B. UNE RÉALITÉ MULTIPLE AUX IMPLICATIONS PROFONDES
Le développement actuel de l'actionnariat salarié n'est pas un mouvement uniforme. Il correspond au contraire à une réalité aux multiples visages dont les implications sont encore loin d'être totalement identifiées.
1. Les vecteurs de l'actionnariat salarié
La réglementation actuelle, relativement souple et fortement incitative, offre de nombreuses possibilités aux entreprises pour développer l'actionnariat salarié. Les choix retenus correspondent dès lors au contexte propre de chaque entreprise.
a) Les différentes solutions envisageables
La
première partie de ce rapport a examiné, dans une perspective
historique, les différents dispositifs spécifiques mis en place
par le législateur en faveur de l'actionnariat salarié. A ces
formules spécifiques, s'ajoutent les dispositifs de droit commun
grâce auxquels les salariés peuvent devenir actionnaires de leur
entreprise.
Quatre possibilités leur sont, aujourd'hui, ouvertes :
- souscrire aux augmentations de capital réservées aux
salariés ;
- acquérir en bourse des actions de l'entreprise ;
- recevoir des options de souscription ou d'achat d'actions ;
- participer à une privatisation.
A ces quatre possibilités, correspondent des régimes distincts
qui peuvent être soit spécifiques aux salariés, soit de
droit commun.
Les régimes spécifiques actuellement en vigueur sont les
suivants :
- l'affectation directe de la réserve spéciale de
participation à l'achat ou à la souscription d'actions de
l'entreprise.
Prévu par l'ordonnance du 17 août 1967, reprise par
l'ordonnance du 21 octobre 1986, ce régime est actuellement
codifié à l'article L. 442-5 du code du travail. Dans le cadre de
la participation aux résultats, l'accord de participation peut
prévoir l'attribution directe d'actions aux salariés. Ces actions
proviennent alors d'une incorporation de réserves ou d'un rachat en
bourse. Les salariés, qui ne bénéficient pas de
décote sur le prix de souscription ou d'achat, peuvent exercer tous les
droits attachés aux titres pendant la période
d'indisponibilité.
-
les " plans d'actionnariat " issus de la loi du 27
décembre 1973
sont régis par les
articles 208-9 à
208-19 de la
loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les
sociétés commerciales
.
Même peu pratiqués, ces " plans d'actionnariat " restent
actuellement en vigueur.
Les " plans d'actionnariat " prévus par la loi du 27 décembre 1973
Seules
les sociétés qui ont distribué au moins deux dividendes
lors des trois derniers exercices peuvent proposer la souscription ou l'achat
d'actions à l'ensemble de leurs salariés ainsi qu'à ceux
de leur groupe. L'offre doit nécessairement concerner l'ensemble des
salariés.
1. Procédure de souscription (augmentation de capital)
C'est l'assemblée générale extraordinaire qui peut
décider d'émettre des actions réservées aux
salariés. Elle fixe le montant de l'augmentation de capital (20 %
au plus) et le prix de souscription des actions qui ne peut être ni
supérieur, ni inférieur à 90 % au cours moyen des 20
dernières séances de bourse (décote de 10 % ou plus).
L'entreprise peut compléter les versements du salarié par un
abondement qui ne peut être supérieur ni au versement du
salarié, ni à 3.000 francs. Un délai de paiement peut
également être accordé.
2. Procédure d'achat (achat en bourse d'actions de la
société)
Cette procédure n'est ouverte qu'aux sociétés
cotées en bourse. C'est l'assemblée générale
ordinaire qui est compétente pour autoriser le conseil d'administration
ou le directoire à procéder à cette opération.
Un " compte d'actionnariat " est ouvert pour chaque salarié
bénéficiaire alimenté par des prélèvements
sur le salaire et éventuellement un abondement de la
société (mêmes conditions que pour les souscriptions).
3. Droits et devoirs du salarié
La société doit informer personnellement tous les
salariés, en leur remettant un bulletin d'information et de
souscription. Le comité d'entreprise ou les
délégués du personnel doivent être informés
des modalités de l'opération.
