C. RÉÉVALUER LE RÔLE D'ACTEUR DE L'ETAT : LE SECTEUR PUBLIC NATIONAL
On a
brièvement énuméré, dans la deuxième partie
de ce rapport, les raisons de croire que le secteur public de l'audiovisuel
constitue un facteur potentiel d'instabilité du droit de la
communication. Les consultants se relaient au chevet du patient :
commission Campet en 1993, mission Bloch-Lainé en 1996, mission Missika
en 1997, pour ne citer que les derniers rapports publiés dans ce
domaine. Le diagnostic est généralement sévère,
spécialement pour les pouvoirs publics, accusés d'agir au coup
par coup sans crainte de l'incohérence. La lucidité ne fait
pourtant pas défaut au politique : les travaux parlementaires mettent
inlassablement en évidence les failles principales du système et
proposent des solutions. Mais les organismes fonctionnent sans trop
d'à-coups ; et les audiences honorables, des finances assainies, un
climat social assez calme peuvent donner aux gouvernements le sentiment qu'il
serait plus inopportun qu'utile d'ouvrir un dossier souvent
présenté comme une boîte de Pandore.
Le secteur public peut bien naviguer à vue, de l'avis
général : la mer est plutôt paisible, et pas vraiment
menaçants les écueils que signalent les rubriques des rapports
d'audit :
" Un déficit récurrent d'identité. Des
perspectives de financement préoccupantes. Un défaut
d'articulation. Un cadre institutionnel constamment discuté. Un
héritage de rigidités. Une personnalisation marquée des
enjeux. Une exposition permanente au danger des balles perdues "
, pour
s'en tenir au sommaire du rapport final de la mission Bloch-Laîné
(première partie, II).
Mais, nous l'avons vu, les changements provoqués par la
numérisation vont faire surgir de nouveaux défis et risquent
d'accentuer les contradictions latentes. Il devient indispensable de faire le
point et d'amorcer quelques remises en ordre avant qu'un trop plein de
questions non résolues ne suscite le doute sur la
légitimité même de l'audiovisuel public.
Il n'est pas inintéressant, dans cette perspective, d'introduire le
schéma de réflexion qui suit par une interrogation sur cette
légitimité.
1. La légitimité du secteur public
a) Secteur public et secteur privé
(1) Une spécificité nécessaire
En
dernière analyse, le principal problème du secteur public est
peut-être le secteur privé. Comme le constatait en 1993 le rapport
Campet
51(
*
)
:
" l'ouverture du champ télévisuel à la concurrence
des entreprises privées posait en termes nouveaux la question de la
légitimité de l'audiovisuel public. Une mise à jour des
missions devenait nécessaire, non plus pour justifier le régime
des monopoles, mais bien pour fonder l'existence du secteur public.
L'État actionnaire n'a pourtant pas tiré les conséquences
de cette exigence ".
D'où les propositions de clarification présentées par le
même rapport, puis les " pierres de touche " proposées
par le rapport Bloch-Laîné, et enfin les cinq " objectifs
actualisés " énumérés par le rapport Missika.
Celui-ci expose une analyse fouillée de la perte d'identité du
secteur public :
" quand on entre plus avant dans l'analyse des
cahiers des missions et des charges, on relève trois niveaux distincts
de préoccupations : les obligations d'ordre public et
déontologique, des obligations d'intérêt
général à caractère économique, des missions
spécifiques au secteur public. Or, force est de constater que les deux
premiers niveaux s'appliquent indifféremment à toutes les
chaînes, qu'elles soient publiques ou privées. Ainsi se confirme
l'absence d'identité entre le service public et le secteur public. (...)
Les deux premiers niveaux d'obligations constituent des ensembles clairement
identifiés. Les objectifs et les moyens sont précis. En revanche,
le troisième niveau, celui qui doit faire la spécificité
du secteur public, est hétérogène et comporte des
objectifs souvent flous ou inadaptés et sans cohérence des moyens
52(
*
)
".
