N° 133
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de
l'éducation, de la communication et du sport (1) sur les
contrats d'objectifs et de
moyens 2024-2028
des
sociétés de l'audiovisuel
public,
Par M. Cédric VIAL,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Mireille Conte Jaubert, Evelyne Corbière Naminzo, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Virginie Lucot Avril, Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Maurice Perrion, Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.
AVANT-PROPOS
En application de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le Premier ministre a saisi le Président du Sénat des projets de contrats d'objectifs et de moyens (COM) de quatre sociétés de l'audiovisuel public pour la période 2024-2028 : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA).
L'article 53 de la loi de 1986 prévoit la conclusion de COM entre l'État et cinq entités de l'audiovisuel public. Le projet de COM d'Arte France suit toutefois une temporalité spécifique puisqu'il découle du projet de groupe de la chaîne franco-allemande. Il sera la traduction, pour la partie française, du projet de groupe adopté le 9 octobre 2024 par l'assemblée générale du groupement européen d'intérêt économique (GEIE) d'Arte pour la période 2025-2028. Ce projet de COM doit être transmis prochainement au Parlement.
Si la loi prévoit l'obligation de conclure des COM, elle ne prévoit aucune sanction si l'État manque à cette obligation ou ne respecte par les termes du document. C'est ainsi que les projets de COM des quatre sociétés précitées n'entreront en vigueur qu'à l'issue de leur première année théorique d'application. L'expérience a montré, par ailleurs, que ces COM étaient peu contraignants et qu'ils ne permettaient pas à l'État de mettre en oeuvre une véritable vision stratégique. La commission l'a regretté dans les avis défavorables qu'elle a rendus sur les projets de COM pour la période 2020-2022 puis sur les avenants qui ont prolongé ces COM sur l'exercice 2023.
L'article 5 de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, adoptée par le Sénat le 13 juin 2023, réécrit l'article 53 précité pour substituer aux COM des conventions stratégiques pluriannuelles. Une seule convention serait conclue, dans ce cadre, entre l'État et la holding France Médias, regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA.
Dans l'attente de cette réforme indispensable de la gouvernance de l'audiovisuel public, suspendue par la dissolution de l'Assemblée nationale, le rapporteur juge que les projets de COM transmis en juin au Parlement ont désormais perdu tout crédibilité. Avant même leur entrée en vigueur, leur trajectoire financière est déjà obsolète. Ces COM sont un exercice uchronique dont il n'est pas possible de se satisfaire. Afin de tenir compte des incertitudes budgétaires et de la nécessité de réformer en profondeur la gouvernance de l'audiovisuel public, le rapporteur suggère l'élaboration, dans des délais resserrés, de COM d'une durée de trois ans (2024-2026).
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable aux projets de contrats d'objectifs et de moyens des sociétés de l'audiovisuel public pour la période 2024-2028.
I. UN CONSENSUS AUTOUR DES GRANDES ORIENTATIONS DU SERVICE PUBLIC DE L'AUDIOVISUEL
A. DES OBJECTIFS PARTAGÉS CONFIRMANT LES STRATÉGIES DES ENTREPRISES
Les objectifs des projets de COM 2024-2028 s'inscrivent dans la continuité des orientations stratégiques définies par les précédents COM. Ces COM 2024-2028 prévoient notamment la poursuite de la transformation numérique, un renforcement de la place de l'information, des priorités données à la proximité et à la conquête du jeune public, ainsi qu'une offre culturelle diversifiée, adaptée à chaque antenne.
La transformation numérique est une priorité pour toutes les entreprises afin de répondre à l'évolution des usages. Toutefois, comme le souligne l'Arcom dans son avis du 24 juillet 2024 sur les projets de COM, la mise en place d'une plateforme commune à l'ensemble du service public n'est qu'insuffisamment évoquée alors que cette approche est suivie dans la plupart des pays de l'Union européenne.
L'information est devenue l'un des piliers de l'offre linéaire (avec le sport). La rationalisation de l'information produite au niveau national et la lutte contre la désinformation sont des priorités. Au plan local, le service public développe une offre de proximité en rapprochant les moyens existants. Au plan international, le groupe en charge de l'audiovisuel extérieur (France Médias Monde) est en première ligne dans la bataille de l'information.
