6. La desserte des hinterlands est stratégiquement importante
On a vu précédemment que les pré et post-acheminement terrestres (desserte des hinterlands) représentaient le deuxième poste dans le coût du transport global. Cela dénote leur importance, mais ils ne constituent qu'une partie des acheminements terrestres portuaires, car tôt ou tard et sous une forme ou une autre, les produits qui restent au port doivent être diffusés physiquement depuis ou vers les divers points du territoire, soit directement, soit après transformation, conditionnement ou stockage dans une unité située « au bord de l'eau ». Ainsi, le port n'est souvent qu'une étape. Les produits pétroliers bruts y sont raffinés, l'acier fondu, les produits agro-alimentaires conditionnés, les céréales stockées dans les silos, mais toutes proviennent ou sont à destination d'une localisation terrestre. Certains produits sont néanmoins consommés sur place par exemple dans le cas où une usine de production d'électricité est située près du port.
Faute de statistiques précises, on estime que 30 à 45 % des tonnages subissent un traitement dans le port et sont donc considérés comme étant originaires ou destinataires du port. Les données dont nous avons disposé jusqu'en 1992 (source SITRAM) concernaient au contraire les destinations directes des produits.
Nous reprenons dans le graphique ci-après la statistique SITRAM 1989 du trafic maritime français total (y compris ports étrangers) par région en termes de valeur (en milliards de francs).
Nous constatons que six régions françaises représentent ensemble les deux tiers du trafic maritime français 44 ( * ) . Quatre d'entre elles sont une bordure littorale ; une autre (Ile-de-France) n'est pas très éloignée de la mer. Cela laisse à penser que la distance moyenne de l'hinterland desservi par les ports est assez courte et que celui-ci ne dépasse pas souvent 150 km. Le rapport Belmain estime que seulement le quart du trafic est expédié en longue et moyenne distance.
Trafic maritime français total par région en 1989
Cette impression d'hinterland proche est confirmée par une étude de l'OEST 45 ( * ) qui trace les cartes géographiques décrivant l'hinterland des principaux ports, étude où l'on remarque cependant que les ports de plus grande diffusion relative sont l'ensemble Rouen-Le Havre, ainsi que Calais (pour le trafic roulier). À titre d'illustration, nous reproduisons ci-après, dans une version simplifiée, l'une de ces cartes (importations par le port de Nantes - Saint-Nazaire en 1991 - Produits pétroliers exclus).
Importations par le port de Nantes - St-Nazaire en
1991 :
Trafics (6,7 Mt)
Source : Élude réalisée par C. Jonchère, sous la direction de G. Dumartin « Échanges maritimes français et hinterlands portuaires », OEST, SES, décembre 1995
Parmi les modes de transports terrestres utilisés à partir des ports, la route est majoritaire, voire hégémonique, représentant une part de marché en tonnage de l'ordre de 75 % 46 ( * ) . La première explication de ce score tient précisément dans les courtes distances à effectuer où le mode routier est souverain par ses qualités de rapidité, de disponibilité, de flexibilité, et surtout son caractère peu substituable (desserte à la porte du client final).
Mais pour des plus longues distances, la route est également prédominante bien que son avantage-prix ne soit pas forcément avéré. Nous avons effectué à titre indicatif un calcul basé sur les statistiques EUROSTAT pour 1992 47 ( * ) entre la France et les pays limitrophes (dont le Bénélux). Les parts de marché en tonnage des trafics communautaires sont de 64 % pour la route et de 12 % pour chacun des trois modes alternatifs ferroviaires, voies navigables, maritime. Nous manquons malheureusement de sources qui nous fourniraient les parts de marché depuis les ports. Nous pouvons néanmoins, sur ces bases, constater l'attractivité de la route. Celle-ci est telle que de nombreux intervenants ont regretté que les pouvoirs publics aient privilégié la construction d'autoroutes orientées Nord-Sud qui favorisent le trafic en provenance ou à destination des ports concurrents d'Anvers et Rotterdam. Cela est indéniable, mais les autoroutes répondent à d'autres objectifs : elles sont justifiées économiquement par le trafic de voitures particulières et par l'objectif d'irriguer des axes essentiels économiquement pour le pays, tels l'axe Nord-Sud, via Paris et Rhône-Alpes.
