6. Des schémas et chartes pour favoriser l'intégration des ports dans les chaînes de transport et dans leur environnement géographique
6.1 Le futur schéma d'aménagement des ports maritimes
La loi d'orientation pour le développement et l'aménagement du territoire du 4 février 1995 prévoit la réalisation d'un schéma d'aménagement des ports maritimes élaboré en coordination avec les autres schémas sectoriels de transport et le schéma national. Il s'agit d'un document inédit. Ce schéma a pour objectif, selon la loi, de « définir les grandes orientations de l'organisation portuaire, eu égard à leurs différentes vocations, et conforter le développement à moyen terme des sites portuaires, en intégrant leur desserte par rapport à leur arrière-pays ».
Sans préjuger du produit final d'un travail en cours d'élaboration, la Commission « réseaux et territoires » animée par la DATAR a dégagé, en 1996, ce que pourraient être les objectifs d'une politique portuaire française en termes de développement économique et d'aménagement du territoire. Ils s'appuient sur une hiérarchisation des différentes places portuaires. En priorité, il s'agit d'« assurer à la France des places portuaires d'envergure internationale » ; cela signifie être sélectif sur un nombre limité de grands projets, moderniser et s'adapter aux réalités du marché, optimiser l'exploitation des équipements existants et remettre à niveau les infrastructures en mauvais état. Le deuxième objectif consiste à « renforcer la contribution des places portuaires d'envergure nationale au développement économique interrégional » ; ces places portuaires de deuxième niveau sont appelées à jouer le rôle de « pôle d'entraînement économique », dépassant le cadre régional dans les zones prioritaires d'aménagement du territoire. Enfin, le troisième objectif correspond au soutien de « l'activité des ports au plan régional lorsqu'elle est essentielle pour le maintien et le développement de secteurs économiques » ; il s'agit des ports présentant un intérêt local dont le soutien provient essentiellement des secteurs économiques et des collectivités. Parmi les moyens nécessaires à la réalisation de ces objectifs, figure, outre l'achèvement des réformes portuaires déjà entamées, l'insertion du système portuaire français dans le réseau européen de grandes communications terrestres, y compris les plates-formes multimodales.
Les travaux engagés par la Direction des ports sont basés sur un cadrage macro-économique s'appuyant sur des scénarii classiques de croissance à l'horizon 2015 et mené en cohérence avec les autres modes (voir chapitre I, paragraphe 4.2). Ce cadrage est complété par une analyse fine des perspectives d'évolution des trafics par secteurs. Ces éléments permettent de préciser les différentes vocations portuaires et leurs perspectives d'évolution, donc établir une classification parmi les ports en fonction de leur importance, de leur polyvalence ou de leurs spécialisations. La phase suivante consiste à déterminer les conséquences en terme d'aménagements, c'est-à-dire juger les capacités à satisfaire la demande à l'horizon envisagé et évaluer les infrastructures lourdes à réaliser. Enfin, le schéma prévoit de clarifier les rôles respectifs de l'État et des différents acteurs portuaires (collectivités locales, opérateurs privés), en particulier en ce qui concerne les financements à prévoir et de le mettre en cohérence avec ceux des autres secteurs, concernant les dessertes terrestres, par exemple.
Il s'agit d'un exercice difficile à mener à bien en raison de la problématique assez complexe de la filière portuaire. Plusieurs difficultés sont à surmonter. Tout d'abord, l'État n'est pas complètement maître du jeu, puisqu'en définitive, ce sont les armateurs et chargeurs opérant sur les marchés mondiaux qui choisissent librement leurs ports de transit et déterminent ainsi la vocation internationale de ceux-ci. De plus, l'État doit faire preuve de sélectivité pour être efficace et cohérent dans ses choix, sans montrer un dirigisme excessif qui risquerait de brider les initiatives locales. Enfin, il ne saurait faire preuve d'un « laissez-faire » dangereux susceptible d'entraîner des suréquipements coûteux et une concurrence néfaste entre ports français ; il ne s'agit pas de se tromper de concurrents. Le bon équilibre sera difficile à trouver.
