TRAVAUX DE LA MISSION D'INFORMATION
Audition de M. Pierre
Moscovici, Président du Haut conseil
des finances publiques et
Premier président de la Cour des
comptes
(Mardi 30 avril 2024)
- Présidence de M. Bruno Belin, vice-président -
M. Bruno Belin , président. - Nous entamons cet après-midi les auditions plénières de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.
Si nous recevons régulièrement M. Moscovici, tantôt en tant que Premier président de la Cour des comptes, tantôt en tant que Président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), nous lui avons demandé de venir aujourd'hui en ces deux qualités pour éclairer les débats de notre mission. Le sujet de la dégradation des finances publiques depuis 2023 le justifie, vu tout particulièrement sous l'angle du suivi de la situation budgétaire et financière par le Gouvernement, et de l'information, que nous trouvons actuellement insuffisante, du Parlement.
Cette mission d'information, monsieur le Premier président, a été ouverte à la suite de l'annonce par l'Insee d'un déficit public de 5,5 % du PIB en 2023, alors qu'il était prévu à 4,9 % dans la loi de finances de fin de gestion (LFFG) soumise au Parlement. De même, la loi de programmation des finances publiques (LPFP) s'est trouvée obsolète deux mois après sa promulgation.
Nous ne pouvons être que frappés par la rapidité de cette dégradation. À partir de quel moment la connaissance de cette dernière était-elle prévisible et identifiée, selon vous ? Pouvez-vous nous éclairer sur la méthode observée par le HCFP lors de la rédaction des avis qu'il fournit sur le projet de loi de finances (PLF), sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et sur le programme de stabilité ? En particulier, comment sont réalisées et suivies les prévisions macroéconomiques et celles des principaux agrégats des finances publiques ?
Je sais que nos préoccupations rejoignent les vôtres. Ainsi, la Cour des comptes alerte depuis plusieurs années sur les difficultés croissantes en matière de prévision des recettes fiscales par le Gouvernement, et vous l'appelez à mieux justifier les estimations dans les projets de loi de finances rectificative (PLFR). Cette difficulté récurrente à apprécier les recettes fiscales a été particulièrement aiguë à la fin de l'année 2023, notamment pour ce qui concerne la TVA et l'impôt sur les sociétés. Comment le Gouvernement devrait-il faire pour améliorer ses méthodes ? D'une manière générale, conviendrait-il de publier des prévisions de recettes en fourchettes dans l'exposé général des projets de loi de finances ?
Au-delà du budget de l'État, les prévisions faites par le Gouvernement et l'information du Parlement au sujet de la situation financière des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale présentent certainement des marges d'amélioration. Votre point de vue en la matière nous sera fort utile.
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques et Premier président de la Cour des comptes. - Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation. Je présenterai plusieurs travaux, qui s'appuient sur soixante et une notes d'analyse de l'exécution budgétaire ou fiscale, réalisés par la première chambre de la Cour des comptes, ainsi que des délibérations du Haut Conseil des finances publiques.
Je commencerai par nos analyses portant sur le budget de l'État. La loi organique relative aux lois de finances (Lolf) confie à la Cour le rôle essentiel d'éclairer l'examen de l'exécution budgétaire. Nous ne prenons pas cette responsabilité à la légère.
Le rapport sur le budget de l'État (RBDE) livre un constat sans appel. Lors de ma venue afin de présenter ce rapport public annuel, j'avais présenté l'année 2023 comme une année blanche en matière de réduction du déficit public. La chambre s'est interrogée : avons-nous été trop sévères ? En réalité, il s'agissait d'une année noire pour les finances de l'État !
En effet, le déficit budgétaire de l'État en 2023 est le deuxième le plus dégradé jamais enregistré. Il atteint presque le niveau record de l'année 2020, qui, pourtant, a été frappée de plein fouet par la crise sanitaire. Le déficit atteint 173 milliards d'euros en 2023, soit 21 milliards de plus qu'en 2022 et 9 milliards de plus qu'initialement prévu dans la loi de finances initiale pour 2023.
Si cette situation tient en premier lieu à une loi de finances initiale peu ambitieuse - nous l'avions souligné -, elle est aggravée par des facteurs multiples.
D'abord, sur les dépenses, le constat est clair et décevant : nous n'avons pas profité du reflux des dépenses exceptionnelles de crise et de relance pour diminuer les dépenses de l'État et pour réduire le déficit.
Après avoir augmenté de 110 milliards d'euros entre 2019 et 2022, les dépenses du budget général de l'État auraient dû logiquement diminuer. Il est vrai qu'un reflux des dépenses exceptionnelles, liées à l'urgence sanitaire et à la relance, a eu lieu, de l'ordre de 28 milliards d'euros. Néanmoins, cette baisse a été plus que compensée par la hausse des autres dépenses, lesquelles se chiffrent à 29,4 milliards d'euros. Les dépenses totales de l'État ont ainsi atteint 454,6 milliards d'euros en 2023, soit 1,9 milliard d'euros de plus qu'en 2022.
Toutes les composantes de la dépense de l'État ont progressé en 2023. Les mesures nouvelles, afin de prolonger les dispositifs de soutien face à la hausse des prix de l'énergie, ont représenté près de 15 milliards d'euros. La croissance des dépenses de l'État est aussi due à la hausse continue de ses dépenses ordinaires. La Cour estime leur progression à 14,5 milliards d'euros en 2023, contre moins de 2 milliards d'euros en 2022. Cette progression est notamment due à la hausse de 3,2 milliards d'euros de la charge de la dette, de 6 milliards d'euros de la masse salariale, après l'augmentation de la valeur du point d'indice en 2022 et en 2023, et à une hausse significative des effectifs de l'État, représentant 8 991 équivalents temps plein (ETP).
De surcroît, les reports atteignent des niveaux inédits depuis quatre ans et ne sont toujours pas en voie de normalisation : 16 milliards d'euros de crédits de 2023 ont à nouveau été reportés sur 2024.
Ces augmentations et ces reports étaient tous prévus et autorisés au travers de la loi de finances et de la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027. Le constat est d'ailleurs singulier, à l'aube d'une trajectoire exigeante qui est supposée ramener le déficit public sous les 3 % du PIB. C'est la raison pour laquelle j'ai qualifié cette loi de finances initiale de peu ambitieuse, ce qui se vérifie en exécution.
Pour le dire simplement, la quasi-stabilité des dépenses de l'État, entre 2022 et 2023, malgré le reflux des dispositifs de sortie de crise et du « quoi qu'il en coûte », retarde encore la maîtrise des dépenses. Nous constatons que les revues de dépenses qui ont été engagées n'ont pas vraiment modifié la donne.
S'agissant des recettes de l'État, elles baissent en 2023 après deux années très dynamiques. Cette mauvaise surprise ne fait qu'aggraver le déficit.
En 2023, les recettes nettes du budget général ont diminué de 8,2 milliards d'euros par rapport à 2022 et se sont avérées inférieures de 7,4 milliards d'euros à la prévision de la loi de finances initiale. La diminution provient surtout de la baisse marquée des recettes fiscales, soit 7,4 milliards d'euros, et de l'augmentation des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales de 1,3 milliard d'euros.
Cette diminution en valeur est une véritable singularité alors même que l'année 2023 a été une année de croissance, bien que modeste. Les retournements de conjoncture ont beaucoup été mis en avant. Celle-ci n'est pas extraordinaire, mais la prévision de croissance a été correcte, puisqu'elle s'établissait à 1 %. Ce n'est pas de ce côté-là que provient le dérapage.
Le phénomène s'explique au moins en partie par les transferts de TVA, dont l'État n'est plus qu'un attributaire minoritaire. Je me souviens être venu devant cette commission présenter le rapport intitulé La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), un impôt à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques, qui soulignait cet effet négatif. En 2023, l'État a transféré 10,5 milliards d'euros de TVA supplémentaires dans le cadre de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En pratique, les recettes de l'État sont plus volatiles et moins corrélées à la croissance économique. Plus généralement, le rendement de tous les grands impôts est en baisse.
Comment expliquer la mauvaise surprise de 2023 sur les recettes fiscales de l'État ? Plusieurs événements postérieurs à la loi de finances de fin de gestion expliquent cet écart inhabituel de près de 8 milliards d'euros. Une partie d'entre eux relève d'évolutions difficilement prévisibles, mais une autre aurait pu être anticipée au cours des débats parlementaires de novembre.
En particulier, les revenus du prélèvement sur les superprofits - je ne sais pas s'il faut les appeler ainsi... - des producteurs d'électricité étaient estimés à 12,3 milliards d'euros en loi de finances initiale. Ce montant a été réduit à moins de 3 milliards d'euros dans la loi de finances de fin de gestion, et il n'a finalement représenté que 0,6 milliard d'euros. Était-ce totalement imprévisible ? Dès lors que vous indexez une taxe ou une contribution sur l'inflation et que votre politique conduit, par ailleurs, à la désinflation, il n'est pas absurde que le rendement diminue, induisant une incohérence avec les hypothèses qui figuraient dans le projet.
Je suis, comme vous, attaché à ce que soient pleinement établies les raisons à l'origine d'un tel écart. L'administration l'explique par la baisse des prix de l'électricité tout au long de l'année 2023 alors que cette imposition exceptionnelle avait été conçue et estimée fin 2022 lorsque les prix étaient au plus haut. Des analyses complémentaires sont en cours pour apprécier si d'autres facteurs ont pu jouer.
Ces évolutions négatives sur le volet des recettes comme sur celui des dépenses ont contribué à accroître le besoin de financement et la dette de l'État, qui atteignent des niveaux très préoccupants.
En comptabilité budgétaire, le besoin de financement de l'État atteint le niveau historique de 314,6 milliards d'euros, quasiment le montant des recettes fiscales de l'État. Le corollaire est l'augmentation continue de l'encours de la dette : celui-ci est en hausse de 6,5 % sur l'exercice 2023.
En comptabilité budgétaire, la charge de la dette a, elle aussi, continué d'augmenter de manière soutenue après la brusque accélération de 2022. Après 50,7 milliards d'euros en 2022, elle s'est élevée à près de 54 milliards d'euros en 2023, soit désormais l'équivalent du budget du ministère des armées. Cette tendance est inquiétante, surtout dans un contexte où les taux d'intérêt ont augmenté - même s'ils devraient se tasser - et où les projections indiquent une progression continue de cette charge.
