II. UNE PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE 2000-2002 INCERTAINE
Le 15 mars 1999, les ministres européens des finances réunis à Bruxelles pour examiner les différentes programmations pluriannuelles ont estimé que la diminution des déficits publics français devait être obtenue " par le biais d'une réduction des dépenses publiques dont le niveau en France est très élevé ".
A. DES OBJECTIFS A TROIS ANS
1. Une hausse cumulée de 1 point en volume sur trois ans
Le programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002 présenté en décembre 1998 par le gouvernement a pour objectif de mettre en oeuvre " une stratégie pour la croissance et l'emploi ". A ce titre il préconise de fixer un objectif de dépenses en termes réels pour l'ensemble des administrations publiques : " pour les dépenses de l'Etat la progression cumulée sera limitée à 1 % en volume sur trois années soit en moyenne 0,3 % par an ".
2. L'objectif zéro en 2000 : 17,2 milliards de dépenses supplémentaires hors dette
Les
ambitions du gouvernement s'agissant de la première année
d'application de ce programme pluriannuel restent ambiguës
. Le premier
ministre affiche un objectif de " progression zéro " en volume
dans ses lettres de cadrage, mais estime par ailleurs que l'allégement
de la charge de la dette dégagera une marge de 0,3 point en volume qui
sera affectée aux autres dépenses.
Il profite donc
d'économies de constatation et ne s'attaque pas aux composantes les plus
rigides de la dépense publique
.
Cela signifie que les dépenses du budget général, hors
dette, connaîtraient en 2000 une progression en valeur de près de
17,2 milliards de francs compte tenu d'une inflation fixée à
0,9 %. Une telle inflexion semble confirmer les craintes exprimées
par la Commission européenne quant à la capacité et
à la volonté du gouvernement français de s'en tenir
à l'objectif fixé
6(
*
)
.
3. Des résultats insuffisants par rapport aux autres pays européens
Le niveau en France des dépenses publiques restera très élevé par rapport à celui de nos principaux partenaires et cela, même au terme de la période de programmation pluriannuelle 2000-2002. Il est donc à craindre que l'objectif de progression limitée des dépenses de l'Etat et, partant, des dépenses publiques présenté par le gouvernement reste insuffisant. En effet, au terme de cette période la France sera, la Suède exceptée, le pays de l'Union européenne connaissant le poids de dépenses publiques par rapport au PIB le plus élevé .
B. DES PRIORITÉS COUTEUSES ET DIFFICILES À FINANCER
Le
gouvernement estime que le financement de ses principales priorités a
surtout pesé sur 1999 et que, "
une fois cette marche d'escalier
franchie
" leur financement pourra se faire dans le cadre de la
progression de un point en volume sur trois ans des dépenses de l'Etat.
Or, ainsi que votre commission l'avait déjà souligné,
des risques sérieux de dérive budgétaire existent à
l'avenir compte tenu du coût fortement progressif des priorités
gouvernementales. Par ailleurs, il convient de relever que celles-ci qui n'ont
toujours pas été présentées de façon
précise et détaillée.
1. 38,3 milliards de dépenses supplémentaires pour les seules interventions sociales et les rémunérations publiques
Les emplois-jeunes |
+ 13,6 milliards de francs |
coût en LFI 1999 : 15,9 milliards de francs ;
|
|
L'exclusion |
+ 4 milliards de francs |
coût 1999 : 5,4 milliards de francs ;
|
|
Les 35 heures |
? |
.
crédits LFI 1999 : 3,7 milliards de francs ;
|
|
La CMU |
+ 1,7 milliard de francs |
coût supplémentaire pour l'Etat la première
année : 1,7 milliard de francs ;
|
|
L'accord salarial de février 1998 pour la fonction publique d'Etat |
+ 8,5 milliards de francs |
coût en 1999 : 14,8 milliards de francs ;
|
|
Mesures catégorielles dans la fonction publique (estimations) |
+ 5 milliards de francs |
Les pensions de la fonction publique |
+ 5,5 milliards de francs |
coût 1999 (estimations) : 183 milliards de francs ;
|
|
Au total |
+ 38,3 milliards de francs |
Le
surcoût en 2000 des seules priorités du gouvernement en
matière de dépenses d'intervention sociale ou de
rémunérations publiques peut ainsi être estimé au
minimum à près de 38,3 milliards de francs.
Or le gouvernement fixe la progression d'ensemble des dépenses
budgétaires de l'Etat à 14,6 milliards de francs.
Près de 25 milliards de francs de dépenses ne seraient ainsi
pas financées.
