La défense antimissiles du territoire (NMD) aux Etats-Unis
VILLEPIN (Xavier de)
RAPPORT D'INFORMATION 417 (1999-2000) - COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES
Rapport au format Acrobat ( 201 Ko )Table des matières
-
INTRODUCTION
-
I. LA NATIONAL MISSILE DEFENSE (NMD) : NOUVEL
IMPÉRATIF POLITIQUE POUR LA DÉFENSE AMÉRICAINE
- A. UN PROGRAMME RÉCENT QUI CORRESPOND À DES PRÉOCCUPATIONS ANCIENNES
- B. UN PROGRAMME RAISONNABLEMENT MESURÉ DANS SES CHOIX TECHNOLOGIQUES, SES AMBITIONS ET SES IMPLICATIONS FINANCIÈRES
-
II. DES IMPLICATIONS STRATÉGIQUES MAJEURES
- A. UN IMPACT CONSIDÉRABLE SUR LES RELATIONS AMÉRICANO-RUSSES
- B. LES INCIDENCES SUR LES ÉQUILIBRES REGIONAUX, LE DÉSARMEMENT ET LA NON-PROLIFÉRATION
- C. LE DÉBAT SUR LA NMD AU SEIN DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE
- D. LA FRANCE ET LA NMD
- III. VERS UNE DÉCISION DE DÉPLOIEMENT DE LA NMD ?
-
I. LA NATIONAL MISSILE DEFENSE (NMD) : NOUVEL
IMPÉRATIF POLITIQUE POUR LA DÉFENSE AMÉRICAINE
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
-
ANNEXE I -
ÉLÉMENTS DE CHRONOLOGIE SUR LA DÉFENSE ANTIMISSILES BALISTIQUES -
ANNEXE II -
TRAITÉ ENTRE LES ETATS-UNIS ET L'U.R.S.S.
SUR LA LIMITATION DES SYSTÈMES ANTIMISSILES-BALISTIQUES
SIGNÉ À MOSCOU LE 26 MAI 1972 -
ANNEXE III -
LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES
PAR LE RAPPORTEUR
N°
417
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 14 juin 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la défense antimissiles du territoire (NMD) aux Etats-Unis ,
Par M.
Xavier de VILLEPIN,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.
Défense |
|
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Une décision des autorités américaines sur le lancement
d'un programme de défense du territoire de Etats-Unis contre les
missiles balistiques est attendue d'ici l'automne prochain.
Une décision positive consacrerait l'impulsion nouvelle donnée au
programme de défense antimissiles du territoire (
National Missile
Defense - NMD),
engagé depuis plusieurs années.
L'actuelle administration américaine, fortement poussée par le
Congrès, avait en effet relancé ce programme à la suite,
notamment, du constat établi en juillet 1998 par une commission
indépendante, présidée par l'ancien secrétaire
d'Etat à la défense Rumsfeld, soulignant l'émergence,
à brève échéance, de menaces nouvelles liées
à la prolifération balistique. Le tir d'un engin balistique par
la Corée du Nord, le 31 août 1998, venait donner corps aux
conclusions de cette commission et replaçait la défense
antimissiles au coeur du débat sur la politique de défense aux
Etats-Unis.
Quelques mois plus tard, le Congrès approuvait à une très
large majorité le
National Missile Defense Act
du 22 juillet
1999, stipulant que serait déployé, aussitôt que
techniquement possible, un
système de défense antimissiles
destiné à protéger le territoire national américain
d'une frappe balistique limitée
.
Ce programme se trouve actuellement dans une phase préliminaire
d'analyse stratégique, financière et technique, à l'issue
de laquelle il appartiendra au Président des Etats-Unis de
décider du déploiement du système de défense
antimissiles du territoire.
Par ses ambitions -répondre à une frappe balistique
limitée- ses caractéristiques techniques -l'utilisation
d'intercepteurs terrestres- et son coût financier, de l'ordre de 60
milliards de dollars sur quinze ans, le programme de défense
antimissiles du territoire se distingue nettement des projets imaginés
au cours des années 1980, dans le cadre de l'initiative de
défense stratégique (IDS). Il possède des
éléments de parenté avec les systèmes de
défense antimissiles de théâtre (
Theater Missile Defense
- TMD
) couvrant des zones plus réduites et dont le
développement a déjà atteint un stade relativement
avancé.
En dépit des débats sur la maturité technologique du
programme ou sur son impact budgétaire, le principe de la défense
antimissiles du territoire
recueille aux Etats-Unis un large
assentiment
, fondé sur une sensibilité particulière
aux risques liés à la prolifération balistique,
particulièrement du fait des " Etats parias " (
rogue
states
), dont la sensibilité à la logique de la dissuasion,
qu'elle soit conventionnelle ou nucléaire, suscite des doutes ou des
interrogations.
Au moment où les Etats-Unis se voient reprocher une certaine distance
à l'égard des démarches multilatérales visant
à renforcer la sécurité internationale -on pense, en
particulier, au refus du Sénat d'approuver le traité
d'interdiction complète des essais nucléaires- la
détermination affichée par les autorités
américaines pour mener à bien le programme de défense
antimissiles du territoire alimente un
vif débat international
.
Il apparaît en premier lieu que
le déploiement de la NMD
contreviendrait aux dispositions du traité américano-russe ABM
(
Anti-Ballistic Missiles
)
de 1972, pièce majeure pour
la stabilité stratégique internationale, qui impose aux deux
parties une stricte limitation de leurs systèmes de défense
antimissiles et que la Russie se refuse pour le moment à
renégocier.
Deuxièmement, de nombreux commentateurs voient dans la NMD un
facteur
de relance de la course aux armements et de blocage des discussions
multilatérales sur le désarmement et la
non-prolifération
. Un débat se développe au sujet des
incidences des programmes de défense antimissiles sur les
équilibres stratégiques dans les zones directement
concernées par la prolifération balistique
, à savoir
le Moyen-Orient et l'Asie.
Ce projet suscite également des interrogations au sein de l'Otan
où la question de la défense contre les missiles balistiques
pourrait, à l'avenir, se poser plus ouvertement et créer
certaines divergences entre alliés.
*
* *
L'ensemble de ces éléments justifiait que votre
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées cherche à mieux comprendre la nature et les
caractéristiques du programme NMD et à en analyser les enjeux et
les implications.
L'objectif de ce rapport d'information est triple :
- présenter les
principaux aspects du programme NMD
en le
resituant dans l'ensemble des programmes de défense antimissiles
menés depuis plusieurs années aux Etats-Unis et en analysant les
différents enjeux politiques, militaires et industriels qui en font
aujourd'hui un
nouvel impératif politique
pour la
défense américaine
;
- procéder à une
première évaluation des
implications stratégiques de ce programme
sur le dialogue
américano-russe, la politique de désarmement et de lutte contre
la prolifération, les équilibres régionaux et l'Alliance
atlantique ;
- enfin, s'interroger sur ses
conséquences pour la France
, au
regard de sa doctrine militaire et de ses positions en matière de
désarmement, mais aussi de ses propres réflexions en
matière de défense antimissiles.
Votre commission espère ainsi contribuer à éclairer un
débat aux multiples incidences dans le domaine de la
sécurité internationale.
I. LA NATIONAL MISSILE DEFENSE (NMD) : NOUVEL IMPÉRATIF POLITIQUE POUR LA DÉFENSE AMÉRICAINE
La
défense contre les missiles balistiques est loin de constituer une
préoccupation récente aux Etats-Unis puisque les recherches et
les projets se succèdent depuis plus de quarante ans et ont donné
lieu, dans le domaine de la défense de théâtre, à
des premières réalisations. L'idée de mettre en oeuvre une
défense globale du territoire américain contre les missiles
balistiques est revenue en force, à partir de 1998, sous l'impulsion
politique d'un Congrès sensible à l'évolution de la
prolifération balistique dans le monde.
Par ses ambitions, ses implications technologiques et son coût, la
National Missile Defense
(NMD)
diffère cependant
très sensiblement de l'Initiative de Défense Stratégique
lancée en 1983 par le Président Reagan. Elle se veut plus
limitée dans ses objectifs et donc plus réaliste quant à
ses perspectives de mise en oeuvre effective.
A. UN PROGRAMME RÉCENT QUI CORRESPOND À DES PRÉOCCUPATIONS ANCIENNES
La NMD s'inscrit dans une longue lignée de programmes de défense antimissiles conduits depuis plus de quarante ans. La fin de la guerre froide et l'expérience de la guerre du Golfe ont jusqu'à récemment conduit à privilégier les recherches sur la défense de théâtre mais, depuis 1998, une perception nouvelle de la menace a relancé l'actualité d'un système de protection du territoire américain contre des frappes limitées de missiles balistiques.
1. Continuité de la défense antimissiles aux Etats-Unis
Les
missiles balistiques
constituent les vecteurs privilégiés
des armes de destruction massive, nucléaires, bactériologiques ou
chimiques, et se caractérisent par leur
capacité de frappe
à distance
très supérieure à celle d'un avion
ou d'un missile de croisière grâce à leur
vitesse
très élevée
(de 1 à 5 kilomètres
par seconde), qui permet une
durée de vol extrêmement
brève
, et à leur
trajectoire
, qui se déroule
en majeure partie dans l'espace exoatmosphérique
, à une
altitude comprise entre 100 et 1 000 km. La défense contre les
missiles balistiques exige donc des propriétés très
différentes de celle contre les avions ou les missiles de
croisière, puisqu'il s'agit d'être en mesure, dans des
délais très brefs, de détecter, de suivre puis
d'intercepter des cibles extrêmement rapides, qui peuvent de
surcroît se disperser lors de leur rentrée dans
l'atmosphère.
Les Etats-Unis, comme l'Union soviétique, s'étaient depuis
longtemps préoccupés de mettre au point des systèmes de
défense antimissiles qui sont toutefois rapidement apparus d'un
intérêt restreint face à des arsenaux nucléaires
très développés, puis ont été
sérieusement limités dans le cadre de la doctrine de la
" destruction mutuelle assurée ". La prolifération
balistique, touchant des Etats envers lesquels la dissuasion nucléaire
n'apparaissait pas aussi déterminante, a relancé
l'intérêt de ces programmes.
DÉPENSES ENGAGÉES AUX ETATS-UNIS POUR LES
PROGRAMMES DE DÉFENSE
CONTRE LES MISSILES BALISTIQUES
1957-1999
en milliards de dollars 2000
Programmes |
Coût |
Nike Zeus 1962-1965 |
3,5 |
Nike X 1964-1968 |
10,0 |
Safeguard 1968-1978 |
23,1 |
IDS - NMD - TMD 1987-1999 |
68,7 |
Autres 1957-1999 |
16,6 |
|
122,0 |
(Source : Atomic Audit, S. Schwartz - Brookings Institution Press (1998), mis à jour par L. Heeter, Center for Strategic and Budgetary Assessments (mars 2000)) |
a) La défense antimissiles face à la menace soviétique : des années 1950 à l'Initiative de défense stratégique
Amorcées aux lendemains de la seconde guerre mondiale,
après que l'Allemagne eut lancé ses missiles V2,
les
recherches sur la défense antimissiles aux Etats-Unis ont
été activées à partir de 1957
. C'est en effet
au cours de cette année, qui vit également le lancement par les
Soviétiques du satellite Spoutnik, que fut lancé le programme de
défense antimissiles
Nike Zeus
, devenu quelques années
plus tard
Nike X
, et destiné à tenter de répondre
à la menace provenant d'un arsenal nucléaire soviétique en
rapide progression. Imaginé autour d'intercepteurs lancés
à partir de quelques 3 600 satellites évoluant en orbite
basse, ce projet est abandonné en 1964 pour des raisons tant
technologiques que financières. Le programme de défense
antimissiles sera repris à partir de 1967 avec le projet
Sentinel
du Président Johnson, présenté comme devant
protéger le territoire américain d'une attaque chinoise. Le
système envisagé reposait sur une vingtaine de radars d'alerte et
de désignation d'objectifs et sur 2 500 missiles dotés d'une
charge nucléaire répartis sur 25 sites de lancement. Alors
qu'à partir de 1966 les Soviétiques commencent à
déployer leurs propres défenses antimissiles autour de Moscou, le
Président Nixon réoriente en 1969 le programme
Sentinel
,
rebaptisé
Safeguard
, en vue de défendre les silos de
missiles stratégiques américains. Le déploiement n'est
alors envisagé que sur deux sites de lancement.
La
signature, le 26 mai 1972, du traité ABM
(
Anti-Ballistic
Missiles
) entre la Russie et les Etats-Unis marque une étape
très importante dans l'évolution des programmes de défense
antimissiles. Conscients des risques liés au développement
parallèle des défenses antimissiles et des arsenaux
nucléaires,
les deux parties s'engagent à renoncer à
une protection globale
de leur territoire
ou d'une région
particulière de ce territoire, seuls deux sites de défense ABM
étant autorisés, l'un pour la protection de la capitale, l'autre
pour celle d'une base de missiles sol-sol, ces systèmes de
défense ne pouvant par ailleurs être basés en mer, dans
l'air, dans l'espace ou sur des plates-formes terrestres mobiles. En 1974, un
protocole additionnel réduira le nombre de sites autorisés de
deux à un seul pour chacune des parties.
Sur cette base, les Soviétiques ont mis en oeuvre un
système
de défense antimissiles balistiques autour de Moscou
reposant sur un
réseau de satellites d'alerte, plusieurs radars et un ensemble
d'intercepteurs dotés de charges nucléaires.
Les
Etats-Unis
avaient, pour leur part, commencé à
déployer, à partir de 1975, leur système
Safeguard
sur le site de Grand Forks (Dakota du Nord) abritant des silos de missiles
sol-sol intercontinentaux. Toutefois, les doutes pesant sur l'efficacité
du système face aux missiles soviétiques à têtes
multiples et l'analyse des effets que produirait la détonation des
charges nucléaires de l'intercepteur comme du missile intercepté
conduisent le gouvernement américain à décider
l'
abandon du projet en janvier 1976
.
Il faut attendre le discours dit de la " guerre des étoiles ",
prononcé le 23 mars 1983 par le Président Reagan, pour voir
spectaculairement relancé le thème de la défense
antimissiles du territoire américain. En présentant
l'Initiative de défense stratégique
(IDS), le
Président Reagan remettait en cause la notion de " destruction
mutuelle assurée ", qui fondait la doctrine de dissuasion
nucléaire, et proposait un bouclier spatial qui rendrait les armes
nucléaires " impuissantes et obsolètes ". L'IDS avait
en effet pour ambition de
protéger les Etats-Unis d'une attaque
massive de plusieurs milliers de têtes nucléaires
soviétiques
.
En janvier 1984 était créée l'
Organisation pour
l'initiative de défense stratégique (SDIO)
en vue de
rassembler et de regrouper tous les programmes de recherche menés par le
département de la Défense.
Il est difficile de décrire précisément les
systèmes envisagés dans le cadre de l'IDS tant ont
été rassemblés sous cette appellation un grand nombre de
programmes de défense antimissiles. Le concept de déploiement
défini en 1988 prévoyait une première phase censée
parer l'attaque de la moitié des missiles SS-18 soviétiques,
grâce à divers types de capteurs à terre ou dans l'espace
et à deux types d'intercepteurs, l'un basé à terre et
l'autre dans l'espace (
Brillant Pebble).
Le système devait
ultérieurement être complété par d'autres capteurs
ainsi que par plusieurs autres moyens de destruction des missiles ennemis,
notamment un laser spatial, un laser basé à terre et un canon
à très haute vitesse.
L'IDS marque une
étape importante
dans les programmes
américains de défense antimissiles avec
l'abandon du concept
d'interception indirecte
par des missiles dotés de têtes
explosives, à l'instar des défenes ABM déployées
autour de Moscou pourvues de charges nucléaires, et le
choix de
techniques d'interception directe par collision
(concept
hit to
kill
) exigeant un degré de précision beaucoup plus
élevé.
Caractérisée par l'utilisation de technologies spatiales et la
recherche d'une destruction précoce des missiles durant leur phase de
propulsion, l'IDS a constitué un important moyen de pression
américain sur l'Union soviétique en vue de la conduire à
négocier dans le domaine du désarmement. Plus de 26 milliards de
dollars auraient été consacrés, dans le cadre de l'IDS,
à des programmes de recherche dont les retombées, dans le domaine
de la défense antimissiles comme dans d'autres secteurs technologiques,
ont été très conséquentes.
b) La fin de la guerre froide et la réorientation vers la protection contre des frappes limitées : du GPALS à la NMD
Dans un
discours prononcé le
29 janvier 1991
, le Président Bush,
tirant les conséquences de l'évolution du contexte
stratégique et des évaluations menées par la SDIO,
annonçait la fin de l'IDS et le
lancement d'un nouveau programme
axé sur la défense contre une frappe balistique
limitée
, accidentelle ou non autorisée. Le
programme
GPALS
(
Global Protection Against Limited Strikes
) devait permettre
de répondre à une menace de 200 têtes nucléaires.
Composé, dans sa configuration initiale, de 750 intercepteurs
basés à terre sur le site de Grand Forks, de 1 000
intercepeurs basés dans l'espace, de satellites d'alerte et de radars,
ce système devait protéger l'ensemble des Etats-Unis, y compris
Hawaï et l'Alaska. Tout en comportant des éléments spatiaux
pour la surveillance et les communications, le programme s'éloignait
toutefois du concept de bouclier spatial et reposait plus largement sur une
défense basée à terre.
