RAPPORT D'INFORMATION N° 295 - SITUATION DES PORTS MARITIMES FRANCAIS AU REGARD DES PORTS DU BENELUX
M. Marc MASSION, Sénateur
COMMISSION DES FINANCES, DU CONTROLE BUDGETAIRE ET DES COMPTES ECONOMIQUES DE LA NATION - RAPPORT D'INFORMATION N° 295 - 1997/1998
Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. LA RELATIVE FAIBLESSE DES PORTS FRANÇAIS
- II. LES RAISONS DU SUCCES DES PORTS DU BENELUX
- III. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER
- CONCLUSION
- RÉCAPITULATIF DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT
- ANNEXES
N° 295
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 12
février 1998
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13
février 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la situation des ports maritimes français au regard des ports du Benelux ,
Par M. Marc MASSION,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Christian Poncelet,
président
; Jean Cluzel, Henri Collard,
Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini,
René Régnault,
vice-présidents
; Emmanuel
Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Alain Lambert,
rapporteur
général
; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré,
René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot,
Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël
Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon
Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut,
Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel
Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Henri Torre,
René Trégouët.
Mer et littoral . - Rapports d'information.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Dans le cadre de ses fonctions de contrôle du budget des ports maritimes
à la commission des finances du Sénat, votre rapporteur a pris la
mesure de la double contrainte qui enserre la politique portuaire
française : d'une part, une contrainte budgétaire
générale qui conduit à limiter et à différer
les investissements en faveur des ports ; d'autre part, une forte contrainte de
compétitivité internationale dans le secteur maritime, qui rend
indispensable un soutien effectif des pouvoirs publics aux ports.
Au regard de cette redoutable contradiction, une démarche comparative
apparaît utile, afin de mieux saisir les raisons du succès des
ports étrangers immédiatement concurrents des ports
français, ainsi que les stratégies des pouvoirs publics qui en
exercent la tutelle.
Le présent rapport est le résultat d'une mission de
contrôle et d'information menée pendant les mois de mai, juin et
juillet 1997, qui a conduit votre rapporteur à se rendre, d'une part,
dans les ports d'Anvers et de Rotterdam et, d'autre part, dans les ports du
Havre, de Rouen et de Dunkerque.
Une visite a également été rendue à Bruxelles aux
services en charge des questions portuaires à la Direction
générale des transports de la Commission européenne, qui
se sont montrés courtois bien que manifestement pressés par des
tâches plus urgentes.
Ce n'est pas seulement en raison de ses attaches rouennaises que votre
rapporteur a choisi de concentrer son attention sur la compétition entre
les ports français de la façade Manche-Mer du Nord et les ports
du Benelux, mais aussi et surtout parce que c'est dans cette zone que la
concurrence européenne à laquelle sont soumis les ports
français atteint sa plus grande intensité.
Il ne faudrait pas en conclure que le défi de la
compétitivité ne s'impose pas aux autres ports français,
à commencer par le port de Marseille qui, après avoir pendant
longtemps tiré avantage de la faiblesse de ses voisins, est en train de
perdre sa prééminence en Méditerranée.
I. LA RELATIVE FAIBLESSE DES PORTS FRANÇAIS
Par rapport à leurs voisins du Benelux, les ports français de la Manche-Mer du Nord apparaissent en situation d'infériorité, dans un contexte de politique portuaire européenne balbutiante et de forte contrainte budgétaire nationale.
A. LE CONSTAT : UNE NETTE DOMINATION DES PORTS FRANÇAIS PAR LES PORTS DU BENELUX
1. Un contexte fortement concurrentiel
Les ports constituent les points de départ et
d'arrivée du transport maritime, qui est un secteur d'activité
éminemment concurrentiel. La liberté des mers, ainsi que le
fantastique développement du commerce international depuis trois
décennies ont placé ce secteur à l'avant-garde de la
mondialisation de l'économie. Les taux de fret fluctuent avec les cours
des matières premières et les taux de croissance des
différentes zones de l'économie mondiale ; la pression sur
les coûts est constante et les marges de rentabilité sont
réduites.
Cette forte concurrence dans le secteur du transport maritime se retrouve
également dans le secteur du transport terrestre, les ports se trouvant
à l'interface des deux modes. La densification des réseaux
d'infrastructures et l'achèvement du marché unique ont eu pour
effet d'accroître la concurrence dans le secteur des transports
terrestres en Europe. En France, les mouvements sociaux successifs des routiers
et l'évolution du statut de la SNCF ne sont qu'une manifestation de ce
phénomène. Du point de vue des chargeurs, le continent
européen forme un ensemble auquel il est indifférent
d'accéder ou de sortir par tel port plutôt que par tel autre,
pourvu que les coûts et les délais de transport soient optimaux.
A ce contexte concurrentiel général, s'ajoutent des facteurs
techniques comme l'augmentation de la taille des navires porte-conteneurs.
Ceux-ci ont longtemps été calibrés pour passer le canal de
Panama, ce qui limitait leur capacité à 2.500 conteneurs EVP
(équivalent vingt pieds). Mais, depuis le début de la
décennie, les armateurs ont mis en service sur les lignes tour du monde
reliant l'Asie à l'Europe des porte-conteneurs dits "over-panamax" de
4.500 à 6.000 EVP.
Techniquement, ces navires géants ne peuvent plus accéder
à tous les quais, les ports en eau profonde se trouvant à cet
égard avantagés par rapport aux ports d'estuaire.
Financièrement, ils ne peuvent être rentabilisés
qu'à la condition de limiter le nombre de leurs escales pour ne plus
desservir que les ports les plus importants.
Au total, l'activité des ports maritimes en Europe s'inscrit dans un
contexte de forte pression concurrentielle, qui s'exerce tant sur mer que sur
terre, de la part des armateurs comme de celle des chargeurs.
Cette logique concurrentielle sous-tend le "plan d'urgence en faveur des
ports
français et du commerce international" rendu public en janvier 1997 par
un collectif regroupant les principales organisations professionnelles
impliquées dans la filière portuaire et certains des armements
internationaux parmi les plus importants
1(
*
)
.
Pour appuyer leur analyse fort pertinente des blocages de la filière
portuaire française, les auteurs de ce document procèdent de
manière systématique à des comparaisons chiffrées
de coûts et de tarifs entre les ports français et les ports
européens voisins.
2. Des flux d'activité sans commune mesure
L'un des principaux faits dont il convient d'avoir pleinement conscience, est que les ports du Benelux se situent à une toute autre échelle que les ports français. Le port de Rotterdam, qui est le premier port mondial, représente à lui seul un trafic supérieur à celui de l'ensemble des ports français. Le port d'Anvers, qui est le quatrième port mondial et le deuxième port européen, à un trafic près de deux fois supérieur à celui du premier port français dans la région, Le Havre.
Trafics totaux des principaux ports de la façade Manche-Mer du Nord
(en millions de tonnes)
|
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Rotterdam |
293,0 |
282,2 |
293,9 |
294,3 |
290,6 |
Anvers |
104,0 |
101,8 |
109,5 |
108,1 |
106,5 |
Le Havre |
53,1 |
54,9 |
54,4 |
53,8 |
56,1 |
Dunkerque |
40,2 |
40,8 |
37,2 |
39,4 |
34,9 |
Rouen |
23,9 |
23,6 |
19,5 |
19,8 |
18,1 |
Source : Direction du Transport maritime, des Ports et du Littoral. |
Encore faut-il savoir que ces chiffres de trafic total sont
trompeurs, dans la mesure où ils intègrent les trafics
d'hydrocarbures qui ne sont que faiblement influencés par la
qualité des services portuaires.
Pour avoir une image exacte de la compétitivité réelle des
ports, il est plus significatif de comparer les trafics de conteneurs, fret
à haute valeur ajoutée et nécessitant une manutention
performante.
Trafics de conteneurs des principaux ports de la façade Manche-Mer du Nord
(en millions de tonnes)
|
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Rotterdam |
44,3 |
45,7 |
50,0 |
52,5 |
52,7 |
Anvers |
19,6 |
20,3 |
24,3 |
25,8 |
29,5 |
Le Havre |
6,9 |
8,4 |
8,3 |
9,1 |
9,5 |
Dunkerque |
0,6 |
0,8 |
0,7 |
0,8 |
0,7 |
Rouen |
0,8 |
0,9 |
1,1 |
1,1 |
1,1 |
Source : DTMPL |
3. Des arrière-pays largement concurrents
Les ports français de la façade atlantique sont
préservés de la concurrence par leur éloignement, et le
port de Marseille est relativement protégé des ports espagnols et
italiens par les barrières des Pyrénées et des Alpes. Il
en va tout autrement pour les ports français de la façade
Manche-Mer du Nord, dont les zones d'influence sont très largement
recoupées par celles de leurs voisins du Benelux.
Dans son rapport de juillet 1996 sur la desserte terrestre des ports
français, M. Marius Belmain, inspecteur général des Ponts
et Chaussées, s'est efforcé de définir les hinterlands, ou
arrière-pays, de chacun des ports en utilisant les données
douanières. Les cartes ci-contre permettent de visualiser d'un seul coup
d'oeil le résultat de cette analyse. Elles retracent, pour 1992, les
flux de trafics hors hydrocarbures en tonnes par région.
