TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITIONS POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 25 septembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le financement des actions multilatérales de la France - exercices 2017 à 2023.

M. Claude Raynal, président. - Nous procédons ce matin à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur le financement des actions multilatérales de la France.

Il s'agit d'une problématique à laquelle le Parlement est traditionnellement peu associé. Les contributions multilatérales découlent d'engagements politiques du Gouvernement auprès de nos partenaires internationaux. Lorsqu'elles sont inscrites en loi de finances, leurs montants apparaissent pratiquement comme des dépenses inéluctables sur lesquelles les parlementaires ne sauraient revenir, sauf à remettre en cause la parole de la France.

Pour autant, il ne s'agit pas moins d'une dépense publique dont la performance doit être évaluée avant une éventuelle reconduction. Le montant des contributions internationales est loin d'être anecdotique avec près de 25 milliards d'euros versés par la France entre 2017 et 2023. Leur forte augmentation entre 2017 et 2023 s'explique largement par la progression des dépenses multilatérales éligibles à l'aide publique au développement au sens de l'OCDE. La majeure partie de nos contributions internationales relève en effet de la mission « Aide publique au développement » et, dans une moindre mesure, de la mission « Action extérieure de l'État ».

Sans anticiper la présentation qui nous en sera faite, le rapport d'enquête de la Cour des comptes pointe les limites du financement de nos actions multilatérales, en particulier s'agissant de son pilotage. Ce constat avait déjà été dressé en 2022 par nos collègues Vincent Delahaye et Rémi Féraud, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État », dans un rapport d'information sur les contributions internationales de la France.

Pour aborder ce sujet important, nous recevons ce matin M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, qui nous exposera les conclusions de cette enquête.

Les rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement », Michel Canévet et Raphaël Daubet, lui succéderont pour indiquer les principaux enseignements qu'ils retiennent de ce travail et pour poser les premières questions.

Pour prolonger nos échanges, nous éclairer et répondre aux observations de la Cour et des rapporteurs spéciaux, je donnerai ensuite la parole à MM. Bertrand Dumont, directeur général du Trésor, et Olivier Richard, directeur général adjoint de la mondialisation au sein du ministère des affaires étrangères. Évidemment, je laisserai ensuite la parole aux collègues qui le souhaitent.

À l'issue de notre réunion, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Je vous indique enfin que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise sur le site internet du Sénat.

M. Christian Charpy, président de la 4e chambre de la Cour des comptes. - Merci beaucoup de nous accueillir pour cette audition sur le rapport que vous nous avez commandé. Nous avons conduit cette étude avec le Quai d'Orsay et la direction générale du Trésor, qui jouent un rôle éminent dans le pilotage de cette politique. Notre objectif était d'examiner l'ensemble des contributions de la France, obligatoires ou volontaires, versées aux organisations internationales et aux fonds multilatéraux.

Nous nous sommes penchés prioritairement sur les programmes 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », 110 « Aide économique et financière au développement » et 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », sur la période 2017-2023.

Nous avons regardé s'il existait une cohérence d'ensemble des aides versées par la France, ainsi qu'une complémentarité entre le canal multilatéral et le canal bilatéral.

Nous avons étudié l'ensemble des instruments de mesure de nos objectifs - pour autant qu'ils aient été clairement fixés -, les indicateurs de performance, les marges d'amélioration du pilotage ainsi que l'intégration de ces aides dans la trajectoire, compliquée, des finances publiques.

Nous nous sommes appuyés sur le rapport d'information de la commission des finances du Sénat de janvier 2022, base de travail utile que nous avons actualisée. Nous avions par ailleurs engagé un travail sur les contributions de la France aux organisations internationales et aux fonds multilatéraux. Notre objectif était de cartographier les flux financiers - ce qui n'est pas évident -, de caractériser les évolutions intervenues, de passer en revue les modalités de pilotage et de suivi et d'illustrer des problématiques sur quelques sujets : énergie et climat, biodiversité, environnement, santé et éducation. Outre des travaux d'analyse des documents budgétaires et des interviews, les rapporteurs ont effectué deux missions, en Côte d'Ivoire et en Égypte.

Dressons d'abord un état des lieux : trois logiques d'action importantes coexistent. La première date de l'immédiate après-guerre. Pour construire la paix, on crée le cadre de l'ONU, le Fonds monétaire international (FMI) et le Groupe de la Banque mondiale, premiers bénéficiaires des aides multilatérales. À partir des années 1960 apparaît la deuxième, pour accompagner la décolonisation. La notion d'aide publique au développement (APD) est forgée et l'on crée le Comité d'aide au développement de l'OCDE. La troisième naît à partir des années 1990 pour protéger les biens publics mondiaux. Les instruments se multiplient, tels que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et le Fonds vert pour le climat.

On constate une très grande variété des organismes bénéficiaires de l'aide française, dont le nombre s'élève à 271, pour des montants très divers. C'est absolument considérable puisque seuls 19 préexistaient en 1945. Leur rythme de création s'est accéléré depuis 1990. On peut les ranger en cinq grandes catégories : le système des Nations unies ; les institutions issues des accords de Bretton Woods ; les banques régionales de développement ; les instruments multilatéraux de l'Union européenne ; et enfin un certain nombre d'autres entités. Il existe aussi quelques dispositifs ad hoc, soutenus par des contributions volontaires, dont l'importance est croissante. Citons le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le Fonds vert pour le climat et le Partenariat mondial pour l'éducation.

L'augmentation du volume d'action est tout à fait considérable, de 3 milliards d'euros à 4,4 milliards d'euros entre 2017 et 2023, soit + 46 %. Serons-nous capables de maintenir ce rythme à l'avenir ?

Les actions en faveur de la santé, de l'environnement et du maintien de la paix occupent une place prépondérante.