6.2 Le schéma routier national favorise la desserte des ports
Les ports maritimes ont longtemps été les grands oubliés des différents schémas nationaux autoroutiers qui se sont succédé depuis les années soixante. On cite souvent le cas de l'autoroute desservant Deauville, alors que Le Havre a longtemps été laissé à l'écart. Plus généralement, il est souvent relevé que l'orientation générale nord-sud des grands axes autoroutiers français tend plutôt à favoriser les grands ports du Bénélux que ceux implantés sur les côtes françaises de la Manche et de l'Atlantique. L'objectif correspondait plus logiquement à la nécessité de satisfaire la demande de trafic général dont les flux sont principalement orientés nord-sud. Actuellement, les tronçons les plus chargés des autoroutes concédées, mesurées par l'intensité kilométrique journalière, sont A7 de Lyon à Orange (67 000), A6 de Beaune à Lyon (63 000), A9 d'Orange à Narbonne (53 000), Al de Paris à Lille (52 000)... Les axes transversaux en service sont nettement moins chargés : A61 de Bordeaux à Narbonne (24 000), A11 de Nantes au Mans (19 000), A26 de Calais à Reims (14 000)...
Il convient également de rappeler que les trafics de véhicules légers constituent l'essentiel du trafic autoroutier, donc des recettes de péage des concessions. Sachant que le trafic des poids lourds représente un peu moins de 20 % du trafic total et que la recette kilométrique de ceux-ci équivaut en moyenne à 1,8 fois celle d'un véhicule léger, la part des recettes des poids lourds représente 30 % de la recette générale. Au prorata du tonnage transporté, les camions desservant les ports ne représentent plus que 8 % du trafic de marchandises et donc de l'ordre de 2,5 % de la recette potentielle des sociétés d'autoroutes. Il n'est donc pas surprenant que la desserte des ports maritimes ne fût pas au premier rang des préoccupations des concepteurs des schémas autoroutiers initiaux.
Cependant, comme 75 % du trafic des ports maritimes français quittant la zone portuaire passent par la route et que d'importants gains de productivité sont à attendre de l'amélioration des dessertes terrestres, il n'est pas étonnant non plus que les demandes se fassent insistantes en faveur de la réalisation d'autoroutes de desserte des ports.
Depuis une dizaine d'années, l'intérêt des ports est pris en compte dans les schémas directeurs routiers nationaux. Le schéma directeur de 1986 a prévu « quatre grandes liaisons autoroutières ouest-est ne passant pas par Paris et permettant d'élargir l'arrière-pays de nos ports » :
- Le Havre (et Rouen) - Amiens - Saint-Quentin
- Bordeaux - Clermont-Ferrand - Lyon
- Nantes - Tours - Orléans - Troyes
- Nantes - Tours - Vierzon - Clermont-Ferrand et « deux grandes liaisons autoroutières nord-sud évitant Paris par l'ouest » :
- Calais - Rouen - Le Mans - Tours - Bordeaux
- Caen - Nantes - Bordeaux
Cette dernière liaison, en partie non concédée et section d'un itinéraire dénommé « autoroute des estuaires », élargit la gammedes destinations, mais reliant les ports entre eux, favorise la concurrence entre ceux-ci et rend encore plus difficile l'alternative de transport que constitue le cabotage maritime.
Le schéma directeur de 1988 complétait le précédent et prévoyait dans ses objectifs de « désenclaver nos façades maritimes ».
Le schéma routier national en cours, défini par l'arrêté du 1 er avril 1992, ajoute 900 km au réseau d'autoroutes décidé et engagé précédemment et reconnaît, parmi ses objectifs, que « la desserte routière de nos ports est encore insuffisante et nuit à leur compétitivité ». Il ajoute comme nouvelles liaisons (autoroutes ou routes assurant la continuité du réseau autoroutier) : le pont de Normandie relié avec A13, Caen-Falaise et La Rochelle-Rochefort.
Dans le cadre des travaux préparatoires au XI e Plan mené au niveau interministériel au Commissariat général du Plan (groupe « Transports 2010 » en 1992 et Atelier sur les orientations stratégiques de la politique des transports en 1993), la Direction des routes a clairement affiché parmi ses priorités l'intégration des façades maritimes à l'Europe et classé en première et deuxième urgences la presque totalité des programmes s'y rapportant.
