3. Assurer le bon fonctionnement du marché

Le rapport Aicardi notait incidemment - au regard de la signification des soldes extérieurs - les similitudes entre le marché de l'art et celui des capitaux; il en est une autre que l'on peut signaler et qui n'est pas sans importance : le marché de l'art a besoin du climat de confiance, qui naît d'un environnement stable et d'un allégement des contraintes administratives. Le rapporteur a rassemblé sous cette préoccupation une série de mesures d'inégales importances.

a) Écarter une fois pour toutes l'application de l'impôt sur la fortune

La " haine de l'art ", titre d'un article polémique à propos de la controverse sur l'art contemporain, correspond bien à la motivation qui semble animer les partisans de l'inclusion des oeuvres d'art dans l'assiette de l'impôt sur la fortune.

On a déjà largement démontré qu'un tel impôt, difficile à établir compte tenu de la volatilité des prix, ne rapporterait rien et ferait fuir les oeuvres, qui n'ont que trop tendance à rester dans les résidences extérieures des grands collectionneurs. M. Jacques Thuillier, professeur au Collège de France dans un article de la Revue administrative (N°306) intitulé " L'art et l'ISF, bêtise pas morte ", dénonce avec un beau talent de polémiste cet acharnement contre " tout ce secteur, doublement odieux, comme symbole d'une aristocratie de l'esprit et de l'argent, et comme type même d'investissement improductif ".

En fait, l'imposition des oeuvres d'art apparaît économiquement, techniquement et budgétairement injustifiée, bref aussi inefficace que dangereuse :

• Sur le plan économique, on rappellera que les oeuvres d'art ne rapportent pas de revenus et qu'à ce titre, l'imposition pourrait au sens que lui donne le Conseil constitutionnel se révéler confiscatoire 75( * ) ; à cela s'ajoute également l'argument de fait que la hausse du prix des objets d'art est loin d'être prouvée comme l'a montré de façon spectaculaire les résultats obtenus par les fonds d'investissement comme le Fonds BNP Arts, pourtant bien conseillé ;

• sur le plan technique et matériel, on voit qu'une mesure de cette nature risque de susciter des comportements d'évasion, car il faudra bien être bien vertueux pour ne pas chercher à échapper à la taxe, soit par simple dissimulation, soit par délocalisation, et en tous cas bien naïf pour continuer à prêter pour les expositions. Par ailleurs, on ne peut que rester perplexe devant toutes les contestations auxquelles peut donner lieu l'évaluation des oeuvres d'art dont on sait que la valeur est particulièrement volatile et que la frontière avec des objets simplement fonctionnels ou décoratifs est particulièrement floue ;

• sur le plan budgétaire, enfin, on peut à la fois rejoindre les services du ministère de Finances pour souligner le faible rendement de la taxe et montrer que compte tenu des ventes que ce type de mesure pourraient provoquer, l'État serait soit contraint d'assister impuissant à l'exode des oeuvres, soit obligé de les acheter tout se suite, alors que l'État aurait pu bénéficier de dons s'il avait pu bénéficier de plus de temps.

M. Jacques Thuillier, souligne avec virulence, les difficultés qui résulteraient des obligations prévues en contrepartie des exonérations et en particulier de celle consistant à obliger les contribuables à exposer leurs oeuvres au public pendant six semaines par an :

" On ne sait s'il faut rire ou pleurer. Que veut dire exposer leurs oeuvres au public " ? S'agit-il d'exposition dans un musée ? L'idée serait inepte. Tous les musées de France ne suffiraient pas à exposer en un an, dans les petites salles dont ils disposent, la centième partie des oeuvres de collection privée, et qui se chargera du transport, de l'assurance? S'agit-il d'ouvrir son appartement au public ? On voit d'ici la famille se relayant pendant six semaines pour " tenir portes ouvertes -, et permettre aux cambrioleurs de repérer ce qui mérite leur attention... Ou bien ces bons députés sont-ils assez imbus des clichés les plus éculés pour croire que tous les collectionneurs soumis à l'ISF sont gens à château avec cohorte de valets de chambre ? Quelle confiance faire à des personnes aussi expérimentées ?

