EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 2 OCTOBRE 2024 

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M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport préparé par Catherine Belrhiti, Yan Chantrel et Pierre-Antoine Levi consacré à la francophonie, quelques semaines après le trentième anniversaire de la loi Toubon, promulguée le 4 août 1994, et à quelques jours du Sommet de la Francophonie.

Je vous propose de donner immédiatement la parole à nos rapporteurs pour nous présenter le résultat de leurs travaux et leurs recommandations.

M. Yan Chantrel, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, l'année 2024 est ponctuée de temps forts et inédits pour la langue française : l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques cet été ; la célébration des trente ans de la loi Toubon le 4 août dernier ; la tenue du XIXe Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre prochains à Villers-Cotterêts - le premier à se tenir en France depuis 33 ans.

Dans ce contexte d'« effervescence francophone », pour reprendre une expression entendue lors d'une de nos auditions, il était logique que notre commission s'empare du sujet de la langue française et de son rayonnement, qu'elle n'avait pas retravaillé depuis la publication, en 2017, du rapport d'information de nos prédécesseurs Claudine Lepage et Louis Duvernois sur la francophonie du XXIe siècle.

Notre mission avait donc pour objectif premier de faire une saisie sur le vif de l'état de la francophonie et de formuler des recommandations en vue du prochain sommet, qui, précisons-le, réunira les représentants de près d'une centaine d'États.

Notre second objectif était de dresser un état des lieux de l'application de la loi Toubon et d'identifier les voies d'évolution de ce cadre fondateur. Il ne peut en effet y avoir de politique de la langue française à l'international sans politique de la langue en France ; les deux dimensions sont intimement liées.

Commençons tout d'abord par un rapide panorama chiffré et illustré des usages de la langue française dans le monde : le français est parlé sur tous les continents par environ 321 millions de personnes, ce qui en fait la cinquième langue la plus parlée au monde ; le français est la deuxième langue la plus apprise à l'international, 90 millions d'élèves suivant leur scolarité en français et 50 millions de personnes apprenant le français comme langue étrangère (FLE) ; le français est aussi la deuxième langue d'information internationale et la deuxième langue de travail officielle dans les organisations internationales ; le français est enfin une langue du numérique, puisqu'elle se situe en quatrième position en matière de contenus et en deuxième position parmi les langues utilisées par les internautes.

Ces chiffres révèlent un état général de la langue française que nous qualifions de plutôt bon, diagnostic partagé par les acteurs de la francophonie que nous avons auditionnés. La croissance du français à l'international se poursuit en effet à un rythme satisfaisant, avec + 8 % de locuteurs entre 2018 et 2022. Il faut toutefois noter un léger infléchissement par rapport à la période précédente 2014-2018, au cours de laquelle le nombre de francophones avait augmenté de 10 %. Ce léger ralentissement oblige, selon nous, à être vigilant sur les conditions nécessaires à la progression du français, notamment dans les pays où il n'est pas la langue première.

Cette remarque nous conduit à nous arrêter quelques instants sur le continent africain, qui porte le dynamisme de la langue française depuis une dizaine d'années.

Aujourd'hui, 60 % des locuteurs quotidiens du français vivent en Afrique et, parmi eux, plus de 47 % en Afrique subsaharienne. C'est dans cette zone géographique que l'augmentation du nombre de francophones a été la plus importante ces dernières années. Ces francophones subsahariens sont très majoritairement des jeunes et représentent, de fait, une potentialité de croissance forte pour la francophonie. La vitalité démographique africaine explique d'ailleurs les prévisions du nombre de francophones d'ici à 2050, estimé par l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à 715 millions d'individus. À cet horizon, près de 90 % de la jeunesse francophone serait africaine.

Nous pensons toutefois que ces projections optimistes mériteraient d'être modérées par la prise en compte de l'évolution du contexte géopolitique en Afrique de l'Ouest, où plusieurs récentes prises de pouvoir par des militaires se sont déroulées dans un climat général anti-France très marqué, qui pourrait, à terme, fragiliser l'usage de la langue française.

La pratique du français en Afrique est aussi caractérisée par le fait que les francophones sont majoritairement plurilingues et que le français est rarement leur première langue. Dans le monde du travail, la langue française continue d'être très présente, voire est la langue principale, mais dans la sphère familiale et la vie quotidienne, ce sont les langues africaines qui sont prioritairement parlées. La langue française est d'ailleurs perçue, par ses locuteurs africains non natifs, essentiellement comme un outil fonctionnel. Cette approche pragmatique du français nous montre que sa promotion est fortement liée à notre capacité à valoriser les opportunités que sa maîtrise offre, dans le respect d'une pratique plurilingue. Nous y reviendrons un peu plus loin.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Cette réalité plurilingue nous offre l'occasion de rappeler avec conviction, mes chers collègues, que la francophonie n'est pas la promotion de la langue française au détriment des autres langues, mais bien une démarche d'ouverture et d'enrichissement au contact de celles-ci, qui s'inscrit dans la tradition humaniste de la France. Francophonie et multilinguisme vont de pair : le rayonnement du français ne peut être assuré que dans le respect de la diversité linguistique, à l'international et en France. À ce stade de notre exposé, une précision sémantique s'impose : le plurilinguisme traduit la capacité d'une personne à parler plusieurs langues, tandis que le multilinguisme caractérise la coexistence de plusieurs langues au sein d'une même société.

Dans notre rapport, nous alertons sur la dérive vers un monolinguisme anglophone dans les organisations internationales, alors que celles-ci devraient être les fers de lance du plurilinguisme linguistique. Même lorsque le français est officiellement langue de travail, l'anglais reste la langue privilégiée. Tel est le cas, par exemple, à l'Organisation des Nations Unies (ONU), où la quasi-totalité des documents du secrétariat général est disponible en anglais, contre seulement 16 % en français.

