3. Assurer le bon fonctionnement du marché
Le rapport Aicardi notait incidemment - au regard de la signification des soldes extérieurs - les similitudes entre le marché de l'art et celui des capitaux; il en est une autre que l'on peut signaler et qui n'est pas sans importance : le marché de l'art a besoin du climat de confiance, qui naît d'un environnement stable et d'un allégement des contraintes administratives. Le rapporteur a rassemblé sous cette préoccupation une série de mesures d'inégales importances.
a) Écarter une fois pour toutes l'application de l'impôt sur la fortune
La
" haine de l'art ", titre d'un article polémique à
propos de la controverse sur l'art contemporain, correspond bien à la
motivation qui semble animer les partisans de l'inclusion des oeuvres d'art
dans l'assiette de l'impôt sur la fortune.
On a déjà largement démontré qu'un tel impôt,
difficile à établir compte tenu de la volatilité des prix,
ne rapporterait rien et ferait fuir les oeuvres, qui n'ont que trop tendance
à rester dans les résidences extérieures des grands
collectionneurs. M. Jacques Thuillier, professeur au Collège de France
dans un article de la Revue administrative (N°306) intitulé
" L'art et l'ISF, bêtise pas morte ", dénonce avec un
beau talent de polémiste cet acharnement contre "
tout ce
secteur, doublement odieux, comme symbole d'une aristocratie de l'esprit et de
l'argent, et comme type même d'investissement improductif
".
En fait, l'imposition des oeuvres d'art apparaît économiquement,
techniquement et budgétairement injustifiée, bref aussi
inefficace que dangereuse :
• Sur le plan économique, on rappellera que les oeuvres d'art ne
rapportent pas de revenus et qu'à ce titre, l'imposition pourrait au
sens que lui donne le Conseil constitutionnel se révéler
confiscatoire
75(
*
)
;
à cela s'ajoute également l'argument de fait que la hausse du
prix des objets d'art est loin d'être prouvée comme l'a
montré de façon spectaculaire les résultats obtenus par
les fonds d'investissement comme le Fonds BNP Arts, pourtant bien
conseillé ;
• sur le plan technique et matériel, on voit qu'une mesure de
cette nature risque de susciter des comportements d'évasion, car il
faudra bien être bien vertueux pour ne pas chercher à
échapper à la taxe, soit par simple dissimulation, soit par
délocalisation, et en tous cas bien naïf pour continuer à
prêter pour les expositions. Par ailleurs, on ne peut que rester perplexe
devant toutes les contestations auxquelles peut donner lieu l'évaluation
des oeuvres d'art dont on sait que la valeur est particulièrement
volatile et que la frontière avec des objets simplement fonctionnels ou
décoratifs est particulièrement floue ;
• sur le plan budgétaire, enfin, on peut à la fois
rejoindre les services du ministère de Finances pour souligner le faible
rendement de la taxe et montrer que compte tenu des ventes que ce type de
mesure pourraient provoquer, l'État serait soit contraint d'assister
impuissant à l'exode des oeuvres, soit obligé de les acheter tout
se suite, alors que l'État aurait pu bénéficier de dons
s'il avait pu bénéficier de plus de temps.
M. Jacques Thuillier, souligne avec virulence, les difficultés qui
résulteraient des obligations prévues en contrepartie des
exonérations et en particulier de celle consistant à obliger les
contribuables à exposer leurs oeuvres au public pendant six semaines par
an :
"
On ne sait s'il faut rire ou pleurer. Que veut dire exposer leurs oeuvres
au public " ? S'agit-il d'exposition dans un musée ? L'idée
serait inepte. Tous les musées de France ne suffiraient pas à
exposer en un an, dans les petites salles dont ils disposent, la
centième partie des oeuvres de collection privée, et qui se
chargera du transport, de l'assurance? S'agit-il d'ouvrir son appartement au
public ? On voit d'ici la famille se relayant pendant six semaines pour " tenir
portes ouvertes -, et permettre aux cambrioleurs de repérer ce qui
mérite leur attention... Ou bien ces bons députés sont-ils
assez imbus des clichés les plus éculés pour croire que
tous les collectionneurs soumis à l'ISF sont gens à château
avec cohorte de valets de chambre ? Quelle confiance faire à des
personnes aussi expérimentées ?