Si l'on suit le scénario central d'évolution des taux de la loi de programmation des finances publiques 2023-2027, une hausse de la charge en intérêts de 9,5 milliards d'euros est en effet prévue en 2024, et près de 36 milliards d'euros à l'horizon 2027.
À l'issue de cette année 2023, j'aimerais partager avec vous un message d'alerte et de vigilance. L'absence de réformes et d'économies structurelles en 2023 pèsera fortement sur la trajectoire de retour du déficit à un niveau soutenable. Alors que se pose la question du financement des investissements nécessaires à la croissance et à la transition écologique et énergétique, la situation financière de l'État ne sera maintenue qu'au prix d'efforts considérables sur d'autres dépenses.
Je l'ai dit et je le répète, ces efforts sont difficiles, mais ils sont encore possibles et ils ne sont contradictoires en soi ni avec une politique de croissance, ni avec le maintien du modèle social français, ni avec les exigences de la transition écologique, s'ils portent sur des dépenses peu efficaces, que je qualifierais de faible qualité. Nous sommes invités collectivement à réfléchir à cette question.
Dans son rapport intitulé La situation et les perspectives des finances publiques, la Cour a proposé l'an dernier une sorte de mode d'emploi pour passer au tamis de la qualité les dépenses publiques. Je pense qu'il faut aller plus loin en ce sens. Nous y ferons écho au travers de trois revues de dépenses que nous préparons actuellement d'arrache-pied sur les collectivités territoriales, sur l'assurance maladie et sur les dispositifs de sortie de crise.
Concernant l'acte de certification des comptes de l'État pour 2023, la Cour des comptes a émis une opinion « avec réserves ». Deux réserves d'importance ont été levées. Toutefois, une nouvelle réserve est considérée comme une anomalie significative ; je veux parler de l'absence de mention, parmi les engagements donnés par l'État, de la garantie du remboursement de l'emprunt émis par l'Union européenne pour financer le plan de relance commun. Cet engagement, qui représenterait, le cas échéant, un accroissement de celui qui a été pris au titre du cadre financier pluriannuel du budget de l'Union, peut être évalué à hauteur de 75 milliards d'euros.
Au total, si les comptes de l'État sont utiles, riches en informations et représentent un grand progrès par rapport à la situation prévalant avant 2006, il reste un peu de chemin à parcourir avant qu'ils puissent être certifiés « sans réserve ».
Je tiens à attirer votre attention sur un point qui peut paraître technique, mais qui a toute son importance. Lorsque le Gouvernement communique sur les comptes de l'État, nous nous étonnons qu'il ne mentionne pas systématiquement les réserves, récurrentes, de la Cour. Ce constat soulève la question de la transparence et de la lisibilité de la situation financière de l'État. Quelle entreprise - je sais que certains d'entre vous ont travaillé dans le privé - pourrait présenter, comme l'État, des comptes faisant durablement figurer des anomalies ou des réserves sans signaler cette situation aux utilisateurs de ces états financiers, ne faisant pas figurer les avis des commissaires aux comptes ? Cela ne me paraît pas normal.
Je prends ma casquette de président du Haut Conseil des finances publiques pour vous présenter de manière plus détaillée les deux avis que nous avons rendus la semaine dernière, conformément aux dispositions prévues par la loi organique : un avis relatif au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023 et un avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2024 à 2027.
L'avis relatif au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023, ou plus simplement projet de loi de règlement, porte sur le solde structurel de l'ensemble des administrations publiques, c'est-à-dire sur un champ qui comprend non seulement l'État, mais aussi ses opérateurs, les administrations de sécurité sociale, les collectivités territoriales et leurs opérateurs. Par ce texte, le HCFP doit juger si l'écart entre le solde structurel réalisé et celui de la loi de programmation des finances publiques est « important », au sens de la loi organique. S'il venait à le constater, le mécanisme de correction prévu par le traité sur la stabilité, la coordination et gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG) serait automatiquement déclenché. Le Gouvernement devrait alors en tenir compte, au plus tard dans le prochain projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour présenter les mesures de correction envisagées.
Les résultats présentés par l'Insee à la fin du mois de mars dernier font état d'un déficit public plus élevé que prévu dans la LPFP de 0,6 point de PIB. Il s'est établi à 5,5 points de PIB, alors qu'il était prévu à 4,9. Cette différence se traduit par un écart de 0,5 point de PIB sur le solde structurel, qui est le seuil de déclenchement du mécanisme de correction. De fait, la croissance a été un peu moins forte que prévu : 0,9 % au lieu de 1 %. Une petite partie de l'écart, soit 0,1 point de PIB, est de nature conjoncturelle.
Pour juger si cet écart est important, le Haut Conseil doit tenir compte des circonstances exceptionnelles de nature à justifier les écarts constatés. Après débat, il a considéré que la clause de circonstances exceptionnelles qui avait été mise en oeuvre en 2020 ne s'appliquait plus puisque les conditions d'exercice de l'activité économique, qui avait fortement pâti en 2020 et en 2021 de la crise sanitaire puis énergétique, se sont depuis nettement améliorées. En 2023, l'activité a continué de croître tandis que l'inflation a reculé.
Le Haut Conseil a voulu vérifier si l'écart de 0,5 point de PIB était « important » au sens prévu par la loi organique. Au final, il ne l'est pas en raison d'une réserve méthodologique due au passage de l'ensemble des données des comptes nationaux de la base dite 2014 à la base 2020, qui représentait une différence de 0,14 point. L'écart étant ainsi ramené à 0,36 point de PIB, il n'est pas « important » au sens de l'article 62 de la loi organique et ne relève donc pas du mécanisme de correction. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il n'est pas significatif. Cette dérive contribue à accroître la divergence des finances publiques européennes, plaçant la France dans une situation préoccupante - j'emploie de nouveau cet adjectif ! - par rapport à nos principaux partenaires.
Conserver durablement un déficit élevé n'est pas sans conséquence, puisque cela ne permet pas de réduire notre ratio de dette publique, déjà parmi les plus élevés en Europe. Je l'ai déjà dit devant vous, le désendettement est impératif pour que la France retrouve des marges de manoeuvre et puisse faire face à d'éventuels chocs macroéconomiques, sans compter les investissements nécessaires en faveur de la transition écologique. La trajectoire des finances publiques de la loi de programmation, que le Haut Conseil avait jugée optimiste quand elle lui avait été soumise pour avis, est d'ores et déjà remise en cause - seulement quatre mois après sa promulgation !
Comment en est-on arrivé à de tels écarts, me demanderez-vous certainement à l'issue de mon propos ? Comme je l'ai évoqué précédemment, certaines mauvaises surprises, notamment en matière fiscale, étaient difficiles à prévoir ; d'autres doivent impérativement être expliquées.
L'expérience de l'année 2023 nous prouve surtout une chose : nous avons besoin - j'y insiste - d'échanges plus nourris et d'une communication plus transparente avec les administrations. Nous leur rappellerons qu'elles doivent communiquer à la Cour et au Haut Conseil les informations, les estimations, les notes ou les prévisions dont elles disposent, ce qui n'a pas été le cas à la fin de l'année 2023. Il ne s'agit pas de les « prendre au piège » : c'est une question de transparence - et même de bonne information -, nécessaire pour que chacun joue son rôle à sa place. La Cour des comptes a besoin de ces documents afin d'exercer sa mission constitutionnelle de vigie des finances publiques, à équidistance entre le Gouvernement et le Parlement.
Quoi qu'il en soit, la trajectoire des finances publiques tracée par la LPFP était déjà à revoir en ce début d'année ; ce constat m'amène au contenu de l'avis du Haut Conseil sur le programme de stabilité 2024-2027.
Le Haut Conseil a été saisi, comme les années antérieures, d'un nouveau programme de stabilité pour les années 2024 à 2027, qui sera vraisemblablement le dernier. En effet, la nouvelle réforme de la gouvernance économique, qui entre en vigueur après le vote du Parlement européen la semaine dernière, remplacera les programmes de stabilité par des plans dits budgétaires et structurels de moyen terme fixés pour au moins quatre ans, déterminant une trajectoire non plus de solde public, mais d'évolution de la dépense publique. Il s'agit, selon moi, d'un changement plutôt positif.
Désormais approuvé, le projet de réforme des règles européennes prévoit une saisine obligatoire des institutions budgétaires indépendantes, comme le HCFP, sur les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes à la définition de l'objectif de dépenses publiques, mais seulement huit ans après que les règles seront rentrées en vigueur : autrement dit, le débat aurait lieu au début et à la fin. Rien n'interdit toutefois d'introduire cette obligation dès la transposition de ces règles en droit français et de prévoir une saisine annuelle du HCFP sur ces programmes. Pour vous le dire franchement et nettement, cela me semble nécessaire afin de pouvoir continuer à éclairer au mieux le Parlement et le citoyen sur les perspectives de nos finances publiques par une analyse impartiale, objective et pluraliste.
Si vous estimez - il me semble que tel est le cas - que le travail du HCFP est utile à l'information du Parlement et du citoyen, il me paraîtrait alors logique de modifier la loi organique afin de graver dans le marbre le rôle de notre institution budgétaire indépendante, pour pouvoir suivre annuellement la mise en oeuvre de ce programme. Dans le cas contraire, ce rendez-vous disparaîtrait, ainsi qu'une appréciation de moyen terme des évolutions à l'oeuvre. Je souligne ce point avec force : je ne dirais pas que nous jouons dans le même camp, car nous ne sommes pas opposés à un autre camp, mais nous contribuons à votre information.
Il me paraîtrait paradoxal qu'une approche plus « nationale » de la situation budgétaire des États membres de l'Union européenne se traduise par un recul du rôle de leurs institutions budgétaires indépendantes !
À la suite des nombreuses alertes sur nos finances publiques depuis le début de l'année 2024, le Gouvernement s'est doté d'une nouvelle trajectoire, profondément modifiée. Notre avis sur le programme de stabilité 2024-2027 s'articule autour de deux grands messages.