Avec l'accélération du programme autoroutier de 1994, le retard relatif pris en matière de desserte portuaire est en voie d'être résorbé. À titre d'exemple, on peut citer parmi les opérations récemment réalisées ou engagées :
- A29 Le Havre - Yvetot - Amiens - Saint-Quentin
- A28 Rouen - Abbeville
- Pont de Normandie et liaison avec Al3
- Rocade des estuaires Rouen - Caen - Rennes - Nantes (avec les réserves vues précédemment)
- A16 Boulogne - Amiens - Abbeville
- A83 Nantes - Niort
- A89 Bordeaux - Clermont-Ferrand, etc
Par ailleurs, d'autres infrastructures routières intéressent directement les ports comme la mise à deux fois deux voies de la RN 31 de Rouen à Reims et de la RN 154 de Rouen à Chartres et Orléans (approvisionnements du port céréalier).
Deux difficultés peuvent être évoquées à ce stade. Concernant les ports de Calais et Dunkerque, l'axe international Londres - Calais - Dunkerque -Copenhague a longtemps été interrompu sur trois kilomètres après la frontière belge. Ce tronçon a finalement été mis en service en juin 1997 avec quatre années de retard, après des manoeuvres de retardement destinées en fait à protéger de la concurrence des ports français une compagnie maritime (la RTM) qui assurait des liaisons transmanche au départ d'Ostende 67 ( * ) (selon le Lloyd anversois du 18 juin 1997). De son côté, Marseille, par ailleurs convenablement desservi par le réseau autoroutier, voit deux projets mis en question en raison de leur impact sur l'environnement : A51 Grenoble-Sisteron, alternative à l'autoroute de la vallée du Rhône ; A8 bis en direction de l'Italie avec une nouvelle percée alpine dans le massif du Mercantour.
Malgré ces difficultés ponctuelles, la desserte routière des ports français s'est nettement améliorée au cours des dernières années, notamment au Havre, et l'achèvement du schéma directeur national devrait supprimer les dernières insuffisances de desserte à l'horizon 2005. Il reste que pour des raisons conjoncturelles, les engagements de programme ont parfois été menés de façon dispersée alors que la réalisation successive d'axes complets aurait démontré une meilleure cohérence et plus d'efficacité.
6.3 Le transport ferroviaire de fret constitue une question vive
6.3.1 Une meilleure desserte des ports par la SNCF constitue une attente vive des partenaires
Les autorités portuaires sont à juste titre extrêmement désireuses de voir développer leur hinterland. Actuellement, l'essentiel du trafic (75 à 80 %) est acheminé par la route, mais au-delà d'une certaine distance de l'ordre de 600 à 800 kilomètres, le moyen privilégié de transport des marchandises devient la voie ferré, dont un des atouts essentiels, le transport combiné, est particulièrement adapté aux trafics de conteneurs. Bien que ne représentant globalement que 12 milliards de tonnes-km sur un total ferroviaire de 48 Mds t-km et un total tous modes de 295 Mds t-km en 1996, la part du transport combiné fer-route est celle qui croît le plus vite surtout depuis 1990 comme le montre le graphique ci-après
Évolution du trafic de marchandises
(en
tonnes-km, base 100 en 1986)
C'est pourquoi beaucoup de responsables portuaires estiment que le ferroviaire constitue le vecteur principal d'extension de leur hinterland. Cependant, le développement du transport par voie ferrée à partir des ports se heurte à un certain nombre d'obstacles de natures physique et économique. Comme obstacles physiques, on peut citer, par exemple pour le port du Havre, l'éclatement des terminaux maritimes peu propice à une desserte ferroviaire et surtout le goulet que constitue la région parisienne où certaines sections du réseau sont saturées. Comme obstacles économiques, on peut évoquer, toujours pour le port du Havre, la barrière constituée par le Rhin qui draine les trafics vers les ports du Nord de l'Europe et fait écran à un développement vers l'Allemagne méridionale, et surtout la difficulté à trouver des flux de trafic suffisamment étoffés pour s'organiser en dessertes compétitives.