Il apparaît que les hinterlands des ports concurrents du Nord recoupent
ceux du Havre, de Rouen et Dunkerque sur un vaste quart nord-est de la France.
Leur influence est particulièrement forte dans les régions
Nord-Pas-de-Calais et Lorraine et, dans une moindre mesure, en Picardie et
Île-de-France, mais elle s'étend de façon significative
jusqu'aux régions Pays-de-la-Loire et Rhône-Alpes.
4. Des détournements de trafic massifs
Les statistiques douanières ont permis jusqu'en 1992 de
déterminer, sur un certain nombre de destinations, les parts de
marché des ports français et étrangers dans l'acheminement
du commerce extérieur de la France. Cet indicateur, communément
appelé "détournements de trafics" permettait de suivre
l'évolution de la compétitivité des ports français
par rapport à leurs concurrents.
La méthode utilisée consistait à comptabiliser à
nos frontières la part du commerce extérieur acheminée par
les ports français (frontière maritime) et celle acheminée
par les ports étrangers (frontière terrestre française
dans le cadre d'échanges avec des pays outre-mer).
Depuis le 1er janvier 1993, la suppression des contrôles aux
frontières a rendues indisponibles les informations nécessaires
à l'élaboration de cet indicateur. Il est cependant utile de
rappeler les résultats antérieurs, dont l'ordre de grandeur n'a
vraisemblablement pas changé en cinq ans.
Jusqu'en 1992, on a pu ainsi observer :
- que les ports du Benelux ont concentré la grande majorité de
ces trafics captés (96 %). Venait ensuite l'Allemagne, avec 2,2 %,
alors que l'ensemble des ports étrangers d'Europe du sud ne
représentait que 1,85 %, avec seulement 460.000 t
"détournées", dont 289.000 t par les ports espagnols ;
- qu'à l'import comme à l'export, les régions
frontalières, Nord, Picardie, Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne, ont
concentré plus de 65 % des trafics captés en volume ;
- enfin, que les trafics des régions Ile-de-France ou Rhône-Alpes,
malgré leur proximité géographique des ports
français, font l'objet d'une vive concurrence et que les ports
étrangers ont capté des volumes importants sur ces régions
(environ 25 % à l'import pour les deux régions ; environ 15 %
pour l'Ile-de-France et 20 % pour Rhône-Alpes à l'export).
NB : Le "détras" (pour détournements de
trafic) représente la part de marché des ports étrangers
sur le commerce extérieur par mer.
Les "fuites" de trafics représentent la part de marché des
ports étrangers sur le commerce extérieur acheminé par mer.
Source : DTMPL
Il convient toutefois de souligner que les trafics des régions
frontalières de l'Est et du Nord ne peuvent pas à proprement
parler être considérés comme "détournés",
puisque les ports du Benelux constituent pour eux un débouché
plus naturel que les ports français. Les interlocuteurs de votre
rapporteur lors de sa visite au port d'Anvers préféraient
d'ailleurs parler de trafics "attirés" : cette nuance
sémantique semble recevable.
Il n'en va pas de même pour les trafics de régions centrales comme
l'Ile-de-France ou Rhône-Alpes qui transitent par des ports
étrangers, et sont bel et bien détournés des ports
français géographiquement les plus proches.
B. LE CONTEXTE COMMUNAUTAIRE : UNE POLITIQUE PORTUAIRE EMBRYONNAIRE
1. Un domaine négligé par la politique de la concurrence
Alors que l'Union européenne a élaboré
une véritable politique en matière de transports maritimes,
axée sur le renforcement de la sécurité et l'ouverture des
marchés, sa réflexion sur les questions portuaires est encore en
gestation. Le Livre vert sur la politique portuaire communautaire
présenté par la Commission le 10 décembre 1997
constitue à cet égard une première.
Cette absence de politique portuaire européenne s'explique par le fait
que les ports sont longtemps restés dans un "champ mort" des
règles communautaires. En effet, les investissements dans les ports
maritimes, comme tous les investissements d'infrastructure de transport, ne
sont pas directement visés par l'article 92 du Traité de Rome qui
encadre les aides accordées par les Etats. En tant qu'entités
économiques, les ports sont sans conteste des
"entreprises
chargées de la gestion de services d'intérêt
économique général"
visées à l'article
90 du Traité, auxquelles les règles de concurrence ne
s'appliquent que de façon atténuée.
Toutefois, les services de la Direction générale des transports
de la Commission européenne ont décidé en début
d'année d'examiner de près la conformité aux principes du
Traité des systèmes d'emploi des dockers en Europe.
Pour sa part, la Direction de la concurrence de la Commission européenne
a engagé un recensement systématique des aides d'Etat aux ports
maritimes, en dépit de l'opposition de l'Allemagne qui estime que le
financement d'infrastructures portuaires n'est pas assimilable à une
aide d'Etat relevant de la compétence de la Commission.
Le récent "Livre vert relatif aux ports et aux infrastructures
maritimes" marque ce regain d'intérêt de la Commission
européenne pour les questions portuaires. Il s'agit d'un simple document
de réflexion, destiné à susciter un débat au sein
des instances communautaires et avec tous les acteurs portuaires. Mais il est
clairement présenté comme un premier pas vers la mise en place
d'une politique portuaire européenne plus structurée.
Après avoir rappelé la manière dont les questions
portuaires sont déjà prises en compte de manière incidente
par diverses politiques communautaires (réseau transeuropéen de
transport, transport intermodal, sécurité maritime, protection de
l'environnement, recherche), le Livre vert propose deux axes d'organisation
d'une véritable politique portuaire :
- l'instauration de principes communs pour le financement et la
tarification des infrastructures portuaires ;
- une libéralisation du marché des services portuaires dans
les principaux ports de trafic international.
Votre rapporteur approuve le principe de l'instauration de règles
européennes de concurrence en matière portuaire.
2. Des projets de réseaux transeuropéens de nature à accentuer la domination des ports du Benelux
Le Parlement européen et le Conseil de l'Union
européenne ont arrêté le 23 juillet 1996, selon la
procédure de codécision, les orientations communautaires pour le
développement du réseau transeuropéen de transport. Cette
décision pose les principes d'une intégration des réseaux
de transport des Etats membres en sélectionnant un certain nombre de
projets d'intérêt commun qui seront rendus, autant que possible,
interopérables et connectés.
L'inscription dans les schémas des réseaux transeuropéens
n'entraîne en tant que telle aucune obligation, notamment
financière, ni pour les Etats membres, ni pour la Commission. Les
orientations fixées doivent néanmoins servir de base pour
d'éventuelles décisions prises dans le cadre des fonds
structurels. Il s'ensuit que si une inscription dans les réseaux
n'assure pas de financement, la non inscription peut être
préjudiciable.
Les financements spécifiques de l'Union européenne dans le cadre
des réseaux transeuropéens de transport sont limités
actuellement à 10 % des coûts des travaux de réalisation,
mais peuvent atteindre 50 % des études de faisabilité. Les
projets compatibles avec les objectifs de la décision peuvent en outre
bénéficier de bonifications d'intérêts, en
particulier de la BEI.
Un examen des 14 projets prioritaires qui ont été retenus au
Conseil européen d'Essen en décembre 1994, et qui sont
annexés à la décision du 23 juillet 1996, montrent
que ceux-ci sont plutôt de nature à renforcer la
prééminence des ports du Benelux. En effet, 1 seul des 14 projets
est susceptible d'avoir un impact positif pour les ports français : il
s'agit du couloir routier Valence - Saragosse - Somport, qui pourrait avoir un
intérêt pour les ports français de l'Atlantique et surtout
celui de Bordeaux.
En revanche, deux projets prioritaires seraient de nature à avantager
les ports du Benelux : il s'agit de la liaison routière et ferroviaire
Irlande - Royaume-Uni, Benelux et, surtout, de la liaison rail/transport
combiné entre Rotterdam et la frontière allemande, qui est de la
plus grande importance pour le port concerné.
Un autre projet communautaire susceptible de jouer en faveur des ports du
Benelux est relatif à ce qu'il est convenu d'appeler les
Transeuropean
Rail Freight Freeways
(TERFF). Constatant les
difficultés grandissantes découlant de la priorité
donnée à la route, ainsi que le déclin relatif du
transport ferroviaire, la Commission européenne propose de revitaliser
celui-ci en créant des "corridors de fret" spécialisés.
Les principes de ces corridors de fret seraient les suivants :
priorité au transport de marchandise ; redevances d'infrastructures
équitables ; commercialisation en commun des accès aux
différentes infrastructures internationales ; réduction des
arrêts aux frontières exigés par les règlements
intérieurs des compagnies ferroviaires.
Pour déterminer les tracés concrets des TERFF, trois
équipes ont travaillé respectivement sur les projets
"scandinaves", sur les projets "Ouest-Est", et sur les
projets "transalpins".