Tout d'abord, les hypothèses présentées par le Gouvernement sont trop optimistes, comme nous vous en avions déjà fait part lors de notre avis l'an passé.
Revenons rapidement sur la trajectoire de la LPFP, promulguée en fin d'année dernière : lorsqu'il avait eu à donner son avis sur le projet de LPFP, le Haut Conseil avait estimé que le scénario de croissance du Gouvernement était optimiste. Il avait relevé que la trajectoire des finances publiques était peu ambitieuse au regard des engagements européens de la France, alors même qu'elle supposait déjà la réalisation d'importantes économies structurelles, qui restaient à préciser.
De fait, le Gouvernement prend acte, dès ce programme de stabilité, que la trajectoire de la LPFP a été construite sur des hypothèses trop optimistes et doit déjà être fortement modifiée. Ainsi, le Gouvernement a d'ores et déjà dû corriger à la baisse - de 0,8 point - sa trajectoire de croissance sur la période 2023-2025 dans le programme de stabilité, et il a eu raison de le faire. La croissance a été de 0,9 % en 2023, contre 1 % prévu en LPFP ; les hypothèses sous-jacentes à la trajectoire de la LPFP, optimistes sur les comportements de dépense des ménages et des entreprises, sont remises en cause par des tendances récentes : l'investissement des ménages et des entreprises continue notamment de pâtir du durcissement passé des conditions de financement, entraîné par celui de la politique monétaire opérée par la Banque centrale européenne (BCE).
Le Gouvernement a ainsi dû réviser à 1 % sa prévision de croissance pour 2024, soit 0,4 point de moins que sa prévision précédente, et à 1,4 % sa prévision pour 2025, soit 0,3 point de moins que précédemment. Notons toutefois que la prévision de 1 % pour 2024 demeure encore supérieure au consensus des économistes, ou par exemple à la prévision de croissance pour la France présentée par le Fonds monétaire international (FMI), qui n'est pourtant pas pessimiste d'ordinaire. Pour être tout à fait exhaustif, l'Insee a publié ce matin des comptes trimestriels laissant entendre qu'un taux de croissance de 1 % était certes optimiste, mais pas hors d'atteinte.
Le scénario macroéconomique à l'horizon 2027 reste pour sa part optimiste, car il suppose un fort rebond du commerce mondial qui n'est pas acquis dans un contexte d'obstacles croissants aux échanges internationaux. Ayons également en tête certaines échéances géopolitiques, dont des élections qui pourraient renforcer les tendances protectionnistes, ainsi qu'une forte baisse du taux d'épargne des ménages qui n'est pas impossible, mais qui n'est pas pour autant très probable. L'évaluation de PIB potentiel associé, c'est-à-dire le niveau d'activité que l'on peut atteindre en l'absence de chocs - qu'ils soient favorables ou défavorables -, n'a été révisée qu'à la marge et reste donc avantageuse.
Malgré un scénario de croissance qui reste favorable, il en résulte que l'écart de production, c'est-à-dire la part du PIB de nature conjoncturelle qui est appelée à se résorber avec le retour à une conjoncture normale, reste négatif jusqu'en 2027 dans le projet de programme de stabilité : il s'agit là d'une configuration qui ne s'observe jamais dans les évaluations ex post de l'écart de production. Cela conforte le diagnostic du Haut Conseil selon lequel la trajectoire de PIB potentiel retenue dans la prévision du Gouvernement est surévaluée.
La trajectoire de finances publiques, elle aussi, a dû être révisée de manière substantielle. Elle est nettement plus dégradée que dans la LPFP : dès 2023, première année de la trajectoire de ladite loi, le déficit public observé est plus élevé de 0,6 point que prévu. Le résultat sur la dette publique, soit 110,6 points de PIB, est lui aussi plus élevé, de 0,9 point de PIB prévu dans la LPFP.
C'est également le cas en 2024, le déficit public étant prévu en hausse de 0,7 point par rapport à la LPFP pour atteindre 5,1 points de PIB. Le ratio de dette atteindrait 112,3 points de PIB en 2024, soit une augmentation de 2,6 points par rapport à la LPFP. En particulier, la prévision de prélèvements obligatoires, que le Haut Conseil avait déjà jugée optimiste, a dû être révisée à la baisse de plus de 25 milliards d'euros en 2024.
La cible de déficit public a également été relevée de 2,7 points de PIB à 2,9 points de PIB, même si le Gouvernement maintient l'objectif d'un retour sous 3 points de PIB à cet horizon. Cette trajectoire conduirait elle-même à une augmentation du ratio de dette à 112 points de PIB en 2027, ce qui signifierait que la France viendrait s'installer durablement sur le podium des trois pays les plus endettés de la zone euro, avec la Grèce et l'Italie, la dette grecque devant d'ailleurs diminuer très significativement.
J'en viens au second message de cet avis, qui me paraît être le plus important : même révisé par rapport à une loi de programmation trop optimiste, le scénario du programme de stabilité manque de crédibilité et de cohérence.
La nouvelle trajectoire de finances publiques est nettement plus dégradée que dans la LPFP : dès 2023, le point de départ s'éloigne de ce qui était inscrit dans cette loi, puisque le déficit public a atteint 5,5 points du PIB et non pas 4,9 points de PIB. Le déficit public est donc très élevé et est prévu, pour 2024, à 5,1 points de PIB, en hausse de 0,7 point par rapport à la trajectoire initiale, alors que l'horizon de temps se réduit. Pour le dire de manière imagée, la pente permettant de passer de 4,9 points de PIB à 2,7 points de PIB en l'espace de quatre ans était déjà escarpée : celle qui permettrait de passer de 5,1 points de PIB à 2,9 points de PIB en trois ans devient très raide !
Par ailleurs, le maintien d'un objectif de déficit public en dessous de 3 points de PIB en 2027 suppose un ajustement structurel primaire - c'est-à-dire hors charge d'intérêts - massif entre 2023 et 2027, à hauteur de 3,2 points de PIB sur quatre ans. Cet effort, totalement inédit, s'appuierait quasi exclusivement sur un effort d'économie en dépenses dans la mesure où rien n'est prévu en matière de prélèvements obligatoires.
Le Haut Conseil considère que cette prévision manque de crédibilité : un tel effort en dépenses n'a jamais été réalisé par le passé, sa documentation reste à ce stade lacunaire et sa réalisation suppose la mise en place d'une gouvernance rigoureuse associant l'ensemble des acteurs concernés qui n'est pas aujourd'hui totalement en place. Le Gouvernement indique qu'il s'appuiera sur les revues de dépenses engagées jusqu'alors, mais cela suppose un puissant coup d'accélérateur.
Le Haut Conseil considère aussi que cette prévision manque aussi de cohérence : la mise en oeuvre de l'ajustement structurel prévu ne manquerait pas de peser, à court terme, sur l'activité économique. En effet, on ne réduit pas la dépense publique aussi massivement et sur plusieurs années sans effet sur la croissance économique. Les prévisions de croissance élevées du Gouvernement - 1,7 % en 2026, 1,8 % pour 2027 - ne pourraient donc être atteintes que sous des hypothèses très favorables et fort peu probables.
Dans cette situation, il est possible soit de maintenir la prévision de croissance, sans atteindre de facto l'objectif d'un déficit public de 2,9 points du PIB ; soit de chercher à atteindre à tout prix ce dernier, mais avec alors une croissance et des recettes réduites, ce qui supposerait de réaliser encore plus d'économies que celles, pourtant inédites, qui sont prévues.
Un scénario cohérent supposerait donc de changer soit la prévision macroéconomique, soit la prévision de finances publiques. Mesdames et messieurs les sénateurs, je serai clair : si nous souhaitons rétablir des finances publiques saines, il faut avoir un discours de vérité et faire des choix. Nous ne pouvons pas, en effet, annoncer un tel ajustement structurel sans que celui-ci repose sur des hypothèses robustes.
Laissez-moi, pour conclure, vous préciser que le Haut Conseil n'est pas neutre et qu'il juge toujours indispensable la réduction du déficit public et du ratio de dette. Certes, cette réduction sera difficile, encore plus que ce qu'on pouvait penser quelques mois plus tôt, car nous avons tardé à maîtriser nos dépenses. La réduction du déficit public n'en est pas moins nécessaire et doit s'appuyer sur une stratégie articulée et crédible de réduction du poids de la dépense publique dans le PIB, ainsi que sur un réexamen des baisses prévues de prélèvements obligatoires. En clair, s'il n'est jamais interdit de décider de telles baisses, elles doivent être compensées par des économies supplémentaires en dépenses.
Voici les messages que je souhaitais porter devant vous avant de répondre à vos questions.
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
M. Claude Raynal, président. - Merci pour ces éléments communiqués au titre de votre double responsabilité. Vous avez évoqué une éventuelle modification de la loi organique relative aux lois de finances à la suite de la révision des règles européennes : le rapporteur général se rappelle également que nous avions préconisé d'attendre ces nouvelles règles pour modifier la Lolf. Telle n'a pas été l'option retenue, hélas !, alors qu'un peu de patience aurait permis d'intégrer ces évolutions dans la loi organique dès le départ.
En outre, vous avez fait référence à la transparence dont doit faire preuve le Gouvernement et à la nécessité qu'il transmette toute note d'alerte utile : nous portons la même demande et nous ne goûtons pas le fait qu'il nous faille attendre les journaux pour obtenir les informations requises. Tout cela est très désagréable et a conduit le rapporteur général, à juste titre, à faire usage des pouvoirs qui lui sont conférés par la Lolf afin d'aller chercher les éléments d'appréciation que nous n'avions pas eus en temps et en heure.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre présence ici, monsieur le Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil, tire son origine d'un jour de printemps. Notre mission d'information, qui porte sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, a en effet été lancée à la suite de la parution, le 20 mars, d'un article de presse faisant état d'un fort décalage entre les prévisions de déficit public et la réalité.
Mon sang n'a alors fait qu'un tour, car on nous avait expliqué, depuis des mois, que les comptes étaient tenus et qu'il n'existait aucune difficulté, jusqu'à ce que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique annonce, le 18 février, en plein coeur des vacances de la région parisienne et à peine le projet de loi de finances pour 2024 adopté dans les conditions que l'on connaît, une première vague de coupes claires de 10 milliards d'euros, exactement deux mois après la promulgation de la LPFP.