Il y a plus grotesque. il paraît que dans leur souci de protéger
la création, les commissaires acceptaient que fussent
exonérées les oeuvres d'art dont l'auteur était encore
vivant. On se frotte les yeux. Le collectionneur devra-t-il s'enquérir,
avant d'acheter une oeuvre, de la date de naissance de l'artiste, et demander
communication de son bulletin de santé ? Devra-t-il, pour n'être
pas accusé de fraude, vérifier s'il n'est pas mort dans
l'année ? Lui faudra-t-il, sous peine de voir ses impôts
augmenter, revendre ses tableaux le jour même du décès de
l'artiste ? Et verra-t-on dans la semaine suivante déferler à
Drouot la moitié des oeuvres du malheureux disparu - et du coup
s'effondrer sa cote
? ".
En conclusion de son propos, M. Jacques Thuillier cite M. Deydier, pour bien
souligner la portée et les conséquences de la menace, en
indiquant que celui-ci a raison d'écrire
76(
*
)
"
L'attaque fiscale, qui vise de
nouveau les collectionneurs, touche et risque de détruire le
chaînon le plus frileux et sensible du milieu de l'art. La trilogie
marchands collectionneurs et musées est vitale pour notre patrimoine
culturel. Si un élément est détruit, l'ensemble
disparaîtra, chaque catégorie étant en
réalité totalement dépendante et solidaire des deux
autres. " Et d'ajouter : " Mes collègues anglo-saxons m'ont fait
observer avec gentillesse que, quelle que soit d'ailleurs l'issue du vote, ce
retour constant du même et vain débat idéologique au
premier plan de l'actualité, en faisant peser une épée de
Damoclès permanente sur le marché de l'art français,
finira par entraîner les mêmes effets [ ... 1. Voudrait-on que la
France soit reléguée à un rôle purement provincial
dans le marché mondial de l'art, avec un appauvrissement
irrémédiable de notre patrimoine culturel ? On n'agirait pas
autrement.
"
b) L'aménagement de la taxe forfaitaire et le relèvement de son seuil à 60 000 francs
Le
rapporteur n'a rencontré que peu d'opposition de principe à cet
impôt. Aussi se contente-t-il de préconiser deux
aménagements techniques :
• l'actualisation du seuil de la taxe de 20 000 F à 60 000
francs, niveau choisi parce qu'il correspond à environ 10 000 euros avec
un système de décote jusqu'à 15 000 euros. Ce seuil
n'avait jamais été actualisé depuis son instauration en
1976 ; son relèvement permettrait de ne pas entraver les petites
opérations et simplifierait le recouvrement ;
• alignement du taux payé par les galeries sur celui payable en
ventes publiques car il n'y a pas de raisons de conserver une discrimination
dès lors que la galerie exerce son activité dans des conditions
vérifiables par l'administration fiscale.
c) Ne pas appliquer le droit de reproduction aux catalogues de vente
Le
rapporteur a demandé au Gouvernement s'il entendait étendre
l'exception dont bénéficient actuellement les
commissaires-priseurs en matière de reproduction aux nouvelles
sociétés de ventes volontaires qui être crées en
application du projet de loi soumis au Parlement.
Le Gouvernement considère que l'article 17 de la loi du 27 juin 1997 n'a
pas pour effet de créer une mesure discriminatoire. Les personnes
bénéficiant de l'exemption sont des officiers
ministériels, qui n'ont pas la qualité de commerçant et
qui sont donc dans une situation différente des galeries notamment, qui
font commerce d'oeuvres d'art.