Le constat est tout aussi alarmant concernant les institutions européennes. Les documents ayant pour langue-source le français ne représentent que 2 % des documents du Conseil, 3,7 % de ceux de la Commission européenne - contre 40 % en 1997 ! -, et 11,7 % de ceux du Parlement européen. Bien que la France ait porté le sujet du multilinguisme lors de sa présidence en 2022, la situation n'a guère progressé depuis. Aussi, nous pensons qu'une stratégie plus offensive pour défendre le français comme langue de travail des institutions européennes est nécessaire, en lien avec nos partenaires francophones européens. Tel est le sens de notre première recommandation.

Le multilinguisme est aussi une valeur à défendre à l'échelon national. Avec ses 75 « langues de France », dont une majorité de langues régionales, notre pays se caractérise par une diversité linguistique, à laquelle la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac, a apporté une protection au titre du patrimoine immatériel.

Notre deuxième recommandation rappelle que cette disposition oblige l'État et les collectivités territoriales à concourir, dans le cadre d'un dialogue apaisé et constructif, à la promotion de ces langues.

Après ce rappel en forme de plaidoyer sur le multilinguisme, nous avons choisi d'identifier et d'approfondir trois grands défis de la francophonie - il y en aurait beaucoup d'autres -, qui se rapportent à des secteurs de compétence de notre commission.

Le premier est la garantie des conditions d'enseignement du et en français dans le monde, le deuxième la valorisation du français comme langue des études supérieures et de la recherche, le troisième le renforcement de la présence du français dans l'écosystème numérique.

Avec près de 140 millions de personnes dont c'est la langue de scolarisation (apprenants en français) ou la langue vivante étrangère (apprenants de français), le français fait l'objet d'une véritable soif d'apprentissage. Pour répondre à cette demande de français à travers le monde, les effectifs et la formation des personnels enseignants de et en français sont un enjeu central. En effet, sans enseignants en nombre suffisant et bien formés, l'apprentissage du français via un enseignement de qualité ne peut être garanti.

Or le manque d'enseignants en et de français, toutes zones géographiques confondues, a été unanimement pointé par les acteurs de la francophonie avec qui nous avons échangé. Remédier à cette pénurie constitue, aux yeux de tous, l'un des défis les plus urgents que la francophonie doit relever.

Les besoins de recrutement concernent d'abord notre réseau d'enseignement français à l'étranger dont, vous le savez, le Président de la République souhaite doubler les effectifs d'ici à 2030. Pour atteindre la cible des 700 000 élèves scolarisés, 25 000 enseignants supplémentaires sont nécessaires, besoin qu'il est impossible de combler par le seul recrutement de personnels détachés de l'Éducation nationale, cette dernière étant elle-même confrontée à une importante pénurie d'enseignants. L'autre levier consiste donc à recruter davantage de personnels locaux, en veillant à leur délivrer une formation permettant de préserver la qualité de l'enseignement « à la française », véritable atout du réseau reconnu internationalement. Ce point de vigilance est rappelé, depuis plusieurs exercices budgétaires, par notre rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure. Nous-mêmes serons attentifs à ce que, dans le prochain budget, le recrutement et la formation des personnels locaux ne fassent pas office de variable d'ajustement.

La pénurie d'enseignants concerne aussi les systèmes éducatifs de nos partenaires francophones qui sont parfois contraints, faute de candidats, de recruter des personnels « faisant fonction », dont le niveau de formation laisse à désirer. En plus de compromettre la qualité de l'enseignement en français, cette crise du recrutement attise la compétition entre pays francophones pour capter la ressource enseignante disponible.

Les vacances de postes sont particulièrement nombreuses chez les enseignants de FLE. Leurs conditions de travail globalement très précaires découragent les vocations : 30 % de ces professeurs décrochent après seulement quelques années d'exercice.

Compte tenu de ce tableau assez sombre, nous proposons que la revalorisation du métier d'enseignant de et en français soit définie comme grande cause de la francophonie. L'objectif est d'inciter les États et gouvernements francophones à passer à la vitesse supérieure : à l'échelon national, en investissant dans les politiques de recrutement et de formation initiale des enseignants, en développant leur formation continue, en revalorisant leur statut, en accompagnant davantage les jeunes professeurs ; à l'échelon de l'espace francophone, en établissant des accords de coopération en faveur de la formation et de la mobilité des enseignants.

M. Yan Chantrel, rapporteur. - Garantir l'apprentissage du français dans le monde passe aussi par le soutien à notre réseau culturel, qui joue un rôle essentiel dans l'attractivité de notre langue. Fortement ébranlés par la crise sanitaire puis la crise inflationniste, les instituts culturels et les alliances françaises ont su faire preuve de résilience et d'adaptation pour repenser leur offre linguistique et culturelle.

Leur situation financière restant globalement très fragile, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a enclenché, cette année, un réarmement budgétaire, que nous appelons à poursuivre. Toutefois, compte tenu du contexte budgétaire actuel, nous proposons qu'une réflexion soit menée sur l'ouverture de notre réseau culturel aux autres pays francophones, aussi bien dans ses actions, son pilotage que dans son financement : il s'agit, autrement dit, de mettre nos forces francophones en commun. Une telle démarche de mutualisation avait déjà été suggérée par notre commission en 2017, sans qu'il y soit donné suite.

Le deuxième grand défi de la francophonie que nous identifions est la valorisation du français comme langue des études supérieures et de la recherche.

L'apprentissage du français est, bien sûr, toujours motivé par le souhait de mieux accéder à la culture française mais, dans certains pays, africains notamment, et chez les jeunes générations, la langue française est d'abord appréhendée sous le sceau du pragmatisme. Lors de son audition, la présidente de l'Institut français nous a ainsi raconté un échange qu'elle a eu avec un jeune francophone du Bénin, au cours duquel celui-ci lui a demandé : « le français, pour quoi faire ? ». Cette question résume très bien ce qui est aujourd'hui attendu de la maîtrise de la langue française : des opportunités pour faire des études supérieures, des facilités pour obtenir un stage, des perspectives pour accéder à la sphère professionnelle, etc.