En 1991 toujours, le Congrès adoptait le
Missile Defense Act
qui
entérinait l'idée d'une défense circonscrite à la
protection des Etats-Unis contre des frappes balistiques limitées et
fixant des objectifs dans trois secteurs différents :
- la défense antimissiles de théâtre (
Theater Missile
Defense - TMD
),
- la défense nationale antimissiles (
National Missile Defense -
NMD
),
- la recherche sur les intercepteurs spatiaux de destruction par énergie
cinétique ou rayonnement dirigé (programme
Brillant
Pebbles
).
La loi préconisait cependant une renégociation du traité
ABM afin de préserver la stabilité stratégique.
L'élection du Président Clinton marque, dans un premier temps,
une rupture assez nette, les négociations entreprises avec la Russie
pour redéfinir le traité ABM et permettre le déploiement
du système GPALS étant abandonnées et la priorité
étant donnée à la défense contre les missiles de
théâtre (TMD). Au demeurant, en mai 1993, la SDIO,
créée par l'administration républicaine, est
transformée en
Ballistic Missile Defense Organisation (BMDO)
,
signifiant que les préoccupations stratégiques passaient au
second plan après la défense contre les missiles à courte
portée susceptibles de frapper les troupes américaines
engagées sur les théâtres extérieurs ou des
alliés des Etats-Unis, notamment en Asie et au Moyen-Orient.
La
National Missile Defense (NMD)
entre alors dans une phase de veille
technologique, les objectifs de déploiement étant
abandonnés.
2. Une implication forte dans la défense antimissiles de théâtre
Dans une
conférence de presse prononcée en mai 1993, le Secrétaire
d'Etat américain à la défense, M. Aspin,
déclarait : " ...
nous n'avons plus besoin de l'important
programme d'armes spatiales que prévoyait Ronald Reagan. Saddam Hussein
et les missiles Scud nous ont montré qu'il nous fallait une
défense contre les missiles balistiques pour nos forces sur le terrain.
Cette menace est immédiate... C'est pourquoi nous avons fait de la
défense contre les missiles balistiques de théâtre notre
priorité absolue, afin de gérer les nouveaux dangers de
l'après-guerre froide et du monde post-soviétique. "
L'appellation défense antimissiles de théâtre (TMD)
recouvre plusieurs types de systèmes susceptibles de protéger des
zones de rayon variable. On distingue schématiquement la
défense de point
, destinée à protéger des
unités ou des aires de superficie limitée, et la
défense se zone
, protégeant des régions plus vastes
et exigeant de ce fait des moyens spécifiquement destinés
à la menace balistique. L'étendue de la superficie
protégée dépend de l'altitude d'interception qui
elle-même conditionne le type de systèmes à mettre en
oeuvre.
Sont ainsi développés des systèmes dit " couche
basse ", voués à la protection des points sensibles, et des
systèmes dits " couche haute " couvrant des zones plus larges.
Dans les deux types de système, on compte des composantes terrestres et
navales, le concept d'opération prévoyant une combinaison des
différents systèmes et de leurs composantes en fonction de
l'objectif recherché.
Les Etats-Unis sont aujourd'hui de loin le pays le plus engagé dans les
programmes de défense antimissiles de théâtre, même
si la Russie, avec le missile S-300, Israël avec l'Arrow, mené en
coopération étroite avec les Américains et
déployé depuis quelques mois ou encore la France et l'Italie,
avec la perspective d'une capacité antibalistique sur le missile Aster,
ont développé de tels systèmes.
a) Les systèmes " couche basse " : Patriot, MEADS et Navy Area Defense System
Destinés à la défense de point, les
systèmes antimissiles de théâtre " couche basse "
(
lower tier
) ne font pas obligatoirement appel à des innovations
technologiques majeures et peuvent dériver de systèmes sol-air
moyenne portée conçus pour la défense antiaérienne.
Les Etats-Unis mènent ainsi actuellement un programme destiné
à pourvoir les missiles
Hawk
, mis en oeuvre par le Marine Corps
et constamment améliorés depuis les années 1960, de
capacités contre les missiles balistiques à courte portée.
De même, les missiles sol-air
Patriot améliorés
(PAC-2)
déployés durant la guerre du Golfe avaient-ils
été adaptés pour intercepter des missiles balistiques,
fonction pour laquelle ils n'avaient pas été conçus
à l'origine.
L'utilisation du
Patriot PAC-2
en Israël et en Arabie Saoudite
contre les missiles irakiens Scud fait aujourd'hui l'objet d'une
évaluation sévère. Une analyse du
General Accounting
Office
considère que 9 % seulement des interceptions
tentées peuvent véritablement être
considérées comme ayant atteint leur but
Trois systèmes de défense de point " couche basse "
sont aujourd'hui en développement : le
Patriot PAC-3,
le
MEADS
et la
Navy Area Defense System.
LA
DÉFENSE ANTIMISSILES DE THÉÂTRE (TMD)
LES SYSTÈMES DE DÉFENSE DE POINT :
PATRIOT PAC 3, MEADS
ET
NAVY AREA
(
source : BMDO
)
Le
Patriot Advanced Capability-3 (PAC-3)
développé par
l'armée de terre, dont le déploiement doit s'échelonner
d'ici 2001, diffère très substantiellement, dans sa conception,
du
PAC-2
et repose sur un ensemble radar de surveillance et de poursuite
de l'objectif, une station de contrôle de l'engagement assurant la
conduite du tir, des rampes de lancement mobiles et un intercepteur par
collision directe. Le
PAC-3
a pour mission d'intercepter des missiles
balistiques tactiques comme des missiles de croisière. Il vise de
nombreux marchés à l'exportation, en particulier aux Pays-Bas, en
Allemagne et en Grèce, d'autres pays comme Taïwan, la Corée
ou certains Etats du Golfe ayant également manifesté leur
intérêt.
Les Etats-Unis souhaiteraient faire du
Patriot PAC-3
le système
de référence en matière de défense aérienne
élargie. Il pourrait constituer l'élément central du
système de défense élargi à moyenne altitude
MEADS
(
Medium Exended Air Defense System)
. Le programme
MEADS
a été lancé en 1995 à la suite d'un
mémorandum d'entente signé par l'Allemagne, la France, l'Italie
et les Etats-Unis, dans le cadre d'une agence OTAN chargée de
gérer la coopération. Ce programme, dont la France s'est
très rapidement retirée, a pour but de défendre troupes et
installations contre toute une gamme de menaces : missiles balistiques
tactiques, missiles de croisière et avions. Il s'agit en quelque sorte
de combler le vide existant entre les systèmes portatifs contre
aéronefs (tels que le
Stinger
) et les niveaux plus
élevés de défense antimissiles, en alliant la
mobilité d'un système transportable avec les troupes et
exploitable rapidement avec une capacité de couverture des forces de
manoeuvre.
Système mobile monté sur véhicule et conçu pour
offrir une couverture à 360° défendant une zone d'un rayon
de 8 à 10 km, le programme
MEADS
associe l'Allemagne et l'Italie
aux Etats-Unis, la maîtrise d'oeuvre industrielle étant
confiée à une joint venture regroupant Lockheed-Martin,
Daimler-Chrysler Aerospace et Alenia Marconi Systems. Il semble devoir se
résoudre à une évolution du
PAC-3
, qu'il pourrait
remplacer à terme, tout comme les missiles
Hawk
mis en oeuvre par
le Marine Corps. La mise en service opérationnelle n'est pas
envisagée avant 2009.
Le système naval de défense (
Navy Area Defense System)
est
un autre système de défense dans la couche basse de
l'atmosphère comparable au
PAC-3
qui sera intégré
aux croiseurs et destroyers
Aegis
de l'US Navy.
Ces bâtiments doivent voir leur radar et leur système de combat
adaptés à la défense contre les missiles balistiques
à courte et moyenne portée. Le missile à lancement
vertical
SM-2
sera amélioré, notamment par un guideur
infrarouge augmentant sa capacité d'interception. Ce système est
conçu pour protéger depuis la mer des zones de
débarquement, des ports ou d'autres points sensibles. Son
déploiement initial est prévu pour 2003.
LA DÉFENSE
ANTIMISSILES DE THÉÂTRE (TMD)
LES
SYSTÈMES DE DÉFENSE DE ZONE :
LE
THAAD
(
Source : BMDO
)
b) Les systèmes " couche haute " : les programmes THAAD et NTW
Les
systèmes de TMD " couche haute " (
Upper tier)
sont
destinés à intercepter les missiles dans la haute
atmosphère, ou hors de l'atmosphère à mi-course ou en
début de phase descendante. Ils permettent de défendre des zones
dont le rayon est compris entre une centaine et quelques centaines de
kilomètres.
Le programme de défense ponctuelle de théâtre à
haute altitude (
Theater High Altitude Area Defense - THAAD)
,
réalisé par l'armée de terre, est destiné à
constituer le niveau supérieur d'un système de défense
contre les missiles de théâtre basé à terre. Il
repose sur quatre éléments : des lanceurs montés sur
camion, des intercepteurs dotés d'un vecteur de destruction par
énergie cinétique, lui-même pourvu d'un guideur infrarouge
pour la phase finale d'interception, un système radar assurant la
surveillance, la poursuite de l'objectif, la conduite de tir et la
communication avec l'intercepteur en vol et enfin un système de
commandement et de conduite des opérations destiné au traitement
des données et à la formulation des instructions.
Après un début difficile, marqué par l'échec de
nombreux essais d'interception, le
THAAD
a réussi pour la
première fois à détruire, suite à un coup direct,
une cible simulant un missile Scud le 10 juin 1999. Après un autre
essai réussi au mois d'août, le programme confié à
Lockheed-Martin, est entré en phase de développement pour un
déploiement prévu en 2007.
Le système opérationnel tactique de la Marine (
Navy Theater
Wide - NTW)
vise pour sa part à permettre, à partir de
plates-formes navales, une interception de missiles aux différentes
phases de sa trajectoire : durant la phase ascendante grâce à
un positionnement près du pays assaillant, au cours de sa trajectoire,
ou, enfin, en phase descendante, par un positionnement près de la zone
à défendre.
Il s'agit d'une adaptation aux besoin " couche haute " du
système
Navy Area
prévu pour la " couche
basse ". Les principales modifications concernent le système Aegis,
le système de lancement vertical et le missile qui sera doté d'un
intercepteur à énergie cinétique.
LA
DÉFENSE ANTIMISSILES DE THÉÂTRE (TMD)
LES SYSTÈMES DE DÉFENSE DE ZONE :
LE
NAVY THEATER WIDE
ET SES CAPACITÉS DE DÉFENSE EN MER DU
JAPON
(Source : BMDO)
Le
programme
NTW
, quelque peu concurrent du
THAAD
bien que
théoriquement complémentaire, a fait l'objet en coût 1999
d'un accord de coopération avec le Japon sur des travaux de recherche.
Cet accord est généralement considéré comme
témoignant de l'intérêt du Japon pour une défense
antimissiles de théâtre " couche haute ",
particulièrement depuis le tir nord-coréen d'août 1998. Le
NTW
, conçu dans la logique d'une défense de
théâtre pour les Etats-Unis, paraît ainsi pouvoir constituer
pour des pays de superficie moindre ou archipélagiques, notamment en
Asie, un système de défense de l'ensemble du territoire. Par
ailleurs, la
Navy
mène des études en vue de modifier le
NTW
afin de pouvoir l'intégrer dans une défense nationale
antimissiles (NMD) qui reposerait alors sur des intercepteurs embarqués,
éventuellement combinés avec une défense basée
à terre.
Il convient également de mentionner le programme
Arrow
mené en coopération par les Etats-Unis et Israël, qui
est destiné à l'interception de missiles balistiques tactiques.
Lancé à partir d'un véhicule mobile, il s'agit d'un
missile à deux étages dont l'intercepteur est doté d'une
charge explosive à fragmentation, ce qui le différencie des
systèmes d'interception directe développés aux les
Etats-Unis. Le missile
Arrow
est opérationnel depuis cette
année dans l'armée israélienne.
c) Les systèmes complémentaires : les lasers aéroportés ou spatiaux
Alors
que la quasi-totalité des programmes de défense antimissiles
reposent sur des intercepteurs à énergie cinétique, les
Etats-Unis conduisent également des programmes de recherche sur
l'utilisation de la technologie laser pour détruire les missiles
assaillants.
Le système laser aéroporté (
Air Borne Laser-ABL)
développé par l'US Air Force est conçu pour frapper le
missile assaillant durant sa phase de lancement. Il s'agirait d'équiper
sept Boeing 747 d'un laser à haute énergie d'ici 2006. L'ABL
permettra d'attaquer des missiles de 300 km de portée à partir
d'un avion volant à 12 000 mètres. Deux autres
systèmes laser sont en outre à l'étude : le
système laser tactique à haute énergie (
THEL
),
étudié dans le cadre d'une coopération
américano-israélienne et destiné à détruire
des objectifs à courte et moyenne portée, et le système de
laser spatial (
Spatial Based Laser - SBL)
, mis en oeuvre à partir
d'une constellation de satellites afin de détruire tous types de
missiles de théâtre.
Destinés à intercepter le missile adverse durant sa phase de
propulsion, ces systèmes lasers seraient à même de
neutraliser tout tir de missile balistique quelle que soit sa cible.
Sont par ailleurs développés des programmes de satellites
d'alerte et de radar concernant à la fois la défense de
théâtre (TMD) et la défense du territoire américain
(NMD).
3. La nouvelle impulsion politique donnée à la défense antimissiles du territoire
Le Congrès, aiguillonné par sa majorité républicaine, a été au coeur de la relance du projet de défense nationale antimissile à partir de 1998.
a) Le rapport " Rumsfeld " et le tir d'un missile nord-coréen : un tournant décisif dans la volonté de protection contre la menace balistique
Quelque
peu délaissé par la nouvelle administration démocrate
installée en 1993, le thème de la défense nationale
antimissile a été rapidement repris au Congrès
après l'arrivée d'une
majorité républicaine
,
tant au Sénat qu'à la Chambre des Représentants,
à l'issue des élections de 1994
.
Historiquement attachés à l'édification d'une
défense antimissiles, nombre de Républicains voient dans
d'éventuelles défaillances du système de contrôle
des armes stratégiques russes et surtout dans le développement de
la prolifération balistique de nouveaux arguments en faveur de
l'investissement dans de tels programmes.
Dès 1995, plusieurs initiatives parlementaires émanant du camp
républicain sont prises au Congrès en vue du déploiement,
à partir de 2003, d'un système de défense nationale
antimissile reposant sur plusieurs sites de lancement terrestres. Si elles
n'aboutissent pas, ces initiatives conduisent néanmoins l'administration
à majorer les crédits alloués aux programmes de recherche
de la BMDO.
La
pression croissante du Congrès
contraindra en 1996
l'administration Clinton à se rallier à un compromis envisageant
dans un premier temps le déploiement, à l'horizon 2003, de 20
intercepteurs terrestres destinés à stopper la frappe
limitée de " rogue states " ou un tir accidentel russe.
Baptisé " trois plus trois ", ce plan prévoyait une
première phase de trois ans consacrée aux études et aux
essais devant permettre de passer, en cas de conclusions positives, à
une seconde phase de trois ans préalable au déploiement.
L'idée était alors d'évaluer chaque année, à
partir de 2000, l'opportunité d'un déploiement qui aurait pu
intervenir en trois ans seulement.
Deux événements majeurs survenus en 1998
vont remettre en
cause ce compromis et amplifier la pression politique en faveur de la NMD.
Au mois de juillet 1998, une
commission bipartisane
mise en place par le
Congrès et présidée par M. Donald
Rumsfeld
, ancien
Secrétaire d'Etat à la Défense du Président Ford,
remettait ses conclusions sur l'évaluation de la menace balistique
à l'encontre des Etats-Unis. Contrairement aux estimations des services
de renseignement, qui écartaient toute concrétisation de la
menace avant 2010, la commission Rumsfeld déclarait que des " rogue
states " comme l'Iran et la Corée du Nord avaient la
capacité de déployer dans un délai de cinq ans des
missiles balistiques à longue portée et de les mettre en oeuvre
en ne laissant aux Etats Unis qu'un faible préavis d'alerte.
Présentée quelques semaines seulement après les essais
nucléaires indiens et pakistanais, l'analyse de la commission Rumsfeld
s'est trouvée immédiatement crédibilisée par le
tir d'un engin balistique nord-coréen
à trois
étages, de type Taepo Dong 1, le 31 août 1998.
Renforçant les avocats d'un protection contre la menace balistique, ces
événements ont entraîné une
double
réaction
.
Le 20 janvier 1999, le Secrétaire d'Etat à la défense, M.
William Cohen, redéfinissait la position de l'administration sur le
programme NMD. A la suite de l'expertise technique conduite sous l'égide
d'un groupe présidé par le général Welch,
l'objectif de déploiement était repoussé de 2003 à
2005. En revanche,
le programme passait en phase de développement et
d'acquisition
et se voyait doté de financements
supplémentaires, le budget initial de 4,9 milliards de dollars pour
la période 1997-2003 étant porté à
10,5 milliards de dollars pour la période 1999-2005.
Parallèlement,
le Congrès adoptait à une
écrasante majorité
(97 voix contre 3 au Sénat et 345
voix contre 71 à la Chambre des Représentants)
le
National
Missile Defense Act
prévoyant que serait
déployé, aussitôt que technologiquement possible, un
système de défense antimissile destiné à
protéger le territoire national américain d'une frappe balistique
limitée, qu'elle soit accidentelle, non autorisée ou
délibérée.
La Maison-Blanche renonçait à opposer son veto en échange
de l'adoption de deux amendements démocrates, l'un mentionnant la
nécessité de ne pas nuire aux négociations de
désarmement et l'autre assujettissant le programme aux autorisations
budgétaires annuelles.
