III. AVEC LE PARI DE LA DISSOLUTION, L'EXÉCUTIF A LAISSÉ FILER LE DÉFICIT AU-DELÀ DE 6 % EN 2024, ET À PRÈS DE 7 % EN 2025 SI RIEN N'ÉTAIT FAIT

La dissolution de l'Assemblée nationale, après le refus d'un collectif budgétaire, montre que le président de la République a choisi de repousser à plus tard les difficultés budgétaires auxquels l'État était confronté, alors que la situation catastrophique des finances publiques imposait une action rapide.

Même après les élections, la nomination d'un Gouvernement de plein exercice a tardé, ce qui a empêché la prise de mesures fortes pour réduire, dans la mesure où c'était encore possible, la dégradation des comptes. Alors que la nouvelle Assemblée nationale a tenu sa réunion constitutive le 18 juillet, le pouvoir est en effet resté entre parenthèses pendant plus de deux mois supplémentaires, le nouveau Gouvernement n'étant nommé que le 21 septembre. Or, cette vacance du pouvoir n'a fait que contribuer à la poursuite de la dégradation des comptes et à l'absence de réaction des pouvoirs publics.

Pendant plusieurs mois, les services du ministère de l'économie et des finances ont été contraints de travailler dans l'isolement le plus total, et sans décision politique, tant pour l'exécution 2024 que pour la préparation du budget 2025.

La dissolution de l'Assemblée nationale n'a fait que repousser encore la prise des décisions qui s'imposaient depuis plusieurs mois déjà.

Le sentiment général d'irresponsabilité et de déni collectif sur la situation des finances publiques, déjà constaté par la mission d'information au printemps dernier, est ressorti avec encore plus de netteté des auditions tenues par la mission d'information. Ainsi l'ancien ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, a-t-il affirmé que « nous pouvions avoir, avec des mesures de redressement plus vigoureuses, un déficit autour de 5,5 % en 2024. Je conteste donc formellement le chiffre de 6,1 % », propos repris par l'ancien ministre des comptes publics, Thomas Cazenave, qui se demande : « est-ce que les mesures que nous avons prises permettaient de tenir un objectif de déficit public à 5,5 % ou 5,6 % du PIB ? Je crois que oui ». Pour l'ancien Premier ministre, Gabriel Attal, « le déficit 2024 pourrait s'établir, non pas à 6,1 %, mais à 5,5 % ».

L'inaction passée ne peut être masquée par cette tentative de détournement de responsabilité en direction du nouveau Gouvernement, à qui a été laissée la charge de combler les déficits creusés au cours des années passées. Dès le début de son intervention, le 7 novembre, Bruno Le Maire a affirmé que « le déficit pour 2024 sera à 6,1 % du fait du choix du gouvernement actuel », alors même que ce gouvernement n'a été nommé qu'à la fin septembre, après les dernières alertes de l'administration sur la dégradation des comptes : avant même la constitution du Gouvernement de Michel Barnier, une note du Trésor du 11 septembre prévoyait, si rien n'était fait, un déficit public à 6,3 % en 2024. On voit difficilement comment le nouveau Gouvernement pourrait en être tenu responsable.

Pourtant, « le chiffre d'un déficit supérieur à 6 % avancé par le Gouvernement est donc biaisé », a insisté Bruno Le Maire, suivi par Thomas Cazenave : « Le gouvernement actuel n'a pas repris nos mesures de fiscalité rétroactive ni mis en oeuvre nos mesures réglementaires » et par Gabriel Attal : « À sa nomination, le nouveau gouvernement avait la possibilité d'annuler jusqu'à 7 ou 8 milliards d'euros de crédits en fin de gestion. (..) Par ailleurs, nous avons laissé à la disposition de nos successeurs le paquet de mesures sur la sécurité sociale afin de réaliser des économies en cours d'année 2024. C'est un choix du Gouvernement de ne pas signer les décrets correspondants ».

Les anciens responsables auditionnés se sont réunis dans une convergence remarquable pour mettre en cause leurs successeurs.

Les anciens ministres auditionnés ont spontanément tenu le même langage selon lequel un nouveau Gouvernement entré en fonctions le 21 septembre, par ailleurs chargé de finaliser en quelques jours un projet de loi de finances et un projet de loi de financement de la sécurité sociale, aurait pu faire ce que ses prédécesseurs n'avaient pas engagé depuis le mois de décembre 2023.

Tous ont souligné que les mesures qu'ils préconisaient auraient permis de contrecarrer la dérive du déficit, alors qu'un déficit égal à 5,5 % du PIB aurait été de toute manière très supérieur à celui de 4,4 % prévu par la loi de finances initiale qu'ils avaient eux-mêmes fait adopter, par le recours de la procédure du 49-3 à l'Assemblée nationale - laquelle loi de finances est d'ailleurs toujours en vigueur à l'heure actuelle en l'absence de collectif budgétaire. Ainsi l'actuel Gouvernement était-il sommé de reprendre, sans étude préalable et sans concertation avec les acteurs concernés, des mesures à l'élaboration desquelles il n'avait pas été associé et qui pouvaient s'avérer tout à la fois douloureuses pour les Français et à l'effet récessif.

Aucun de ces responsables n'explique pourquoi les Gouvernements successifs depuis 2017, notamment ceux dans lesquels ils ont tenu les fonctions les plus élevées depuis les alertes de la fin 2023, n'ont pas pris plus tôt des mesures fortes pour préserver l'équilibre budgétaire.

Au fond, au moment où le déficit budgétaire s'envolait dangereusement, le changement de Premier ministre par deux fois, le ralentissement de l'action publique pour cause d'élection puis de dissolution et enfin une trop longue attente dans la désignation du nouveau Premier ministre ont été autant de mois perdus pour le rétablissement de nos comptes publics.

On note également un surprenant changement de position de certains des responsables auditionnés. Alors que le rapporteur général avait été dans l'obligation, le 21 mars dernier, de conduire un contrôle sur pièces et sur place pour disposer de l'information qui avait « fuité » la veille dans la presse d'un déficit public à 5,6 % en 2023 au lieu des 4,9 % attendus, alors que l'information sur les résultats des revues de dépense et sur les plafonds de crédits n'a été transmise que début septembre, suite à des demandes répétées, l'ancien ministre de l'économie et des finances qui avait retardé la transmission de ces documents considère désormais, libéré de la « fonction de ministre des finances qui [l]'entravait », que les mêmes documents devraient être transmis systématiquement à la commission des finances, comme le demandait la mission d'information au mois de juin dernier28(*). Le même ancien ministre, qui a depuis 2021 reporté des crédits d'un montant considérable d'année en année et hors de tout contrôle parlementaire, tient désormais un discours différent, affirmant que « les reports de crédits dépossèdent le Parlement de son pouvoir législatif », donnant raison aux alertes de la commission des finances qu'il a ignorées pendant trois ans.

Les précédents Gouvernements ont ainsi mis le Parlement et les Français devant le fait accompli d'un déficit budgétaire abyssal et historique fin 2024, nécessitant des mesures de redressement dont ils rejettent désormais toute responsabilité.


* 28 « Je reprends les deux propositions sur lesquelles j'avais émis des réserves comme ministre des finances et sur lesquelles je n'en émets plus » (audition du 7 novembre 2024).

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