Il précise dans sa réponse, que les catalogues visés sont
uniquement ceux qui sont mis à la disposition du public " dans le seul
but de décrire les oeuvres mises en vente ", ce qui signifie que
ces catalogues ne sont pas des objets de commerce.
En conclusion, le ministère de la culture fait savoir que " le
Gouvernement estime que le maintien de cette exception ne profitera plus aux
commissaires-priseurs à terme puisque leur profession fait l'objet d'un
projet de loi déposé devant votre assemblée. "
On peut s'interroger sur le bien fondé d'une telle position qui aboutit
à
systématiser une double rémunération pour
l'auteur
et ses ayant droits, qui perçoivent le déjà
le droit de suite.
On ne voit pas nettement ce qui distingue, du point de vue de l'artiste, une
vente publique d'une vente judiciaire. Il serait incohérent que, selon
le statut juridique de la vente, le droit de reproduction soit ou non
applicable.
En outre, on pourrait assister, compte tenu de la tendance de la jurisprudence,
à l'utilisation par certains ayants-droit de cette position de force
juridique comme un moyen de pression sur les modalités d'organisation de
la vente.
Dans ces conditions, le rapporteur préconise le maintien du dispositif
de l'article 17 de la loi du 27 juin 1997 et son extension à l'ensemble
du commerce des oeuvres d'art, sous réserve que les catalogues ne soient
commercialisés qu'à titre accessoire à prix coûtant
et que l'exemption ne concerne que l'oeuvre effectivement proposée
à la vente.
d) Renforcer la fiabilité juridique, améliorer la transparence
Le souci
de protéger le consommateur des services offerts par les
sociétés de vente, conduit le projet de loi déposé
devant les chambres à encadrer étroitement les pratiques qui de
sont développées en dehors de tout cadre légal
spécifique dans les pays anglo-saxons.
L'intention est louable. Toutefois, certains ne manquent pas de souligner les
rigidités qui en découlent, et le frein que celles-ci constituent
pour le développement des sociétés de ventes aux
enchères.
Il est frappant de constater que
les deux " majors "
anglo-saxonnes sont parvenues à régner sans partage sur le
marché mondial
de l'art sans,
officiellement du moins
,
apporter la moindre garantie juridique aux acheteurs
et en accumulant
dans leurs conditions de ventes des clauses qui seraient sans doute
léonines au regard de la loi et de la jurisprudence française.
Car
les vraies garanties du système anglo-saxon sont de nature
commerciale.
Il n'est point besoin d'édicter de strictes obligations
juridiques pour les opérateurs. Ceux-ci sont conscients qu'ils ont plus
à perdre qu'à gagner dans des contentieux où ils n'ont,
nonobstant les clauses contraires imprimées dans leurs catalogues pas
agi d'une façon irréprochable, au regard d'une éthique
professionnelle qu'ils savent faire évoluer quand c'est
nécessaire.
Dans le système français,
en revanche, on fait reposer
la garantie apportée sur un dispositif réglementaire, ce qui
ne peut que se traduire par des contraintes de gestion et des coûts
accrus,
qui pèseront sur la compétitivité des
opérateurs exerçant leur activité en France
.
Les pratiques anglo-saxonnes de prix garantis, d'avances aux vendeurs, de vente
de gré à gré des lots invendus après la vente sont
codifiées, afin de les encadrer dans des procédures rigoureuses,
dont l'inspiration tient plus de la pratique d'un office ministériel que
d'une société commerciale.
Mais, sans doute peut-on faire des distinctions entre les principes que l'on
veut sauvegarder.
(1) Les exigences de transparence
La
transparence et la rigueur sont des impératifs catégoriques,
qui ne peuvent qu'impliquer un certain nombre de règles
déontologiques, dont certaines sont élémentaires comme
l'interdiction de fixer un prix de réserve à un niveau
supérieur à l'estimation, étant entendu qu'en cas de
variation du marché, il est toujours possible de relever l'estimation le
jour de la vente.