La proximité est un atout que le service public de l'audiovisuel doit mettre davantage en valeur pour promouvoir une approche décentralisée et diversifiée, tant en matière d'information que de culture, de sport, etc. C'est l'objet du rapprochement entre France 3 et France Bleu autour de la marque « ICI » qui doit se décliner à la télévision, à la radio et sur supports numériques et se traduire par l'élaboration d'un schéma immobilier commun. La proximité concerne également l'outre-mer. Après la suppression de la chaîne France Ô, France Télévisions a pris 25 engagements à ce titre dans le cadre d'un « pacte de visibilité ».
La conquête des publics jeunes est un défi majeur. L'âge moyen des téléspectateurs de France 2 est de 62 ans. Les nouvelles générations utilisent massivement les outils numériques : formats vidéo courts, streaming, réseaux sociaux. Si les enfants consomment encore les programmes linéaires qui leur sont dédiés, les jeunes délaissent le visionnage d'émissions en linéaire sur un téléviseur commun à l'ensemble du foyer. L'offre doit s'adapter à ces nouveaux usages, afin d'attirer un public jeune vers des formats qualitatifs. Les coopérations avec l'éducation nationale (Lumni) ont vocation à être renforcées. En outre, pour limiter l'addiction aux écrans, le média audio (Radio France) a un rôle particulier à jouer.
L'accès de tous à la culture et le financement de la création sont au coeur des missions du service public de l'audiovisuel. Les nouveaux COM renouvellent l'ambition du service public dans ce domaine. France Télévisions s'engage à financer la création audiovisuelle à hauteur de 440 M€ annuels et le cinéma à hauteur de 80 M€ annuels. Radio France joue un rôle particulier pour promouvoir la diversité de l'offre musicale. L'INA est le média patrimonial, ayant pour mission de sauvegarder le patrimoine audiovisuel français.
Les médias de service public sont confrontés à des défis communs, résultant de la transformation progressive du paysage audiovisuel depuis deux décennies. Si chaque société occupe une place particulière, la plupart des orientations sont partagées par l'ensemble des acteurs. Or les objectifs et indicateurs demeurent cloisonnés par société. Contrairement aux précédents COM, les projets de COM 2024-2028 ne comportent pas de partie commune à toutes les entreprises.
Les synergies sont abordées a minima, l'accent étant principalement mis sur le projet ICI. Ces coopérations ne sont pas abordées dans leur dimension structurelle, alors que leur mise en oeuvre nécessite de revoir l'organisation des sociétés pour redéfinir la stratégie, accélérer les rapprochements et optimiser la répartition des moyens.
Pour le rapporteur, ces COM, reflètent, comme les précédents, les projets séparés de chaque entreprise plutôt que la vision stratégique de leur actionnaire commun.
B. DES INFLEXIONS POUR ADAPTER ET PROLONGER LES STRATÉGIES EXISTANTES
Les projets de COM sont globalement plus concis que leurs prédécesseurs et concentrés sur les orientations prioritaires. Il revient en effet à l'État de déterminer des objectifs, mais c'est aux entreprises de décider des modalités de mise en oeuvre et de rendre compte de leur action. Le rapporteur approuve une approche fondée sur la clarté et la responsabilité, plutôt que sur un foisonnement d'indicateurs entravant l'action des entreprises.
Les inflexions les plus notables sont les suivantes :
· la poursuite des projets ICI et Franceinfo avec la définition de lignes éditoriales communes sur tous supports ;
· une offre coordonnée dans le domaine de l'éducation aux médias et à l'information ;
· un rapprochement des offres numériques, préservant la spécificité de chaque média et de chaque plateforme, grâce à un « univers de navigation simplifié et cohérent au sein de l'audiovisuel public » ;
· un approfondissement des coopérations technologiques entre les entreprises, afin de mutualiser des développements coûteux, notamment en matière de gestion et de traitement des données par l'intelligence artificielle.