L'enchaînement des événements et l'effet de surprise ont fait naître le sentiment d'avoir été soit contournés, soit mal informés. Or, il importe, dans une démocratie qui fonctionne correctement, que chacun soit respecté, qu'il exerce le pouvoir ou qu'il se trouve dans l'opposition ou la minorité, d'autant que la France est dotée de dispositifs de contrôle et d'évaluation. Je rappelle que le contrôle et l'évaluation de la dépense représentent une mission essentielle du Parlement, mais encore faut-il que celui-ci puisse s'appuyer sur les données adéquates.
Le Gouvernement vous transmet-il ses notes de service relatives à la situation économique et budgétaire, en sus des documents destinés à être rendus officiels ? Y a-t-il eu des carences dans les informations que vous auriez dû obtenir ? Le Gouvernement a, je pense, soit omis, soit choisi de ne pas vous rendre destinataire de certaines données : est-ce le cas pour certains types de documents et depuis quand ? Comment expliquez-vous ces décisions ?
Par ailleurs, quel est votre avis sur l'écart de déficit de 0,6 point de PIB - l'équivalent de 15 à 18 milliards d'euros - entre le PLF adopté par Parlement en décembre et la réalité constatée soixante jours après ? De votre point de vue, le Gouvernement aurait-il pu éviter ce décalage ? J'ai cru comprendre que le Haut Conseil s'était trouvé dans la même situation de manque d'informations que le Parlement : confirmez-vous ce point ?
M. Pierre Moscovici. - S'il ne m'appartient pas de choisir le moment pour modifier la Lolf, il me semble que le maintien de notre rendez-vous présente un intérêt, tant pour le débat public que pour le Parlement. En vertu des nouvelles règles, il serait biffé d'un trait de plume, ce qui ne pourrait qu'accroître le déficit d'information du Parlement : un point annuel consacré au suivi du plan budgétaire et structurel de moyen terme paraît sain et plus adapté qu'un débat tous les huit ans, qui laisserait subsister une « boîte noire » dans l'intervalle.
Concernant nos méthodes, le HCFP, avant la saisine officielle, envoie des questionnaires et des fichiers Excel à l'administration afin de disposer d'éléments chiffrés et explicatifs sur la prévision à venir. En règle générale, la réponse est transmise avec la saisine par le Gouvernement.
En amont de la saisine, nous auditionnons également les principaux prévisionnistes français, à savoir l'Insee, la Banque de France, Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ce qui nous permet à la fois de connaître leurs prévisions, parfois avant qu'elles ne soient publiées, et surtout de disposer d'analyses de fond sur les questions du moment.
Après la saisine, nous auditionnons les administrations qui nous présentent le scénario macroéconomique et des finances publiques, en apportant des précisions sur certains points et en fournissant des informations manquantes. Le HCFP analyse ensuite les prévisions en les comparant avec les autres prévisions disponibles, qu'il s'agisse de celles de ses membres, des instituts auditionnés, des organisations internationales ou encore du consensus des économistes.
L'analyse des dernières informations conjoncturelles et leur confrontation avec les prévisions gouvernementales nourrissent notre réflexion : c'est ainsi que nous avons jugé optimiste la prévision de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans le PLF pour 2024, tout comme la prévision de prélèvements sociaux pour 2023. Nous mobilisons, en outre, des outils de prévision - notamment sur les prélèvements obligatoires - à titre de garde-fous, ce qui nous a conduits à juger la prévision de TVA pour 2024 élevée.
Enfin, l'analyse du réalisme et de la cohérence intrinsèque des prévisions s'appuie sur l'expertise et l'expérience des membres du HCFP. Je rappelle qu'il s'agit d'une instance pluraliste, composée de cinq personnalités qualifiées nommées par les présidents des deux assemblées, de quatre membres de la Cour des comptes et du directeur général de l'Insee. Les travaux sont toujours menés par consensus, avec, je tiens à le signaler, un secrétariat de taille bien plus réduite que dans les autres pays de l'Union européenne.
Nous disposons, au-delà des données publiques, de nombreux éléments d'information, dont des données d'exécution internes de Bercy, les encaissements mensuels des principaux impôts et les comptes mensuels des collectivités locales. S'y ajoutent des prévisions macroéconomiques relativement détaillées, des données des comptes des administrations publiques, sans oublier les réponses aux questionnaires envoyées en amont de la saisine. Sur ce point, nous sommes parfois amenés à formuler des demandes complémentaires, avec des fortunes diverses.
Je tiens à souligner, premièrement, que le HCFP ne dispose pas toujours de l'information nécessaire : les réponses aux questionnaires sont parfois imprécises, tandis que le Gouvernement ne nous fournit pas certaines données sur les comptes des administrations publiques, l'administration invoquant systématiquement des difficultés techniques. C'est pourquoi le Haut Conseil a adressé, en juillet 2023, une lettre au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances et au ministre délégué chargé des comptes publics, en renouvelant la demande d'enrichissement de l'information transmise. Nous pourrons naturellement vous communiquer ce document, à la suite duquel des progrès ont été constatés : j'espère que d'autres seront possibles à l'avenir.
Deuxièmement, nous manquons de temps ! Le délai d'une semaine entre la saisine et la transmission de l'avis au secrétariat général du Gouvernement (SGG) n'existe pas pour tous les textes, par exemple pour le programme de stabilité : déjà très court, il devrait être imposé systématiquement et étendu à quinze jours pour le PLF et la LPFP. En l'occurrence, nous n'avons même eu que cinq jours pour rendre l'avis sur le programme de stabilité, afin de ne pas placer le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL) devant le fait accompli. Ce délai est presque toujours respecté, même lorsque la loi organique ne l'impose pas, mais quand il ne l'est pas, notre travail devient extrêmement malaisé : une partie des informations demandées au sujet du programme de stabilité nous est ainsi parvenue moins de quatre jours ouvrés avant la transmission au SGG.
J'ajoute que les seules informations dont dispose le HCFP sur les prévisions de croissance et de déficit sont celles qui lui sont transmises par le SGG à l'occasion des saisines, et que nous n'avons pas accès à d'autres données. L'ensemble de ces éléments nous permet de travail en flux tendu et de produire des avis qui sont selon moi de grande qualité, malgré des informations incomplètes. De surcroît, nous ne parvenons pas à exploiter toutes les données disponibles, faute de temps, ce qui n'est pas une situation satisfaisante. C'est pour ces raisons que j'ai exprimé cette demande de transparence accrue, que vous portez également.
M. Antoine Lefèvre. - Dans son avis rendu le 16 avril, le HCFP note la prise en compte par le Gouvernement de la dégradation financière par rapport à la trajectoire prévue dans la LPFP, mais considère cependant que les hypothèses de croissance du Gouvernement sont encore avantageuses.
J'ai noté bien entendu votre proposition tendant à faire passer les dépenses publiques à travers un tamis qualitatif : quels seraient, selon vous, les principaux postes d'économies à privilégier afin de garantir un retour du déficit sous la barre des 3 points de PIB à l'horizon 2027, si tant est que cet objectif soit pleinement réalisable au regard de l'évolution de la charge de la dette et de la situation de notre balance commerciale ?
Par ailleurs, le ministre de l'économie a déclaré : « Je veux comprendre pourquoi il y a eu cet accident de 20 milliards d'euros sur l'évaluation des recettes ; en revanche, la dépense publique a été parfaitement exécutée. » Le terme « accident » ne fait pas oublier l'impact significatif de cette somme et ne semble pas approprié pour rendre compte du dérapage budgétaire de l'année 2023 : diriez-vous, comme le ministre, que la dépense publique a été parfaitement exécutée ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Monsieur le Premier président, je ne vous cacherai pas que la séquence à laquelle nous venons d'assister est proprement surréaliste. Nous venons d'entendre - j'allais dire supporter - pendant deux heures, en séance publique, le ministre de l'économie et des finances et le ministre délégué chargé des comptes publics nous expliquer, la main sur le coeur, que tout va bien et que la volonté suffira ; à l'instant, vous nous adressez ici un message d'alerte et de vigilance en soulignant le besoin de réformes structurelles, en vous interrogeant sur la qualité de la dépense publique et en soulevant un problème de transparence.
Nous partageons pleinement votre perception, totalement inverse à celle du Gouvernement. En effet, ce dernier, même s'il procède de manière très policée, ne tient aucunement compte des avis émis par les structures éminemment importantes que vous présidez. Parallèlement, ce même gouvernement contourne le Parlement, avec l'aval du président de la République. Dans une démocratie qui reste vivante - même si on peut parfois en douter -, quel avenir voyez-vous pour le traitement des finances publiques ? Si nos concitoyens vivaient la même séquence que celle que nous venons de traverser, je pense que nous serions tous en grand danger.
Enfin, pensez-vous que le point de PIB soit encore l'unité adéquate pour mesurer les déficits ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je me réjouis que la Cour ait souligné, dans le cadre de la nouvelle réserve liée au processus de certification, l'absence de mention - au titre des engagements hors bilan du pays - des engagements pris dans le cadre du remboursement de l'emprunt émis par l'Union européenne au travers du plan de relance Next Generation EU, engagements qui s'élèvent à 75 milliards d'euros, soit environ la moitié du déficit annuel.
Dans un contexte où l'identification par l'Union européenne de ressources propres suffisantes paraît problématique et où la trajectoire du programme de stabilité semble assez peu crédible, il serait bon de faire savoir qu'il faudra rembourser ces 75 milliards d'euros non pas aux calendes grecques, mais à compter de 2028.
M. Michel Canévet. - Vous avez évoqué l'absence de réformes en 2023, mais je rappelle que nous avons beaucoup souffert des réformes des retraites et du marché du travail, même si elles ne sont pas suffisantes au regard des efforts qui devraient être accomplis.
Votre proposition visant à consulter le Haut Conseil sur le programme de stabilité chaque année et non pas tous les huit ans soulève quant à elle la question de la surtransposition de la règle européenne. En tout état de cause, compte tenu de la situation, il serait sans doute utile que nous disposions du plus grand nombre d'avis circonstanciés sur l'évolution des finances publiques.