Autre évolution impressionnante : la part croissante des contributions volontaires, qui augmente de 111 % sur la période, tandis que les contributions obligatoires baissent. Les contributions volontaires représentaient la moitié des financements en 2017, contre les trois quarts actuellement. Les principales contributions volontaires vont à l'ONU, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en recevant une part croissante.

La France flèche davantage ses contributions volontaires que par le passé, mais relativement faiblement, à moins d'un tiers, tandis que le fléchage concerne près des trois quarts des contributions volontaires de l'Allemagne et des États-Unis.

Enfin, soulignons que la flexibilité des fonds ad hoc est limitée par les engagements pluriannuels pris au moment de la reconstitution des fonds, qui rendent les évolutions de périmètre difficiles.

Y a-t-il complémentarité entre les aides multilatérales, qui représentent les deux cinquièmes de l'APD, soit 8,9 milliards d'euros sur 15 milliards d'euros en 2022, et bilatérales ? La réponse varie selon les secteurs. En matière d'environnement, l'aide bilatérale est adaptée pour des projets pilotes ou sur-mesure tandis que l'aide multilatérale permet d'agir à plus grande échelle. La complémentarité est donc importante. En matière de climat, le canal multilatéral permet de répondre aux obligations internationales tandis que le canal bilatéral permet de mieux orienter l'aide sur les pays les moins avancés. On constate la même situation en matière de santé et d'éducation, avec un effet de levier important de l'aide bilatérale. En matière d'infrastructures, il est clair que sans coopération entre bailleurs multilatéraux et bilatéraux, on n'a pas la possibilité de financer des opérations lourdes.

Nous nous sommes aussi interrogés sur la manière d'utiliser le levier multilatéral pour compenser la quasi-disparition du bilatéral dans certains pays dans lesquels nous sommes en difficulté, par exemple en Afrique subsaharienne. Nous pensons qu'il faut mieux élaborer la doctrine sur l'usage respectif des canaux bilatéraux et multilatéraux. Cela a été affirmé par le Conseil présidentiel du développement du 5 mai 2023, mais à ce jour ce n'est pas complètement fait.

Nous formulons trois recommandations à ce stade : simplifier les instruments multilatéraux et ne pas en créer de nouveaux ; développer le ciblage des contributions volontaires françaises en continuant d'augmenter, parmi elles, la proportion des contributions pré-affectées ; définir une stratégie de cohérence entre les canaux bilatéraux et multilatéraux.

Concernant le pilotage, le suivi et l'évaluation de l'APD, notre jugement est nuancé. Le pilotage est multipolaire, avec deux grands acteurs, le Trésor et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ce dernier étant lui-même divers dans son pilotage, partagé entre la direction des Nations unies et la direction générale de la mondialisation, mais aussi Matignon, dont le rôle est assez faible, et l'Élysée, ce dernier jouant un rôle très important.

La coordination entre les directions du ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'est renforcée mais paraît inaboutie. Il n'existait par exemple pas encore, au moment de l'enquête, de tableau de bord unique et partagé retraçant la totalité des contributions au système de l'ONU.

La coordination entre le Trésor et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères fonctionne de façon pragmatique. Nous saluons la création du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) mais regrettons qu'il se réunisse très rarement. D'autres dispositifs ont par conséquent été mis en place tels que le secrétariat permanent, qui se réunit tous les six mois, la représentation de la France par le Trésor dans les banques de développement et les fonds climat, et les ambassadeurs thématiques chargés de la coordination sur leurs sujets.

Il manque des instruments de suivi transversal et d'anticipation. Un programme budgétaire unique serait une fausse bonne idée. En revanche, il serait utile de mettre en place un document de politique transversale. Surtout, il faut un tableau de bord des décisions à rendre.

J'en viens à la mesure de la performance : des rapprochements restent à réaliser entre les indicateurs des programmes 110 et 209. La pertinence de certains indicateurs nous paraît contestable - nous détaillons ce point dans le rapport.

À partir de la loi de finances pour 2024 sont apparus deux nouveaux indicateurs du programme 105, plus intéressants : la position de la France dans le classement mondial des contributeurs financiers et le montant des contributions volontaires versées par la France aux organisations internationales.

L'évaluation doit être renforcée. Il existe déjà un certain nombre de travaux d'évaluation, notamment de l'OCDE, mais aussi de cabinets sollicités par la direction générale de la mondialisation et la direction générale du Trésor. Citons aussi les enquêtes thématiques de la Cour des comptes. Simplement, un effort supplémentaire doit être fourni en direction des organisations et fonds de moyenne ou petite dimension, afin de vérifier s'il est pertinent de maintenir nos contributions dans la durée. Ce n'est pas parce qu'une contribution est petite qu'il ne faut pas l'évaluer.

Enfin, citons la nouveauté qu'est la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, créée définitivement par la loi du 5 avril 2024. Nous attendons avec impatience qu'elle se mette en place et puisse apporter des évaluations indépendantes sur l'efficacité de l'APD.

M. Claude Raynal, président. - Merci de cette synthèse.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ». - Je tiens à remercier, avec Michel Canévet, la Cour des comptes pour la qualité de cette enquête et la clarté de la présentation qui vient de nous être faite.

La demande de cette étude à la Cour visait à répondre à plusieurs de nos interrogations en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement ». En l'absence d'évaluation annuelle du montant de nos contributions dans les documents budgétaires, nous souhaitions disposer d'un état des lieux de ces versements et de leurs facteurs d'évolution. Nous voulions également comprendre les ressorts du recours au canal multilatéral et disposer d'une évaluation de nos capacités de suivi et de pilotage des contributions internationales de la France.