On peut noter que l'on pourrait aller encore plus loin dans le sens de la
transparence et d'une déontologie plus stricte :
transparence accrue
, d'abord, avec la publication rapide d'une liste
de prix faisant clairement apparaître les invendus et les retraits ;
transparence, encore, quand il faut demander que l'expert fasse part dans
les catalogues de toutes les informations dont il a connaissance sur l'oeuvre
comme les ventes antérieures, les autres exemplaires connus et surtout
les opinions d'experts divergentes ;
transparence, toujours, mais c'est sans doute peu commercial, en permettant
aux personnes qui assistent à la vente de savoir sans
ambiguïté si le lot est retiré ou s'il est effectivement
vendu
77(
*
)
;
Ø
déontologie plus stricte,
aussi, en obligeant la
société de ventes aux enchères à garantir que les
ordres d'achats seront toujours exécutés au niveau le plus bas -
comme le font les maisons de vente anglo-saxonnes - ou en poursuivant
effectivement les pratiques de " révision "
78(
*
)
-, en régression certes mais
encore, trop fréquentes à l'Hôtel Drouot.
(2) Les garanties financières
Les
garanties à caractère financier, lorsqu'elles sont a priori,
constituent des protections contraignantes pour l'opérateur sans
apporter de sécurité absolue pour les consommateurs.
Ainsi :
Les obligations en matières d'avances ou de garanties de prix
pourraient s`accompagner de beaucoup de contraintes pour les opérateurs
sans avantages évidents pour le client, dont la sécurité
repose plus sur le capital de la société que sur les garde-fous
que l'on va s'efforcer de mettre en place ;
Ø
Les assurances obligatoires
, tant pour les experts que pour
les sociétés de vente aux enchères vont sans doute
alourdir les charges et constituer, pour certains
des barrières
à l'entrée non négligeables
; en outre, on ne
voit pas pourquoi il faudrait instituer une obligation d'assurance
professionnelle, alors que c'est à la société de juger de
l'opportunité d'une assurance, compte tenu de ses possibilités
financières.
Ø On note d'ailleurs que l'on a préféré dans le
projet de loi renforcer les obligations d'assurance au lieu d'imposer un
capital minimal
, ce qui était une autre façon, plus
libérale, d'assurer la sécurité des clients; une telle
observation semble d'ailleurs encore plus pertinente, si l'on envisageait de
permettre aux sociétés de ventes de faire des avances ou de
donner des garanties de prix sans passer par un intermédiaire financier
indépendant.
(3) La sécurité juridique
Enfin les garanties juridiques résultant de la
responsabilité notamment en matière d`authenticité ou de
versement du prix, que la loi et la jurisprudence imposent aux organisateurs de
ventes aux enchères peuvent être diversement
appréciées.
En matière de garantie d'authenticité :
Ø Certains contestent le caractère effectif de la garantie.
Ainsi, comme le déclarait un des plus importants commissaires-priseurs
de la place de Paris déjà cité :
"
la garantie
trentenaire est une hypocrisie. Elle est censée protéger
l'acheteur, mais elle repose sur le vendeur à qui on ne le dit pas, car
c'en serait fini de vouloir vendre en France "
...
De même, on peut faire remarquer que dans les instances judiciaires
ayant abouti à des annulations au titre de l'erreur sur les
qualités substantielles, mais qui trouvent leur origine dans des erreurs
d'attribution, la responsabilité des experts et des
commissaires-priseurs est rarement mise en cause ;
Ø d'autres voient dans cette garantie, hier encore trentenaire, et
demain décennale, un avantage décisif du marché
français qui offrirait une sécurité maximale aux acheteurs
en garantissant l'authenticité des objets vendus, oubliant qu'en
matière d'attribution, il n'y a, en dépit de décisions
judiciaires réitérées, guère de certitudes pour les
oeuvres anciennes.