Le budget de l'État accuse un déficit de 173 milliards d'euros, tandis que le déficit des administrations publiques centrales atteint 155 milliards d'euros, cet écart très significatif restant difficile à appréhender. Des gisements d'économies peuvent-ils être identifiés à ce niveau ?
Concernant le programme de stabilité, un effort accru des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale est prévu, alors que le budget de l'État devrait subir une moindre réduction : faites-vous la même lecture et quel est votre avis sur ce point ?
M. Thierry Cozic. - Dans votre avis rendu public le 17 avril, vous avez indiqué, en somme, que la trajectoire élaborée par le Gouvernement pour maîtriser le déficit public était comparable à une pente raide, voire impraticable ; vous avez réaffirmé devant nous qu'elle manquait de crédibilité et de cohérence : de la part d'institutions telles que celles que vous présidez, cette appréciation sonne comme un désaveu sévère.
Pour la période 2023-2027, le Haut Conseil chiffre à près de 60 milliards d'euros le montant de l'ajustement budgétaire à réaliser, et souligne que jamais un tel effort n'a été effectué dans le passé. Selon nous, ce montant n'a rien d'anodin, car il équivaut exactement aux recettes fiscales supprimées depuis 2017 par le pouvoir en place.
Au regard de la détérioration des finances publiques, le Haut Conseil indique que le retour du déficit sous la barre des 3 points du PIB en l'espace de trois ans supposerait un ajustement structurel massif, qui « s'appuierait essentiellement sur un effort d'économies en dépenses ». Compte tenu des colossales recettes fiscales supprimées depuis sept ans et des besoins en investissements nécessaires pour appuyer une recherche à même de garantir la compétitivité de la France, le Haut Conseil pense-t-il que la diminution de la dépense représente le premier levier pour redresser le cap ? Si oui, quelles dépenses préconisez-vous de réduire ?
Mme Isabelle Briquet. - Le ministre de l'économie vient de réaffirmer en séance que la politique annoncée n'était pas une politique d'austérité, alors que vous venez d'indiquer que le niveau d'économies envisagé pour réduire le déficit était sans précédent. Si la copie n'est pas revue, nous serons pourtant bien face à un programme d'austérité, qui est la seule méthode proposée. Une politique austéritaire étant contre-productive, n'est-il pas urgent de parler des recettes ?
M. Pierre Moscovici. - S'il est toujours aisé de juger a posteriori que les choses étaient courues d'avance, il est en revanche très difficile de juger à partir de quel moment - et par qui - la dégradation des finances publiques pour l'année 2023 était clairement identifiée. Comme vous l'avez rappelé, ladite dégradation a été officiellement actée en février. La Cour des comptes, comme le HCFP, ne dispose que des éléments qui lui sont transmis sur les prévisions de croissance et de déficit : le Haut Conseil reçoit les prévisions transmises par le SGG, tandis que la Cour des comptes dispose des éléments communiqués par les administrations aux équipes chargées du chapitre dédié aux finances publiques du rapport annuel, ainsi qu'aux équipes chargées du rapport consacré au budget de l'État.
Lorsque j'ai présenté le rapport annuel, j'ai évoqué une « année blanche » en n'excluant pas la possibilité qu'elle prenne la forme d'une année grise, mais nous n'avions pas tous les éléments et ne vous avons rien dissimulé. Une grande partie de l'écart était difficile, voire impossible à prévoir, mais une partie des dérives avait été identifiée.
Dès son avis du 27 octobre 2023 sur le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFFG) pour l'année 2023, le HCFP avait en effet relevé que la croissance prévue de la masse salariale marchande non agricole, comme celle des cotisations sociales et des prélèvements sociaux sur les revenus d'activité, était élevée. Dans ce même avis, le Haut Conseil soulignait le risque d'un recul plus fort qu'anticipé par le Gouvernement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
S'agissant des travaux de la Cour, l'année 2023 nous a prouvé que nous avions besoin d'échanges plus nourris et d'une communication plus transparente avec les administrations : celles-ci doivent lui transmettre les estimations, les notes et les prévisions dont elles disposent, ce qui n'a pas été le cas fin 2023.
Par exemple, la Cour des comptes n'a pas été destinataire de la note des directions du Trésor et du budget datée du 7 décembre 2023 qui évoquait une potentielle dégradation du déficit public jusqu'à 5,2 % du PIB : nous ne l'avons reçue qu'en mars 2024, c'est-à-dire après l'instruction du rapport public annuel. Certes, cette note n'était pas affirmative, évoquait des incertitudes et des possibilités de pilotage de la dépense en fin d'année afin de réduire l'écart autant que possible. Elle n'aurait donc pas pu être utilisée pour documenter précisément un dérapage du déficit public dans notre rapport public annuel, mais cela démontre que nous avons eu raison de parler au conditionnel du respect de la trajectoire dans ce rapport publié le 12 mars, alors même que nous n'avions pas reçu d'éléments permettant de prouver un dépassement du déficit de la part de l'administration. Je pense que cette communication des documents doit être systématique, pour vous comme pour nous : je rappelle que notre rapport public annuel est remis au Président de la République et présenté au Parlement.
J'en viens aux hypothèses de croissance : nous avions formulé, dans nos avis relatifs au PLF pour 2024 et à la LPFP, des remarques extrêmement précises sur le caractère élevé des prévisions gouvernementales. L'écart était particulièrement significatif dans le cadre du PLF pour 2024 : le Gouvernement avait retenu une prévision de croissance de 1,4 %, alors que le consensus des économistes tablait davantage sur une croissance de 0,8 %. La prévision gouvernementale a ensuite été ramenée à 1 % dans un laps de temps très bref, de décembre à février. Vaut-il mieux une loi de finances correctement prévue ou un décret d'annulation de crédits ? Je laisserai chacun juger, n'ayant aucune intention de prendre position dans ce débat.
J'insiste également sur le fait que, nonobstant les économies considérables qui sont prévues sans être documentées, les prévisions de croissance restent très élevées, en particulier pour les années 2026 et 2027. Nous serions ainsi très au-dessus de notre potentiel de croissance - plus proche de 1 % que de 1,3 %, en vérité - après avoir réalisé des économies en dépenses très importantes, qui ne peuvent pas être, à notre sens, sans conséquence sur le niveau de la croissance.
Concernant les économies à privilégier, je rappelle que trois pistes peuvent être envisagées pour réduire le déficit. Tout d'abord, la croissance, qu'il convient de ne pas fragiliser : si nous devons toucher à des dépenses, il faudra cibler celles qui sont de faible qualité, dont la diminution ne l'affectera pas. Les recettes, ensuite, renvoient au débat sur le taux de prélèvements obligatoires, déjà très élevé. Pour autant, le débat démocratique pourrait conduire à ne pas exclure toute forme d'imposition ; en outre, le Haut Conseil préconise de remettre en question les baisses d'impôts prévues, soit en y renonçant, soit en les assortissant d'économies.
Le troisième levier, celui des économies en dépenses, reste le principal moyen d'action. Il faut ainsi maîtriser leur évolution spontanée par le biais des revues de dépenses, qui doivent insister sur la qualité. Cet exercice a commencé en 2023, avec un faible impact ; il se poursuit en 2024, mais manque de transparence à ce stade. La Cour des comptes publiera, quant à elle, ses revues de dépenses dès qu'elles seront produites : comment s'assurer, en effet, de l'efficacité de cet instrument si les travaux ne sont pas partagés dans la durée et s'ils ne font pas l'objet d'un débat démocratique ? C'est la méthode que nous suggérions, et il me semble qu'elle demeure valide. Au-delà de la volonté, il faudra du courage - les économies sont impopulaires - et de l'intelligence, car il faudra aller chercher les économies au bon endroit.
Quant au terme « accident » et à la bonne exécution des dépenses publiques, il est exact que la dépense publique a été légèrement inférieure à la prévision en 2023, en rappelant toutefois que les dépenses exceptionnelles ont été surcompensées et que la trajectoire était peu ambitieuse. En outre, peut-être a-t-on eu tort de spéculer sur un niveau systématiquement élevé des recettes et qu'une forme de retour à la normale est en cours.
Sur un autre point, le point de PIB reste une unité de mesure pertinente en ce qu'il permet des comparaisons européennes, par exemple sur le niveau de prélèvements obligatoires.
Pour ce qui est de la certification, je m'étonne que les réserves émises par la Cour des comptes n'aient pas été mentionnées dans le débat, alors que ladite certification a été votée par le Parlement après avoir mobilisé une vingtaine de personnes qui ont accompli un travail remarquable. Quelle entreprise procéderait ainsi, en ne mentionnant pas l'avis de son commissaire aux comptes ?
S'agissant des enjeux de surtransposition, je rappelle que les institutions budgétaires indépendantes existent dans tous les pays européens et qu'elles disposent presque toutes de mandats et de moyens plus importants que les nôtres. Il vous reste à évaluer si vous souhaitez prévoir un rendez-vous parlementaire annuel. Une fois encore, ne pas faire ce choix reviendrait, pour vous comme pour nous, à ne pas suivre l'exécution du programme : je parlerais donc plutôt d'une bonne information que d'une surtransposition.
Par ailleurs, agir sur la dépense reste nécessaire : avec des dépenses publiques qui représentent 57 % du PIB, soit huit points de plus que la moyenne des pays de la zone euro, je reste persuadé que certaines dépenses publiques sont de moindre qualité que d'autres. Les revues de dépenses devraient permettre de les identifier, tous les efforts d'économies n'étant pas douloureux, nocifs ou infondés. À cet égard, il importe de préserver la croissance et la qualité du service public, voire de l'améliorer.
Autrement dit, certaines dépenses fonctionnent sans doute mal et pourraient être plafonnées dans le temps, comme l'a suggéré le député Marc Ferracci. Nous avons formulé une suggestion similaire en matière d'aides aux entreprises, dont certaines ont été votées il y a fort longtemps, à tel point qu'on ne sait plus à quoi elles correspondent : les plafonner dans le temps et les évaluer régulièrement me paraîtrait relever d'une démarche de bonne gestion. À l'inverse, certains investissements, en faveur des Ehpad par exemple, devraient être musclés.