Aucune de ces équipes n'incluait la France.
Dès lors, il n'est guère étonnant que les deux premiers
projets de corridors de fret décidés par le Conseil de l'Union
européenne en juin 1997 lient, d'une part, les ports belges à la
région lyonnaise, et, d'autre part, les ports du Benelux et de
l'Allemagne à l'Italie, à travers l'Autriche et la Suisse.
Ainsi, les corridors de fret, tels qu'ils ont été engagés,
risquent de renforcer l'orientation Nord-Sud des liaisons
transeuropéennes et, partant, de défavoriser les ports
français, qui ont surtout besoin de liaisons Ouest-Est.
3. Des politiques sectorielles susceptibles de favoriser un développement plus harmonieux des ports européens
Globalement, les politiques de réseaux de transports
européens tendent plutôt à renforcer les positions
dominantes des ports du Benelux. Cela est inévitable puisque les
instances communautaires n'ont en la matière qu'un pouvoir de
coordination, et ne font qu'entériner les projets nationaux. La logique
de compétition l'emporte donc.
L'Union européenne a néanmoins engagé des politiques
sectorielles qui semblent susceptibles de favoriser un développement
plus équilibré des ports européens.
La première de ces politiques sectorielles concerne le transport
multimodal, en faveur duquel une action communautaire a été
entreprise depuis 1992 dans le cadre du programme PACT (pour
Pilot Actions
for Combined Transport
). Les ports maritimes qui associent le rail, la
route, la voie fluviale et la voie maritime, sont des plate-formes multimodales
par excellence.
Ils devraient être donc largement destinataires du programme PACT, pour
lequel 35 millions d'écus sont prévus entre 1997 et 2001. Le
souci affiché par la Commission européenne est de contribuer
à une meilleure dissémination des technologies et de
démontrer la viabilité d'itinéraires
considérés comme difficiles. Cette politique devrait donc
bénéficier d'abord aux ports actuellement délaissés
par les flux commerciaux spontanés, qui vont au plus facile.
La deuxième des politiques sectorielles communautaires concernant les
ports est la politique en faveur du transport maritime intra-européen.
Afin de désengorger les voies de transports terrestres, la Commission
européenne a engagé depuis 1995 un programme d'action en faveur
de ce qu'il est convenu d'appeler le transport maritime à courte
distance.
Cette politique peut certes renforcer la position des ports dominants, en
encourageant la pratique du "feedering", c'est-à-dire l'alimentation
en
conteneurs des ports de second rang depuis les ports principaux qui concentrent
les touchées de lignes maritimes internationales.
Mais, en donnant la préférence au cabotage sur les modes de
transport terrestres, la politique du transport maritime à courte
distance ne peut que favoriser un développement plus harmonieux du
réseau des ports maritimes européens, alors que l'on observe
aujourd'hui un drainage des trafics par la route au profit des ports du Benelux.
C. LE CONTEXTE NATIONAL : UNE FORTE CONTRAINTE BUDGETAIRE
1. L'érosion des crédits budgétaires
Les crédits accordés par l'Etat aux ports maritimes ont été orientés à la baisse sur la période récente. Le tableau ci-après, qui retrace l'évolution des crédits budgétaires sur les six dernières années, est éloquent.
Source : DTMPL
Non seulement les crédits consacrés aux ports sont chaque
année présentés en baisse par rapport à la loi de
finances précédente, mais ils sont en exécution
touchés par la régulation budgétaire dans des proportions
significatives.
Ainsi, en francs courants,
les crédits votés de 1997 sont
inférieurs de 22,5 % à ceux de 1992, et les crédits
effectivement disponibles en 1997 sont inférieurs de 17,8 % à
ceux de 1992.
Le désengagement budgétaire de l'Etat se traduit par le fait que
celui-ci ne participe plus aux dépenses d'équipement et
d'entretien des ports autonomes à hauteur des obligations qui lui sont
théoriquement imposées par la loi portuaire de 1965. Le tableau
ci-après rappelle ces règles légales de participation de
l'Etat au financement des ports autonomes.
Type de dépense |
Part de l'Etat (ou de la SNCF) |
Investissements |
|
Accès maritimes |
Etat 80 % |
Quais, engins de radoub |
Etat 60 % |
Terre-pleins, routes |
0 % |
Voies ferrées |
SNCF 50 % |
Superstructures, outillages, bâtiments |
0 % |
Entretien |
|
Accès maritimes |
Etat 100 % |
Quais, engins de radoub |
0 % |
Terre-pleins, routes |
0 % |
Voies ferrées |
SNCF 100 % |
Superstructures, outillages, bâtiments |
0 % |
Personnel |
|
Accès et écluses |
Etat 100 % |
Capitaine, personnel administratif et technique |
0 % |
Personnel d'exploitation |
0 % |
2. L'essoufflement des investissements locaux
Le désengagement budgétaire de l'Etat a
été pour partie compensé par une participation accrue des
collectivités locales, qui financent les investissements portuaires
revêtant un intérêt direct pour le développement
économique régional.
Toutefois, la participation des collectivités locales ne contribue pas
au financement de l'entretien et du fonctionnement des ports. Par ailleurs,
elle est également contrainte par les limites budgétaires des
collectivités locales, ce qui explique qu'elle soit tendanciellement en
retrait ces dernières années. Le tableau ci-dessous permet
d'apprécier l'importance de la participation des collectivités
locales par rapport aux autres sources de financement des investissements des
ports autonomes.
Modes de financement des investissements dans les ports autonomes de 1991 à 1997
(en millions de francs)
|
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997
|
Etat |
163,4 |
143,8 |
130,5 |
104,2 |
130,3 |
99,1 |
94,5 |
Collectivités locales & tiers (FEDER) |
|
|
|
|
|
|
|
Emprunt |
162,8 |
150,5 |
140,0 |
191,2 |
223,3 |
136,5 |
60,0 |
Port
|
|
|
|
|
|
|
|
Total |
1.133,4 |
898,3 |
878,1 |
885,2 |
858,8 |
711,2 |
956,3 |
Source : DTMPL |
Après une décroissance continue depuis 1993,
année où elle avait atteint 254,9 millions de francs, la
contribution des collectivités locales (et du FEDER) connaît un
regain en 1997, année où elle remonte à 277,4 millions de
francs. Toutefois, le rebond de l'investissement des ports autonomes en 1997,
qui devrait s'élever à 956,3 millions de francs, s'explique
essentiellement par un fort autofinancement, à hauteur de 524,4 millions
de francs, rendu possible par le redressement de leurs résultats
d'exploitation.
L'investissement des ports autonomes en 1997 reste néanmoins
inférieur à son niveau de 1991, qui était de 1,133
milliard de francs. Quant à la participation de l'Etat, elle
apparaît tout à fait marginale, avec un montant de 94,5 millions
de francs, soit moins de 10 % du total des investissements.
Le retard pris dans l'exécution des projets d'intérêt
portuaire prévus par les contrats de plan Etat-Régions pour la
période 1994-1997 est le signe que les flux réels
d'investissement restent en-deçà des ambitions affichées.
Le tableau ci-dessous retrace le bilan des contrats de plan pour les trois
ports autonomes de la façade Manche-Mer du Nord.
Exécution des contrats de plans Etat-Régions
(en millions de francs)
Port/opération |
Crédits d'Etat-Mer-AP-Prévisions 1994-1998 |
1994 (réalisation) |
1995 (réalisation) |
1996 (réalisation) |
1997 (prévisions) |
Taux d'exécution |
Dunkerque |
|
|
|
|
|
|
- Dégagement des accès de la darse 4 |
30,00 |
|
|
|
|
0 % |
- Réalisation d'un 1er poste à quai |
|
|
|
|
|
|
- Mise en oeuvre d'un quai d'accostage |
|
|
|
|
|
|
Le Havre |
|
|
|
|
|
|
- Etudes et premiers travaux d'aménagement pour l'accueil des grands navires porte-conteneurs transocéaniques |
|
|
|
|
|
|
Rouen |
|
|
|
|
|
|
- Approfondis-sement du chenal (descente à 10,30 m) |
|
|
|
|
|
|
- Construction de terminaux spécialisés |
9,00 |
|
9,0 |
|
|
100 % |
Totaux |
355 |
|
12,06 |
33 |
28,33 |
20,7 % |
Source : DTMPL
Les taux d'exécution des engagements de l'Etat sont extrêmement
variables selon les opérations, et vont de 0 % à 100 %.
Mais le taux moyen d'exécution des contrats de plan reste des plus
décevants, puisqu'il n'est que de 20,7 % en 1997, alors qu'il
s'agit théoriquement de l'avant-dernière année de la
programmation.
3. Un léger infléchissement dans le budget pour 1998
Les crédits du budget des ports maritimes pour 1998 s'élèvent à 592,7 millions de francs, soit une hausse de 1 % par rapport au budget voté de 1997. Cette légère augmentation, qui ne couvre même pas l'inflation, est plus un infléchissement qu'une rupture, mais elle tranche cependant avec la baisse continue des crédits au cours des années antérieures.