Faire du français un atout pour le parcours de vie doit donc, selon nous, être l'une des lignes directrices de la francophonie des prochaines années.

Concrètement, il nous faut collectivement mieux exploiter les potentialités qu'offre l'espace francophone dans le domaine de l'enseignement supérieur et nous doter d'une stratégie francophone en faveur de la mobilité étudiante. C'est pourquoi nous préconisons, comme l'avaient fait nos prédécesseurs en 2017, la création d'un programme de mobilité étudiante au sein de l'espace francophone, inspiré du modèle européen Erasmus, lequel a contribué à renforcer le sentiment d'appartenance à l'espace européen.

Lors de l'audition de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), nous avons eu la satisfaction d'apprendre que la France présenterait, à l'occasion du prochain sommet, un projet s'en rapprochant. Celui-ci s'adresserait, dans un premier temps, à des étudiants en master et doctorat pour de courts séjours d'étude ou de recherche, d'un à quatre mois. Le dispositif reposerait sur des partenariats et bourses d'échanges entre universités francophones et serait co-financé par les pays francophones.

Nous apportons tout notre soutien à cette initiative, dont nous espérons qu'elle pourra rapidement se concrétiser à l'issue du sommet. Nous pensons également que la mise en oeuvre d'un tel programme de mobilité implique de faciliter l'obtention d'un visa francophone aux étudiants éligibles, dans un nécessaire souci de simplification des démarches.

À l'échelon non plus de l'espace francophone, mais de la France, il est intéressant de noter que 50 % des étudiants étrangers accueillis sont originaires d'un pays francophone, ce qui témoigne du fort potentiel francophone de nos établissements d'enseignement supérieur. Le président de France Universités nous a d'ailleurs dit souhaiter que les universités deviennent des fers de lance de la francophonie.

Qui dit mobilité des étudiants francophones dit aussi mobilité des jeunes chercheurs francophones.

Malgré sa place centrale dans l'histoire des idées et des sciences, la France n'est plus perçue, dans le contexte concurrentiel mondial, comme une nation de science de premier rang. Illustration de ce constat, l'attractivité des formations doctorales françaises, portes d'entrée vers la recherche, est en recul : entre 2017 et 2022, le nombre d'étudiants étrangers en doctorat dans les universités françaises a diminué de 15 %.

La mobilité des doctorants, et plus globalement celle des jeunes chercheurs, joue pourtant un rôle crucial à plusieurs niveaux : sur le plan professionnel, elle permet d'enrichir la formation des intéressés et d'augmenter la visibilité de leurs travaux ; sur le plan institutionnel, elle a des retombées positives pour les établissements en termes d'attractivité à l'international ; sur le plan scientifique, elle constitue un puissant levier pour favoriser la diffusion des connaissances.

Nous appelons donc à faire de la mobilité des jeunes chercheurs au sein de l'espace francophone un enjeu du prochain sommet. Plusieurs axes d'action sont envisageables : lever les obstacles administratifs et financiers qui freinent aujourd'hui cette mobilité ; mettre en place des mécanismes plus flexibles et incitatifs, tels que des bourses, des partenariats institutionnels renforcés, des programmes de recherche conjoints.

Ces recommandations sur la recherche francophone nous conduisent inévitablement à nous poser la question de l'avenir du savoir scientifique en langue française. En effet, depuis une vingtaine d'années, la diffusion du savoir en français recule dans le monde, y compris dans les pays francophones. L'anglais est devenu la lingua franca des sciences naturelles et gagne de plus en plus de terrain au sein même des sciences sociales et humaines, traditionnellement plus portées sur le multilinguisme.

Cette prédominance de l'anglais scientifique est entretenue par l'incitation, voire l'injonction faite aux chercheurs à publier en anglais pour accroître la visibilité de leurs recherches et améliorer l'évaluation de leur production scientifique.

À plusieurs occasions ces dernières années, notre commission a pointé les dangers du monolinguisme dans les sciences et plaidé pour favoriser l'usage du français comme langue de la recherche. Nous réaffirmons avec force cette position en appelant à valoriser la production scientifique en français, notamment dans le cadre de l'évaluation des chercheurs. L'un des leviers d'action consisterait à rendre la publication scientifique directement en anglais moins incitative et à tenir davantage compte des publications en français.

Au sein de l'espace francophone, il nous faut soutenir les réflexions et initiatives en cours sur « la francophonie scientifique », comprise comme un espace scientifique à développer autour de la langue française, en nous appuyant sur la diversité et le dynamisme de la recherche francophone.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Mes chers collègues, le troisième défi de la francophonie du XXIsiècle est de faire du français une grande langue du numérique.

Certes, l'anglais continue de dominer dans ce secteur, notamment pour des raisons historiques, mais sa place se restreint progressivement depuis une dizaine d'années, sous l'effet de l'arrivée massive d'internautes pratiquant d'autres langues. Dans ce contexte de repositionnement des langues sur Internet, le français occupe une position plutôt favorable, qui devrait mécaniquement s'améliorer avec la venue de nouveaux internautes francophones en provenance d'Afrique.

Un tel scenario suppose toutefois que la fracture numérique, encore très prononcée sur ce continent, se réduise. C'est pourquoi nous appelons les pays francophones à faire de la lutte contre la fracture numérique un levier essentiel d'action pour développer l'usage du français sur internet.

Pour valoriser la langue française et la diversité des expressions francophones dans un espace numérique encore très anglophone, un autre grand enjeu consiste à améliorer la découvrabilité des contenus francophones.