S'agissant de chaque entreprise, on note en particulier :
· des indicateurs spécifiques à France 2 qui n'existaient pas auparavant, afin de suivre l'ambition de la programmation de la chaîne (part des oeuvres cinématographiques d'expression originale française aux heures de grande écoute, nombre de soirées consacrées à la fiction d'expression originale française, diffusion d'émissions politiques aux heures de grande écoute). France TV est par ailleurs appelée à tripler ses dépenses en matière de programmes jeunesse ;
· Radio France a l'ambition marquée de développer des contenus à l'attention des adolescents et de développer des formats innovants (« bureau des idées ») ;
· France Médias Monde doit développer ses implantations dans le cadre de quatre projets : en Afrique avec le lancement d'un décrochage de France 24 en français et d'une offre 100 % réseaux sociaux pour les jeunes Africains depuis le « hub » de Dakar ; dans le monde arabe dans le cadre d'un « hub » à Beyrouth pour renforcer la production numérique en langue arabe de France 24 et de Monte Carlo Doualiya (MCD) ; en Europe centrale et orientale avec le renforcement des langues étrangères (ukrainien, turc) au sein du « hub » de Bucarest ;
· enfin, le COM de l'INA met l'accent sur l'usage de l'intelligence artificielle pour améliorer la « découvrabilité » des collections.
C. DES MOYENS EN AUGMENTATION POUR CONCRÉTISER LES AMBITIONS
Les projets de COM font reposer les plans d'affaires des sociétés sur une trajectoire de moyens budgétaires ambitieuse.
Ainsi, les moyens budgétaires doivent augmenter, entre 2023 et 2028 :
· de + 253,5 M€ pour France TV ;
· de + 92,8 M€ pour Radio France ;
· de + 40,8 M pour France Médias Monde ;
· et de + 18,8 M€ pour l'INA.
Une trajectoire de moyens budgétaires ambitieuse (M€)
Source : présentation du PLF 2024 (ensemble de l'audiovisuel public, y compris Arte France et TV5 Monde)
Il n'y a toutefois pas lieu de décrire davantage cette trajectoire déjà obsolète.
II. DES CONTRATS D'OBJECTIFS ET DE MOYENS DÉJÀ DÉPASSÉS
Les commissions parlementaires sont aujourd'hui appelées à formuler un avis sur des orientations déjà mises en oeuvre au cours de l'année 2024, ce qui réduit considérablement en soi la portée de cet avis. Ce retard est un premier motif d'insatisfaction.
A. DES COM QUI NE CORRESPONDENT PLUS À LA RÉALITÉ
Avant même d'être entré en vigueur, le volet budgétaire des projets de COM est déjà invalidé par l'exécution budgétaire 2024 et par les perspectives pour 2025, en raison de la mise en oeuvre par le gouvernement d'une politique de maîtrise des dépenses publiques.
Après la prolongation en 2023 des COM 2020-2022, de nouveaux contrats d'objectifs et de moyens auraient dû être élaborés et approuvés au cours de l'année 2023, afin d'entrer en vigueur début 2024. Or la préparation des COM repose sur une procédure de dialogue entre l'État et les entreprises, dont la longueur est excessive. L'expérience montre que les COM ne sont pas toujours respectés dans la durée ; en l'espèce, ils sont dépassés avant même d'être entrés en vigueur.
En effet, en 2024, les montants versés aux sociétés de l'audiovisuel public ont été inférieurs à ceux prévus par trajectoire budgétaire reprise dans les projets de COM.
En février 2024, afin de réduire les dépenses de l'État et de limiter le déficit public, le gouvernement a annulé 10 Md€ de crédits au sein de l'ensemble des missions budgétaires. Pour l'audiovisuel public, il en a résulté une annulation de 20 M€, prélevés sur le programme transversal créé en 2024 pour financer la transformation des entreprises.
Le gouvernement a ensuite invoqué le projet de réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public pour suspendre le versement du solde de ces crédits de transformation. 30 M€ ont ainsi été « suspendus ». Ces crédits pourraient être définitivement annulés par la loi de finances de fin de gestion 2024. Au total, ce sont 50 M€ qui manqueront dans les comptes des sociétés de l'audiovisuel public sur l'exercice 2024 par rapport à la trajectoire financière publiée fin 2023.
Le projet de loi de finances pour 2025 n'est pas non plus conforme aux projets de COM.
Les montants inscrits sont en deçà de ceux proposés dans la trajectoire budgétaire : il manque 81,5 M€ par rapport à cette trajectoire, dont 71 M€ sur le périmètre des COM (c'est-à-dire pour France TV, Radio France, France Médias Monde et l'INA).