Actuellement, la SNCF échange avec les ports 17 M de tonnes de marchandises, dont les deux tiers du trafic conteneurisé à partir du Havre. Le ferroviaire représente 18 % des parts de marché de ce port ce qui constitue un des plus élevés ratios d'Europe après Hambourg (40 %). Malgré l'importance globale de ces flux, il est difficile de trouver des flux suffisamment concentrés et équilibrés pour constituer des trains navettes. Un trafic de point à point de 150 000 à 200 000 tonnes annuelles est nécessaire pour justifier une exploitation sous cette forme. Aussi, la SNCF préfère développer la technique du « hub » qui répond mieux à des dessertes peu massifiées et permet de desservir l'ensemble du territoire français plus quelques villes européennes comme Francfort ou Milan. Cette technique se heurte cependant à la difficulté que constitue la priorité accordée aux transports de voyageurs, soit au niveau des grandes lignes (y compris TGV) dans leur approche terminale urbaine, soit au niveau des lignes régionales de desserte d'agglomération.
Sur le réseau national, le transport de marchandises s'effectue par « sauts de nuit ». La mise en oeuvre d'une desserte européenne correspond à un cas de figure différent. Il convient de trouver des sillons efficaces et s'affranchir des difficultés aux traversées de frontières. D'où l'idée développée par certains pays plus avancés en matière de libéralisation du transport ferroviaire de créer des itinéraires internationaux de fret : les corridors de fret. Dans l'état actuel du projet envisagé par la Commission européenne, les premiers corridors relient la mer du Nord (Rotterdam et Hambourg) et le sud de l'Italie en passant tous par l'Allemagne. La création de couloirs supplémentaires de l'Allemagne à l'Espagne et du Royaume-Uni à la Hongrie est à l'étude. La mise à l'écart des ports français a suscité des réactions négatives de la part des responsables français. La position de la France sur ce thème est pour le moins inconfortable, compte tenu de la réticence à accepter des opérateurs internationaux de fret privés et publics sur le réseau national. Le Directeur de fret de la SNCF se déclare néanmoins prêt à présenter une contre-proposition concernant un des axes nord-sud et des liaisons entre les ports français et les grands itinéraires européens, (voir paragraphe 10.4 sur les politiques européennes).
6.3.2 Les investissements ferroviaires utiles au Havre et aux autres ports français
Le directeur du port du Havre a manifesté de façon claire son souci de répliquer à l'offensive des transporteurs néerlandais et d'élargir son hinterland vers l'est et le nord. Pour contrer l'opérateur hollandais ERS (European Rail Shuttle) qui envisageait de créer une navette ferroviaire entre Rotterdam et Lyon, le port du Havre a mis en place avec CNC (filiale de transport combiné de la SNCF) une navette ferroviaire entre le port et Lyon. D'autres liaisons vers des villes européennes comme Milan, Bâle ou Bologne sont également envisagées.
Mais l'objectif visé par le port reste la création d'un axe lourd ferroviaire vers l'est entre Le Havre et Metz, ce qui ouvrirait la voie vers l'Allemagne du sud, la Suisse et l'Italie du nord, l'hinterland cible couvrant une zone de 600 à 1 500 kilomètres. L'infrastructure existe via Amiens (« Rocade Nord ») et supporte actuellement de faibles trafics. Sa modernisation par électrification est estimée par la SNCF à 1,7 à 1,9 milliard de francs. Une autre possibilité à l'étude consisterait à mettre en circulation des trains lourds de 1 500 mètres tractés par diesel, ce qui nécessite un certain nombre de dispositions techniques et notamment l'acquisition de locomotives spécifiques. Outre la question de leur faisabilité, ces solutions sont coûteuses et ne seraient viables commercialement que si un trafic se développe de façon à pouvoir remplir les trains. La SNCF ou RFF ne peuvent assumer seuls le risque commercial correspondant et attendent que des opérateurs (CNC, Novatrans...) s'engagent.
On rappelle enfin l'intérêt que présente la réalisation d'un terminal ferroviaire unique au Havre (actuellement les terminaux conteneurs sont dispersés sur quatre sites), opération prévue dans le cadre du projet Port 2000, et la nécessité de résoudre le problème du brouettage (transport des marchandises dans l'enceinte portuaire).