Le rapport de la Cour confirme, s'il le fallait, l'importance du canal multilatéral, et donc la pertinence de notre démarche. Cette importance se perçoit dans la multiplication des organisations internationales dont le nombre ne cesse de croître, mais aussi dans l'augmentation significative du volume des contributions de la France à ces organisations. Cela est d'autant plus intéressant à observer que le multilatéralisme, traditionnellement défendu par la France comme un levier majeur de la solidarité internationale, est aussi devenu un espace de compétition autant que de coopération entre les États. Autrement dit, à l'heure où l'on observe une poussée des nationalismes ou, à tout le moins, une exacerbation des enjeux de souveraineté, on se doute que les cadres de l'action multilatérale peuvent devenir des arènes au sein desquelles les luttes d'influence prennent une dimension nouvelle.

Un double constat ressort du rapport de la Cour des comptes : premièrement, nous ne disposons pas d'un état des lieux précis du total des contributions internationales de la France ; deuxièmement, nous assistons à une augmentation de leur volume et à une multiplication du nombre d'organismes bénéficiaires.

En premier lieu, l'évaluation de nos contributions internationales au niveau interministériel demeure un exercice complexe. Si la majorité des versements relève du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et du ministère de l'économie et des finances, dix autres ministères contribuent à des organisations internationales. Chaque département ministériel connaît, sur son périmètre, le montant de ces contributions mais il n'existe pas de tableau de bord unifié permettant au Premier ministre ou aux parlementaires de savoir, à l'instant T, ce que la France verse aux entités multilatérales.

Ce constat est d'autant plus surprenant que l'enquête de la Cour intervient deux ans après un rapport d'information de nos collègues Vincent Delahaye et Rémi Féraud, qui constatait déjà l'absence de vision synthétique de nos contributions et formulait des recommandations pour y remédier.

Pour quelles raisons un tel outil de suivi transversal n'a-t-il pas été mis en oeuvre ? Quelles sont les difficultés qui s'opposeraient à une compilation de ces données ?

En second lieu, les versements multilatéraux de la France ont fortement progressé ces dernières années. Les contributions portées par les programmes 105, 110 et 209 ont augmenté de 46 % entre 2017 et 2024, pour s'établir à près de 4,5 milliards d'euros en 2023.

Cette progression induit, comme le souligne la Cour, deux conséquences principales.

D'une part, l'objectif de rééquilibrage entre les canaux multilatéraux et bilatéraux de notre aide publique au développement au profit de son volet bilatéral peine à se matérialiser. Je rappelle que la loi de programmation du 4 août 2021 a fixé un objectif de 65 % de l'APD française transitant par le canal bilatéral. Certes, un recours accru aux contributions fléchées permet de « re-bilatéraliser » des versements multilatéraux, mais la progression du volet multilatéral rend incertaine la réalisation de l'objectif de rééquilibrage.

Il n'existe aucune stratégie d'articulation entre les canaux bilatéraux et multilatéraux qui permettrait de mesurer l'opportunité de mobiliser l'un de ces deux leviers. La définition d'une telle stratégie figurait pourtant parmi les objectifs de la loi de programmation.

D'autre part, il y a un risque de saupoudrage, avec un foisonnement de bénéficiaires : 271 entités recevaient une contribution française en 2023. Le risque de dispersion de notre action est réel. La pertinence de certaines contributions de faible montant est discutable. Ne vaut-il pas mieux limiter le nombre de contributions mais amplifier le montant de certaines d'entre elles pour peser réellement dans les instances où la France a un rôle à jouer ? La multiplication des versements soulève aussi un risque de recoupements entre des organisations poursuivant les mêmes objectifs.

Le Gouvernement envisage-t-il de mener une forme de revues de dépenses, de nature à identifier les contributions dont les résultats, en termes d'influence et de réalisation de nos objectifs de développement, justifieraient une non-reconduction ?

M. Michel Canévet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ». - Je m'associe à Raphaël Daubet pour remercier la Cour des comptes pour son excellent travail.

Le rapport d'enquête souligne en creux que nos contributions internationales sont prises dans une tension entre deux logiques : d'une part, une logique de long terme, qui vise à répondre aux objectifs de notre politique de développement, et, d'autre part, une logique de court terme, plus politique, de participation de la France aux grands évènements internationaux.

Au-delà d'une approche communicationnelle, contribuer, c'est choisir. Il est préférable de déterminer nos thématiques et zones géographiques de prédilection pour y concentrer nos moyens par un pilotage assumé de nos contributions. Or, force est de constater que l'État ne s'est pas pleinement saisi de son rôle d'orientation de nos contributions. Les travaux de la Cour identifient, en effet, de claires limites au pilotage interministériel de nos contributions.

En l'état actuel de l'organisation décrite par la Cour, les arbitrages autour des contributions internationales sont décidés au niveau de la cellule diplomatique de l'Élysée. Ce niveau de centralisation, combiné à la relative absence des services du Premier ministre dans le processus de décision, interroge.

De plus, comme l'indiquait Raphaël Daubet, le pilotage de nos contributions est rendu complexe par l'absence d'un instrument de suivi transversal - fort heureusement, le rapport de Rémi Féraud et Vincent Delahaye a permis de mieux appréhender la situation - et par l'inexistence d'une doctrine de recours au canal multilatéral - le bureau de la commission des finances a eu l'occasion de s'en rendre compte lors d'une rencontre récente avec les responsables du Fonds vert pour le climat. Ces deux éléments permettraient pourtant d'objectiver les orientations de nos contributions et de les replacer dans le contexte plus large du financement de nos actions multilatérales.

Nous partageons donc les recommandations de la Cour quant à la revalorisation du niveau interministériel dans la gestion des contributions internationales, sous la direction du Premier ministre, éventuellement dans le cadre du Cicid, à condition d'améliorer son fonctionnement. Sans remettre en cause le traditionnel domaine réservé de la présidence de la République, Matignon pourrait utilement servir de filtre, assurer la majorité des arbitrages et ne transmettre que les dossiers les plus importants. Un Cicid refondé selon les recommandations de la Cour pourrait-il assurer un réel pilotage de nos contributions ?