Il y a plus grotesque. il paraît que dans leur souci de protéger la création, les commissaires acceptaient que fussent exonérées les oeuvres d'art dont l'auteur était encore vivant. On se frotte les yeux. Le collectionneur devra-t-il s'enquérir, avant d'acheter une oeuvre, de la date de naissance de l'artiste, et demander communication de son bulletin de santé ? Devra-t-il, pour n'être pas accusé de fraude, vérifier s'il n'est pas mort dans l'année ? Lui faudra-t-il, sous peine de voir ses impôts augmenter, revendre ses tableaux le jour même du décès de l'artiste ? Et verra-t-on dans la semaine suivante déferler à Drouot la moitié des oeuvres du malheureux disparu - et du coup s'effondrer sa cote
? ".

En conclusion de son propos, M. Jacques Thuillier cite M. Deydier, pour bien souligner la portée et les conséquences de la menace, en indiquant que celui-ci a raison d'écrire 76( * ) " L'attaque fiscale, qui vise de nouveau les collectionneurs, touche et risque de détruire le chaînon le plus frileux et sensible du milieu de l'art. La trilogie marchands collectionneurs et musées est vitale pour notre patrimoine culturel. Si un élément est détruit, l'ensemble disparaîtra, chaque catégorie étant en réalité totalement dépendante et solidaire des deux autres. " Et d'ajouter : " Mes collègues anglo-saxons m'ont fait observer avec gentillesse que, quelle que soit d'ailleurs l'issue du vote, ce retour constant du même et vain débat idéologique au premier plan de l'actualité, en faisant peser une épée de Damoclès permanente sur le marché de l'art français, finira par entraîner les mêmes effets [ ... 1. Voudrait-on que la France soit reléguée à un rôle purement provincial dans le marché mondial de l'art, avec un appauvrissement irrémédiable de notre patrimoine culturel ? On n'agirait pas autrement. "

b) L'aménagement de la taxe forfaitaire et le relèvement de son seuil à 60 000 francs

Le rapporteur n'a rencontré que peu d'opposition de principe à cet impôt. Aussi se contente-t-il de préconiser deux aménagements techniques :

• l'actualisation du seuil de la taxe de 20 000 F à 60 000 francs, niveau choisi parce qu'il correspond à environ 10 000 euros avec un système de décote jusqu'à 15 000 euros. Ce seuil n'avait jamais été actualisé depuis son instauration en 1976 ; son relèvement permettrait de ne pas entraver les petites opérations et simplifierait le recouvrement ;

• alignement du taux payé par les galeries sur celui payable en ventes publiques car il n'y a pas de raisons de conserver une discrimination dès lors que la galerie exerce son activité dans des conditions vérifiables par l'administration fiscale.

c) Ne pas appliquer le droit de reproduction aux catalogues de vente

Le rapporteur a demandé au Gouvernement s'il entendait étendre l'exception dont bénéficient actuellement les commissaires-priseurs en matière de reproduction aux nouvelles sociétés de ventes volontaires qui être crées en application du projet de loi soumis au Parlement.

Le Gouvernement considère que l'article 17 de la loi du 27 juin 1997 n'a pas pour effet de créer une mesure discriminatoire. Les personnes bénéficiant de l'exemption sont des officiers ministériels, qui n'ont pas la qualité de commerçant et qui sont donc dans une situation différente des galeries notamment, qui font commerce d'oeuvres d'art.

Il précise dans sa réponse, que les catalogues visés sont uniquement ceux qui sont mis à la disposition du public " dans le seul but de décrire les oeuvres mises en vente ", ce qui signifie que ces catalogues ne sont pas des objets de commerce.

En conclusion, le ministère de la culture fait savoir que " le Gouvernement estime que le maintien de cette exception ne profitera plus aux commissaires-priseurs à terme puisque leur profession fait l'objet d'un projet de loi déposé devant votre assemblée. "

On peut s'interroger sur le bien fondé d'une telle position qui aboutit à systématiser une double rémunération pour l'auteur et ses ayant droits, qui perçoivent le déjà le droit de suite.

On ne voit pas nettement ce qui distingue, du point de vue de l'artiste, une vente publique d'une vente judiciaire. Il serait incohérent que, selon le statut juridique de la vente, le droit de reproduction soit ou non applicable.

En outre, on pourrait assister, compte tenu de la tendance de la jurisprudence, à l'utilisation par certains ayants-droit de cette position de force juridique comme un moyen de pression sur les modalités d'organisation de la vente.