Le salarié, sous condition d'ancienneté, peut souscrire ou
acheter les actions soit individuellement, soit par l'intermédiaire d'un
FCPE propre à l'entreprise. Ces actions, obligatoirement nominatives,
sont incessibles avant l'expiration d'un délai de 5 ans, sauf cas
particulier (mariage, licenciement, mise à la retraite,
invalidité, congé pour création d'entreprise,
décès du bénéficiaire ou de son conjoint).
4. Régime fiscal et social
Pour le salarié, les versements, la décote ou l'abondement sont
exonérés d'impôt sur le revenu dans la limite annuelle de
3.000 francs. Les plus-values sont exonérées d'impôt
mais restent soumises à la CSG et à la CRDS.
Pour l'entreprise, l'abondement est déductible des
bénéfices imposables et n'est pas soumis à cotisations
sociales.
-
les dons manuels d'actions, prévus par la loi de finances pour
1977
, visent à favoriser la transmission de l'entreprise aux
salariés. Un abattement de 100.000 francs par salarié est
autorisé pour le calcul des droits de mutations à titre gratuit
exigible sur les donations de titres à tout ou partie du personnel d'une
entreprise. L'octroi de cet abattement est subordonné à un
agrément du ministère de l'économie et des finances qui
vérifie que la donation a été consentie à
l'ensemble des salariés de l'entreprise, sans distorsion susceptible de
faire disparaître le caractère social de l'opération. Cette
disposition est désormais codifiée à
l'article 790 A du code général des impôts
.
- les
Plans d'épargne entreprise
(ou plans d'épargne
groupe) sont régis par les articles L. 443-1 à L. 443-9
du code du travail. Ils peuvent servir de support de l'actionnariat
salarié dans trois circonstances :
• acquisition de titre émis par l'entreprise lors d'une
augmentation de capital réservée aux salariés
adhérant au PEE (
art. L. 443-5 du code du travail
) ;
• placement des fonds issus de l'épargne salariale et
recueillis par le PEE dans l'acquisition d'actions de l'entreprise, soit
directement, soit par l'intermédiaire d'un FCPE ;
• placement des actions acquises lors d'une privatisation sur un PEE.
-
les plans d'options sur actions
peuvent permettre la mise en
place d'un actionnariat salarié à la condition que les
salariés bénéficiaires conservent les titres à la
levée de l'option.
Le fonctionnement des plans d'options sur actions
Les
plans d'options sur actions concernent toutes les entreprises par actions
qu'elles soient ou non cotées. Il offre la possibilité (ou
option) à tout ou partie du personnel de l'entreprise d'acquérir
un nombre précis de ses actions, à un prix fixé à
l'avance pour une période déterminée. Le prix
défini peut être inférieur au cours de l'action :
cette différence s'appelle un rabais ou une décote. Elle est
soumise aux cotisations de sécurité sociale lorsqu'elle
excède 5 % du cours officiel de l'action. Dans le cas d'une offre
de souscription, les options sont offertes à l'occasion des
augmentations de capital. Dans le cas d'une offre d'achat, l'article 17 de la
loi sur l'épargne du 17 juin 1987 autorise alors les
sociétés à racheter préalablement leurs propres
actions pour consentir aux salariés le droit de les acquérir.
Le bénéficiaire de l'offre (salarié ou mandataire de
l'entreprise, de ses filiales ou de la maison mère) peut acheter les
actions offertes dès que la période éventuelle
d'interdiction de levée des options est achevée et que le prix de
l'action dépasse son prix d'attribution -il lève son option-
(dans une offre de souscription, les titres ne sont émis qu'au fur et
à mesure des levées d'options). Il réalise alors une
plus-value potentielle dite " d'acquisition " (ce gain ne sera
effectif qu'à la vente des actions).
A partir de ce moment, si aucune clause du plan ne l'en empêche, le
bénéficiaire est libre de vendre ses actions. Il peut alors
réaliser une plus-value de cession, correspondant à la
différence de cours entre le moment où il a acquis ses actions et
le moment où il les vend. Si cette vente intervient au moins cinq ans
après la date d'attribution de l'action, les gains
réalisés sont imposés sous le régime des
plus-values de valeurs mobilières, sinon une partie (la plus-value
d'acquisition) est considérée comme du salaire et soumis comme
tel à l'impôt sur le revenu, fiscalement plus lourd.
Source : DARES
- les privatisations , en application de la loi du 6 août 1986 sur les modalités des privatisations, permettent également la constitution d'un actionnariat salarié.