Je souhaite aussi aborder la question de l'évaluation des versements multilatéraux de la France. Il semble que les administrations aient renforcé leurs capacités d'audit et d'évaluation des contributions internationales. Ces efforts doivent être prolongés et renforcés. Je rejoins en particulier la Cour des comptes lorsqu'elle encourage à une évaluation plus systématique de nos contributions et plus spécifiquement des petites contributions internationales.

Deux points d'amélioration additionnels pourraient être signalés.

D'une part, l'information transmise aux parlementaires est encore lacunaire s'agissant du sujet des contributions internationales. La lecture des documents budgétaires suffit pour constater que les indicateurs de performance relatifs aux contributions multilatérales sont, a minima, perfectibles.

D'autre part, les moyens de suivi et d'évaluation internes aux administrations paraissent aujourd'hui insuffisants au regard du volume de nos contributions internationales. À titre d'exemple, les moyens dédiés au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ont certes augmenté au cours de ces dernières années, mais ils demeurent dispersés entre les différentes directions et services.

Pour terminer, il serait difficile de ne pas évoquer la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, prévue par l'article 12 de la loi de programmation du 4 août 2021. Sans revenir sur les controverses qui ont accompagné son cheminement, la commission devrait, à la suite de l'adoption de la loi du 5 avril 2024, être prochainement installée auprès du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il s'agit d'un instrument qui devra être mobilisé au plus vite pour mesurer l'efficacité et l'impact de notre politique de développement. Dans quels délais la commission d'évaluation pourra-t-elle être installée ?

Une rationalisation des moyens d'audit et d'évaluation sous l'égide de la commission d'évaluation de l'APD, rattachée au Quai d'Orsay, ne serait-elle pas envisageable ?

M. Bertrand Dumont, directeur général du Trésor. - Nous saluons le travail très important réalisé par la Cour des comptes. Nous partageons l'essentiel de ses conclusions et orientations. Ce travail, très utile, très approfondi, articule des considérations transversales et des recommandations pour notre politique d'aide au développement, qui mobilise des moyens considérables et croissants, et un volet concret, avec le focus sur l'Égypte et la Côte d'Ivoire, qui montre la déclinaison concrète du choix préférentiel de l'aide multilatérale ou bilatérale. In fine, ce qui importe est que ces flux aient bien des effets concrets, que les pays récipiendaires puissent s'en servir, qu'ils soient utiles à notre influence et à nos entreprises.

Nous rejoignons la grille d'analyse des objectifs, qui doivent être un outil d'aide à la décision lorsque nous évaluons la pertinence de recourir à tel outil plutôt qu'à tel autre : d'abord, notre influence politique historique, qui est le fondement même de notre engagement dans les institutions de Bretton Woods notamment ; ensuite, la lutte contre la pauvreté ; enfin, la défense des biens publics mondiaux.

Nous pouvons nous appuyer sur cette grille d'analyse, en pilotage et en orientation stratégique, lorsque nous nous demandons comment améliorer l'efficacité de notre aide. Effectivement, le contexte budgétaire nous oblige. La logique d'efficience de la dépense publique doit présider aux choix à faire.

Le rapport de la Cour pose la question du rôle du multilatéral par rapport au bilatéral : il faut garder en tête les vertus du multilatéralisme. La France en est un promoteur historique, pour de bonnes raisons. Les grandes institutions multilatérales ont un rôle de stabilité institutionnelle, une influence et un poids extrêmement importants dans les pays récipiendaires de l'aide, et un rôle de diffusion de valeurs, de systèmes normatifs, qui sont fondamentaux pour la France en termes géopolitiques, pour nos entreprises et plus généralement pour l'ordre du monde tel que nous le défendons. Lorsque ces institutions ne sont plus admises dans certains pays, en réalité, c'est tout un ordre, dont la France est partie, qui se trouve mis en cause.

Nous devons pouvoir peser sur le rôle de ces institutions multilatérales. Le prisme de la Cour est celui des contributions à ces institutions, mais nous en sommes aussi actionnaires. Au quotidien, notre rôle est de faire en sorte que ces institutions reflètent, dans leurs politiques, nos priorités : en faveur des pays les plus pauvres et fragiles, de l'Afrique, du climat, de la bonne gouvernance, du respect du genre, de la lutte contre la corruption. Il faut voir l'intérêt du multilatéralisme à l'aune de notre capacité à relayer nos messages.

Ne sous-estimons pas la force de frappe du multilatéralisme, quand la Banque mondiale accorde 60 milliards d'euros de prêts chaque année, contre 6 ou 7 milliards d'euros pour l'Agence française de développement (AFD).

Il ne faut pas opposer multilatéralisme et bilatéralisme, mais voir comment agir sur les différents fronts pour maximiser notre influence.

Il me semble qu'il faut, au-delà de cet effet de levier, adopter une certaine prudence sur la « bilatéralisation » de l'aide multilatérale. Je partage les propos du président Charpy : un point d'équilibre doit être trouvé. C'est un outil utile mais qui ne doit pas être utilisé systématiquement. L'efficacité de l'aide multilatérale, c'est aussi la capacité à porter des projets globaux, transversaux, en faveur des pays en développement. Si nous transformons cette aide en manteau d'Arlequin de contributions bilatérales, la tâche devient impossible. Quand on lutte contre la pauvreté ou le réchauffement climatique, il ne faut pas que 20 contributeurs de tel ou tel fonds aient 20 sous-priorités qui rendent le dispositif illisible.

Dès que nous le jugeons pertinent, nous « bilatéralisons » nos actions. Citons notre aide à l'Ukraine, soit via la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), soit via la Société financière internationale (SFI), en offrant des garanties de 250 millions d'euros pour la première et 150 millions d'euros pour la SFI. Citons aussi l'initiative Farm (mission pour la résilience alimentaire et agricole) pour le Fonds international de développement agricole (Fida). Mais gardons-nous de penser que ce serait la panacée.