De quoi s'agit-il ? Ce concept, né et développé au Québec, désigne la capacité d'un contenu - culturel, scientifique, juridique, économique... - disponible en ligne à être facilement repérable ou trouvable parmi un vaste ensemble d'autres contenus, notamment par une personne qui n'en faisait pas forcément la recherche. Deux secteurs sont particulièrement concernés par cette problématique : la culture et la science.

Malgré leur grande diversité, les contenus culturels et artistiques francophones sont insuffisamment présents et accessibles sur la toile. En effet, par l'intermédiaire des algorithmes de recherche qu'elles éditent, les grandes plateformes numériques anglo-saxonnes interviennent directement dans la mise en avant de contenus, selon des objectifs qui ne sont pas forcément ceux de la promotion de la diversité des expressions culturelles et linguistiques.

Conscients de la menace que de telles pratiques représentent pour la pérennité des industries culturelles francophones, le Québec et la France collaborent activement depuis quelques années sur cette question. Les deux pays ont ainsi défini en 2020 une stratégie commune en douze objectifs pour améliorer la découvrabilité des contenus culturels francophones. Nous estimons que cette collaboration franco-québécoise constitue un cadre d'action particulièrement prometteur qui mériterait de faire école au sein de la francophonie, pour décupler nos forces, notamment face aux Gafam.

La science est l'autre grand secteur concerné par le sujet, l'édition scientifique étant elle aussi très largement dominée par les acteurs anglo-saxons.

Favoriser la découvrabilité des contenus scientifiques francophones suppose de travailler à la fois sur le référencement de la production scientifique en français, sur l'émergence d'espaces éditoriaux numériques francophones, sur les conditions de mise en oeuvre d'une science ouverte équilibrée, comme l'a recommandé l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), ainsi que sur l'utilisation des outils de traduction automatique.

Dans ce domaine aussi, le Québec et la France font figure de précurseurs. Le 14 mai dernier, les deux pays ont en effet signé un partenariat sur la découvrabilité des contenus scientifiques francophones. Nous nous félicitons de cette initiative bilatérale, que nous pensons devoir être élargie à l'ensemble des partenaires francophones : la politique de découvrabilité des contenus francophones sera d'autant plus efficace qu'elle émanera d'une coopération intergouvernementale plus large.

Abordons, enfin, la loi du 4 août 1994, dite loi Toubon, dont il nous paraissait important de dresser un état des lieux, alors que ce texte fondateur vient tout juste de fêter son trentième anniversaire.

Posant dès son article premier le principe selon lequel le français est « la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics » et « le lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie », les dispositions de ce texte ont, lors de son adoption, fait l'objet d'un large consensus qui a transcendé les sensibilités politiques.

Aujourd'hui encore, la loi Toubon touche à de multiples aspects de notre quotidien de par son champ d'application particulièrement large, qu'il s'agisse du monde du travail, de l'audiovisuel, de l'enseignement supérieur et de la recherche ou encore de la publicité.

Elle assure ainsi la sécurité du consommateur comme du salarié en imposant un accès à l'information en français et garantit l'intelligibilité des annonces et affichages dans l'espace public, tout en permettant un accès égalitaire au savoir, à la culture et aux loisirs.

Depuis trente ans, cette loi incarne donc, à bien des égards, la volonté de préserver le riche patrimoine linguistique de notre pays et constitue un socle juridique essentiel pour la défense et la valorisation de la langue française.

Toutefois, sa mise en application présente aussi un certain nombre de limites, dans un contexte marqué notamment par la mondialisation des échanges et la multiplication des potentialités offertes par le numérique.

Au fil des auditions que nous avons menées, nous avons identifié quatre limites qui méritent d'être analysées.

La première tient au fait que la loi est insuffisamment appliquée et contrôlée. Malgré la mise en place d'un régime de sanctions et de diverses modalités de contrôle, les poursuites pénales et administratives sont bien souvent insuffisantes. Force est, par exemple, de constater que les autorités de régulation ne disposent pas toujours des leviers juridiques suffisants pour faire appliquer la loi. Les associations de défense de la langue française manquent, quant à elles, considérablement de moyens pour agir en justice. Ainsi, la plupart des actions engagées ont du mal à aboutir : les recours administratifs sont souvent infructueux et les poursuites pénales sont régulièrement classées sans suite.

Pour pallier ces manquements, nous avons formulé plusieurs recommandations : assurer l'effectivité des poursuites pénales et administratives en cas d'infraction à la loi ; consolider le rôle de pilotage interministériel de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), et, pour aller plus loin, ouvrir une éventuelle réflexion sur le renforcement des missions de la DGLFLF en s'inspirant du modèle de l'Office québécois de la langue française (OQLF).

Par ailleurs, et alors que le nombre d'infractions relevées parmi les actions des administrations ne cesse de croître, le dispositif de veille au sein même des services de l'État nous semble encore trop limité. Là encore, les hauts fonctionnaires chargés de la langue française au sein des ministères manquent de moyens pour sensibiliser les directions centrales aux enjeux de préservation de la langue française.

Enfin, la quasi-totalité des personnalités que nous avons auditionnées ont dit leur inquiétude sur la prolifération de l'anglais et du franglais au sein même de la sphère publique. Du concept One Health du ministère de la santé au pass Navigo easy de la RATP, les exemples ne manquent pas pour illustrer le recours croissant aux slogans en termes anglais dans la communication de l'État, des collectivités territoriales et des entreprises publiques. Cette multiplication des anglicismes dans la sphère publique est d'autant plus préoccupante qu'il nous semble que les responsables publics devraient, au contraire, faire figure d'exemple dans la protection de la richesse de notre langue. Aussi, nous préconisons d'encourager davantage les acteurs publics à faire preuve d'exemplarité en matière d'usage du français. Dans cette perspective, nous recommandons également d'ajouter un article au texte afin de renforcer l'emploi du français dans les services publics nationaux et locaux.