Privatisation et actionnariat salarié
(loi n° 86-912 du 6 août 1986, modifiée par la loi
n° 93-923 du 19 juillet 1993)
Lors
d'une privatisation -totale ou partielle- avec mise sur le marché,
10 % des titres cédés par l'Etat doivent être
prioritairement réservés aux salariés
et anciens
salariés (à condition que ces derniers justifient d'un contrat de
travail d'une durée d'au moins 5 ans) de l'entreprise et de ses
filiales. Si la demande des salariés excède ces 10 %, le
nombre des titres attribués à chaque salarié est
réduit en fonction des demandes.
Les salariés intéressés peuvent participer soit
directement, soit par l'intermédiaire d'un FCPE. Le salarié ne
peut acquérir des actions que pour un montant inférieur à
cinq fois le plafond annuel de la sécurité sociale.
Les salariés peuvent bénéficier d'un
rabais de
20 %
au maximum par rapport au prix le plus bas proposé au
même moment aux autres souscripteurs de l'opération. Si un rabais
est consenti, les titres ainsi acquis ne peuvent être cédés
avant un délai de deux ans.
L'Etat peut accorder des
délais de paiement
aux salariés,
ces délais de paiement ne pouvant excéder deux ans. En revanche,
l'entreprise peut proposer un délai supplémentaire. Les actions
ne peuvent être cédées avant leur paiement intégral.
Le salarié peut bénéficier
d'actions gratuites
(une
action gratuite pour une détenue au maximum) s'il conserve les actions
au moins un an après la date à laquelle elles sont devenues
cessibles.
Si les actions sont affectées à un PEE, le salarié peut
bénéficier d'un abondement de l'entreprise, d'une prise en charge
des frais de gestion du portefeuille et des droits de garde. Dans ce cas, la
fiscalité applicable aux actions est celle applicable au PEE.
Outre ces régimes spécifiques, le salarié peut
acquérir des actions de son entreprise selon des
procédures de
droit commun
. Dans ce cadre, il n'existe aucun avantage particulier pour le
salarié. Il peut s'agir par exemple de :
- l'acquisition d'actions directement sur le marché ;
- la cession directe d'actions, l'entreprise cédant directement des
actions à des salariés sous le régime fiscal de droit
commun ;
- la souscription directe d'actions, des bons de souscription d'actions
étant émis au profit des salariés qui auront alors le
droit d'acheter ultérieurement des actions de leur entreprise à
un prix fixé au départ ;
- l'émission d'obligations convertibles en actions au profit des
salariés, ceux-ci pouvant alors choisir de convertir les obligations
ainsi acquises en actions de l'entreprise.
b) Les leçons de l'expérience
En
dépit de la multiplicité des formules envisageables, les
opérations d'actionnariat se font actuellement soit par le biais des
privatisations (
France Télécom, Air-France, Crédit
Lyonnais
), soit dans le cadre du PEE qu'il s'agisse d'une augmentation de
capital réservée aux salariés ou de l'acquisition
d'actions (
exemple des opérations " Spring " chez
Suez-Lyonnaise des Eaux ou " Pégase " chez Vivendi
). Un
tel choix apparaît somme toute fort logique dans la mesure où ces
deux supports sont les plus incitatifs pour les salariés et sont donc
les plus susceptibles de garantir le succès de l'opération.
Pour autant, le choix d'un support identique n'implique pas
nécessairement ni les mêmes opérations, ni les mêmes
résultats.
L'expérience récente des opérations
d'actionnariat montre qu'à partir d'un même support les
opérations montées peuvent être nettement distinctes.
En réalité, la nature et l'avenir d'une opération
d'actionnariat salarié dépendent d'un certain nombre
d'orientations stratégiques qui conditionnent la forme de
l'opération. L'entreprise étant maître d'oeuvre de
l'opération, c'est elle qui définit les modalités de mise
en oeuvre de ces orientations.
Les choix possibles sont les suivants :
- la place de la négociation
L'entreprise peut décider et mettre en oeuvre unilatéralement une
opération d'actionnariat salarié. Mais elle peut également
choisir -et c'est souhaitable- d'associer les représentants du personnel
à cette opération. Il reste en effet une place pour la
négociation collective que ce soit pour le montage de l'opération
(mise en place du PEE par accord, association des salariés à la
rédaction de son règlement) ou pour la représentation des
salariés actionnaires (modalités de désignation des
membres du conseil de surveillance des FCPE). En tout état de cause, la
place de la négociation dépendra du climat social et des
pratiques traditionnelles de l'entreprise.