Budget des ports maritimes pour 1998
|
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(en millions de francs) |
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Nature des crédits |
LFI 1997 |
PLF 1998 |
Différence 1997-1998 |
Evolution en % |
|
Titre III Moyens des services |
37,6 |
43 |
5,4 |
14,4 |
|
Titre IV Interventions publiques |
394 |
394 |
0 |
0,0 |
|
Total des dépenses ordinaires |
431,6 |
437 |
5,4 |
1,3 |
|
Titre V Investissements exécutés par l'Etat |
|
|
|
|
|
AP |
157,6 |
180,1 |
22,5 |
14,3 |
|
CP |
152,7 |
153,7 |
1 |
0,7 |
|
Titre VI Subventions d'investissement accordées par l'Etat |
|
|
|
|
|
AP |
4,5 |
4 |
-0,5 |
-11,1 |
|
CP |
2,5 |
2 |
-0,5 |
-20,0 |
|
Total des dépenses en capital |
|
|
|
|
|
AP |
162,1 |
184,1 |
22 |
13,6 |
|
CP |
155,2 |
155,7 |
0,5 |
0,3 |
|
TOTAL GENERAL (crédits de paiement) |
586,8 |
592,7 |
5,9 |
1,0 |
|
Source : projet de loi de finances pour 1998 |
Cette progression modeste des crédits recouvre un gel
des dépenses d'entretien des ports autonomes au niveau de 394 millions
de francs et une quasi-reconduction des dépenses d'investissement, qui
ne progressent que de 0,3 % pour atteindre 155,7 millions de francs en
crédits de paiement.
L'augmentation du budget des ports maritimes résulte presque uniquement
de la hausse des crédits d'entretien des ports d'intérêt
national, qui progressent nettement de 14,4 %, pour atteindre le niveau
toutefois modeste de 43 millions de francs .
Il faut par ailleurs remarquer la progression des autorisations de programme,
qui augmentent de 13,6 % pour atteindre 184,1 millions de francs, ce qui laisse
présager une reprise des investissements de l'Etat dans les ports au
cours des prochaines années.
Néanmoins, l'infléchissement du budget des ports maritimes pour
1998 doit encore être confirmé en exécution. A cet
égard, l'arrêté d'annulation du 16 janvier 1998 n'est
pas très encourageant, puisque les crédits des ports sont une
fois de plus touchés par la régulation budgétaire,
à hauteur de 4,5 millions de francs, soit à peu près
le montant de leur progression affichée.
II. LES RAISONS DU SUCCES DES PORTS DU BENELUX
A. UN EFFET DE MASSE
Bien plus que dans leur organisation technique et commerciale, le secret de la compétitivité des ports du Benelux réside d'abord dans leur gigantisme. En effet, la logique du secteur des transports favorise les effets de masse.
1. Des économies d'échelle substantielles
La capacité annuelle de manutention du port de
Rotterdam est actuellement de 4,5 millions de conteneurs et devrait doubler
d'ici au début du siècle prochain. Les terminaux à
conteneurs les plus récents, complètement automatisés,
permettent de charger les "boîtes" à bord des navires sur
18 largeurs, tandis que des trains routiers de cinq remorques font la
navette entre les portiques et les parcs.
Le terminal charbonnier et minéralier du port de Rotterdam a une
capacité de déchargement de 140.000 tonnes par jour, les godets
de ses portiques pouvant engloutir en une fois 85 tonnes. Les navires
reçus par ces installations sont à la mesure de leur gigantisme.
Les méga porte-conteneurs peuvent charger jusqu'à
6.000 conteneurs EVP (équivalent vingt pieds) et les vraquiers
peuvent atteindre 350.000 tonnes de port en lourd.
Cet effet de taille permet de réduire considérablement le
coût unitaire du traitement de la marchandise. Ainsi, une étude du
port de Rotterdam a établi que le compte d'escale d'un porte-conteneurs
s'élève en moyenne à 60.359 florins à Rotterdam,
53.330 à Anvers et 52.032 florins seulement au Havre. Le plus faible
compte d'escale est donc celui du Havre, mais c'est aussi dans ce port que le
diviseur, c'est-à-dire le nombre de conteneurs manutentionnés au
cours d'une escale, est le plus bas.
A ces économies d'échelle d'ordre technique, s'ajoute un effet de
masse de nature commerciale. Le volume et la variété des
marchandises traitées dans des ports tels qu'Anvers ou Rotterdam
garantissent à tout armateur qu'il pourra y compléter une
cargaison.
Cet effet de masse joue également pour la desserte terrestre : tous les
camions ou les trains qui viennent apporter des marchandises dans ces ports
sont assurés de ne pas en repartir à vide. L'économie des
transports repose sur la recherche de ce qu'il est convenu d'appeler la
"massification des flux"
. Cette logique ne peut que jouer en
faveur des
ports qui se trouvent déjà en situation dominante.
2. Une politique tarifaire lucrative
L'attrait des économies d'échelle pour les
utilisateurs est tel que les ports du Benelux peuvent se permettre de pratiquer
des tarifs par navire relativement élevés. Le tableau ci-dessous,
issu d'une enquête effectuée par l'association européenne
des armateurs, montre que les ports français sont comparativement moins
chers, pour une même escale, que leurs voisins du Nord.
Source : UPACCIM
Toutefois, compte tenu de la taille supérieure des navires, les frais
d'escale ramenés à la tonne de marchandise restent
inférieurs dans les ports du Benelux.
De même, la demande des entreprises pour s'installer dans les zones
industrielles des ports du Benelux est si forte que ceux-ci peuvent pratiquer
des tarifs élevés pour la location des terrains. Une
récente étude comparative des recettes domaniales portuaires par
mètre carré loué montre que, si Le Havre est pris comme
base 100, ces recettes s'élèvent à 131 à Anvers et
atteignent 205 à Rotterdam.
3. Des flux multiplicateurs d'investissements privés
L'effet de masse permet aux ports du Benelux d'avoir un
équilibre entre investissement public et investissement privé
bien différent de celui des ports français.
Ces ports dépendent des municipalités, le port de Rotterdam
étant une simple régie municipale, tandis que celui d'Anvers a
acquis depuis le début de 1997 son autonomie financière. Ils
autofinancent la construction et l'entretien des voies d'accès, des
écluses, des bassins et des quais, grâce à leurs revenus
provenant des taxes portuaires et d'occupation des quais, ainsi que de la
location des sites et entrepôts industriels.
Les ports du Benelux ne s'occupent que des infrastructures, qui sont ensuite
confiées à des concessionnaires privés chargés de
l'équipement et de l'exploitation des quais, ainsi que de la gestion des
entrepôts. La durée des concessions, de nature
emphytéotique (99 ans) laisse largement le temps aux investisseurs
privés d'amortir leurs investissements.
Les gestionnaires des ports du Benelux estiment ainsi que pour 1 franc
d'investissement de leur part, la mise des investisseurs privés est de 5
à 6 francs.
B. UN SOUTIEN SANS FAILLE DES POUVOIRS PUBLICS
1. Des financements publics importants
La question du montant des financements publics aux ports du
Benelux est un sujet sensible. Aucune récapitulation systématique
de ces concours n'existe, et le travail de recensement entrepris par la
Direction de la concurrence de la Communauté européenne fera sans
doute oeuvre pionnière. Lors de ses déplacements aux ports
d'Anvers et de Rotterdam votre rapporteur, qui a été par ailleurs
fort bien reçu, n'a obtenu aucune information sur ce point et n'a pas pu
avoir connaissance des comptes annuels des établissements portuaires
visités.
Le sujet est d'autant plus délicat que les structures portuaires ne sont
pas comparables et que la participation des pouvoirs publics aux
dépenses des ports prend chez nos voisins une forme plus
détournée que la subvention budgétaire.
Ainsi, le statut municipal des ports de type hanséatique aboutit
à faire supporter à la commune l'essentiel des charges de
personnel du port qui lui est rattaché. Le changement de statut du port
d'Anvers, intervenu au 1er janvier 1997, a permis de prendre la mesure de cette
subvention implicite. Le personnel du port a dû opter entre le statut de
droit public du personnel municipal et un nouveau statut de droit privé.
Il a été ainsi ramené de 3.500 à 2.000 personnes,
et devrait se stabiliser à 1.800 personnes à terme. Par
ailleurs, le port doit verser chaque année à la
municipalité, au titre des retraites de son personnel, une contribution
de 1,7 milliard de francs belges.
La prise en charge directe des travaux de dragage par les États belge ou
hollandais rend également plus difficile la comparaison avec les ports
français, qui doivent financer ces travaux dont l'Etat leur assure
ensuite le remboursement, théoriquement à 100 %.
Des chiffres sont rendus publics par la région flamande, qui exerce en
la matière la compétence de l'Etat belge. Ils font
apparaître que les financements des dragages pour les ports belges se
sont élevés en 1994 à 3,596 milliards de francs belges,
soit 598 millions de francs français, contre 381 millions de francs
inscrits la même année en loi de finances pour les ports
français.