Dans ces conditions, le rapporteur préconise le maintien du dispositif de l'article 17 de la loi du 27 juin 1997 et son extension à l'ensemble du commerce des oeuvres d'art, sous réserve que les catalogues ne soient commercialisés qu'à titre accessoire à prix coûtant et que l'exemption ne concerne que l'oeuvre effectivement proposée à la vente.

d) Renforcer la fiabilité juridique, améliorer la transparence

Le souci de protéger le consommateur des services offerts par les sociétés de vente, conduit le projet de loi déposé devant les chambres à encadrer étroitement les pratiques qui de sont développées en dehors de tout cadre légal spécifique dans les pays anglo-saxons.

L'intention est louable. Toutefois, certains ne manquent pas de souligner les rigidités qui en découlent, et le frein que celles-ci constituent pour le développement des sociétés de ventes aux enchères.

Il est frappant de constater que les deux " majors " anglo-saxonnes sont parvenues à régner sans partage sur le marché mondial de l'art sans, officiellement du moins , apporter la moindre garantie juridique aux acheteurs et en accumulant dans leurs conditions de ventes des clauses qui seraient sans doute léonines au regard de la loi et de la jurisprudence française.

Car les vraies garanties du système anglo-saxon sont de nature commerciale. Il n'est point besoin d'édicter de strictes obligations juridiques pour les opérateurs. Ceux-ci sont conscients qu'ils ont plus à perdre qu'à gagner dans des contentieux où ils n'ont, nonobstant les clauses contraires imprimées dans leurs catalogues pas agi d'une façon irréprochable, au regard d'une éthique professionnelle qu'ils savent faire évoluer quand c'est nécessaire.

Dans le système français, en revanche, on fait reposer la garantie apportée sur un dispositif réglementaire, ce qui ne peut que se traduire par des contraintes de gestion et des coûts accrus, qui pèseront sur la compétitivité des opérateurs exerçant leur activité en France .

Les pratiques anglo-saxonnes de prix garantis, d'avances aux vendeurs, de vente de gré à gré des lots invendus après la vente sont codifiées, afin de les encadrer dans des procédures rigoureuses, dont l'inspiration tient plus de la pratique d'un office ministériel que d'une société commerciale.

Mais, sans doute peut-on faire des distinctions entre les principes que l'on veut sauvegarder.

(1) Les exigences de transparence

La transparence et la rigueur sont des impératifs catégoriques, qui ne peuvent qu'impliquer un certain nombre de règles déontologiques, dont certaines sont élémentaires comme l'interdiction de fixer un prix de réserve à un niveau supérieur à l'estimation, étant entendu qu'en cas de variation du marché, il est toujours possible de relever l'estimation le jour de la vente.

On peut noter que l'on pourrait aller encore plus loin dans le sens de la transparence et d'une déontologie plus stricte :

transparence accrue , d'abord, avec la publication rapide d'une liste de prix faisant clairement apparaître les invendus et les retraits ;

transparence, encore, quand il faut demander que l'expert fasse part dans les catalogues de toutes les informations dont il a connaissance sur l'oeuvre comme les ventes antérieures, les autres exemplaires connus et surtout les opinions d'experts divergentes ;

transparence, toujours, mais c'est sans doute peu commercial, en permettant aux personnes qui assistent à la vente de savoir sans ambiguïté si le lot est retiré ou s'il est effectivement vendu 77( * ) ;

Ø déontologie plus stricte, aussi, en obligeant la société de ventes aux enchères à garantir que les ordres d'achats seront toujours exécutés au niveau le plus bas - comme le font les maisons de vente anglo-saxonnes - ou en poursuivant effectivement les pratiques de " révision " 78( * ) -, en régression certes mais encore, trop fréquentes à l'Hôtel Drouot.

(2) Les garanties financières

Les garanties à caractère financier, lorsqu'elles sont a priori, constituent des protections contraignantes pour l'opérateur sans apporter de sécurité absolue pour les consommateurs.