Les parts de marché des autres modes de transport en relation avec les ports sont d'un ordre de grandeur certainement beaucoup plus modeste. Le cabotage maritime n'est pas négligeable en trafic communautaire, mais est beaucoup plus confidentiel en France. La voie navigable est très bien exploitée sur la Seine et sur les canaux du Nord. Mais le Rhône est beaucoup moins fréquenté malgré la présence de la zone lyonnaise. Hors produits pétroliers, le trafic fluvial est d'environ 5 MT. Il est constitué essentiellement de vracs (charbons, céréales, minerais), mais le transport de conteneurs maritimes commence à se manifester en dehors du secteur rhénan. Les trafics réalisés sont encore faibles, mais ils devraient assez rapidement dépasser 10 000 conteneurs par an sur les canaux du Nord et sur la Seine.
Le chemin de fer fait l'objet de nombreuses attentes de la part des intervenants portuaires. Hors produits pétroliers (transports par pipe-line), le trafic ferroviaire est d'environ 17,3 MT, les tonnages principaux étant de 4,5 MT à Dunkerque, 3,0 MT à Rouen, 2,6 MT à Marseille et 2 MT au Havre. Les tonnages expédiés par fer peuvent fluctuer en fonction de la conjoncture pour les vracs solides en particulier pour les céréales et les charbons. Les trafics de minerais concernent pour l'essentiel Dunkerque 48 ( * ) .
Bénéficiant d'ores et déjà d'avantages pour les transports du vrac par trains entiers et pour le juste-à-temps, on attend de lui qu'il soit le vecteur privilégié de la desserte des hinterlands éloignés pour le trafic des conteneurs originaires des ports français. Le trafic des conteneurs par fer a représenté 294 000 EVP en 1995, dont 139 000 au Havre et 105 000 à Marseille-Fos ce qui représente 10 à 20 % du total. La proportion de conteneurs vides est d'environ 40 %.
De fait les parts de marchés ferroviaires du trafic des conteneurs augmentent avec la distance parcourue jusqu'à devenir totales au-delà de 1 000 km lorsque ne se présente pas une barrière naturelle défavorable au train.
Par ailleurs, le train est un mode de transport industriel d'autant plus pertinent et rentable que les flux sont massifiés, ce qui permet d'acheminer le trafic par trains entiers. C'est ainsi qu'à partir de Rotterdam, sont organisées, pour les conteneurs, plus de 25 connexions ferroviaires vers l'Europe, à partir d'Anvers plus de 20, tandis qu'il n'y en a que 4 à partir du Havre et 2 à partir de Marseille. Ainsi, les quantités unitaires manipulées paraissent insuffisantes en France pour promouvoir à grande échelle la technique « navette » qui consisterait en la mise en circulation régulière de trains entiers. De ce fait, la SNCF utilise plutôt la technique, plus onéreuse mais mieux adaptée, du « hub » où les trains sont acheminés dans le point nodal de Villeneuve-St-Georges pour y être remaniés en fonction de leurs origines et destinations.
D'autres éléments pénalisent la desserte ferroviaire : priorité quasi-systématique donnée aux trains de voyageurs, congestions à la traversée de la région parisienne, et dans les noeuds ferroviaires les plus importants, pénalisation à la traversée des frontières du fait de la multiplicité des compagnies ferroviaires concernées.
La priorité donnée aux trains de voyageurs se fait sentir en fin d'après-midi et en début de matinée pour les trains de fret circulant la nuit. Pour les trafics intra-européens, les effets de cette priorité seront sensibles sur l'ensemble de la journée ; il serait donc nécessaire de disposer de sillons de jour pertinents et efficaces.