Les anglo-saxons ne s'y sont pas trompés en n'acceptant de ne
rembourser - dans un délai de cinq ans - que les faux
caractérisés
ou en ne donnant leur garantie que pour les lots
postérieurs à 1870 et encore sous certaines conditions
Réduire la responsabilité à 10 ans est
déjà un progrès considérable, qu'il conviendrait de
poursuivre, tout en notant que l'action en annulation de la vente pour erreur
sur les qualités substantielles de la chose, reste en ce qui concerne
l'action du vendeur, prescrite par cinq ans à compter de la
découverte de l'erreur.
En matière de paiement du prix, il faut rappeler que :
Ø ni le procès verbal d'adjudication, ni les bordereaux
subséquents, constatant la vente intervenue entre le vendeur et
l'adjudicataire, ne sauraient avoir pour effet de mettre une dette
contractuelle à la charge du
commissaire-priseur
(mais sa
responsabilité délictuelle est engagée), qui
n'est donc
pas tenu de verser le prix, en cas de défaillance de l'acheteur
, et
ce, quand bien même le vendeur ne pourrait plus récupérer
son bien ;
Ø le transfert de propriété a lieu au moment où
retombe le marteau ; d'où la procédure, d'utilisation assez
rare, selon les informations communiquées au rapporteur par la
chancellerie, de vente à la " folle enchère "
79(
*
)
, peu protectrice du
propriétaire du bien.
Le système anglo-saxon, qui consiste à ne procéder au
transfert de propriété qu'après le paiement total du
prix
80(
*
)
, apparaît
d'autant plus protecteur qu'il s'accompagne de l'enregistrement
préalable des enchérisseurs - on ne peut mettre une
enchère qu'au moyen un panneau portant un numéro -, dont la
solvabilité et la notoriété sont systématiquement
vérifiées.
Il ne faut donc pas perdre de vue que le fait que le système
français actuel n'assure pas une protection aussi étendue qu'on
l'affirme souvent et que la volonté légitime de garantir les
droits des vendeurs et des acheteurs plus explicitement que dans les pays
anglo-saxons, peut nuire à la sécurité des transactions et
donc au dynamisme du marché de l'art, sans pour autant apporter la
preuve d'une meilleure protection du consommateur.
e) Améliorer l'environnement des marchands et collectionneurs
A
certains égards le marché de l'art fonctionne comme d'autres
marchés. Pour attirer ou retenir marchands et collectionneurs
internationaux, il en va comme pour l'investissement international, il faut
créer un environnement favorable à l'implantation, qui ne
dépend pas seulement de mesures fiscales.
Le dynamisme du marché dépend en partie des liens qu'il
entretient avec la communauté des historiens d'arts et des
conservateurs.
(1) Reconnaître le rôle indispensable du marché
On n'a
que trop tendance à opposer marché et histoire de l'art : au
contraire, il est des synergies évidentes et à cet égard,
la création de
l'Institut national d'histoire de l'art ne peut que se
nourrir et réciproquement d'un marché de l'art dynamique.
Le marché a joué un rôle essentiel dans les
" progrès " de l'histoire de l'art et, notamment, dans la
multiplication des redécouvertes qui caractérise l'histoire de
l'art depuis deux siècles.
Ce qu'on sait pour l'art contemporain est également vrai en art
ancien : les marchands sont à l'avant-garde du goût, en
avance, bien souvent, sur les musées. Les exemples pourraient être
multipliés - on pense aux orientalistes ou aux écoles nordiques
du XIX
ème
pour montrer que le marché explore
systématiquement les filons délaissés par le goût
dominant.
La personnalité d'histoire de l'art éminents comme celle de
Bernard Berenson mais aussi de Roberto Longhi sont l'occasion d'évoquer
ces rapports fructueux. Ce n'est pas une tradition française pour
laquelle l'art ne fait pas bon ménage avec l'argent mais il faut
rappeler que l'efficacité des grandes maisons de vente anglaises tient
pour une bonne part à la qualité des historiens d'art avec
lesquels elles entretiennent des liens et à celle de la documentation
disponible à Londres pour ses experts.