Une deuxième limite tient à la méconnaissance des dispositions de la loi Toubon par les acteurs tant publics que privés. Cette méconnaissance étant la première cause de son non-respect, nous encourageons les pouvoirs publics à développer des mesures pédagogiques et d'accompagnement pour mieux faire connaître la législation en vigueur.

La troisième limite est liée aux lacunes juridiques et rédactionnelles de la loi, qui expliquent la mauvaise compréhension qu'elle suscite souvent. Elle comporte ainsi des dispositions qui interfèrent avec d'autres principes et corpus juridiques comme la liberté d'expression, la liberté d'entreprendre ou le droit de la propriété intellectuelle. Ces frictions conduisent bien souvent à exonérer d'obligations linguistiques les slogans, les marques, les opérations commerciales ou publicitaires comme les « French Days », des événements culturels... Ces situations, qui se multiplient, sont particulièrement inquiétantes.

La loi comprend aussi des dispositions imprécises ou ambiguës, limitant sa portée et permettant ainsi aux acteurs, notamment privés, de profiter des failles du dispositif pour communiquer en langue étrangère, et notamment en anglais. Plus encore, certains supports ne sont pas inclus dans les dispositions de la loi ; elle ne traite pas, par exemple, de la publicité en ligne, mais seulement des supports écrits, oraux ou audiovisuels.

Enfin, la loi ne couvre pas entièrement les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière, altérant là encore sa correcte mise en oeuvre.

Une quatrième et dernière limite renvoie à l'ancienneté de la loi. La mondialisation et la numérisation ont encore accentué la diffusion de l'anglais, notamment via les médias sociaux, les plateformes de streaming ou les jeux vidéo. Au regard de ce contexte, la loi Toubon se retrouve en quelque sorte dépassée.

Si elle parvient à encadrer l'usage du français dans les domaines classiques, elle peine à s'appliquer dans ces nouveaux espaces numériques qui, par essence, sont transnationaux et peu régulés. Il nous paraît donc plus que jamais essentiel d'actualiser la loi au regard des nouveaux enjeux numériques et technologiques. Dans cet objectif, nous avons formulé une recommandation d'adaptation des articles 2 - consommation, publicité, audiovisuel - et 4 - espace public.

De la même façon, le texte prend insuffisamment en compte les évolutions du droit communautaire, survenues en nombre depuis 1994. Il est donc aujourd'hui indispensable d'expertiser la compatibilité de la loi avec le droit communautaire, afin d'assurer sa mise en oeuvre effective dans l'ensemble des secteurs couverts.

Voilà, mes chers collègues, les différentes recommandations que nous souhaitions soumettre à votre approbation au terme de nos travaux. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour en débattre avec vous et répondre à l'ensemble de vos interrogations.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité exceptionnelle de ce rapport, très complet et ambitieux. Nous partageons totalement leur diagnostic : c'est pour nous une nécessité absolue de modifier la loi Toubon.

Je vous sais gré d'avoir consacré beaucoup d'attention à la recherche. Il s'agit d'un enjeu fondamental. La langue n'est pas un vecteur neutre, car elle dévoile une forme de pensée. Aussi, obliger nos chercheurs à publier en anglais entraîne un appauvrissement de leur discours scientifique. Il faut savoir que 80 % des thèses en sciences économiques sont actuellement publiées en anglais. D'autres disciplines sont en train de prendre le même chemin, mais ce sont les formes de l'évaluation scientifique qui privilégient aujourd'hui les supports en anglais, les revues anglo-saxonnes ayant le meilleur facteur d'impact.

Il y a en ce domaine conflit entre le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la culture, lequel est systématiquement perdant. C'est déjà ce que nous avions dénoncé avec Laure Darcos. Aussi, je suis très favorable à votre recommandation visant à donner à la DGLFLF des pouvoirs supérieurs pour pouvoir imposer des normes aux différentes administrations. Je me demande si un rattachement au Premier ministre, un peu comme au Québec, ne permettrait pas de lui donner plus de poids dans l'interministériel, même si je sais que le délégué général à la francophonie n'y est pas favorable.

Pour terminer, je tiens à préciser que l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 n'excluait pas les langues maternelles régionales.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Au nom du groupe Union centriste, je me réjouis de cet excellent travail, dans le droit fil du travail fondateur réalisé par Claudine Lepage et Louis Duvernois voilà quelques années.

Pour rebondir sur le sujet du numérique, j'ai découvert que nous restions malgré tout en deuxième position des langues utilisées sur le réseau. Nous le devons aussi à la politique très volontariste impulsée par la France à l'échelon européen sur les droits d'auteur et les droits voisins, ainsi que sur la diversité culturelle. Si l'écosystème n'est pas régulé par des directives, nous ne pourrons pas maintenir un tel niveau de contenus. En tout cas, l'analyse menée par Pierre-Antoine Levi sur l'exigence que nous devons manifester à l'égard des plateformes est tout à fait pertinente.

Je me réjouis également de trouver dans vos préconisations l'écho de travaux que nous avions menés avec le groupe interparlementaire franco-canadien sur le sujet de la découvrabilité.

En parlant du Canada, avez-vous analysé le devenir de la chaîne TV5 Monde, au sein de laquelle nous sommes partenaires ?

Sur vos préconisations en matière de recherche et de mobilité étudiante, je tiens à vous faire part d'un exemple très concret. En Égypte, où j'ai fait un récent déplacement dans le cadre du groupe d'amitié, il y a 3 millions de locuteurs français. Il y a par exemple une école de droit de la Sorbonne ainsi qu'une antenne de Sciences Po à l'université du Caire. Nous y avons ressenti un fort désir de mobilité étudiante. Cette jeunesse égyptienne s'envisage en effet trilingue - langue maternelle, anglais, français. Nous devons ainsi réfléchir à une logique de « co-diplomation ». Nos régions ont un rôle à jouer dans ce domaine.