Ainsi étaient définies de nouvelles bases pour la mise en oeuvre
du programme NMD.
b) Les nouvelles échéances du programme NMD
En
signant le
National Missile Defense Act
le 23 juillet 1999, le
Président Clinton définissait les
quatre critères
sur lesquels il fonderait sa décision de déployer ou non le
système de défense antimissile :
- l'évaluation de la menace,
- la faisabilité technologique du système,
- son coût,
- et divers éléments de sécurité nationale tels que
l'impact de la NMD sur le contrôle des armements, les relations avec les
alliés européens ou du Pacifique, les relations avec la Russie et
la Chine et les autres objectifs de non-prolifération des Etats-Unis.
Le programme NMD se trouve actuellement dans une phase préliminaire au
cours de laquelle ont été prévus trois essais
d'interception d'un missile balistique.
Le premier de ces trois essais, réalisé le 3 octobre 1999, a
été concluant puisque le véhicule d'interception terminal
(extra atmospheric kill vehicule - EKV)
destiné à
équiper l'intercepteur, lancé depuis les îles Marshall dans
l'Océan Pacifique, est parvenu à intercepter et à
détruire par impact direct la tête militaire d'un missile
intercontinental
Minuteman
tiré à quelque 7 000 km de
là depuis la base de Vandenberg en Californie.
Il faut toutefois préciser que cet essai ne mettait pas en oeuvre
l'ensemble des composantes de la NMD, puisqu'il s'est effectué sans
radars d'alerte, ni senseurs spatiaux ou système de commandement et de
gestion de l'engagement. L'intercepteur, monté sur un lanceur
différent du modèle envisagé, possédait les
coordonnées du missile assaillant et a été guidé
vers sa cible avant de la détruire.
En revanche, l'interception a échoué au cours du deuxième
essai conduit le 18 janvier 2000, semble-t-il en raison d'une
défaillance du système autodirecteur infrarouge de l'EKV,
quelques secondes avant qu'il n'atteigne sa cible.
Un troisième essai, initialement programmé au printemps, puis
repoussé à deux reprises, est actuellement prévu pour le 7
juillet prochain. Il s'agira du premier essai intégrant l'ensemble des
éléments du système, le lanceur demeurant toutefois un
modèle de substitution.
Bien que près d'une vingtaine d'essais d'interception soient
prévus d'ici 2007, cette série de trois essais revêt une
importance particulière puisqu'elle doit précéder une
" revue " du programme
(deployment readiness review)
menée par le Pentagone en vue d'évaluer techniquement le
système.
Cette évaluation, qui pourrait être menée avant la fin de
l'été, permettrait au Président des Etats-Unis de disposer
à l'automne de l'ensemble des éléments
d'appréciation pour décider s'il faut ou non engager les premiers
travaux de construction du système NMD.
B. UN PROGRAMME RAISONNABLEMENT MESURÉ DANS SES CHOIX TECHNOLOGIQUES, SES AMBITIONS ET SES IMPLICATIONS FINANCIÈRES
Bien
qu'issu d'une longue lignée de programmes de défense
antimissiles, le NMD s'en distingue assez nettement par son caractère
moins ambitieux, et donc plus réaliste, tant dans le dimensionnement du
système et les technologies retenues que dans ses objectifs et son
coût.
L'objectif déclaré ne concerne que la protection contre quelques
dizaines de têtes assaillantes au plus, que seraient susceptible de
développer et de perfectionner les Etats proliférants au cours de
la prochaine décennie. Sur le plan technologique, la composante spatiale
est abandonnée pour ce qui est des intercepteurs, et fortement
réduite en ce qui concerne les satellites de surveillance. Enfin, le
coût du programme semble à la portée d'un budget de la
défense en évolution favorable.
1. Les objectifs limités de la NMD
a) Un programme défini en fonction d'une appréciation de l'évolution de la menace balistique
A
l'appui de son programme de NMD, l'administration américaine
évoque la montée du danger représenté par les
" rogue states " tels que la Corée du Nord ou l'Iran qui
seraient capables, au cours de la présente décennie, de mettre au
point des missiles balistiques intercontinentaux susceptibles de frapper le
territoire des Etats-Unis en délivrant des armes de destruction massive,
nucléaires, biologiques ou chimiques.
S'agissant de la
Corée du Nord,
l'administration considère
que bien qu'infructueuse, la tentative, le 31 août 1998, de placer un
satellite en orbite à partir du tir d'un missile à trois
étages Taepo Dong 1, est révélatrice des progrès
accomplis par ce pays en matière de missiles à longue
portée, notamment en ce qui concerne la séparation des
différents étages et les technologies de guidage et de
contrôle.
Elle s'appuie sur le rapport du
National Intelligence Council
réalisé en septembre 1999 selon lequel, transformé en
missile balistique intercontinental, le Taepo Dong 1 pourrait délivrer
à l'encontre des Etats-Unis une charge militaire légère,
insuffisante pour porter une arme nucléaire mais adaptée à
une charge radioactive ou chimique de quelques kilogrammes.
Selon le même rapport, le Taepo Dong 2, doté d'une portée
de 3 500 à 5 500 km, pourrait être prochainement testé,
probablement dans les premiers temps comme lanceur d'un véhicule
spatial. Un Taepo Dong 2 à deux étages pourrait atteindre
l'Alaska et Hawaï avec une charge de plusieurs centaines de kilogrammes,
et la moitié ouest des Etats-Unis avec une charge plus
légère. Le même missile, doté de trois
étages, pourrait atteindre n'importe quel point des Etats-Unis en
portant une charge de plusieurs centaines de kilogrammes, c'est-à-dire
potentiellement nucléaire.
L'administration estime que ces capacités pourraient devenir effectives
à partir du milieu de la décennie. Elle souligne les moyens dont
dispose la Corée du Nord en matière d'armes chimiques et
biologiques et considère que l'arrêt des capacités de
production actuelles sur le site de Yong Byong depuis 1995 ne garantit pas
qu'elle ne pourrait construire une ou deux armes nucléaires à
partir de matières extraites précédemment, bien que cette
dernière hypothèse n'ait pas été non plus
démontrée.
Toujours selon les mêmes analyses de renseignement,
l'Iran
poursuivrait son programme balistique avec l'aide de technologies
nord-coréennes et russes. Après avoir testé le Shahab 3
d'une portée de 1 300 kilomètres, l'Iran pourrait ainsi
être dotée, avec le Shahab 4, d'un missile de portée
intermédiaire (2 000 km) vers 2002-2004 puis, avec le Shahab 5, d'un
missile intercontinental (3 000 à 5 500 km de portée) dans la
seconde moitié de la décennie (2005-2008). Le
développement de la portée de ces missiles pourrait être
envisageable avec une forte assistance étrangère.
Dans l'esprit de l'administration, le développement des capacités
de ces deux pays, ainsi que celles de l'Irak ou de la Libye, induit un risque
pour l'intégrité du territoire américain, ces Etats
risquant d'être moins sensibles au jeu traditionnel de la dissuasion que
ne l'était l'Union soviétique et susceptibles de ne pas
s'attacher aux dommages qu'ils subiraient en retour s'ils attaquaient les
Etats-Unis. Ces derniers pourraient alors faire l'objet d'un chantage,
l'éventualité d'une frappe balistique sur leur territoire pouvant
par exemple servir de moyen de pression pour stopper leur intervention dans un
conflit régional, en Asie ou au Moyen-Orient.
b) Les capacités de la NMD : une protection du territoire national contre une attaque de quelques dizaines de missiles balistiques
Telle
qu'envisagée par l'actuelle administration, la NMD est fondamentalement
limitée dans ses capacités, puisqu'il s'agit de stopper une
attaque de quelques dizaines de têtes tout au plus lancées par un
" rogue state ".
Les capacités du système se situent en effet nettement en dessous
de la dimension des arsenaux russe, britannique et français. Tel n'est
pas le cas pour l'arsenal intercontinental chinois, doté de 20
têtes nucléaires, mais la NMD n'a pas officiellement vocation
à parer une attaque d'une puissance nucléaire reconnue,
scénario qui entre dans le cadre du schéma classique de la
dissuasion. De même, l'hypothèse d'un tir accidentel d'un missile
russe n'est plus officiellement évoquée.
Limitée par le nombre de têtes qu'elle peut intercepter, la NMD se
voit néanmoins assigner la protection de la totalité du
territoire américain, c'est-à-dire des 50 Etats, Alaska et
Hawaï compris, cet objectif impliquant des contraintes spécifiques
en matière de localisation des sites de lancement.
EVOLUTION DES PROGRAMMES
DE DÉFENSE NATIONALE
ANTIMISSILES
|
Initiative de défense stratégique |
GPALS |
NMD |
Mission |
Protection contre une frappe massive de missiles balistiques soviétiques |
Protection contre un tir limité, accidentel ou non autorisé de missiles |
Protection contre une frappe très limitée provenant d'un " rogue state " |
Ampleur de la menace |
Plusieurs milliers de têtes |
200 têtes |
Quelques dizaines de têtes |
Laser basé dans l'espace |
Environ 10 |
Non |
Non |
Intercepteurs basés dans l'espace |
4 000 |
1 000 |
Non |
Intercepteurs basés à terre |
1 500 |
750 |
100 1( * ) |
(Source : Ballistic Missile Defense Organisation) |
2. Les composantes du programme NMD : des technologies éprouvées
a) Architecture du système et principe de fonctionnement
Tel qu'actuellement envisagée, l'architecture de la National Missile Defense reposerait sur cinq composantes : des radars d'alerte rapide, un radar à large bande (dit à " bande X "), une constellation de satellites de surveillance et des intercepteurs basés au sol.
(1) les radars d'alerte rapide améliorés
Les
Etats-Unis utilisent actuellement
5 grands radars d'alerte rapide
disposés sur leur territoire ou dans des pays étrangers, afin
de déceler les tirs de missiles balistiques. Ces radars, situés
en Alaska, au Massachusetts, en Californie, à Thulé au Groenland
et à Fylingdales au Royaume-Uni (Yorkshire) seront
améliorés afin de pouvoir repérer les têtes
assaillantes de manière suffisamment précise pour guider les
intercepteurs.
Les 5 radars d'alerte rapide améliorés
(Upgraded Early Warning
Radars)
auront donc pour mission de détecter et de suivre les
missiles lancés en direction des Etats-Unis.
(2) le radar " en bande X "
Dit
" en bande X ", en référence à la
fréquence (10 GHz) à laquelle il opère, le radar à
large bande possède une très haute résolution lui
permettant d'observer la forme et les autres caractéristiques de la
tête assaillante. Plus précis que les radars d'alerte rapide, il
devra être en mesure de distinguer la tête du missile de leurres ou
de débris apparus lors de la séparation des différents
éléments du missile, mais aussi d'évaluer la
réussite ou l'échec de l'interception.
Le radar " en bande X " doit être construit à Shemya,
aux îles Aléoutiennes, à l'extrême ouest de l'Alaska,
dans le Pacifique nord. Un prototype installé à Kwajelein, atoll
des îles Marshall, est utilisé pour les essais d'interception du
programme NMD.
Limité dans un premier temps à un seul exemplaire, le nombre de
radars " en bande X " pourrait ultérieurement être
notablement augmenté avec 3 exemplaires supplémentaires (en
Alaska, au Groenland, puis au Royaume-Uni) tout d'abord, puis 5 autres
installations sur les côtes Est et Ouest des Etats-Unis et
éventuellement en Corée du Sud.
En revanche, le rattachement à la NMD du radar en bande X Globus II dont
la construction est projetée en Norvège septentrionale à
Vardoe, est écarté, ce radar devant être consacré
à l'étude des débris spatiaux.
(3) Les satellites de surveillance
Les
Etats-Unis disposent déjà d'un réseau de satellites
d'alerte antimissiles balistiques. L'actuelle génération de
satellites d'alerte (
Defense support program),
dont la cadence
d'observation est assez lente,
doit être remplacée par des
satellites dotés de senseurs infrarouge
(Space Based Infrared Systems
- SBIRS)
permettant une détection plus précoce des tirs de
missiles.
Deux systèmes sont en cours de développement, sous la
responsabilité de l'US Air Force :
- le
SBIRS-High
, qui devrait prendre le relais des satellites actuels en
2008, est un système de 5 satellites en orbite haute, soit
géostationnaire, soit, pour la couverture de la région du
pôle Nord, elliptique, ayant pour mission de déceler les tirs de
missiles,
- le
SBIRS-Low
, envisagé à partir de 2010,
compléterait le réseau avec une constellation de
24 satellites en orbite basse, améliorant très sensiblement
les capacités de détection en suivant le missile tout au long de
sa trajectoire et en guidant les intercepteurs vers les têtes
assaillantes.
(4) Les intercepteurs
Eléments centraux du système de défense
antimissiles, les intercepteurs basés au sol
(Ground based
interceptors)
se présentent sous la forme d'un missile à
trois étages dont le dernier est constitué par un
" véhicule d'impact "
(Exoatmospheric Kill Vehicle)
destiné à détruire par collision la tête
assaillante.
Devant protéger l'ensemble du territoire des Etats-Unis à partir
d'un site de lancement tout d'abord, puis de deux sites ultérieurement,
les intercepteurs disposeront d'une vitesse très élevée
leur permettant d'atteindre, dans l'espace exoatmosphérique, leur cible
dans un délai inférieur à 15 minutes.
Se séparant du lanceur après sa sortie de l'atmosphère, le
" véhicule d'impact " sera guidé à partir des
informations fournies par les systèmes d'alerte et de surveillance mais
il disposera de sa propre camera infrarouge pour se diriger vers sa cible et de
fusées lui permettant de manoeuvrer. Il pourra frapper la tête
assaillante à une vitesse de 15 km par seconde (54 000
km/heures).
Dans la phase ultime du programme NMD, un nombre total de
250 intercepteurs est envisagé, réparti sur deux sites. Un
tir de deux intercepteurs est prévu pour chaque tête assaillante,
avec, si nécessaire, une seconde salve de deux intercepteurs en cas
d'échec du premier tir.
(5) Le système de gestion de l'engagement
L'ensemble de la NMD implique un système de gestion des
communications, du commandement et du contrôle de l'engagement
(Battle
Management, Command, Control and Communications)
.
Il intégrera le quartier général de la défense
aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD), situé à
Cheyenne Mountain, dans le Colorado, ainsi qu'un centre secondaire situé
sur le site de lancement. Les données issues des radars et satellites
d'alerte et de surveillance seront analysées pour déterminer la
nature de la menace, identifier la ou les têtes assaillantes et
définir les conditions de lancement des intercepteurs. Les informations
continueront à être exploitées durant la course de
l'intercepteur et transmises à ce dernier. Le système de
commandement et de contrôle déterminera également si une
seconde salve s'avère nécessaire.
(6) Le principe de fonctionnement
Le
concept d'opération de la NMD comporte trois phases :
- dans un premier temps,
les systèmes d'alerte repèrent le tir
du missile balistique et suivent sa trajectoire
. En schématisant, on
pourrait dire que les satellites, surtout avant la mise en service du
SBIRS-Low
, permettront la détection de la phase de lancement, les
radars d'alerte améliorés repérant les missiles dans leur
phase descendante, alors que le radar " en bande X " doit suivre avec
précision la trajectoire de la tête assaillante et la distinguer
des leurres ou débris divers,
-
deux missiles intercepteurs sont lancés pour chaque tête
assaillante
et bénéficient, durant leur course, des
informations recueillies en permanence par le centre de gestion de
l'engagement ; le véhicule d'impact possède sa propre
capacité de détection infrarouge et peut dévier de sa
trajectoire pour se diriger vers sa cible ; il détruit la
tête assaillante par impact direct (concept
hit to kill).
- après
évaluation du tir
, notamment grâce au radar
" en bande X ", et en cas d'insuccès de la première
salve, une
seconde salve de deux intercepteurs
est lancée
(principe
shoot-look-shoot)
; toutefois, en cas de délai
insuffisant pour procéder en deux temps, le tir d'une salve unique de
quatre ou cinq intercepteurs peut être envisagé.
ARCHITECTURE ET FONCTIONNEMENT
DE LA
NATIONAL MISSILE DEFENSE
(NMD)
(
Source : S.W. Young - Pushing the limits -
The decision on National Missile Defense -avril 2000
)
UEWR
:
Upgraded Early Warning Radar
- radar
d'alerte avancée amélioré
XBR
:
X-Band
radar -
radar " en bande X "
DSP/SBIRS
:
Defense support program
ou
Space-based infrared system
-
satellites de surveillance de génération actuelle (DSP) puis,
à partir de 2007-2008, SBIRS
GBI
:
Ground-Based
Interceptor
- intercepteurs basés à
terre
BMC3
:
Battle
Management Command Control and
Communications
- centre de gestion et de contrôle de
l'engagement
IFICS
:
In flight interceptor communications
system
- système de communications sur les intercepteurs en vol
b) L'échelonnement du déploiement dans le temps
Le calendrier de déploiement de la NMD a évolué avec le temps
(1) Le calendrier initial
Le
calendrier initial, établi en 1996, prévoyait une
montée en puissance de la NMD échelonnée entre 2005 et
2011
et distinguant trois phases :
- la
phase 1
(capability 1 - C1),
à l'horizon
fin
2005
, visait la mise en service opérationnelle d'un système
comportant
20 intercepteurs
situés en Alaska, la mise à
niveau des 5 radars d'alerte rapide existants, la construction du radar
" en bande X " à Shemya aux îles Aléoutiennes et
la mise en oeuvre de système de gestion de l'engagement ; cette
première étape devrait permettre de parer l'attaque de quelques
têtes assaillantes dotées d'aides à la
pénétration simples,
- la
phase 2
(capacility 2 - C2)
, à l'horizon
fin
2010
, consistait à passer de 20 à
100 intercepteurs
sur le site de l'Alaska, à mettre en service trois nouveaux radars
" en bande X " (en Alaska, au Groenland et au Royaume-Uni), ainsi que
le réseau satellitaire d'alerte
SBIRS-High
et
SBIRS-Low
; la phase 2 permettrait de stopper quelques têtes
assaillantes dotées de contremesures sophistiquées ou quelques
dizaines de têtes dotées d'aides à la
pénétration plus simples,
- la
phase 3
(capacity 3 - C3)
, fin 2011, verrait
l'achèvement de la NMD avec la construction d'un
second site de
lancement au Dakota du Nord
, portant à 250 le nombre total
d'intercepteurs, la construction d'un radar d'alerte et de cinq radars
" en bande X " supplémentaires ; cette phase donnerait au
système la capacité de stopper quelques dizaines de têtes
assaillantes munies d'aides à la pénétration complexes.