Les services offerts par le nouvel institut et notamment l'existence d'un
centre de documentation et d'une " iconothèque " comme sa
localisation sont des éléments qui doivent être pris en
compte pour apprécier la compétitivité de la place de
Paris et, en particulier de l'Hôtel Drouot.
De son côté
,
M. Claude Blaizot a signalé lors de son
audition par le rapporteur qu'un marché n'était dynamique que si
ses règles étaient à la fois claires et définitives
et que leur changement perpétuel en France avait engendré la
frilosité des grands collectionneurs à l'égard de son
marché.
LES
CONSERVATEURS ET LE MARCHÉ
réponse de la Direction des musées de France
Les
conservateurs du patrimoine comme tous les fonctionnaires, sont soumis aux
obligations inscrites dans le statut général de la fonction
publique ou dans des réglementations particulières.
Ils doivent ainsi respecter l'interdiction de cumul de fonction et de
rémunération (décret-loi du 29 octobre 1936). L'article 25
de la loi n° 83.634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des
fonctionnaires précise que ceux-ci " ne
peuvent prendre par eux
mêmes ou par personnes interposées dans une entreprise en relation
avec l'administration à laquelle ils appartiennent, des
intérêts de nature à compromettre leur
indépendance".
Le délit d'ingérence est
également sanctionné par les articles 432-12 et 432-13 du nouveau
code pénal.
Par ailleurs, l'article 26 de la loi n° 83.634 du 13 juillet 1983 rappelle
l'obligation de secret et de discrétion professionnelle qui s'impose
à tout bon fonctionnaire pour tous les faits, informations ou documents
dont il a connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de
ses fonctions.
Ces dispositions de la loi de 1983 figuraient déjà dans le texte
du statut général de 1946. Leur application constitue un premier
frein à la réalisation d'expertise par les conservateurs.
Dans le cas des conservateurs de musées, ces dispositions
générales ont été complétées et
précisées par des dispositions propres au statut de leur corps.
Ainsi, le décret n° 63-973 du 17 septembre 1963 relatif au statut
particulier des membres de la conservation des musées de France,
prévoyait à l'article 7 que
" ne peuvent occuper les
emplois régis par le présent décret, les personnes qui se
livrent directement ou indirectement ou dont le conjoint se livre au commerce
ou à l'expertise des oeuvres d'art et des objets de collection "
.
Dans le décret modifié n° 70-51 du 8 janvier 1970, qui
a abrogé et remplacé le décret de 1963, les dispositions
de l'article 7 précité sont intégralement reprises, terme
à terme.
Les décrets n° 90-404 et 405 du 16 mai 1990 portant statut
particulier des corps des conservateurs et conservateurs généraux
du patrimoine concernent non plus les seuls conservateurs des musées
mais aussi ceux relevant des spécialités suivantes :
archéologie, archives, inventaire général et monuments
historiques.
Les articles 8 et 4 de ces textes disposent que
"les membres de ces corps ne
peuvent se livrer directement ou indirectement au commerce ou à
l'expertise d'oeuvres d'art et d'objets de collections",
Il faut souligner que ces dispositions se retrouvent, en termes identiques,
dans le statut des cadres d'emplois des conservateurs territoriaux du
patrimoine (décret n° 91-839 du 2 septembre 1981, article 29) et
des attachés territoriaux du patrimoine (décret n° 91-843 du
2 septembre 1991, article 26).
Depuis le décret de 1963, tous ces textes statutaires prévoient
toutefois, qu'après autorisation du ministre ou de l'autorité
territoriale, les conservateurs du patrimoine
"peuvent procéder
à des expertises ordonnées par un tribunal ou donner des
consultations à la demande d'une autorité administrative".