Le tableau des missions spécifiques des organismes publics dressé
par Jean-Louis Missika à partir des cahiers des charges des
chaînes illustre bien la relative vacuité, sous l'angle juridique
au moins, d'une identité nécessaire à la
légitimité de l'audiovisuel public.
MISSIONS SPÉCIFIQUES DE SERVICE PUBLIC |
principes généraux |
modalités d'application |
Culture et savoir |
promouvoir ces domaines et en favoriser l'accès au plus grand nombre |
France
2 : préambule, art. 24 (spectacles vivants), 25
(littérature, histoire, cinéma, arts plastiques), 26 (musique,
concerts), 29 (sciences)
|
intégration sociale |
cohésion nationale |
France 2 : art. 7 (sourds
et malentendants),
20 (populations étrangères)
|
aménagement du territoire |
valorisation et cohésion de la diversité territoriale |
France 2 : art. 48
(outre-mer avec RFO)
|
accès à l'antenne des institutions et formations politiques |
favoriser la vie démocratique |
France 2 : art. 10
(communication du Gouvernement),
11 (campagnes officielles), 12 (séances du Parlement),
|
autres obligations d'accès à l'antenne |
favoriser le débat, la vie sociale et l'expression des courants de pensée |
France 2 : art. 14
(organisations professionnelles),
15 (émissions religieuses), 16 (grande cause nationale),
17 (sécurité routière), et 18 (information du
consommateur)
|
diversité et pluralisme des programmes |
télévision d'ouverture pour tous les publics |
France 2 : art. 26
(musique), 27 (arts), 30 (sports),
32 (ciné-club)
|
respect des oeuvres |
intégrité de la création |
France 2 : art. 36
|
Source : les entreprises publiques de
télévision
et les missions de service public. Rapport de mission.
Tout ceci manque de relief, et l'on est tenté de résumer la
question de la spécificité du secteur public avec les mots de
Saint-John Perse : "
où vint la chose à nous
manquer, et le seuil quel est-il, que nous n'avons
foulé ?
" (Amers). Esquissons quelques
éléments de réponse.
(2) Aspect de la spécificité
On peut
distinguer différentes conceptions de la spécificité du
secteur public à partir de la définition du service public
rappelée dans la seconde partie du rapport : une activité
d'intérêt général qui ne peut être prise en
charge par l'initiative privée dans des conditions satisfaisantes et qui
est en conséquence assurée par une personne publique ou
confiée à une personne privée sous le contrôle de la
puissance publique.
Selon cette définition, l'intervention publique est justifiée, et
même rendue nécessaire, par la carence de l'initiative
privée. On peut en tirer deux conceptions différentes du secteur
public : la théorie du secteur résiduel et la théorie
de la fonction sociale. Elles apparaissent de façon lapidaire dans un
paragraphe du rapport final de la mission Bloch Laîné :
" cantonner, par application du principe de subsidiarité, le
secteur public dans le domaine de ce que ne peut pas faire le secteur
privé serait l'enfermer dans une conception " a minima " de
son utilité, trop restrictive au regard du besoin qu'en a la
collectivité nationale. Le secteur public doit certes être en
charge de ce que lui seul, par la force des choses, peut faire : mais on
peut et doit aussi lui demander de faire autrement, s'il y a lieu, ce que fait
le secteur privé car il faut, à l'inverse, éviter le
piège du principe de concurrence " à tout va ", qui
conduit à instaurer une confrontation, sans intérêt, de
clones et autres clones "
.
Evoquons les implications de ces deux conceptions.