Ainsi :

Les obligations en matières d'avances ou de garanties de prix pourraient s`accompagner de beaucoup de contraintes pour les opérateurs sans avantages évidents pour le client, dont la sécurité repose plus sur le capital de la société que sur les garde-fous que l'on va s'efforcer de mettre en place ;

Ø Les assurances obligatoires , tant pour les experts que pour les sociétés de vente aux enchères vont sans doute alourdir les charges et constituer, pour certains des barrières à l'entrée non négligeables ; en outre, on ne voit pas pourquoi il faudrait instituer une obligation d'assurance professionnelle, alors que c'est à la société de juger de l'opportunité d'une assurance, compte tenu de ses possibilités financières.

Ø On note d'ailleurs que l'on a préféré dans le projet de loi renforcer les obligations d'assurance au lieu d'imposer un capital minimal , ce qui était une autre façon, plus libérale, d'assurer la sécurité des clients; une telle observation semble d'ailleurs encore plus pertinente, si l'on envisageait de permettre aux sociétés de ventes de faire des avances ou de donner des garanties de prix sans passer par un intermédiaire financier indépendant.

(3) La sécurité juridique

Enfin les garanties juridiques résultant de la responsabilité notamment en matière d`authenticité ou de versement du prix, que la loi et la jurisprudence imposent aux organisateurs de ventes aux enchères peuvent être diversement appréciées.

En matière de garantie d'authenticité :

Ø Certains contestent le caractère effectif de la garantie. Ainsi, comme le déclarait un des plus importants commissaires-priseurs de la place de Paris déjà cité : " la garantie trentenaire est une hypocrisie. Elle est censée protéger l'acheteur, mais elle repose sur le vendeur à qui on ne le dit pas, car c'en serait fini de vouloir vendre en France " ...

De même, on peut faire remarquer que dans les instances judiciaires ayant abouti à des annulations au titre de l'erreur sur les qualités substantielles, mais qui trouvent leur origine dans des erreurs d'attribution, la responsabilité des experts et des commissaires-priseurs est rarement mise en cause ;



Ø d'autres voient dans cette garantie, hier encore trentenaire, et demain décennale, un avantage décisif du marché français qui offrirait une sécurité maximale aux acheteurs en garantissant l'authenticité des objets vendus, oubliant qu'en matière d'attribution, il n'y a, en dépit de décisions judiciaires réitérées, guère de certitudes pour les oeuvres anciennes.

Les anglo-saxons ne s'y sont pas trompés en n'acceptant de ne rembourser - dans un délai de cinq ans - que les faux caractérisés ou en ne donnant leur garantie que pour les lots postérieurs à 1870 et encore sous certaines conditions

Réduire la responsabilité à 10 ans est déjà un progrès considérable, qu'il conviendrait de poursuivre, tout en notant que l'action en annulation de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose, reste en ce qui concerne l'action du vendeur, prescrite par cinq ans à compter de la découverte de l'erreur.

En matière de paiement du prix, il faut rappeler que :

Ø ni le procès verbal d'adjudication, ni les bordereaux subséquents, constatant la vente intervenue entre le vendeur et l'adjudicataire, ne sauraient avoir pour effet de mettre une dette contractuelle à la charge du commissaire-priseur (mais sa responsabilité délictuelle est engagée), qui n'est donc pas tenu de verser le prix, en cas de défaillance de l'acheteur , et ce, quand bien même le vendeur ne pourrait plus récupérer son bien ;

Ø le transfert de propriété a lieu au moment où retombe le marteau ; d'où la procédure, d'utilisation assez rare, selon les informations communiquées au rapporteur par la chancellerie, de vente à la " folle enchère " 79( * ) , peu protectrice du propriétaire du bien.

Le système anglo-saxon, qui consiste à ne procéder au transfert de propriété qu'après le paiement total du prix 80( * ) , apparaît d'autant plus protecteur qu'il s'accompagne de l'enregistrement préalable des enchérisseurs - on ne peut mettre une enchère qu'au moyen un panneau portant un numéro -, dont la solvabilité et la notoriété sont systématiquement vérifiées.

Il ne faut donc pas perdre de vue que le fait que le système français actuel n'assure pas une protection aussi étendue qu'on l'affirme souvent et que la volonté légitime de garantir les droits des vendeurs et des acheteurs plus explicitement que dans les pays anglo-saxons, peut nuire à la sécurité des transactions et donc au dynamisme du marché de l'art, sans pour autant apporter la preuve d'une meilleure protection du consommateur.

e) Améliorer l'environnement des marchands et collectionneurs

A certains égards le marché de l'art fonctionne comme d'autres marchés. Pour attirer ou retenir marchands et collectionneurs internationaux, il en va comme pour l'investissement international, il faut créer un environnement favorable à l'implantation, qui ne dépend pas seulement de mesures fiscales.