Le gouvernement a récemment fait part de son intention de diminuer les dotations prévues par le projet de loi de finances 2025 de 50 M€ pour l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public (dont 46,1 M€ sur le périmètre des projets de COM). Cette modification pourrait faire l'objet d'un amendement gouvernemental dans le cadre de l'examen parlementaire.
Après un décalage de 50 M€ par rapport aux projets de COM en 2024, l'écart serait donc de 131,5 M€ en 2025. Il manque donc déjà 181,5 M€ par rapport aux prévisions.
Dans ces conditions, le rapporteur estime que les projets de COM ont perdu toute crédibilité. De simples ajustements ne suffiront pas à adapter les moyens à la réalité.
L'ampleur du décalage, en termes financiers, implique une réflexion sur de possibles sources d'économies.
Le rapporteur estime nécessaire de sanctuariser autant que possible :
- d'une part, le financement de la création audiovisuelle et cinématographique ;
- d'autre part, la consolidation de notre audiovisuel extérieur, vecteur d'une vision française du monde dans un contexte de guerre informationnelle au niveau mondial.
La culture et la maîtrise de l'information sont en effet deux piliers du rayonnement de la France.
B. DES COM QUI N'INTÈGRENT PAS LA NÉCESSAIRE RÉFORME DE LA GOUVERNANCE
Les projets de COM se caractérisent par une transversalité insuffisante.
Les objectifs et les indicateurs sont peu unifiés alors même que nombre d'orientations sont communes à toutes les entreprises.
La dimension organisationnelle et le pilotage de l'ensemble constitué par les différentes sociétés de l'audiovisuel public ne sont quasiment pas abordés.
L'élaboration conjointe de COM pour France TV, Radio France, France Médias Monde et l'INA aurait dû être l'occasion de progresser sur cette voie, alors même que la fusion de ces entités, à l'exception de France Médias Monde, était encore envisagée par le gouvernement au printemps 2024, suite à l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle adoptée par le Sénat un an auparavant.
En commission, les députés ont adopté ce texte en retirant toutefois France Médias Monde du périmètre de l'ensemble « France Médias », structure légère et stratégique introduite par le Sénat pour piloter la gouvernance de l'audiovisuel public. Les députés envisageaient, par ailleurs, de compléter ce schéma de holding par la perspective d'une fusion des entreprises au 1er janvier 2026. Après avoir été une première fois reporté, l'examen de ce texte a été de nouveau ajourné en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024.
Le schéma de gouvernance le plus propice à une coopération accrue entre entreprises passe par un rapprochement structurel.
C'est pourquoi la commission appelle de ses voeux une réinscription rapide de la proposition de loi du président Laurent Lafon à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Étant donné les incertitudes qui demeurent, tant sur le plan budgétaire qu'en matière de gouvernance, le rapporteur suggère l'élaboration, dans des délais très resserrés, de nouveaux COM d'une durée de trois ans (2024-2026). Ces nouveaux COM tiendraient compte des réalités budgétaires des exercices 2024 et 2025, tout en bâtissant des perspectives crédibles pour 2026. Ce dispositif permettrait de respecter la loi du 30 septembre 1986, tout en se laissant le temps d'élaborer la convention stratégique pluriannuelle qui succéderait ensuite à ces COM.
Enfin, le rapporteur souligne que l'incertitude sur les modalités de financement de l'audiovisuel public n'est pas encore tout à fait levée. À son initiative, une proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public a été déposée au Sénat le 10 juillet 2024, afin de clore un sujet ouvert par la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) en 2022. Cette réforme fiscale, insuffisamment préparée, avait entraîné la mise en place, à titre provisoire, d'un financement par l'affectation d'une fraction de TVA au compte de concours financier « avances à l'audiovisuel public ».
Or le projet de loi de finances pour 2025 rebudgétise ce financement.
Le compte de concours financier n'est en effet plus compatible avec l'article 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), du fait de l'absence de lien entre la nature de la ressource et la mission de service public des organismes de l'audiovisuel public. Le rétablissement du compte de concours financier suppose l'adoption définitive et rapide de la proposition de loi organique adoptée par le Sénat le 23 octobre 2024. Cette adoption doit intervenir avant celle de la loi de finances. À défaut, le financement de l'audiovisuel public sera budgétisé l'an prochain.
