PREMIÈRE PARTIE :
LA FRANCE CONFRONTÉE À UN DURCISSEMENT DES STRATÉGIES D'INFLUENCE

I. LA NOUVELLE DONNE GÉOPOLITIQUE ET TECHNOLOGIQUE : MENACES HYBRIDES ET BATAILLE DES PERCEPTIONS

A. UN ENVIRONNEMENT STRATÉGIQUE PLUS COMPLEXE, PLUS INCERTAIN ET PLUS DANGEREUX

1. Entre la désinhibition des puissances hostiles et la montée en puissance de l'hybridité sous le seuil de la guerre conventionnelle

Avant même la période contemporaine marquée par le retour de la guerre sur le sol européen, Thomas Gomart décrivait l'affolement du monde 41(*) - le titre d'un essai publié en janvier 2019 - comme la transformation inédite des rapports de force internationaux mettant en jeu l'ascension de la Chine, l'unilatéralisme américain, la fragmentation de l'Europe et le retour de la Russie sur la scène stratégique, sans compter de multiples tensions sur des sujets transversaux : l'énergie, le climat, le cyber, l'espace et la pression démographique et migratoire.

Déjà, la revue stratégique de 201742(*) s'inscrivait dans un « contexte stratégique instable et imprévisible, marqué par une menace terroriste durablement élevée, la simultanéité des crises, l'affirmation militaire de puissances établies ou émergentes, l'affaiblissement des cadres multilatéraux et l'accélération des bouleversements technologiques ». Tant l'actualisation stratégique de 2021 que la revue nationale stratégique de 2022 dressent le constat d'un monde chaotique où l'affrontement entre grands blocs, la désinhibition des puissances hostiles et l'irruption de guerres, qui ne disaient pas leur nom, deviennent le lot quotidien. Le Général Lecointre, ancien chef d'état-major des armées, a ainsi résumé les dernières décennies de crises, notamment depuis le conflit en ex-Yougoslavie à la fin du XXème siècle : « nous n'avons pas cessé d'être en guerre en réalité. Mais nous avons vécu dans une bulle ».

Ces grandes tendances se sont accélérées : compétition entre grandes puissances, généralisation des stratégies hybrides, enhardissement des puissances régionales, effets de rupture liés aux nouvelles technologies, notamment numériques et informationnelles (cf. illustration infra).

Illustrations relatives à la diversité des menaces hybrides couvrant aussi bien les champs du cyber et de l'informationnel que de la contrainte ou de la coercition armée

Source : SGDSN

La montée en puissance capacitaire dans le domaine de la guerre conventionnelle des pays dits « compétiteurs », à l'exemple de l'effort de la Chine dans la construction navale (construction du tonnage de l'équivalent de la flotte française tous les 4 ans) ou de l'Iran dans le domaine des missiles balistiques et des drones, se double dorénavant de la démonstration sur le terrain de ces nouveaux moyens. La multiplication des tirs de missiles et de drones par l'Iran ou d'États et de milices affiliées, par la Corée du Nord, ou des cas de confrontations entre la Chine et les États riverains, notamment les Philippines, de la mer de Chine méridionale témoigne d'une désinhibition de l'emploi de toute la panoplie des menaces dites hybrides précédemment évoquées en introduction.

Le fait nouveau réside dans le développement sans précédent de ces menaces, particulièrement dans le domaine informationnel. Ainsi que le soulignait le professeur David Colon, entendu par la commission, « à l'équilibre de la guerre froide a succédé le déséquilibre de la guerre de l'information »43(*).

Ce déséquilibre est illustré par les chiffres de la cybercensure en Chine, rapportés par Reporter sans frontières (RSF) : le pays a dépensé environ 5,5 milliards d'euros en matière de cybercensure44(*) en 2020 et au moins 2 millions de personnes travaillaient déjà en 2013 pour le contrôle des opinions exprimées sur les réseaux chinois. Comme l'a souligné le capitaine de vaisseau Yann Briand, sous-directeur des affaires internationales du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), les défis qui se posent aux démocraties sont colossaux car si pour le moment, la menace principale en matière cyber et informationnelle est russe, on pourrait considérer que « si la Russie est une vague, la Chine est potentiellement un tsunami »45(*).

2. Montée en puissance des menaces hybrides et définition de l'influence comme 6ème fonction stratégique des armées

La prise en compte de l'enjeu des menaces hybrides est relativement récente puisque le Centre d'excellence sur les menaces hybrides de l'Otan et de l'Union européenne n'a été créé qu'en 2017 à l'initiative notamment de la Finlande, dont la population, avant même son adhésion à l'organisation transatlantique, se révèle particulièrement sensible aux risques multiformes que son voisin russe fait peser sur son territoire et ses infrastructures.

L'une des caractéristiques propres aux pays nordiques est l'adoption d'un modèle d'analyse des menaces reposant sur un « écosystème global de résilience »46(*). Ainsi, le Centre d'excellence d'Helsinki a développé une grille d'analyse de l'ensemble des domaines, civiles ou militaires, publics ou privés, économiques ou politique, pouvant porter une attaque sur un État, dans l'ensemble de ses composantes (cf. schéma ci-après).

Modèle d'analyse de l'écosystème global de résilience face aux menaces hybrides

Source : Centre d'excellence d'Helsinki

Cette approche globale se caractérise par un champ extrêmement large des stratégies et objectifs d'attaque à analyser. Ainsi que l'illustre le schéma ci-dessous, outre la variété des acteurs (étatiques ou non-étatiques), les outils (tool), domaines d'action et activités s'étendent des ingérences (interference) à la guerre proprement dite (war) en passant par une zone grise mêlant influences et opérations de déstabilisation, sans frontières nettes et précises entre elles, qui toutes convergent vers une seule et même cible (target).

Représentation des voies et moyens des attaques hybrides

Source : Centre d'excellence d'Helsinki

Transposée en France dans le cadre d'un document non public de référence interministériel sur les stratégies hybrides élaboré en mars 2021 par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui a la charge de coordonner cette matière, la définition d'une stratégie hybride s'entend comme « le recours par un acteur étatique ou non à une combinaison intégrée et volontairement ambiguë de modes d'actions militaires et non militaires, directs et indirects, légaux ou illégaux, difficilement attribuables. Jouant avec les seuils estimés de riposte et de conflit armé, cette combinaison est conçue pour contraindre et affaiblir l'adversaire, voire créer chez lui un effet de sidération ».

En novembre 2022, dans le cadre de l'annonce faite par le Président de la République de mettre fin à l'opération Barkhane, au cours de laquelle les forces françaises ont fait l'objet de campagnes informationnelles organisées par la Russie ou des entités et individus pro-russes, il était également annoncé que l'influence serait érigée par la Revue nationale stratégique 2022 (RNS 2022) au rang de 6ème fonction stratégique, en plus des cinq fonctions stratégiques traditionnellement dévolues aux armées : protection, dissuasion, intervention, prévention, connaissance et anticipation (renseignement).

Le constat exprimé par le Président de la République faisait explicitement référence aux opérations d'influence étrangères dirigées contre les intérêts français : « on a vu, comme en Afrique, souvent à l'instigation d'acteurs extérieurs, des récits malveillants s'implanter, être démultipliés par des jeux de miroir par des bots, des trolls et tout un bestiaire digital mis à contribution dans une manoeuvre très bien intégrée, il faut bien le dire, par plusieurs de nos rivaux pour contester notre sécurité et notre rayonnement. Et propager, outre de faux récits, un appétit de violence, manipuler les populations civiles et, en quelque sorte, accroître encore l'hybridité des conflits »47(*).

Ce constat se doublait déjà d'une volonté de sortir de la passivité ou d'une posture purement défensive pour assumer une communication plus active sur la position de la France : « il nous revient aussi de penser la promotion, sans orgueil mais sans inhibition malvenue, de notre cause » car une « attitude qui serait seulement réactive, voire défensive, pourrait passer pour une forme de passivité. Ce ne sera pas la nôtre ».

B. PLATEFORMES, INTELLIGENCE ARTIFICIELLE... : DE NOUVEAUX CANAUX DE PERCEPTION DE L'INFORMATION

Quand Jean-Yves Le Drian, alors ministre de l'Europe et des affaires étrangères déclarait « il n'y a plus de soft power, il n'y a que du hard power »48(*) à l'occasion de la présentation de la feuille de route de l'influence de la diplomatie française, il était fait référence au changement d'attitude tant de la Russie que de la Chine, mais aussi de nouveaux compétiteurs régionaux tels que la Turquie, vers une communication officielle délibérément agressive, voire mensongère (cf. infra) qui ne relève dès lors plus de la traditionnelle influence légitime (soft power) mais glisse vers ce que la définition du SGDSN des menaces hybrides classe dans l'influence malveillante.

1. La nouvelle donne technique et numérique opère comme un effet multiplicateur des manipulations de l'information

La conjonction de la nouvelle donne géopolitique avec de nouveaux canaux de perception de l'information, mettant en oeuvre des technologies algorithmiques et l'intelligence artificielle, a pu être présentée au cours des tables rondes technologiques comme un multiplicateur des manipulations et des effets de bulle informationnelle.

Deux constats ont pu être établis :

- celui de la méfiance envers les « grands médias » sur les sujets d'actualité (57 % des Français interrogés jugent qu'il faut « se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité »)49(*) ;

- deuxièmement, selon le même sondage, 24 % des moins de 35 ans s'informent via des influenceurs. D'autre part, il faut relever que les jeunes électeurs européens de 18 à 25 ans placent les réseaux sociaux TikTok (29 %) et Instagram (27 %) en deuxième et troisième positions derrière la télévision (47 %)50(*).

Les quatre auditions organisées avec les plateformes Meta (ex-Facebook), X (ex-Twitter), Google et TikTok ont permis de mieux comprendre les mécanismes de modération des contenus mais aussi le rôle central des algorithmes dans l'accès des utilisateurs à l'information et dans le modèle économique de ces réseaux.

2. Guerre informationnelle, bataille des perceptions

Dans la présentation faite à la commission par Guy-Philippe Goldstein sur la guerre cognitive et la polarisation de la guerre froide 2.0, il est expliqué que les plateformes de réseaux sociaux tendent à favoriser la diffusion de messages « surprenants et négatifs » ainsi que l'instabilité émotionnelle et l'extrémisme51(*).

Dans une analyse des cascades de rumeurs sur Twitter de 2006 à 2017 (126 000 histoires « tweetées » par 3 millions de personnes plus de 4,5 millions de fois), les nouvelles fausses et surprenantes ont 70 % plus de chances d'être retweetées que des informations fiables sur des événements réels. Les fausses nouvelles atteignent une « profondeur de cascade » (chaînes de retweets ininterrompues) de 10 à environ 20 fois plus rapidement que des faits réels.

Cette bataille des perceptions a également été modélisée par David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS auditionné par la commission d'enquête52(*), au moyen d'une étude sur l'évolution de la « twittosphère » politique de 2016 à 2022. Les deux représentations ci-dessous présentent sous forme de filaments des échanges entre comptes Twitter.

Modélisation de l'évolution de la twittosphère politique entre 2016 et 2022

Source : David Chavalarias

Les filaments « matérialisent la circulation d'information au sein du réseau via l'action de partage (retweet). Les échanges entre plusieurs dizaines de milliers de comptes Twitter sont représentés sur chaque figure, les labels correspondants aux comptes des personnalités politiques les plus représentatives de leur région. En 2016, les partis traditionnels PS et LR sont au coeur de la circulation d'information. Six ans plus tard, les partis d'extrême-droite sont au coeur de la circulation d'information tandis que les communautés PS et LR se sont effilochées. La communauté anti-système qui a émergé autour de Florian Philippot (en violet) fait une passerelle entre LFI et le bloc d'extrême droite »53(*).

II. DES COMPÉTITEURS ENGAGÉS DANS UNE GUERRE D'INFLUENCE CONTRE LA FRANCE : CARTOGRAPHIE DE LA MENACE

Le présent rapport, qui vise à passer en revue et renforcer nos outils de lutte face aux opérations d'influence étrangères malveillantes d'où que celles-ci proviennent, n'a pas vocation à se concentrer sur la menace émanant d'un ou plusieurs acteurs particuliers, ni à formuler de préconisation sur la politique diplomatique à conduire vis-à-vis de tel ou tel État.

Pour autant, il a semblé important à la commission d'enquête de présenter les principaux compétiteurs, identifiés au cours des différentes auditions conduites, menant des opérations d'influences malveillantes ciblant la France.

A. À L'INSTAR DES AUTRES PAYS OCCIDENTAUX, LA FRANCE EST PRISE POUR CIBLE PAR LES GRANDES PUISSANCES « RÉVISIONNISTES » QUE SONT LA RUSSIE ET LA CHINE

Les auditions conduites par la commission d'enquête ont largement permis de conforter le constat posé par la Revue nationale stratégique de 202254(*), qui pointe les « ambitions révisionnistes exacerbées » de la Fédération de Russie et de la République populaire de Chine, se caractérisant par des « pratiques de contestation et de contournement de l'ordre international fondé sur le multilatéralisme et la règle de droit (...) édifié depuis la fin de la guerre froide », participant d'une « convergence stratégique croissante » entre ces deux pays. Un tel retour des empires contrariés sur la scène géostratégique est la source de bouleversements majeurs.

La même Revue nationale stratégique fait ainsi état de la « stratégie de remise en cause de la sécurité européenne, dont la guerre engagée contre l'Ukraine le 24 février 2022 représente la manifestation la plus ouverte et la plus brutale », conduite par la Russie, qui conçoit sa puissance comme « une opposition à (...) “l'Occident collectif” ».

S'agissant de la Chine, elle relève que, « au-delà de sa pérennisation au pouvoir, l'objectif du parti communiste chinois (PCC) et de l'armée populaire de libération (APL) reste de supplanter les États-Unis comme première puissance mondiale. Considérant la puissance américaine et le modèle occidental en déclin, le régime chinois estime que le leadership occidental sur l'ordre international est fragilisé et qu'il peut l'affaiblir encore davantage en mettant à profit son influence nouvelle ».

C'est dans le cadre de cette confrontation stratégique que ces deux États sont amenés, tout en restant sous le seuil du conflit armé, à mener des opérations d'influence malveillantes contre les pays occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis, mais également la France, qui constitue une cible de choix pour ces deux pays. La rivalité entre la Chine et les États-Unis s'exprime d'ailleurs avec une intensité particulière dans l'Indopacifique, où la France est la seule nation de l'Union européenne résidente dans la région.

1. La Russie, compétiteur le plus agressif

a) Une guerre d'influence contre « l'Occident »

Dans le domaine de la guerre d'influence, la Russie est indéniablement le compétiteur le plus agressif.

La guerre hybride, en particulier dans sa dimension informationnelle, est profondément inscrite dans la tradition stratégique russe. Comme le relève l'historien David Colon : « la désinformation s'inscrit en Russie dans une tradition vieille de plusieurs siècles. L'État russe, en effet, depuis Catherine II et Grigori Potemkine, a fait de la manipulation des perceptions une politique nationale tandis que l'armée russe a poussé à la perfection l'art de la tromperie militaire (maskirovska) »55(*).

Cette tradition a su s'adapter à la nouvelle donne technique liée à l'avènement du numérique : « aux notions occidentales de “ cybersécurité ” et de “ cyberdéfense ” qui mettent en avant les contenants (infrastructures, terminaux), la doctrine militaire russe préfère depuis longtemps celles de “ sécurité informationnelle ” et de “ défense informationnelle ”, qui associent les contenants et les contenus pour qualifier un terrain de conflictualité virtuel, “ l'espace informationnel ”. (...) Depuis les années 1970, la doctrine militaire russe s'appuie sur la notion de “ contrôle réflexif ” qui consiste à influencer la perception qu'ont les adversaires de leur environnement en agissant sur les “ sphère informationnelle ” (...), soit pour encourager l'adversaire à agir dans un sens donné, soit pour créer la confusion et paralyser sa décision »56(*).

La posture russe à l'égard de ce qu'elle désigne comme « l'Occident » se fait plus agressive depuis la fin des années 2000. Toujours selon David Colon, dès 2007-2008, à mesure que la crise économique frappe la Russie, la propagande, relayée par des agences de relations publiques occidentales, « se concentre sur une vision noire du monde occidental, présenté comme décadent et corrompu »57(*).

La campagne de réélection de Vladimir Poutine en 2012, au cours de laquelle celui-ci a accusé les puissances occidentales de tentatives de manipulation de l'opinion russe pour le faire battre, et le déclenchement d'une « guerre hybride » en Ukraine à compter de 2013, ont marqué un nouveau tournant. Dès lors, « la stratégie russe du chaos est appliquée à grande échelle pour affaiblir l'Europe en remettant en cause tant son unité que son soft power politique et culturel (...). Pour ce faire, la propagande russe donne une caisse de résonnance à toutes les forces centrifuges, à toutes les voix critiques ainsi que le plus grand retentissement possible aux tensions sociales et aux attentats terroristes »58(*). Les ingérences russes documentées dans la campagne référendaire britannique sur la sortie de l'Union européenne pour favoriser le camp du « Brexit » et dans les élections présidentielles états-uniennes de 2016 pour favoriser Donald Trump sont les illustrations les plus éclatantes de son action.

Dans cette guerre livrée à « l'Occident », « l'influence est un substitut à une puissance que le Kremlin n'a plus. Ce dernier investit d'autant plus dans les opérations d'influence qu'il n'est plus en mesure de peser sur les destinés militaires ou celles économiques du monde comme il a pu rêver de le faire, par le passé »59(*).

Cette stratégie, soutenue par l'administration présidentielle russe, est supervisée et déclinée par les services de renseignement, puis exécutée par d'autres relais, dans le but de gagner l'adhésion tant de la diaspora russophone que des milieux russophiles dans les pays occidentaux.

Elle s'appuie sur plusieurs acteurs, présentés par Maxime Audinet, spécialiste de la politique d'influence russe auditionné par la commission d'enquête60(*), témoignant du fait que la Russie y consacre des moyens sans commune mesure avec l'ensemble des autres acteurs.