Enfin, vous pointez l'obsolescence de la loi Toubon, compte tenu notamment des évolutions du numérique. Je continue à m'offusquer du fait que nos gouvernements successifs n'aient pas été exemplaires en la matière. Je vous rappelle que les tribunaux ont proscrit l'utilisation de l'expression health data hub, mais que l'on continue malgré tout à l'employer. Je passe sur le Choose France... Nos amis québécois ne comprennent absolument pas ce laxisme.

M. Adel Ziane. - Ce rapport met à la fois en évidence les atouts et les faiblesses de la francophonie : il y a une contradiction entre les ambitions affichées et le peu de moyens mis en oeuvre par l'État.

La croissance du nombre de locuteurs d'ici à 2050 est en trompe-l'oeil. Ces 820 millions de locuteurs potentiels sont à 85 % africains. Or ces populations seront de moins en moins attirées par l'utilisation de notre langue, compte tenu du ressentiment croissant qu'inspire notre pays dans ce continent. Ce phénomène sera accentué par la baisse de qualité de l'enseignement du français dans ces systèmes éducatifs par manque de moyens.

Je regrette une absence de stratégie de notre pays. Pour preuve, il n'y a pas eu de ministre délégué à la francophonie de 2017 à 2022. Il y en a un aujourd'hui, ancien sénateur de surcroît, ce qui est de bon augure, mais pendant que d'autres pays, comme la Chine avec le réseau Confucius, investissent massivement dans le soft power éducatif et culturel, nous n'investissons pas suffisamment dans nos 98 centres culturels et 386 alliances françaises. Ce sont pourtant des outils formidables pour animer la communauté francophone partout dans le monde.

Pour rebondir sur l'exemple égyptien soulevé par Catherine Morin-Desailly, je vous livre ces souvenirs de mes premiers pas au ministère des affaires étrangères en 2007, lorsque j'étais en charge de la coopération culturelle et universitaire en Égypte : dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), nous étions passés de 7 à 2 attachés de coopération pour le français et de 5 à 2 attachés de coopération universitaire. C'est pourquoi votre recommandation n° 5 visant à approfondir le soutien financier au réseau culturel français et à envisager une mutualisation avec d'autres pays francophones me semble pertinente.

Par ailleurs, je ne peux que regretter que nous ayons multiplié par dix les frais de scolarité des étudiants non européens en 2019. C'est contradictoire avec nos ambitions de participer à la compétition internationale dans le domaine universitaire. Votre recommandation n° 6 sur un Erasmus francophone est en revanche une très bonne idée. Dans le même esprit, la recommandation n° 7 sur l'obtention d'un visa francophone est essentielle, à condition qu'il ne soit pas limité aux doctorants et aux étudiants en master.

Les recommandations nos 9 et 10 sur la production scientifique en français doivent enfin participer à l'émergence d'un véritable espace scientifique francophone.

Pour conclure, je dirai qu'il ne faut pas envisager la politique de la francophonie de manière verticale. Je pense à notre attitude, critiquée, au sein de l'OIF. Le français n'est pas le même partout, ce qui est la garantie de son universalité. Il ne faut pas nier ses évolutions et sa pratique. Travaillons de manière plus partenariale avec nos partenaires du monde de la francophonie. Le français doit littéralement être un outil de soft power, de puissance douce.

Par ailleurs, il faut passer d'une approche défensive à une approche offensive, trente ans après la loi Toubon, qui était d'inspiration défensive. Cela passe par un soutien plus important à notre réseau culturel à l'étranger.

Enfin, soyons nous-mêmes collectivement attentifs à bien utiliser le français. C'est une question d'exemplarité.

M. Max Brisson. - Ce rapport nous montre que la francophonie est un sujet rassembleur, transpartisan. Un seul bémol : la présence audiovisuelle française dans le monde aurait mérité une place plus importante. Nous en reparlerons dans le cadre de nos débats sur l'audiovisuel public.

Je suis d'accord, l'État n'est pas exemplaire, mais les élites françaises ont-elles vraiment envie de se battre pour la francophonie ? Ce combat pour la francophonie est-il compatible avec la Start-up Nation ? J'en doute ! Il y a là une part de snobisme et de prétention. C'est au Parlement de mettre un terme à certaines dérives.

J'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit sur l'espace francophone et la création d'un Erasmus francophone. Nous appuyons totalement votre recommandation à ce sujet.

Le réseau d'enseignement du français est développé, mais j'ai quelques craintes, renforcées d'ailleurs par le récent déplacement que nous avons fait au Bénin et en Côte d'Ivoire. Ce réseau est exclusivement réservé aux élites locales, totalement déconnectées du reste de la population. La flambée des prix d'écolage est vraiment problématique et il y a un vrai risque que ce réseau, dont nous sommes fiers, devienne le symbole d'une présence française parfois détestée.

Parallèlement, les systèmes scolaires francophones de ces pays sont totalement délabrés. Or que faisons-nous pour leur redonner de l'efficacité ?

Je terminerai sur la parenthèse ouverte par Pierre Ouzoulias, mais qu'il a immédiatement refermée. La loi Toubon a été utilisée par les fonctionnaires de l'État, les recteurs, les préfets, comme un instrument contre les langues régionales. Tel est le bilan de cette loi à mon sens. Elle n'a jamais été un outil de protection du patrimoine linguistique alsacien, corse, occitan, basque, breton, ou de nos territoires ultramarins. La loi Molac n'aura pas les effets escomptés : le Parlement a beau légiférer, quand l'administration ne veut pas, elle ne veut pas.