La théorie du secteur résiduel implique l'idée que le
maintien des chaînes publiques ne se justifie que si celles-ci prennent
en charge les fonctions non assumées par le secteur privé. Pour
reprendre le triptyque traditionnel
" distraire, informer,
éduquer ",
la fonction de distraction, serait abandonnée
au privé, les chaînes publiques devant manifester leur
différence en termes de contenu éducatif, d'enrichissement
culturel, de création... Ceci peut conduire à deux formes de
régression du secteur public. D'une part les chaînes publiques
généralistes, abandonnant la fonction distractive au
privé, peuvent évoluer vers un format thématique ou
semi-thématique du genre Arte. D'autre part les chaînes
thématiques publiques peuvent être vouées à la
disparition à partir du moment où leur rôle sera
assumé par les thématiques privées qui ne manqueront pas
de couvrir à terme l'ensemble des catégories de programmes.
D'autres types de cantonnement du secteur public peuvent être
imaginés dans la même logique. On peut par exemple imaginer le
transfert à France 3 ou à La Cinquième des
obligations de service public imposées à France 2 et la
privatisation de cette chaîne dont la ligne éditoriale est d'ores
et déjà très proche de celle de TF1.
La théorie de la fonction sociale du secteur public a des implications
très différentes. Fondée sur l'idée que les
chaînes publiques ont une mission d'intégration qui les conduit
à proposer au grand public la gamme de programmes la plus vaste
possible, elle justifie la pérennité des chaînes
généralistes publiques tout en ouvrant la voie à la remise
en cause du financement public de chaînes thématiques. Cette
conception a soutenue par Dominique Wolton dans les termes suivants :
" Il est évident qu'une télévision publique est
plus indépendante de la tyrannie de l'audience et peut offrir une grille
de programmes plus ouverte. La grille traduit explicitement le niveau
d'ambition des dirigeants de la télévision, publique ou
privée. Plus elle est large, diversifiée, à la fois
traditionnelle et innovante, complète dans les genres et les horaires,
pour essayer de toucher tous les publics potentiels, plus elle est conforme
à son statut de média de masse. Plus elle est, au contraire,
refermée sur les quelques genres de programmes assurés de
succès sans innovation, sans ouverture sur d'autres publics ou d'autres
préoccupations, plus elle faillit à sa mission essentielle de
miroir et de lien social de l'hétérogénéité
sociale
53(
*
)
. "
Dans cette analyse fondée sur l'éloge de la
télévision généraliste en tant que facteur de lien
social, de modernisation et d'identité nationale, la
télévision publique apparaît comme la véritable
forme de la télévision généraliste :
" la télévision généraliste privée
est toujours menacée de glisser vers le bas. C'est-à-dire de se
resserrer autour de quelques programmes assurés de succès... Et
de ressembler de ce fait à une télévision
thématique ! Surtout dans le contexte de concurrence
effrénée actuel. A l'inverse, la télévision
publique généraliste, quand elle fait bien son travail, offre une
palette plus large. Autrement dit, si l'on veut réellement garantir la
qualité de la télévision généraliste, il
faut préserver le statut et le rôle de la télévision
publique, à savoir un système audiovisuel équilibré
dans la concurrence entre public et privé.
Demain, la télévision publique, dans une économie mondiale
de la communication, sera une condition essentielle au maintien de la
télévision généraliste et un facteur
d'identité nationale "
54(
*
)
.
b) Etat des lieux
On a évoqué ci-dessus la confusion qui règne largement entre l'image du secteur public et celle du secteur privé. Plutôt que de refaire le panorama bien connu des connivences éditoriales, on tentera d'esquisser ici une présentation synthétique des réelles différences de programmation, et des conditions juridiques et politiques d'une véritable restauration de l'identité du secteur public.
(1) De discrètes particularités
Les
présidents de France Télévision aiment à
démontrer que les ressemblances que chacun croit constater entre la
programmation des deux chaînes, spécialement France 2, et celle
des chaînes commerciales privées ne sont qu'apparences trompeuses.
