuelles et accidentelles ne représentent ainsi qu'une
très faible part de cette masse considérable de
crédits : entre 0,08 % et 0,52 % au cours des dix
dernières années. Toutefois, la faiblesse de ces chiffres ne doit
pas masquer l'importance des variations de leur montant, soit un écart
de 1 à 6,5.
Il a déploré que, depuis deux ans, les crédits inscrits
aux chapitres 37-94 et 37-95 du budget des charges communes n'avaient
donné lieu à aucune explication. A l'exception de 1996, lorsque
le Parlement avait souhaité réaliser des économies
supplémentaires par rapport au projet de loi de finances
présenté par le Gouvernement, le niveau des crédits
alloués aux dépenses éventuelles est resté
relativement stable, entre 245 et 300 millions de francs. En revanche, les
dépenses accidentelles ont progressé de façon
exponentielle depuis deux ans, passant de 260 millions de francs en 1998
à 450 millions de francs en 1999, puis à 1,46 milliard
de francs en 2000. Or, il convient de constater que le mode de
détermination des crédits inscrits à ces chapitres est
volontairement imprécis. En effet, le ministère indique que le
niveau des besoins est apprécié en fonction de l'exécution
des années passées. Cette affirmation n'a pas paru
éclairante au rapporteur. Il lui est en effet apparu pour le moins
curieux de constater que le caractère éventuel ou accidentel des
crédits en question se reproduisait avec régularité chaque
année, ce que semblerait montrer le niveau des crédits inscrits
au budget. Par ailleurs, la très forte progression des dépenses
accidentelles n'est pas argumentée de façon convaincante, le
ministère ayant indiqué au rapporteur que cette augmentation
accompagnait la réforme des méthodes de gestion de
l'exécution budgétaire, la mise en place des contrats de gestion
en particulier. La référence aux contrats de gestion
révèle l'évolution de la nature et du rôle des
crédits pour dépenses éventuelles accidentelles. En fait,
les contrats de gestion, modalité nouvelle du gel des crédits, ne
permettent pas de chiffrer avec précision le montant des
économies qu'ils sont censés réaliser. Ils visent à
constituer une réserve de crédits que le Gouvernement peut
utiliser pour faire face aux aléas de la conjoncture.
M. Louis-Ferdinand de Rocca-Serra, rapporteur, a estimé que, si la
constitution de réserves budgétaires n'était pas
condamnable en soi, puisqu'elle permettait de faire face à
d'éventuels retournements de conjoncture, elle ne jouait son
véritable rôle qu'en cas d'équilibre ou d'excédent
budgétaire. Or, il a rappelé que le Gouvernement constituait des
réserves de crédits en situation de déficit
budgétaire. S'il existe des sous-consommations tendancielles de
crédits, comme le reconnaît d'ailleurs le ministère, il
conviendrait logiquement de réduire la dotation inscrite sur le chapitre
concerné.
Il a, par ailleurs, considéré que l'utilisation des
crédits pour dépenses éventuelles et accidentelles est
parfois sans lien avec les dispositions de l'ordonnance organique de 1959. Il a
ainsi constaté que certaines dépenses éventuelles
revêtaient un caractère récurrent telles que celles qui
concernent les frais de réception et les voyages officiels
financés sur le chapitre 34-03 du budget des affaires
étrangères, tandis que d'autres revêtent un
caractère bien plus accidentel qu'éventuel : c'est ainsi que
les conséquences d'intempéries ou de calamités climatiques
sont supportées par les crédits pour dépenses
éventuelles. Les dépenses accidentelles, dont une partie parfois
importante fait l'objet de mouvements de crédits non publiés au
Journal officiel pour des raisons tenant à la défense nationale,
sont parfois utilisées pour financer les opérations dont le
caractère accidentel ou imprévu est très incertain. Il a
ainsi cité le financement du livre blanc sur les retraites et diverses
interventions en faveur de l'action sociale en 1991, le
déménagement du ministère de la défense en 1992, le
versement d'allocations de recherche en 1994 ou de bourses d'enseignement
supérieur en 1995, des études relatives à des
opérations de restructuration du secteur public en 1998, ou encore
diverses dépenses de fonctionnement qualifiées d'exceptionnelles.
Il a ensuite indiqué que 1,74 milliard de francs avaient
été mobilisés pour réparer les conséquences
des catastrophes intervenues à la fin de l'année 1999 :
202 millions de francs au titre des dépenses éventuelles et
1,54 milliard de francs au titre des dépenses accidentelles,
réparties en 570 millions de francs pour les suites de la
marée noire et 970 millions de francs pour faire face à
celles de la tempête.
Il a conclu en insistant sur la sous-consommation récurrente des
crédits pour dépenses éventuelles et accidentelles, notant
que cette sous-consommation était plus importante pour les
dépenses éventuelles que pour les dépenses accidentelles.
Surtout, cette sous-consommation ne joue aucun rôle dans la
détermination de la dotation initiale inscrite dans le projet de loi de
finances de l'année suivante, en contradiction avec l'affirmation du
ministère selon laquelle " le niveau des besoins est
apprécié en fonction de l'exécution des années
passées ".
La commission a alors donné acte au rapporteur des conclusions de sa
communication et a décidé d'autoriser leur publication sous la
forme d'un rapport d'information.