Le deuxième élément qui a été relevé a trait à la doctrine que nous pouvons adopter afin de bien articuler le niveau multilatéral, le niveau européen et le niveau bilatéral. Vous avez justement souligné qu'il existait une demande politique forte de la part du Conseil présidentiel du développement afin de mieux articuler ces différents canaux : nous n'avons pas encore accompli ce travail et nous recommanderons au ministre de mener à bien l'explicitation de cette doctrine d'emploi.

Le point de vue du Trésor - sans validation politique à ce stade - consiste à dire que nous devrions privilégier le canal multilatéral dès lors que des problématiques à portée universelle sont en jeu ou qu'il s'agit d'organismes créateurs de normes mettant en oeuvre des transformations à l'échelle locale ou mondiale, en faveur des biens publics mondiaux par exemple. Je pense que nos participations aux banques multilatérales présentent également un grand intérêt lorsqu'elles nous permettent d'agir dans des zones dans lesquelles notre levier bilatéral est plus faible, à l'instar de l'Amérique du Sud, où notre présence est intrinsèquement moins forte. Enfin, lorsque notre relation bilatérale est très faible, voire inexistante, le maintien d'une présence multilatérale constitue un outil de stabilisation géopolitique.

S'agissant du canal européen, nous avons des progrès à accomplir concernant le soutien à l'action multilatérale et la maximisation de l'influence européenne. Du chemin reste à parcourir dans ce domaine, parfois en raison de la divergence des priorités en matière de développement ; pour autant, il y a là beaucoup à faire compte tenu des montants déjà existants et de notre volonté de mieux affirmer une présence européenne, qu'il s'agisse de la thématique ukrainienne, de la thématique africaine ou du développement du secteur privé. Il me semble qu'il faut constituer une véritable « équipe Europe », même si cette formule peut sembler être un truisme.

Le canal bilatéral, quant à lui, doit nous aider à affirmer notre singularité, soit lorsque nous nous positionnons à l'avant-garde de la défense de certaines causes, soit lorsque nous souhaitons soutenir certains partenaires de manière privilégiée, pour des raisons historiques spécifiques notamment. En lien avec nos collègues du quai d'Orsay, nous ferons des propositions à nos ministres afin de préciser cette doctrine.

Je conclus en évoquant la nécessité de disposer d'un tableau de suivi afin d'améliorer le pilotage. Concernant l'évaluation, je souscris à l'opinion selon laquelle nous devons oeuvrer à une mise en place de l'instance créée par le législateur. Une série d'actions ont été menées et la France n'est pas particulièrement en retard dans ce domaine, mais le chantier reste ouvert.

M. Olivier Richard, directeur général adjoint de la mondialisation au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Je tiens à saluer la qualité du travail de la Cour des comptes. Je partage l'avis du directeur général du Trésor quant à l'importance du canal multilatéral : au regard des nombreuses crises - sécuritaire, humanitaire, sanitaire, climatique - que nous connaissons actuellement, il s'agit de l'un des moyens d'action qui permet de structurer les alliances de la France et d'influencer les normes et les valeurs, en complémentarité avec le canal bilatéral.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) partage nombre des analyses et des recommandations de la Cour et a d'ores et déjà commencé à mettre en oeuvre une bonne part de ces dernières. S'agissant de la création de nouveaux instruments multilatéraux, la France et l'Union européenne souhaiteraient éviter d'en ajouter aux existants et, lorsque de nouveaux instruments sont créés, les rattacher à des structures existantes afin d'éviter l'augmentation des coûts. En général, cette position est défendue par l'ensemble des États membres, mais il arrive parfois que les négociations internationales débouchent sur la création de nouveaux fonds, même si nous ne le souhaitions pas. Il faut alors tâcher de les rattacher à une structure existante : tel a été le cas à l'occasion de la création du fonds « pertes et préjudices » à l'issue de la COP climat, mais dont nous avons obtenu qu'il soit géré par la Banque mondiale.

Pour ce qui est du ciblage de nos contributions volontaires aux organisations et fonds multilatéraux, les contributions fléchées aux Nations unies ont augmenté, passant de 60 % en 2020 à 72 % en 2022, soit une hausse assez significative en relativement peu de temps. En outre, nous tâchons de cibler nos contributions : 20 % des crédits fléchés dans le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme vont ainsi à une initiative gérée de manière bilatérale, qui porte d'ailleurs le nom « L'Initiative ». Il s'agit en fait d'un moyen de « rebilatéraliser » tout en coopérant, ledit fonds mondial n'ayant aucune objection quant à cette façon de procéder, qui lui permet de financer des opérations de taille réduite qu'il juge utiles.

Le non-fléchage, ensuite, n'est pas nécessairement négatif, comme le disait le directeur général du Trésor. D'une part, des contributions non fléchées sont nécessaires pour pouvoir siéger dans les instances de direction d'organisations internationales ; d'autre part, nous avons intérêt à ce que les organisations internationales qui gèrent des crises soient capables d'intervenir rapidement, ce qu'elles ne seraient pas en mesure de faire si elles ne disposaient que de contributions fléchées. Or nous avons intérêt à ce que le HCR, le Programme alimentaire mondial (PAM) ou encore l'Organisation mondiale de la santé (OMS) interviennent très vite dès lors qu'une situation problématique émerge.

Nous veillons également à une bonne articulation des financements bilatéraux, multilatéraux et européens. Comme l'a rappelé le directeur général du Trésor, le Cicid de juillet 2023 prévoit l'élaboration « d'une stratégie pluriannuelle définissant l'articulation entre les canaux bilatéral, européen et multilatéral visant à assurer la cohérence des financements et à établir les travaux les plus pertinents au vu de nos objectifs ». La préparation de cette stratégie a commencé à l'échelon interministériel, le processus ayant été ralenti par le contexte politique : nous allons le relancer.