Des chiffres sont également disponibles pour les financements publics
des investissements portuaires en Belgique, qui montrent qu'en 1994 ceux-ci se
sont élevés à 2,360 milliards de francs belges, soit
393 millions de francs français, à comparer aux
138 millions de francs prévus en loi de finances initiale pour les
ports français.
L'importance des contributions publiques dans les ports de nos voisins permet
de limiter la participation demandée à l'usager. Le tableau
ci-dessous, qui ramène les différentes recettes des ports
autonomes français et du port d'Anvers à la tonne de marchandise,
est instructif. Il montre que, bien que le coût global des ports
français soit inférieur de 14,6 %, la contribution de l'usager
à travers les droits de port et les recettes domaniales y est
supérieure de 9,1 %.
Origine des ressources dans les ports autonomes
français
et dans le port d'Anvers
Source : UPACCIM
2. Des pratiques douanières et fiscales conciliantes
Les ports du Benelux sont officiellement soumis aux
règles d'imposition de droit commun. Cependant, en raison de leur
caractère d'établissements municipaux, ils échappent en
réalité à l'essentiel des impositions. En outre, il
n'existe pas en Belgique ni aux Pays-Bas d'imposition équivalente
à la taxe professionnelle ou aux impôts fonciers français.
Les plus importants des ports, tels Anvers ou Rotterdam, doivent un reversement
à la commune, mais qui reste limité et est dans certains cas
affecté à des dépenses liées au port. Dans d'autres
ports, tel celui de Gand, la ville verse au contraire une subvention annuelle
destinée à combler le déficit d'exploitation du port, au
titre de la rémunération de l'activité économique
apportée par le port à la ville.
Les administrations douanières participent par leur souplesse à
la compétitivité globale des ports. Bien que les
réglementations en vigueur soient identiques au sein de l'Union
européenne, les délais sont comprimés à
l'extrême pour la réalisation des formalités. Le
dédouanement d'un cargo de 100.000 tonnes de capacité s'effectue
en deux heures à Rotterdam, au lieu de 3 à 2 jours dans les ports
français. Tout le port est considéré comme une seule zone
en douane et les contrôles ne se font plus selon la technique du guichet,
qui oblige les véhicules à s'arrêter, mais lors du
chargement. Les grandes compagnies disposent à proximité de leur
terminal d'exploitation d'un poste de douane qui leur est dédié.
Sur le plan fiscal, le régime contractuel du "ruling" existant en
Belgique comme aux Pays-Bas permet aux grandes entreprises de négocier
au préalable, avec un service spécialisé de la direction
des impôts, la fiscalité qui leur sera appliquée. Ce
mécanisme est très avantageux pour l'implantation de centres de
distribution et d'unités industrielles dans les zones portuaires. Une
fois signé, l'accord entre le fisc et l'entreprise ne peut plus
être remis en cause, sauf circonstances très exceptionnelles.
3. Une vision stratégique de long terme
L'engagement financier des pouvoirs publics en faveur des
ports en Belgique et aux Pays-Bas s'inscrit dans une vision stratégique
de long terme. A l'occasion de ses visites, votre rapporteur a
été impressionné par l'ambition des projets d'extension
engagés par des ports déjà gigantesques.
Le développement du port d'Anvers, qui s'est fait historiquement le long
de la rive droite de l'Escaut, est venu buter sur la frontière toute
proche avec les Pays-Bas. Le port a donc entrepris de s'étendre sur la
rive gauche du fleuve, où une superficie de 6.400 hectares fait
actuellement l'objet d'un aménagement par phases. La capacité du
port se trouvera ainsi doublée d'ici à l'an 2010.
A Rotterdam, le port envisage d'investir 16 milliards de francs d'ici à
l'an 2010 dans l'opération dite de Plaine de la Meuse II (
Maasvlakte
II
). Pour sa part, l'Etat investira 30 milliards de francs en
infrastructures portuaires, ferroviaires et routières.
L'aménagement consiste à gagner sur la mer une surface de
2.000 hectares, qui augmentera la surface du port de 40%. Rotterdam est en
effet confronté à une pénurie de terrain. Le port dispose
actuellement d'environ quatre années de réserves, mais a dû
répondre négativement à 13 demandes d'implantations
industrielles en 1996 pour manque d'espace.
C. UNE EXCELLENCE LOGISTIQUE
1. La primauté des considérations commerciales
La notoriété des ports du Benelux provient
d'abord d'une stratégie commerciale qui vise à satisfaire le
client avant tout. Anvers comme Rotterdam veillent à conserver tous les
types de trafics de façon à offrir un nombre important de
dessertes et de lignes régulières sur les marchés
émergents. Cette stratégie commerciale "tous azimuts" facilite la
rencontre entre le fret et les chargeurs, en accroissant les chances pour un
navire venant décharger au port de trouver du fret de retour.
Toutes les entreprises de la zone portuaire travaillent selon le principe des
"flux tendus", fondé sur une rotation rapide des stocks. Les
entreprises
industrielles concourent elles-mêmes à la productivité
horaire en réalisant, lors du conditionnement, certaines
opérations de différenciation des produits. Les
sociétés de transitaires proposent une activité de
sous-traitance aux firmes qui exportent sur le marché européen,
et la flexibilité des entrepôts leur permet de répondre
à la commande de petites séries très
différenciées.
Les administrations portuaires et douanières participent par leur
souplesse à la compétitivité globale du port. Elles ont
entièrement intégré la primauté de la logique
commerciale dans leurs comportements quotidiens.
2. Une desserte terrestre adaptée
Les ports du Benelux bénéficient d'un avantage
naturel qui est leur position géographique idéale en Europe.
Situés au confluent des grands courants d'échanges entre le Nord
de l'Europe et l'Europe centrale, ils constituent le débouché
fluvial de l'Allemagne et plus particulièrement de la Ruhr.
Cet avantage naturel est exploité adroitement par une desserte terrestre
sans faille. Par l'intermédiaire de plates-formes intermodales
situées en avant-port, Anvers et Rotterdam sont en prise directe avec
les réseaux autoroutiers, ferroviaires et fluviaux de l'Europe
entière. Les principaux centres industriels du continent peuvent
être atteints en 24 heures. Ces ports offrent des gammes étendues
de solutions logistiques intégrant tous les modes de transport à
un prix compétitif.
La croissance continue des trafics aboutit certes à des engorgements des
accès terrestres, qui pourraient affecter la compétitivité
globale des ports s'il n'y était pas remédié. Mais,
là encore, les pouvoirs publics belges et néerlandais consentent
en temps utile les investissements nécessaires pour lever ces
verrous : modernisation du port fluvial desservant Anvers dans le cadre du
projet "Rhin d'acier", construction d'une ligne ferroviaire
dédiée au fret de Rotterdam à la frontière
allemande dans le cadre du projet "Bettuwe".
3. Une automatisation poussée
La compétitivité des ports du Benelux repose sur
une automatisation poussée dans tous les domaines, qui ne répond
pas tant au souci d'économiser la main d'oeuvre qu'à celui de
gagner du temps.
Cette automatisation accroît la productivité des engins de
manutention et des outils de gestion des parcs à conteneurs et des
entrepôts. L'informatisation des installations portuaires permet aux
différents acteurs d'anticiper l'arrivée d'un navire. Ainsi, le
système informatique du port de Rotterdam permet de connecter tous les
acteurs privés entre eux et avec les autorités douanières,
qui suivent en temps réel la situation de la marchandise et n'ont plus
besoin d'interrompre le chargement pour les contrôles et les
formalités.
Les ports de Benelux atteignent ainsi une maîtrise du temps qui est un
élément essentiel de leur compétitivité. Les
navires y viennent aussi pour apurer les retards pris dans d'autres ports. Le
temps d'accostage est de 2 heures à Rotterdam et de 4 heures
à Anvers. Le temps d'escale est de 32 heures en moyenne à
Rotterdam et de 72 heures à Anvers.
Cette vitesse de travail des ports du Benelux leur permet de faire accepter aux
chargeurs des coûts de manutention relativement élevés.
4. Un climat social serein
A Anvers comme à Rotterdam, les dockers sont
organisés en pools de travail en situation de monopole. Les entreprises
bénéficient néanmoins de la liberté de choix pour
le recrutement des intermittents. Dans les faits, chaque compagnie de
manutention dispose d'une équipe fidélisée. Par ailleurs,
à Anvers, une prolongation excessive des périodes de
chômage indemnisé peut entraîner le retrait du statut
d'ouvrier portuaire.
Le dialogue social est une institution fortement ancrée aux Pays-Bas
comme en Belgique. Il y prend la forme d'une recherche permanente du consensus
dans le cadre de négociations globales annuelles et surtout, une fois
l'accord conclu, du respect des engagements pris.
A Anvers, la forte productivité des ouvriers portuaires est la
conséquence d'une individualisation poussée des salaires. Les
entreprises ont mis en place un système de primes libres, qui
représentent jusqu'à 30% du salaire des dockers, qui
s'établit en moyenne à 12.000 francs. Cette individualisation est
la contrepartie d'un assouplissement des règles d'organisation du
travail qui permet aux activités portuaires de ne jamais s'interrompre.