(2) Le calendrier révisé
L'administration a sensiblement revu ce calendrier à la
fin
de l'année 1999, envisageant une
phase 1
" élargie "
permettant, dès 2007, le
déploiement de 100 intercepteurs en Alaska, le passage à la
phase 2 ne jouant que pour le nombre de radars " en bande X " et
l'augmentation du nombre de satellites
SBIRS-Low.
Toutefois, le
déploiement initial de 20 intercepteurs en Alaska est maintenu
dès 2005.
Le tableau ci-dessous résume ces éléments de calendrier.
Calendrier de déploiement de la
NMD
envisagé par
l'administration
|
" Avant-phase 1 " |
Phase 1 élargie |
Phase 2 |
Phase 3 |
Date de déploiement |
2005 |
2007 |
2010 |
2011 |
Nombre d'intercepteurs |
20 |
100 |
100 |
250 |
Nombre de sites |
1 |
1 |
1 |
2 |
Radars d'alerte rapide |
5 |
5 |
5 |
6 |
Radars " en bande X " |
1 |
1 |
4 |
9 |
Satellites SBIRS-High |
2 |
4 |
5 |
5 |
Satellites SBIRS-Low |
0 |
0 |
6 |
24 |
Capacités des systèmes défense |
quelques têtes assaillantes munies d'aide à la pénétration simples |
plusieurs dizaines de têtes assaillantes munies d'aide à la pénétration simples |
quelques têtes assaillantes munies d'aide à la pénétration complexes |
plusieurs dizaines de têtes assaillantes munies d'aide à la pénétration complexes |
Source : Office budgétaire du Congrès - avril 2000
3. Le financement de la NMD : un effort à la portée du budget de la défense américain
Il est
difficile d'identifier précisément le coût du programme NMD
pour deux raisons :
- tout d'abord la NMD s'inscrit dans la lignée de
précédents programmes de défense antimissiles dont elle
bénéficie en partie, certains développements étant
en outre communs avec d'autres projets,
- d'autre part, la complexité de l'architecture du système et les
fluctuations du calendrier rendent assez aléatoires les
évaluations qui varient selon les organismes : Pentagone,
Congrès, experts.
.
Les estimations du Pentagone
Selon les documents remis à votre rapporteur par la
Ballistic Missile
Defense Organization (BMDO),
le coût de la NMD se répartirait
comme suit :
- 15 milliards de dollars pour la phase 1 élargie, de 2000 à 2007,
- 29 milliards de dollars pour la période 2007-2011,
- auxquels il faut ajouter 7 milliards de dollars dépensés entre
1993 et 2000.
Se fondant sur un budget global de la défense de l'ordre de 300
milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, la
BMDO
estime que le coût du programme NMD ne dépasserait pas 1 % de
l'effort de défense américain.
.
Les estimations de l'office budgétaire du Congrès
L'office budgétaire du Congrès a effectué en avril dernier
une évaluation précise du coût du programme, en
considérant la période 1996-2015.
Le tableau ci-dessous résume les conclusions de cette évaluation.
Le
coût de la NMD sur la période 1996-2015
selon l'office budgétaire du Congrès
Types de coûts |
Phase 1 élargie |
Phase 2 |
Phase 3 |
Etudes, développement et construction
|
20,9
|
25,6
|
35,0
|
Total |
29,5 |
35,6 |
48,8 |
Système SBIRS-Low |
0,0 |
10,6 |
10,6 |
L'office
budgétaire du Congrès, qui retient toutefois une période
plus large que le Pentagone, aboutit donc à une évaluation de
l'ordre de
60 milliards de dollars jusqu'en 2015
, incluant le satellite
SBIRS-Low
, financé par l'armée de l'air, qui participe au
programme NMD mais aurait sans doute été développé
en tout état de cause.
Quelle que soit l'estimation retenue, il s'agit donc d'un programme
coûteux, bien qu'en deçà des dépenses
envisagées pour les programme
F-22
et surtout
Joint Strike
Fighter (JSF)
. Mais il demeure dans les possibilités d'un budget
d'investissement de la Défense en progression qui
bénéficie pleinement des excédents dégagés
par les finances publiques américaines.
II. DES IMPLICATIONS STRATÉGIQUES MAJEURES
Projet
strictement américain, voué à la seule protection du
territoire des Etats-Unis, le programme NMD suscite néanmoins un
important débat international du fait de ses multiples implications
stratégiques.
Il concerne, au premier chef, les relations américano-russes, puisqu'il
entre dans un domaine couvert par le traité ABM de 1972.
Présenté comme une réponse directe aux pays
développant des capacités balistiques et soupçonnés
d'entretenir un arsenal d'armes de destruction massive, il est également
susceptible d'entraîner, de la part de ces pays, des comportements pesant
sur les contextes régionaux et sur la problématique
générale du désarmement et de la non-prolifération.
La NMD constitue, en troisième lieu, un sujet de débat au sein de
l'Alliance atlantique qui, si elle n'est pas concernée en tant que
telle, s'interroge sur le nouveau contexte que créerait le
déploiement d'un tel système.
Enfin, il importe d'évaluer les implications de la NMD pour la France,
tant en ce qui concerne sa propre doctrine de défense qu'au regard de sa
capacité en matière de défense antimissiles.
A. UN IMPACT CONSIDÉRABLE SUR LES RELATIONS AMÉRICANO-RUSSES
L'architecture d'ensemble de la NMD paraît incompatible avec le traité ABM dont l'administration américaine propose donc une révision. Des négociations américano-russes ont été engagées mais butent aujourd'hui sur le refus de Moscou de modifier le traité ABM.
1. Un processus difficilement compatible avec le traité ABM
a) Le traité ABM et ses aménagements
Le
traité ABM, dont le texte est reproduit en annexe, a été
signé le 26 mai 1972 par MM. Nixon et Brejnev en même
temps que les accords SALT 1 sur la limitation des armes
stratégiques offensives. Il a été amendé en 1974,
puis précisé en 1997 par des accords d'interprétation qui
ne sont cependant toujours pas entrés en vigueur.
En son état actuel, c'est-à-dire depuis l'entrée en
vigueur, en 1976, du protocole signé en 1974, le traité ABM
repose sur les principales dispositions suivantes :
• chaque partie s'engage à
limiter les systèmes
antimissiles balistiques (ABM)
conformément aux dispositions du
traité,
• chaque partie s'engage à
ne pas mettre en place de
système ABM pour la défense de son territoire
et à ne
pas fournir la base d'une telle défense,
• le déploiement d'un système ABM n'est autorisé
que sur
un seul site
( le nombre de sites autorisés, fixé
à deux en 1972, ayant été ramené à un seul
par le protocole de 1974), se situant dans un rayon de 150 kilomètres
autour de la capitale nationale ou autour des silos de lancement de missiles
balistiques intercontinentaux,
• le site choisi peut être modifié une seule fois,
• un tel système ABM, ou l'un de ses composants,
ne saurait
être basé en mer, en l'air ou dans l'espace, ni sur des
plates-formes terrestres mobiles
,
• il
ne saurait comporter plus de 100 lanceurs ABM
et 100
missiles intercepteurs
, chaque lanceur ne pouvant lancer plus d'un missile
intercepteur,
• les
radars ABM
doivent être situés sur les sites de
défense ABM autorisés, de nouveaux radars d'alerte avancée
n'étant envisageables qu'en périphérie du territoire de la
partie concernée et orientés vers l'extérieur.
• le
transfert à d'autres Etats
ou le
déploiement
hors du territoire national
de chaque partie des systèmes ABM ou de
leurs composants est prohibé.
A partir de 1992, s'est engagé, entre Etats-Unis et Russie, une
négociation visant non à modifier le traité, mais à
établir une
" démarcation "
dans son champ
d'application, l'objectif étant de permettre un déploiement de
défenses antimissiles de théâtre. Ces discussions n'ont
abouti que plusieurs années plus tard, un accord étant
signé le
26 septembre 1997
à Helsinki entre les
présidents Clinton et Eltsine.
Cet accord, qui n'est toujours pas entré en vigueur, comportait
plusieurs volets :
- un mémorandum désignant la Russie, l'Ukraine, la
Biélorussie et le Kazakhstan comme Etats successeurs de l'Union
soviétique,
- un protocole sur les défenses antimissiles de théâtre
" basse vélocité ", autorisant le déploiement
d'intercepteurs de vitesse inférieure à 3 km/seconde et 3
500 km de portée ; cet accord permettrait aux Etats-Unis de
déployer des systèmes
PAC-3, THAAD
et
Navy Area
,
- un protocole sur les défenses antimissiles de
théâtre " haute vélocité ", couvrant
les intercepteurs d'une vitesse supérieure à 3 km/ seconde et
interdisant l'essai de tels systèmes contre des missiles
dépassant les 5 km/seconde et les 3 500 km de portée,
ainsi que le déploiement ou l'essai de composants basés dans
l'espace ; les Etats-Unis considérent que cet accord couvre leur
système
Navy Theater Wide.
b) La NMD et le traité ABM
La
compatibilité de la NMD avec le traité ABM fait l'objet de
plusieurs controverses dans le débat interne américain tout comme
dans les discussions américano-russes.
Sans entrer dans le détail d'un débat juridique complexe ni
déclarer d'emblée, à l'instar de certains analystes
républicains, que le traité ABM est caduc depuis la disparition
de l'URSS, on peut retenir trois points essentiels :
- le programme NMD comporte plusieurs éléments qui semblent
directement contraires aux dispositions du traité ABM,
- l'administration américaine propose donc à la Russie plusieurs
amendements au traité,
- certaines décisions relatives à la NMD, si elles demeuraient
très limitées, pourraient cependant être mises en oeuvre
sans attendre cette révision.
Premièrement,
plusieurs éléments du programme NMD
paraissent directement contraires au traité ABM.
C'est le cas de
l'
objectif même de la NMD
, à savoir la
protection de
l'ensemble du territoire américain
, le traité ne permettant
que celle d'une région particulière, précisément
définie. C'est le cas également du
nombre de sites
envisagé
, fixé à deux dans la dernière phase du
programme alors que le traité n'en autorise qu'un seul. Les Etats-Unis
ont en outre déclaré comme site ABM leur base de lancement de
missiles balistiques intercontinentaux de Grand Forks, au Dakota du Nord, alors
qu'ils souhaitent construire leur
premier site de lancement en Alaska
.
Cette localisation était la seule à même de couvrir
l'intégralité du territoire américain, incorporant les
régions excentrées de l'Alaska et l'Etat de Hawaï. Or
l'Alaska n'abrite ni la capitale nationale, ni un site de lancement de missiles
balistiques intercontinentaux, et ne peut donc accueillir une défense
ABM en l'état actuel du traité. Serait également contraire
au traité le déploiement de plus de 100 lanceurs sur un seul
site. Le traité ABM comporte également plusieurs stipulations
relatives aux moyens d'alerte et de surveillance qui paraissent incompatibles
avec le schéma de déploiement de la NMD, qu'il s'agisse de la
mise à niveau des radars d'alerte rapide situés dans les pays
étrangers (Royaume-Uni, Danemark) et, a fortiori, la construction, dans
ces pays, de radars " en bande X ", ou encore des satellites
"
SBIRS-Low "
dotés d'une capacité de
trajectographie et de discrimination qui les feraient entrer dans le champ des
composantes spatiales d'une défense ABM proscrites par le traité.
Deuxièmement, l'administration américaine a entrepris avec la
Russie une négociation sur la base de
propositions d'amendement au
traité ABM
. La démarche suivie par les Etats-Unis ne consiste
pas à rechercher d'emblée une modification du traité ABM
autorisant le déploiement de l'ensemble de la NMD, telle
qu'envisagée dans sa phase finale, mais vise à procéder
à des
révisions par étape
en se limitant, dans un
premier temps, à modifier les obstacles au déroulement de la
première phase de programme, c'est-à-dire la construction d'un
radar " en bande X " et d'un site d'intercepteurs en Alaska.
Bien que les propositions d'amendement américaines n'aient pas
été rendues publiques, elles ont été
évoquées dans la presse et porteraient sur les points
suivants :
•
le traité autoriserait le déploiement d'un
système limité de défense nationale antimissiles, qui
constituerait une alternative, et non un complément, au site ABM
autorisé par le traité,
• les radars de longue portée existants pourraient être
intégrés à la NMD et chaque partie pourrait
déployer un radar ABM supplémentaire sur son territoire,
• un système de vérification destiné à
renforcer la confiance entre les parties serait mis en place.
Troisièmement, l'
absence d'accord américano-russe
sur les
amendements du traité ABM
ne gèle pas toute avancée de
la NMD
.
En dehors de l'hypothèse du retrait unilatéral du traité,
prévu avec un préavis de six mois par son article XV, si l'une
des parties invoque " des événements extraordinaires "
ayant compromis ses intérêts supérieurs, l'administration
américaine peut ainsi poursuivre les études ou les essais, y
compris de systèmes nouveaux, préalablement à la
décision de déploiement.
Elle pourrait également décider le
démarrage des
travaux destinés à la construction du radars " en bande
X "
sur l'île de Shemya en se limitant aux infrastructures de
base (socle en béton, barres métalliques). Une telle option
conservatoire, considérée comme compatible avec le traité
ABM par les juristes du Pentaagone, bien que l'interprétation
prévalant jusqu'alors excluait tout début de construction
d'éléments d'un système ABM, présenterait pour
l'actuelle administration l'avantage de respecter son calendrier en repoussant
à une date ultérieure la conclusion d'un accord avec la Russie.
Les premiers travaux pourraient donc être engagés au printemps
prochain sur cette île dont les conditions climatiques
sévères n'autorisent que quelques semaines de travail par an.
2. Les incertitudes sur l'issue du dialogue américano-russe
La Russie a pour l'instant refusé d'envisager la révision du traité ABM souhaitée par les Etats-Unis, sans que l'on puisse pour autant écarter toute évolution ultérieure de sa position.
a) Le refus russe de modifier le traité ABM
Le refus
russe de modifier le traité ABM a été exprimé
très nettement à plusieurs reprises et, en dernier lieu, lors de
la visite officielle du Président Clinton à Moscou du 3 au 5 juin
dernier.
Lors de l'approbation par le Parlement russe de l'accord de réduction
des armes stratégiques START II,
le Président Poutine a
subordonné l'application de cet accord à la renonciation des
Etats-Unis à la modification et, a fortiori, à la
dénonciation du traité ABM.
Il a également
conditionné cette entrée en vigueur à la ratification, par
le Sénat américain, des protocoles, signés en septembre
1997 à Helsinski, le premier repoussant l'application de START II au 31
décembre 2007 et le second opérant une
" démarcation " dans le champ d'application du traité
ABM afin d'en exclure les défenses antimissiles de théâtre.
Ce dernier protocole est manifestement incompatible avec les exigences
américaines actuelles puisqu'il confirme, a contrario, que la NMD ne
peut être déployée sans contrevenir au traité ABM.
Ce refus de la Russie s'appuie sur deux types de considérations :
- les unes d'ordre général et relatives à la contestation
de l'utilité de la NMD et aux risques de course aux armements
inhérents à son déploiement,
- les autres, beaucoup plus directement liés à ses propres
impératifs de sécurité.
Au rang des critiques d'ordre général, la Russie fait valoir que
la présentation américaine de la menace n'est pas conforme
à la réalité et qu'en tout état de cause,
l'hypothèse de l'agression délibérée des Etats-Unis
par une " rogue state " est peu plausible. La Corée du Nord,
aux prises avec des difficultés économiques considérables,
ne lui semble pas pouvoir développer un programme balistique ambitieux,
ni se risquer à défier les Etats-Unis par une attaque balistique.
La Russie souligne par ailleurs le rôle joué par le traité
ABM en faveur de la stabilité stratégique et le risque important
de " nouvelles spirales de la course aux armements ", selon
l'expression employée par le ministre des affaires
étrangères, M. Ivanov, qu'entraînerait le
déploiement de la NMD.
Mais la Russie redoute également les conséquences de la NMD sur
son propre système de défense, et notamment sur la
crédibilité de la dissuasion nucléaire. En effet, elle
considère que le système limité proposé par
l'administration américaine pourrait être perfectionné avec
le temps et dépasser les caractéristiques actuellement
envisagées, ce qui pourrait, à terme, affaiblir les
capacités de son arsenal nucléaire par ailleurs en voie de
réduction.
b) Les conséquences de la NMD sur la politique de défense russe
Dans
l'hypothèse d'un désaccord persistant sur la révision du
traité ABM et d'un déploiement unilatéral de la NMD par
les Etats-Unis, la Russie a fait connaître son intention de prendre des
" mesures en retour ". Ces dernières pourraient concerner le
relèvement de son propre système de défense
antimissiles
ou la
conduite d'une politique nucléaire militaire
plus ferme
. Si les difficultés économiques actuelles
nourrissent des doutes sur les capacités russes à entretenir et,
a fortiori, à développer son arsenal nucléaire, une
dénonciation du traité ABM pourrait conduire la Russie à
ne pas appliquer les accords START II, par exemple en ne démantelant pas
ses missiles à têtes multiples, ce qui lui permettrait de
maintenir davantage de têtes nucléaires.