Je souhaite insister sur le fait que le travail de coordination est constant, dans la mesure où les équipes de la direction générale de la mondialisation (DGM) et de la direction générale du Trésor (DGT) échangent en permanence : s'il est tout à fait louable de mettre sur pied cette stratégie pluriannuelle, nous ne partons donc pas de nulle part. Ces échanges seront d'autant plus utiles que le contexte budgétaire pour 2025 s'annonce pour le moins difficile et que nous allons devoir faire des choix. En ce qui nous concerne, la préservation des moyens bilatéraux sera un enjeu prépondérant, sans exclure néanmoins le canal multilatéral comme outil d'influence. J'ajoute que des engagements juridiques s'imposent à nous dans ce domaine.

Pour ce qui est de l'évaluation des contributions françaises, un travail important est d'ores et déjà mené : la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie dispose ainsi d'une cellule de redevabilité qui procède à une analyse de l'ensemble des contributions volontaires dont elle supervise le financement. De plus, la DGM est dotée d'un dispositif d'évaluation interne et externe ; s'y ajoutent, enfin, les mécanismes d'évaluation de l'AFD, d'Expertise France et de la DGT.

J'ai bien pris note des propos de la Cour des comptes au sujet des petites contributions, en précisant qu'elles ne sont pas forcément synonymes de mauvaises contributions. Par exemple, nous contribuons à la lutte contre le choléra en Afrique - plus précisément au Soudan, à Madagascar et aux Comores - à hauteur de 500 000 euros, une action qui a un impact considérable localement et qui peut être valorisée par notre ambassade. Nous envisageons de procéder à une évaluation externe globale, à la fois en raison de la multiplication des contributions ces dernières années et en raison des circonstances budgétaires actuelles, qui vont nous amener à faire des choix. Comme je l'évoquais précédemment, la question des engagements juridiques de la France pèsera lourdement dans la mesure où lesdits engagements sont très forts jusqu'en 2025. Les grandes reconstitutions des fonds multilatéraux devant intervenir en 2026, une forte contrainte s'exercera en 2025 et des choix de nature politique devront être effectués.

Pour ce qui est de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, un préfigurateur prépare son installation au sein du MEAE. Nous disposons de locaux, il reste donc à prendre un décret qui a été retardé là encore en raison du contexte politique, mais qui sera envoyé à notre ministre dans les jours qui viennent. Les ministères ont nommé leurs représentants et la commission pourrait être mise en place relativement rapidement. Cette instance étant indépendante, nous ne pouvons pas préjuger de ce qu'elle souhaitera faire : nous l'hébergeons, mais nous ne la contrôlons pas. Nous dialoguerons avec cette nouvelle commission et adapterons nos dispositifs si cela s'avère nécessaire.

J'en viens à l'objectif de rationalisation des modalités de gestion des contributions au moyen d'indicateurs valides et d'une coordination interne renforcée. Il existe un dialogue entre services budgétaires afin d'unifier les modalités de calcul des indicateurs des programmes budgétaires, cette révision étant prévue au printemps 2025 dans le cadre de la préparation du projet annuel de performances 2026, avec la direction du budget. Les services seront appelés à faire part de leurs voeux d'évolution à partir de mars 2025.

Pour ce qui est du Cicid, le recalibrage tel que proposé par la Cour des comptes ne nous paraît pas opportun. L'objectif du Cicid est de piloter la politique d'aide au développement et d'investissement solidaire et durable dans toutes ses dimensions, et pas seulement pour ce qui concerne les contributions multilatérales. En revanche, nous n'avons aucune objection à ce qu'il se réunisse plus souvent, dans la mesure où la dernière réunion date de juillet 2023 et où le Cicid ne s'était pas réuni pendant plusieurs années avant cette date : il revient au Premier ministre de décider ce qu'il souhaite faire en la matière.

Par ailleurs, intégrer le comité de pilotage des contributions internationales et des opérations de maintien de la paix dans un Cicid renforcé mêlerait des sujets qui sont très éloignés - les opérations de maintien de la paix et la lutte contre le changement climatique, par exemple -, alors que chacune de ces instances a été calibrée pour assurer la mise en cohérence entre les acteurs concernés. De surcroît, le comité de pilotage des contributions internationales et des opérations de maintien de la paix a été créé sur demande de la Cour des comptes, à la suite d'un rapport de 2015, sans oublier le fait que la DGM y participe.

Cependant, nous voyons dans cette recommandation une reconnaissance de l'utilité et de l'efficacité du Cicid et de son co-secrétariat, ces instances se réunissant autant que de besoin en associant la DGM, la DGT et le groupe AFD. Le pragmatisme a fait ses preuves dans ce domaine, les processus étant très fluides. J'ajoute que les sujets à l'ordre du jour du co-secrétariat du Cicid n'ont pas tous un impact budgétaire significatif, dont la validation d'une stratégie pays, les travaux sur la communication ou encore les liens avec la diplomatie économique. La participation de la direction du budget ne semble donc pas appropriée ; en revanche, elle pourrait être associée au comité de pilotage de la politique d'investissement solidaire et durable lorsque l'ordre du jour s'y prête. Instance politique, ce comité a été créé par le Cicid de juillet 2023 et doit se réunir tous les trois mois sous la présidence du secrétaire d'État chargé du développement. Le comité s'est déjà réuni deux fois en présence de M. Dumont.

Le Cicid a également prévu une réunion annuelle des ministres des affaires étrangères et de l'économie : elle n'a pas encore eu lieu, mais nous allons la leur proposer.