En premier lieu, des acteurs étatiques :

- les services de renseignement, qui mènent des opérations d'ingérence ;

- les acteurs de la diplomatie numérique, soit la communication officielle des ambassades, du ministère des affaires étrangères et du ministère de la défense russes, qui, relève d'une politique d'influence malveillante non dissimulée. L'activisme diplomatique de l'ambassadeur en France, Alexander Makogonov, est notamment cité.

- les médias d'État transnationaux, tels que Russia Today et Sputnik ;

En second lieu, on trouve des acteurs non officiels qui n'appartiennent pas à l'État mais à une frange désinstitutionnalisée de l'État russe, tels que :

- des « entrepreneurs d'influence », dont Evguéni Progojine, le fondateur récemment décédé du groupe Wagner, mué en « African Initiative » sur le continent africain, et des « usines à trolls61(*) » du projet Lathka, constitue l'incarnation ;

- des « contractuels de l'influence », soit des « prestataires d'influence ou de désinformation », voire de véritables « technologues politiques », sous-traitées par l'administration présidentielle. Maxime Audinet prend l'exemple du « Centre S », qui « constitue un acteur déterminant des ingérences informationnelles de la Russie dans nos démocraties ».

Jusqu'à l'invasion à grande échelle de l'Ukraine le 24 février 2022, la Russie menait dans le même temps une politique d'influence agressive et une politique de soft power plus traditionnels, comme en témoigne l'organisation des jeux Olympiques de Sotchi en 2014 et de la coupe du monde de football en 2018. Depuis lors, la guerre informationnelle lancée devient totale, s'inscrivant dans le prolongement direct de la période précédente.

b) La France, cible privilégiée de la guerre d'influence russe

La France est spécifiquement prise pour cible par la Russie à deux titres au moins.

En premier lieu, en tant que puissance occidentale membre de l'Otan, et participant activement au soutien aux forces armées ukrainiennes, elle est assimilée à « l'Occident collectif » honni.

C'est notamment à compter de 2018 que la Russie, parvenue, selon David Colon, à constituer en France un « très vaste réseau d'experts, de militaires, d'anciens espions, de journalistes, de femmes et d'hommes politiques qui, par idéologie, stratégie politique, croyance religieuse, intérêt personnel ou appât du gain, relaient volontiers dans les médias les narratifs russes ».

Lors de son audition, Nicolas Tenzer détaille notamment les principales idées présentées dans le cadre des narratifs poussés dans les médias et sur les réseaux sociaux par les acteurs pro-russes concernant la guerre en Ukraine : « la faute est partagée » entre russes et Ukrainiens ; « l'Otan est une menace pour la Russie » ; « de toute manière, la guerre est perdue pour l'Ukraine » ; « il ne faut pas humilier la Russie » ; « on ne peut pas défaire une puissance nucléaire »62(*).

En second lieu, la France est prise pour cible au titre de sa présence sur le continent africain, où la Russie entend déployer son influence de façon accrue, notamment depuis 2018-2019 et l'organisation du sommet russo-africain de Sotchi des 23 et 24 octobre 2019.

La Russie livre depuis une guerre informationnelle de grande ampleur contre la France en particulier dans le Sahel, ciblant ses opérations militaires. Elle repose notamment sur l'action du groupe Wagner, n'hésitant pas à y dénoncer un prétendu « néo-colonialisme » pour exploiter le sentiment anti-français d'une partie des populations.

2. La Chine, une menace croissante

La Chine est un autre acteur important de l'ingérence et de l'influence, mais selon des modalités différentes de la Russie, beaucoup moins agressives : il s'agit pour elle non pas de s'en prendre à notre modèle, comme le fait la Russie, mais de promouvoir le sien.

La stratégie chinoise à l'égard des pays occidentaux a, cependant, connu une mutation importante et progressive depuis la fin des années 2000. Pour reprendre l'expression de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Paul Charon, chercheurs à l'Institut de recherche académique de l'École militaire (Irsem), la Chine connaît en effet un « moment machiavélien » - en référence à la célèbre formule de Machiavel qui écrivait dans Le Prince (1532) qu'« il est plus sûr d'être craint que d'être aimé » - correspondant à une forme de « russianisation » de sa politique étrangère63(*).

Comme l'explique Paul Charon lors de son audition par la commission d'enquête64(*) : la Chine est même en capacité de « mener des opérations plus larges que la Russie, car elle dispose de plus de moyens financiers, mais aussi de ressources humaines importantes ».

La Chine est ainsi « [passée] d'une propagande positive (...), visant à la présenter comme un acteur bienveillant, proposant des relations gagnant-gagnant, cherchant une émergence pacifique sur la scène internationale, à un autre type de contenu. Si la propagande positive n'a pas disparu, elle est concurrencée par un contenu devenu agressif et dépréciatif, en particulier envers les États-Unis, qui peut aussi cibler des valeurs. »

Outre la promotion de son modèle politique et la dépréciation de la démocratie, qui s'inscrivent dans l'objectif d'assurer la pérennité de son régime, la Chine poursuit, au travers de sa politique d'influence, des objectifs d'ordre géopolique. Comme l'explique Paul Charon : « les Chinois ont intérêt à diviser l'Europe. La Chine est plus forte et plus à l'aise dans les relations bilatérales. Le leadership chinois est bien conscient qu'il obtiendrait moins s'il avait en face de lui un interlocuteur unique en Europe. Il est également dans l'intérêt de la Chine de tenter d'éloigner l'Europe des États-Unis. Le traitement de la guerre en Ukraine par les médias chinois en témoigne : la guerre est présentée comme voulue et mise en oeuvre par les États-Unis, au détriment de l'intérêt des Européens. (...) De la même manière, à l'échelle internationale, la Chine essaie d'éloigner ce qu'elle appelle le “Sud global”, de l'Europe ».

S'agissant de l'organisation du dispositif chinois, Paul Charon a regretté « notre insuffisante connaissance des acteurs et des objectifs réels visés, au-delà des objectifs stratégiques, par l'appareil de la propagande chinoise », qui procède « d'un manque de moyens ».

Pour Valérie Niquet, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) les organes de propagande extérieure dépendent de la commission des affaires extérieures du Parti communiste chinois, avec à sa tête le président Xi Jinping. Ces organes sont pilotés par le Groupe dirigeant pour le travail de la propagande idéologique, « qui contrôle et organise le travail dans toutes ses dimensions » en s'appuyant notamment sur :

- le ministère des affaires étrangères et le réseau d'ambassades ;

- des médias contrôlés par le PCC, tels que l'agence de presse Xinshua.

Outre les acteurs étatiques, à l'instar de la Russie, la Chine s'appuie sur la mobilisation d'organisations formellement extérieures à l'État ou au Parti. Il s'agit de la stratégie du « front uni ». Ainsi, « de grandes entreprises comme Alibaba ou Huawei pourraient être mobilisées au service de l'image de la Chine ». Au plan de la guerre informationnelle, l'armée populaire de libération (APL), s'appuie également sur des « ingénieurs civils et des hackers “ patriotiques” (...) [qui] fournissent les armées de trolls et les opérations de pénétration et de submersion des réseaux ennemis »65(*).

Elle s'appuie également sur les diasporas, bien que celles-ci soulèvent pour le régime « une question ambigüe », comme l'explique Paul Charon lors de son audition. En effet, il s'agit d'une « population qui « maîtrise parfaitement la langue et la culture chinoises et qui, parce qu'elle ne cesse de faire des allers-retours entre les pays d'accueil et la Chine, est susceptible d'importer des valeurs libérales auxquelles elle a été exposée ». Elle constitue donc une « menace », de telle sorte que « le premier objectif du PCC est de la contrôler partout dans le monde ». Cela passe notamment par « la maîtrise des médias en langue chinoise à l'étranger » mais aussi par « des actions physiques. Cette menace a été qualifiée d'« infiltration culturelle » en 2015 dans le cadre des débats autour de la loi sur la sécurité nationale.

Le réseau social TikTok constitue également une menace, bien mise en évidence par les travaux récents de la commission d'enquête du Sénat sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence66(*). Pour Paul Charon, s'il ne s'agit pas « du principal vecteur de l'influence de la Chine », la plateforme, qui est à l'évidence « sous la coupe de la Chine », en ce qu'elle peut capter les données des utilisateurs pouvant être utiles, « ne serait-ce que pour nourrir les intelligences artificielles chinoises » qui pourraient, demain, être mises au service de nouveaux outils d'influence.

Pour autant, il convient de relever qu'à la différence de la Russie, la Chine ne fait pas de la France une cible majeure et qu'« il n'a pas véritablement de spécificité dans la manière dont les Chinois visent la France », par comparaison aux autres pays occidentaux. Certes, elle représente un enjeu important dans la mesure où la diaspora chinoise représente plusieurs centaines de milliers de personnes. Par ailleurs, « la France est également accusée par les Chinois, comme elle l'est par les acteurs pro-russes, de mener des activités liées ou assimilées à du néocolonialisme, notamment en Afrique ».

B. DES MENACES ÉMERGENTES « TOUS AZIMUTS »

Outre les deux grands compétiteurs stratégiques que sont la Russie et la Chine, la commission d'enquête a identifié une importante variété d'acteurs étrangers, d'origine étatiques ou non étatiques, menant des opérations d'influence malveillantes ciblant la France, avec des finalités diverses.

1. Des compétiteurs étatiques émergents : Azerbaïdjan, Turquie, Iran

Certains compétiteurs émergents poursuivent des intérêts géopolitiques les conduisant à mener de telles opérations en direction de la France.

En particulier, suite aux prises de position françaises envers l'Arménie, nous nous sommes découvert un nouveau compétiteur avec l'Azerbaïdjan, qui a mené des opérations d'ingérence d'une particulière hostilité à l'égard de la France dans la période récente (voir infra, IV), dénoncées notamment par le ministre de l'intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin67(*), et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Stéphane Séjourné68(*), lors de leurs auditions par la commission d'enquête. Ce dernier allant même jusqu'à évoquer une « crise inédite » des relations entre la France et l'Azerbaïdjan.

Inspiré et encouragé par la Russie, ce pays s'appuie sur des structures non-étatiques pour mener ses opérations d'influence, tels que le Baku Initiative Group (BIG). Selon une logique de « puissance tranchante » (voir Introduction), ces opérations poursuivent essentiellement un objectif de déstabilisation de la société française par le biais de la recherche d'une amplification des tensions sociales. Son action se déploie dans l'hexagone mais également dans les Outre-mer, et en particulier en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, avec la volonté d'instrumentaliser les récentes émeutes. Reprenant une méthode éprouvée par la Russie, les acteurs pro-Azerbaïdjan y dénoncent à leur tour un prétendu « colonialisme français ».

La Turquie, dont les ressortissants composent la troisième communauté étrangère présente sur notre territoire national, agit selon une logique différente : il s'agit de préserver son identité contre toute forme d'acculturation. Elle possède en France une forte représentation diplomatique, qui sert à appuyer l'activité de ses services de renseignement. D'autres structures sont par ailleurs à la manoeuvre pour collecter des informations et développer une stratégie d'influence.

Ce pays dispose de quatre principaux leviers d'action :

- le contrôle communautaire, qui permet de surveiller la diaspora, de s'assurer de son soutien au gouvernement turc et de juguler l'opposition ;

- l'encadrement de la pratique religieuse de la communauté (voir infra) ;

- l'ingérence politique ;

- l'influence informationnelle, notamment dans les années récentes, notamment au moyen d'une diplomatie publique agressive. Celle-ci porte essentiellement sur la dénonciation de notre modèle de laïcité, qui témoignerait d'une prétendue « islamophobie » française. Des opérations de communication d'ampleur, impulsées notamment par le président Recep Tayyip Erdogan, ont été menées contre la France dans le sillage de l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020 puis dans le contexte de l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Depuis 2022, le média international turc TRT s'est doté d'une chaîne en français pour faire valoir « un narratif alternatif » à destination notamment de l'Afrique.

Le cas de l'Iran a également été cité à plusieurs reprise dans le cadre des auditions menées par la commission d'enquête, quoique dans une moindre mesure. Les services iraniens agissent sur deux axes principaux : le contrôle de leur opposition, et une pression diplomatique forte pour que la France modère les positions qu'elle peut prendre envers ce pays. Sa diplomatie publique, contrôlée par le corps des Gardiens de la révolution, constitue un élément clé d'une stratégie asymétrique menée en direction des adversaires du régime. Comme la Russie, elle s'appuie notamment sur son audiovisuel extérieur, l'IRIB69(*). En particulier, la chaîne satellitaire Press-TV, diffusée en anglais et en français, cible un public occidental pour y défendre les narratifs pro-iraniens70(*). Elle s'appuie également sur la communication officielle des autorités sur les réseaux sociaux, comme en témoigne le récent soutien public exprimé sur X (ex-Twitter) par l'Ayatollah Khamenei aux mouvements étudiants propalestiniens dans les pays occidentaux, prenant en exemple une photo de manifestations à Sciences Po Paris.

2. Les influences d'inspiration islamiste : une menace endogène ou d'origine étrangère ?

La commission d'enquête s'est également penchée sur la question des influences d'inspiration islamiste71(*), en particulier lorsque celles-ci prônent un séparatisme susceptible de porter atteinte à la cohésion nationale, voire de conduire au terrorisme.

La question du terrorisme déborde le champ d'investigation de la commission d'enquête, les attentats commandités par les grandes organisations terroristes internationales constituant des opérations armées qui, bien qu'ayant pour objectif essentiel de produire un effet psychologique sur la population, ne sauraient être considérées comme de l'influence stricto sensu. Pour autant, la problématique du terrorisme n'est pas étrangère à celle de la radicalisation et du séparatisme.

Les influences d'inspiration islamiste diffusées dans l'espace informationnel français constituent ainsi, à ce titre, une préoccupation majeure. Eu égard au champ de compétence de la commission d'enquête, il s'est avéré nécessaire de vérifier dans quelle mesure ces influences peuvent être considérées comme étant d'origine étrangère.

Indéniablement, l'islamisme trouve son origine dans des mouvances extra-européennes. Les quatre formes d'islamisme identifiées par Bernard Rougier, auditionné par le rapporteur, en témoignent : l'idéologie des Frères musulmans (ou frérisme), qui est d'origine égyptienne, le Tabligh qui provient du sous-continent indien, ainsi que le salafisme et le djihadisme ont tous été forgées dans le monde musulman. Pour autant, comme ce dernier le précise par ailleurs, « les principaux réseaux religieux en France peuvent s'analyser comme des formes d'acculturation hexagonale de l'islamisme moyen-oriental »72(*).

Le constat selon lequel le frérisme en Europe, en particulier, serait aujourd'hui un phénomène principalement endogène est conforté par Olivier Roy, autre spécialiste de la question auditionné par le rapporteur, ainsi que par deux hauts fonctionnaires, l'ambassadeur François Gouyette et le préfet Pascal Courtade, à qui le ministre de l'intérieur et des Outre-mer et le ministre de l'Europe des affaires étrangères ont confié en mai 2024 une mission sur l'islamisme politique et la mouvance des Frères musulmans. Dans son ouvrage consacré au frérisme, Florence Bergeaud-Blacker souligne l'ancrage ancien et même « l'institutionnalisation » des Frères en Europe, lequel remonterait aux années 196073(*).

Leur acculturation aux sociétés européennes a une incidence sur leur stratégie. Comme l'a souligné Olivier Roy lors de son audition, celle-ci repose sur une défense des « droits » des musulmans en tant que « minorité » inspirés de thèses « multiculturalistes ». Dans ce cadre, la thématique du droit au port du voile comme « levier d'affirmation identitaire » est particulièrement mis en avant.

Cela étant, des influences étrangères peuvent continuer de venir soutenir cette mouvance, même si leur caractérisation est délicate. Comme le résume Étienne Apaire, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) lors de son audition par la commission d'enquête : « nous avons des nationaux sous influence étrangère ou relayant des influences étrangères et des étrangers ne relevant d'aucun État précis qui essaient de nous influencer en promouvant des valeurs, des modes d'organisation ou des croyances contraires aux nôtres (...). Il existe en réalité toutes sortes de situations qui ont du mal à être distinguées »74(*).

Les Frères musulmans bénéficient en outre de soutiens divers en provenance de l'étranger.

Si un État comme le Qatar ne saurait être considéré, selon Olivier Roy, comme un « centre de production idéologique » de ce point de vue, on peut constater que sa diplomatie publique, au travers du média d'État Al Jazeera notamment, est alignée sur les narratifs fréristes (voir infra, IV).

En tout état de cause, l'action des Frères musulmans en France et en Europe doit continuer de constituer un point de vigilance majeur. À cet égard, le rapporteur a eu l'occasion d'auditionner le professeur canadien Patrice Brodeur75(*), dont les travaux portent sur l'évaluation de la puissance globale des Frères musulmans76(*). La méthodologie qu'il a contribué à mettre en place repose sur cinq principaux indicateurs, eux-mêmes déclinés en sous-indicateurs chiffrés, permettant de calculer un indice global. Ces cinq indicateurs sont : l'organisation internationale du mouvement, la puissance politique et sécuritaire, la puissance médiatique, la puissance économique et la puissance sociétale. Ce type de travaux peut constituer une base utile pour appréhender la menace représentée par l'action des Frères musulmans.

Ont également été cités, au cours des différentes auditions conduites par le rapporteur, l'action d'organisations islamistes issues du Maghreb tels que les Frères musulmans tunisiens (Ennahda) ou encore l'organisation d'origine marocaine Justice et Bienfaisance pour influencer certaines structures islamiques françaises par la voie du financement de mosquées ou de l'envoi d'imams.

La Turquie, dont le gouvernement se revendique de l'islam politique, s'efforce également de peser sur les instances officielles de l'islam en France dans un souci, mentionné supra, d'encadrer la pratique religieuse de la communauté de ses ressortissants.

C. QUID DE NOS ALLIÉS ?

La question des influences étrangères en provenance de pays alliés peut également être soulevée.

Tout d'abord, il convient de relever que, contrairement à nos adversaires, nos alliés sont des États démocratiques, au service de sociétés ouvertes. Aussi, des courants idéologiques, potentiellement peuvent s'y exprimer librement, et s'efforcer de peser tant sur les débats publics intérieurs qu'à l'étranger.