L'interdiction qui est faite aux conservateurs de musée de
procéder à des expertises d'oeuvres ou d'objets à la
demande de personnes privées apparaît comme une mesure
déjà ancienne et dont le rappel dans les différents textes
statutaires rappelés ci-dessus, renvoie aux tâches des
conservateurs et à l'exercice habituel de leurs missions. Les
conservateurs sont en effet chargés de " conserver,
entretenir,
enrichir les collections qui leur sont confiées par l'autorité
représentant la personne morale propriétaire " le
décret statutaire de 1970 ajoutant même qu'ils
"étaient chargés de proposer des moyens d'accroître les
collections".
L'interdiction de faire des expertises pour des tiers est indispensable pour
que les conservateurs préservent leur impartialité et leur
objectivité, et pour qu'ils n'apparaissent pas comme juge et partie lors
d'opérations d'enrichissement des collections publiques.
Beaucoup de ces opérations sont le résultat de dons ou d'achats
sur le marché (vente aux enchères ou de gré à
gré .... ) qui s'effectuent selon les règles relevant du droit
commun. Mais les conservateurs disposent également de
prérogatives de puissance publique. Les procédures d'acquisition
qui sont propres à l'administration sont :
- la préemption en vente publique dont l'exercice est toujours
réservé à l'État mais celui-ci peut l'exercer
à la demande et pour le compte des collectivités territoriales.
- le processus d'exportation des oeuvres d'art et en particulier la
délivrance d'un certificat pour permettre la sortie temporaire ou
définitive hors du territoire douanier de biens culturels autres que
ceux qui ont été définis comme trésors nationaux.
(qui s'est substitué depuis la loi n° 92-1477 du 31
décembre 1992 au droit de retenue en douane)
- la dation en paiement de droits de succession : les conservateurs
participent, dans ce cas, à la préparation des dossiers
Par l'interdiction des expertises, les agents publics n'interviennent sur le
marché de l'art que dans les cas rappelés ci-dessus qui sont
étroitement encadrés par la législation. Dans ces
conditions, le marché peut jouer parfaitement son rôle de mise en
relation de l'offre et de la demande. Sont ainsi préservés les
rôles et fonctions des différents intervenants privés sur
ce marché (commissaires-priseurs, marchands, critiques, etc ... ).
Faute d'étude comparative, il est délicat de donner des
précisions sur la situation à l'étranger.
Il faut toutefois signaler que le Conseil international des musées,
l'IC.O.M., organisation internationale non gouvernementale liée à
l'U.N.E.S.C.O., a adopté en 1986 un code de déontologie
professionnelle applicable par l'ensemble de ses adhérents dans le monde
entier qui vise lui aussi à interdire l'expertise par les conservateurs.
Selon ce code, il " ne
faut pas délivrer des certificats
d'authenticité ou estimations écrites (évaluations) et on
ne doit donner d'avis sur la valeur monétaire d'objets que sur demande
officielle d'un autre musée ou des autorités juridiques
gouvernementales, ou autres autorités responsables publiques
compétentes".
(2) Vers un assouplissement des relations entre les conservateurs et le marché?
M.
Jean-Pierre Changeux, président de la commission des dations, a
précisé lors de son audition, insisté sur la
nécessité de développer
une capacité d'expertise
de niveau international
, en s'interrogeant, à cet égard,
"
sur la légitimité des règles qui interdisent aux
conservateurs de faire état de leur opinion d'expert, soulignant que,
dans son domaine d'activité, on encourageait les chercheurs à
établir des liens avec les entreprises, et que, par ailleurs, il est
tout à fait admis que les professeurs de droit donnent des consultations
juridiques
".
D'autres personnalités entendues par le rapporteur ont pris des
positions inverses; M. André Chandernagor, notamment, a fait savoir
"qu'il n'était pas favorable à ce que les conservateurs des
musées nationaux soient autorisés à procéder
à des expertises à la demande de tiers. Le mélange des
genres aboutirait inévitablement à la mise en jeu de la
responsabilité de l'État".