Par exemple, les jeux de France télévision feraient appel
à la connaissance et non à l'esprit de lucre. L'avis
budgétaire de la commission des affaires culturelles sur les
crédits de la communication en 1998 exprimait quelques doutes sur cette
modalité d'accomplissement de la mission éducative des
chaînes :
" A ce sujet, on se joint aux doutes
exprimés de longue date par de bons esprits à l'égard de
la valeur culturelle des jeux télévisuels :
" Les
demi-cultivés (ou demi-barbares) de l'ère de l'audiovisuel. Quand
on suit à la radio ou à la télévision un des
innombrables jeux radiophoniques, on est frappé de la proportion somme
toute élevée des réponses justes, considérablement
plus grande en moyenne qu'elle ne l'eût été il y a
cinquante ans. Mais on pressent en même temps que ces connaissances
ponctuelles n'ont aucune tendance à s'organiser en réseaux
cohérents. L'esprit de leur possesseur fait penser à un
cartographe du relief qui, disposant d'un assez grand nombre de points
cotés, n'aurait aucun notion de la manière de les joindre par des
courbes de niveau
55(
*
)
"
".
Mais, dira-t-on, France 3, au moins se démarque, sinon par les
émissions de jeux et les heures de programmation des programmes
culturels, du moins par sa vocation affirmée de chaînes des
régions, ses programmes de proximité. Rappelons à cet
égard l'analyse présentée par M. Bloch-Lainé dans
le rapport final de la mission d'audit du secteur public :
" Les
programmes dits " de proximité ", si l'on y regarde d'un peu
plus près, n'occupent qu'une assez faible part de la grille ; en
fait France 3 est une chaîne généraliste qui offre
à son public de l'information, des magazines, du cinéma, du
sport, du divertissement et de la culture, et qui a su profiter de
l'affrontement TF1-France 2 pour " contre-programme " notamment
le " 19/20 ".
Ainsi présentées, les particularités de la programmation
de France Télévision sont décidément trop
discrètes pour étayer l'idée d'une singularité
latente du secteur public. Il faut chercher ailleurs.
M. Hervé Bourges, auditionnant les responsables de France
Télévision le 18 juillet 1997 à l'occasion de l'examen des
bilans de 1996, faisait état d'un
" divorce entre le volume
réel d'émission d'information, de culture et de services que la
statistique dénombre, et la perception qu'en a l'opinion. "
Cette consolante mise au point concernait France 2.
Il est de fait que l'opinion retient plus facilement l'image donnée par
l'émission phare qui précède les nouvelles de 20 heures
que les émissions culturelles diffusées aux alentours de minuit.
Mais il semble néanmoins que l'approche statistique mise en avant par M.
Bourges permette de déceler de véritables différences
entre les stratégies de programmation du secteur privé et celles
de France Télévision.
Auditionné le 4 mars dernier par le groupe de travail, Jean-Charles
Paracuellos, chargé de l'audit à France télévision,
a présenté de cette spécificité une analyse
astucieuse qui n'est pas étrangère à la théorie de
la télévision généraliste développée
par Dominique Wolton (cf. ci-dessus).
Il est intéressant de résumer cette présentation de la
spécificité-légitimité de France
Télévision. Elle part de l'analyse de l'avenir de la
télévision généraliste sommairement exposée
dans la première partie du rapport et qu'il convient de rappeler ici.
M. Paracuellos effectue une distinction entre d'une part les
" services
de base "
comprenant les chaînes accessibles gratuitement en
tous points du territoire (TF1, France 2 et France 3) et les chaînes
à couverture territoriale incomplète (M6, Arte, la
Cinquième), et d'autre part les
" services de
complément ",
comprenant les bouquets payants. Les services de
base produisent des contenus rassemblant un large public tandis que les
services de complément rediffusent des produits existants et permettent
l'accès à des contenus d'origines diverses ne pouvant rassembler
un large public (sous réserve du cas particulier de Canal Plus).