Le dynamisme du marché dépend en partie des liens qu'il entretient avec la communauté des historiens d'arts et des conservateurs.

(1) Reconnaître le rôle indispensable du marché

On n'a que trop tendance à opposer marché et histoire de l'art : au contraire, il est des synergies évidentes et à cet égard, la création de l'Institut national d'histoire de l'art ne peut que se nourrir et réciproquement d'un marché de l'art dynamique.

Le marché a joué un rôle essentiel dans les " progrès " de l'histoire de l'art et, notamment, dans la multiplication des redécouvertes qui caractérise l'histoire de l'art depuis deux siècles.

Ce qu'on sait pour l'art contemporain est également vrai en art ancien : les marchands sont à l'avant-garde du goût, en avance, bien souvent, sur les musées. Les exemples pourraient être multipliés - on pense aux orientalistes ou aux écoles nordiques du XIX ème pour montrer que le marché explore systématiquement les filons délaissés par le goût dominant.

La personnalité d'histoire de l'art éminents comme celle de Bernard Berenson mais aussi de Roberto Longhi sont l'occasion d'évoquer ces rapports fructueux. Ce n'est pas une tradition française pour laquelle l'art ne fait pas bon ménage avec l'argent mais il faut rappeler que l'efficacité des grandes maisons de vente anglaises tient pour une bonne part à la qualité des historiens d'art avec lesquels elles entretiennent des liens et à celle de la documentation disponible à Londres pour ses experts.

Les services offerts par le nouvel institut et notamment l'existence d'un centre de documentation et d'une " iconothèque " comme sa localisation sont des éléments qui doivent être pris en compte pour apprécier la compétitivité de la place de Paris et, en particulier de l'Hôtel Drouot.

De son côté , M. Claude Blaizot a signalé lors de son audition par le rapporteur qu'un marché n'était dynamique que si ses règles étaient à la fois claires et définitives et que leur changement perpétuel en France avait engendré la frilosité des grands collectionneurs à l'égard de son marché.

LES CONSERVATEURS ET LE MARCHÉ

réponse de la Direction des musées de France

Les conservateurs du patrimoine comme tous les fonctionnaires, sont soumis aux obligations inscrites dans le statut général de la fonction publique ou dans des réglementations particulières.

Ils doivent ainsi respecter l'interdiction de cumul de fonction et de rémunération (décret-loi du 29 octobre 1936). L'article 25 de la loi n° 83.634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires précise que ceux-ci " ne peuvent prendre par eux mêmes ou par personnes interposées dans une entreprise en relation avec l'administration à laquelle ils appartiennent, des intérêts de nature à compromettre leur indépendance". Le délit d'ingérence est également sanctionné par les articles 432-12 et 432-13 du nouveau code pénal.

Par ailleurs, l'article 26 de la loi n° 83.634 du 13 juillet 1983 rappelle l'obligation de secret et de discrétion professionnelle qui s'impose à tout bon fonctionnaire pour tous les faits, informations ou documents dont il a connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.

Ces dispositions de la loi de 1983 figuraient déjà dans le texte du statut général de 1946. Leur application constitue un premier frein à la réalisation d'expertise par les conservateurs.

Dans le cas des conservateurs de musées, ces dispositions générales ont été complétées et précisées par des dispositions propres au statut de leur corps.

Ainsi, le décret n° 63-973 du 17 septembre 1963 relatif au statut particulier des membres de la conservation des musées de France, prévoyait à l'article 7 que " ne peuvent occuper les emplois régis par le présent décret, les personnes qui se livrent directement ou indirectement ou dont le conjoint se livre au commerce ou à l'expertise des oeuvres d'art et des objets de collection " . Dans le décret modifié n° 70-51 du 8 janvier 1970, qui a abrogé et remplacé le décret de 1963, les dispositions de l'article 7 précité sont intégralement reprises, terme à terme.