En dépit de cette position de principe, qui pourrait perdurer
jusqu'à l'élection du nouveau président américain,
l'éventualité d'un accord russo-américain ne doit pas
être écartée
.
La Russie pourrait en effet maintenir son refus jusqu'à l'obtention, de
la part des Etats-Unis, de contreparties suffisamment substantielles. Ces
derniers auraient ainsi déjà proposé de reprendre le
programme d'observation RAMOS (
Russian-american observationnal
satellite
), le partage de renseignements ou une coopération pour la
remise à niveau des radars d'alerte avancée, autant de mesures
qui ne semblent pas, pour l'instant, susciter l'intérêt des Russes.
La Russie pourrait également tenter d'obtenir satisfaction sur ses
demandes
, dans le cadre de la négociation d'un accord START III,
en vue d'abaisser
à 1 500, au lieu des 2 000 à
2 500 envisagées en 1997,
le nombre de têtes
de chacun
des deux arsenaux nucléaires. Ce niveau est en effet plus compatible
avec les possibilités financières de la Russie et lui permettrait
donc de réduire ses coûts de maintien en condition tout en
préservant la parité avec l'arsenal américain.
Elle pourrait enfin chercher à lever, dans ce futur accord START III,
l'interdiction des missiles sol-sol à têtes nucléaires
multiples prévue par START II. Déliée de son obligation de
démanteler ses têtes multiples, elle aurait ainsi
l'opportunité de diminuer plus rapidement le nombre de ses missiles pour
alléger sa contrainte financière sans réduire dans la
même proportion le nombre de ses têtes nucléaires.
B. LES INCIDENCES SUR LES ÉQUILIBRES REGIONAUX, LE DÉSARMEMENT ET LA NON-PROLIFÉRATION
Au-delà de son impact sur le dialogue stratégique américano-russe, le déploiement de la NMD influerait sur l'ensemble du contexte international de sécurité. Il ne serait pas sans effet sur la politique de défense chinoise ni sur les équilibres régionaux en Asie et au Moyen-Orient. Il pourrait également directement affecter les négociations internationales sur le désarmement et la non-prolifération.
1. Les incidences sur la politique chinoise et sur les équilibres régionaux en Asie et au Moyen-Orient
a) Les réactions chinoises à la NMD
Le
projet NMD a suscité une très vive réaction de
Pékin qui y voit une atteinte directe à la
crédibilité de sa dissuasion nucléaire. La doctrine
nucléaire chinoise est en effet fondée sur le non-emploi en
premier, les forces nucléaires n'étant destinées,
d'après le discours officiel, qu'à constituer une capacité
de riposte devant dissuader une éventuelle attaque nucléaire.
Aussi la Chine n'a-t-elle développé qu'un
petit nombre de
missiles stratégiques intercontinentaux
. Ces missiles à
tête unique, dont le nombre ne dépasserait pas 20, fonctionnent de
surcroît avec un carburant liquide ne leur permettant pas d'être
lancés avant un délai minimal de mise en condition.
De fait, la NMD, y compris dans sa phase initiale, anéantirait la
capacité de dissuasion nucléaire de la Chine vis-à-vis des
Etats-Unis puisque le nombre de missiles intercontinentaux chinois serait
insuffisant pour saturer la défense antimissiles américaine.
L'hostilité de principe de la Chine est considérablement
renforcée par des préoccupations plus immédiates tenant
à l'éventualité du déploiement de défenses
antimissiles de théâtre en Asie de l'est. En effet, de tels
systèmes pourraient réduire l'efficacité des missiles
balistiques de portée intermédiaire, inférieure à
5 000 km, que la Chine a développés, modifiant ainsi son
rapport de force stratégique avec Taïwan ou le Japon, si ces
derniers venaient à bénéficier d'un " bouclier "
américain. Derrière la dénonciation de la NMD, la Chine
vise donc certainement plus encore les programmes de TMD qui pourraient
être déployés dans la zone et y amoindrir ses moyens de
pression.
La Chine tire donc argument des programmes américains de NMD et de TMD
pour annoncer, à titre de réplique, un
renforcement de ses
forces nucléaires
. Un tel renforcement est, en
réalité, déjà en marche depuis plusieurs
années, la Chine étant la seule des cinq puissances
nucléaires reconnues à développer son arsenal,
principalement dans deux directions : les missiles mobiles et l'emport de
têtes multiples par les missiles stratégiques.
b) Les équilibres régionaux en Asie
La
perspective d'un renforcement des capacités balistiques et
nucléaires chinoises, qu'il intervienne en réaction aux
programmes américains de NMD et de TMD ou que ces derniers servent
à justifier une option prise antérieurement, est
incontestablement un facteur majeur dans l'évolution des
équilibres régionaux en Asie.
La
réaction de la Corée du Nord
face à la NMD est
également un élément important, en particulier si elle
cherchait à sophistiquer davantage encore ses capacités
balistiques en vue de forcer les défenses antimissiles
américaines.
Aussi n'est-il pas exagéré de penser que
les conditions d'une
course aux armements en Asie sont réunies
, les programmes
américains de défense antimissiles intervenant moins comme
l'élément déclencheur que comme un facteur d'entretien de
ce processus.
L'acquisition d'un système de défense antimissiles de
théâtre par la Corée du Sud semble actuellement exclue. La
question se pose plus directement pour Taïwan et pour le
Japon
,
fortement sensibilisé à la menace balistique depuis le tir
nord-coréen du 31 août 1998. Le Japon s'est ainsi engagé,
en août 1999, sur le développement avec les Etats-Unis du
système de défense naval
Navy theater wide
(NTW)
. Cette décision a suscité néanmoins un
vif débat interne, les opposants à la TMD craignant une
déstabilisation des équilibres régionaux.
En Asie du sud, la politique chinoise ne saurait laisser l'Inde sans
réaction et pourrait également, par contrecoup, influencer la
politique nucléaire du Pakistan. L'Inde pourrait ainsi se diriger vers
deux voies possibles : l'accélération de son propre
programme nucléaire et balistique ou l'acquisition de systèmes de
défense antimissiles, par exemple auprès de la Russie. Ici
encore, les programmes américains de défense antimissiles ne sont
pas étrangers à une logique de course aux armements.
c) Les équilibres régionaux au Moyen-Orient
Moins
directement intéressé que l'Asie, le Moyen-Orient voit ses
équilibres également concernés par les programmes de
défense antimissiles. Il semble cependant que la NMD participe moins que
les programmes de défense antimissiles de théâtre à
l'évolution du contexte régional.
Rappelons qu'Israël s'est fortement engagée dans la TMD en
développant avec les Etats-Unis le programme
Arrow
, dont une
première brigade expérimentale est déjà en service,
et en envisageant l'acquisition de
Patriot PAC 3.
Israël et
les Etats-Unis développent également conjointement le laser
antimissiles
THEL
(
Tactical High Energy Laser).
D'autres
alliés des Etats-Unis, particulièrement des pays du Golfe,
pourraient être intéressés par l'acquisition de
défenses antimissiles de théâtre alors que plusieurs pays
arabes, ainsi que l'Iran, pourraient en retour se tourner vers l'acquisition
d'un système russe de défense antimissiles de
théâtre.
La défense antimissiles prend donc une importance croissante au
Moyen-Orient, encourageant parallèlement la poursuite des programmes
balistiques en cours, particulièrement en Iran.
2. Les incidences en matière de désarmement et de non-prolifération
a) L'affaiblissement du traité ABM et ses conséquences
La mise
en oeuvre du programme NMD engendrerait incontestablement un affaiblissement du
traité ABM, que les Etats-Unis s'en retirent et le rendent donc caduc ou
qu'ils en obtiennent la modification. En effet, si l'approche graduée,
tendant à ne proposer que les amendements strictement nécessaires
à la première phase du programme, ne constitue pas en
elle-même un remise en cause de cet accord, la logique américaine
consiste bien à modifier étape après étape le
traité qui se trouverait au final très éloigné du
texte d'origine.
Régulièrement présenté comme un des " piliers
de la stabilité stratégique ", le traité ABM a
été un élément important dans la limitation des
armements nucléaires, si ce n'est pour les deux superpuissances, du
moins pour les autres puissances reconnues. L'affaiblissement du traité,
ouvrant la brèche à un développement des systèmes
de défenses antimissiles, serait un encouragement à se
détourner du mouvement de réduction des armements. Il serait
également ressenti comme un
relâchement des disciplines
internationales
inspiré par les Etats-Unis et influerait
négativement sur l'ensemble des instruments multilatéraux, que ce
soit au regard de la ratification et de l'entrée en vigueur des
instruments existants (convention contre les armes chimiques, traité
d'interdiction complète des essais nucléaires,...) ou des
discussions sur des traités en projet, comme celui sur l'interdiction de
la production de matières fissiles pour des armes nucléaires.
b) L'impact sur la non-prolifération
En se
fondant sur la conviction d'une
inévitable montée en
puissance,
durant la prochaine décennie,
des capacités
balistiques
de pays tels que la Corée du Nord ou l'Iran, la NMD
témoigne, en premier lieu, de ce qui pourrait apparaître comme du
fatalisme face à la prolifération. Ce
manque de confiance dans
les instruments et les contrôles internationaux
en matière de
non-prolifération pourrait directement affecter leur
crédibilité.
Les pays proliférants, constatant que la communauté
internationale tient pour acquis le développement de leur programme
balistique, ne seraient aucunement encouragés à le stopper. La
mise en place de systèmes de défenses pourrait même, selon
certains commentateurs, les inciter à perfectionner leurs
équipements et à les adapter aux parades déployées
pour les contrer.
Le développement de systèmes de défense antimissiles
pourrait ainsi encourager le perfectionnement des capacités balistiques,
en matière de furtivité, d'emport de têtes multiples ou de
renforcement de contre-mesures, et l'intensification des exportations de ces
missiles et des technologies qui y sont liées.
Cette problématique rejoint plus généralement celle,
toujours controversée, de la
contre-prolifération
, qui
apparaît à certains comme le complément indispensable
à la non-prolifération alors que pour d'autres, elle revient
à postuler l'échec de la non-prolifération.
C. LE DÉBAT SUR LA NMD AU SEIN DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE
Bien qu'il s'agisse d'un projet strictement national n'engageant pas l'Alliance atlantique, la NMD, en raison de ses implications sur le contexte stratégique, suscite un débat au sein de l'OTAN, plusieurs pays alliés manifestant leurs doutes, leurs interrogations ou leurs craintes. Au-delà du projet américain, la question de la défense antimissiles pourrait désormais prendre une place accrue dans les débats au sein de l'Alliance au risque de créer des divisions entre alliés européens.
1. Un dialogue engagé tardivement sur un projet suscitant les réticences de plusieurs alliés
Les
Etats-Unis n'ont engagé que tardivement le dialogue avec leurs
alliés de l'OTAN sur la NMD. Certes, l'Alliance n'est pas
concernée en tant que telle par le projet et les Etats-Unis ne sont pas
tenus de la consulter, et encore moins de suivre les avis qu'elle pourrait
exprimer. Mais compte tenu de l'importance des conséquences de la NMD
sur l'évolution du contexte international de sécurité, ce
sujet ne pouvait être ignoré par l'Alliance.
Le
débat au sein de l'OTAN
a été lancé
à la
fin de l'année 1999
à la suite de plusieurs
présentations du programme effectuées par les autorités
américaines. Il s'est poursuivi sous la forme de
consultations au
sein du " Comité politique au niveau
élevé "
, renforcé pour l'occasion par des
experts. Représentant tous les pays membres, et réuni sous la
présidence du Secrétaire général adjoint pour les
affaires politiques, il s'agit de l'organe consultatif de haut niveau du
Conseil de l'Atlantique Nord pour les questions politiques et
politico-militaires spécifiques.
Bien que la réaction des alliés des Etats-Unis participe de
l'environnement stratégique, constituant lui-même l'un des quatre
critères au vu desquels l'exécutif américain doit prendre
la décision de déploiement, la consultation menée au sein
de l'OTAN a davantage donné le sentiment d'une simple information des
alliés que de la sollicitation de leur avis.
Il faut tout d'abord rappeler qu'outre les Etats-Unis,
3 des 19 pays de
l'OTAN sont directement concernés par la NMD
:
- le
Canada,
qui se trouverait de fait protégé par la NMD
et qui est intégré dans le commandement de la défense
aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) ; le NORAD
constituera l'une des composantes de la NMD, en charge notamment de l'analyse
des données provenant du système de surveillance et de la gestion
du commandement et du contrôle de l'engagement,
- le
Royaume-Uni et le Danemark
qui abritent sur leur territoire,
respectivement dans le Yorkshire et au Groenland, des radars d'alerte rapide
dont les capacités seront améliorées pour participer, dans
le cadre de la NMD, à la détection et au suivi de la course du
missile assaillant ; dans ces deux pays pourraient également être
construits, au cours d'une phase ultérieure, deux radars " en bande
X " supplémentaires.
La situation particulière de ces trois pays du fait de leur implication
dans la NMD n'est pas spécifiquement évoquée à
l'OTAN, les consultations portant sur la problématique
générale du programme.
De ces consultations, il se dégage que
plusieurs pays alliés
ont manifesté leurs interrogations et leurs réserves
.
Celles-ci portent principalement sur les points suivants :
. la réalité de la menace, étant entendu que l'existence
de capacités balistiques supposerait une intention agressive pour se
concrétiser en menace,
. l'adaptation de la NMD comme réponse à cette menace,
. les risques inhérents à une remise en cause du traité
ABM,
. les risques de relance de la course aux armements, particulièrement en
Asie,
. l'affaiblissement de la solidarité transatlantique, le projet
américain laissant l'Europe vulnérable face aux armes de
destruction massive.
Lors de la session ministérielle du Conseil de l'Atlantique-Nord tenue
le 24 mai dernier à Florence, la quasi-totalité des alliés
ont manifesté bien plus d'interrogations que de signes de soutien,
même si aucun d'entre eux n'a contesté le droit absolu des
Etats-Unis de décider souverainement du déploiement de la NMD, ou
souhaité interférer dans le dialogue américano-russe sur
le traité ABM.
Au total, si le Royaume-Uni et le Canada manifestent une attitude
nuancée, l'Allemagne, l'Italie, la France mais aussi les Pays-Bas ont
fait part de leurs réserves.
Le ministre allemand des affaires étrangères, M. Fischer, s'est
inquiété des conséquences internationales
considérables de la NMD, notamment en cas de décision
unilatérale américaine sans accord préalable avec la
Russie sur la révision du traité ABM, témoignant
l'attachement que portait le gouvernement fédéral à ce
traité et au processus de maîtrise des armements.
De même, le ministre italien de affaires étrangères, M.
Dini, émettait récemment des doutes sur la réalité
de la menace évoquée par les Etats-Unis et soulignait les risques
d'une relance de la course aux armements.
Quant à la France, sa position sera analysée plus loin, mais elle
s'est également fortement interrogée sur la réalité
de la menace, la pertinence de la réponse et ses implications sur le
contexte international et les équilibres régionaux.
2. L'Alliance atlantique et la défense antimissiles
La
défense antimissiles fait l'objet depuis plusieurs années, d'une
réflexion au sein de l'OTAN mais uniquement en ce qui concerne la
défense contre les missiles balistiques tactiques
. Le concept de
"
défense aérienne élargie
" a ainsi
été défini, afin d'englober la protection contre ce type
de missiles dans la défense globale contre la menace aérienne.
Les travaux menés dans le cadre de l'OTAN ont, dans un premier temps,
pour objet d'analyser les différentes possibilités techniques et
les moyens de mettre en place une défense antimissiles de
théâtre. Le programme de défense des troupes
engagées contre les missiles de théâtre est actuellement
dans une phase d'étude et pourrait passer en phase de réalisation
à partir de 2004. Compte tenu du niveau des investissements
nécessaires, les moyens d'alerte contre les éventuels tirs de
missiles pourraient reposer sur les capacités américaines, le
programme OTAN étant centré sur l'acquisition des systèmes
d'interception proprement dits.
S'agissant de la protection de leur propre territoire contre les missiles
balistiques à longue portée, la quasi-totalité des pays
européens de l'OTAN considèrent aujourd'hui que la mise en place
d'un tel système n'est pas d'actualité.
On peut toutefois se demander si l'importance grandissante que ne manquera pas
de prendre la défense antimissiles dans le débat
stratégique des prochaines années, ne créera pas,
tôt ou tard, une
pression pour que cette question soit traitée
au sein de l'Alliance atlantique
. L'inscription au programme
présidentiel du gouverneur Bush d'une extension de la NMD aux
alliés des Etats-Unis, tout comme la relance, par le Président
Poutine peu après sa rencontre avec le Président Clinton au
début du mois de juin, de l'idée d'une
coopération
internationale
pour contrer une menace balistique potentielle, sont autant
d'éléments qui tendent à impliquer davantage les pays
européens de l'OTAN dans le débat.