Le travail se poursuit les samedis, dimanches et jours fériés.
La flexibilité du travail des dockers n'a pas été
poussée aussi loin à Rotterdam. Mais, dans tous les cas, la
sérénité du climat social confère aux ports du
Benelux une excellente image de marque auprès des armateurs et des
chargeurs, qui ont la certitude de ne jamais se retrouver bloqués
à quai. La parfaite fiabilité d'un port est un argument
commercial majeur pour ses utilisateurs.
III. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER
Un certain nombre d'enseignements peuvent être
tirés des analyses précédentes au profit des ports
français. Il ne s'agit pas pour autant de transposer en France un
hypothétique "modèle" étranger. Ce serait ignorer le poids
de nos traditions nationales, au regard desquelles le statut de port autonome
apparaît bien adapté.
Néanmoins, votre rapporteur est convaincu que la proximité d'une
tutelle municipale contribue à l'efficacité du soutien des
pouvoirs publics aux ports du Benelux. Une évolution en ce sens est
perceptible en France, où les collectivités locales
concrétisent financièrement un intérêt pour les
ports que l'Etat ne manifeste plus guère.
Il ne semblerait pas illogique de pousser cette évolution jusqu'au bout
en renforçant -sous une forme à déterminer- la
participation des collectivités territoriales à la gestion des
ports, y compris et surtout des plus importants. Ce débat institutionnel
reste toutefois secondaire, car l'efficacité concrète d'un port
est largement indépendante de son organisation statutaire.
A cet égard, une attitude d'imitation servile serait d'autant plus vaine
que le secret de la compétitivité des ports du Benelux
réside autant dans l'acquis de leur taille gigantesque que dans leur
mode de fonctionnement propre.
Ce dernier constat ne doit pas pour autant conduire à la
résignation. Votre rapporteur reste persuadé qu'il est utile, et
urgent, d'agir avec pragmatisme en matière de politique portuaire,
après avoir bien défini ce qui dépend de l'intervention de
la puissance publique.
A. ACCROÎTRE L'INVESTISSEMENT DANS LES PORTS FRANÇAIS
1. Consacrer les ports comme priorité budgétaire
Les ports français doivent être consacrés
comme une véritable priorité budgétaire, afin de recevoir
les moyens de leur développement.
Jusqu'à présent, les pouvoirs publics français ne semblent
pas avoir pris pleinement conscience que le dynamisme des ports conditionne
très largement la localisation de l'activité industrielle.
L'investissement public dans les ports maritimes est très certainement
l'un des types d'investissement public qui a le plus fort effet multiplicateur,
compte tenu de l'activité et des emplois induits.
Il est absolument nécessaire, surtout en période de rigueur
budgétaire, de préserver une capacité d'investissement qui
ménage l'avenir.
A la différence de la France, pays de tradition terrienne, la Belgique
et les Pays-Bas ont une claire conscience de ce qu'ils doivent à leurs
ports, et conçoivent l'ensemble de leurs politiques d'infrastructures en
fonction des intérêts de ceux-ci. Votre rapporteur, qui sait
combien les concours budgétaires sont chichement mesurés aux
ports français, a été frappé de constater que nos
voisins n'hésitent pas à se lancer dans des investissements
portuaires apparemment surdimensionnés, convaincus qu'une fois en place,
les installations sauront générer le trafic. Et force est de
constater que ce volontarisme n'a jusqu'à présent jamais
été démenti par les faits.
2. Solliciter plus systématiquement les aides communautaires
La modestie relative des concours budgétaires impose de
chercher à utiliser au mieux les aides européennes existantes. La
difficulté vient de la complexité du système des aides
communautaires et du fait qu'il n'existe pas un programme unique d'aide pour
les ports.
Un port est un établissement qui couvre beaucoup d'aspects de la vie
économique et tout projet portuaire est de nature à relever d'une
pluralité de programmes sectoriels, notamment dans les domaines suivants
:
- développement régional ;
- protection de l'environnement ;
- développement de la recherche et des nouvelles technologies ;
- emplois, éducation et formation permanente ;
- économies et sécurité énergétiques.
Votre rapporteur a pu constater que le port de Rotterdam, par exemple,
n'hésitait pas à demander la qualification de ses travaux de
dragage et d'entretien des digues au titre des programmes communautaires de
protection de l'environnement. Les ports français pourraient utilement
s'inspirer de cette pratique, qui suppose toutefois un traitement des
résidus de dragage irréprochable sur le plan écologique.
Le port du Havre a développé une capacité d'expertise dans
le domaine des aides communautaires, et entretient avec la Commission de
Bruxelles des contacts permanents. Il serait opportun de trouver le moyen de
faire profiter l'ensemble des ports français de cette expérience.
3. Encourager l'investissement privé dans les zones portuaires
Les ports français de la Manche-Mer du Nord
possèdent l'avantage de disposer encore de l'espace qui fait aujourd'hui
défaut à leurs concurrents du Benelux. Cet atout est
renforcé par une politique de tarifs comparativement bas pour la
location de ces espaces à aménager.
Le frein principal à l'investissement privé dans les zones
portuaires françaises a longtemps été le manque de
fiabilité de nos ports. Cette crainte s'estompe aujourd'hui, et les
conditions semblent réunies pour un développement rapide des
investissements privés. La France reste l'un des premiers pays
européens d'accueil des investissements étrangers et il ne semble
pas inconcevable de réussir à orienter ce flux vers les zones
portuaires.
Néanmoins, le dispositif résultant de la loi sur la
domanialité publique du 25 juillet 1994 apparaît encore trop
restrictif par rapport aux pratiques de nos voisins. En particulier, la
durée des baux, fixée à 70 ans maximum, reste relativement
courte. De même, la règle selon laquelle les installations
deviennent gratuitement la propriété du port à l'issue de
cette période, est évidemment dissuasive pour les investisseurs
privés.
B. AMÉLIORER LA DESSERTE TERRESTRE DES PORTS FRANÇAIS
1. Mettre en oeuvre les schémas directeurs
Le schéma de desserte terrestre des ports maritimes
défini en 1996 par le rapport Belmain, en fonction des prévisions
d'activité à l'horizon 2015 et des besoins exprimés par
chacun des ports, constitue une base solide, qui mérite d'être
intégrée aux schémas directeurs routier, fluvial et
ferroviaire.
Les tableaux ci-après récapitulent les besoins exprimés
par les ports de la Manche-Mer du Nord.
Besoins du port autonome du Havre en matière de desserte terrestre |
||
MODE ROUTIER |
MODE FERROVIAIRE |
MODE FLUVIAL |
- A28 (Rouen-Alençon).
|
- Electrification de la
section
Motteville-Montérolier-Buchy de la ligne Le Havre-Amiens.
|
- Restauration des
écluses de Tancarville et des
ouvrages de Notre Dame La Garenne.
|
Besoins du port autonome de Dunkerque en matière de desserte terrestre |
||
MODE ROUTIER |
MODE FERROVIAIRE |
MODE FLUVIAL |
- Achèvement par la
Belgique du tronçon
devant relier l'A16 au réseau autoroutier belge.
|
- Electrification et
doublement
de la voie reliant
Dunkerque au Port-Ouest et au Tunnel.
|
- Proposition d'une
charge pour
le développement
de la voie fluviale à Dunkerque, rassemblant le Port Autonome et l'UMC,
VNF, les représentants des transporteurs fluviaux et le port de Lille.
|
Besoins du port autonome de Rouen en matière de desserte terrestre |
||
MODE ROUTIER |
MODE FERROVIAIRE |
MODE FLUVIAL |
Desserte de
proximité
:
|
- Résoudre le
problème de la congestion de
la grande ceinture.
|
- Desserte de
la
Champagne par Compiègne-Reims et
par des aménagements définitifs jusqu'à Nogent.
|
Le fait que la desserte des ports ait été
pendant longtemps négligée dans les schémas autoroutiers
nationaux et dans le développement du réseau ferroviaire peut
s'expliquer par la pluralité inévitable des objectifs de la
politique des transports dans un pays étendu comme la France. A cet
égard, les arbitrages sont plus aisés à rendre dans des
pays plus petits et plus densément peuplés comme la Belgique ou
les Pays-Bas.
Le retard qui a été ainsi pris dans la desserte terrestre des
ports français semble à présent en passe d'être
rattrapé, à la condition que les opérations
programmées soient effectivement financées.
Votre rapporteur ne peut qu'espérer la réalisation la plus rapide
possible de toutes ces opérations, tout en ayant bien conscience que
l'ampleur des financements nécessaires suppose des délais
importants, au moins à échéance de dix ans.
2. Utiliser au mieux les infrastructures existantes
L'impossibilité de réaliser immédiatement
tous les travaux souhaitables d'amélioration de la desserte terrestre
rend d'autant plus nécessaire d'utiliser efficacement les
infrastructures existantes. Des progrès restent à faire sur ce
point.