- le champ de l'opération
L'entreprise doit d'abord décider si l'opération concerne ses
salariés ou aussi ceux de ses filiales. Elle doit aussi savoir si elle
souhaite limiter l'opération à la France ou l'étendre aux
pays étrangers. Ces décisions ne sont bien évidemment pas
sans répercussion sur la cohésion interne du groupe.
- la nature de l'aide
L'entreprise peut aider à la constitution de l'actionnariat
salarié, notamment grâce à la décote ou à
l'abondement : il lui appartient donc de décider si
l'opération sera aidée (ce qui la rendra plus attractive, mais
aussi plus coûteuse) ou non. De plus, si l'opération est
aidée, l'entreprise devra déterminer la forme de l'aide :
abondement ou décote. L'abondement est plus coûteux (il supporte
la CSG et la CRDS), mais la décote diminue artificiellement la valeur de
l'action et majore donc artificiellement la plus-value. La pratique actuelle
tend de plus en plus à privilégier l'abondement au
détriment de la décote.
- la stabilité de l'actionnariat
L'entreprise peut moduler son aide en fonction de la durée minimale de
détention des actions.
- l'exposition au risque
L'actionnariat, même salarié, est par essence risqué. Mais
l'entreprise peut minimiser ce risque pour les salariés en proposant,
avec l'aide de banques, des garanties de capital et de performance ou en
assortissant l'opération d'une aide importante. Toutefois, dans ce cas,
l'opération perd de son caractère
" pédagogique " (initier le salarié aux marchés
financiers et au risque entrepreneurial) et risque, en cas de fortes
plus-values, d'entraîner le mécontentement des salariés
actionnaires dont une partie de la plus-value ira à la banque assurant
la garantie.
- l'investissement financier du salarié
L'entreprise peut chercher à l'optimiser en proposant des
opérations à " effet de levier ".
- la forme de la gestion
Elle peut être individuelle ou collective (par l'intermédiaire des
PEE).
- la représentation des actionnaires salariés
La question de la représentation se pose d'abord pour le conseil de
surveillance du FCPE. Il peut être paritaire (moitié de
représentants d'actionnaires salariés et moitié de
représentants de l'entreprise) ou totalement composé des
représentants des salariés actionnaires. Des solutions
intermédiaires sont également envisageables. Mais il s'agit aussi
de savoir comment sont désignés les représentants des
actionnaires salariés au conseil de surveillance. Ils peuvent être
élus par l'ensemble des salariés ou par les seuls porteurs de
parts. Ils peuvent également être désignés par le
comité d'entreprise ou les syndicats représentatifs. La question
de la désignation du président du conseil de surveillance doit
également être tranchée.
Mais la représentation touche aussi à l'exercice des droits de
vote. Selon la nature du FCPE, ils peuvent être exercés
individuellement par les salariés ou collectivement par le conseil de
surveillance.
La question de la représentation implique enfin de décider si des
représentants des salariés actionnaires doivent siéger au
conseil d'administration ou au conseil de surveillance de l'entreprise et avec
quels pouvoirs.
- le degré d'association des actionnaires salariés
Au-delà de la représentation institutionnelle, l'entreprise doit
décider comment associer les salariés actionnaires à la
vie de leur entreprise. Cela suppose une information spécifique des
salariés actionnaires, mais dans le respect de l'égalité
de traitement entre actionnaires. Cela peut également impliquer une
formation économique et financière spécifique pour leurs
représentants au conseil de surveillance du FCPE.
L'entreprise doit également se demander si elle doit inciter et
favoriser la mise en place d'associations d'actionnaires salariés. Dans
l'affirmative, il lui faut alors s'interroger sur leur positionnement par
rapport aux représentants du personnel.
Ces différentes orientations soulignent à la fois la
diversité et la complexité du développement de
l'actionnariat salarié. Mais elles témoignent également
des implications que peut avoir son développement non seulement sur les
relations sociales dans l'entreprise, mais encore hors de l'entreprise.