À ce titre, les services chargés de la lutte contre les ingérences étrangères en France portent une attention particulière aux mouvances complotistes ou de l'extrême-droite dite « alternative » (alt-right) issues notamment du monde anglo-saxon, qui peuvent au demeurant porter des narratifs alignés sur les intérêts russes. L'organisation « Proud Boys » et la mouvance « QAnon », issues des États-Unis, peuvent notamment être citées.

À l'échelle étatique, l'opération d'influence menée par les États-Unis, dans le cadre de l'alliance « AUKUS », pour obtenir en janvier 2021 la dénonciation, par l'Australie, du contrat d'armement passé avec la France pour la livraison de sous-marins nucléaires d'attaque rappelle la nécessité de rester vigilant y compris à l'égard de stratégies d'États alliés.

Si les États-Unis constituent un partenaire essentiel pour la France, notamment en matière de renseignement, les auditions menées par la commission d'enquête ont également permis de souligner l'activisme de cet acteur dans le domaine de l'ingérence économique, en recourant notamment à l'arme normative (lawfare).

III. LA FRANCE PRISE POUR CIBLE : INVENTAIRE DE NOS VULNÉRABILITÉS

A. UNE FRAGILITÉ INHÉRENTE À NOTRE MODÈLE POLITIQUE ET DÉMOCRATIQUE

Les opérations d'influences étrangères peuvent paradoxalement bénéficier des caractéristiques de notre modèle démocratique et libéral, protecteur des droits et des libertés fondamentaux.

D'une part, en droit interne, les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 garantissent la liberté d'expression et la liberté de la presse. D'autre part, en droit européen, la liberté d'expression est protégée tant par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (article 10) que par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme se montre également protectrice de la liberté d'expression. Cette dernière « vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population »77(*).

Les discours faux ou trompeurs sont mal appréhendés par ce cadre démocratique protecteur. Par conséquent, les régimes étrangers hostiles à la France s'en saisissent pour diffuser leurs narratifs et dénigrer ce même modèle démocratique. Par respect du pluralisme, les porte-paroles des régimes autoritaires peuvent librement s'exprimer dans les médias, contribuant à leurs stratégies d'influence ainsi que le rappelle Maxime Audinet : « il y a un exemple qui marque les esprits : je fais ici référence au porte-parole de l'ambassade de Russie, Alexander Makogonov, qui a été interviewé presque une dizaine ou une douzaine de fois sur différentes chaînes d'information en continu où il déroule le discours et le récit officiel russe sur la guerre en Ukraine, y compris en mobilisant des éléments de désinformation. Si je travaillais pour un service de renseignement russe, j'estimerais que c'est une opération d'influence qui réussit parfaitement puisqu'il parvient à diffuser son discours à une heure de grande écoute, à des centaines de milliers de nos concitoyens, et sans toujours être confronté à une contradiction qui soit à la hauteur ».

Ce dévoiement des valeurs démocratiques et libérales est d'autant plus inquiétant qu'il est opéré par des régimes qui répriment lourdement ces mêmes valeurs dans leurs pays. Outre ce cadre répressif en interne, les régimes autoritaires poursuivent l'objectif de couper leurs populations de toute influence extérieure, perçue comme négative par nature. Cette volonté explique une démarche de fragmentation de l'internet par la Chine et la Russie, afin de s'assurer un contrôle total de la diffusion de l'information sur leurs territoires78(*). Dans le même sens, ces États se caractérisent par une absence de réciprocité dans l'ouverture aux médias étrangers. Le régime chinois, engagé dans une expansion de son audiovisuel extérieur depuis 2016, n'autorise qu'au compte-gouttes les médias occidentaux à travailler en Chine.

Par ailleurs, l'instrumentalisation de ces principes de liberté permet à nos concurrents de mettre à l'épreuve notre modèle démocratique. En réponse aux opérations d'influence les plus agressives, les régimes démocratiques peuvent être tentés de recourir à des instruments non démocratiques : « Avec l'essor de l'intelligence artificielle, les gouvernements soucieux de préserver les institutions démocratiques et la sincérité du vote se trouvent confrontés à des dilemmes cornéliens, tout autant qu'à des questions insolubles. Les démocraties peuvent-elles, en temps de paix, utiliser « les armes de l'adversaire » sans renier leurs valeurs et dévoyer leurs principes ? »79(*).

Dans le même sens, il paraît hautement complexe, pour un régime démocratique, de déterminer ce qui relève ou non d'un discours faux. Tout au long de ses auditions, la commission d'enquête a pu constater que la tentation d'un « ministère de la vérité » constituait, en matière de désinformation et d'influence, une position à écarter d'emblée. Comme l'a souligné Grégoire Lemarchand, rédacteur en chef de l'investigation numérique à l'Agence France-Presse (AFP) : « il est beaucoup plus compliqué, ne serait-ce qu'au regard de la liberté d'opinion et de la liberté d'expression, de sanctionner une émission dans laquelle un invité exprime simplement des idées un peu « tordues ». Est-ce à l'Arcom de juger de ce qui est une fausse information ? Je ne le crois pas. La liberté d'expression, c'est une question extrêmement sensible ».

Au-delà des valeurs démocratiques communes aux pays occidentaux, certains principes spécifiques au modèle républicain peuvent faire de la France la cible potentielle d'opérations d'influence. Le principe de laïcité, qui connaît une application spécifique en France, devient un levier pour des campagnes anti-françaises menées depuis l'étranger. Des États compétiteurs de la France peuvent se saisir de l'incompréhension que suscite ce concept pour accuser la France de persécutions religieuses. En 2020, la Turquie a mené ainsi une offensive diplomatique contre la France, accompagnée d'appels au boycott des produits français, suite à la publication de caricatures par le journal Charlie Hebdo. Ces dernières avaient été jugées « islamophobes » par le régime turc, dans un contexte de tensions diplomatiques avec la France en Méditerranée orientale. Plus récemment, les opérations d'ingérence émanant d'acteurs pro-Azerbaïdjan ont également exploité la thématique d'une prétendue « islamophobie » inhérente au modèle français de laïcité.

B. UNE EXPOSITION PROPRE À SON STATUT DE SEPTIÈME PUISSANCE MONDIALE

Le statut de la France en tant que septième puissance mondiale et ses prises de position sur la scène internationale contribuent à en faire une cible pour les opérations d'influence étrangères. Les manoeuvres d'influence informationnelle apparaissent fréquemment en réaction aux positions de la France. À titre d'exemple, le soutien exprimé par la France à l'Ukraine suite à l'agression russe a conduit à de virulentes opérations d'influence informationnelle. Pareillement, les agissements de l'Azerbaïdjan à l'égard de la France s'inscrivent dans cette logique de rétorsion. Du fait des prises de positions françaises sur le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, le régime de Bakou s'est engagé dans des campagnes de désinformation particulièrement virulentes et des tentatives d'influence visant les Outre-mer et la Corse. Caractérisé par un faible coût et une simplicité d'organisation, le recours à ces opérations constitue une « réponse du faible au fort », permettant à une petite puissance du Caucase de frapper un État doté. Pour le général Pascal Ianni, directeur du pôle « anticipation stratégique et orientations » à l'état-major des armées : « C'est l'arme du pauvre, car tout le monde peut pratiquer cette forme d'ingérence qu'est la désinformation, à condition de maîtriser des algorithmes, de savoir créer des contenus et de disposer de relais efficaces. Cette arme touche jusqu'au coeur de notre société ».

En outre, le déploiement de forces françaises hors du territoire national expose les armées à des opérations d'influence malveillante de la part des grands compétiteurs de la France. Les opérations extérieures font désormais l'objet d'attaques informationnelles adverses. À cet égard, l'expérience de la présence française au Sahel est particulièrement illustrative. Les enjeux informationnels sont progressivement montés en puissance à mesure que la Russie et ses proxies s'inséraient dans la zone. Cette présence s'est traduite par des campagnes de désinformation massives de dénigrement des actions de l'armée française, à destination des populations sahéliennes, complexifiant les opérations en cours. Le risque réputationnel local doit désormais être pris en compte dans la préparation et la conduite de chaque mission extérieure.

Dans le même sens, l'organisation par la France de grands évènements internationaux constitue pour ses compétiteurs autant d'occasions de dénigrer son modèle et d'abîmer son image à l'international. Les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris (JOP), qui se déroulent en juillet et en août 2024, ont fait l'objet depuis des mois de campagnes de désinformation de la part de la Russie et de l'Azerbaïdjan.

S'agissant de la Russie, une étude du centre d'analyse de la menace de Microsoft a ainsi identifié plusieurs actions de manipulation de l'information menées sur les réseaux sociaux par la Russie et ciblant l'organisation des JOP80(*). Le narratif de ces campagnes reposait sur de faux contenus imitant des communiqués d'institutions publiques ou de médias reconnus et visant à diffuser l'idée d'un risque sécuritaire élevé à Paris. De manière similaire, le ministre délégué chargé de l'Europe, Jean-Noël Barrot, a attribué à la Russie l'amplification de nouvelles alarmistes au sujet de la prolifération des punaises de lit dans la capitale à l'approche des JOP81(*).

Captures d'écran de fausses vidéos alertant sur la dégradation du risque sécuritaire à l'approche des JOP en utilisant des visuels du renseignement américain (à gauche) et de France 24 (à droite)

Source : Centre d'analyse de la menace de Microsoft

Concernant l'Azerbaïdjan, le service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) a détecté une ingérence numérique étrangère menée en juillet 2023 et appelant au boycott des JOP de 2024. Viginum a baptisé cette opération de désinformation Olympiya82(*).

Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)

Créé par un décret du 13 juillet 202183(*), le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) est un service à compétence nationale rattaché au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Au préalable, ce décret définit les ingérences numériques étrangères comme des opérations impliquant, de manière directe ou indirecte, un État étranger ou une entité non étatique étrangère, et visant à la diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée, par le biais d'un service de communication au public en ligne, d'allégations ou imputations de faits manifestement inexactes ou trompeuses de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

Dans le cadre de sa mission de protection face à ces opérations, Viginum est chargé de :

détecter et caractériser, en analysant les contenus accessibles publiquement sur les plateformes en ligne, les ingérences numériques étrangères, notamment lorsque celles-ci sont de nature à altérer l'information des citoyens pendant les périodes électorales ;

- assister le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale dans sa mission d'animation et de coordination des travaux interministériels en matière de protection contre ces opérations ;

-fournir toute information utile à l'Arcom dans l'accomplissement des missions qui lui sont confiées par la loi du 30 septembre 1986 susvisée, ainsi qu'à la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle (CNCEFP) ;

contribuer aux travaux européens et internationaux et assurer la liaison opérationnelle et technique avec ses homologues étrangers, dans le respect des attributions du ministre des affaires étrangères.

Le pouvoir réglementaire a autorisé Viginum à mettre en oeuvre un traitement informatisé et automatisé de données à caractère personnel, selon des modalités encadrées84(*). Celui-ci ne peut être effectué qu'aux seules fins de détecter et de caractériser des ingérences numériques étrangères, notamment lorsque ces opérations sont de nature à altérer l'information des citoyens pendant les périodes électorales. Ce traitement repose sur la collecte et l'exploitation des contenus publiquement accessibles aux utilisateurs des plateformes en ligne dont l'activité sur le territoire français dépasse un seuil de cinq millions de visiteurs uniques par mois.

L'activité de Viginum, en particulier au titre de ses prérogatives de traitement automatisé de données, est suivie par un comité éthique et scientifique, qui peut adresser au chef du service toute recommandation sur les conditions d'exercice des missions du service.

Source : commission d'enquête

Plus de 1 600 publications ont été diffusées par seulement 91 comptes entre le 26 et le 27 juillet 2023, laissant suggérer une amplification inauthentique. Des erreurs de traduction, des caractères azéris ou de précédentes publications soutenant le parti présidentiel azerbaïdjanais ont permis d'identifier qu'une grande partie de ces comptes se rattachait au régime illibéral caucasien. En sus de cette manoeuvre informationnelle fondée sur l'amplification artificielle de contenus sur les plateformes, l'opération s'est également appuyée sur un faux site d'information, Newyorkinsider.

Par ailleurs, le passé de la France, en particulier son statut de puissance coloniale jusqu'à la seconde moitié du XXème siècle, est fréquemment utilisé dans le narratif des opérations d'influence. Il s'agit, pour ses adversaires, de démontrer que la France a conservé ses réflexes coloniaux et qu'elle continue d'exploiter de manière unilatérale les ressources des pays du « Sud global » et de certains de ses propres territoires.

Ce type de narratif est particulièrement utilisé pour cibler la France sur deux théâtres. L'Afrique, d'une part, constitue une zone privilégiée pour la diffusion de ces discours. Les campagnes informationnelles portées par la Russie en Afrique francophone diffusent activement l'image de pays européens uniquement préoccupés par la captation des ressources naturelles africaines. Les Outre-mer apparaissent, d'autre part, comme un terrain propice au développement de ces éléments de désinformation.

C. UNE FRAGILITÉ LIÉE À DES FRACTURES POLITIQUES, SOCIALES ET TERRITORIALES, TERREAU FERTILE AUX INFLUENCES MALVEILLANTES

En sus des fractures territoriales, évoquées supra, chaque épisode de tensions sociales ou politiques constitue un levier potentiel d'influence. L'un des constats relevés par la commission d'enquête à propos des opérations d'influence est leur profond opportunisme. Si elles s'inscrivent parfois dans des stratégies de long terme de déstabilisation des démocraties pensées par des États autoritaires comme la Russie et la Chine, elles s'appuient fréquemment sur des opportunités de court terme.

Ces dernières années, les mouvements sociaux Occupy Wall Street ou Black Lives Matter aux États-Unis, les manifestations anti-immigration Pegida (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes) en Allemagne, les Gilets jaunes en France ou les mouvements antivaccins dans l'ensemble des pays occidentaux ont fait l'objet d'opérations extérieures d'amplification. David Colon a ainsi déclaré à la commission d'enquête : « Le jour où j'ai personnellement, pris conscience [...] de l'interférence du Kremlin dans nos débats publics, c'était en 2018, lors d'une manifestation des Gilets jaunes, l'acte 3, je crois. Alors que je regardais un outil comparable anglo-saxon, celui du German Marshall Fund, j'ai pu constater comment, sur Twitter, il y avait eu une manipulation manifestement inauthentique des tendances pour encourager les manifestants à des actes de violence »85(*). Plus récemment, les manifestations d'agriculteurs au sein des États membres de l'Union européenne au printemps 2024 ont été l'objet d'opérations d'influence. Nicolas Tenzer a ainsi affirmé, devant la commission d'enquête « non seulement une amplification de la colère des agriculteurs avec peut-être certains groupes un peu plus actifs que d'autres, un peu plus « travaillés » que d'autres, mais aussi un objectif assez direct d'instrumentalisation des protestations »86(*).

Les territoires d'Outre-mer forment également un terrain propice à l'instrumentalisation des tensions sociales et politiques par un discours critique du passé de la France (cf. encadré ci-après).

Outre-mer, Corse : Bakou veut faire payer le prix fort à la France

Les relations entre la France et l'Azerbaïdjan se sont particulièrement distendues depuis la seconde guerre du Haut-Karabagh en septembre 2020.

En riposte au soutien français à l'Arménie, le régime azerbaïdjanais a lancé, outre une campagne informationnelle visant l'organisation des JOP, plusieurs initiatives de soutien aux partis et groupes politiques indépendantistes en Outre-mer et en Corse. Ce soutien s'est notamment traduit par la constitution en juillet 2023 du « Groupe d'initiative de Bakou » (BIG)87(*), en marge de la conférence du Mouvement des pays non-alignés, et la publication d'une déclaration dans la direction de l'élimination totale du colonialisme. Cette déclaration associait des responsables du Front de libération nationale kanak et socialiste, du parti indépendantiste guyanais Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale, du parti pour la libération de la Martinique, du Mouvement des démocrates et des écologistes pour une Martinique souveraine et du parti polynésien Tâvini huiraatira.

Le mouvement indépendantiste corse Nazione s'est par la suite joint au BIG. L'Azerbaïdjan, dans sa démarche d'influence malveillante, tente également de capitaliser sur les tensions entre l'État français et les partis autonomistes et indépendantistes corses. Des journalistes de l'agence de presse azerbaïdjanaise Azertac ont couvert différentes manifestations sur l'île avec l'intention manifeste d'adopter un prisme anti-français. Pour autant, ces manoeuvres ne paraissent pas avoir prospérées. Lors de son audition par la commission d'enquête, le ministre de l'intérieur et des Outre-mer a indiqué « En Corse, par exemple, l'Azerbaïdjan a effectué des tentatives d'ingérence, suite à l'assassinat d'Yvan Colonna et des émeutes qui s'en sont suivies, sans rencontrer, là encore, une grande efficacité »88(*).

Des partenariats plus poussés ont été par la suite noués entre les mouvements indépendantistes kanaks et l'Azerbaïdjan. En avril 2024, une élue indépendantiste a signé un mémorandum au nom du président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, scellant la mise en place d'une coopération avec le Parlement d'Azerbaïdjan89(*).

De plus, en décembre 2023, deux ressortissantes azerbaïdjanaises, connues des services de renseignement se présentant comme journalistes ont été expulsées de Nouvelle-Calédonie en marge de la visite du ministre des armées, Sébastien Lecornu90(*).

À l'occasion de la crise en Nouvelle-Calédonie, Viginum a détecté les 15 et 16 mai 2024 deux opérations de diffusion massive et coordonnée de contenus manifestement inexacts ou trompeurs accusant la police française de meurtres lors des manifestations91(*). Les deux manoeuvres visaient à propager des visuels présentant la police française comme responsable de la mort de plusieurs manifestants.

Ces manoeuvres se sont largement appuyées sur des accusations de colonialisme ou de néocolonialisme. Plusieurs visuels diffusés sur les réseaux sociaux, en anglais et en français : « La police française est meurtrière. Les meurtres des algériens continuent... ». Ces références à la guerre d'Algérie visaient à assimiler les opérations de maintien de l'ordre face aux émeutes aux épisodes de répression sanglants de manifestations algériennes. Les mots clés #EndFrenchColonialism et #FrenchColonialism accompagnaient fréquemment les messages relayés. Plusieurs visuels ont également associé des codes issus de la campagne Olympiya, visant l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.