Pour ce qui concerne l'amélioration du suivi des dispositifs de financement, nous partageons tout à fait l'avis de la Cour des comptes. Un document de pilotage transversal sur ce sujet a existé jusqu'en 2019, mais a été supprimé par la direction du budget qui n'a pas ensuite souhaité le recréer. En revanche, le MEAE compile chaque année un rapport sur les moyens des réseaux de l'État à l'étranger, avec des informations provenant de tous les départements ministériels, soit une cinquantaine de programmes budgétaires. Jusqu'à présent, il s'agissait essentiellement d'informations relatives aux ressources humaines et à l'immobilier, mais il inclura en 2025 - pour la première fois - les contributions obligatoires et volontaires, ce qui en fera un outil de pilotage et de coordination très utile, portant sur l'ensemble du Gouvernement.

Quant à l'articulation de nos postes avec le niveau bilatéral, il est extrêmement important pour nous que nos ambassades soient systématiquement informées des projets qui sont mis en oeuvre dans les pays concernés.

Enfin, une réunion interministérielle de concertation sur l'influence de la France dans le système multilatéral est organisée chaque année sous la présidence de la secrétaire générale du MEAE. La prochaine réunion, qui se tiendra d'ici à la fin de l'année, nous fournira l'occasion de faire état des recommandations de la Cour des comptes.

M. Claude Raynal, président. - Avant de passer aux questions de nos collègues, je me permets un trait d'humour au sujet de l'audit externe sur l'aide multilatérale que vous avez évoqué : si vous pouviez éviter de recourir aux grands cabinets américains, nous y serions évidemment sensibles.

Sur un autre aspect, les fonds divers dédiés à la transition écologique et à l'environnement donnent l'impression d'une certaine dispersion et de doublons. Une réorganisation et de nouvelles orientations seraient-elles envisageables dans ce domaine ?

Par ailleurs, le contexte budgétaire actuel impliquera la recherche d'économies dans tous les ministères, y compris le vôtre. Une idée reçue consiste à penser qu'une réduction de l'aide au développement n'aurait aucune conséquence sur la croissance du pays, ce qui ferait de ce poste une sorte de cible privilégiée ; peut-être pourriez-vous revenir sur ce point ?

M. Antoine Lefèvre. - Qu'en est-il des éventuelles modifications de la stratégie de l'AFD compte tenu de la dégradation de la situation humanitaire à Gaza et désormais au Liban ?

Par ailleurs, quel bilan tirez-vous de l'ouverture d'un bureau de l'AFD à Kiev depuis deux mois ?

M. Hervé Maurey. - Je remercie les différents intervenants. J'ai été extrêmement surpris de découvrir que nous cotisions à 271 organisations ou fonds - soit 150 organisations de plus en trente ans - et à quel point nos contributions - volontaires ou non - ont augmenté, sans que l'influence française ait hélas progressé à due proportion.

En revanche, j'ai été moins surpris par l'absence de vision synthétique et d'évaluation, phénomène hélas assez fréquent dans les services de l'État. Je souhaiterais interroger en particulier M. Richard sur un point : alors que nous allons devoir réaliser des économies assez strictes, et outre le fait que vous envisagez un projet d'évaluation par un organisme extérieur - ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose -, avez-vous déjà engagé un travail d'évaluation ligne par ligne ? Si oui, quelles pistes dessine-t-il en termes de reformatage de certaines aides ? Sinon, il conviendrait d'y réfléchir afin d'éviter une hausse continue des contributions et de devoir ensuite procéder à des coups de rabots qui ne sont pas toujours pertinents.

M. Grégory Blanc. - Rapporteur spécial de la mission « Pouvoirs publics », j'ai noté votre propos concernant l'importance du rôle de la Présidence de l'Elysée, et je souhaite insister sur la difficulté d'avoir une approche moderne du budget de l'Élysée, qui, contrairement à ce qui est parfois suggéré dans la presse, est faible. Plus globalement, nous avons besoin d'une grande clarification des différents outils et process budgétaires pour connaître la vérité des coûts et faire ressortir ce qui relève de l'essentiel ou de l'accessoire. Aujourd'hui, c'est très confus.

M. Rémi Féraud. - Vos conclusions - les contributions internationales augmentent - convergent avec ce que Vincent Delahaye et moi-même constations au mois de janvier 2022. Certes, la guerre en Ukraine a évidemment changé la donne géopolitique depuis.

Selon vous, la mise en oeuvre en 2025 par la DGM d'une recommandation qui nous est commune sur un document de politique transversale répondra-t-elle à nos demandes ? Si l'on peut comprendre que l'interministériel se fasse à l'Élysée s'agissant du domaine réservé, nous nous sommes aperçus que la disparition d'un tel document en 2019 rendait plus difficile le contrôle parlementaire de la réalité et de l'efficacité des contributions internationales.

Certains pays européens passent par l'Union européenne quand d'autres agissent de manière bilatérale ou multilatérale pour maximiser leur propre influence. Ne faudrait-il pas revoir les règles à l'échelon européen pour éviter les risques de « cavalier seul » ?

L'influence stratégique de la France est-elle à la hauteur de la montée en puissance des contributions internationales, dont je ne conteste nullement la légitimité ? La Cour des comptes estime-t-elle que la dépense en la matière est véritablement utile ?

Mme Christine Lavarde. - Sur l'affichage de l'aide, certains pays sont beaucoup plus proactifs que la France ; pour notre part, nous sommes quasiment invisibles.

Le rapport, qui évoque à plusieurs reprises les participations à la francophonie, ne fait nulle mention du Fonds pour les écoles d'Orient. Pourtant, celui-ci est extrêmement efficace ; il contribue aussi bien au soutien à la scolarisation dans un environnement francophone qu'à l'équipement des écoles en panneaux solaires. Ne faudrait-il pas réfléchir à son élargissement à d'autres pays où la francophonie est très vivante ?

M. Olivier Richard. - Faire des économies sur l'APD ? Le choix vous revient ; nous ferons en fonction de ce que le Parlement votera.