Le financement par un montant d'imposition de toute nature, voté chaque année en loi de finances par le Parlement, doit sécuriser les crédits de l'audiovisuel public et garantir, ainsi, son indépendance.
L'ensemble des acteurs appelle aujourd'hui à la pérennisation de cette solution expérimentée pendant deux ans. Si le contexte budgétaire est incertain, et peu propice à une augmentation des financements, il demeure essentiel d'assurer aux entreprises du service public de l'audiovisuel un minimum de visibilité et de stabilité de leurs recettes.
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La commission a émis un avis défavorable aux projets de contrats d'objectifs et de moyens des sociétés de l'audiovisuel public pour la période 2024-2028.
EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 13 NOVEMBRE 2024
M. Laurent Lafon, président. - Nous en venons à présent à l'examen des contrats d'objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 des sociétés de l'audiovisuel public.
M. Cédric Vial, rapporteur. - En application de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, nous sommes appelés à rendre un avis sur les projets de contrats d'objectifs et de moyens de quatre sociétés de l'audiovisuel public pour la période 2024-2028 : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel.
Je précise que le projet de COM d'Arte France suit une temporalité spécifique, puisqu'il découle du projet de groupe de la chaîne franco-allemande. Il sera la traduction, pour la partie française, du projet adopté le 9 octobre 2024 par l'assemblée générale du groupement européen d'intérêt économique (GEIE) d'Arte. Ce projet de COM 2025-2028 devrait nous être transmis prochainement pour avis. Quant à TV5 Monde, cette chaîne ne dispose pas de COM, mais possède son propre document de programmation stratégique multilatéral discuté entre États membres.
Si la loi prévoit l'obligation de conclure des COM, elle ne prévoit aucune sanction si l'État manque à cette obligation ou ne respecte par les termes du document. C'est ainsi que nous examinons fin 2024 des projets de COM déjà mis en oeuvre depuis presque un an. C'est un premier motif d'insatisfaction.
L'expérience a montré, par ailleurs, que ces COM étaient peu contraignants et qu'ils ne permettaient pas à l'État de mettre en oeuvre une véritable vision stratégique. La commission l'a regretté dans les avis défavorables qu'elle a rendus sur les projets de COM pour la période 2020-2022, puis sur les avenants qui ont prolongé ces COM sur l'exercice 2023.
Que penser des COM 2024-2028 ? Leurs objectifs s'inscrivent dans la continuité des orientations stratégiques définies par les précédents : notamment la poursuite de la transformation numérique, le renforcement de la place de l'information, des priorités données à la proximité et à la conquête du jeune public, ainsi qu'une offre culturelle diversifiée, adaptée à chaque antenne.
Les médias de service public sont confrontés à des défis communs, résultant de la transformation progressive du paysage audiovisuel depuis deux décennies. Si chaque société occupe une place particulière, la plupart des orientations sont partagées par l'ensemble des acteurs. Or les objectifs et indicateurs demeurent cloisonnés par société. Plus cloisonnés qu'avant, même, puisque des objectifs propres à France 2 ont été créés au sein de l'ensemble France Télévisions. Contrairement aux précédents COM, il n'y a plus de partie commune à toutes les entreprises dans les documents qui nous sont proposés.
Les synergies sont abordées a minima, l'accent étant principalement mis sur le projet ICI. Les coopérations ne sont pas abordées dans leur dimension structurelle, alors que leur mise en oeuvre nécessite de revoir l'organisation des sociétés pour redéfinir la stratégie, accélérer les rapprochements et optimiser la répartition des moyens. Comme leurs prédécesseurs, ces COM reflètent donc les projets séparés de chaque entreprise plutôt que la vision stratégique de leur actionnaire commun.
J'en viens au volet « moyens ». Les projets de COM font reposer les plans d'affaires des sociétés sur une trajectoire de moyens budgétaires ambitieuse. Cette trajectoire est déjà complètement dépassée. En effet, comme je vous l'ai indiqué dans mon propos sur le projet de loi de finances, une partie des crédits de 2024 n'a pas été versée, et ceux pour 2025 sont en retrait par rapport à la trajectoire des COM. Le Gouvernement nous demande donc notre avis sur une trajectoire qui n'existe plus et n'a jamais existé.