Une politique d'austérité est-elle prévue ? Je ne le crois pas, même si, incontestablement, l'effort en dépenses annoncé est très important et sans précédent. C'est pourquoi nous avons souligné les problématiques de cohérence et de crédibilité : pour reprendre une image, la descente de l'escalier de la dépense devrait s'effectuer en empruntant des marches extrêmement hautes, dans un contexte économiquement et politiquement difficile.
J'insiste sur le manque de cohérence que nous avons relevé. Certes, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave assument une tâche ardue, comme j'ai pu l'expérimenter lorsque j'occupais leurs fonctions. Le débat mérite cependant d'être posé : si l'on entend privilégier absolument le taux de croissance, le déficit sera très probablement supérieur à 2,9 % du PIB, quand bien même je n'ai jamais nourri d'inquiétudes quant à notre capacité de financement de notre dette, la France n'étant pas la Grèce.
En revanche, une charge de la dette élevée nous prive des capacités d'action publique, ce qui ne nous permettra pas de faire face aux problèmes macroéconomiques, ni aux investissements nécessaires pour préparer l'avenir : in fine, on s'appauvrit en s'endettant.
À l'inverse, si la réduction du déficit est bien l'objectif prioritaire, la croissance en pâtira puisqu'il s'agira d'opérer un prélèvement sur l'économie à hauteur de 20 milliards d'euros par an qui aura nécessairement des répercussions sur le PIB.
Il faudra donc poser clairement ce débat relatif à la cohérence entre la macroéconomie et les finances publiques devant les Français, afin de dire la vérité et de faire des choix.
En conclusion, et même si je n'ai pas à qualifier nos propres avis, je note que nous n'avions jamais évoqué un « manque de cohérence » jusqu'à présent. Je ne parlerai pas d'« insincérité », mais c'est effectivement la première fois que nous employons cette formule, qui traduit le franchissement d'un seuil supplémentaire.
M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le Premier président. Nous partageons votre opinion selon laquelle il n'est plus seulement question de technique financière ou budgétaire, mais de choix et de décisions politiques qui se déclinent ensuite sur le plan budgétaire. Nous sommes en effet plus proches d'un débat politique général sur les ambitions et les priorités du pays que sur des ajustements.
Audition de MM. François Ecalle,
président fondateur de l'association « finances publiques et
économie » (FIPECO), Mathieu Plane, directeur adjoint de
l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
et Olivier Redoulès, directeur des études de l'Institut
Rexecode
(Mercredi 15 mai 2024)
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons nos travaux avec une nouvelle audition plénière dans le cadre de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.
Après avoir entendu M. Pierre Moscovici à ce sujet, nous avons choisi de recueillir les avis de quelques spécialistes des finances publiques et de la prévision macroéconomique.
Cette mission d'information a été déclenchée à la suite du constat d'un écart massif entre la prévision de déficit public pour 2023 de 4,9 % du PIB, incluse dans la loi de finances de fin de gestion soumise au Parlement, et son exécution, à 5,5 %, chiffre dévoilé par l'Insee le 26 mars dernier. Le changement de base de l'Insee n'explique qu'une petite part de cet écart, lequel est en réalité lié à des recettes bien inférieures aux prévisions, en particulier de TVA, de l'impôt sur les sociétés et des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Hors période de crise, cet écart entre prévision et exécution est sans précédent.
Se pose donc, d'une part, la question du suivi de la situation budgétaire et financière par le Gouvernement et de l'information, que nous trouvons actuellement insuffisante - c'est un euphémisme -, du Parlement, et d'autre part, celle de la qualité des prévisions de déficit public - notamment des prévisions de recettes, qui ont singulièrement posé problème sur l'exercice 2023 -, mais également des prévisions macroéconomiques.
Il faut, à cet égard, rappeler que c'est leur caractère trop optimiste pour 2024 qui a motivé le décret d'annulation de 10 milliards d'euros publié le 21 février dernier, soit seulement deux mois après la promulgation de la loi de finances pour 2024. La prévision de croissance pour 2024, initialement estimée à 1,4 %, a été révisée à 1 %, ce qui semble encore élevé. Qu'en est-il, selon vous ?
Je terminerai ce propos par trois questions qui pourront guider votre propos introductif.
Tout d'abord, l'écart entre le solde public de 2023 constaté et les estimations données publiquement par le Gouvernement en fin d'année dernière vous paraît-il normal ou relève-t-il notamment d'estimations trop optimistes ?
Ensuite, comment les recettes fiscales pourraient-elles être mieux appréciées, soit lors de l'examen de loi de finances initiale, soit en cours d'année et notamment à l'automne ?
Enfin, pensez-vous que le Gouvernement prend correctement en compte les travaux des économistes lorsqu'il construit ses textes financiers ? Sur cette question pro domo, on peut facilement anticiper votre réponse !
Je vous donne donc la parole pour une intervention liminaire, à la suite de laquelle le rapporteur général et les autres membres de la commission auront, je n'en doute pas, des précisions à vous demander.
Je cède en premier lieu la parole à M. Ecalle, dont nous connaissons bien ici, pour l'avoir reçu plusieurs fois, les travaux et l'expérience administrative, au ministère des finances et à la Cour des comptes.
M. François Ecalle, président fondateur de l'association « finances publiques et économie » (Fipeco). - Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter mes réflexions sur les prévisions relatives aux finances publiques. Je traiterai successivement les prévisions du déficit public de l'année en cours, qui sont faites en février-mars, et à cette occasion, je montrerai comment le Gouvernement tient compte des travaux de ses propres économistes, puis celles qui sont faites pour l'année en cours, en octobre-novembre, donc à la fin de l'année.
De 1993 à 1997, j'étais le sous-directeur des finances publiques de la direction de la prévision du ministère des finances, qui a ensuite fusionné avec la direction du Trésor. Ma sous-direction établissait les prévisions de finances publiques en comptabilité nationale, notamment le déficit public, les prévisions techniques et les prévisions normées, ou ce que l'on appelait à l'époque les comptes de présentation.
Une loi d'orientation des finances publiques de 1993 prévoyait un déficit public de 2,5 % du PIB en 1997, relevé à 3 % en juin 1995 par le nouveau gouvernement. Pendant toutes ces années, j'ai écrit des notes pour le ministre où je montrais que nos prévisions techniques de déficit pour 1997 étaient largement supérieures à 3,0 % du PIB. En février 1997, notre prévision technique était de 3,5 % du PIB, même en incluant à hauteur de 1,5 point de PIB une opération exceptionnelle dont la comptabilisation était incertaine. Après la dissolution de l'Assemblée nationale, le nouveau gouvernement a demandé en juin un audit à deux magistrats de la Cour des comptes choisis intuitu personae. Je leur ai transmis nos prévisions techniques et ils ont conclu à un déficit compris entre 3,5 % et 3,7 % du PIB en 1997. Des mesures de redressement à effet immédiat, et un peu de créativité budgétaire accompagnée d'un peu de chance ont conduit à un déficit de 3,0 % du PIB en 1997, affiché par l'Insee en mars 1998. Les règles comptables ont été modifiées quelques années plus tard. Aujourd'hui, si vous regardez des séries d'Insee, vous trouverez que le déficit public de 1997 est égal à 3,7 % du PIB.
En juin 2002, à la suite d'un changement de majorité parlementaire, le nouveau gouvernement a demandé un nouvel audit aux deux mêmes magistrats. J'avais moi-même été intégré à la Cour des comptes et j'ai fait partie de leur équipe. Le programme de stabilité d'avril 2002 prévoyait un déficit public de 1,9 % du PIB en 2002. Nous avons obtenu les prévisions techniques de la direction du Trésor, lesquelles se soldaient par un déficit de 2,4 % du PIB, soit un écart de 0,5 point, et les prévisions d'exécution de la direction du budget. Nous avons refait nous-mêmes certaines estimations et conclu à un déficit compris entre 2,3 % et 2,6 % du PIB au lieu de 1,9 %.
De 2008 à 2016, j'étais le rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques. Je n'ai jamais obtenu les prévisions techniques de la direction du Trésor et les prévisions d'exécution de la direction du budget, sauf en 2012. À la suite d'un changement de majorité parlementaire, le nouveau gouvernement a demandé en juin 2012 un audit des finances publiques, cette fois à la Cour des comptes en tant qu'institution, et je l'ai réalisé avec un autre magistrat de la Cour des comptes.
Le programme de stabilité d'avril 2012 prévoyait un déficit public de 4,4 % du PIB en 2012. Nous avons obtenu les prévisions techniques des directions du Trésor et du budget, qui concluaient à un déficit de 5,0 % du PIB, soit un écart d'un demi-point. En utilisant leurs notes et d'autres informations, nous avons refait nous-mêmes certaines estimations et conclu à un déficit compris entre 4,7 % et 4,9 % du PIB. Je note, à cet égard, que les programmes de stabilité présentés en avril ont toujours tenu compte du déficit public de l'année précédente, annoncé en mars par l'Insee. Aussi, je pense que le programme de stabilité d'avril 2024 aurait de toute façon tenu compte du déficit de 5,5 % du PIB de 2023.
Le programme de stabilité d'avril 2012 prévoyait un déficit de 3,0 % du PIB en 2013. La prévision technique de la direction du Trésor était à 4,6 % du PIB, soit un écart de 1,6 point de PIB. La Cour des comptes, dans son audit, a conclu à la nécessité de mesures nouvelles de redressement à hauteur d'une fourchette de 1 point à 2 points de PIB pour ramener le déficit à 3 % du PIB en 2013, conformément au programme de stabilité.
De 2012 à 2015, j'ai été membre du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) : je n'ai jamais vu les prévisions techniques des directions du Trésor et du budget.
En 2016, je me suis mis en disponibilité et je n'ai depuis évidemment aucune information particulière sur ce qui se fait au ministère des finances. J'ai tout de même noté que l'audit de 2017 de la Cour des comptes montrait que ses auditeurs avaient observé à peu près les mêmes résultats.
Au total, j'ai rarement eu l'impression au cours de ces vingt dernières années que les gouvernements successifs prenaient en compte les travaux de leurs propres services économiques ; et je ne parle pas des travaux des autres économistes !