Le rapporteur a joint pour illustrer le droit et la pratique une réponse
adressée au rapporteur sur le fondement de l'interdiction d'expertise,
qui fait l'objet de l'encadré ci-contre.
(3) Définir un code de bonne conduite
Longtemps, les marchands ont subi avec quelques irritations
rentrées, l'exercice par les conservateurs des pouvoirs
quasi-proconsulaires, dont les dotait la loi.
Le droit de rétention, aujourd'hui supprimé, était
perçu par de nombreux marchands comme la
manifestation de
l'arbitraire
du pouvoir,
car celui-ci leur faisait perdre un affaire
et surtout un client, qui ne pouvait manquer d'être déçu de
ne pas pouvoir prendre possession de son achat. Le ressentiment était
d'autant plus vif que les marchands avaient souvent l'oeuvre depuis longtemps
dans leur vitrine et que c'était précisément, au moment
où ils avaient enfin trouvé un client que l'administration qui
connaissait la chose de longue date, se décidait à l'acheter.
L'irritation n'était pas moins vive, lorsque la rétention
était opérée après une vente publique où
l'État aurait pu exercer son droit de préemption ce qui aurait
déçu moins d'espoirs.
Bref, les marchands avaient le sentiment que les conservateurs faisaient - une
fois par semaine aux douanes - systématiquement leur "marché",
sans aucun respect pour la clientèle des marchands.
Les conservateurs, de leur côté avaient la conviction de faire
leur devoir de gardien du patrimoine national et trouvaient logique, compte
tenu de la modicité de leurs crédits, d'attendre que l'oeuvre
soit présentée en douane pour l'acquérir, espérant
sans doute jusqu'au dernier moment qu'elle soit finalement achetée par
un Français.
Des relations de négociation sur le mode du "donnant donnant" avaient
parfois tendance à s'établir et l'on a souvent laissé
entendre que certains dons aux musées émanant de marchands
étaient la contrepartie des autorisations ou des possibilités de
sorties qui leur avaient été accordées.
Avec le nouveau régime de circulation des oeuvres, les relations entre
marchands ont pris un tour différent, qui peuvent laisser espérer
l'instauration de relations plus confiantes.
Le droit de préemption est, dans l'ensemble, bien accepté par les
opérateurs, à condition de ne pas en abuser. Peut-être,
pourrait-on envisager d'en codifier l'usage par une sorte de bonne conduite par
lequel l'État s'engagerait notamment à ne pas l'utiliser pour de
trop petits achats ou pour des oeuvres en importation temporaire ; de
même on peut se demander s'il est bien normal que l'État puisse -
sauf indisponibilité des crédits - ne pas exercer son option et
rendre à l'adjudicataire, qui se retrouve ainsi propriétaire d'un
bien refusé par l'État.
Un autre point pouvant faire l'objet d'un code de bonne conduite serait que
l'État n'exerce pas son droit de préemption sur les oeuvres en
importation temporaires ou qu'il ne renonce pas à l'objet
préempté, sauf nécessité réglementaire
(indisponibilité des crédits...).
Enfin, plus important encore, serait pour l'État de renoncer à
refuser de délivrer un certificat pour des oeuvres importées
régulièrement en France depuis moins de cinquante ans afin de ne
pas laisser craindre à certain collectionneurs qu'ils puissent
être "piègés", s'ils mettent leur collection en France.
Le dynamisme d'un marché repose sur la présence permanente de
grands collectionneurs comme en témoigne, à certains
égards, la position prééminente de la France au
début des années cinquante. Il est sans doute difficile de
regagner culturellement le terrain perdu, mais comme cela a été
un moment envisagé par le précédent Gouvernement, il
conviendrait de réfléchir à la possibilité
d'aménager un statut privilégié pour les grands
collectionneurs internationaux qui souhaiteraient avoir une résidence en
France.