De son côté, le port de Marseille a proposé un corridor Marseille-Le Havre via Lyon et Paris pour faciliter l'établissement d'un « pont terrestre » (land-bridge) pour le transport combiné des flux maritimes entre le Nord Continent européen et la Méditerranée. Il pourrait faire contre-poids aux corridors Rotterdam - Gênes - Gioia Tauro et Rotterdam - Barcelone actuellement développés par des opérateurs nord-européens.
Par ailleurs, la diffusion aux États-Unis, depuis 1983, de conteneurs hors normes ISO plus longs (48 pieds au lieu de 40), plus larges (8 pieds 6 pouces) et plus hauts (9 pieds 6 pouces), utilisés déjà sur les liaisons transpacifiques, provoque des difficultés d'adaptation dans les ports européens. Elle nécessite de prévoir un certain nombre de rénovations d'ouvrages d'art ferroviaires. C'est ainsi que depuis plusieurs années, la SNCF entreprend la mise au gabarit B+ de la ligne Le Havre-Paris. Il apparaît cependant que les trafics de ces conteneurs ne soient pas aussi abondants que prévus. La question se pose de savoir s'il vaut mieux achever cette opération, sachant qu'il ne reste que trois tunnels à agrandir ou reporter les crédits correspondants, comme le souhaite le port du Havre, sur des premiers aménagements du grand contournement fret au nord de Paris. À court terme, l'utilisation de cette rocade Nord impose un allongement de trajet de 270 kilomètres et est donc nettement plus coûteuse que le passage par le point nodal de Villeneuve-Saint-Georges, via la Grande Ceinture parisienne.
Concernant l'ensemble des investissements nationaux 68 ( * ) , les opérations les plus intéressantes à court terme consistent à faire sauter les goulots d'étranglement. Le contournement fret de Lyon répond à cette attente et est lié à la résorption du noeud dijonnais (utilisation de la ligne de la Bresse et passage par Ambérieu) ; un phasage de projet semble possible et permettrait d'échelonner les dépenses. Une autre opération consiste à développer le fret classique sur la liaison Lyon-Turin, dans l'attente du percement du tunnel de base à l'horizon 2020 ; cela suppose l'acquisition de locomotives tricourant et la réalisation du contournement de Chambéry. Enfin, il convient de remettre à niveau la ligne de Grande Ceinture parisienne, sachant que, dans la situation actuelle, le passage par le point nodal parisien constitue la solution la plus économique pour distribuer le trafic national.
Ces trois opérations, qui concernent la desserte des ports, n'ont pas fait l'objet d'évaluation récente de la part de la SNCF ou de RFF. En tout état de cause, ces organismes peuvent difficilement les prendre seuls à leur charge compte tenu de l'aléa sur les recettes de trafic. La SNCF est tenue d'équilibrer les comptes de son activité fret et RFF, nouvel établissement en charge de l'infrastructure, ne dispose quasiment pas de marge de manoeuvre.
6.3.3 L'aide au transport combiné est en progression
La directive de 1992 précise que le transport combiné concerne tout transport d'une unité de transport intermodal par un mode principal (fer, fluvial et maritime) complété par des parcours routiers les plus courts possibles à partir des points de transbordement (150 km pour les ports fluviaux et maritimes). S'agissant d'un transport extraeuropéen, le maritime intercontinental ne bénéficie pas des mesures en faveur du transport combiné.
Depuis 1983, en France, le transport combiné d'un conteneur de 40 pieds peut s'effectuer avec un poids total de 44 tonnes, au lieu de 40 tonnes pour tous les autres transports routiers de marchandises. Cette disposition figurant au Code de la route a été étendue en France à toutes les unités intermodales du transport combiné. Mais le transport combiné maritime, au sens de la directive, ne bénéficie pas en France (en Allemagne et au Royaume-Uni) de la dérogation à 44 tonnes. Les ports demandent donc cette dérogation et son extension à l'ensemble du combiné maritime.
En outre, des aides financières bénéficient aux terminaux de transbordement (infrastructures et outillage de manutention) et aux matériels dédiés au transport combiné. Pour la France, ces aides varient entre 50 à 65 MF par an (65 MF en 1996 et 50 MF en 1997). Elles devraient être étendues aux terminaux maritimes qui, illogiquement, n'en bénéficient pas jusqu'à présent.