Ainsi, en matière de transport routier, la réglementation en
vigueur limite le poids des camions à 40 tonnes s'ils vont à
destination d'un port français, mais à 44 tonnes s'ils sont
à destination d'un port belge ou hollandais. Cette aberration s'explique
par le fait que la France ne souhaite pas l'harmonisation à
44 tonnes envisagée au niveau communautaire, mais ne peut imposer
sa propre limitation que sur les trajets purement nationaux.
En matière de transport fluvial, certaines réformes
organisationnelles seraient de nature à renforcer la
compétitivité de ce mode de transport. Il s'agit de lever les
entraves réglementaires à la liberté de navigation des
bateaux fluviaux dans les enceintes portuaires, ainsi que de supprimer
l'obligation du tour de rôle pour les contrats au voyage.
En matière de transport ferroviaire, le développement du trafic
des marchandises souffre de la priorité donnée au trafic de
voyageurs sur le réseau français, priorité encore
renforcée par l'ouverture de nouvelles lignes TGV.
S'il semble difficile de revenir sur cette priorité aux voyageurs, la
compétitivité du transport ferroviaire peut être grandement
améliorée par la mise en service de "navettes" à cadences
rapprochées et régulières entre les grands ports et les
principales villes. Les préoccupations de rentabilité de la SNCF
l'ont conduite à mettre en place dans un premier temps des navettes
à destination d'Anvers, mais elle a récemment mis en service des
navettes desservant le Havre.
3. Orienter les programmes communautaires
Les préoccupations portuaires semblent insuffisamment
relayées par la France au niveau communautaire, à la
différence de la Belgique ou des Pays-Bas, qui ont toujours
veillé à ce que les intérêts de leurs ports soient
intégrés dans les programmes européens de réseaux
de transports.
De ce point de vue, l'épisode des "corridors de fret" est
révélateur. Les études de la Commission européenne
ont été étrangement favorables aux ports du Nord de
l'Europe, et les premiers projets arrêtés par le Conseil ont
confirmé cette orientation.
La SNCF a certes présenté des contre-propositions, plus
favorables aux ports français. Mais celles-ci doivent encore être
appuyées officiellement par le Gouvernement auprès des instances
bruxelloises. En tout état de cause, la compagnie ferroviaire nationale
ne pourra pas prendre en charge le coût des investissements
nécessaires à la concrétisation de ces liaisons Ouest-Est,
qui dépend d'une décision politique.
Plus généralement, à l'exemple des pays voisins, la France
ne devrait pas non plus hésiter à user de son influence pour
orienter favorablement à ses ports les décisions prises dans les
instances communautaires, et s'efforcer de le faire le plus en amont possible.
Cette stratégie apparaît d'autant plus opportune qu'une politique
portuaire européenne spécifique pourrait bientôt être
mise en place.
C. RENFORCER L'EFFICACITÉ PROPRE DES PORTS FRANÇAIS
1. Consolider la réforme de la manutention
La réforme de la manutention engagée en 1992 est
globalement un progrès, mais elle doit encore être
consolidée sur plusieurs points.
Premièrement, le retour au droit commun du travail doit s'effectuer de
la manière la plus complète, ce qui suppose que soit levée
l'ambiguïté sur la notion de docker occasionnel, qui ne doit pas
devenir un moyen détourné de ressusciter en fait le
système de l'intermittence.
Deuxièmement, la question des sureffectifs, qui se pose à nouveau
en raison des progrès constants de la productivité, pourrait
être réglée par des mesures d'âge.
Troisièmement, les gains de productivité résultant de la
réforme de la manutention sont en partie limités par le maintien
d'une organisation réservant la conduite de l'outillage à du
personnel de l'administration portuaire. Les négociations
engagées dans certains ports pour intégrer progressivement le
personnel grutier dans les entreprises de manutention mériteraient
d'être poursuivies et étendues.
En toute hypothèse, la mise en oeuvre de ces réformes ne peut se
faire que de manière consensuelle. Une résurgence des mouvements
de grève de 1992 serait une catastrophe pour les ports français.
Votre rapporteur a pu constater lors de sa mission que le souvenir en est
encore vif chez les armateurs et les chargeurs, et que les ports
étrangers concurrents ne se font pas faute de l'entretenir.
2. Moderniser les professions réglementées
Les services portuaires très spécialisés
du pilotage et du remorquage sont organisés en professions
réglementées qui disposent d'un monopole de droit pour la
première et de fait pour la seconde.
Le caractère réglementé et monopolistique de ces
professions s'explique par des impératifs de sécurité
vitaux pour le bon fonctionnement des ports. Mais il a eu pour
conséquence de créer des rentes de situation qui sont de moins en
moins défendables à mesure que la pression de la concurrence se
renforce sur tous les autres acteurs de la filière portuaire.
Toutefois, la solution radicale de l'abandon du monopole n'est pas la seule.
Votre rapporteur estime qu'une amélioration de la productivité de
ces professions pourrait être obtenue de façon pragmatique, dans
le cadre réglementaire actuel, par la modernisation de leurs modes de
fonctionnement.
Il s'agit notamment de la révision des modes de fixation des tarifs dans
le sens de la transparence, impliquant la négociation directe avec le
client et la disparition des prestations fictives.
Au-delà de la question des professions réglementées, se
pose celle de la fragmentation des professions portuaires en France. L'une des
forces des ports du Benelux est de proposer à leurs utilisateurs les
services de sociétés de logistiques très
intégrées, capables d'offrir une prestation complète d'un
bout à l'autre de la chaîne du transport. Il n'en va pas de
même dans notre pays, où la multiplication des
intermédiaires est un facteur de complications et de coûts
supplémentaires. Mais, l'amélioration de cette situation ne peut
évidemment pas résulter d'une initiative législative ou
réglementaire des pouvoirs publics.
3. Réduire les distorsions douanières et fiscales
Les ports français sont victimes de certaines
distorsions de concurrence d'origine douanière et fiscale par rapport
à leurs voisins.
En ce qui concerne les contrôles vétérinaires et
phytosanitaires, l'harmonisation communautaire est encore insuffisante et la
réglementation, lorsqu'elle existe, n'est pas toujours respectée
par les ports nord-européens.
Les délais de régularisation des restitutions versées dans
le cadre de la politique agricole commune restent encore plus longs que ceux
des ports du Benelux, en dépit des progrès récents.
Mais, plus grave que ces différences de réglementations, sont les
différences des pratiques douanières. Les douanes des pays du
Benelux sont notoirement plus accommodantes que les douanes françaises,
et leurs sanctions plus légères. Aux Pays-Bas, il n'y a pas
d'amendes proprement dites. En cas d'infraction, l'entreprise fautive est
simplement tenue d'acquitter les droits dus. La seule voie
d'amélioration réside dans les travaux en cours de la Commission
européenne pour harmoniser au niveau communautaire les contrôles
et les sanctions douanières.
Une autre distorsion de concurrence résulte du régime de la taxe
professionnelle sur les transports. L'acheminement terrestre de marchandises
passant par le port d'un Etat étranger est considéré comme
un transport international ouvrant droit à une réduction de taxe
professionnelle pour les transporteurs qui les réalisent. En revanche,
cette réduction n'est pas possible lorsque la marchandise passe par un
port français.
Enfin, certaines marchandises importées de pays tiers à l'Union
européenne sont frappées par des taxes parafiscales à leur
arrivée en France. Or, les mêmes marchandises échappent
à ces taxes si elles sont importées dans un autre Etat membre
puis mises en libre pratique pour être expédiées en France.
Ce mécanisme entraîne, pour les produits concernés, des
détournements de trafics au profit des ports européens
concurrents.
Taxes parafiscales sur les produits importés en
France de pays tiers
Intitulé |
Taux |
Champ d'application |
Pêches maritimes et cultures marines |
0,30 % ou 0,20 %
|
Poissons, crustacés, mollusques, algues, échinodermes de mer, saumons et truites de mer |
Secteur du cuir |
0,18 % |
Cuir, chaussures, maroquinerie |
Textile et maille |
0,08 % textiles
|
Produits textiles et en maille |
Habillement |
0,11 % |
Articles d'habillement |
Ameublement |
0,15 % ou 0,20 % |
Articles d'ameublement |
Horlogerie |
0,20 % |
Articles d'horlogerie et de bijouterie |
Tomates (actuellement suspendue) |
0,030 à 0,6 F/kg net
|
Tomates, jus de tomates, conserves, concentrés |
Pruneaux |
4 % |
Pruneaux |
CONCLUSION
Le contexte international dans lequel s'inscrit la politique
portuaire française est en mutation. Sous l'effet des évolutions
techniques, la concurrence entre les ports européens s'intensifie.
Réagissant à cette tendance spontanée, la Commission
européenne commence à s'inquiéter de
l'égalité des conditions de concurrence entre les places
portuaires et propose de mettre en place une véritable politique commune
dans ce domaine.
Il est par ailleurs intéressant d'observer la manière dont la
Commission se trouve prise dans ses propres contradictions, entre son
inspiration purement libérale d'origine et sa nouvelle
préoccupation d'aménagement du territoire communautaire.