De simples ajustements ne suffiront pas à adapter les moyens à la réalité. Une réflexion doit s'amorcer sur de possibles sources d'économies et des priorités à identifier. Je suggère de sanctuariser autant que possible, d'une part, le financement de la création audiovisuelle et cinématographique et, d'autre part, la consolidation de notre audiovisuel extérieur, dans un contexte de guerre informationnelle au niveau mondial. Leur faire porter la plus grande part de l'effort serait, à mon avis, une solution de facilité.
Enfin, ces COM n'intègrent évidemment pas la réforme de la gouvernance que nous attendons toujours.
La proposition de loi du président Laurent Lafon, que nous avons adoptée en juin 2023, substitue aux COM des conventions stratégiques pluriannuelles. Une seule convention serait conclue, dans ce cadre, entre l'État et la holding France Médias, regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA. Nous n'en sommes pas là, mais le Gouvernement s'était engagé sur cette voie avant la dissolution de l'Assemblée nationale, allant même jusqu'à programmer une fusion, sauf pour France Médias Monde.
Dans l'attente de cette réforme indispensable, je suggère l'élaboration, dans des délais resserrés, de contrats d'objectifs et de moyens qui pourraient être d'une durée de trois ans - 2024-2026 -, ce qui permettrait de respecter la loi de 1986 tout en préparant l'avenir à partir de données crédibles.
En l'état, je vous propose un avis défavorable sur les COM soumis à notre examen. Il s'agit de renvoyer la balle au Gouvernement. Je vous propose de nous en tenir plutôt à trois ans, car il paraît complètement illusoire de se prononcer sur une trajectoire que l'on sait fausse à l'avance. Tenons-en nous au minimum que la loi de 1986 nous impose, à savoir trois ans. L'année 2024 étant presque terminée, il s'agira donc d'un COM descriptif. On peut aussi prévoir 2025, car on sait ce qui va se passer. L'année 2026, quant à elle, sera une projection par rapport à 2025 ; la courbe est assez facile à construire. Mais abstenons-nous de tirer des plans sur la comète pour 2027 et 2028.
M. Laurent Lafon, président. - De facto, les COM proposés portent déjà sur quatre ans.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la commission des finances des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Audiovisuel public ». - En sept ans, je n'ai pas souvenir d'avoir vu un COM qui ressemblait à autre chose qu'à un exercice de littérature. Les trajectoires budgétaires ne sont pas respectées. On navigue dans le sublime ! C'est grotesque. Je suis tout à fait d'accord avec Cédric Vial.
Actuellement, le sujet de l'audiovisuel public est aussi sur la table en Allemagne : il est en discussion dans tous les Länder. Les discussions sont très serrées, et les budgets ne sont pas à la hausse.
M. Laurent Lafon, président. - Nos collègues allemands travaillent, du reste, à la création d'une holding...
Mme Pauline Martin. - Comme bien souvent en période de vaches maigres, nous avons le sentiment de vivre un emballement de la politique de la « rustine ». Le rapporteur spécial de la commission des finances a exprimé le besoin d'une vraie réforme, ce qui est valable pour bien d'autres secteurs. Comme il nous appartient d'être force de proposition, tout particulièrement sur les COM, quelle stratégie de financement et quelle stratégie tout court devons-nous déployer, dans le flou artistique sur les moyens qui seront réellement mis à la disposition de l'audiovisuel public et face au cloisonnement pointé du doigt par notre rapporteur, afin de permettre l'émergence d'une filière audiovisuelle française forte face à la concurrence internationale ?
Mme Sylvie Robert. - Nous suivrons le rapporteur, en cohérence avec l'avis précédent sur l'audiovisuel public, les deux étant liés. Nous sommes effectivement amenés à nous prononcer sur une trajectoire qui n'existe pas, ce qui rend ces COM caducs. Comme l'a souligné Jean-Raymond Hugonet, la situation est particulièrement agaçante.
Si nous souscrivons aux arguments, je ne voudrais pas lier les COM à une quelconque réforme de la gouvernance. Dans le cadre de la présentation de son avis sur le projet de loi de finances, Cédric Vial a très justement rappelé qu'il existait différentes séquences - financement, indépendance, stratégie. Il faudrait procéder avec méthode et mettre d'abord l'accent, en 2025, sur la question de la sécurisation du financement, ce qui nous permettrait ensuite d'élaborer, de façon synoptique, à l'horizon d'une dizaine d'années, une véritable stratégie pour les sociétés de l'audiovisuel public. C'est cette stratégie qui manque aujourd'hui au Gouvernement. Or l'audiovisuel public est un secteur stratégique pour notre pays.