Jusqu'en 1994, l'État consacrait environ 50 MF par an aux transports combinés. Depuis 1995, il accorde une aide exceptionnelle de 300 MF, aide portée à 350 MF en 1996 et 1997, destinée à renforcer la compétitivité de ce mode et à améliorer la qualité des services ferroviaires. Un Conseil national du transport combiné, placé auprès du ministre des Transports, est chargé de veiller au développement de cette forme de transport et d'organiser la concertation entre les différentes parties prenantes. Cette aide accordée à la SNCF a pour effet de réduire le péage d'infrastructure (de 2 à 2,6 centimes par tonne x km) et permet ainsi un abaissement des tarifs et le lancement de nouveaux trains. Cependant, la faiblesse des échanges ferrés en provenance ou à destination des ports fait que le montant de cette aide bénéficiant au trafic portuaire ne dépasse pas 10 % du total. La liaison Le Havre-Lyon a bénéficié de l'aide et est arrivée maintenant à l'équilibre. La ligne Fos-Lyon reçoit actuellement une compensation d'exploitation. Les autres lignes portuaires, comme Dunkerque-Lille ou Bordeaux-Marseille, fonctionnent mal. Enfin, aucun opérateur n'est acheteur de trains sur Le Havre-Strasbourg, ce qui relativise les idées volontaristes de certains intervenants sur les dessertes d'hinterlands profonds.
L'aide au transport combiné provient du fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN) institué par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995. Cette aide peut se justifier dans la mesure où elle favorise le transport rail-route jugé plus favorable pour la collectivité que le transport routier de marchandises pour des raisons environnementales et de sécurité. Elle facilite en outre une activité de réseau en phase de décollage lui permettant d'atteindre un stade de développement correspondant à un niveau d'équilibre financier plus satisfaisant (effet « boule de neige »).
L'annexe 9 présente une esquisse d'un futur schéma des plates-formes multimodales et du transport combiné.
6.4 La desserte fluviale des ports ne constitue qu'une réponse limitée
La desserte des ports par la navigation fluviale reste marginale en France et pourtant il s'agit d'un mode intéressant en raison de son coût réduit, de sa faible consommation d'énergie et de son impact modéré sur l'environnement. Il est intensément utilisé dans les ports de l'Europe du nord comme à Rotterdam ou Anvers, où il représente 45 à 50 % des acheminements terrestres, contre 4 % au Havre et 10 % à Rouen
Grâce au Rhin, Rotterdam est 40 % moins cher que Le Havre pour un transport à destination de Strasbourg. Quelques lignes fluviales de conteneurs ont été récemment mises en place entre Le Havre et Paris (Logiseine) et sur le Rhône (Deltabox) et progressent notablement mais il s'agit d'un trafic limité de quelques milliers de conteneurs par an. La densité démographique et économique moindre, ainsi que la moins bonne navigabilité des grands fleuves français, rendent de toute manière invraisemblables des parts de marché comparables à celles du Bénélux.
La faiblesse du transport fluvial s'explique par l'organisation de la batellerie française, peu de grandes compagnies et subsistance du régime archaïque du « tour de rôle » 69 ( * ) , certains handicaps comme l'obligation de faire appel à la main d'oeuvre des dockers dans les ports pour les transferts de charge et surtout l'insuffisance du réseau français à grand gabarit. Celui-ci, long de 1 900 kilomètres, est composé d'éléments qui ne communiquent pas entre eux : la Seine, le Rhône et la Saône, la Moselle, le Rhin et le réseau du Nord.
D'ailleurs, une politique de réalisation de nouvelles liaisons interbassins à grand gabarit soulève plusieurs questions qui dépassent le cadre de la politique portuaire : concurrence avec le trafic fret de la SNCF, cohérence avec le développement actuel de l'économie plutôt basé sur les transports de produits à haute valeur ajoutée, logique de nouveaux parcours interrégionaux se substituant à des trajets maritimes ou terrestres, intérêt de ces nouvelles liaisons pour les chargeurs, enfin et surtout, réalité incontournable de la géographie qui n'a pas pourvu le territoire français de voies fluviales aussi efficaces que le Rhin ou l'Escaut et d'arrière-pays aussi denses en populations et activités.