Des menaces pèsent actuellement sur les services de base. On constate en
effet un début de déplacement de l'audience vers les services
payants, ce qui pourrait diminuer les ressources publicitaires des services de
base alors que, en ce qui concerne le secteur public, le contexte est
défavorable à l'augmentation de la redevance du fait de la
richesse croissante de l'offre. Ceci pourrait, à terme, porter atteinte
aux ressources des services de base, provoquer par contrecoup la
dégradation de leur qualité, et favoriser les progrès des
services payants. Un tel processus amoindrirait le rôle des services qui
offrent au public la plus grande facilité d'accès, garantissent
l'exposition satisfaisante des produits audiovisuels, tout en présentant
des perspectives de gains de productivité dans le processus de
production et de distribution des contenus. Le déclin des chaînes
gratuites encouragerait par ailleurs l'américanisation des contenus et
susciterait la baisse globale du rapport qualité-coût du service
télévisuel.
Face à ces perspectives, il importe de maintenir la qualité
globale des services de base, c'est-à-dire essentiellement leur
diversité et leur universalité, et de garantir ainsi l'existence
d'un large choix de programmes pour tous les publics.
On devine à cette étape du raisonnement que la
télévision publique, et spécialement France
Télévision, a quelque chose à voir avec le maintien de la
qualité du service de base.
M. Paracuellos remarque de fait que les programmes des chaînes gratuites
privées sont orientés vers les cibles recherchées par les
annonceurs alors que grâce au financement par la redevance, les
chaînes publiques ont la possibilité de ne pas effectuer de
discriminations entre les publics, ce qui contribue à diversifier
l'audience. Il illustre ce propos en notant que les ménagères de
moins de 50 ans représentaient en 1997 18,5 % de l'audience
globale, 15 % de celle de France Télévision et 21 % de
celle du secteur privé, ce dernier taux étant en augmentation de
3 points par rapport à 1990. Conséquence logique : le repli des
télévisions publiques par la diminution du
périmètre du secteur public ou par le cantonnement des
chaînes dans l'exercice de missions de service public amorcerait la
régression du service de base et le processus cumulatif décrit
plus haut.
C'est ainsi que les chaînes publiques jouent un rôle essentiel dans
le système audiovisuel par leur contribution à la qualité
globale du service de base, qu'il leur faut pour cela s'adresser à tous
les publics, aborder tous les genres, gérer efficacement la redevance.
Par ailleurs, le repli sur les missions de service public provoquerait la
régression du service de base universel, l'inégalité
d'accès à la télévision, la baisse de la production
audiovisuelle, la baisse globale du rapport qualité-coût de la
télévision.
En définitive, les ressemblances entre la programmation de TF1 et celle
de France 2 qui frappent le téléspectateur non averti, non
seulement dissimuleraient en fait de profondes différences, mais encore
seraient indispensables à l'accomplissement des missions de service
public dans leur véritable dimension. La boucle est
bouclée !
(2) Quelques pistes
Il ne
s'agit pas ici de proposer un tableau des conditions de
légitimité du secteur public en fonction des différentes
approches possibles, mais d'insister sur ce qui paraît être la
condition sine qua non d'une restauration de son image.
Il est indispensable à cette fin d'articuler de façon
satisfaisante l'énoncé des missions, la définition
d'objectifs stratégiques à moyen terme, l'identification des
moyens financiers disponibles. Il appartient à l'Etat d'assumer ses
responsabilités à cet égard, en tant qu'actionnaire des
chaînes publiques.
L'avis budgétaire de la commission des affaires culturelles sur le
projet de budget pour 1997 présentait déjà cette triple
exigence en mettant en relief les inconvénients de l'effacement de
l'Etat actionnaire dans la gestion des chaînes publiques. La
démonstration, reproduite ci-dessous, insistait sur l'importance de
recourir à l'instrument des contrats d'objectifs. Elle reste valable en
tous points.