Cette crainte est partagée par la Commission européenne qui
estimait le 16 février 1999 "
que le programme français
n'offre pas de marge de sécurité suffisante pour supporter le
coût financier de nouvelles mesures de politique économique ou
d'évolutions imprévues ".
2. Des risques accrus de dérive
Par
ailleurs le gouvernement se trouve déjà confronté à
d'autres priorités ou chantiers qui pourraient se révéler
coûteux et à ce titre délicats à financer. Outre la
volonté affichée d'accroître les crédits du
ministère de l'environnement de 15 % en 2000 ou le financement de
l'aide sociale étudiante
8(
*
)
, le gouvernement avait
déclaré faire de la rénovation des grands services publics
l'un des grands chantiers de la législature sans toutefois en
préciser le coût réel pour les finances publiques...
En outre votre commission est conduite à s'interroger sur le mode de
financement des mesures envisagées en matière d'allégement
de charges sur les bas salaires ainsi que sur le coût budgétaire,
la pertinence et la viabilité de la "
seconde
loi
" prévue pour les 35 heures. Elle ne peut en effet se
contenter du flou des intentions affichées en ce domaine par le
gouvernement et des approximations contenues dans le rapport
présenté pour le présent débat d'orientation
budgétaire.
Le prélèvement sur recettes au profit du budget communautaire devrait s'alourdir sensiblement en 2000
L'avant-projet de budget des Communautés
européennes
pour l'an 2000 qui est le premier à s'inscrire dans le cadre des
nouvelles perspectives financières 2000-2006 voit la Commission proposer
une augmentation des crédits de paiement de 4,7 %.
Cette augmentation dont l'importance vient pour l'essentiel de la
nécessité de solder les engagements de la programmation
d'Edimbourg en matière d'actions structurelles (+ 4,9 %
d'accroissement des crédits de paiement) pourrait être
amplifiée lors de la suite de la procédure budgétaire.
Le Parlement européen traditionnellement dépensier a gagné
de nouvelles compétences. Les suites du conflit du Kosovo ne sont pas
intégrées dans l'avant-projet de budget.
Mais, en soi la progression des crédits européens proposée
par la Commission est déjà lourde de conséquences sur le
niveau de la contribution française au budget européen.
On rappelle qu'elle avait été évaluée dans la loi
de finances pour 1999 à 95 milliards de francs soit à un
niveau inférieur de l'ordre de 3 milliards au niveau implicite
résultant des évaluations des charges appelées en France.
Cette correction a été motivée par la perspective pourtant
peu évidente d'un report de solde de l'exécution 1998 qui
viendrait diminuer l'appel à contribution auprès des Etats
membres.
L'exécution du budget européen s'étant
améliorée au moins du point de vue du taux de consommation des
crédits, il est peu probable qu'une telle facilité vienne
réduire notre contribution pour l'an prochain.
Toutes choses égales par ailleurs, celle-ci pourrait donc
s'élever à quelque 102,6 milliards de francs.
Elle pourrait s'aggraver du fait des décisions du Conseil de Berlin sur
la compensation britannique, qui alourdira notre contribution et sur le
plafonnement des ressources propres traditionnelles qui augmentera
mécaniquement la contribution assise sur le PIB.
A ce sujet, les perspectives économiques retenues par le gouvernement
avec une croissance qui pourrait être supérieure à la
moyenne européenne auraient pour traduction un alourdissement de la part
de la France dans le financement du budget européen, source
d'augmentation spontanée de notre contribution.
C. UNE RIGIDIFICATION CROISSANTE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
Le gouvernement bénéficiera en 2000 d'économies de constatation résultant notamment de la moindre progression, voire de la diminution de la charge nette de la dette sans pour autant s'attaquer aux composantes structurelles les plus rigides de la dépense qui sont marquées par une très forte inertie.
1. Le renforcement du poids des dépenses de fonctionnement : plus de 90 % des dépenses de l'Etat
L'examen
de l'évolution des principaux postes de dépenses du budget
général traduit depuis plusieurs années le renforcement du
poids des dépenses de fonctionnement aux dépens des
dépenses d'investissement conformément à un " effet
de ciseaux ". Ces dernières représentent moins de 10 %
de l'ensemble des dépenses du budget général pour 1999.
Non seulement, la politique menée par le gouvernement ne contrarie
pas ce mouvement, mais elle semble au contraire l'amplifier rendant le budget
de l'Etat plus vulnérable à un retournement de conjoncture.
A ce titre il convient d'analyser avec prudence les prévisions faites
pour 1999 et conduisant à envisager un accroissement de 3,10 % des
dépenses en capital. Compte tenu d'une diminution des investissements
civils de 0,3 % cette progression est due à une augmentation de
6,2 % des dépenses militaires destinée, en principe,
à rattraper le retard pris par rapport à la loi de programmation
militaire
9(
*
)
. Or
l'expérience de la gestion 1998 montre que l'accroissement des
dépenses de fonctionnement militaire est très
régulièrement financé par la contraction des
crédits d'équipement
10(
*
)
.