Les acteurs du monde portuaire ont des positions contrastées envers le transport fluvial. Certains, comme Marseille, considèrent que ce mode est essentiel au développement du port. D'autres relativisent fortement son importance en raison de sa lenteur qui pénalise particulièrement les trafics de conteneurs dont la forte valeur ajoutée nécessite des délais restreints d'acheminement ; ils font valoir que, même dans le cas favorable du trafic rhénan, les 600 000 EVP transportés annuellement ne représentent que 10 % du trafic portuaire de conteneurs. En ce qui concerne le schéma des voies navigables, les responsables portuaires concernés demandent en priorité de réaliser la liaison fluviale Seine-est, c'est-à-dire entre le bassin de la Seine et la Moselle. Cette liaison favoriserait l'extension de l'hinterland des ports de Rouen et Le Havre. Les études préalables ont été engagées par VNF (Voies navigables de France), mais semblent moins avancées que celles concernant la liaison Seine-nord
Cette dernière n'est envisagée qu'avec circonspection par les responsables portuaires français, qui craignent qu'elle ne profite, comme toutes les infrastructures nord-sud, aux ports d'Anvers et Rotterdam (les batelleries belges et surtout néerlandaises sont en outre nettement plus compétitives). En tout état de cause, le financement prévu par prélèvement sur le FITTVN ne permet pas d'escompter, sans modification notable de l'affectation des montants, une mise en oeuvre rapide de ces deux projets, dont le coût est estimé de l'ordre de 15 milliards chacun. Enfin, le gouvernement vient de renoncer à la liaison Rhin-Rhône qui était prévue par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 et dont les premières acquisitions foncières avaient été entreprises.
Outre les trois liaisons évoquées précédemment, le « rapport Belmain » sur les transports terrestres met en bonne place la maintenance et la restauration du réseau existant. À ce titre, VNF vient de se voir accorder un supplément de dotation en provenance du FITTVN. Des crédits suffisants doivent être consacrés aux dragages, à l'entretien et à la modernisation des écluses, au relèvement des ponts sur certains canaux à grand gabarit (comme Dunkerque-Valenciennes) pour permettre la circulation de bateaux chargés de deux piles de conteneurs et la mise au gabarit de certains tronçons (Seine de Bray à Nogent, canal du Rhône à Sète). Il reste au préalable à améliorer l'interface entre les ports et le transport fluvial, en particulier en ce qui concerne la manutention des cargaisons.
6.5 Les chartes de places portuaires sont destinées à favoriser l'intégration villes-ports
Depuis plusieurs années l'accentuation est mise par les pouvoirs publics sur les relations entre les ports et les villes portuaires qui leur correspondent 70 ( * ) .
La réflexion s'est engagée en 1987 à l'occasion d'un colloque ville-ports. Une association internationale ville-ports est créée, soutenue par la DATAR. Le concept de Charte de Place Portuaire (CPP) est mis au point par les Ministères de l'Équipement et de l'Aménagement du Territoire en vue de remédier au déficit de communication entre villes et ports, et aussi à l'intérieur des ports entre les différentes corporations.
Le CIAT de Troyes, tenu le 20 septembre 1994 a retenu un volet maritime et lancé la proposition des CPP, avec celle des Schémas Concertés de Développement des Estuaires (Gironde, Loire, Seine) et des projets de stations littorales 71 ( * ) .
Les Chartes de Places Portuaires seront des documents de référence globale pour le développement économique des agglomérations et des espaces portuaires. Elles ont vocation à associer l'État, les collectivités publiques et les partenaires socio-professionnels, et pour enjeux de moderniser et d'accroître la compétitivité de la filière portuaire, de développer des activités et des emplois, de promouvoir l'implantation d'entreprises, le tout dans un contexte à la fois économique, urbain et environnemental.
Elles se fixeront un triple objectif
- établir un dialogue entre les responsables des ports et les collectivités locales,
- favoriser les liens économiques et spatiaux entre ville et port,
- contribuer à favoriser le trafic portuaire.