Pour ce qui concerne les prévisions de déficit de l'année en cours, réalisées en octobre-novembre de l'année précédente, j'ai comparé sur quinze ans - de 2007 à 2022 - le déficit public prévu à l'article liminaire de la loi de finances de fin de gestion et le déficit annoncé par l'Insee en mars de l'année suivante. Le déficit de 2010 publié par l'Insee en mars 2011 était inférieur de 0,7 point de PIB à celui qui était prévu dans l'article liminaire à l'automne 2010. L'écart était dans le bon sens. J'ai compté quatre écarts dans ce même bon sens, compris entre 0,2 point et 0,4 point de PIB et trois écarts dans le mauvais sens, de 0,2 point ou 0,3 point de PIB. Les prévisions qui sont réalisées à cette période de l'année restent fragiles, parce que le dernier acompte d'impôts sur les sociétés versé le 15 décembre est très fluctuant et très difficile à prévoir ou parce que les investissements des collectivités locales sont concentrés sur le dernier trimestre, et eux aussi difficiles à prévoir. À ces fragilités habituelles s'ajoutent chaque année des incertitudes spécifiques à certaines recettes ou certaines dépenses. Au total, il me semble qu'une erreur technique de 0,3 point de PIB est normale à cette période de l'année ; au-delà, il faut s'interroger sur son origine.
La Cour des comptes a publié en décembre 2013 un référé sur les prévisions de recettes fiscales que j'avais écrites. J'ai observé à cette occasion que l'organisation des travaux de prévision et les méthodes utilisées au sein du ministère des finances n'avaient pas beaucoup changé depuis l'époque où j'y travaillais et qu'elles pouvaient être améliorées. Je ne suis pas sûr qu'elles aient beaucoup changé depuis dix ans, mais il faudrait le vérifier, ce que je ne puis faire moi-même. Je n'ai pas eu connaissance d'une nouvelle publication de la Cour des comptes sur ce sujet.
M. Mathieu Plane, directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). - Observons les écarts survenus entre les prévisions de croissance et de déficit des différents projets de loi de finances depuis vingt ans et la réalisation. Comme vous le savez, le PLF est établi chaque année, à l'automne, pour l'année suivante. L'exercice est difficile et les erreurs peuvent être importantes, a fortiori en cas de choc économique majeur comme la crise des subprimes en 2008-2009, la crise des dettes souveraines en 2012-2013 et la crise de la covid-19 en 2020-2021, toutes trois difficiles à anticiper. Les erreurs sont alors récurrentes. Or en 2023 on ne relève pas de caractéristique spécifique. Le PLF pour 2023 prévoyait une croissance de 1 %, contre 0,9 % en réalité.
Les erreurs de prévision budgétaire concernent généralement l'année sur laquelle porte le PLF. En revanche, lorsqu'elles surviennent dans l'année en cours, que j'appellerai « T-1 », cela est plus surprenant, car on dispose normalement d'éléments suffisamment nombreux - on connaît plus de la moitié de l'année - pour établir des prévisions réalistes. Or 2023 se caractérise par une erreur importante sur la prévision de déficit. La seule année où les erreurs ont été aussi nombreuses sur l'année « en cours » est l'année 2008, mais celle-ci a été marquée à la fois par une crise et par une erreur de prévision sur la croissance. A contrario, en 2023, l'erreur de prévision ne porte pas sur la croissance, mais sur le déficit. Si on tient compte de l'erreur de prévision de croissance et qu'on l'intègre à ce qu'on aurait dû avoir comme déficit, on peut obtenir l'erreur sur le reste. Quand on procède à cette correction, on voit que l'année 2023 est l'année de la plus importante erreur de prévision de déficit, corrigé de la croissance, sur l'année T-1 sur les vingt dernières années. Une erreur de 0,6 point de PIB est élevée lorsqu'on ne se trompe que très faiblement sur la prévision de croissance. De bonnes surprises avaient en revanche été relevées en 2021 et en 2022 par rapport aux prévisions de déficit du Gouvernement.
Par ailleurs, avaient été recensées auparavant trois années assez exceptionnelles en matière de rentrées fiscales au regard de la croissance, représentées par l'élasticité des recettes fiscales au PIB. Le gain cumulé sur trois ans lié à un dynamisme des recettes fiscales supérieur à la croissance du PIB, est de 2,5 points de PIB supplémentaires entre 2020 et 2022. Or, en 2023, on observe un retournement de l'élasticité des recettes fiscales. On en perd 1,4 point sur une année mais on n'efface pas tous les gains accumulés.
Croire que de tels phénomènes sont permanents serait toutefois une erreur. Il faut tenir compte des effets cycliques dans les élasticités de recettes fiscales au PIB. Le sujet de la prévision de croissance est presque secondaire.
L'observation de l'anatomie du dérapage budgétaire pour 2023 montre qu'un quart seulement de l'erreur de prévision a trait aux prévisions de dépenses et porte notamment sur les consommations intermédiaires, du fait de prix de l'alimentaire et de l'énergie supérieurs à ce que prévoyait le Gouvernement. Trois quarts de l'erreur portent en réalité sur les prévisions de recettes fiscales. J'ai tenté de comparer les prévisions de recettes liées à chaque impôt ou cotisation sociale inscrites au PLF avec les réalisations communiquées par l'Insee. Or les erreurs sont importantes. On voit en particulier une forte erreur sur l'impôt sur les sociétés. On observe aussi des erreurs sur les cotisations sociales et la TVA - il est difficile de savoir ce qui relève de la TVA nette de l'État ou de la TVA totale. Il s'agit d'estimations.
Cependant, une erreur de prévision sur les cotisations, qui représentent environ 28 % des recettes publiques, n'a pas la même signification qu'une erreur de prévision sur les recettes liées à l'impôt sur les sociétés, qui en représentent environ 4 %. Une erreur de 3 milliards d'euros sur les cotisations est moins significative que la même erreur sur l'impôt sur les sociétés. Au vu de son faible poids dans les recettes publiques, l'erreur sur l'impôt sur les sociétés est particulièrement marquée : 10,7 milliards d'euros de baisse en 2023, après une hausse de 14 milliards d'euros en 2022. L'impôt sur les sociétés payé par la Banque de France, par exemple, a diminué de 1 milliard d'euros avec les phénomènes liés à la politique monétaire. Cet élément n'est donc pas simple à modéliser.
Cette situation n'a cependant rien de surprenant compte tenu de la volatilité de certaines assiettes fiscales. L'élasticité des recettes fiscales au PIB est importante pour l'impôt sur les sociétés, et dans une moindre mesure sur l'impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). La question est de savoir comment bien modéliser les impôts les plus élastiques. Ce qui est utilisé pour faire les prévisions, c'est la moyenne observée entre 2008 et 2017 : les chiffres ne sont donc pas récents. Se pose dès lors la question de savoir si les élasticités retenues sont toujours valables au regard de ce qui s'est passé depuis cinq ans. Une mise à jour régulière serait bienvenue, sachant que des mouvements peuvent survenir à l'occasion de crises.
La chute des recettes fiscales en 2023 arrive après trois années de bonnes surprises budgétaires. Cela ne signifie pas que les déficits sont bons, mais qu'ils ont été moins mauvais que prévu. Il faut en outre étudier les élasticités sur le moyen terme. Cela soulève la question de la vitesse d'atterrissage de ces élasticités en fonction du cycle économique. Or nous manquons d'informations à ce sujet, sachant que chaque cycle économique est particulier et que les assiettes fiscales ne réagissent pas de la même façon aux chocs financiers ou à l'inflation. La prévision budgétaire est en outre perturbée par les mesures exceptionnelles, comme les boucliers tarifaires ou la création de la contribution sur les rentes inframarginales qui devait rapporter 3,6 milliards d'euros et n'a finalement abouti qu'à quelques centaines de millions d'euros, cet écart étant cependant partiellement compensé par le moindre coût brut du bouclier tarifaire. N'oublions pas non plus la conjoncture, très perturbée. Ces différents éléments expliquent en partie l'erreur de prévision survenue.
M. Olivier Redoulès, directeur des études de l'institut Rexecode. - La comparaison entre les prévisions de PIB du PLF pour 2024 et de la loi de finances de fin de gestion (LFG) pour 2023 et la réalisation montre un écart très limité. Des écarts s'observent sur certaines composantes, mais dont il est difficile de mesurer l'impact, sur l'impôt sur les sociétés ou la TVA par exemple. La composition de la consommation a peut-être changé, avec une consommation plus forte en volume et moins forte en valeur, ou a porté sur des produits à moindre taux de TVA.
Le HCFP avait jugé réalisable la prévision de croissance pour 2023 inscrite au PLF pour 2024 et dans le projet de LFG pour 2023 tandis que la prévision d'inflation était plausible, mais avait émis une alerte concernant les prévisions relatives à la masse salariale et aux cotisations associées.
Il est très difficile, a posteriori, de recoller les morceaux de l'année 2023 et de trouver des valeurs comparables d'une année sur l'autre. Le changement de base Insee survenu cette année ne facilite pas les choses. Dans l'ensemble, nous avons toutefois recensé, si l'on compare par rapport au PIB, davantage de dépenses publiques, une partie provenant sans doute du changement de base, et surtout moins de prélèvements obligatoires. Des surprises négatives ont été enregistrées sur chaque impôt affecté à l'État, particulièrement sur l'impôt sur les sociétés.
Avec l'information disponible à la fin du mois de novembre 2023 sur la situation mensuelle budgétaire d'octobre, indisponible lors de l'examen du projet de LFG, aurions-nous pu le prévoir ? Pour les recettes de l'État, cela aurait été difficile. Nous aurions pu anticiper une recette de TVA en comparant l'évolution relevée entre janvier et octobre 2023 à celle qui a été enregistrée sur la même période en 2022, et en mettant en regard l'exécuté 2022 : c'est moins élevé mais cela n'aurait pas été très significatif, en particulier au regard de la variabilité importante de l'impôt sur les sociétés, dont les recettes associées ne sont connues, pour le cinquième acompte, que fin décembre.
De nombreux impôts ont par ailleurs été rendus contemporains, pour lier la charge fiscale des agents privés - ménages et entreprises - à leurs résultats immédiats. La contrepartie est que cela les rend beaucoup moins prévisibles. La prévision économique n'aide pas forcément à prévoir ce qui se passe du côté des recettes fiscales.