Capture d'écran d'un visuel accusant la police française du meurtre de manifestants néo-calédoniens

Source : Viginum

Viginum a identifié les auteurs de ces actions comme des comptes liés au régime azerbaïdjanais. Sur les 301 comptes détectés par le service, 112 d'entre eux comprenaient des éléments biographiques les reliant au parti présidentiel Yeni Az?rbaycan Partiyasý (YAP).

Source : commission d'enquête d'après Viginum

Constater cette instrumentalisation des mouvements sociaux et des épisodes de tensions par des tentatives d'influence étrangères ne revient pas à nier ni la réalité ni la légitimité de ces protestations. Les influences étrangères ont peu d'effet sur le déclenchement de ces mouvements ; elles jouent sur les colères en tentant de les encourager et de les accentuer. Si l'efficacité et la portée de ces manoeuvres demeurent incertaines, leurs objectifs sont transparents : « appuyer là où cela fait mal », accentuer les dissensions internes, déstabiliser nos démocraties et in fine démontrer l'infériorité de ce modèle.

Il importe de garder en mémoire que les politiques publiques de réponse aux opérations d'influence ne pourront traiter les causes profondes de ces mouvements de protestations ou des fractures politiques et sociales qui nécessitent des réponses structurelles dépassant largement le cadre de la commission d'enquête. En revanche, il est prudent de conjecturer que chaque thématique potentiellement porteuse de tensions pourra faire l'objet de tentatives d'instrumentalisation.

Cette logique est limpidement décrite par Giuliano da Empoli dans son roman Le Mage du Kremlin. L'auteur y décrit, par l'intermédiaire de Vadim Baranov, narrateur inspiré du conseiller de Vladimir Poutine Vladislav Sourkov, la stratégie informationnelle russe : « Nous ne devons convertir personne, Evgueni, juste découvrir ce en quoi ils croient et les convaincre encore plus, tu comprends ? Donner des nouvelles, de vrais et de faux arguments, cela n'a pas d'importance. Les faire enrager. Tous. Toujours plus. Les défenseurs des animaux d'un côté et les chasseurs de l'autre. Ceux du Black Power d'un côté et les suprémacistes blancs de l'autre. Les activistes gays et les néonazis. Nous n'avons pas de préférence, Evgueni. Notre seule ligne, c'est le fil de fer. Nous le tordons d'un côté et nous le tordons de l'autre. Jusqu'à ce qu'il se casse »92(*).

D. UNE FRAGILITÉ DÉCOULANT DU DÉSARMEMENT DE L'ÉTAT

Les fragilités de l'État et de nos politiques publiques forment également un terreau favorable aux influences étrangères. L'effet conjugué des contraintes budgétaires et d'une prise de conscience tardive du durcissement des stratégies d'influence étrangères a conduit à deux mouvements cumulatifs.

D'une part, ce désarmement budgétaire rend certaines entités publiques plus vulnérables aux opérations d'influence. C'est tout particulièrement le cas des établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Le monde de la recherche est affecté depuis des années par un sous-financement alarmant. Ce besoin chronique de ressources expose les établissements à des interférences étrangères. Si les partenariats internationaux forment des sources de financements attractives, ils n'en constituent pas moins des leviers d'influence considérables pour des puissances étrangères. Le manque de moyens, doublé d'une faible reconnaissance du rôle et de la place des chercheurs dans la société a, par ailleurs, pu conduire à un affaiblissement de notre niveau de connaissance du phénomène des influences étrangères.

D'autre part, ce désarmement affaiblit la propre politique d'influence de la France. Les instruments de la diplomatie d'influence se sont en effet réduits au cours des dernières années.

Parmi les leviers de l'influence française à l'étranger, les instituts de recherche français, comme le Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CEDEJ) du Caire, à l'Institut français du Proche-Orient (IFPO) et l'Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine (IRASEC), à Bangkok, ont aujourd'hui des budgets limités. Le professeur Charillon a souligné en ce sens que « Cet extraordinaire instrument d'influence risque d'être un jour repris en main par des financements étrangers. En conséquence, on a un certain nombre d'atouts que l'on délaisse parce que l'on refuse de les assumer comme instruments d'influence et qui risquent de devenir des instruments d'influence des autres, en France ».

E. UNE FRAGILITÉ DU CITOYEN

1. Une fragilité de l'« individu démocratique »

Une grande part du succès des opérations d'influence étrangères repose sur le niveau de résilience de la société. À cet égard, la sensibilité des individus aux opérations d'influence, et en premier lieu aux opérations de manipulation de l'information, est déterminante. Les citoyens sont en effet les premières cibles de ce type d'opérations, qui tentent d'orienter l'opinion publique.

Selon le chercheur Laurent Cordonier, auditionné par la commission d'enquête « les plus « belles » campagnes de désinformation ou d'ingérence, les plus fines, les mieux équipées en termes d'intelligence artificielle ou de deepfake ne peuvent avoir prise que sur une population dont le système immunitaire cognitif n'est pas assez développé et qui présente donc des facteurs de risque en constituant un terrain favorable, prêt à accepter ces désinformations »93(*). Trois facteurs principaux déterminent le niveau de sensibilité des individus aux opérations de désinformation.

Premièrement, certains mécanismes psychosociaux favorisent la propagation et l'assimilation des fausses nouvelles. Tout d'abord, les individus sont plus susceptibles de croire une information qui vient confirmer ou conforter leurs positions préalables, en application d'un « biais de confirmation ». Ensuite, les fausses nouvelles sont généralement présentées de manière à surprendre et à susciter l'intérêt. Dans le cadre des campagnes de manipulation de l'information en ligne, elles sont conçues pour avoir une viralité importante et être diffusées le plus largement possible. Enfin, les styles de pensée des individus peuvent affecter leur perméabilité à la désinformation94(*). Les sciences cognitives ont ainsi identifié deux styles de pensée distinct. Le premier est un style de pensée « intuitif ». Or, pour Laurent Cordonier, les personnes intuitives « se fient avant tout à leur intuition ou à leur première impression pour savoir si cette information est vraie ou non et si elles doivent lui accorder du crédit »95(*). À l'inverse, le style de pensée analytique mobilise un système de traitement de l'information plus rigoureux. Les personnes dites analytiques sont plus enclines à réviser une intuition initiale erronée. Cette distinction entre les styles de pensée n'est pas absolue et chaque individu peut être successivement intuitif ou analytique.

Deuxièmement, l'éducation des individus et leur niveau de connaissances préalables d'un sujet peuvent renforcer leur niveau de résilience. À titre d'exemple, selon une étude de la Fondation Descartes, les personnes disposant d'un plus faible niveau de connaissances scientifiques étaient plus enclines à croire des informations fausses sur la pandémie de Covid96(*). Des connaissances scientifiques de base conduisent les individus à plus facilement rejeter les théories du complot.

Troisièmement, la défiance des citoyens à l'égard des médias traditionnels et des institutions est un facteur important de diffusion des fausses informations. En ce sens les travaux de David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, ont identifié que les personnes les plus marquées par une défiance à l'égard des médias et des institutions sont les plus susceptibles de relayer de fausses informations, y compris lorsqu'elles sont contradictoires ou ont peu de liens entre elles97(*). Les personnes ayant reposté des messages de désinformation autour du Covid-19 se retrouvent ainsi parmi les relais de la propagande russe.

Or, selon un sondage réalisé pour le Cevipof, la France se caractérise par un plus fort niveau de rejet de la politique que d'autres pays de l'Union européenne. En effet, ce niveau de défiance s'élève à 70 % en France contre 55 % en Allemagne et 46 % en Pologne98(*). De plus, ce niveau de défiance s'inscrit en hausse depuis plusieurs années : 68 % des personnes interrogées estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien contre 48 % en 2009. Toutefois, à une échelle plus élevée, les travaux de chercheurs ont souligné que plus le secteur public d'un pays est corrompu, plus l'adhésion de sa population à diverses théories du complot hétérogène est forte.

La diffusion de fausses informations peut également prospérer sur l'affaiblissement de l'environnement informationnel. La crise des normes qui affecte le secteur de la presse encourage cette diffusion. Les médias traditionnels se trouvent concurrencés par les réseaux sociaux où la présentation des informations se fait sans respect des standards du journalisme. Pour autant, si la confiance dans les médias se situe à un niveau faible en France (28 %), mais relativement similaire à ce qui prévaut en Allemagne (34 %), en Italie (26 %) et en Pologne (25 %), elle demeure supérieure à la confiance accordée aux réseaux sociaux. Ces derniers ne recueillent que 16 % de confiance de la part des personnes interrogées. À la crise des normes du secteur de la presse s'ajoute une crise du modèle économique. La baisse des revenus publicitaires combinée à la concurrence des réseaux sociaux a conduit à une réduction drastique des recettes de la presse traditionnelle, dont les moyens d'investigation s'en trouvent conséquemment affaiblis. Comme le relevait l'ambassadeur pour le numérique, Henri Verdier, lors de son audition : « Il y a trente ans, un tiers des revenus du secteur provenait des petites annonces, qui sont maintenant parties vers les sites web ; le deuxième tiers provenait de la publicité, sur laquelle quelques géants numériques ont pris un quasi-monopole en imposant leurs tarifs ; enfin le troisième tiers provenait des abonnements, qui sont devenus la seule source de revenus [...] La perte de crédibilité, de puissance et d'autonomie de la presse fait donc partie du problème auquel nous sommes confrontés »99(*).

2. La fragilité des décideurs publics et privés

Une grande partie des élus, locaux comme nationaux, ainsi que des hauts fonctionnaires et des dirigeants du secteur privé n'ont encore qu'une conscience limitée de la menace des influences étrangères malveillantes. Le rapport public de la délégation parlementaire au renseignement de juin 2023 précité pointait déjà une forme de « naïveté » chez ces décideurs100(*).

Tout d'abord, s'agissant des élus, la sensibilisation aux questions d'influence paraît lacunaire. Les élus locaux, en particulier, sont peu au fait des risques qui pèsent sur les collectivités territoriales. Les décideurs locaux peuvent cependant apparaître comme de potentiels relais d'influence pour des puissances étrangères. L'échelon local est en effet une cible plus discrète et accessible. Des États étrangers peuvent viser l'obtention d'avantages économiques, au travers de la commande publique des collectivités territoriales, ou de quadrillage d'un territoire précis, par des investissements ciblés et des partenariats avec le monde associatif, en menant des opérations d'influence auprès des élus locaux.

Concernant les fonctionnaires, ensuite, la conscience de la menace des influences étrangères diminue hors des domaines régaliens. Pourtant, les secteurs de la santé ou de l'enseignement supérieur et de la recherche constituent des cibles privilégiées pour des opérations d'influence. Si les récents travaux du Sénat, en particulier le rapport d'André Gattolin au nom de la mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire101(*), ont permis d'alerter sur le défaut de sensibilisation existant au sein des universités, pour autant, la culture d'ouverture vers l'international et de diffusion des connaissances académiques, conjuguée à des opportunités de financements extérieurs, prime encore sur la vigilance à l'égard d'intentions malveillantes.

Enfin, pour les chefs d'entreprises, la problématique des influences étrangères est encore peu identifiée. De nombreuses entreprises ne perçoivent pas que nouer des coopérations ou vendre une partie de leurs activités à des partenaires étrangers peut présenter un risque pour la sécurité de notre pays. Cette fragilité est d'autant plus problématique qu'elle peut concerner les entreprises et sous-traitants de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

IV. LUTTE INFORMATIONNELLE, CAPTURE DES ÉLITES, CONTRÔLE DES DIASPORAS... : TYPOLOGIE DES MODES OPÉRATOIRES

A. LES OPÉRATIONS DE LUTTE INFORMATIONNELLE

La part la plus visible des opérations d'influences étrangères correspond aujourd'hui aux opérations de désinformation. La Commission européenne, dans une communication de 2018, a défini la désinformation comme « les informations dont on peut vérifier qu'elles sont fausses ou trompeuses, qui sont créées, présentées et diffusées dans un but lucratif ou dans l'intention délibérée de tromper le public et qui sont susceptibles de causer un préjudice public. Par préjudice public on entend les menaces aux processus politiques et d'élaboration des politiques démocratiques et aux biens publics, tels que la protection de la santé des citoyens de l'Union, l'environnement ou la sécurité »102(*).

Au niveau français, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, au travers du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (Caps) définit les opérations de manipulation de l'information comme « la diffusion intentionnelle et massive de nouvelles fausses ou biaisées à des fins politiques hostiles »103(*).

1. Les acteurs de la guerre informationnelle

Dans ce cadre de lutte informationnelle, plusieurs outils peuvent être mobilisés par les États hostiles à la France et ses alliées, en particulier :

- les institutions publiques, au premier rang desquelles se situent le réseau diplomatique et les services de communication des différents ministères et administrations publiques. Dans le cas de la Chine, ces instances gouvernementales se doublent de celles du Parti communiste chinois (PCC) ;

- les services de renseignement, dont les opérations clandestines peuvent poursuivre des visées d'influence ;

- les agences de presse ou les groupes médiatiques liés à des États ;

- les proxies, groupes para-étatiques, prestataires privés et ONG, formant une nébuleuse de relais d'influence, et pouvant mener des actions pour le compte d'un État sans pouvoir y être directement rattachés ;

- les think tanks et instituts de recherche, dont l'action de soutien à la politique d'influence se manifeste plus particulièrement dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche et qui sera développé infra.

a) La communication des diplomaties

Les opérations d'influence peuvent s'appuyer sur les différents acteurs qui concourent à la diplomatie publique des États compétiteurs de la France. Pour mémoire, la diplomatie publique est définie par Frédéric Charillon comme un ensemble d'actions « consistant à la fois à promouvoir publiquement le contenu de la diplomatie d'État, et à prendre contact directement avec des publics, sans passer par leurs autorités politiques »104(*). Cette mise à disposition de l'appareil étatique et para-étatique au service d'une lutte informationnelle est particulièrement marquée s'agissant de la Russie. La Chine, engagée dans une démarche de « russianisation » de ses opérations d'influence, selon les termes de Paul Charon et de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer105(*), place désormais également ses outils de diplomatie publique dans une optique informationnelle.

Traditionnellement, les activités de diplomatie publique poursuivent un objectif de promotion de l'image du pays concerné. Le durcissement des stratégies d'influence opéré par les États a réorienté ces activités vers un dénigrement du modèle occidental et de défense agressive de leurs intérêts dans l'espace informationnel.

S'agissant de la mobilisation des institutions publiques, la « diplomatie du loup guerrier » ou « diplomatique du loup combattant » menée par le ministère chinois des affaires étrangères est topique d'un durcissement de la diplomatie publique de la République populaire de Chine. Cette stratégie, qui repose sur un discours particulièrement virulent à l'égard des discours critiques des intérêts chinois, s'est accélérée à la suite de la pandémie de Covid-19 en 2020. Comme le relève le rapport de l'Irsem, si les diplomates chinois ont recours aux outils classiques des relations publiques (communiqués, courriers, conférences de presse...), leurs activités s'étendent aussi à la sphère numérique et aux réseaux sociaux. Dans une forme de « trollisation » de la diplomatie chinoise, les fonctionnaires des ambassades peuvent interpeller violemment des chercheurs, élus ou journalistes émettant des critiques sur la Chine.

En France, la diplomatie du loup guerrier a été incarnée ces dernières années par l'ambassadeur de Chine en France Lu Shaye, volontiers provocateur et n'hésitant pas à cibler de ses diatribes numériques des ressortissants français106(*). En avril 2020, l'ambassadeur avait été convoqué par la ministre de l'Europe et des affaires étrangères Catherine Colonna pour une déclaration accusant les personnels des Ephad d'abandon de postes en pleine crise sanitaire. De manière plus ciblée, Lu Shaye a adressé au chercheur Antoine Bondaz une série de tweets imagés le qualifiant de « petite frappe », de « troll idéologique » et de « hyène folle »107(*).

Concernant la Russie, les porte-parolats des administrations russes n'hésitent pas davantage à annoncer et diffuser de fausses informations, combinant ces annonces avec des manoeuvres informationnelles numériques. Le 17 janvier 2024, le ministère russe de la défense a ainsi annoncé la mort de 60 « mercenaires français » dans une frappe sur la ville ukrainienne de Kharkiv. Suite à cette première annonce, l'ambassadeur de France en Russie est convoqué par le ministère des affaires étrangères. Le 22 janvier 2024, une fausse liste présentant les noms des prétendus « mercenaires » français est diffusée sur des chaînes Telegram russes108(*). Ce faux document a été immédiatement relayé par les réseaux d'information russes et les médias d'État. Comme détaillé infra dans la deuxième partie, un travail de vérification des noms a été rapidement engagé par les services de renseignement et le ministère des armées, qui a promptement démenti cette information.

b) L'action des services de renseignement ou la « clandestinisation » des opérations informationnelles

Les services de renseignement étrangers, au travers de leurs activités clandestines, peuvent mener des opérations d'influence. L'étendue de ces opérations est difficile à mesurer. Toutefois, les auditions menées par la Commission d'enquête ont souligné un regain d'activité des services étrangers sur le sol français.

Cet activisme croissant se manifeste tout particulièrement s'agissant des services russes, en dépit d'un recul de la présence d'opérateurs du renseignement russe sur le territoire français. Les contre-mesures diplomatiques et les expulsions d'agents de renseignement sous couverture diplomatique décidées après le déclenchement de l'agression russe contre l'Ukraine ont été suivies d'opérations plus visibles. Sortant du champ strict de l'espionnage, ces services ont mené des opérations clandestines à visée d'influence, destinées à toucher directement l'opinion publique française. Il s'agit, comme le souligne Julien Nocetti, d'une forme de « clandestinisation de plus en plus marquée des stratégies informationnelles hostiles »109(*).

Selon Maxime Audinet « ces opérations s'inspirent de ce qu'on appelait à l'époque de la guerre froide les « mesures actives » du FSB qui étaient également des actions d'influence et d'intoxication ciblées sur le camp capitaliste de l'époque »110(*). Les archives du KGB transmises par le transfuge Vassili Mitrokhine définissent ces « mesures actives » comme des « mesures opérationnelles destinées [non seulement] à exercer une influence profitable sur les éléments les plus dignes d'intérêt de la vie politique d'un pays cible, sur sa politique étrangère, sur la résolution de problèmes internationaux, [mais aussi] à induire l'adversaire en erreur, à saper et à affaiblir ses positions, à perturber ses plans hostiles »111(*).