L'extension à l'Europe de défenses contre les missiles à
longue portée constituerait alors un ferment de division au sein des
pays européens de l'OTAN. Ce sujet pourrait surtout perturber le
processus d'édification de la défense européenne qui exige
une concentration de l'effort européen de défense sur les
priorités définies en matière de capacités de
projection, de renseignement, de commandement et de communication, et trouve
déjà difficilement des ressources financières à la
hauteur de telles ambitions.
D. LA FRANCE ET LA NMD
La France a pris une position de principe réservée sur la NMD. Il importe de mesurer quelles pourraient être les conséquences de ce programme sur nos concepts de défense, s'il était mené à son terme, et d'évoquer notre propre implication dans les programmes de défense antimissiles.
1. Une position réservée des autorités françaises sur la NMD
La
France, par la voix notamment du Président de la République,
s'est inquiétée du risque d'éventuelle remise en cause du
traité ABM qui serait de nature à conduire à une rupture
des équilibres stratégiques et à une relance de la course
aux armements.
Elle a donc développé un certain nombre d'interrogations et de
réserves portant :
- sur l'évaluation de la menace, en fonction de l'évolution des
programmes balistiques et de la prolifération des armes de destruction
massive, mais aussi compte tenu de degré de détermination des
" rogue states " à réellement vouloir tenter de menacer
les Etats-Unis,
- sur les effets d'une remise en cause du traité ABM en matière
de contrôle des armements stratégiques,
- sur la réaction de la Russie, de la Chine et des pays
proliférants au déploiement de la NMD,
- sur la perte de crédibilité qui pourrait résulter de ce
déploiement pour les instruments de lutte contre la
prolifération.
2. Les incidences sur nos concepts de défense
La
France considère que la garantie ultime de la protection de son
territoire national réside dans la dissuasion nucléaire. Sans
nier l'expansion des capacités balistiques dans certaines régions
du monde, elle se refuse à effectuer un lien automatique entre
l'existence de ces capacités et celle d'une menace, qui suppose une
intention agressive. Elle estime que la réduction des tensions
régionales et la conclusion d'accords de désarmement et de
non-prolifération constituent le meilleur moyen de réduire
d'éventuelles menaces qu'en tout état de cause, nos forces
nucléaires seraient en mesure de dissuader si elles se portaient sur
notre territoire national.
Dans ces conditions, le déploiement de la NMD affecterait-il la
crédibilité et l'efficacité de notre dissuasion
nucléaire ?
On peut affirmer que
la NMD n'entraînera pas d'impact direct sur la
crédibilité de notre dissuasion nucléaire
. Le projet
américain en lui-même ne pourrait arrêter que quelques
dizaines de têtes nucléaires, soit un niveau nettement
inférieur à celui des forces nucléaires françaises,
et si son déploiement provoquait un relèvement du niveau des
défenses antimissiles russes, celui-ci ne serait pas non plus de nature
à remettre en cause l'efficacité de nos missiles
stratégiques.
En revanche, il n'est pas douteux que le déploiement de la NMD, a
fortiori si le système devait ultérieurement dépasser les
capacités limitées jusqu'à présent
envisagées par les Etats-Unis, affecterait indirectement le concept
même de dissuasion qui verrait son champ en partie rétréci.
Il ouvrirait la voie à une évolution prenant plus largement en
compte les moyens défensifs aux côtés des armes offensives.
La défense antimissiles apparaîtrait alors comme un
complément nécessaire à la dissuasion nucléaire,
apportant une réponse à des menaces non couvertes par cette
dernière.
Un tel contexte ne remettrait pas en cause l'utilité de notre dissuasion
nucléaire, toujours pertinente pour la garantie de nos
intérêts vitaux, mais il impliquerait néanmoins une
réflexion sur l'adaptation éventuelle de notre doctrine.
3. L'implication de la France dans les programmes de défense antimissiles
Le livre
blanc sur la défense de 1994 mentionne la menace balistique en ces
termes : "
dans le domaine de la lutte antimissiles,
l'étude des défenses possibles concerne à ce stade les
capacités de défense aérienne et de détection,
notamment spatiale... le développement de certains systèmes de
défense aérienne dont les programmes sont en cours, en
systèmes antimissiles est aussi à l'étude et sera
envisagé(...) priorité sera donnée dans ce domaine
à l'étude d'un concept et des moyens d'une défense
aérienne élargie
", cette dernière consistant
à élargir la capacité de l'actuelle défense
aérienne pour faire face aux menaces nouvelles, en particulier les
missiles balistiques.
Cette reconnaissance de l'intérêt de disposer de défenses
actives capables d'intercepter des missiles assaillants ne concerne pas la
protection du territoire national puisqu'à moyen terme, la France estime
ne pas pouvoir être atteinte par les missiles de portée
intermédiaire développés en Asie, seules les quatre
puissances nucléaires reconnues possédant des missiles capables
d'atteindre le sol français. Elle s'applique en revanche à la
protection des troupes déployées sur les théâtres
extérieurs
susceptibles d'être menacés par des missiles
à courte portée.
Sur le plan des réalisations, l'implication de la France demeure modeste
depuis son retrait du programme
MEADS
et l'arrêt des
réflexions sur l'alerte avancée. Seul reste d'actualité le
programme de missiles sol-air futurs au sein duquel pourraient être
développées des capacités antibalistiques.
a) Le retrait du programme MEADS et l'abandon des réflexions sur l'alerte avancée
La
France s'était associée à l'Allemagne et à l'Italie
aux côtés des Etats-Unis en vue de coopérer au programme de
missiles sol-air
MEADS,
destiné à assurer une
défense aérienne élargie à moyenne portée
à partir d'un système transportable et déployable avec les
troupes projetées. Quelques mois à peine après la
signature du mémorandum d'entente, la France, en mai 1995,
déclarait qu'elle abandonnait le programme, officiellement pour des
raisons budgétaires mais sans doute aussi en raison de divergences
d'appréciation sur un programme qui prend un retard important et
s'oriente vers une solution essentiellement américaine.
Les obstacles financiers ont également conduit à l'abandon des
réflexions sur l'alerte avancée qui avaient mis en lumière
l'intérêt d'un ou de plusieurs satellites géostationnaires
dotés de détecteurs infrarouges capables de déceler la
phase propulsive des missiles balistiques à moyenne et longue
portée. Le coût d'un tel système dépasse les
possibilités budgétaires françaises et supposerait une
coopération européenne.
b) Le développement de capacités antibalistiques au sein de la famille de missiles sol-air futurs (FSAF)
Développé par Aérospatiale-Matra et
Alenia, le
missile Aster
a été conçu dès l'origine pour
intercepter des missiles balistiques tactiques et peut, moyennant des
adaptations mineures, être doté de cette capacité si cette
spécification est exigée. Ce missile constitue le coeur du
programme franco-italien FSAF (Famille sol-air futur) destiné à
la défense localisée contre tous types d'aéronefs et de
missiles aérobies.
Trois versions de ce programme sont actuellement en cours de
développement ou de fabrication :
- le système sol-air antimissiles (SAAM) qui équipera le
porte-avions Charles de Gaulle très prochainement,
- le système sol-air moyenne portée-terrestre (SAMP/T) qui
doterait l'armée de terre à partir de 2006 et l'armée de
l'air à partir de 2008 . Le SAMP/T est un système
aérotransportable monté sur véhicules composé d'un
radar Arabel conçu par Thomson et de lanceurs permettant de tirer 8
missiles Aster 30 détruisant l'objectif par impact direct. Il
pourrait être doté dès sa livraison d'une
capacité contre les missiles tactiques
de type SCUD (bloc 1)
puis ultérieurement d'une capacité contre les missiles de
portée supérieure à 1 000 km et de plus grande
furtivité (bloc 2).
- le PAAMS (
Principal anti-air missile system
) développé
en coopération franco-italo-britannique pour équiper les futures
frégates antiaériennes Horizon.
c) La France ne peut se désintéresser de la défense antimissiles balistiques
Evoquée dans le livre blanc de 1994,
l'implication
de la
France dans la défense antimissiles balistiques de théâtre
aurait tout intérêt à être consolidée
et renforcée
dans le cadre de la prochaine loi de programmation
militaire 2003-2008, et ce, pour trois raisons :
- tout d'abord, le développement des missiles à courte et moyenne
portée peut représenter une
menace réelle pour nos
troupes déployées sur les théâtres
extérieurs
; la protection de nos forces et de points sensibles
lors des opérations extérieures justifie que nos moyens de
défense antiaérienne soient dotés de capacités
antibalistiques ;
- ensuite, il importe de
conforter le savoir-faire industriel
français
en matière de défense contre les missiles
balistiques tactiques, particulièrement pour permettre aux
équipements qu'ils ont conçus de prendre rang sur des
marchés à l'exportation qui iront en se développant ;
- enfin, sur le plan technologique, l'écart déjà
considérable avec les
capacités de recherche et de
développement
américaines irait grandissant si le domaine de
la défense antimissiles balistiques, dans lequel notre pays n'est pas
totalement démuni, était par trop délaissé.
Ces différents facteurs plaident en faveur de l'inscription dans la
prochaine loi de programmation militaire
, des décisions de
lancement et de commande ainsi que des financements correspondant aux
développement des capacités antibalistiques sur le missile
Aster
dans le cadre du programme FSAF, et tout particulièrement du
système sol-air moyenne portée-terrestre (SAMP/T) dont les
premières livraisons devront intervenir durant la période
couverte par cette programmation.
III. VERS UNE DÉCISION DE DÉPLOIEMENT DE LA NMD ?
Sans
chercher à établir de prédictions dans un domaine
où bien des événements, internes aux Etats-Unis ou
internationaux, peuvent intervenir et modifier les échéances
voire le contenu du programme, votre rapporteur souhaiterait ici
résumer, à la lumière de l'actualité récente
et des contacts qu'il a pu établir, notamment à Washington, les
termes du débat américain sur la
National Missile Defense
.
Il faut ici distinguer le court et le moyen terme.
Dans l'immédiat, de multiples interrogations traversent les cercles
politiques ou spécialisés américains et conduisent
fortement à douter qu'une décision définitive sur le
lancement de la première phase puisse intervenir, comme cela avait
été envisagé, avant la fin du mandat du Président
Clinton.
Mais, plus fondamentalement, de nombreux facteurs psychologiques, politiques et
économiques entretiennent une dynamique en faveur d'une défense
antimissiles du territoire américain qui ne semble pas pouvoir
être inversée.
A. UNE DÉCISION SUSPENDUE A DE MULTIPLES INTERROGATIONS
La
décision de déployer le premier échelon de la NMD,
c'est-à-dire l'installation en Alaska de 20 intercepteurs et la
mise en place des moyens d'alerte et de surveillance, devait être prise
au cours de l'été ou à l'automne 2 000 par le
président des Etats-Unis. Plusieurs éléments rendent
aujourd'hui improbable le respect de cette échéance, même
si cela ne signifie pas qu'aucune décision ne sera prise, certaines
mesures ponctuelles pouvant être détachées de la
décision d'ensemble.
Tout d'abord, le débat sur l'opportunité de la NMD, son
degré de fiabilité et ses implications internationales prend aux
Etats-Unis une ampleur nouvelle.
Ensuite, une grande incertitude règne sur l'issue des
négociations américano-russes relatives au traité ABM.
Enfin, la campagne électorale interfère sur le calendrier et met
en lumière les divergences entre l'administration et le parti
républicain.
1. L'amplification du débat intérieur américain
Votre
rapporteur a pu constater aux Etas-Unis la vivacité d'un débat
qui semble s'amplifier au fur et à mesure que se rapproche
l'échéance fixée pour la décision
présidentielle.
Ce débat, fortement animé par les "
think
tanks "
, se développe dans la presse, mais s'appuie
également sur les évaluations établies par les agences
officielles.
Une première série d'interrogations porte sur le
degré
de fiabilité de la NMD.
Dans un rapport établi pour le compte de compte du Congrès le
31 mai dernier, le
General Accounting Office (GAO)
soulignait la
difficulté de réaliser l'interception d'un missile assaillant par
collision directe
(hit to kill).
Le GAO indique que sur
14 interceptions tentées depuis 1983 dans le cadre des
différents programmes de défense antimissiles, seules 4
interceptions avaient réussi, soit un taux inférieur à
30 %. Or, poursuit le GAO, la NMD ne se justifie qu'assortie d'un
très haut degré de fiabilité, afin de protéger
réellement les 50 Etats américains des armes de destruction
massive.
Le GAO mettait également en cause le
calendrier extrêmement
serré imposé aux essais
et relevait que 3 essais
d'interception seulement auraient été réalisés
avant que la décision de déploiement de la première
tranche ne soit prise. Encore ces essais auront-ils été conduits,
selon le GAO, dans des conditions éloignées de la
réalité, notamment parce que le véhicule d'impact,
lancé par un missile différent de celui envisagé dans la
version finale, n'aura pas été soumis aux très fortes
accélérations et aux vibrations qu'il connaîtra en
conditions réelles.
Cette appréciation du GAO rejoint celle de plusieurs experts qui
estiment que
l'interception par impact direct pourrait être
déjouée par des contre-mesures
telles que des leurres ou la
dispersion de sous-munitions, que les pays détenteurs de
capacités balistiques pourraient en outre perfectionner toujours plus en
fonction des performances des intercepteurs américains.
Ces interrogations techniques pourraient mettre en cause l'architecture
actuelle de la NMD et renforcer la position de ceux qui souhaitent le
développement de systèmes basés en mer ou dans l'espace,
capables de détruire le missile assaillant dès sa phase de
propulsion.
Une deuxième série de critiques, reflétant une opinion
minoritaire mais néanmoins exprimée de manière ferme,
porte sur l'
appréciation de la menace
et son évolution
d'un part, et sur les
inplications internationales
, d'autre part. Ces
thèmes sont essentiellement évoqués par les partisans du
contrôle des armements, soucieux de l'avenir des relations
stratégiques américano-russes et des incidences que pourraient
avoir les programmes de défense antimissiles -NMD ou TMD- sur l'effort
d'armement des pays tiers, notamment en Asie.
Un nouveau rapport portant sur l'évaluation de la menace et les
implications internationales de la NMD doit prochainement être remis au
Président Clinton par les agences de renseignement. Selon des
informations de presse, cette analyse de renseignement mettrait en
évidence la diminution de la menace balistique nord-coréenne,
Pyongyang ayant gelé son programme d'essai en contrepartie de
l'assouplissement des sanctions américaines. Elle soulignerait
également la probabilité d'un renforcement de l'arsenal
nucléaire chinois en réponse à la NMD, qui
entraînerait celui de l'Inde et du Pakistan, ainsi qu'un risque
d'accélération de la prolifération des technologies
balistiques, particulièrement dans le domaine des contre-mesures.
2. L'issue des discussions américano-russes
L'issue
des discussions américano-russes sur la révision du traité
ABM constitue également une interrogation majeure pour la poursuite du
programme NMD.
Deux questions principales se posent :
-
la Russie sera-t-elle disposée à accepter une
révision du traité ABM
et, dans l'affirmative,
à
quelles conditions ?
- les Etats-Unis sont-ils prêts à déployer
unilatéralement la NMD
, sans révision préalable du
traité ou après s'en être retirés ?
La rencontre entre MM. Clinton et Poutine à Moscou au début du
mois de juin a confirmé la situation de blocage.
Du côté américain, l'actuelle administration
privilégie un accord avec la Russie sans exclure toutefois
l'éventualité d'un retrait des Etas-Unis du traité ABM.
L'intransigeance affichée par Moscou rend désormais
peu
plausible la conclusion d'un accord d'ici l'élection
présidentielle de novembre
, d'autant qu'au Sénat, où
une majorité des deux-tiers est requise pour l'approbation des
traités, une importante fraction du parti républicain a d'ores et
déjà fait savoir qu'elle s'opposerait à un accord avec la
Russie sur la révision du traité ABM.
Dans une lettre adressée au Président Clinton,
25 sénateurs républicains
, dont le chef de la
majorité au Sénat, M. Lott,
jugent inacceptable un accord qui
tendrait à obliger les Etats-Unis à réaffirmer la
validité d'un traité ABM très astreignant et juridiquement
contraignant.
Ils contestent également un accord qui ne laisserait
place qu'à un système limité, réduit à un
seul site et excluant le recours à une composante navale ou à un
laser aéroporté.
Du côté russe, l'approbation parlementaire de l'accord Start II et
du traité d'interdiction complète des essais nucléaires
permet d'aborder la négociation en position avantageuse. Au-delà
de l'opposition de principe à la NMD, la Russie ne peut toutefois
prendre le risque d'un déploiement américain unilatéral
qui rendrait caduc le traité ABM sans lui fournir la moindre
contrepartie. Son
intérêt objectif à conclure un accord
est donc réel mais peut être pas avec une administration
présidentielle américaine sur le départ qui serait de
surcroît incapable de faire avaliser cet accord par un Sénat
hostile.
La
contre-proposition lancée
, peu après le sommet de
Moscou,
par le Président Poutine
, et consistant à
instaurer une
coopération entre la Russie, les Etats-Unis et
l'Europe
, pour adopter un système de défense actif dès
la phase de décollage des missiles assaillants, semble reconnaître
la réalité d'une montée des menaces et
l'intérêt des défenses antimissiles, tout en renvoyant
à une date ultérieure la conclusion d'un éventuel accord.
Il est probable qu'en tout état de cause, la Russie cherchera à
faire prendre en compte son souhait de réduction supplémentaire
du nombre de missiles stratégiques dans le cadre de l'accord START II et
que, dans ces conditions, elle pourrait oeuvrer pour l'établissement
d'un lien entre ces négociations START III et celles sur le
traité ABM.