En effet, le simple jeu des forces du marché ne peut qu'aboutir à
renforcer la concentration des flux de trafics dans les ports
déjà en situation dominante, d'une manière
inéquitable pour les différents Etats membres et
préjudiciable à l'équilibre économique et
écologique global des transports terrestres en Europe.
S'agissant du sujet plus précis de la situation des ports
français de la Manche-Mer du Nord face à leurs voisins du
Benelux, votre rapporteur retire trois impressions de sa mission de
contrôle et d'information.
Première impression, comparés à leurs concurrents du
Benelux, les ports français de la Manche-Mer du Nord ne
déméritent ni par la qualité de leur gestion, ni par le
niveau de leurs tarifs. La question de leur fiabilité continue toutefois
de faire peser sur eux une hypothèque sérieuse.
Mais leur vraie faiblesse par rapport à leurs voisins du Nord
réside dans le fait qu'ils sont des outils techniques plus que de
véritables communautés d'affaires ou, autrement dit, des "ports
d'ingénieurs" plus que des "ports de marchands". Toutefois, les
mentalités évoluent rapidement, comme le prouvent la
révolution récente des pratiques douanières ou l'appel
"oecuménique" lancé par l'ensemble des professions portuaires
françaises et les armateurs étrangers au début de cette
année.
Ce nouveau dynamisme des acteurs portuaires, qui demande à être
confirmé, est encourageant car il constitue le véritable espoir
de succès des ports français. L'intervention publique, aussi
utile soit-elle, ne peut s'y substituer s'il fait défaut.
Deuxième impression, la compétitivité supérieure
des deux ports champions du Benelux s'explique d'abord par les économies
d'échelle découlant de leur taille, même si elle est aussi
confortée par une forte implication des pouvoirs publics.
Toutefois, ce modèle de gigantisme semble avoir atteint ses limites,
avec le manque d'espace et l'engorgement des accès terrestres. Par
ailleurs, la cherté relative de ces grands ports est de plus en plus mal
supportée par leurs utilisateurs, et un mouvement de déplacement
d'activité vers des ports de moindre taille se fait jour.
Troisième impression, il existe une réelle opportunité
à saisir pour les ports français de la Manche-Mer du Nord qui,
sans pouvoir prétendre faire jeu égal, ne partent certainement
pas battus d'avance dans la compétition avec leurs voisins. Mais il est
nécessaire d'agir vite, car les ports du Benelux ont planifié les
investissements nécessaires pour faire sauter les goulots
d'étranglement de leur développement, et retrouveront
bientôt toute leur agressivité commerciale.
*
* *
Réunie le mercredi 22 octobre 1997 sous la présidence de M. Christian Poncelet, la commission des finances a donné acte à M. Marc Massion des conclusions de sa mission de contrôle et en a décidé la publication sous la forme d'un rapport d'information.
RÉCAPITULATIF DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT
1.
Renforcer institutionnellement la participation des
collectivités territoriales à la gestion des ports ;
2.
Consacrer effectivement les ports maritimes comme une priorité
budgétaire ;
3.
Solliciter de façon plus systématique les aides
communautaires, en mettant à profit les expériences
acquises ;
4.
Encourager l'investissement privé dans les zones portuaires en
assouplissant la loi sur la domanialité publique du 25 juillet
1994 ;
5.
Respecter scrupuleusement la programmation du schéma de
desserte terrestre des ports ;
6.
Utiliser au mieux les infrastructures de transport existantes en
harmonisant la réglementation routière communautaire et en
développant les navettes ferroviaires ;
7.
Orienter dès leur conception les programmes européens
de réseaux de transports dans un sens favorable aux ports
français ;
8.
Consolider la réforme de la manutention de 1992, en achevant
le retour au droit commun du travail, en résorbant les sureffectifs
résiduels et en intégrant fonctionnellement le personnel
grutier ;
9.
Moderniser les modes de fonctionnement et de tarification des
professions portuaires réglementées du pilotage et du
remorquage ;
10.
Réduire les distorsions douanières et fiscales, en
harmonisant les pratiques douanières européennes et en corrigeant
certaines particularités du droit fiscal interne pénalisantes
pour les ports français.
ANNEXES
I. PROGRAMME DES DÉPLACEMENTS
Port d'Anvers - Mercredi 23 avril 1997
7H40 Départ de Paris
10H45 Accueil à la maison du port (Havenhuis) par le baron
Delwaide, échevin-président du port.
11H00 Séance de travail avec différents acteurs portuaires :
M. A. AUDET, directeur général de Northern Shipping Cy
M. C. INGHELS, directeur de l'administration de la douane
M. P. BLONDÉ, directeur général de l'association des
intérêts portuaires
M. J. BURVENICH, directeur général adjoint du port
M. F. VAN OSHAEGEN, conseiller à la direction générale du
port
12H30 Déjeuner.
14H30-16H30 Visite en voiture des installations portuaires, des
travaux d'extension et du zoning industriel.
17H53 Départ d'Anvers .
Port de Rotterdam - Lundi 28 avril 1997
7H20 Départ de Paris
10H30 Accueil au siège de l'autorité portuaire de Rotterdam
10H45 Introduction et présentation générale du port
par :
M. Ivo BLOM, directeur du service des communications et relations
extérieures
11H30 Exposé sur l'attractivité et la
compétitivité du port par :
MM. G. VAN HASSELT, directeur du service stratégie et innovation du
port et T. Willemsen, responsable du service informatique du port
12H45 Déjeuner
14H30 Visite du port de Rotterdam à bord du navire "Nieuwe Maze"
17H00 Visite du terminal automatisé de conteneurs "Delta" du
manutentionnaire "E.C.T."
18H15 Retour au centre de Rotterdam, fin de la visite
19H32 Départ pour Bruxelles.
Direction générale des transports (DG VII) de la Commission
européenne - Mardi 29 avril 1997
8H45 Entretien avec M. Daniel HOLTGEN, Chef de l'unité D/3 Projets de
réseaux, à la Direction des réseaux transeuropéens
et M. Dirk VAN VRECKEM, Chef de l'unité B/1 Marchandises, à la
Direction des transports terrestres
10H00
Entretien avec M. Fernando ARAGON MORALES, Chef de l'unité
D/4 Politique portuaire, à la Direction des transports maritimes
12H30 Déjeuner avec MM. LAMOISE et DUMONT, conseillers pour les
questions de transports à la Représentation permanente de la
France auprès de l'Union européenne.
15H07 Départ de Bruxelles
Port autonome de Rouen - Mardi 24 juin 1997
10H00
Entretien avec M. René GENEVOIX, directeur du port
autonome.
Port autonome de Dunkerque - Vendredi 4 juillet 1997
9H00 Entretien avec M. Bruno VERGOBBI, directeur du port autonome
12H30 Déjeuner
14H00 Visite du port.
Port autonome du Havre - Mardi 9 juillet 1997
10H00 Entretien avec M. André GRAILLOT, Directeur du port autonome.
12H30 Déjeuner
II. PERSONNES AUDITIONNÉES
Collectif des
organisations professionnelles
et
des
armements internationaux
auteurs du "Plan d'urgence au service
des
ports français et du commerce international"
- Mercredi 21 mai
1997
Mme Daphnée EHRMANN
, secrétaire générale
de l'Association des Utilisateurs de transport de Fret - Conseil des
Chargeurs Maritimes Français.
M. Edouard de CLEBSATTEL
, président de la
Fédération des Agents Consignataires et Agents Maritimes de
France.
M. Hubert PIETRI
, président de l'Union Nationale des
Industries de la Manutention.
M. Gabriel PERI
, secrétaire général de l'Union
des Ports Autonomes et des Chambres de Commerce et d'Industrie Maritimes.
M. Paul-Marie RIVOALEN
, directeur des transports de
Vallourec-Mannesmann tubes
M. Jean-Yves PAMART
, directeur général de Sea Land - Le
Havre.
M. Pierre KARSENTI
, directeur-adjoint des transports maritimes
d'Elf-Aquitaine.
M. Armand TOUBOL
, directeur du fret à la SNCF - Mercredi 25 mai
1997
M. Michel DANET,
directeur de l'Union douanière et de la
coopération internationale à la DGDDI - Mercredi 4 juin 1997
M. André CHAVARROT
, directeur du Transport Maritime, des Ports
et du Littoral - Mercredi 18 juin 1997
M. Joseph Erwan COURTEL
, président de l'Union des Ports
Autonomes et des Chambres de Commerce et d'Industrie Maritimes - Jeudi
26 juin 1997
1 Association des utilisateurs de Transport de Fret (AUTF - CCMF) - Fédération Française des Organisateurs et Commissionnaires de Transport (FFOCT) - Fédération des Agents Consignataires et Agents Maritimes (FACAM) - Union nationale des Industries de la Manutention (UNIM) - et les armements internationaux : COSCO, EVERGREEN, MAERSK, MITSUI/OSK, OOCL, P & O / NEDLLOYD, SEA-LAND, ZIM.