Quatre opérations menées en région parisienne au cours des derniers mois peuvent être citées. Si des enquêtes judiciaires sont toujours en cours, il paraît vraisemblable que ces actions aient été menées par les services de renseignement russes. Il s'agit ainsi notamment :

- de l'affaire dite « des étoiles de David », au mois d'octobre 2023 avec une série d'étoiles bleues de David peintes à Paris et en Ile-de-France ;

- des mains rouges sur le mémorial de la Shoah, peintes dans la nuit du 13 au 14 mai 2024 sur le mur des Justes et renvoyant au massacre de deux soldats israéliens lors de la seconde Intifada en 2000 par une équipe de ressortissants bulgares ;

- de messages peints au pochoir fin mars dans le quartier de Notre-Dame indiquant « Attention ! Chute possible du balcon », en référence à une alerte sur le danger de balcons surchargés lors des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), par un groupe de moldaves soupçonnés par la préfecture de police d'être commandités par la Russie112(*) ;

- de cinq cercueils de taille réelle déposés aux abords de la tour Eiffel le 1er juin 2024, recouverts d'un drapeau français et de l'inscription « soldats français de l'Ukraine » et remplis de sacs de plâtre.

Dépôt de cercueils marqués de l'inscription « soldats français de l'Ukraine » aux abords de la tour Eiffel

Source : Le Parisien

L'affaire des étoiles de David : des « mesures actives » en plein Paris

Au mois d'octobre 2023, quelques jours après l'attaque du 7 octobre, des étoiles de David bleues, peintes au pochoir, sont retrouvées sur les murs de plusieurs endroits de Paris et de villes d'Ile-de-France113(*). Réalisées par deux équipes distinctes, l'une opérant dans le 10e arrondissement dans la nuit du 26 octobre et l'autre dans les 14, 15 et 18e arrondissements, en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine, les étoiles peintes suscitent immédiatement l'émotion et la surprise dans le contexte des attaques du Hamas. Un total de 250 tags sera retrouvé sur les murs franciliens.

D'abord assimilée à un acte antisémite, cette action va rapidement être associée à la Russie. Selon les éléments rendus publics par la préfecture de police et l'enquête de la cellule investigation de Radio France114(*), le profil des premières personnes interpellées fait émerger l'hypothèse d'une manipulation des services russes. Les membres des deux équipes, ressortissants moldaves, affichent dans leur pays d'origine des opinions et un activisme prorusse.

S'appuyant sur les travaux de Viginum, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a publié le 9 novembre 2023 un communiqué condamnant une ingérence numérique russe115(*). Une opération d'amplification des images des étoiles de David sur les murs de Paris a en effet été menée par le russe Recent Reliable News (RRN/Doppelgänger). Viginum a recensé l'implication d'un réseau de 1 095 bots sur la plateforme X (ex-Twitter), ayant publié 2 589 posts contribuant à la polémique. Le service attribue avec un « haut degré de confiance » cette activité au réseau RRN.

Le lien entre l'amplification de ce contenu et la réalisation de l'opération de terrain par les opérateurs moldaves paraît établi par la chronologie de diffusion des images des étoiles de David. Alors que la première photo authentique des murs peints au pochoir apparaît sur les réseaux sociaux le 30 octobre à 19h37, les publications du réseau RRN remonte au 28 octobre à 19h24.

Source : commission d'enquête d'après Viginum et la cellule d'investigation de Radio France

c) Le rôle des médias d'État

Dans une perspective de diplomatie publique, l'audiovisuel extérieur constitue un vecteur essentiel d'influence. Néanmoins, dans un contexte de guerre informationnelle, cet instrument peut être mobilisé au service de stratégies de désinformation et de dégradation de l'image de l'adversaire.

Concernant le rôle des médias dans les opérations d'influence, les actions des organes de presse russes contrôlés par le Kremlin représentent un cas d'école.

Deux piliers principaux constituent l'audiovisuel extérieur de la Russie116(*). D'une part, l'agence RT a été créée en 2005 sous le nom de Russia Today en réaction à l'émergence des « révolutions de couleurs » dans l'ancien espace soviétique. D'autre part, l'agence Sputnik, branche internationale Rossia Segodnia, lancée en 2014 dans le contexte de la première crise ukrainienne. Ces deux structures, dotées respectivement d'un budget de 330 et de 92 millions d'euros en 2020, affichent le même positionnement à l'international. Elles s'affirment comme des médias « alternatifs » au discours de l'Occident libéral. Leurs lignes éditoriales s'inscrivent dans une parfaite cohérence avec les positions internationales de la Russie. Ainsi, la dirigeante de facto de ces deux agences, Margarita Simonyan, dans une célèbre et transparente déclaration a indiqué le 18 février 2021 : « Nous travaillons pour l'État, nous défendons notre patrie, comme le fait par exemple l'armée ». En dépit de cet alignement sur la diplomatie russe, les deux chaines se caractérisent par une grande plasticité de leurs contenus, qui rebondissent sur toute actualité susceptible de dénigrer l'adversaire.

La diffusion de RT et Sputnik dans les pays occidentaux a rapidement conduit à des tensions avec les pouvoirs publics. Pour mémoire, à l'occasion de la conférence de presse commune entre les présidents français et russe le 29 mai 2017, le président de la République avait estimé, à propos de ces deux médias, que : « Quand des organes de presse répandent des contrevérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d'influence ». En octobre 2017, la chaine RT America a été inscrite comme « agent étranger » au titre du Foreign Agents Registration Act par le Département américain de la justice117(*).

Les sanctions portées à l'égard de ces deux médias, détaillées infra, n'ont toutefois pas mis fin à leur diffusion. Interrogé par la commission d'enquête, Maxime Audinet a confirmé le redéploiement des versions françaises de RT et Sputnik au travers de deux mouvements. En premier lieu, RT et Sputnik ont fragmenté leurs infrastructures numériques et, par une technique de sites miroirs, ont tenté de reconstituer leurs audiences en contournant les mesures restrictives. Si les audiences françaises ne sont pas remonté : « Une dizaine de sites miroirs en version allemande de RT ont été créés et, aujourd'hui, ils ont au moins autant voire plus d'audience qu'avant l'invasion de l'Ukraine, avec environ cinq à sept millions de visites de leur site par mois : ce sont donc des méthodes qui peuvent fonctionner »118(*). En second lieu, les formats francophones des médias russes se sont réorientés vers l'Afrique. Sputnik France, dissous, a été recréé en tant que Sputnik Afrique.

Une stratégie similaire a pu être constatée s'agissant des médias d'État chinois, dont l'expansion internationale contribue à la diffusion d'une propagande chinoise largement assumée. À compter de 2016, le régime chinois a structuré un groupe audiovisuel extérieur, le China Global Television Network (CGTN), en s'appuyant sur les infrastructures de la télévision d'État CCTV et les contenus produits par l'agence de presse Xinhua119(*). Une même volonté de diffusion internationale s'est manifestée dans les grands journaux (China Daily, People's Daily, Global Times...) et médias radiophoniques chinois (Radio Chine internationale). L'ensemble de ces médias relaie massivement des éléments de propagande chinoise. Paul Charon indique ainsi que : « Sur le média extérieur chinois China Global Television Network (CGTN), la majorité des contenus, même francophones, portent sur les États-Unis ou sur la démocratie. L'ambition est de démonétiser l'idée de démocratie, elle-même, pour qu'elle ne soit pas une alternative pour les Chinois ou les populations francophones dans le monde »120(*).

De manière révélatrice, l'autorisation de diffusion de CGTN France le 3 mars 2021 s'est accompagnée, dès la fin du mois, par l'affaire « Laurène Beaumond »121(*). CGTN France avait ainsi publié deux articles, sur Taïwan et le Xinjiang, hostiles au discours critique de l'action de la Chine et rédigés par une employée française de la chaîne sous pseudonyme122(*).

Outre l'extension de leur diffusion à l'étranger, les médias chinois investissent directement les journaux étrangers à l'aide de publireportages et de publicités ciblées. Dans un rapport consacré à l'information en Chine, RSF a plus spécifiquement la « stratégie du Cheval de Troie » menée auprès de journaux occidentaux et japonais par le média China Watch123(*). Ce quotidien de propagande aurait ainsi une audience de plus de 13 millions d'exemplaires au travers d'articles insérés dans des titres de presse reconnus comme le New York Times, le Wall Street Journal, le Daily Telegraph, El Pais ou Le Figaro.

Rubrique du site internet du Figaro proposant un contenu conçu et financé par le China Watch

Source : Site internet du Figaro, consulté le 29 juin 2024

Cette stratégie d'infiltration des médias est aussi menée par la Russie dans les pays d'Afrique francophone et documentée dans l'étude menée par Maxime Audinet sur les stratégies d'influence informationnelle russes en Afrique124(*). Profitant de la précarité des écosystèmes médiatiques locaux, les opérateurs russes financent des contenus et des recrutements de journalistes relayant des positions favorables à la Russie et dénigrant la présence française dans ces pays. De même, selon le renseignement américain, la structure African Initiative, née sur les cendres du groupe Wagner, opère un « blanchiment » de la désinformation russe en recrutant journalistes et blogueurs pour en assurer la diffusion125(*).

Hormis les cas de la Russie et de la Chine, la commission d'enquête s'est plus spécifiquement intéressée au rôle de la chaîne Al Jazeera comme vecteur d'influence du Qatar. Si le groupe Al Jazeera constitue indéniablement un puissant outil de diplomatie publique pour l'émirat qatari, il est moins évident d'identifier une claire stratégie d'influence négative portée par ce média. La ligne éditoriale et le contenu de ce dernier varie en effet selon les langues dans lesquelles il est diffusé. Comme l'a souligné Thibaut Brutin, adjoint au directeur général de RSF : « Il y a plusieurs Al Jazeera, car cette entité émet dans différentes langues. Or les contenus produits ne sont pas les mêmes selon les antennes et les langues »126(*).

En France, le débat sur les contenus diffusés par Al Jazeera s'est accru avec la création en décembre 2017 du média en ligne AJ+. Ce média constitue la déclinaison française d'un format existant déjà en anglais et en espagnol. AJ+ combine une ligne progressiste mettant en avant des thèmes comme l'antiracisme, les questions environnementales ou les conflits au Moyen-Orient avec des formats reprenant les codes de la modernité et des réseaux sociaux. Par rapport au format traditionnel de la chaîne Al Jazeera, AJ+ s'adresse à un public jeune, issu des grandes métropoles. Deux interprétations de cette stratégie ont pu être identifiées par la commission d'enquête.

D'une part, on peut estimer, à l'instar du professeur Olivier Roy, que ce média en ligne poursuit avant tout une stratégie commerciale de captation d'un public jeune à qui il fournit des contenus attractifs en leur donnant une vision plus positive de leur identité127(*).

D'autre part, AJ+ peut être perçu comme un véritable outil d'influence négative. Une étude de la revue des médias, publiée en décembre 2020128(*), estime ainsi que la ligne éditoriale progressiste n'est en rien incompatible avec la vision géopolitique portée par le Qatar. Le positionnement d'AJ+ reposerait ainsi, comme pour Al Jazeera, sur la critique des gouvernements en place. Dans le cas français, le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale avait déjà identifié et mis en exergue la tonalité particulièrement critique de l'émission « Rien ne va + » envers le modèle français. De récentes vidéos s'intitulaient par exemple « Pourquoi la FFF a un problème avec les musulmans ? » (4 avril 2024), « Macron va-t-il déclencher une troisième guerre mondiale ? » (28 mars 2024), « Niger : comment l'Afrique continue de gifler Macron ! » (17 août 2023).

d) Les « contractuels de l'influence » et la nébuleuse des plateformes relais de l'influence

Outre des opérateurs clairement liés aux États compétiteurs, les opérations d'influence peuvent être menées par des acteurs non officiels qui ne rattachent pas directement à des institutions publiques. Fondations, sociétés privées ou ONG contribuent à former une « nébuleuse de l'influence ». Cette expression est notamment utilisée par Paul Charon et JeanBaptiste  Jeangène Vilmer pour décrire l'ensemble des acteurs gravitant autour du régime chinois129(*).

En premier lieu, ces acteurs de l'influence regroupent des entités du secteur privé en réalité contrôlées par des États et réalisant pour leur compte des opérations d'influence malveillantes.

S'agissant de la Russie, cette stratégie de recours à des « proxies » issus du secteur privé a été largement documentée. Au sein du régime russe, des acteurs non officiels coexistent avec les institutions publiques, relevant d'une frange désinstitutionnalisée de l'État dans une logique d'« adhocratie ». En parallèle de l'État russe ont émergé une myriade d'entreprises de marketing numériques assurant en réalité des activités de désinformation. L'entrepreneur et mercenaire Evgueni Prigojine a ainsi pu constituer un réseau de sociétés de désinformation, autour de la célèbre Internet Research Agency, basée à Saint-Pétersbourg. Sans que l'on soit en mesure d'évaluer le niveau d'autonomie de ces structures par rapport au pouvoir russe, ces acteurs prolongent indéniablement la stratégie d'influence de l'État commanditaire.

Ces « contractuels de l'influence » ou « prestataires d'influence ou de désinformation » trouvent un intérêt financier direct à relayer les contenus prorusses. En Afrique, les opérateurs d'influence de l'ex-galaxie Wagner ont par exemple investi dans l'exploitation des ressources minières. À propos de son dirigeant historique, Evgueni Prigojine, Maxime Audinet rappelle que : « C'était un acteur de nature entrepreneuriale et en fait quasiment semi-privé ; c'est pourquoi on parle « d'entrepreneurs d'influence » en utilisant un langage presque managérial ; ces acteurs ont un « business model » et cherchent à gagner du capital symbolique, financier et parfois politique ».

Une telle méthode d'externalisation, sans pour autant duper les services chargés de la détection des opérations d'influence, complexifie l'attribution directe de ces manoeuvres à un État.

Le recours à des « contractuels de l'influence » se diffuse à d'autres États que la Russie. La campagne de désinformation « Olimpiya » visant les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris et révélée par Viginum en novembre 2023, était ainsi hébergée par des sites liés à un citoyen azerbaïdjanais, Orkhan Rzayev, dirigeant d'une entreprise de marketing digital Mediamark Digital Agency. Sans qu'aucun lien officiel n'ait été établi par Viginum entre Orkhan Rzayev et le régime illibéral de Bakou, l'hypothèse de l'implication de l'Azerbaïdjan demeure très probable130(*).

En second lieu, au-delà de sociétés privées, la « nébuleuse de l'influence » rassemble également d'autres types de faux-nez civils : associations, fondations ou organisations non gouvernementales. Concernant la Chine, le rapport de l'Irsem identifie des « plateformes-relais » de l'influence chinoise comme la China Association for International Friendly Contact (CAIFC), la China Association for Promotion of Chinese Culture (CAPCC) et l'Association pour la promotion de la réunification pacifique de la Chine (APRPC). Ces entités, très liées avec le pouvoir politique et dont les membres dirigeants sont issus du PCC ou de l'armée populaire de libération, mènent des opérations d'influence, notamment en ciblant au travers d'échanges culturels les élites anglo-saxonnes.

Dans le cas de la Russie, une récente enquête de presse a dévoilé l'action de la fondation Pravfond, liée au ministère des affaires étrangères russes131(*). Cette « Fondation pour le soutien et la protection des droits des concitoyens résidant à l'étranger » vise officiellement à défendre les Russes établis à l'étranger. Elle assure en réalité deux activités principales. D'une part, son soutien aux ressortissants russes se concentre essentiellement sur les personnes impliquées dans des affaires d'espionnage ou d'atteintes à la sécurité nationale et finance pour ce faire leurs frais de justice. D'autre part, au nom d'un objectif de « lutte contre la russophobie et les tentatives de falsification de l'histoire », la fondation finance des opérations d'influence en Europe. En 2023 et 2024, elle a ainsi pu soutenir l'organisation de « conférences scientifiques » en Serbie et en Bosnie-Herzégovine » sur le prétendu « nazisme ukrainien » ou abonder financièrement des sites de désinformation en ligne.

2. L'amplification numérique des opérations de manipulation de l'information

L'espace numérique constitue le terrain privilégié de mise en oeuvre des opérations de désinformation à visée d'influence. Deux définitions, visant à caractériser les opérations de désinformation dans le domaine numérique, permettent d'appréhender ce type d'opérations.

D'une part, la notion de « Foreign Information Manipulation and Interference »132(*) (FIMI) élaborée par le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) en 2021133(*) présente ces actions comme un ensemble de comportements, majoritairement non illégaux, qui menacent ou ont le potentiel d'affecter négativement les valeurs et le processus politiques. Ces activités, manipulatives par dessein, sont conduites de manière coordonnée et intentionnelle par des acteurs étatiques ou non étatiques, dont des proxies.

D'autre part, les opérations de manipulation de l'information dans le domaine numérique ont été caractérisées par la catégorie réglementaire des ingérences numériques étrangères (INE), introduite par le décret n° 2021-922 du 13 juillet 2021 portant création de Viginum134(*). L'article R.* 1132-3 du code de la défense définit ainsi les INE comme des : « opérations impliquant, de manière directe ou indirecte, un État étranger ou une entité non étatique étrangère, et visant à la diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée, par le biais d'un service de communication au public en ligne, d'allégations ou imputations de faits manifestement inexactes ou trompeuses de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ».

Ces deux définitions permettent d'identifier trois caractéristiques principales des opérations de manipulation de l'information en ligne, réalisées par des entités étrangères, étatiques ou non :

- une atteinte aux intérêts de l'État visé ;

- un contenu reposant sur des informations fausses ou trompeuses ;

- `une diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée.

a) Une diffusion massive et inauthentique

La combinaison des nouvelles technologies de l'information et de la communication avec l'émergence des plateformes numériques permet désormais une diffusion massive et inauthentique d'informations fausses ou trompeuses.