Je milite également pour que l'audiovisuel public devienne une référence en matière d'éducation aux médias et de lutte contre la désinformation. C'est le sens de l'outil « Le Vrai du faux ». La perspective d'une agence commune de vérification des faits, déployée à partir de 2026, serait une très bonne nouvelle.
Pour toutes ces raisons, à la fois de fond et de méthode, nous suivrons l'avis de notre rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le décalage du calendrier des COM est une illustration supplémentaire de la gestion chaotique du dossier de l'audiovisuel public depuis 2017. Le Président de la République avait annoncé une réforme que nous attendons encore.
Certes, la trajectoire des finances publiques n'est pas à la hausse aujourd'hui, mais, comme l'a souligné, dans son avis, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), le règlement européen sur la liberté des médias prévoit que ce secteur dispose des moyens nécessaires et suffisants pour exécuter ses missions d'intérêt général.
Une exigence mérite d'être rappelée : les COM devraient être concomitants à la nomination des présidents de l'audiovisuel public. En clair, il faudrait que le COM soit la traduction du projet pour lequel le président aura été retenu par l'Arcom.
Comme l'Arcom, Cédric Vial a souligné l'insuffisance du travail commun, pourtant nécessaire aux entreprises. Il faut rappeler cette carence aux responsables. C'est dans ce sens, bien sûr, qu'il convient de continuer à travailler.
Nous suivrons l'avis du rapporteur, en espérant que les mois à venir nous permettront d'avoir enfin une trajectoire lisible.
Mme Monique de Marco. - Nous sommes nous aussi en attente d'une réforme indispensable de l'audiovisuel public, sans doute différente de celle espérée par le rapporteur...
Ma première question concerne le programme ICI, qui a de la peine à se déployer. BFM Régions existe depuis 2019 et connaît une audience grandissante. De son côté, la part d'audience de la chaîne d'info en continu France Info a baissé, passant de 0,9 % à 0,8 % entre 2022 et aujourd'hui, contrairement aux audiences des chaînes privées comme BFM TV, CNews ou LCI.
Les deux projets de coopération entre France Télévisions et Radio France connaissent des échecs. Selon les syndicats, ils ont en commun le manque de moyens accompagnant leur déploiement. N'est-ce pas la preuve qu'il est difficile, voire impossible, de renforcer en réduisant les moyens ? Le projet de fusion ne peut avoir pour conséquence qu'un affaiblissement de l'audiovisuel public. Ces deux échecs ne montrent-ils pas également qu'il est vain de vouloir calquer les pratiques des chaînes publiques sur celles des chaînes privées ? Je pense, en particulier, aux chaînes d'info en continu. La vocation de l'audiovisuel public n'était-elle pas justement de permettre un autre traitement de l'information que celui de l'audiovisuel privé, entravé par des questions commerciales et de rentabilité ?
J'en viens maintenant aux contrats d'objectifs et de moyens. La trajectoire financière inscrite semble d'ores et déjà caduque, bien qu'en accord avec les objectifs assignés aux organismes audiovisuels. Si les objectifs sont bons, ils demeurent peu objectivés et insuffisamment précis. Les indicateurs associés sont peu nombreux et souvent flous, parfois dépourvus de cibles ou d'ambitions, ce qui peut compromettre le suivi.
Quant aux moyens, ils ne sont plus au rendez-vous. Il faut définir une trajectoire financière soutenable pour l'audiovisuel public, en adéquation avec les objectifs fixés dans les projets de COM. Les rapporteurs de l'Assemblée nationale ont appelé l'État à faire preuve d'une responsabilité accrue s'agissant de ses engagements contractuels envers les entités de l'audiovisuel public. Celles-ci ne peuvent exercer correctement leurs missions quand règne une incertitude permanente.
Pour toutes ces raisons, nous suivrons l'avis défavorable du rapporteur.
M. Cédric Vial, rapporteur. - Quelles missions voulons-nous pour l'audiovisuel public ? La question qui s'inscrit en creux est : a-t-on besoin en France d'un audiovisuel public ? C'est à nous d'y répondre, car il s'agit d'un choix politique. Si nous affectons des moyens à TV5 Monde, c'est que nous considérons la diffusion de la culture et de la langue française en dehors de nos frontières comme un enjeu. Idem pour France 24 ou RFI.