L'aide publique au développement a un intérêt pour la France, ne serait-ce qu'en termes de lutte contre les pandémies ; l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation permet d'éviter l'arrivée de certains virus chez nous. La stabilité de pays fragiles est extrêmement importante ; si ceux-ci venaient à s'effondrer, le coût pour la France serait bien plus élevé que celui des programmes 110 et 209. Le fait que notre pays soit devenu un acteur majeur en matière de santé mondiale permet l'installation de l'Académie de l'OMS à Lyon ; c'est une très bonne nouvelle, tant pour le rayonnement de la France que pour l'emploi.

Nous avons commencé à réfléchir à la manière de procéder à un rééquilibrage au sein de nos dispositifs santé, où la France est un acteur majeur. Certes, nous attendons de connaître les décisions budgétaires qui seront prises. Nous avons entamé un travail ligne par ligne eu égard aux réductions qui s'annoncent.

C'est le Centre de crise et de soutien au sein du ministère des affaires étrangères, et non l'AFD, qui fait de l'aide humanitaire, par exemple en Ukraine ou à Gaza. L'AFD interviendra dans le processus qui suivra. Elle est en train de travailler sur des projets qui devraient être validés en Ukraine, à Gaza, dans les territoires palestiniens et au Liban en 2025.

Notre intérêt est de travailler avec l'Union européenne. L'aide au développement est une compétence partagée. L'Union européenne a des moyens d'action très puissants, par exemple en matière de dons, que nous n'avons pas.

Je vous confirme que le Fonds pour les écoles d'Orient reste dans nos lignes.

Sur la communication, nous avons bien conscience du problème. Par exemple, sur le dispositif Fonds Équipe France, que le ministère des affaires étrangères a mis en place l'année dernière, il y a un volet communication obligatoire pour que les projets soient validés.

M. Bertrand Dumont. - Je ne puis que partager votre constat sur les fonds climatiques ; il y en a beaucoup, et ils ont tendance à se multiplier pendant les COP. Nous avons des priorités : le Fonds vert pour le climat, le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), sur lesquels nous concentrons notre action. Nous avons essayé de ramener le fonds sur les pertes et préjudices à la Banque mondiale, afin d'éviter le phénomène de multiplication des supports. Nous travaillons au sein du G20 à une rationalisation de l'approche en matière climatique.

Nous essayons également d'avoir une priorisation pour le multilatéral : Association internationale de développement (IDA), Fonds africain de développement (FAD), Fonds vert.

Le bureau de l'AFD en Ukraine vient de s'installer. À date, il y a évidemment encore peu d'actions directes. Nous essayons de voir comment nous pourrions monter des projets avec les municipalités ukrainiennes. Un travail est entrepris entre Proparco et la Berd pour soutenir et renforcer le développement du secteur privé ukrainien. L'Union européenne mobilise des montants considérables ; nous en discutons en ce moment même à l'échelon européen.

Concernant l'influence française au sein des institutions, il existe des éléments quantitatifs ; selon nos évaluations, nos sujets prioritaires sont plutôt bien servis par ces institutions. Lorsque la France prend des initiatives internationales, comme le Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P), les institutions nous suivent ; je pense qu'il y a un effet de levier.

Sur le risque de « cavalier seul » de certains pays européens, je prendrai l'exemple des discussions actuelles sur la reconstruction de l'IDA. Notre objectif est de susciter une approche plus européenne. Cela implique non seulement de vérifier que la part relative de l'Europe ne décroît pas, voire continue à progresser, mais également de faire en sorte que des États un peu moins actifs en la matière, alors que leurs moyens sont croissants - je pense notamment à des pays d'Europe de l'Est, comme les États baltes ou la Pologne -, contribuent davantage.

M. Christian Charpy. - J'ai trouvé ce débat extrêmement intéressant.

Je le précise, nous ne sommes pas contre l'aide multilatérale ; simplement, il faut bien l'articuler avec le bilatéral. L'influence de notre pays sur les fonds est parfois insuffisante, par exemple en matière de santé.

Réunir l'approche APD et l'approche ONU dans le Cicid nous semble une bonne idée ; cela ne signifie pas qu'il faille faire disparaître d'autres structures très spécifiques. Il nous paraît important que toutes les institutions multilatérales gérées et pilotées par le Cicid se réunissent plus régulièrement. Si nous demandons des informations sur le budget, c'est pour avoir une vision globale et consolidée de l'ensemble des contributions qui sont faites.

Dans son rapport sur l'aide au Liban, M. Dominique Antoine avait évoqué le soutien aux écoles d'Orient, qui sont financées non seulement par le Quai mais également par des contributeurs privés. Il est essentiel de disposer de l'ensemble des éléments dans le futur document de politique transversale.

Le budget de l'Élysée, sur lequel la Cour publie chaque année un rapport, concerne seulement le fonctionnement de la présidence de la République. Il n'a pas un rôle d'intervention comme la DGM ou la direction du Trésor.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - Je remercie les intervenants de leurs réponses. Je me réjouis de la prise en compte annoncée de nos recommandations, qui visent simplement - je tiens à le rappeler - à améliorer le pilotage de cette politique publique, parfois mal comprise par nos concitoyens, et à renforcer l'efficience de la dépense. Puissent les échanges que nous venons d'avoir éclairé les débats budgétaires difficiles qui nous attendent.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Compte tenu de la multiplicité des organisations auxquelles nous apportons une contribution au titre du multilatéral, une réflexion pour rendre l'action de la France plus efficace s'impose.

Avec Raphaël Daubet, nous avons constaté à Rome combien il était difficile de travailler conjointement avec l'Union européenne. Si la France agit efficacement, il y a toujours des divergences entre les pays et l'action que l'Union européenne veut mener par elle-même. Or l'argent européen, c'est l'argent de l'ensemble des pays !

M. Claude Raynal, président. - Merci à tous de votre participation.

La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information des rapporteurs spéciaux Michel Canévet et Raphaël Daubet.

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