Le fonctionnement des plateformes numériques, définies comme « un service occupant une fonction d'intermédiaire dans l'accès aux informations, contenus, services ou bien édités ou fournis par des tiers »135(*), contribue activement au succès de ces opérations massives de désinformation. En effet, au-delà d'une simple fonction d'intermédiaire, les plateformes numériques sont en mesure d'organiser et de hiérarchiser la présentation des contenus à leurs utilisateurs. Ces mécanismes, qui rapprochent les plateformes numériques d'un rôle d'éditeur, participent de la diffusion de contenus de désinformation selon plusieurs experts auditionnés par la Commission d'enquête. À cet égard, Bernard Benhamou estime qu'il existe une « convergence d'intérêts toxiques entre les groupes extrémistes et le modèle de fonctionnement des plateformes qui privilégie les propos polarisants, clivants, parce qu'ils sont les plus vecteurs d'audience ou vecteur d'engagement, de partage »136(*).

Les opérations d'influence étrangères jouent sur ces mécanismes d'organisation des contenus endogènes aux plateformes pour accentuer la viralité de leur diffusion. Deux techniques principales peuvent être distinguées.

En premier lieu, les campagnes de manipulation de l'information peuvent recourir à des « trolls », soit des individus qui relaient des contenus, saturent des sites internet ou harcèlent d'autres utilisateurs137(*). Cette dernière fonction peut être mobilisée pour réprimer tout discours dissident en interne et, en externe, cibler des discours critiques. Les groupes de trolls soutenant le régime chinois sont ainsi coutumiers de campagne de harcèlement et de dénigrement à l'encontre de personnes ou d'entités portant un discours critique sur l'action de la Chine.

Le recours aux trolls repose généralement sur la constitution d'« usines » ou de « fermes » à trolls directement gérées par des entités étatiques ou déléguées à des sous-traitants. C'est notamment dans ce cadre qu'interviennent des prestataires privés. L'exemple le plus célèbre d'une telle structure demeure l'Internet Research Agency (IRA), dont l'existence a été publiquement révélée en 2013. Le rapport d'investigation du procureur spécial Robert Mueller sur les élections présidentielles américaine de 2016 a détaillé l'implication de cette structure dans les tentatives de manipulation du scrutin. Dotée de plusieurs centaines d'employés et pilotée par Evgueni Prigojine, cette société aurait exposé plus de 126 millions de citoyens américains à des contenus prorusses au travers de plus de  80 000 publications sur Facebook entre janvier 2015 et août 2017138(*).

En second lieu, la diffusion massive de contenus faux ou trompeurs découle de réseaux de faux comptes automatisés ou « bots ». Ces comptes, complètement automatisés, peuvent publier des messages et contenus sans intervention humaine.

À titre d'exemple, la campagne dite RRN, révélée par Viginum en juin 2023139(*), a eu massivement recours à des réseaux de comptes inauthentiques sur Facebook et X (ex-Twitter) afin de relayer automatiquement les contenus produits par de faux comptes d'information prorusses.

La technique des bots présente l'avantage de demeurer rudimentaire et peu coûteuse. Par conséquent, leur détection peut s'en trouver relativement aisée. Comme l'ont indiqué les équipes de Viginum aux membres de la Commission d'enquête lors de leur visite de ses locaux, il existe un faisceau d'indices pour détecter un faux compte. Une photo de profil de mauvaise qualité ou générée par l'intelligence artificielle, un pseudonyme composé de chiffres et de lettres aléatoires, des contenus qui basculent soudainement dans une autre langue ou postés à la même heure chaque jour peuvent trahir l'artificialité de ces dispositifs.

Par ces mécanismes, les auteurs de campagnes de désinformation visent avant tout à créer un effet de volume. L'utilisation massive et automatisé de faux comptes permet de créer l'illusion d'un trafic naturel important. Cette pratique d'influence correspond à la technique dite de l'« astroturfing »140(*), qui consiste à simuler un mouvement spontané à des fins d'influence politique ou économique.

Auditionné par la commission d'enquête dans le cadre d'une table-ronde sur l'intelligence artificielle et la désinformation, le journaliste de l'Agence France-Presse (AFP) Grégoire Lemarchand a confirmé que ces opérations visent en premier lieu un effet de masse : « il faut souligner que ces opérations étrangères sont, la plupart du temps, très peu sophistiquées : elles visent surtout, par un bruit de fond permanent, à saper peu à peu les fondements de notre société. La plupart des fausses informations mises en circulation ne dépassent pas le stade d'une diffusion confidentielle, mais leur répétition et leur masse finissent par produire un effet »141(*).

Matriochka : une campagne de désinformation prorusse usurpant massivement l'identité de médias et dirigée contre les dispositifs de vérification de l'information

Viginum a détecté en septembre 2023 une campagne malveillante présentant un mode opératoire original, baptisée Matriochka. Son activité reposait sur la production de faux contenus relayées vers les espaces réponses de comptes X (ex-Twitter) de médias, de personnalités et de cellules de vérifications des faits dans un objectif de saturation de leurs capacités de traitement des demandes. Elle était opérée par des comptes russophones et semblerait liée, selon le Washington Post, à des sous-traitants de l'administration présidentielle russe.

Les interventions de Matriochka se déroulaient en deux étapes :

- en premier lieu, un groupe de comptes, les « seeders », publiait des faux contenus sur la plateforme. Les contenus publiés usurpaient l'identité de médias, institutions et ONG et étaient publiés en anglais, allemand, français, italien, russe et ukrainien ;

- en second lieu, un autre groupe, les « quoters », partageait les publications diffusées en réponse à des publications de médias ou de cellules de vérification des faits. Ces partages, intervenant 30 à 45 minutes après la publication initiale, visaient à interpeller les comptes ciblés afin de leur demander une vérification de la véracité de ces contenus. Incidemment, ce mode opératoire permettait de propager largement les fausses informations contenues dans les posts. Ces saisines se doublaient occasionnellement de courriers électroniques invitant les organismes à se saisir des contenus signalés.

Environ 90 manoeuvres de ce type ont été repérées par Viginum qui note, par ailleurs, qu'elles ne paraissaient pas faire l'objet d'une automatisation. Des erreurs ponctuelles ont en effet suggéré que les actions des quoters étaient effectuées manuellement. Les cibles semblaient découler d'une liste préparée en avance de chaque opération.

Chaque opération visait entre 50 et 150 entités et individus, dont une majorité de médias, des cellules de vérification de l'information et des personnalités travaillant dans ce domaine. Des universités, fonds d'investissement, administrations et partis politiques ont également été ciblées. En France, les médias BFM TV, Le Parisien, Libération, Le Monde et La Montagne ont été victimes d'usurpation d'identité.

Plus spécifiquement, une opération Matriochka s'est attaqué à la Banque de France en relayant une vidéo présentée comme réalisée par le Groupe Union Défense (GUD) invitant à « brûler la Banque de France ». Cette dernière était accusée de mentir sur sa solvabilité. Cette vidéo était accompagnée de faux contenus de la DGSI ou de la Banque elle-même afin d'inciter les épargnants à retirer massivement leurs liquidités.

Source : commission d'enquête d'après Viginum

b) Les contenus et les cibles des opérations de manipulation de l'information en ligne

Les contenus propagés par les opérations de manipulation de l'information en ligne sont de nature variable. Ils peuvent avoir été générés spécifiquement pour les besoins de l'opération où être issus d'une autre source. S'agissant des faux contenus, trois éléments peuvent être soulignés.

Premièrement, les opérations de manipulation de l'information s'appuient sur des entreprises de falsification de contenus. Il s'agit, pour les auteurs de campagne de désinformation, d'imiter et d'usurper des sources fiables d'information pour crédibiliser leur message.

Il peut s'agir de sites internet d'institutions publiques. En mars 2024, le ministère des armées a dénoncé un site internet frauduleux reprenant le logo du ministère des armées et la charte graphique des sites publics français. Appliquant une méthode de typosquatting, les responsables de cette action ont enregistré un nom de domaine proche (sengager-ukraine.fr) de ceux utilisés par le ministère (sengager.fr). Cette opération visait à appuyer sur la peur d'un envoi de troupes françaises en Ukraine en simulant une campagne de recrutement de 2 000 soldats.

Captures d'écran d'un faux site reprenant la charte visuelle du ministère des armées dans le cadre d'une opération de « typosquatting »

Source : ministère des armées

De manière similaire, l'identité numérique du ministère de l'Europe et des affaires étrangères avait été usurpée en mai 2023 dans le but de diffuser l'information selon laquelle une « taxe de sécurité » en faveur de l'Ukraine serait prochainement levée.

De surcroit, les campagnes de manipulation de l'information peuvent usurper des médias existants ou se présenter comme des organes de presse. Cette imitation peut constituer un vecteur de diffusion de fausses informations. Dans le cadre de la campagne RRN, ce sont 355 noms de domaines usurpant des médias français, européens, américains et moyen-orientaux.

La campagne RRN/Doppelgänger : faux médias, vraies infox

En juin 2023, la France a révélé l'existence d'une campagne numérique de manipulation de l'information liée à des entités russes, détectée en septembre 2022 par Viginum et connue sous le nom de RRN/Doppelgänger142(*). Cette campagne s'appuyait sur quatre modes opératoires principaux.

Premièrement, elle reposait sur une galaxie de sites d'informations prorusses, notamment le site RRN, pour « Reliable Recent News », un média en ligne créé en mars 2022 et présentant des articles portant sur quatre thématiques : l'inefficacité des sanctions contre la Russie, la russophobie des pays occidentaux, la barbarie des forces ukrainiennes et les effets négatifs de l'accueil de réfugiés ukrainiens. L'activité de RRN s'appuyait, sur un plan technique, sur une plateforme de « vérification de l'information » dénommée « War on Fakes » lancée en février 2022 et abondamment relayée par la diplomatie russe. Une des caractéristiques de la campagne RRN est le recours fréquent à des visuels et à des caricatures critiques de l'Occident.

Deuxièmement, le réseau RRN a opéré une vaste opération de typosquatting visant à usurper l'identité de médias nationaux et de sites institutionnels européens. Viginum a ainsi identifié 355 noms de domaines usurpant l'identité de médias dans neuf États. Quatre médias français (20 Minutes, Le Figaro, Le Monde et Le Point) ont été touchés par cette manoeuvre pour un total de 49 faux articles. Le site internet du ministère de l'Europe et des affaires étrangères a également été l'objet d'une tentative d'usurpation.

Troisièmement, un ensemble de sites d'information francophones comme La Virgule, Allons-y ou Notre Pays a été créé dans le but de relayer des contenus polarisants sur l'actualité française et européenne.

Quatrièmement, les contenus des sites administrés par le réseau RRN ont fait l'objet d'une amplification artificielle par un ensemble de comptes inauthentiques sur les plateformes Facebook et Twitter/X. Viginum a identifié plusieurs ensembles de faux comptes diffusant largement les publications de RRN et des sites liés.

Le groupe Meta a dénoncé cette campagne, décrite comme « l'opération russe la plus agressive dans sa persévérance que nous ayons vue depuis 2017 », en décembre 2022. Meta a identifié deux sociétés informatiques russes, Social Design Agency et Structura National Technology, par ailleurs prestataires d'institutions russes et dirigés par Ilya Gambachidze, un proche du Gouvernement russe. Les investigations menées par Viginum ont, par la suite, identifié deux autres « entrepreneurs d'influence » russes, Andreï Choubotchkine et Mickhaïl Tchekomasov.

Source : commission d'enquête d'après Viginum

L'usurpation peut également être représentée dans le contenu relayé. Il est fréquent que des campagnes de manipulation diffusent des articles ou des couvertures reprenant la charte graphique ou le titre de grands titres de presse. De fausses « unes » de Charlie Hebdo, en relation avec les positions françaises de soutien à l'Ukraine, ont ainsi pu être réalisées et diffusées.

De même, en février 2024, une vidéo truquée d'un journal de France 24 a été relayée par les réseaux prorusses pour répandre la rumeur d'une tentative d'assassinat du président de la République orchestrée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Cette tentative de désinformation reposait sur un hypertrucage ou « deepfake » du présentateur de France 24, réalisée grâce à la technique de la synchronisation labiale, qui aligne les mouvements de lèvres avec un son préenregistré. L'infox a été directement amplifiée par des publications du vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dimitri Medvedev143(*).

Pour Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde « Les manipulations de l'information et les infox déferlent avec une sophistication croissante et nos médias font l'objet d'un intérêt tout particulier. Nos logos, nos émissions, nos présentateurs sont une source d'inspiration quotidienne pour les désinformateurs, qui manipulent des extraits de journaux de France 24 pour faire annoncer au présentateur, en changeant sa voix, un prétendu attentat contre le Président de la République à Kiev »144(*).

Fausse « une » de Charlie hebdo diffusée (à gauche) et hypertrucage du journaliste de France 24 Julien Fanciulli annonçant un projet d'assassinat du président Macron (à droite)

 
 

· Source : RFI et France Info

Deuxièmement, les opérations de manipulation de l'information en ligne peuvent amplifier les résultats d'une action clandestine de terrain. Lors de l'affaire des étoiles de David, le réseau de désinformation RRN/Doppelgänger s'est rapidement mobilisé pour faire remonter cette actualité sur les réseaux sociaux.

Troisièmement, les outils de l'intelligence artificielle apparaissent désormais comme des accélérateurs de la production de contenus. Définie par la Cnil comme un « procédé logique et automatisé reposant généralement sur un algorithme et en mesure de réaliser des tâches bien définies », l'IA renforce le potentiel de production de faux contenus. Les outils d'IA générative à la disposition du grand public permettent déjà de réaliser, en très peu de temps, des contenus textuels et des hypertrucages de vidéos et d'images relativement crédibles et difficiles à déceler. Lors de la table ronde organisée par la commission d'enquête sur l'IA, le journaliste Thomas Huchon a pu démontrer, au travers d'une vidéo reproduisant synthétiquement la voix du président de la commission, la facilité d'utilisation de ces outils : « il nous a suffi de récupérer un extrait de deux minutes environ d'un discours et de le « donner à manger » à une intelligence artificielle pour pouvoir lui faire dire absolument tout ce que l'on veut [...]. Il est désormais possible, avec des outils numériques extrêmement faciles d'accès, de faire dire à peu près n'importe quoi à n'importe qui »145(*).

Les contenus générés par l'intelligence artificielle sont d'ores et déjà présents dans les campagnes de manipulation de l'information. À l'occasion de l'offensive russe sur Kiev au printemps 2022, les autorités russes ont diffusé sur les réseaux sociaux une vidéo hypertruquée du président ukrainien Volodymyr Zelensky appelant les troupes ukrainiennes à déposer les armes. Si l'efficacité de cette première utilisation massive de l'IA dans un contexte de guerre a été relative, elle n'en démontre pas moins les potentialités de manipulation que ces outils représentent.

Le 30 mai 2024, l'entreprise OpenAI, maison mère de l'instrument ChatGPT, a reconnu publiquement l'utilisation de ses outils par plusieurs campagnes de désinformation russes, chinoises, iraniennes et israéliennes146(*). L'outil ChatGPT a notamment servi à générer des commentaires en anglais et en français, postés sur X et le forum 9GAG, dans le cadre de l'opération dite RRN/Doppelgänger.

L'utilisation de l'intelligence artificielle dans une campagne de désinformation en ligne : l'exemple de l'opération prochinoise Spamouflage

Depuis 2019, une opération de désinformation liée à la Chine, connue sous le nom de « Spamouflage »147(*), a été révélée à plusieurs reprises. Le réseau Spamouflage repose sur des milliers de comptes inauthentiques, répartis sur une cinquantaine de plateformes et de sites.

Le mode opératoire du réseau Spamouflage repose sur l'usage massif de comptes inauthentique et de bots. Dernièrement, le 29 août 2023, le groupe Meta a annoncé la suspension de plus 7 700 comptes, 954 pages et 15 groupes Facebook liés à la campagne Spamouflage. Le groupe estimait à un demi-million le nombre d'utilisateurs exposés à cette opération. Le niveau de sophistication des faux comptes activés par cette campagne demeure relativement limité, Meta ayant souligné que ces derniers publiaient à des heures fixes correspondant aux horaires de bureau chinois. L'opération serait gérée par plusieurs services distincts disposant de moyens matériels relativement conséquents. À cet égard, la chercheuse Maud Quessard indique que « Ce qui ressort de nos échanges avec nos partenaires américains est que, depuis septembre 2023, la Chine se livre de plus en plus et de façon sophistiquée à des opérations de désinformation avec des méthodes et techniques qui étaient traditionnellement plutôt l'apanage de la Russie »148(*).

Les campagnes menées par le réseau Spamouflage rejoignent les codes traditionnels de la désinformation chinoise en ligne avec une forte propension à la diffusion de visuels.

Plus récemment, la société Graphika a révélé que le réseau avait désormais recours à des outils d'intelligence artificielle pour générer des contenus. De courtes vidéos mettant en scène des avatars relayant des éléments de discours proches de la propagande chinoise ont ainsi été détectées. Ces productions restent peu élaborées et sont issues d'outils d'IA commerciaux en libre accès.

Les contenus diffusés par Spamouflage suivent les priorités thématiques du régime chinois. Lors de sa première détection en 2019, le réseau relayait principalement des contenus critiques des mouvements de protestation à Hong-Kong. La période du Covid-19 a fait évoluer ces contenus vers une promotion du modèle chinois de réponse à la pandémie et un dénigrement des régimes occidentaux. Plus récemment Spamouflage a adopté une orientation centrée sur la rivalité avec les États-Unis. Les comptes liés au réseau ont amplifié le volume de leurs publications en anglais et porté un discours plus agressif à l'égard de l'Amérique et de ses alliés. En 2022, la société de cybersécurité Mandiant a révélé une tentative menée par le réseau d'influencer les élections américaines de mi-mandat en décourageant les électeurs de voter149(*).

Pour autant, l'efficacité de l'opération est discutable. Les contenus relayés par le réseau Spamouflage ont suscité peu de commentaires ou partages de la part des utilisateurs. Meta estime que ce succès limité s'explique par la faible qualité des contenus postés, les opérateurs privilégiant diffuser un volume massif.

Source : commission d'enquête d'après Meta et Graphika

La production d'un contenu original n'est cependant pas indispensable dans la conduite d'une opération d'influence informationnelle. Cette dernière peut tout à fait reposer sur un contenu préexistant, qu'elle se contente d'amplifier.