Les décrets n° 90-404 et 405 du 16 mai 1990 portant statut particulier des corps des conservateurs et conservateurs généraux du patrimoine concernent non plus les seuls conservateurs des musées mais aussi ceux relevant des spécialités suivantes : archéologie, archives, inventaire général et monuments historiques.

Les articles 8 et 4 de ces textes disposent que "les membres de ces corps ne peuvent se livrer directement ou indirectement au commerce ou à l'expertise d'oeuvres d'art et d'objets de collections",

Il faut souligner que ces dispositions se retrouvent, en termes identiques, dans le statut des cadres d'emplois des conservateurs territoriaux du patrimoine (décret n° 91-839 du 2 septembre 1981, article 29) et des attachés territoriaux du patrimoine (décret n° 91-843 du 2 septembre 1991, article 26).

Depuis le décret de 1963, tous ces textes statutaires prévoient toutefois, qu'après autorisation du ministre ou de l'autorité territoriale, les conservateurs du patrimoine "peuvent procéder à des expertises ordonnées par un tribunal ou donner des consultations à la demande d'une autorité administrative".

L'interdiction qui est faite aux conservateurs de musée de procéder à des expertises d'oeuvres ou d'objets à la demande de personnes privées apparaît comme une mesure déjà ancienne et dont le rappel dans les différents textes statutaires rappelés ci-dessus, renvoie aux tâches des conservateurs et à l'exercice habituel de leurs missions. Les conservateurs sont en effet chargés de " conserver, entretenir, enrichir les collections qui leur sont confiées par l'autorité représentant la personne morale propriétaire " le décret statutaire de 1970 ajoutant même qu'ils "étaient chargés de proposer des moyens d'accroître les collections".

L'interdiction de faire des expertises pour des tiers est indispensable pour que les conservateurs préservent leur impartialité et leur objectivité, et pour qu'ils n'apparaissent pas comme juge et partie lors d'opérations d'enrichissement des collections publiques.

Beaucoup de ces opérations sont le résultat de dons ou d'achats sur le marché (vente aux enchères ou de gré à gré .... ) qui s'effectuent selon les règles relevant du droit commun. Mais les conservateurs disposent également de prérogatives de puissance publique. Les procédures d'acquisition qui sont propres à l'administration sont :

- la préemption en vente publique dont l'exercice est toujours réservé à l'État mais celui-ci peut l'exercer à la demande et pour le compte des collectivités territoriales.

- le processus d'exportation des oeuvres d'art et en particulier la délivrance d'un certificat pour permettre la sortie temporaire ou définitive hors du territoire douanier de biens culturels autres que ceux qui ont été définis comme trésors nationaux. (qui s'est substitué depuis la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 au droit de retenue en douane)

- la dation en paiement de droits de succession : les conservateurs participent, dans ce cas, à la préparation des dossiers

Par l'interdiction des expertises, les agents publics n'interviennent sur le marché de l'art que dans les cas rappelés ci-dessus qui sont étroitement encadrés par la législation. Dans ces conditions, le marché peut jouer parfaitement son rôle de mise en relation de l'offre et de la demande. Sont ainsi préservés les rôles et fonctions des différents intervenants privés sur ce marché (commissaires-priseurs, marchands, critiques, etc ... ).

Faute d'étude comparative, il est délicat de donner des précisions sur la situation à l'étranger.

Il faut toutefois signaler que le Conseil international des musées, l'IC.O.M., organisation internationale non gouvernementale liée à l'U.N.E.S.C.O., a adopté en 1986 un code de déontologie professionnelle applicable par l'ensemble de ses adhérents dans le monde entier qui vise lui aussi à interdire l'expertise par les conservateurs.

Selon ce code, il " ne faut pas délivrer des certificats d'authenticité ou estimations écrites (évaluations) et on ne doit donner d'avis sur la valeur monétaire d'objets que sur demande officielle d'un autre musée ou des autorités juridiques gouvernementales, ou autres autorités responsables publiques compétentes".

(2) Vers un assouplissement des relations entre les conservateurs et le marché?

M. Jean-Pierre Changeux, président de la commission des dations, a précisé lors de son audition, insisté sur la nécessité de développer une capacité d'expertise de niveau international , en s'interrogeant, à cet égard, " sur la légitimité des règles qui interdisent aux conservateurs de faire état de leur opinion d'expert, soulignant que, dans son domaine d'activité, on encourageait les chercheurs à établir des liens avec les entreprises, et que, par ailleurs, il est tout à fait admis que les professeurs de droit donnent des consultations juridiques ".