Je regrette que votre rapport n'ait pas insisté sur ce vieil héritage bonapartiste et jacobin. On ne peut pas proclamer l'importance du multilinguisme à la face du monde et le refuser en terre de France.

Mme Mathilde Ollivier. - J'espère que ce travail trouvera un large écho lors du Sommet de la Francophonie qui se déroulera vendredi et samedi prochains.

Le monde francophone correspond à une réalité culturelle, économique, politique et humaine, à des visions du monde qui s'expriment à travers une langue et qui nourrissent le débat d'idées.

Je trouve important de rappeler que la francophonie est avant tout multilatérale.

La promotion des langues régionales est pour moi essentielle. Trop souvent par le passé, elles ont été niées par des pouvoirs dominants, notamment à l'époque de la colonisation. Il importe aujourd'hui de changer de prisme : il n'est pas anormal de parler plusieurs langues ; c'est même le quotidien de plus de la moitié de la population mondiale.

La recommandation n° 3 tend à la revalorisation du métier d'enseignant de et en français. C'est un enjeu essentiel de notre politique culturelle extérieure, notamment vers les pays non francophones. Il manque ainsi de professeurs de français en Autriche et en Allemagne.

En ce qui concerne la recommandation n° 4, ce serait une vraie force de porter au niveau de la société civile des synergies entre pays francophones. À Vienne, où je réside, la communauté française est assez petite - environ 10 000 personnes -, mais les associations poussent à l'organisation de conférences et d'activités en français, dans une logique d'ouverture aux autres pays francophones. C'est essentiel pour faire vivre des poches de francophonie et nourrir le débat d'idées au-delà des initiatives plus institutionnelles.

L'axe 3 est important. La politique des visas est primordiale pour que la France continue de conserver une place importante dans la promotion de la francophonie - Yan Chantrel a mentionné que 50 % des étudiants venaient de pays francophones. Or cette politique est aujourd'hui assez contre-productive puisqu'elle limite la mobilité des étudiants et des chercheurs. Les annonces du Premier ministre, approuvées par la majorité sénatoriale, tendent d'ailleurs à restreindre l'obtention de visas à certains ressortissants, notamment très francophones. Cela aurait un impact délétère sur nos relations avec nos partenaires. Je suis donc contente que nos collègues du groupe Les Républicains (LR) soulignent l'importance d'un Erasmus francophone et mettent l'accent sur la mobilité étudiante.

En ce qui concerne l'évaluation scientifique des chercheurs, Pierre Ouzoulias a insisté sur l'importance des facteurs d'impact, très liés aux journaux anglophones. Aujourd'hui, les grandes revues internationales sont en anglais. C'est donc là que les chercheurs veulent publier, car c'est aussi là que se joue l'excellence de la recherche à l'échelle mondiale. La publication en français ne doit pas être un critère discriminant. Ce serait artificiel et contre-productif. L'ouvrage de Christian Lequesne, Le diplomate et les Français de l'étranger, est très intéressant à cet égard : on y voit comment l'évaluation en français peut freiner la mobilité et le retour d'un certain nombre de chercheurs français ayant fait leur carrière à l'international et n'ayant pas assez publié en français. Il faut donc faire attention. En revanche, je suis tout à fait d'accord pour faire vivre l'espace scientifique francophone, favoriser la publication de thèses en français et soutenir la tenue de congrès internationaux en français.

Le volet numérique est absolument essentiel. Vous avez parlé de l'importance des relations et des négociations avec les Gafam dans l'espace francophone, notamment en ce qui concerne la monétisation des contenus. C'est un enjeu majeur pour continuer à pousser le français comme langue du numérique. En 2050, 85 % des locuteurs de français seront en Afrique. Il faut pouvoir les soutenir dans leurs négociations face aux Gafam afin qu'ils puissent continuer à publier du contenu en français.

Quant au respect de la loi Toubon par les administrations, il y a encore beaucoup à faire, notamment dans le secteur économique où tous les sigles et labels regorgent d'anglicismes ! Tout cela me rappelle une visite dans le service économique d'une ambassade française où des tas de petits panneaux dans les couloirs indiquaient les différents programmes : Taste France, la French Fab, le programme Booster, la Team France Export, etc. Les administrations françaises doivent se saisir de la problématique : il n'est pas has been de défendre le français dans sphère économique et dans la Start-up Nation ! (Sourires.)

Quoi qu'il en soit, je vous remercie pour ce rapport. J'espère que vos propositions concrètes seront relayées et feront l'objet d'engagements de la France après le Sommet de la Francophonie à Villers-Cotterêts.

Mme Laure Darcos. - Je salue ce rapport très complet. J'espère que le groupe d'études sur la francophonie sera associé à nos travaux. Notre collègue Mickaël Vallet a fait beaucoup pour réformer la loi Toubon. Il serait intéressant de pouvoir travailler de concert. Je souligne d'ailleurs la très belle initiative de Yan Chantrel et de Mickaël Vallet en matière de francophonie dans les territoires. Tout cela fera l'objet d'une émission bientôt diffusée sur TV5 Monde.

Je suis à 300 % d'accord avec Pierre Ouzoulias en ce qui concerne les sciences. Dans la loi de programmation de la recherche, nous avions d'ailleurs ajouté un article sur le sujet. Il faudrait donc bien insister sur ce point. Au-delà des institutions traditionnelles, il serait important également de parler en français au sein de la Commission européenne. Le français est une des langues officielles des institutions de l'Union européenne. Pourquoi tout le monde s'exprime-t-il en anglais ?

Vous n'avez pas du tout évoqué l'enseignement dispensé aux élèves allophones. Le Président de la République, lors de son discours sous la Coupole de l'Académie française sur la francophonie, avait beaucoup insisté sur ce point. En 2021-2022, 77 435 enfants allophones nouvellement arrivés ont été scolarisés en France. Il serait utile de prendre en compte également cette grande francophonie de l'intérieur, en prévoyant un bon budget et de bons professeurs pour que tous ces enfants apprennent vite notre langue !