De la même façon, si nous avons créé Radio France, France Télévisions ou l'INA, c'est que nous avons pensé que, en laissant faire le marché, tout un pan de ce qui fait la France, la culture française et la création n'existeraient tout simplement plus.
Je suis donc d'accord avec vous, il y a un effort d'explication à faire pour reformuler les enjeux de l'audiovisuel public. On peut aussi parler de la qualité de l'information, de l'éducation aux médias, etc. Ce n'est pas uniquement avec des moyens que nous y arriverons : il faut aussi mieux définir les objectifs et mettre en place des outils comme les COM. C'est un peu comme la clef au début de la partition. Je profite de cette analogie pour regretter que ces COM ne fixent pas d'objectifs en termes de diffusion musicale à la télévision.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Bravo !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Pour finir, je note trois points d'accord avec Monique de Marco. Tout d'abord, il faut une réforme, car nous ne pouvons pas continuer avec les outils d'il y a trente ans.
Nous sommes également d'accord sur ICI. Nous avons besoin d'un audiovisuel public de proximité, d'où le rapprochement entre France 3 et France Bleu. France 3, aujourd'hui, c'est 80 % de programmes nationaux contre 20 % de programmes locaux. Il faudrait peut-être inverser la tendance. Sur le terrain, nous constatons que des problèmes de gouvernance gênent le rapprochement. Il importe donc de passer ce cap.
Enfin, nous sommes d'accord sur la nécessité d'avoir une trajectoire stable. Je l'ai dit devant la ministre, je ne veux pas jouer à faire semblant. Nous ne pouvons pas valider des documents qui n'ont aucune réalité concrète. Il y va de notre crédibilité. Quitte à faire des économies, soyons clairs et annonçons-les afin que les entreprises puissent se projeter. Si la PPLO est adoptée, il faut pouvoir leur garantir que les moyens que nous leur donnons sont bien ceux dont ils disposeront.
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, dans la mesure où notre rapporteur nous propose de donner un avis défavorable à l'ensemble des contrats d'objectifs et de moyens, je vous propose, sauf avis contraire, de ne voter qu'une seule fois.
La commission émet un avis défavorable sur les contrats d'objectifs et de moyens 2024-2028 de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l'Institut national de l'audiovisuel.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
MARDI 15 OCTOBRE 2024
France Télévisions : Mme Delphine ERNOTTE CUNCI, présidente-directrice générale, M. Christophe TARDIEU, secrétaire général, Mme Livia SAURIN, secrétaire générale adjointe, M. Olivier ROGER, directeur de cabinet.
MERCREDI 16 OCTOBRE 2024
Institut national de l'audiovisuel (INA) : MM. Laurent VALLET, président-directeur général, et Mathieu DE SEAUVE, secrétaire général, et Mmes Agnès CHAUVEAU, directrice générale déléguée, et Déborah MÜNZER, directrice de cabinet, conseillère à la présidence pour les relations institutionnelles et extérieures.
JEUDI 17 OCTOBRE 2024
- France Médias Monde : Mme Marie-Christine SARAGOSSE, présidente-directrice générale, M. Roland HUSSON, directeur général en charge du pôle ressources, M. Corentin MASCLET, chargé de relations institutionnelles et communication transverse.
- Radio France : Mme Sibyle VEIL, présidente-directrice générale, M. Charles-Emmanuel BON, secrétaire général, Mme Marie MESSAGE, directrice générale adjointe, en charge de la production, des moyens et des organisations.
MERCREDI 23 OCTOBRE 2024
Ministère de la culture - Direction générale des médias et des industries culturelles : Mme Florence PHILBERT, directrice générale, M. Louis BENON, chef du bureau du secteur de l'audiovisuel public, et Mme Armelle BOUCHER, adjointe au chef du bureau du secteur de l'audiovisuel public.
JEUDI 31 OCTOBRE 2024
- SPECT : MM. Jérôme CAZA, président, Jacques CLÉMENT, président d'honneur, et Vincent GISBERT, délégué général.
- SACEM : M. Blaise MISTLER, directeur des relations institutionnelles.