Au vu de ces différents éléments, on voit mal un accord se
conclure d'ici le mois de novembre prochain, ou au contraire le
Président Clinton prendre acte du blocage russe et décider
unilatéralement le déploiement de la NMD. Il pourrait en revanche
décider des mesures conservatoires, par exemple le lancement l'an
prochain de travaux de génie civil à Shemya en vue de la
construction du radar " en bande X ", ne préjugeant pas du
lancement de la construction des composantes de la NMD aujourd'hui proscrites
par le traité ABM.
Dans cette hypothèse, les discussions américano-russes
reprendraient sous l'égide de la prochaine administration
américaine, dans des conditions nécessairement
différentes.
3. Les échéances politiques de novembre 2000
Les
échéances politiques de novembre prochain pèsent bien
évidemment très fortement sur la date et le contenu d'une
éventuelle décision de déploiement.
La défense nationale antimissiles constitue une
préoccupation
privilégiée du parti républicain
à laquelle
l'administration démocrate s'est progressivement ralliée, sous la
pression du Congrès et de l'écho rencontré, à
partir de 1998, par la question de la menace balistique. Aussi le
Président Clinton veut-il éviter d'apparaître en recul sur
ce projet que le Vice-Président Gore a également incorporé
dans son programme électoral. Plusieurs responsables républicains
ont toutefois plaidé pour que la décision de déploiement
soit renvoyée à la prochaine administration, ce qui pourrait
faciliter un report des échéances justifié par des motifs
soit techniques, éclairés par les essais d'interception et la
" revue " de déploiement, soit politiques, liés au
contexte international.
Du côté républicain, le
gouverneur Bush
a
présenté le 23 mai dernier ses
propositions en
matière stratégique.
Il s'est tout d'abord prononcé en
faveur du déploiement, dans les meilleurs délais, de
défense antimissiles efficaces, s'appuyant sur les meilleures options
possibles, ouvrant ainsi la voie à un système plus ambitieux
intégrant une composante navale, voire spatiale. Cette défense
devra protéger l'ensemble du territoire des Etats-Unis et serait ouverte
aux alliés des Etats-Unis, en particulier en Europe et en Asie.
Le gouverneur Bush a également plaidé pour un report de la
décision de déploiement de la NMD, estimant que le
Président actuel ne devait pas lier les mains de l'administration future.
Enfin, il s'est déclaré en faveur d'un réexamen de la
posture nucléaire américaine afin de réduire
unilatéralement au plus bas niveau possible l'arsenal nucléaire
dans des proportions compatibles avec la sécurité des Etats-Unis.
Un nouveau concept stratégique, fondé sur une combinaison d'armes
nucléaires réduites au strict nécessaire et de
systèmes défensifs, pourrait ainsi émerger.
Ces propositions, tout comme la pression de nombreux parlementaires
républicains pour l'abandon d'un traité ABM jugé
obsolète et en faveur du déploiement d'une NMD ambitieuse,
reposant sur des composantes terrestres, navales et spatiales et ne s'imposant
aucune limite, laissent à penser qu'en cas de succès de M. Bush
à la prochaine élection présidentielle, le débat
sur la NMD se poserait en des termes nouveaux. L'architecture imaginée
par l'actuelle administration, tout comme le calendrier, pourraient être
remis en cause et le dialogue avec la Russie s'établirait sur de
nouvelles bases.
B. DES TENDANCES DE FOND EN FAVEUR DE LA DÉFENSE ANTIMISSILES DU TERRITOIRE AMÉRICAIN
Les
incertitudes pesant sur la décision relative à la NMD ne doivent
pas occulter l'existence de tendances de fond agissant en faveur de
l'idée d'une défense antimissiles du territoire américain.
Ces tendances reposent sur des facteurs bien plus psychologiques et politiques
que militaires. Elles résultent également des enjeux industriels
et technologiques considérables de ces programmes.
1. Les facteurs politiques et psychologiques : une quête " d'invulnérabilité et d'insularité "
Votre
rapporteur estime que la défense antimissiles du territoire des
Etats-Unis, incarnée aujourd'hui par la NMD après l'avoir
été dans le passé par bien d'autres programmes, et avant,
peut-être, d'être elle-même reléguée par des
projets plus ambitieux, répond à des sentiments
profondément ancrés dans l'esprit américain.
En premier lieu, l'histoire de la nation américaine témoigne d'un
attachement très vif à la protection et à
l'intégrité du territoire des Etats-Unis
, érigé
au rang de sanctuaire. L'invulnérabilité de ce
territoire-continent constitue donc un objectif primordial, sans doute le
premier de tous en matière de sécurité et de
défense.
Ce facteur explique la sensibilité particulière à la
menace balistique et à la prolifération d'armes de destruction
massive. Alors que d'autres pays, notamment en Europe, partagent l'analyse
américaine en matière de prolifération, même s'il
peut y avoir divergence sur le rythme des progrès réalisés
par les proliférants ou l'état des programmes dans tel ou tel
pays, ils n'en déduisent pas pour autant une probabilité de
concrétisation du risque, elle même dépendante de multiples
facteurs.
Votre rapporteur a ainsi pu constater auprès de ses interlocuteurs,
notamment au Congrès, que l'évolution du dialogue
inter-coréen ou les contrôles établis sur la Corée
du Nord en matière nucléaire, de même que les
évolutions politiques en Iran, ne suffisaient pas à les
convaincre que la menace balistique pouvait être contenue ou
réduite, à partir du moment où la garantie absolue qu'elle
ne se concrétiserait pas ne pouvait être apportée.
Si le sentiment de vulnérabilité face à une agression
balistique ne semble pas répandu dans la population américaine,
l'ensemble des parlementaires rencontrés par votre rapporteur ont
insisté sur le fait qu'ils ne pouvaient justifier devant les citoyens
des Etats-Unis que, disposant d'un éventuel moyen de protéger le
territoire national d'une telle attaque, le pouvoir politique renonce à
le développer et à le mettre en oeuvre.
Enfin, la défense antimissiles fait appel à des moyens de
protection et représente, dans l'esprit de ses avocats, une solution
beaucoup plus satisfaisante que les moyens offensifs qui, dans le cadre de la
dissuasion nucléaire, entrent dans une logique de " destruction
mutuelle assurée " inquiétante pour
l'intégrité du territoire et de la population.
Votre rapporteur a été frappé de constater la relative
discrétion des militaires américains sur un projet très
fortement soutenu par de nombreux parlementaires et qui apparaît
dès lors essentiellement comme une
réponse politique à
une menace potentielle.
Une seconde tendance est également à l'oeuvre en faveur de la
défense nationale antimissile : celle de
l'
unilatéralisme.
Cette tentation se manifeste dans bien des domaines, et en particulier dans
l'attitude face aux organisations internationales ou aux traités et
engagements multilatéraux. Elle repose, en matière de
défense, sur l'idée que
les Etats-Unis ne doivent compter que
sur eux mêmes pour garantir leurs intérêts de
sécurité,
qui ne sauraient dépendre de la plus ou
moins bonne volonté des autres pays à adhérer à des
instruments internationaux ou à les respecter.
Point n'est besoin ici de rappeler le refus du Sénat américain de
ratifier le traité d'interdiction complète des essais
nucléaires ou la non adhésion des Etats-Unis à la
convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines antipersonnel ou à la
convention de Rome créant la Cour pénale internationale.
Pour ses défenseurs, la défense nationale antimissiles est
susceptible de renforcer les intérêts de sécurité
des Etats-Unis, au demeurant en se limitant à des moyens exclusivement
défensifs. Elle ne saurait être entravée par des
instruments juridiques contraignants, ressentis comme une restriction
injustifiée, imposée par d'autres pays, à la
liberté d'action des Etats-Unis. On ne saurait davantage lui imputer le
comportement d'autres Etats qui, tirant prétexte d'un système
purement défensif ne les menaçant nullement,
développeraient pour leur part des capacités offensives et
contribueraient à la course aux armements.
Rappelons en outre que pour nombre de commentateurs, l'initiative de
défense stratégique aurait, par le défi qu'elle
représentait, contribué à précipiter la chute de
l'Union soviétique. La défense nationale antimissiles ne
pourrait-elle pas avoir les mêmes vertus à l'encontre d'Etats
potentiellement agressifs mais généralement économiquement
faibles ?
Tous ces éléments créent un contexte favorable à
l'édification d'une défense nationale antimissiles sans pour
autant assigner de limites à cette dernière, que ce soit dans
l'étendue de la protection ou dans le type de moyens utilisés.
2. Les enjeux industriels et technologiques
Toutes
les grandes entreprises de l'industrie de défense
américaine
sont concernées par la NMD : Boeing pour
l'intégration de l'ensemble des éléments du
système, Lockheed Martin pour le développement du véhicule
de lancement, Northrop Grumman pour le lanceur et le
SBIRS Low
et
Raytheon pour le véhicule d'impact, les radars d'alerte rapide
SBIRS-High
, le système de commandement et de gestion de
l'engagement. Le programme NMD assure à ces industriels des financements
très importants, en particulier en recherche et développement, et
contribue donc à leur compétitivité globale, en
particulier sur les marchés à l'exportation.
Sur le
plan technologique
, la NMD suppose des développements
nouveaux dans de très nombreux domaines comme les missiles, les
satellites ou les radars ou pour des capacités spécifiques
(communications, guidage, infrarouge). Ces développements produiront des
retombées considérables
dans tous les secteurs des
technologies de défense, tout comme dans le secteur civil. Ils
contribueront à creuser un écart déjà très
important entre les Etats-Unis et les pays européens.
Les décennies passées ont été marquées par
de nombreux projets de défense antimissiles abandonnés en cours
de développement. Ceux-ci ont néanmoins
bénéficié de financements très conséquents
-plus de 120 milliards de dollars en 40 ans- qui n'ont pas
été investis en pure perte et se sont
révélés profitables à l'élévation
globale des capacités technologiques américaines.
Dans un contexte budgétaire excédentaire, l'investissement de
défense américain s'accroît et contribue pleinement
à maintenir et sans doute accentuer l'avance technologique. Quel que
soit l'avenir du programme NMD, il participe assurément de cette
logique.
CONCLUSION
Le
projet de défense nationale antimissiles (NMD), actuellement
envisagé par les Etats-Unis, doit être replacé dans une
double perspective, tant historique, en référence à la
longue lignée de tentatives d'édification,
au cours des
quarante dernières années,
d'un " bouclier "
protégeant le territoire national,
que contemporaine, au regard du
développement de plusieurs programmes de défense antimissiles
de théâtre
avec lesquels il possède des liens de
parenté.
S'il était mené à bien,
ce projet pourrait pour la
première fois assurer une protection de l'ensemble du territoire des
Etats-Unis
face à la menace de missiles balistiques. Ce
résultat majeur, bien que
limité à la protection contre
quelques dizaines de têtes assaillantes,
serait obtenu en recourant
à des
moyens relativement mesurés par rapport aux projets
précédents,
que ce soit par le type de technologie mise en
oeuvre ou par leur coût, à la portée du budget de
défense américain.
Justifié par la perception aux Etats-Unis d'une menace montante
provenant de pays situés en marge de la communauté
internationale, développant des programmes balistiques et disposant de
capacités dans le domaine des armes de destruction massive, la NMD
suscite un
vif débat international.
Relancera-t-elle la course
aux armements et l'accélération de la prolifération ?
Sans lui imputer l'origine de comportements qui relèvent de la pleine
responsabilité de pays tiers, on peut cependant affirmer qu'
elle
constituera bien plus un facteur de tension que d'apaisement pour la
sécurité internationale,
notamment par l'affaiblissement du
traité américano-russe ABM (
Anti-Ballistic Missiles
) et
les réactions en chaîne qu'elle pourrait provoquer en Asie.
Le déploiement de la NMD,
pour lequel une décision du
Président des Etats-Unis était en principe attendue pour
l'automne prochain,
est aujourd'hui suspendu à de multiples
interrogations. La fiabilité technique du système,
et
particulièrement du concept d'interception par collision directe, non
encore totalement éprouvé, est mise en doute, y compris par
certains partisans d'une architecture plus ambitieuse, comprenant le lancement
d'intercepteurs depuis la mer ou l'espace. La volonté de l'actuelle
administration d'obtenir une révision du traité ABM se heurte au
refus de la Russie qui laisse présager une
évolution complexe
du dialogue stratégique bilatéral.
Enfin, la
proximité d'échéances électorales majeures
interfère sur le calendrier que s'était fixé
l'administration et suscite des contre-propositions dans le camp
républicain.
Tous ces éléments plaident en faveur d'un
ajournement de la
décision définitive de lancement du programme,
même si
quelques mesures conservatoires pourraient être engagées, et
rendent plausible l'
hypothèse d'une remise à plat du projet
par l'administration issue des élections de novembre, au vu des
conditions nouvelles
qui apparaîtront alors tant dans la
définition de la politique de défense des Etats-Unis que dans
l'évolution de la relation avec la Russie.
Ces incertitudes, porteuses d'éventuels rebondissements, ne doivent pas
faire oublier que des
tendances de fond confortent la progression de
l'idée d'une défense antimissile du territoire.
Tout d'abord, elle s'accorde avec
la très vive sensibilité
aux Etats-Unis,
face à tout ce qui pourrait affecter
l'intégrité du territoire national.
En ce sens, elle
constitue une
réponse politique bien plus que militaire, à une
menace potentielle assez unanimement ressentie.
Les conséquences de
son déploiement sur la stabilité internationale pèsent peu
dans un climat dominé par la tentation de l'unilatéralisme et le
sentiment que les Etats-Unis doivent avant tout compter sur eux-mêmes
pour garantir leur sécurité.
Ensuite, elle bénéficie des
capacités
financières et technologiques considérables
d'un pays
à l'économie florissante, qui permettent d'envisager sans
contrainte des investissements massifs dans le développement de nouveaux
systèmes de défense.
Enfin, par sa
contribution significative à l'effort de recherche et
de développement et par ses retombées industrielles et
technologiques,
dans de multiples domaines, elle participe au maintien, et
vraisemblablement à l'accroissement, de
l'écart technologique
entre les Etats-Unis et le reste de la planète.
Quels enseignements tirer, pour la France,
de cette
évolution ?
Au-delà de l'actuel projet de NMD, la défense antimissiles du
territoire face à la prolifération balistique semble devoir
prendre une place accrue dans le débat stratégique. La question
concerne aujourd'hui les Etats-Unis mais pourrait rapidement se poser à
l'Europe, et si elle n'a, jusqu'à présent, été
qu'effleurée au sein de l'OTAN, elle pourrait y revenir avec force si
les propositions de coopération internationale tout récemment
émises par M. Poutine devaient être prises en
considération par Washington.
Dans ces conditions, il apparaît en premier lieu que
la France doit
renforcer son analyse
sur un sujet aujourd'hui réservé
à des cercles restreints
et participer pleinement au débat
international,
car si les Etats-Unis sont légitimement maîtres
d'une décision relative à leur sécurité, la
portée du projet NMD justifie qu'ils prennent en compte les
réactions internationales et notamment les analyses de leurs
alliés.
Deuxièmement, l'émergence de la défense antimissiles,
qu'elle couvre un territoire national ou un théâtre plus
réduit, est de nature à faire apparaître de nouveaux
concepts de défense.
Elle doit donc être impérativement
intégrée dans notre réflexion doctrinale dans tous les
domaines, y compris celui de la dissuasion nucléaire.
Enfin, de manière plus concrète,
la France doit confirmer et
accentuer,
dans la prochaine loi de programmation militaire,
son
engagement dans le développement de capacités antimissiles de
théâtre.
Celles-ci répondent au besoin de protection de
nos troupes sur les théâtres extérieurs. Il serait en outre
dommageable de ne pas exploiter le savoir-faire industriel français dans
un secteur dont l'importance ira croissante et d'abandonner aux seuls
Etats-Unis un domaine technologique majeur dans lequel notre pays est loin
d'être totalement démuni.
EXAMEN EN COMMISSION
La
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées a examiné le présent rapport d'information
lors de sa séance du 14 juin 2000.
A la suite de la communication de
M. Xavier de Villepin
, rapporteur,
M. Aymeri de Montesquiou
a mis en doute les capacités de la
Corée du Nord, de l'Iran, de l'Irak ou de la Libye à
développer des moyens balistiques susceptibles de frapper les
Etats-Unis. Il s'est interrogé sur la possibilité pour le Japon,
au regard de sa Constitution, à se doter d'un système de
défense antimissiles. Enfin, il s'est demandé si le projet
américain serait efficace contre des missiles balistiques lancés
depuis un sous-marin.
M. Michel Caldaguès
a souligné l'importance des
retombées économiques d'un tel projet pour les Etats-Unis. Il
s'est interrogé sur les conséquences, pour notre stratégie
de défense, du déploiement d'un système de défense
antimissiles, particulièrement dans le cas où cette protection
serait étendue à d'autres pays que les Etats-Unis.
M. Paul Masson
a demandé des précisions sur les
propositions effectuées par M. Vladimir Poutine et tendant à
une coopération entre la Russie, les Etats-Unis et les pays
européens pour le développement de systèmes de
défense antimissiles.