Mme Sophie Briante Guillemont. - Ce travail très complet mérite d'être largement diffusé. Vous êtes revenus sur l'objectif du Président de la République de doubler le nombre d'élèves dans le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Vous évaluez à 25 000 le nombre d'enseignants nécessaires. Sachant qu'il y a une différence entre enseigner en français et enseigner à la française, s'agit-il de 25 000 enseignants dans les lycées français ou intégrez-vous dans ces chiffres les professeurs de FLE, ce qui n'est pas la même chose ? Savez-vous pourquoi l'annonce qui va être faite sur le programme de mobilité étudiante laisse de côté les étudiants en licence ? Par ailleurs, j'ai récemment été informée du fait que plusieurs demandes de visas étaient bloquées alors que les dossiers étaient prêts et qu'il s'agissait d'étudiants souhaitant intégrer l'enseignement supérieur français à la rentrée. Je rejoins donc Mathilde Ollivier : avant même de parler des visas francophones, il existe un énorme problème à résoudre sur les visas ordinaires.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Le Président de la République a effectivement souhaité doubler le nombre d'élèves scolarisés dans notre réseau d'enseignement français à l'étranger d'ici 2030. À cette fin, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a fixé plusieurs objectifs : densifier la capacité d'accueil des établissements du réseau, inciter les porteurs de projets, attirer de nouvelles familles dans les établissements et recruter des personnels qualifiés. Aujourd'hui, le réseau compte environ 6 000 personnels titulaires détachés de l'Éducation nationale. Les autres enseignants sont recrutés sur place. Certaines académies refusent de détacher du personnel à l'étranger faute de pouvoir le remplacer. En 2024, 44 refus de détachement ont ainsi été enregistrés sur les 725 demandes formulées. Cette difficulté a nécessairement des répercussions sur notre capacité à atteindre les 25 000 recrutements supplémentaires que le plan de développement du réseau implique.

M. Yan Chantrel, rapporteur. - En ce qui concerne les visas et la création d'un Erasmus francophone, nous avons auditionné l'AUF. Celle-ci nous a répondu que l'annonce en serait faite lors du Sommet de la Francophonie. Le dispositif sera réservé dans un premier temps aux étudiants de master et de doctorat, quitte à l'élargir ensuite. Il sera limité à un certain nombre d'étudiants. C'est tout l'intérêt de ce type de mission transpartisane : chacun peut faire un bout de chemin et il est possible d'établir un diagnostic partagé pour savoir comment opérer. La question qui irrigue tout notre rapport est de savoir quel est l'intérêt d'être francophone par rapport aux autres. Si l'on veut favoriser la francophonie, il faut bien faire émerger un avantage ! La réponse est un programme de type Erasmus. Mais l'Erasmus francophone ne va pas que dans un sens : il faut aussi inciter des Français à s'ouvrir sur la francophonie, car il existe également de très bonnes universités au Maroc et dans d'autres pays francophones. Il importe donc de corréler notre politique de visas avec un cap et une vision si l'on veut développer un sentiment d'appartenance.

J'ai bien noté le souhait de notre collègue Laure Darcos d'associer le groupe d'études sur la francophonie à notre réflexion.

La pénurie d'enseignants de et en français concerne tous les pays. Nous sommes d'ailleurs en situation de concurrence avec le Canada, par exemple, qui offre de meilleures conditions pour enseigner que nous. Le développement de l'AEFE se fait actuellement grâce aux recrutés locaux. Nous devons donc leur garantir une formation de bonne qualité si nous voulons développer le réseau.

Nous n'avons évidemment pas pu aborder tous les sujets liés à la francophonie, qui est une problématique très vaste. Vous avez été plusieurs à évoquer la question de TV5 Monde et, plus globalement, de l'audiovisuel extérieur. Nous avons auditionné Mme Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, qui nous a alertés sur la situation de l'audiovisuel public extérieur. Cela dépasse bien sûr le cadre de notre mission, mais nous aurons l'occasion ici même, à l'occasion d'autres textes, de pouvoir parler du sujet. Nous pourrons éventuellement faire des propositions spécifiques à ce moment-là.

Je précise que les alliances françaises, auxquelles nous sommes tous attachés, n'ont pas toujours été soutenues de la même manière par tous les gouvernements.

Notre collègue Adel Ziane a évoqué le contexte africain où les évolutions en termes de population ne sont pas à prendre au comptant. Le contexte géopolitique peut en effet avoir une incidence importante, notamment au Sahel, où l'on enregistre un déclin du français. Nous avons donc un intérêt diplomatique à ce que notre action extérieure ne s'inscrive pas uniquement sous l'égide de la France, mais sous celle de la francophonie. Nous pourrions, par exemple, envisager des alliances de la francophonie. Nous aurions en tout cas tout intérêt à montrer que cette politique n'est pas une initiative uniquement de la France, mais de plusieurs partenaires francophones. Cela nous permettrait peut-être de reprendre pied sur le terrain pour renforcer la langue française.

La recherche scientifique constitue, à nos yeux, un point important. Une langue est effectivement liée à une manière de voir le monde. Il est donc utile de défendre la recherche dans notre langue. Le recours à l'intelligence artificielle (IA), que nous n'avons pas pu approfondir, ouvre des possibilités à nos chercheurs. Ils pourraient en effet publier en français tout en étant directement traduits. C'est une évolution défendue notamment par le Québec.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à nos trois rapporteurs pour la qualité de leur travail sur un sujet qui n'est pas si facile à aborder. Vous avez répondu clairement à la question du devenir de la loi Toubon, qui constituait un point d'interrogation. J'ai noté que vous préconisez une actualisation de cette loi ; nous avons donc un travail législatif à faire en ce sens.

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