L'opération dite « Portal Kombat » avait ainsi pour caractéristique de ne produire aucun contenu original mais de relayer massivement des contenus existants, comme démontré par Viginum. Ces derniers relevaient de trois sources principales : des acteurs institutionnels russes, des agences de presse pro-Kremlin et des comptes russes ou portant un discours prorusse.

La diffusion de contenus existants permet de détecter des formes de collaborations fortuites entre les entités étatiques à l'origine à l'origine de cette désinformation. Dans son premier rapport consacré aux FIMI150(*), le SEAE a identifié plusieurs occurrences de reprise par la sphère de désinformation chinoise en ligne de narratifs et de contenus issus de la sphère russe. Cette convergence a été soulignée par Paul Charon lors de son audition par la commission d'enquête. Dans les actions attribuées à la Chine et visant la France : « Les contenus ne sont pas toujours très significatifs. On en trouve même parfois qui sont très prorusses et ne vont pas nécessairement dans le sens des intérêts de la Chine »151(*).

Outre ces contenus de propagande, d'autres types de contenus existants peuvent être relayés par les opérations d'amplification. C'est particulièrement le cas dans le cadre de combinaison entre des opérations de manipulation de l'information et d'autres types d'ingérences.

Le cas des opérations de piratage et de fuite (« Hack and Leak ») illustre cette hybridation entre ingérence et influence. Les opérations de piratage classiques sortent, stricto sensu, du champ des travaux de la commission d'enquête. Lorsqu'une opération de piratage vise la captation de données ou le sabotage d'un service ou d'une infrastructure, elle relève du champ de la coercition et quitte celui de l'influence. Pour autant, les actions de Hack and Leak, en diffusant massivement des données volées et altérées, poursuivent essentiellement un but d'influence.

Les « Macron Leaks » : une opération de Hack and Leak en pleine campagne présidentielle

Les Macron Leaks désignent une campagne de manipulation de l'information, reposant sur une opération de Hack and Leak, réalisée dans les derniers jours de la campagne présidentielle de 2017.

Dans une première phase, relevant du domaine cyber, à partir de janvier 2017, les équipes de campagne du candidat Emmanuel Macron ont été l'objet d'attaques répétées, au travers de tentatives de hameçonnages. Au moins cinq collaborateurs ont vu leurs adresses mails piratées.

Dans une seconde phase, informationnelle, les pirates ont organisé une campagne de désinformation. Tout d'abord, des rumeurs et fausses informations ont été diffusées par l'écosystème informationnel prorusse, notamment les médias RT et Sputnik. Ensuite, les pirates ont publié, avant le débat de l'entre-deux tours le 3 mai 2017 et après la fin de la campagne officielle le 5 mai 2017, de faux documents nuisant à l'image du candidat. Ces documents, initialement diffusés sur des forums de discussion en ligne, ont ensuite été relayés sur Twitter. La publication des documents sur ce réseau a été relayée par la communauté politique de l'Alt-Right américaine pro-Trump et amplifiée par des réseaux de bots sous le mot-dièse #MacronLeaks.

Cette manoeuvre n'a néanmoins pas prospéré. La robustesse de l'environnement informationnel français a conduit les médias à faire preuve d'une retenue certaine dans le traitement de ces informations. L'intérêt du public pour des milliers d'emails a largement été surestimé par les pirates qui n'avaient pas non plus anticipé que les équipes de campagne du candidat alerteraient rapidement de la survenance d'une attaque.

La France n'a jamais officiellement attribué cette manoeuvre à un acteur étatique. Pour autant, le rapport Caps-Irsem relatif aux manipulations de l'information, revenant sur l'expérience des Macron Leaks, identifie un faisceau d'indices incitant à penser que cette opération serait liée à une influence russe152(*). De même, le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relatives aux ingérences de puissances étrangères en France attribue très clairement à la Russie cette campagne de désinformation.

Source : commission d'enquête d'après le rapport Caps-Irsem

Au bilan, les opérations de manipulation de l'information en ligne, au-delà de leurs spécificités techniques ou de leurs contenus et cibles, présentent de fortes similarités. Parmi ces points de convergence figure le faible coût de ces opérations. S'il est difficile de fournir une évaluation moyenne précise d'une opération type, le service Viginum estime qu'il correspond peu ou prou à celui d'une campagne de publicité en ligne. Le budget de Pravfond, fondation faux-nez du ministère des affaires étrangères russes finançant des opérations de désinformation en Europe, était ainsi évalué par Le Monde à 3 à 4 millions d'euros par an. Pour un État, quel que soit sa taille, ces opérations sont donc relativement bon marché et contribuent à faire de ces manoeuvres des armes du faible au fort permettant de frapper des États disposant de largement plus de moyens.

B. LES AUTRES TYPES D'OPÉRATIONS D'INFLUENCE

1. Les opérations visant l'enseignement supérieur et la recherche

Comme indiqué supra, le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche est particulièrement exposé aux opérations d'influence étrangères. Un riche panorama ayant d'ores et déjà été établi par la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences153(*), la commission d'enquête se limitera ici à en rappeler les points saillants.

Les stratégies des puissances étrangères dans le milieu universitaire poursuivent deux principaux objectifs :

- d'une part, défendre et promouvoir la réputation d'un État au sein des universités. Il s'agit pour ces États d'assurer la promotion de valeurs alternatives au modèle de société porté par `les pays occidentaux, au besoin par une instrumentalisation des sciences humaines et sociales ;

- d'autre part, opérer une captation de données scientifiques sensibles pour les intérêts de la Nation ou protégées par la propriété intellectuelle. Cette captation permet d'obtenir des avantages immédiats sur les plans techniques et économiques mais renforce également l'influence académique de l'État à l'origine de cette intrusion.

Pour le rapporteur de la mission d'information du Sénat, André Gattolin, l'exemple des opérations d'influence dans le domaine universitaire permet de garder à l'esprit qu'en matière d'influence, il importe de s'écarter d'un « prisme numérique et technologique » et de considérer la persistance de réseaux d'influence physiques, sur le terrain154(*).

2. La capture des élites : idiots utiles et trahison des clercs

Au regard des stratégies de capture des élites, plusieurs modalités peuvent être distinguées. Ces opérations peuvent poursuivre un objectif d'influence directe sur des décideurs publics ou, plus indirectement, utiliser les élites politiques ou économiques comme relais d'influence auprès d'autres interlocuteurs et de l'opinion publique.

Premièrement, les États étrangers peuvent avoir recours aux services de représentants d'intérêts ou de lobbyistes pour porter un discours d'influence auprès des responsables publics.

Deuxièmement, le financement des partis politiques constitue un levier d'influence efficace pour des États étrangers, notamment s'il permet à des personnalités publiques d'accéder à des fonctions électives.

Troisièmement, des actions de corruption permettent à des puissances étrangères de capter des relais d'influence moyennant finances.

À titre d'illustration, révélé en décembre 2022, le « Qatargate » a concerné plusieurs eurodéputés dont une vice-présidente du Parlement européen ainsi que des responsables d'ONG. Ces derniers auraient reçu d'importantes sommes d'argent en liquide dont les autorités belges soupçonnent qu'elles aient été versées par le Qatar et le Maroc en échange de prise de position favorables à l'Émirat.

Au-delà de cas de corruption aussi poussés, il existe toute une palette de pratiques (cadeaux, invitations, mobilités professionnelles...) entrant dans une zone grise des obligations déontologiques des élus. S'agissant du Parlement français, Nicolas Tenzer, président du CERAP, considère ainsi qu'« on ne peut pas aborder, soyons parfaitement directs, la question de l'influence de puissances hostiles sinon ennemies, comme la Russie ou la Chine, sans parler de corruption »155(*).

Quatrièmement, le phénomène des « idiots utiles »156(*) demeure d'actualité. Par opportunisme ou par conviction, des journalistes, élus ou hauts fonctionnaires peuvent reprendre des éléments de narratifs portés par des puissances étrangères. Le député européen Arnaud Danjean a ainsi souligné qu'une grande partie des membres du Parlement européen relayant des discours prorusses étaient sincèrement convaincus par ces éléments. À cet égard, la commission d'enquête renvoie vers les travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les ingérences dans la vie politique française157(*) qui relève, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite de l'échiquier politique, une adhésion aux thèses du Kremlin revendiquée par des figures de premier plan. En outre, au cours des auditions, les membres de la commission d'enquête se sont interrogés sur les motivations des prises de position d'un ancien Premier ministre en faveur de la Chine.

3. Le contrôle et l'instrumentalisation des diasporas et des communautés religieuses

En premier lieu, il importe de distinguer les actions d'entités étrangères sur leurs ressortissants présents en France selon leurs finalités. Seule une partie des activités d'ingérence portant sur des membres de la diaspora relève en effet d'un objectif d'influence. L'autre part de ces actions vise principalement à assurer un contrôle de l'État étranger sur une population qu'il considère comme ressortissant de sa souveraineté.

L'exemple de la diaspora chinoise est topique de cette logique, comme cela a été exposé supra (voir II). Dès lors que la diaspora est entendue comme une menace, des mesures de contrôle peuvent être envisagées, dont la maitrise des médias de la langue de la diaspora ou des actions coercitives assurées par les consulats et les ambassades. Une fois placée sous contrôle, la diaspora peut être mobilisée dans un but d'influence, notamment par des actions d'ingérence dans la vie politique locale. À cet égard Paul Charon évoque « plusieurs cas, y compris en France, d'opérations menées par la police chinoise, donc par le ministère de la sécurité publique, à l'encontre de citoyens chinois ou de citoyens français d'origine chinoise ». Il en résulte que « la diaspora, qui est donc une menace, devient un vecteur d'influence une fois qu'elle est sous contrôle » 158(*).

En second lieu, les communautés religieuses apparaissent également comme un vecteur d'influence. La commission d'enquête s'est interrogée sur les stratégies d'influence déployées par des États du monde musulman vers les communautés musulmanes des pays européens. Cette crainte d'une influence étrangère sur l'islam français a été portée au plus haut de l'État, par le Président de la République dans son discours des Mureaux du 2 octobre 2020 où il s'engageait à libérer « l'islam en France des influences étrangères. Sur ce sujet, nous allons le faire de deux manières, parce qu'il y a deux types d'influences. Il y a une influence qui est visible, qui est assumée, et il y a une influence qui est parfois plus profonde et dangereuse, mais qui est moins visible et moins assumée »159(*). Cette problématique est une préoccupation ancienne du Sénat, comme l'illustre le rapport des sénateurs Nathalie Goulet et André Reichardt au nom de la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'Islam en France et de ses lieux de culte160(*).

La communauté académique française est quant à elle divisée sur la question des influences étrangères islamistes.

Pour le professeur Bernard Rougier, auditionné par le rapporteur, le Qatar soutiendrait idéologiquement le mouvement des Frères musulmans par des programmes de théologie et des actions de lobbying auprès des institutions européennes, tout en restant prudent sur l'ampleur de ces actions161(*).

Selon le professeur Olivier Roy, auditionné également, l'Arabie Saoudite aurait « coupé les ponts » avec le salafisme européen en adoptant une politique de tarissement des financements. De même, pour ce chercheur, le positionnement idéologique du Qatar en soutien aux Frères musulmans aurait été mis en sommeil suite aux tensions géopolitiques ayant traversé le Golfe162(*).

En tout état de cause, le modèle de la « croyance rémunérée », identifié par Frédéric Charillon pour décrire l'influence déployée par les pays musulmans à l'égard de leurs coreligionnaires, présente des limites en termes d'efficacité. Frédéric Charillon souligne ainsi que « L'influence ainsi déployée est clivante par définition puisqu'elle est identitaire. Elle sous-traite des stratégies à des acteurs qui ont leur propre agenda. En liant croyance et argent, elle déclenche une dynamique de surenchère, qui a ses fragilités »163(*).

De plus, comme le rappelle Olivier Roy, les mouvements fréristes et salafistes en Europe sont désormais endogènes à nos sociétés et relèveraient, non pas d'une influence extérieure, mais plutôt d'une problématique interne aux États européens. Ce dernier constat n'écarte en rien la nécessité de porter une attention particulière au phénomène du communautarisme, mais semble sortir cette problématique du champ des influences étrangères.

En tout état de cause, le phénomène des influences étrangères sur le religieux devrait continuer d'être suivi par les services de l'État. La mission, confiée par le ministre de l'intérieur et des Outre-mer et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères à l'Ambassadeur François Gouyette et au Préfet Pascal Courtade, d'évaluation de l'islamisme politique et de la mouvance des Frères musulmans devrait permettre de prolonger cette réflexion et d'affiner le constat de la commission d'enquête.

Les tentatives d'influence des communautés religieuses depuis l'étranger sont plus évidentes s'agissant de deux États particuliers : le Maroc et la Turquie. Néanmoins, davantage qu'une application du « modèle golfique » décrit par Frédéric Charillon et de la poursuite d'objectifs prosélytes de conquête des coeurs et des esprits, les stratégies marocaines et turques s'inscrivent davantage dans une optique de contrôle de leurs diasporas.

Selon le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), plusieurs structures religieuses turcophones sont susceptibles de relayer l'influence du régime turc en Europe164(*). Il s'agit notamment de la confédération islamique Millî Görüº, présente en France au travers de plusieurs associations, mosquées, centres culturels et écoles privées hors contrat. La confédération est liée avec le parti islamo-conservateur (AKP), au pouvoir en Turquie. En outre, l'organisation Ditib (Union turco-islamique des affaires religieuses)165(*), rattachée à l'Agence des affaires religieuses de Turquie, gère des mosquées et des centres culturels en Allemagne et dans d'autres pays européens. Ces structures sont susceptibles de mobiliser la diaspora turque en faveur du régime Erdogan, notamment en période électorale.

En particulier, l'influence des pays d'origine, essentiellement l'Algérie, le Maroc et la Turquie, sur les diasporas en France, au travers de l'organisation du culte musulman, avait déjà été soulignée dans le rapport de la mission d'information sénatoriale précitée. Le rapport identifiait six principaux leviers d'exercice de cette influence :

- par les rapports avec les mosquées implantées sur le territoire ;

- dans la répartition tripartite et essentiellement nationale des trois principales fédérations musulmanes de France ;

- dans la composition et la gouvernance du Conseil français du culte musulman ;

- dans l'organisation de la filière hallal ;

- dans la formation des imams, objet d'un oligopole entre l'Algérie, le Maroc et la Turquie ;

- dans la désignation des imams exerçant en France.

Sur ce dernier point, on peut souligner que la fin des imams détachés, annoncée par le président de la République et le ministre de l'intérieur, ne règle pas la question des influences étrangères susceptibles de peser sur la formation et la désignation des imams.

Dans son rapport annuel 2022-2023166(*), la délégation parlementaire au renseignement a notamment pointé la persistance à cet égard d'une activité marocaine et d'une activité algérienne en lien avec la Grande Mosquée de Paris, tout en relevant que la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République167(*) avait conféré à l'administration de nouveaux moyens de contrôle et d'entrave (voir Deuxième partie, III, E).

Les auditions de chercheurs et des services de l'État menées par la commission d'enquête ou par le rapporteur n'ont pas permis d'identifier d'éléments nouveaux par rapport à ces travaux.

Pour autant, malgré le renforcement de notre arsenal juridique de contrôle, le risque d'opérations d'influence visant la communauté musulmane française par l'intermédiaire de canaux plus complexes ne doit pas être écarté. La commission d'enquête estime nécessaire que les services de renseignement et les services chargés de la veille des opérations d'influence étrangères malveillantes maintiennent un niveau de vigilance élevé quant à une potentielle instrumentalisation des communautés religieuses. Il conviendra également de remédier à certaines lacunes persistantes de nos moyens de contrôle issus de la loi confortant les principes de la République (voir Troisième partie, III, D).

4. Les opérations d'influence dans le domaine économique

Identifier et caractériser les opérations d'influence dans le champ économique paraît complexe au regard de l'objet de la commission d'enquête. Il paraît nécessaire de distinguer les actions de puissances étrangères dans le domaine économique qui poursuivent un objectif de compétition économique et celles qui visent un objectif d'influence.

L'action des services du ministère de l'économie et des finances se concentre sur les vulnérabilités de secteurs de l'économie jugés stratégiques. Il s'agit d'une approche fondée sur la sécurité économique davantage que sur la prévention des influences malveillantes. Les dispositifs de veille et de traitement des menaces sur les entreprises stratégiques françaises, qui sont exposées dans la seconde partie du présent rapport, n'englobent pas les menaces relevant de l'influence. Ils se concentrent notamment sur les opérations de nature capitalistiques et la captation des données sensibles.

Pour autant, il apparaît que des investissements économiques peuvent être placés au service d'une politique d'influence. S'agissant de la Chine, l'utilisation du levier économique et commercial pour atteindre des objectifs politiques est largement documenté. Le poids des investissements chinois dans certains États et la taille du marché intérieur chinois peuvent être notamment utilisés pour inciter États et entreprises à reprendre des éléments de discours de la propagande du PCC.

Concernant d'autres États, il est moins évident d'identifier si des investissements visent ou non un but d'influence. La commission d'enquête s'est ainsi interrogée sur les objectifs poursuivis par les opérations économiques réalisées ou annoncées par des États du Golfe en France. Spécialiste de l'islam, le Professeur Olivier Roy estime que les financements apportés par le Qatar dans certains secteurs de l'économie, comme le sport, relèvent « plus du hobby que du lobby »168(*). De même Joffrey Célestin-Urbain, chef du Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), considère que ce type d'investissements s'inscrit dans une simple logique de compétition économique : « Les fonds des pays du Golfe sont largement attirés en France, dans de nombreux secteurs, qui ne sont pas tous stratégiques. Nous ne pouvons pas nous passer des fonds étrangers : l'ampleur des besoins de financement de la tech française et de la tech européenne est telle, par rapport aux capacités de financement endogènes de l'Europe, que l'on ne peut pas faire autrement, à moins d'envoyer des licornes et des scale-up françaises au casse-pipe »169(*).

La portée des investissements étrangers en termes d'influence constitue un point sur lequel les travaux de la commission d'enquête n'ont pas permis de progresser.