QUELQUES CONDITIONS PREALABLES A L'AFFERMISSEMENT DE LA LEGITIMITE DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC
Les
cahiers des missions et des charges de France 2 et de France 3, ambigus et
parfois contradictoires, présentent des formulations trop
générales pour constituer de véritables axes d'actions. Il
est de fait que le préambule commun aux deux cahiers énonce une
série assez peu opérationnelle de principes
généraux : rassembler le public le plus large, apporter au public
information, enrichissement culturel et divertissement, aborder tous les
genres, proposer une programmation particulièrement riche et
diversifiée dans le domaine culturel et à l'intention de la
jeunesse, porter systématiquement attention à
l'écriture... En outre, France 2 doit offrir une gamme
diversifiée et équilibrée de programmes tandis que France
3 doit affirmer sa vocation particulière de chaîne
régionale et locale en fonction d'une liste extrêmement fournie,
une nouvelle fois, de propositions : privilégier l'information
décentralisée, accorder une place importante aux journaux
régionaux d'information, faire connaître les régions de
France et d'Europe...
Comme le relève avec une ironie appuyée le rapport final de la
mission d'audit à propos du cahier des charges de La Cinquième,
"
soit ; et puis quoi encore ? Pourquoi pas, au-delà de la paix
civile en Europe, réaliser la paix du monde ?
"
Des contrats d'objectifs pourraient transformer en orientations
concrètes ce que les cahiers des charges ont d'excessivement
littéraire. La loi du 17 janvier 1989 prévoyait en son article 21
la faculté, pour l'Etat et les organismes de l'audiovisuel public, de
conclure de tels contrats annuels ou pluriannuels. L'expérience a
été tentée pendant la période 1990-1992. Mais,
comme le relève un rapport de la Cour des comptes sur les comptes et la
gestion d'Antenne 2 (1985-1989 avec actualisation à 1990) : "
le
contrat d'objectifs paraît être d'un intérêt
limité. En effet, il ne définit que des orientations
stratégiques vagues, ne prévoit aucune sanction, ne comporte que
des clauses très sommaires sur la gestion (productivité,
effectifs, modernisation), mentionne des indicateurs peu nombreux et peu
contraignants (" faire, en 1992, au moins aussi bien qu'en 1989 "),
garde le silence sur les moyens, notamment financiers, à mettre en
oeuvre : l'absence de signature de ce document par le ministre des Finances
est, à ce dernier égard, significatif. Le contrat ne renforce pas
l'autonomie de l'entreprise et n'incite guère ses dirigeants à
moderniser leur gestion. Tout au plus reflète-t-il un consensus sur les
objectifs les moins contestables "...
L'utilité potentielle des contrats d'objectifs comme instruments
d'orientation de l'audiovisuel public fait pourtant l'objet d'une remarquable
unanimité. Dans son rapport publié en septembre 1993, la
commission sur l'avenir de la télévision public,
présidée par M. Jacques Campet, préconise, avec
l'élagage des cahiers des charges, la conclusion de contrats d'objectifs
soumis à renouvellement périodique selon des modalités que
votre rapporteur rappellera ci-dessous.
Si l'on quitte les textes pour examiner la pratique, les cas symptomatiques de
l'" absence " de l'Etat ne manquent pas. Les conditions de
l'engagement de France Télévision dans la diffusion satellitaire
numérique, avec le lancement du bouquet satellitaire numérique
TPS, illustrent ainsi de façon moins " dramatique " mais plus
inquiétante que l'affaire des contrats, car il s'agit de la
stratégie à long terme d'évolution de l'audiovisuel
public, la difficulté qu'éprouve l'Etat à assumer ses
responsabilités. Cette affaire a été engagée et
continue d'évoluer sans que soient clairement posés et
résolus par les autorités compétentes un certain nombre de
problème cruciaux : les engagement financiers que l'Etat est
disposé à assumer pour assurer le lancement du bouquet,
l'opportunité de créer des chaînes thématiques
susceptibles d'entrer dans sa composition, la gratuité de l'accès
au numérique public ou le recours à l'abonnement, les
modalités d'établissement de partenariats avec des diffuseurs ou
éditeurs de programmes privés, les domaines dans lesquels la
création de chaînes thématiques publiques peut être
légitimement envisagée, le choix des systèmes de
décodage.