D'autres personnalités entendues par le rapporteur ont pris des positions inverses; M. André Chandernagor, notamment, a fait savoir "qu'il n'était pas favorable à ce que les conservateurs des musées nationaux soient autorisés à procéder à des expertises à la demande de tiers. Le mélange des genres aboutirait inévitablement à la mise en jeu de la responsabilité de l'État".

Le rapporteur a joint pour illustrer le droit et la pratique une réponse adressée au rapporteur sur le fondement de l'interdiction d'expertise, qui fait l'objet de l'encadré ci-contre.

(3) Définir un code de bonne conduite

Longtemps, les marchands ont subi avec quelques irritations rentrées, l'exercice par les conservateurs des pouvoirs quasi-proconsulaires, dont les dotait la loi.

Le droit de rétention, aujourd'hui supprimé, était perçu par de nombreux marchands comme la manifestation de l'arbitraire du pouvoir, car celui-ci leur faisait perdre un affaire et surtout un client, qui ne pouvait manquer d'être déçu de ne pas pouvoir prendre possession de son achat. Le ressentiment était d'autant plus vif que les marchands avaient souvent l'oeuvre depuis longtemps dans leur vitrine et que c'était précisément, au moment où ils avaient enfin trouvé un client que l'administration qui connaissait la chose de longue date, se décidait à l'acheter.

L'irritation n'était pas moins vive, lorsque la rétention était opérée après une vente publique où l'État aurait pu exercer son droit de préemption ce qui aurait déçu moins d'espoirs.

Bref, les marchands avaient le sentiment que les conservateurs faisaient - une fois par semaine aux douanes - systématiquement leur "marché", sans aucun respect pour la clientèle des marchands.

Les conservateurs, de leur côté avaient la conviction de faire leur devoir de gardien du patrimoine national et trouvaient logique, compte tenu de la modicité de leurs crédits, d'attendre que l'oeuvre soit présentée en douane pour l'acquérir, espérant sans doute jusqu'au dernier moment qu'elle soit finalement achetée par un Français.

Des relations de négociation sur le mode du "donnant donnant" avaient parfois tendance à s'établir et l'on a souvent laissé entendre que certains dons aux musées émanant de marchands étaient la contrepartie des autorisations ou des possibilités de sorties qui leur avaient été accordées.

Avec le nouveau régime de circulation des oeuvres, les relations entre marchands ont pris un tour différent, qui peuvent laisser espérer l'instauration de relations plus confiantes.

Le droit de préemption est, dans l'ensemble, bien accepté par les opérateurs, à condition de ne pas en abuser. Peut-être, pourrait-on envisager d'en codifier l'usage par une sorte de bonne conduite par lequel l'État s'engagerait notamment à ne pas l'utiliser pour de trop petits achats ou pour des oeuvres en importation temporaire ; de même on peut se demander s'il est bien normal que l'État puisse - sauf indisponibilité des crédits - ne pas exercer son option et rendre à l'adjudicataire, qui se retrouve ainsi propriétaire d'un bien refusé par l'État.

Un autre point pouvant faire l'objet d'un code de bonne conduite serait que l'État n'exerce pas son droit de préemption sur les oeuvres en importation temporaires ou qu'il ne renonce pas à l'objet préempté, sauf nécessité réglementaire (indisponibilité des crédits...).

Enfin, plus important encore, serait pour l'État de renoncer à refuser de délivrer un certificat pour des oeuvres importées régulièrement en France depuis moins de cinquante ans afin de ne pas laisser craindre à certain collectionneurs qu'ils puissent être "piègés", s'ils mettent leur collection en France.

Le dynamisme d'un marché repose sur la présence permanente de grands collectionneurs comme en témoigne, à certains égards, la position prééminente de la France au début des années cinquante. Il est sans doute difficile de regagner culturellement le terrain perdu, mais comme cela a été un moment envisagé par le précédent Gouvernement, il conviendrait de réfléchir à la possibilité d'aménager un statut privilégié pour les grands collectionneurs internationaux qui souhaiteraient avoir une résidence en France.

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