Tout en explicitant les options d'environnement concernant l'aménagement de l'espace, elles prendront en compte les opérations d'investissement tant strictement portuaires que relatives à la desserte terrestre multimodale des ports. Elles pourront constituer une référence dans l'attribution par l'État des crédits contractualisés ou affectés ainsi que pour décider d'autres interventions financières de droit commun qui feront l'objet d'un examen interministériel
La DATAR et la DTMPL ont reçu des candidatures de toutes les places pressenties, sièges des ports autonomes et d'intérêt national, sauf Toulon. Parmi les demandes reçues fin 1995, la DATAR a choisi de ne retenir en vue de l'élaboration des CPP, que celles où s'engagent conjointement la ville, le port, le département et des partenaires privés. Sept demandes sur 26 sont retenues à ce stade, principalement sur le littoral Atlantique : Brest, Lorient, Concarneau, Nantes-Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne.
Parallèlement à cette démarche, on observe un début de rapprochements entre les ports. Des commissions interportuaires sont créées : Nantes-Saint-Nazaire, Rouen-Le Havre, Brest-Lorient. La coopération se développe dans les secteurs d'intérêt commun. Une coopération internationale a démarré dans le cadre de l'Arc atlantique.
Pour la redynamisation de l'activité des ports, le CIAT de Troyes avait promis trois volets d'action la réforme de la manutention, l'amélioration de la desserte terrestre des ports et la réforme de l'organisation du statut portuaire. La procédure Charte de Place Portuaire, doit accompagner cette réforme. Quatre thèmes dominent :
- un thème spatial et urbain : les villes devant reconquérir leur domaine portuaire et maritime ;
- la recherche des activités industrielles ou de services qui peuvent exploiter une localisation littorale ;
- la promotion de la recherche et la formation en liaison avec ces activités ;
- l'amélioration de la maîtrise logistique maritime et terrestre (pôles logistiques, meilleure desserte terrestre, compétitivité).
La signature des CPP devrait intervenir fin 1997-début 1998, sauf orientation nouvelle. La question est posée de savoir si ces contrats ne sont pas parfois très ambitieux et ne risquent pas de générer des doubles emplois 72 ( * ) . Il reviendra en tout état de cause aux préfets d'engager les actions qui pourront être éligibles à un financement de l'État, en particulier sur les fonds interministériels mis en oeuvre au titre de la loi d'aménagement et de développement du territoire, ainsi que sur les fonds européens. La DATAR souhaite qu'elles soient prises en compte dans les futurs Contrats de Plan. Elles devront être compatibles avec le Schéma National d'Aménagement et de Développement du Territoire et les schémas sectoriels concernés, ainsi qu'avec les documents de planification locale et régionale. Des comités de pilotage qui ont été mis en place pour élaborer les projets, seront ensuite chargés du suivi, de l'évolution et de l'adaptation des programmes.
* 67 Dans le même registre, les travaux de l'ascenseur à bateaux de Strepy en Belgique sur le canal du Centre, qui permet l'accès à grand gabarit de la région wallonne à partir de Dunkerque, traînent en longueur depuis de nombreuses années.
* 68 Le récent rapport sur la desserte terrestre des ports maritimes dit « rapport Belmain » fournit une liste des projets ferroviaires de fret et estime à 5 milliards sur sept ans les investissements correspondants dans un premier temps
* 69 Régime d'exploitation qui ne reconnaît pas le droit au chargeur de choisir son transporteur et qui devrait disparaître d'ici quatre ans.
* 70 Voir en annexe 10 : « Les villes portuaires, places stratégiques pour l'aménagement du territoire contemporain » par Priscilla de Roo, DATAR, 4 juillet 1997.
* 71 Voir rapport du groupe « littoral » de la mission d'Évaluation des politiques maritimes.
* 72 Ainsi pour la Bretagne, la part à la charge de l'État pourrait être de l'ordre de 500 MF sur 20 ans. Des projets de nouveaux quais à Brest et Lorient semble t-il partiellement redondants, se montent à 300 MF chacun (Voir : « Projets de Charte de Place Portuaire. Synthèse régionale, Résumé du document provisoire, DRE Bretagne, 31 décembre 1996).