En réponse à ces différentes interventions,
M. Xavier
de Villepin, président,
a apporté les précisions
suivantes :
- le rapport établi en 1998 par la commission Runsfeld a mis en
évidence les progrès réalisés en matière de
missiles balistiques par la Corée du Nord et l'Iran ;
- le contrôle établi sur son programme nucléaire et le
rapprochement avec la Corée du Sud pourraient limiter les risques de
développement des capacités balistiques de la Corée du
Nord ; en Iran, en revanche, l'influence des réformateurs n'a pas
affecté le domaine militaire, et notamment les programmes de
missiles ;
- sa Constitution impose au Japon de limiter à 1 % de son produit
intérieur brut son budget de défense mais l'intérêt
pour la défense antimissiles y a été relancé
à la suite du tir d'un missile nord-coréen le 31 août
1998 ;
- les Etats-Unis ont dépensé 122 milliards de dollars dans la
défense antimissiles depuis 1957, dont 68 milliards de dollars depuis
1983, les sommes prévues dans le budget 2000 s'élevant à
4,5 milliards de dollars ; de tels investissements n'auraient pas
été envisageables s'ils n'avaient garanti d'importantes
retombées industrielles et technologiques ;
- les positions adoptées par M. Georges Bush jr, candidat à la
prochaine élection présidentielle, témoignent de la
moindre importance accordée à la dissuasion nucléaire dans
la stratégie de défense par nombre d'experts
républicains ;
- l'attitude de M. Vladimir Poutine après sa rencontre avec M. Bill
Clinton au début du mois, laisse à penser que toute perspective
d'accord russo-américain n'est pas à écarter, même
si elle est peu probable avant l'élection présidentielle.
A l'issue de ce débat, la commission a
autorisé la publication
de cette communication sous la forme d'un rapport d'information
.
ANNEXE I -
ÉLÉMENTS DE CHRONOLOGIE SUR LA DÉFENSE
ANTIMISSILES BALISTIQUES
1957
Début des travaux sur le système
Nike Zeus,
premier
programme important mené aux Etats-Unis en matière de
défense antimissiles balistiques, qui devait reposer sur des
intercepteurs lancés à partir d'une constellation de satellites.
1962
Abandon du programme
Nike Zeus
et début des travaux sur le
système de défense antimissiles balistiques
Nike X,
utilisant deux types d'intercepteurs à tête nucléaire
et de nouveaux radars à éléments de phase
(phased-array).
septembre 1967
Le Président Johnson adopte un plan de déploiement du
système de défense antimissiles
Sentinel
(nouvelle
appellation du système
Nike X
). Le système
Sentinel
est étudié pour protéger certaines villes
américaines contre une attaque chinoise limitée et vise à
installer sur 25 sites de lancement des missiles intercepteurs dotés de
charges nucléaires.
14 mars 1969
Le Président Nixon reconfigure le système
Sentinel
en
système
Safeguard,
étudié pour défendre les
silos de missiles stratégiques intercontinentaux des Etats-Unis, le
déploiement n'étant plus envisagé que sur deux sites de
lancement.
26 mai 1972
Le Président Nixon et M. Brejnev signent à Moscou le
traité ABM par lequel les parties prohibent tout système de
défense antimissiles couvrant la totalité de leur territoire et
se limitent à deux sites de défense antimissiles de 100
intercepteurs chacun autour de la capitale nationale et des silos de missiles
stratégiques intercontinentaux.
3 juillet 1974
Les deux parties amendent le traité ABM pour n'autoriser sur leur
territoire qu'un seul site de défense antimissiles
1
er
octobre 1975
Le système de défense antimissiles
Safeguard
commence
à fonctionner à proximité des silos de missiles
stratégiques de Grand Forks, dans le Dakota du Nord
27 janvier 1976
Le Congrès des Etats-Unis approuve la fermeture du système
Safeguard
et le Secrétaire de la Défense, M. Rumsfeld,
annonce son démantèlement
23 mars 1983
Le Président Reagan lance l'initiative de défense
stratégique (IDS), ayant pour ambition de protéger les Etats-Unis
d'une attaque massive de plusieurs milliers de têtes nucléaires
soviétiques
24 avril 1984
Création de la
Strategic Defense Initiative Organization (SDIO)
29 janvier 1991
Le Président Bush recentre l'initiative de défense
stratégique sur la défense contre une attaque non
autorisée, accidentelle ou limitée, le programme étant
baptisé
Global Protection Against Limited Strikes (GPALS)
février 1991
Utilisation, lors de la guerre du Golfe, du système de défense
antiaérienne
Patriot
contre les missiles irakiens Scud, pour
protéger Israël et l'Arabie Saoudite
Mai 1993
L'administration américaine décide de donner la priorité
à la défense antimissiles de théâtre. La
SDIO
est transformée en
Ballistic Missile Defense Organization (BMDO)
et se consacre en priorité à la défense antimissiles
de théâtre
1996
Adoption par l'administration Clinton, sous la pression du Congrès, de
l'option (3+3), prévoyant durant trois ans l'étude d'un
système de 20 intercepteurs destinés à contrer une frappe
balistique limitée ou un tir accidentel, avant, éventuellement de
décider un déploiement en trois autres années
15 juillet 1998
Une commission présidée par l'ancien Secrétaire d'Etat
à la Défense, M. Rumsfeld, conclut que de nouvelles menaces
balistiques pourraient émerger beaucoup plus rapidement qu'on ne l'avait
prévu
31 août 1998
Lancement par la Corée du Nord du missile
Taepo Dong 1
20 janvier 1999
William Cohen, Secrétaire d'Etat à la Défense, sollicite
un complément de financement pour la défense nationale
antimissiles, repousse l'échéance de l'entrée en
fonctionnement du système de 2003 à 2005 et annonce qu'une
décision concernant le déploiement sera prise à
l'été 2000
17 mars 1999
Le Sénat des Etats-Unis vote le
National Missile Defense Act
prévoyant le déploiement, dès que technologiquement
possible, d'un système effectif de défense nationale antimissiles
23 juillet 1999
Le Président Clinton signe le
National Missile Defense Act
et
définit quatre critères sur lesquels il prendra sa
décision : l'évaluation de la menace, la faisabilité
technologique du système, son coût et divers
éléments de sécurité nationale
2 octobre 1999
Réussite lors d'un premier essai, de l'interception d'un missile
balistique
18 janvier 2000
Echec, lors du deuxième test, de l'interception d'un missile
balistique
ANNEXE II -
TRAITÉ ENTRE LES ETATS-UNIS ET L'U.R.S.S.
SUR LA
LIMITATION DES SYSTÈMES ANTIMISSILES-BALISTIQUES
SIGNÉ
À MOSCOU LE 26 MAI 1972
Les
Etats-Unis d'Amérique et l'Union des Républiques socialistes
soviétiques, agissant en tant que parties,
Considérant qu'une guerre nucléaire aurait des
conséquences dévastatrices pour l'ensemble de
l'humanité ;
Considérant que des mesures efficaces pour limiter les systèmes
antimissiles balistiques seraient un facteur important dans la limitation de la
course aux armes stratégiques offensives et conduiraient à une
diminution du risque d'une guerre dans laquelle des armes nucléaires
seraient utilisées ;
Considérant que la limitation des systèmes antimissiles
balistiques, ainsi que l'adoption de certaines mesures concernant la limitation
des armes offensives stratégiques contribueraient à la
création de conditions plus favorables pour de nouvelles
négociations sur la limitation des armes stratégiques ;
Ayant à l'esprit leurs obligations découlant de l'article VI du
Traité de non-prolifération des armes nucléaires ;
Déclarant leur intention d'arriver à la date la plus proche
possible à l'arrêt de la course aux armes nucléaires, et de
prendre des mesures efficace en vue de la réduction des armes
stratégiques, du désarmement nucléaire et du
désarmement général et complet ;
Désireux de contribuer à la réduction de la tension
internationale et au renforcement de la confiance entre Etats,
Sont convenus de ce qui suit :
Article Ier
1.
Chaque partie s'engage à limiter les systèmes antimissiles
balistiques (ABM) et à adopter d'autres mesures conformément aux
dispositions du présent traité.
2. Chaque partie s'engage à ne pas mettre en service de systèmes
ABM pour la défense du territoire de son pays, à ne pas fournir
de base pour une telle défense, et à ne pas mettre en service des
systèmes ABM pour la défense d'une région
particulière autrement qu'il n'est disposé dans l'article III de
ce traité.
Article II
1. Il
est entendu dans ce traité qu'un système ABM est un
système visant à intercepter des missiles stratégiques
balistiques ou leurs éléments dans leur trajectoire de vol, et
qui comprend actuellement :
a)
des missiles intercepteurs ABM, qui sont des missiles intercepteurs
construits et mis en service pour jouer un rôle d'ABM, ou d'un type ayant
été expérimenté dans un ABM ;
b)
des lanceurs ABM, qui sont des lanceurs construits et mis en service
pour lancer des missiles intercepteurs ABM ;
c)
des radars ABM, qui sont des radars construits et mis en service pour
un rôle d'ABM, ou d'un type expérimenté en tant qu'ABM.
2. Les composants d'un système ABM énumérés au
paragraphe 1 de cet article comprennent ceux qui sont :
a)
opérationnels ;
b)
sous construction ;
c)
en cours d'essai ;
d)
en cours de révision, de réparation ou de
conversion ;
e)
en stock.
Article III
Chaque
partie s'engage à ne pas mettre en service de systèmes ABM ou
leurs composants ; toutefois :
a)
dans les limites d'une zone de déploiement de système
ABM d'un rayon de 150 km, et ayant pour centre la capitale nationale de la
partie, une partie peut mettre en service :
(i)
au plus cent
lanceurs ABM et pas plus de cent missiles intercepteurs ABM sur les sites de
lancement ;
(ii)
des radars ABM ne dépassant pas six
complexes de radars ABM, la superficie de chaque complexe étant
circulaire et ayant un diamètre d'un maximum de 3 km ;
b)
dans les limites d'une zone de déploiement d'un système
ABM ayant un rayon de 150 km et contenant des silos de lanceurs ICBM, chaque
partie peut mettre en service :
(i)
au plus cent lanceurs ABM et
pas plus de cent missiles intercepteurs ABM sur les sites de lancement ;
(ii)
deux grands radars ABM à éléments de phase,
comparables en puissance à des radars ABM correspondants,
opérationnels ou en cours de construction à la date de la
signature du traité, dans une région de déploiement de
systèmes ABM contenant des silos de lanceurs ICBM ;
(iii)
au
plus dix-huit radars ABM ayant chacun un potentiel moindre que le potentiel du
plus petit des deux grands radars ABM à éléments de phase
mentionnés ci-dessus.
Article IV
Les limitations prévues dans l'article III ne s'appliqueront pas aux systèmes ABM ou à leurs composantes utilisés pour le développement ou l'essai et situés dans les polygones d'essai actuels ou dans ceux qui viendraient s'y ajouter par accord mutuel. Chaque partie ne peut avoir plus d'un total de quinze lanceurs ABM dans les polygones d'essai.
Article V
1.
Chaque partie s'engage à ne pas construire, essayer ou déployer
des systèmes ou des composants ABM basés en mer, en l'air ou dans
l'espace ou sur des plates-formes terrestres mobiles.
2. Chaque partie s'engage à ne pas construire, essayer ou
déployer des lanceurs ABM pour lancer plus d'un missile intercepteur ABM
à la fois avec chaque lanceur, ni à modifier les lanceurs
déployés de manière à ce qu'ils puissent le faire,
ni à développer, essayer ou déployer des systèmes
automatiques, semi-automatiques ou des systèmes similaires pour le
chargement rapide des lanceurs ABM.
Article VI
Pour
améliorer l'efficacité de la limitation des systèmes ABM
et de leurs composants, prévue par ce traité, chaque partie
s'engage :
a)
à ne pas donner aux missiles, lanceurs ou radars, autres que
des missiles intercepteurs ABM, des lanceurs ABM ou des radars ABM, les moyens
d'intercepter des missiles stratégiques balistiques ou leurs
éléments dans leur trajectoire de vol, et à ne pas les
expérimenter en tant qu'équipement ABM ;
b)
à ne pas déployer à l'avenir des radars de
préalerte contre des attaques de missiles stratégiques
balistiques en des sites sur la périphérie de son territoire
national et orientés vers l'extérieur.
Article VII
Dans les limites des dispositions de ce traité, la modernisation et le remplacement des systèmes ABM ou de leurs composants peuvent être entrepris.
Article VIII
Les systèmes ABM ou leurs composants dépassant le nombre, ou situés hors des zones spécifiées dans ce traité, ainsi que les systèmes ABM ou leurs composants prohibés par ce traité, seront détruits ou démantelés selon une procédure et dans les délais les plus brefs convenus.
Article IX
Afin d'assurer la viabilité et l'efficacité de ce traité, chaque partie s'engage à ne pas transférer à d'autres Etats et à ne pas déployer hors de son territoire national des systèmes ABM ou leurs composants faisant l'objet de limitation aux termes de ce traité.
Article X
Chaque partie s'engage à ne pas assumer des obligations internationales qui seraient contraires à ce traité.
Article XI
Les parties s'engagent à poursuivre activement des négociations pour la limitation des armes stratégiques offensives.
Article XII
1. En
vue d'assurer l'observation des dispositions de ce traité, chaque partie
utilisera les moyens de contrôle techniques à sa disposition de
manière compatible avec les principes généralement
reconnus de la loi internationale.
2. Chaque partie s'engage à ne pas apporter une opposition au
contrôle par les moyens techniques nationaux de l'autre partie,
effectué selon le paragraphe I de cet article.
3. Chaque partie s'engage à ne pas prendre
délibérément des mesures de dissimulation empêchant
le contrôle par des dispositifs techniques nationaux en accord avec les
dispositions de ce traité. Cette obligation ne nécessitera pas de
changement dans les méthodes actuelles de construction, assemblage,
conversion ou travaux de révision.
Article XIII
1. En
vue d'atteindre les objectifs de ce traité et d'appliquer ses
dispositions, les parties établiront promptement une commission
consultative permanente au sein de laquelle ils :
a)
étudieront les questions concernant l'observation des
obligations assumées et les situations qui en découleront qui
pourraient être considérées comme ambiguës ;
b)
fourniront spontanément toute information que chacune des
parties considérera nécessaire pour assurer la confiance dans
l'observation des obligations assumées ;
c)
étudieront les questions concernant toute interférence
involontaire dans les moyens techniques nationaux de contrôle ;
d)
étudieront les changements éventuels dans la situation
stratégique ayant une influence sur les dispositions de ce
traité ;
e)
s'entendront sur les procédures à suivre et les dates
de destruction ou de démantèlement des systèmes ABM ou de
leurs composants dans les cas prévus par les dispositions de ce
traité ;
f)
étudieront en cas de besoin d'éventuelles propositions
pour accroître l'efficacité de ce traité, dont les
propositions d'amendements en accord avec les dispositions de ce
traité ;
g)
étudieront, en cas de besoin, des propositions concernant de
nouvelles mesures visant à limiter les armes stratégiques.
2. Les parties se consulteront pour établir -et pourront amender comme
il conviendrait- les règlements de la commission consultative permanente
concernant les procédures, la composition ou tout autre question
appropriée.
Article XIV
1. Chaque partie pourra proposer des amendements à ce traité. Les amendements convenus entreront en application selon les procédures gouvernant l'entrée en vigueur de ce traité.
2. Cinq années après l'entrée en vigueur de ce traité et, par la suite, à des intervalles de cinq années, les parties entreprendront une révision de ce traité.
Article XV
1. Ce traité n'aura pas de durée limite.
2. Chaque partie, dans l'exercice de sa souveraineté nationale, aura le droit de se retirer de ce traité si elle décide que des événements extraordinaires ayant trait à l'objet de ce traité ont compromis ses intérêts supérieurs. Elle notifiera sa décision à l'autre partie six mois avant son retrait de ce traité. Cet avis comprendra une énonciation des événements extraordinaires que cette partie considère comme ayant compromis ses intérêts supérieurs.
Article XVI
1. Ce
traité sera soumis à ratification selon la procédure
constitutionnelle de chaque partie. Le traité entrera en vigueur le jour
de l'échange des instruments de sa ratification.
2. Ce traité sera enregistré en accord avec l'article 102 de la
Charte des Nations unies .
ANNEXE III -
LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES
PAR LE
RAPPORTEUR
1.
Aux Etats-Unis
. Congrès
M. Curt Weldon, membre de la Chambre des représentants
(Républicain - Pennsylvanie)
M. le Sénateur John Kyl (Républicain - Arizona)
M. le Sénateur Chuck Hagel (Républicain - Nebraska)
M. Marshall Billingslea, conseiller pour les affaires stratégiques du
sénateur Helms (Républicain- Caroline du nord), président
de la commission des affaires étrangères du Sénat
M. Ed Levine, collaborateur du sénateur Joseph Biden (Démocrate
- Delaware)
. Administration
Conseil national de sécurité
M. Hans Binnendijk, conseiller du Président pour la politique de
défense et la maîtrise des armements
Département d'Etat
Mme Avis T. Bohlen, Secrétaire d'Etat adjoint pour la maîtrise
des armements
M. Robert Einhorn ; Secrétaire d'Etat adjoint pour la
non-prolifération
Département de la Défense
Dr Edward L. Warner III, Secrétaire adjoint à la Défense
pour les affaires stratégiques et la réduction de la menace
M. David Martin, directeur adjoint pour les relations
stratégiques et internationales de la
Ballistic Missile Defense
Organization
. "
Think tanks
"
M. Richard Perle,
American Enterprise Institute
M. Phil Gordon,
Brookings Institution
M. Helmut Sonnenfeldt,
Brookings Institution
M. Joe Cirincione,
Carnegie Endowment for International Peace
M. Peter Rodman,
The Nixon Center
2. Au Siège de l'Alliance Atlantique
Lord Robertson, Secrétaire Général de l'OTAN
M. Robert Bell, Secrétaire général adjoint pour le
soutien de la Défense
M. Klaus-Peter Klaiber, Secrétaire général adjoint pour
les Affaires politiques
SEM John Goulden, Représentant permanent du Royaume-Uni
1 Durant la 1 ère phase.