Or, il faut constater l'obscurité des critères qui ont
présidé à la décision de faire participer France
Télévision au bouquet satellitaire TPS. Les déclarations
ne font pas défaut, mais leur caractère lacunaire et
contradictoire surprend.
M. Elkabbach a indiqué, lors de sa dernière audition, par votre
commission, en mai dernier, que l'engagement de France Télévision
sur le marché des nouvelles technologies de l'audiovisuel était
conforme à sa mission et que la présence de France
Télévision à hauteur de 25 % au capital de la
société TPS permettrait au secteur public de peser sur les choix
stratégiques de ce bouquet numérique. L'explication paraît
courte compte tenu des enjeux financiers de la démarche.
Un peu plus tard, à la fin de juillet dernier, le rapport d'audit de
M. Bloch-Lainé, notant que les pouvoirs publics n'avaient pas
encore annoncé le cap, et que les chaînes publiques, en attendant
des consignes plus claires, avaient abordé le problème en ordre
dispersé, approuvait néanmoins cette démarche comme
s'inscrivant dans une logique d'entreprise, sans s'inquiéter cependant
de la possibilité d'articuler la " logique d'entreprise " dont
on ne trouve la définition dans aucun document officiel applicable
à France Télévision, avec les missions de service public
des chaînes.
Entre-temps, le nouveau président de France Télévision
avait réduit la part du groupe dans TPS à 8,5 % tout en
maintenant la décision d'apporter au bouquet plusieurs programmes
thématiques en cours de constitution. Pour M. Xavier
Gouyou-Beauchamps, c'est le postulat de l'utilité de l'offre
audiovisuelle publique qui justifie sa présence sur les supports
numériques. Cette explication est plus précise que celle de son
prédécesseur, mais n'implique pas forcément la
participation de France Télévision au capital d'un
opérateur de bouquet.
Autre auteur, autre explication, une annexe du rapport Bloch-Lainé
estime que si elles ne sont pas présentes sur les bons supports aux
meilleures conditions technologiques du moment, les chaînes publiques
perdront progressivement leur légitimité et qu'en outre, l'Etat a
pour mission de "
montrer la voie, s'agissant de technologies nouvelles
susceptibles d'avoir un tel impact sur les comportements
audiovisuels
. "
L'Etat est enfin évoqué, une mission lui est assignée par
un des auteurs du rapport Bloch-Lainé. Il surgit ainsi dans le dossier
TPS par un chemin de traverse alors que l'on aurait été en droit
de l'attendre, l'Etat actionnaire, au point de départ de l'affaire pour
en identifier les objectifs, en délimiter les conditions, en garantir le
financement. Rien de tel, au contraire, les initiatives menant à une
nouvelle diversification du secteur public de l'audiovisuel paraissent
abandonnées à la sagacité aléatoire des dirigeants
successifs de France Télévision.
Que conclure de ces développements ? Il paraît établi qu'en
l'absence d'un énoncé suffisamment explicite de ses missions et
de ses objectifs, l'audiovisuel public fait figure de " bateau ivre "
dérivant ou tenant un cap arbitraire au gré de l'inspiration de
ses dirigeants. Ce n'est assurément pas le meilleur moyen de le
préparer à affronter les bouleversements qui se profilent. Quand
des centaines de chaînes numériques seront proposées
gratuitement aux téléspectateurs, seule l'existence d'une mission
d'intérêt général bien définie justifiera le
maintien d'un secteur public fort et son financement par la redevance. Il
importe que l'Etat se préoccupe de définir cette mission et se
donne les moyens d'en contrôler l'exécution.
Que démontre cette analyse en fin de compte ? La nécessité
juridique d'améliorer les textes qui régissent l'audiovisuel
public d'abord ; mais aussi et surtout la nécessité d'une
véritable prise de responsabilité du politique :
l'engagement du gouvernement doit relayer la lucidité du parlement.