Dans la même logique, les actions de « lawfare », soit l'utilisation de l'arme normative, menées par des États étrangers à l'encontre d'entreprises ou de ressortissants français ne relèvent pas systématiquement du domaine de l'influence. Le lawfare constitue l'utilisation du droit et des procédures judiciaires à des fins stratégiques par une entité étatique.

Cette méthode d'ingérence économique est particulièrement pratiquée par les États-Unis. Ces derniers s'appuient sur l'extraterritorialité de leur droit, en particulier le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA)170(*) et l'International Traffic in Arms Regulations (ITAR)171(*), pour capter des données confidentielles. Cette instrumentalisation du droit permet aux autorités américaines de contraindre des entreprises étrangères, sous la menace d'amendes considérables, de coopérer et de fournir des informations stratégiques. Ces méthodes poursuivent en premier lieu un objectif de capture de secrets industriels, dans une logique de compétition économique agressive et non d'influence sur les acteurs économiques français.

Pour autant, d'autres formes de lawfare peuvent davantage se rattacher à des opérations d'influence. Il s'agit tout particulièrement de la pratique des « procès baillons » par lesquels des puissances étrangères ou leurs représentants peuvent agir pour contraindre au silence des discours critiques. Ces procédures poursuivent un double objectif de communication à l'égard du public (faire savoir qu'une plainte a été déposée) et d'épuisement des ressources financières de la personne ou de l'entité visée (en les incitant in fine à l'autocensure).

À titre d'exemple, à la suite de la publication du rapport Caps-Irsem sur les manipulations de l'information, la chaîne RT France a engagé en décembre 2018 une procédure en diffamation contre
Jean-Baptiste Jeanjène Vilmer, auteur du rapport et les directeurs de publication des sites sur lesquels le rapport a été publié. Ce dernier a été visé par une seconde procédure pour une série de publications sur Twitter défendant le rapport face aux critiques de RT. Les deux plaintes ont échoué, permettant, par retour de bâton, au chercheur de contre-attaquer en dénonçant les méthodes d'intimidation de RT et de démontrer l'incontestable dépendance de ce média à l'égard du Kremlin172(*).


* 41 Thomas Gomart, L'affolement du monde. 10 enjeux géopolitiques, Taillandier, 2019.

* 42 Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017.

* 43 Audition du 29 février 2024.

* 44 Source: The Jamestown foundation “Buying Silence: The Price of Internet Censorship in China” (janvier 2021)

* 45 Audition du 27 février 2024.

* 46 Modèle «CORE » (Comprehensive resilience ecosystème) - Rapport EUR 31104 EN (mars 2023)

* 47 Déclaration du président de la République Emmanuel Macron sur la Revue nationale stratégique et la programmation militaire de la France, à Toulon le 9 novembre 2022

* 48 Discours du ministre de l'Europe et des affaires étrangère Jean-Yves Le Drian s à la Conférence des ambassadeurs et des ambassadrices (août 2019)

* 49 Source : baromètre annuel La Croix-Kantar sur la confiance des Français dans les médias publiés en novembre 2023

* 50 Source : sondage Ifop pour l'Anacej et Les Jeunes Européens, « Les jeunes et les élections européennes de 2024 », avril 2024.

* 51 Audition du 20 juin 2024.

* 52 Audition du 4 juin 2024.

* 53 David Chavalarias, Minuit moins dix à l'horloge de Poutine : : Analyse de réseaux des ingérences étrangères dans les élections législatives de 2024, juillet 2024

* 54 Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, Revue nationale stratégique 2022.

* 55 David Colon, La guerre de l'information. Les États à la conquête de nos esprits, Taillandier, septembre 2023, pp. 236-237.

* 56 David Colon, op. cit., p. 80.

* 57 David Colon, op. cit, p. 89.

* 58 David Colon, op. cit., p. 178.

* 59 Audition de David Colon du 29 février 2024

* 60 Audition du 7 mars 2024.

* 61 Les « usine à trolls » pro-russes sont des acteurs qui s'emploient à diffuser massivement des contenus favorables au narratifs pro-russes sur les réseaux sociaux. Les trolls peuvent être définis comme des messages postés sur les réseaux sociaux « internautes qui provoquent délibérément leurs adversaires dans le but de les offenser, de les ridiculiser et de les contraindre au silence ». Les messages sont souvent générés par des bots, soit un « agent logiciel automatique ou semi-automatique qui interagit avec des serveurs informatiques pour générer des connexions, créer des faux-comptes, amplifier artificiellement des contenus par des likes et des partages, et diffuser des contenus » (David Colon, op. cit., pp. 455-457).

* 62 Audition du 29 février 2024.

* 63 Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Les Opérations d'influence chinoises. Un moment machiavélien », rapport de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem), Paris, ministère des armées, septembre 2021 - rapport téléchargeable ici.

* 64 Audition du 6 juin 2024.

* 65 Valérie Niquet, « La Chine : une modernisation des pratiques de guerre de l'information » in Céline Marangé et Maud Quessard (dir.), Les guerres de l'information à l'ère numérique, Presses universitaires de France, janvier 2021, pp. 148-157.

* 66 Rapport n° 831 (2022-2023) fait par Claude Malhuret au nom de la commission d'enquête du Sénat sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence, déposé le 4 juillet 2023.

* 67 Audition du 28 mai 2024

* 68 Audition du 18 juin 2024.

* 69 Islamic Republic of Iran Broadcasting.

* 70 Pierre Pahlavi, « L'Iran : stratégie asymétrique et diplomatie de masse » in Céline Marangé et Maud Quessard (dir.), op. cit., pp. 181-200.

* 71 L'islamisme peut être défini comme « le refus assumé de distinguer l'islam comme religion, l'islam comme culture et l'islam comme idéologie, ainsi que par le souci de soumettre l'espace social, voire l'espace politique, à un régime spécifique de règles religieuses promues et interprétées par des groupes spécialisés ». Source : Bernard Rougier (dir.), Les territoires conquis de l'islamisme, Presses universitaires de France, janvier 2020, p. 19.

* 72 Bernard Rougier (dir.), Les territoires conquis de l'islamisme, Presses universitaires de France, janvier 2020, pp. 19.

* 73 Florence Bergeaud-Blacker, Le frérisme et ses réseaux, l'enquête, Odile Jacob, janvier 2023, p. 90.

* 74 Audition du 4 avril 2024.

* 75 Audition du rapporteur, 3 juin 2024.

* 76 Il participe aux travaux relatifs à l'Index de la puissance globale des Frères musulmans menés par le laboratoire d'idées TRENDS, établi aux Émirats arabes unis.

* 77 CEDH, n° 5493/72, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni.

* 78 Julien Nocetti, Un Internet en morceaux ? Fragmentation d'Internet et stratégies de la Chine, la Russie, l'Inde et l'Union européenne, Institut français des relations internationales, février 2024.

* 79 Céline Marangé et Maud Quessard, « Le nouvel âge des guerres de l'information », in Les guerres de l'information à l'ère numérique, Presses universitaires de France, 2021.

* 80 Clint Watts, How Russia is trying to disrupt the 2024 Paris Olympic Games, Microsoft Threat Analysis Center, 2 juin 2024.

* 81 TFI info, «  La psychose autour des punaises de lit "amplifiée" par le Kremlin, selon le ministre Jean-Noël Barrot », 1er mars 2024, consulté le 30 juin 2024.

* 82 RFI, « Manipulation de l'information sur les JO 2024 à Paris, la piste de l'Azerbaïdjan », 14 novembre 2023, en ligne, consulté le 3 juillet 2024.

* 83 Décret n° 2021-922 du 13 juillet 2021 portant création, auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, d'un service à compétence nationale dénommé « service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères ».

* 84 Décret n° 2021-1587 du 7 décembre 2021 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dans le but d'identifier les ingérences numériques étrangères.

* 85 Audition du 29 février 2024.

* 86 Idem.

* 87 Pour Baku Initiative Group.

* 88 Audition du 28 mai 2024.

* 89 Mathurin Derel, « Nouvelle-Calédonie : un accord parlementaire avec l'Azerbaïdjan suscite l'incompréhension », Le Monde, 26 avril 2024, en ligne, consulté le 3 juillet 2024.

* 90 Europe 1, « Indopacifique : l'Azerbaïdjan a mené une opération de déstabilisation lors de la visite de Sébastien Lecornu en Nouvelle-Calédonie », 12 décembre 2023, en ligne, consulté le 3 juillet 2024.

* 91 Viginum, Sur X et Facebook, plusieurs manoeuvres informationnelles d'origine azerbaïdjanaise ciblent la France dans le contexte des émeutes en Nouvelle-Calédonie, fiche technique, 17 juin 2024.

* 92 Giuliano da Empoli, Le Mage du Kremlin, Gallimard, 2022.

* 93 Audition du 7 mars 2024.

* 94 Rapport de la commission « Les Lumières à l'ère Numérique », janvier 2022.

* 95 Audition du 7 mars 2024.

* 96 Laurent Cordonier, Information et santé. Analyse des croyances et comportements d'information des Français liés à leur niveau de connaissances en santé, au refus vaccinal et au renoncement médical, Fondation Descartes, novembre 2023.

* 97 Audition du 4 juin 2024.

* 98 Sondage Opinionway pour Sciences Po, Baromètre de la confiance politique - vague 15, janvier 2024.

* 99 Audition du 28 mars 2024.

* 100 Rapport public n° 1454 (seizième législature- Assemblée nationale) / n° 810 (2022-2023 - Sénat) fait par Sacha Houlié au nom de la délégation parlementaire au renseignement relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2022-2023, déposé le 29 juin 2023.

* 101 Rapport d'information n° 873 (2020-2021), fait par André Gattolin au nom de la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, déposé le 29 septembre 2021.

* 102 Commission européenne, Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne, communication de la Commission eu Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des région, 26 avril 2018.

* 103 Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janaina Herrera, « Les manipulations de l'information. Un défi pour nos démocraties », Rapport du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (Caps) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) du ministère des armées, Paris, août 2018.

* 104 Frédéric Charillon, « Chapitre IV. Les politiques d'influence », Maurice Vaïsse éd., Diplomatie française. Outils et acteurs depuis 1980, Odile Jacob, 2018, pp. 381-394.

* 105 Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Les Opérations d'influence chinoises. Un moment machiavélien », rapport de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem), Paris, ministère des armées, septembre 2021- rapport téléchargeable ici.

* 106 Romain Geoffroy et Dorian Jullien, « Lu Shaye, l'ambassadeur de Chine à Paris, un habitué des propos polémiques », Le Monde, 24 avril 2023 [consulté le 28 juin 2024], en ligne :

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/24/lu-shaye-l-ambassadeur-de-chine-a-paris-un-habitue-des-propos-polemiques_6170845_4355770.html

* 107 France 24, «  Quand l'ambassade de Chine se déchaîne contre un chercheur français », 22 mars 2021, en ligne, consulté le 1er juillet 2024.

* 108 RFI , « Comment la Russie a faussement annoncé la mort de « mercenaires » français en Ukraine », 26 janvier 2024, en ligne, consulté le 4 juillet 2024.

* 109 Audition du 4 juin 2024.

* 110 Audition du 7 mars 2024.

* 111 Vassili Mitrokhine, KGB Lexicon: The Soviet Intelligence Officer Handbook, 2002.

* 112 France Info, « Tags de "mains rouges" sur le Mémorial de la Shoah : les enquêteurs privilégient l'hypothèse d'une opération de déstabilisation venue de Russie », 21 mai 2024, en ligne, consulté le 3 juillet 2024.

* 113 Saint-Ouen et Saint-Denis en Seine-Saint-Denis, d'une part, Issy-les-Moulineaux, Fontenay-aux-Roses et Vanves dans les Hauts-de-Seine, d'autre part.

* 114 Maxime Tellier, « Étoiles de David taguées à Paris : l'opération était orchestrée par des réseaux russes », cellule investigation de Radio France », 26 janvier 2024.

* 115 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, Russie - Nouvelle ingérence numérique russe contre la France, 9 novembre 2023.

* 116 Audition du 7 mars 2024.

* 117 Reuters, Russia's RT America registers as `foreign agent' in U.S., 13 novembre 2017, consulté le 30 juin 2024.

* 118 Audition du 7 mars 2024.

* 119 Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janaina Herrera, « Les manipulations de l'information. Un défi pour nos démocraties », rapport du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (Caps) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) du ministère des armées, Paris, août 2018.

* 120 Audition du 6 juin 2024.

* 121 Idem.

* 122 Libération, CheckNews, « La chaîne chinoise CGTN a-t-elle inventé une journaliste française ? », 2 avril 2021, consulté le 30 juin 2024.

* 123 RSF, Le nouvel ordre mondial de l'information selon la Chine, 2019.

* 124 Maxime Audinet, Le lion, l'ours et les hyènes. Acteurs, pratiques et récits de l'influence informationnelle russe en Afrique subsaharienne francophone, Irsem, juillet 2021.

* 125 Département d'État, «  Comment le Kremlin propage une désinformation mortelle en Afrique », fiche d'information, 12 février 2024, consulté le 1er juillet 2024.

* 126 Audition du 13 juin 2024.

* 127 Audition du rapporteur, 24 juin 2024.

* 128 « AJ+ : derrière la modernité, le média d'influence du Qatar », La Revue des médias, 1er décembre 2020.

* 129 Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Les Opérations d'influence chinoises. Un moment machiavélien », rapport de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem), Paris, ministère des armées, septembre 2021 - rapport téléchargeable ici.

* 130 Amaelle Guiton, «  Manipulations de l'information : Les JO de Paris visés par une campagne d'influence en ligne liée à l'Azerbaïdjan », Libération, 14 novembre 2023, en ligne, consulté le 1er juillet 2024.

* 131 Damien Leloup, Thomas Eydoux, Lucas Minisini et Maxime Vaudano, « Pravfond, la discrète caisse noire des espions russes et de leurs procès à l'étranger », Le Monde, 2 juin 2024, en ligne, consulté le 8 juillet 2024.

* 132 Pour manipulation et ingérence étrangères de l'information.

* 133 SEAE, StratCom activity report - Strategic Communication Task Forces and Information Analysis Division, 2021.

* 134 Décret n° 2021-922 du 13 juillet 2021 portant création, auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, d'un service à compétence nationale dénommé « service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères ».

* 135 Conseil national du numérique, La Neutralité des plateformes, juin 2014.

* 136 Audition du 4 juin 2024.

* 137 Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janaina Herrera, « Les manipulations de l'information. Un défi pour nos démocraties », rapport du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (Caps) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) du ministère des armées, Paris, août 2018.

* 138 Colin Gérard, « Usines à trolls » russes : de l'association patriotique locale à l'entreprise globale, La revue des médias, 20 juin 2019.

* 139 Viginum, RRN : une campagne numérique de manipulation de l'information complexe et persistante, Rapport technique, 13 juin 2023.

* 140 En référence à une célèbre marque américaine de pelouse artificielle.

* 141 Audition du 14 mai 2024.

* 142 Viginum, RRN : une campagne numérique de manipulation de l'information complexe et persistante, Rapport technique, juin 2023.

* 143 Linh-Lan Dao, « Vrai ou faux Comment une fausse vidéo de France 24 diffusée en Russie a lancé la rumeur d'un risque d'assassinat d'Emmanuel Macron en Ukraine », France 24, 20 février 2024, en ligne, consulté le 5 juillet 2024.

* 144 Audition du 6 juin 2024.

* 145 Audition du 9 avril 2024.

* 146 OpenAI, Disrupting deceptive uses of AI by covert influence operations, 30 mai 2024, consulté le 29 juin 2024.

* 147 L'opération est également connue sous le nom de Dragonbridge, Spamouflage Dragon ou Storm 1376.

* 148 Audition du 7 mars 2024.

* 149 Mandiant, Pro-PRC DRAGONBRIDGE Influence Campaign Leverages New TTPs to Aggressively Target U.S. Interests, Including Midterm Elections, 26 octobre 2022.

* 150 SEAE, « 1st EEAS Report on Foreign Information Manipulation and Interference Threats », 7 février 2023.

* 151 Audition du 6 juin 2024.

* 152 Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janaina Herrera, « Les manipulations de l'information. Un défi pour nos démocraties », rapport du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (Caps) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) du ministère des armées, Paris, août 2018.

* 153 Rapport d'information n° 873 (2020-2021), fait par André Gattolin au nom de la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, déposé le 29 septembre 2021.

* 154 Audition par le rapporteur le 6 mai 2024.

* 155 Audition du 29 février 2024.

* 156 En référence à une citation apocryphe de Lénine désignant les intellectuels occidentaux favorables au régime soviétique.

* 157 Rapport n°1311 (seizième législature) fait par Constance Le Grip au nom de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères - États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées - visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des dirigeants ou des partis politiques français déposé le 1er juin 2023, Tome I.

* 158 Audition du 6 juin 2024.

* 159 Discours du Président de la République sur le thème de la lutte contre les séparatismes, 2 octobre 2020.

* 160 Rapport n° 757 (2015-2016) fait par Nathalie Goulet et André Reichardt au nom de la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'Islam en France et de ses lieux de culte, déposé le 5 juillet 2016.

* 161 Audition du rapporteur, 16 mai 2024.

* 162 Audition par le rapporteur le 24 juin 2024.

* 163 Frédéric Charillon, Guerres d'influence, « Chapitre 6. Rémunérer la croyance, ou le modèle golfique », Odile Jacob, 2022.

* 164 Audition de M. Étienne Apaire, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) le 4 avril 2024 (huis clos).

* 165 Pour Diyanet þleri Türk slam Birliði.

* 166 Rapport public n° 1454 (Assemblée nationale seizième législature)/ n° 810 - (Sénat 2022-2023) fait au nom de la délégation parlementaire au renseignement, relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2022-2023, déposé le 29 juin 2023.

* 167 Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

* 168 Audition par le rapport le 24 juin 2024.

* 169 Audition du 8 avril 2024.

* 170 Pour la loi relative à la corruption d'agents publics étrangers.

* 171 Pour la réglementation du trafic d'armes au niveau international.

* 172 Communiqué de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Affaire Jean-Baptiste Jeangène Vilmer / RT France : RT France perd son procès au tribunal et fait appel », Irsem, 15 juin 2022.

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