2. Les deux tiers des charges de l'Etat concentrées sur trois postes budgétaires
Ainsi
que le souligne à nouveau la Cour des comptes dans son rapport
préliminaire sur l'exécution des lois de finances pour
1998 : "
en ce qui concerne les dépenses on relève
leur rigidité croissante. Les dépenses les plus flexibles ont
déjà été fortement réduites, en particulier
les dépenses en capital et celles de fonctionnement
matériel
". Aussi note-t-elle que l'une des
caractéristiques de l'évolution budgétaire récente
est "
la rigidité des dépenses budgétaires, dont
le simple ralentissement s'effectue avec difficulté
".
En 1999 65,6 % des dépenses du budget général
étaient concentrés sur les trois postes de dépenses
suivants : fonction publique (675 milliards de francs soit
41,6 %) ; dette publique nette (237 milliards de francs soit
14,6 %)
11(
*
)
et
interventions en faveur de l'emploi (153 milliards de francs soit
9,4 %)
12(
*
)
.
Rapportées aux recettes fiscales nettes de l'Etat leur poids relatif
est ainsi passé de 57 % en 1990 à 88 % en 1998
.
Part des recettes fiscales nettes consacrées aux charges de la dette, aux dépenses de fonction publique et aux interventions pour l'emploi.
(Source : Ministère de l'économie)
Par ailleurs, une hiérarchie très caractéristique se
crée au sein des dépenses de fonctionnement, où le
coût des pensions et des charges sociales évolue plus rapidement
que celui des rémunérations d'activité.
Or, ainsi que le note le rapport du gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire, ce type de dépense ne présente aucune marge d'économie à court terme. Il importe donc d'ancrer dans la durée la politique de réduction des effectifs de la fonction publique préconisée par votre commission . Une telle politique est en effet non seulement possible mais également indispensable.
Ne peut-on vraiment pas réduire les effectifs de la fonction publique ?
Il est
indispensable d'agir sur l'une des composantes les plus rigides de la
dépense publique : les rémunérations publiques.
Premier poste de dépenses avec 675 milliards de francs en 1999 soit
42 % du budget général, elles connaissent depuis de
nombreuses années une progression supérieure à celle de
l'ensemble du budget. Par ailleurs tout nouveau recrutement constitue une
charge budgétaire qui s'étendra sur prés de 60
années.
Il n'existe paradoxalement pas d'indicateur fiable permettant
d'apprécier la situation réelle des effectifs employées
par l'Etat
Dans un référé de juillet 1998 adressé à la
ministre de l'emploi concernant la gestion de ses services
déconcentrés, la Cour des comptes relevait que "
la
description des effectifs qui figure en loi de finances initiale, seule
information dont dispose la représentation nationale en la
matière, ne correspond pas à la réalité
".
Il faut donc impérativement améliorer la gestion
prévisionnelle des effectifs employés par l'Etat.
Des gisements de productivité importants existent
Cela vient encore récemment d'être démontré par le
rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la gestion des
effectifs enseignants (" la 31
eme
académie " ou le
" surcalibrage " des concours) ou les conclusions du rapport
Roché sur l'application des 35 heures dans la fonction publique. En
outre, la " loi de mutabilité " du service public, qui
consiste à adapter en permanence celui-ci aux nouvelles
réalités, ne s'oppose pas à de telles réductions.
Des expériences ont déjà été
pratiquées en ce sens
En 1997, les effectifs civils totaux ont été diminués de
0,4 % soit 6.456 emplois sans que cela ne nuise au bon fonctionnement des
services publics et permis un économie de 0,8 milliard de francs en 1997
et 1,1 milliard de francs en 1998. En 1999 les effectifs du
ministère de l'économie diminueront de 0,4 % soit
695 emplois en raison d'efforts de rationalisation, de mesures de
simplification fiscale et de la réorganisation de ces services.
Une piste: ne pas remplacer dans les dix ans à venir 5 % des
départs à la retraite
Dans les 10 ans à venir,
la moitié des fonctionnaires civils
partiront en retraite soit en moyenne prés de 85.000 personnes par
an
. En ne remplaçant pas 5 % des départs à la
retraite, ce qui est totalement compatible avec le maintien du bon
fonctionnement des services publics, on pourrait ainsi diminuer les effectifs
de 4.250 emplois par an. Cela représenterait chaque année une
diminution de moins de 0,3 % des effectifs totaux actuels.