CHAPITRE I
IL Y A BIEN LONGTEMPS DEJA...
C'est l'imprimerie qui nous a fait entrer dans la
société de l'information.
Si tout le monde s'accorde sur ce point, rien ne s'avère plus difficile
que de retracer la genèse de cette société. L'histoire, on
le sait, se prête mal à une lecture claire, objective et
linéaire de son cours, travaillée qu'elle est par des influences
aussi multiples que variées, par des mouvements de continuité
aussi bien que par des moments de rupture, par des contrastes comme par des
contradictions flagrantes. Les questions qu'elle nous engage à nous
poser possèdent donc, elles aussi, ce caractère de
complexité, en particulier lorsque nous nous penchons sur un
événement de grande ampleur.
Ainsi, s'agissant de la société de l'information, certaines
questions s'imposent d'emblée, au premier rang desquelles celle, fort
complexe, des déterminismes. Comment, en effet, faire la part des
déterminismes historiques ? géographiques ? humains ? Comment
articuler, ensuite, ce qui relève d'actions individuelles et ce qui
participe de champs plus collectifs ? Que faut-il imputer, enfin, aux facteurs
économiques et politiques, culturels et sociaux ?
Au carrefour de multiples disciplines, toutes ces questions opposent et
continueront longtemps d'opposer les chercheurs, qu'ils soient historien,
géographe, sociologue ou spécialiste des média,
suggérant à quel point l'appréciation des
causalités historiques s'avère délicate en la
matière.
Autant l'avouer d'emblée : loin de moi, la prétention de vouloir
trancher ces débats. Loin de moi, également, l'idée de
m'immiscer dans des polémiques qui excèdent de toute façon
le cadre de cette étude.
Et pourtant, j'en ai la conviction : l'homme politique ne peut - et ne doit -
pas se dispenser d'étudier le passé, afin de mieux comprendre,
non seulement les évolutions inéluctables dans lesquelles
l'histoire nous engage, mais aussi, et surtout, les blocages qu'elle nous
lègue et qui pourraient nous empêcher de faire face aux exigences
que l'avenir nous assigne si nous ne savions pas les reconnaître.
À ce nécessaire examen de nous-mêmes que l'histoire nous
impose, et parfois avec brutalité, répond cependant une autre
conviction. Ne sommes-nous pas également les héritiers d'atouts
et de qualités indéniables ? À nous de les mettre en
valeur. Il en va de l'avenir, assurément, car qu'est-ce que l'avenir,
sinon le sens que nous donnons à notre passé ?
Ainsi, pour concilier cette double exigence d'engagement et de
neutralité, de parti-pris et d'humilité, je me suis
efforcé, autant que faire se peut, de ne retenir parmi les nombreuses
analyses formulées par les spécialistes que les plus pertinentes,
à coup sûr les mieux étayées, me proposant moins de
la sorte de réconcilier des théories souvent opposées que
de mettre en lumière ce sur quoi leurs auteurs s'accordent.
Dans ce chapitre, j'insisterai donc successivement sur les points suivants :
-- l'importance capitale de la progressive mise au point des techniques
d'impression ;
-- leurs conséquences cruciales sur les questions religieuses en Europe
;
-- l'articulation complexe entre la doctrine protestante, l'esprit d'entreprise
et le développement économique qui en découle et qui
permet de rendre compte du déclin relatif de l'Europe méridionale
à partir du XVI
e
siècle.
Mon souci de m'abstenir de prendre parti au sein de querelles d'experts,
notamment pour ce qui concerne l'appréciation des causalités
historiques, ne saurait néanmoins m'empêcher de rendre un hommage
particulier à Alain Peyreffite, dont l'ouvrage, La Société
de confiance, a guidé fortement ma réflexion.
En plus de ses analyses, je partage avec son auteur la conviction que les
facteurs psychologiques et humains sont trop souvent sous-estimés alors
même que leur importance nous apparaît chaque jour davantage.
Un autre livre, cité dans l'introduction de la présente
étude, a également joué un rôle décisif dans
ma réflexion. il s'agit des Nouveaux pouvoirs, d'Alvin Toffler, qui
démontre avec brio dans quelle mesure la puissance du savoir tend
à l'emporter de plus en plus sur la puissance de l'argent et de la
violence.
1440 : GUTENBERG
INVENTE L'IMPRIMERIE
Avec la progressive mise au point des techniques d'impression, l'Occident rentre dans ce qu'il est convenu d'appeler " la civilisation des mass média ", cet autre nom de " la société de l'information ".