Une partie des congestions en région parisienne pourrait être évitée si le trafic en provenance du Havre empruntait l'itinéraire dit de Grande rocade Nord, via Amiens et Reims. Électrifier entièrement cette ligne serait prohibitif, mais la SNCF, sur la suggestion du port autonome, étudie la possibilité de mettre en circulation des trains diesel lourds.
La traversée des frontières est un problème qui a été traité partiellement par la directive communautaire 91-440, laquelle permet, dans certaines conditions, le passage de trains internationaux appartenant à des regroupements d'entreprises ferroviaires distinctes ou non des compagnies traditionnelles. C'est ainsi qu'aux Pays-Bas a été créée une société ferroviaire regroupant des armateurs et les chemins de fer néerlandais (filiale fret). Mais les autorités communautaires voudraient aller plus loin et mettre en place des « freight freeways », corridors ferroviaires européens accessibles par les compagnies d'exploitation depuis un « guichet unique ». En cette matière, les Néerlandais ont donné leur accord pour que la Commission de l'Union européenne officialise incessamment des itinéraires desservant l'Italie depuis Rotterdam. Les autorités françaises ont une position délicate.
Beaucoup plus réservées dans un premier temps, du fait de la crainte d'écrémages au détriment de la SNCF, mais aussi de la desserte diffuse du territoire, elles pourraient proposer des axes reliant les ports français sur la base d'une coopération entre gestionnaires d'infrastructures ferroviaires.
Les corridors ferroviaires transeuropéens de marchandises La Commission de l'Union européenne a adopté en juillet 1996 un « Livre Blanc sur la revitalisation des Chemins de fer communautaires » en vue de relancer la politique ferroviaire communautaire. Le Conseil des ministres communautaires de décembre 1996 a retenu, parmi les nombreuses propositions du Livre Blanc, la suggestion de poursuivre l'étude de mise en place de « corridors internationaux de fret » (freeways), pour résoudre les problèmes qui se posent dans le domaine du transport ferroviaire transfrontière de marchandises. Il s'agit pour les États membres et les gestionnaires d'infrastructures d'ouvrir, sur une base volontaire, l'accès à des corridors ferroviaires importants, sans attendre l'adaptation de la législation communautaire, dans l'espoir de promouvoir ce modèle de transport. Sur ces bases, tous les opérateurs ferroviaires détenteurs d'une licence communautaire (existants et nouveaux arrivants) bénéficieraient d'une liberté d'accès « équitable, loyale et non discriminatoire ». L'usage des infrastructures serait facilité et simplifié, par exemple en créant des guichets uniques d'accès, en mettant en place des systèmes tarifaires simples, attrayants et transparents, en veillant à ce que l'attribution des sillons horaires soit rapide et simple, en recherchant les moyens d'assurer au fret un degré adéquat de priorité par rapport aux trains de voyageurs, en s'efforçant d'éliminer ou de réduire les temps d'attente aux frontières. À noter que de nombreuses questions juridiques, techniques et d'acceptabilité par les instances en charge de la concurrence restent à approfondir pour permettre la mise en oeuvre de ces corridors. Lors du Conseil de juin 1997, le ministre français des transports a « proposé que la mise en place éventuelle de corridors se fasse sur la base d'accords de coopération entre les entreprises gestionnaires » (c'est-à-dire selon une formule moins ouverte que ne le souhaite la Commission). Sur ce principe, a été annoncé pour janvier 1998 la création d'un corridor Muizen - Anvers (Belgique) - Bettembourg (Luxembourg) - Sibelin -Venissieux (Lyon). Par ailleurs, le ministre a préconisé l'établissement de corridors Est-Ouest pour les ports français. |
* 44 A corriger pour une certaine surestimation de l'Ile-de-France inhérente à la méthodologie de la prise de données.
* 45 Échanges maritimes français et hinterlands portuaires, OEST, décembre 1995.
* 46 Source : dire d'expert.
* 47 Flux de trafic entre les États membres de l'Union européenne, hors conduites en tonnage, d'après des statistiques Eurostat citées par la Commission des Communautés européennes.
* 48 Source : Rapport « Belmain » .