Concernant l'élasticité des recettes fiscales, la comparaison de l'évolution spontanée des prélèvements obligatoires et du PIB en valeur révèle une légère avance, y compris dans une projection sur cinq ans. Plus qu'une surprise négative, on observe plutôt une sorte de lissage. On peut même s'attendre à une correction pour la période à venir. On s'attend à ce que l'élasticité des recettes fiscales soit peut-être inférieure à 1, notamment du fait des allègements de charges à venir sur les cotisations mais aussi parce qu'on est dans un cycle immobilier baissier. Cependant, il ne faut pas attendre de cette surprise négative des marges de rebond pour 2024 ou les années à venir.
Concernant le passé, la prévision macroéconomique était quasi exacte, mais assortie d'une mauvaise appréciation difficile à transcrire sur les recettes fiscales en temps réel. Le choc inflationniste, d'abord favorable aux recettes publiques, s'est ensuite avéré défavorable. Des surprises très négatives sont survenues dans la consommation des ménages. Par ailleurs, le comportement de la TVA, dont l'évolution de la base fiscale a été assez proche de celle du PIB - autour de 6 %, alors que la recette a évolué de 3 % - demeure difficile à comprendre. Cela tient notamment aux effets de remboursements et aux comportements des entreprises en matière de trésorerie, liés aux surcoûts auxquels elles étaient confrontées pour leurs emprunts. Une incertitude importante perdure sur les recettes de l'impôt sur les sociétés, susceptible de se traduire par un effet de base négatif pour les prévisions budgétaires pour 2024. Au vu de ce constat, une certaine modestie est de mise à l'égard de nos prévisions économiques. Un principe de prudence doit en outre s'appliquer. Nous devons nous autoriser des marges d'erreur, comme l'a indiqué François Ecalle précédemment : une erreur de prévision de 0,3 point peut se comprendre. On pourrait viser une marge d'erreur et affecter les bonnes surprises à la réduction du déficit, qui reste encore élevé.
Les économistes ont leur mot à dire sur la trajectoire budgétaire, notamment de moyen terme, mais ne sont malheureusement pas toujours écoutés. La trajectoire de PIB effectif et de PIB potentiel du Gouvernement, dans le programme de stabilité, s'appuie sur l'hypothèse d'un écart de production très important pour 2023. Cette hypothèse, qui peut être justifiée pour un macroéconomiste, semble trop optimiste pour la prévision budgétaire. Cela revient en effet à présumer une accélération de la croissance au-delà de la croissance potentielle, pourtant assez élevée dans les prévisions du Gouvernement, à 1,35 %, alors qu'en se fondant sur les années précédentes, le chiffre serait situé entre 1 % et 1,2 %.
Cet écart de production sert de point de départ au PIB potentiel et de cible pour le PIB effectif à moyen terme. Or il est très incertain. Même sur le passé, où toute l'information nécessaire est disponible, les organisations internationales - Commission européenne, Fonds monétaire international (FMI), OCDE - ne sont pas d'accord. Il serait sans doute raisonnable d'avoir un écart de production pour la prévision budgétaire qui soit nul.
Pourquoi la prévision macroéconomique est-elle importante et pourquoi devrait-elle être davantage prise en compte, moyennant un biais de prudence notamment pour la prévision budgétaire ? Des variables macroéconomiques découlent des prévisions de recettes. On se fixe ensuite un objectif de déficit, dont on déduit des dépenses. Or de nombreuses incertitudes demeurent sur le plan macroéconomique, pour l'année en cours et a fortiori sur cinq ans : le point de départ du PIB potentiel est difficile à prévoir, le rythme de croissance potentielle est incertain, le risque d'occurrence d'une crise n'est pas nul et l'effet des réformes est difficile à appréhender, que ce soit positivement ou négativement, mais aussi à séquencer et à dater. Le problème est que les erreurs de prévision n'ont pas les mêmes effets selon qu'elles se font à la hausse ou à la baisse. C'est pourquoi il est important de conserver des marges d'erreur et de suivre un principe de prudence.
Année après année, depuis 2008, la comparaison entre les trajectoires des lois de programmation des finances publiques et le déficit public constaté montre que l'on a quasi systématiquement, si l'on exclut la période 2017-2019, manqué la cible.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vos interventions confirment, me semble-t-il, le bien fondé et la justesse de notre mission d'information, déclenchée après ma visite à Bercy du 21 mars dernier, intervenue au lendemain de la fuite médiatique de l'Élysée. On a fait un procès d'intention au Sénat, affirmant que nous aurions exposé de mauvais chiffres. J'exploite en réalité les éléments obtenus à Bercy où je me suis rendu pour voir d'où pouvaient venir les prévisions et comment l'information avait circulé entre l'administration, le ministère de l'économie et des finances et le reste du Gouvernement.
Les difficultés de prévision sont réelles. Comme la majorité sénatoriale le dit depuis deux ans, les prévisions de croissance et budgétaires du Gouvernement sont teintées d'un excès d'optimisme. Nos propos sur la prudence nécessaire à avoir à ce sujet trouvent cependant plus d'écho aujourd'hui qu'il y a deux ans.
Dès le 7 décembre 2023, une note de la direction du budget et de la direction générale du Trésor (DGT) faisait état d'une prévision de déficit pour 2023 estimée à 5,2 % du PIB, à prendre certes avec toutes les précautions d'usage. Or, la prévision de déficit a été maintenue à 4,9 % du PIB tout au long de l'examen du PLF et confirmée le 14 décembre par le dépôt d'un amendement à l'article liminaire à l'Assemblée nationale. Le 29 décembre, la loi de finances a été promulguée sur cette base. Par la suite, une note de la direction du budget de la DGT du 24 janvier faisait mention d'un déficit estimé à 5,3 %, puis, le 16 février, à 5,6 %. Finalement l'Insee a établi le chiffre à 5,5 % dans sa publication du 26 mars. D'après vous, le Gouvernement aurait-il pu ou dû réagir dès le mois de décembre 2023 ? Lorsqu'on laisse filer un tel niveau de déficit public, la pente à remonter est plus dure pour l'ensemble des acteurs, publics et privés.
Vous nous dites qu'en plus de vingt ans, hors période de crise, on n'a jamais eu un tel écart entre prévision et exécution par une même majorité gouvernementale. Hors ces cas et hors période de crise, existe-t-il d'autres exemples de tels écarts entre les prévisions et les exécutions constatées ?
Par ailleurs, les hypothèses du Gouvernement sur le retour rapide au plein emploi, qui soutiennent en partie ses prévisions de déficit public, vous paraissent-elles réalistes, sachant que tout dépend de ce que l'on entend par la notion de « plein emploi » ? On ne peut en effet comptabiliser 1 million de personnes en formation comme si elles étaient en CDI.
Le bouclage macroéconomique des prévisions de déficit public, qui permet de prendre en compte les rétroactions entre la croissance et le solde public, vous paraît-il réaliste, notamment dans le cadre du programme de stabilité ? Les prévisions pour 2024 et 2025 intègrent-elles suffisamment le potentiel effet récessif des mesures prises ? Une première coupe, de 10 milliards d'euros, dans les dépenses publiques a eu lieu le 20 février. On annonce 10 milliards d'euros d'économies supplémentaires, auxquels 20 à 25 milliards d'euros supplémentaires devraient s'ajouter en 2025.
La promotion du fonds vert, pourtant prévu comme un accélérateur de la transition énergétique, a reçu un coup de frein, alors que les services de l'État avaient annoncé, notamment aux départements, qu'il bénéficierait d'un accompagnement puissant. Cela témoigne d'un manque de discernement certain.
J'observe enfin que les prévisions doivent tenir compte de nombreuses variables, à commencer par l'extrême hétérogénéité de notre système fiscal.
M. Claude Raynal, président. - Nous avons eu du mal à faire bouger certains membres de l'administration. Aujourd'hui, nous constatons qu'ils sont plus ouverts. Vous appelez à la prudence et à quantifier les marges d'erreur. L'administration en a-t-elle les moyens ou la capacité ? Les élus locaux aiment proposer des marges d'erreur et faire des prévisions prudentes. C'est sans doute plus facile au niveau local que national. Il semblerait là que l'on ait surestimé tous les chiffres, sans chercher à prévenir certains risques.
La question d'un intervalle de confiance est-elle pertinente ? Pour chaque recette budgétaire, pourrions-nous prévoir des valeurs basses et hautes ? Cette proposition a-t-elle du sens ou bien est-elle purement théorique ? Ce qui se conçoit pour un budget local se conçoit-il pour un budget national ?
Il aurait fallu faire preuve de prudence. C'est non seulement la première fois que, d'une manière aussi marquée et sans que ce soit lié à la croissance mais à une erreur de prévisions des recettes, on observe une telle erreur d'appréciation, mais c'est aussi la pire année pour que cela arrive. Nous nous faisons les chantres européens de la bonne tenue des comptes publics ; le résultat est désastreux pour notre image et nos finances à un moment où le déficit n'est pas de 2,5 % du PIB mais de 5,5 %, ce qui ne nous plaît guère. Comment, techniquement, pourrions-nous mettre en oeuvre une forme de prudence budgétaire ?
Se pose la question du cinquième acompte de l'impôt sur les sociétés. Comme nous ne pouvons pas prévoir son rendement, pourquoi ne pas considérer cet acompte comme nul et en faire une recette de constatation non anticipée ? Cela serait-il pertinent, ou pas du tout ?
Nous nous interrogerons sur la baisse de l'élasticité des recettes fiscales au PIB. Pour nous, elle s'élevait à 1 - on parle d'élasticité unitaire - sur le moyen terme. Pourriez-vous préciser, monsieur Redoulès, vos propos qui envisageaient une élasticité de moyen terme infra-unitaire à l'avenir ?
M. François Ecalle. - Au cours des trente dernières années, les prévisions réalisées en début d'année, notamment liées au programme de stabilité, ont toujours été trop optimistes, et plus optimistes que les prévisions techniques de la direction du Trésor et de la direction du budget. Nous n'avons jamais respecté ce que nous avons inscrit dans les programmes de stabilité et les lois de programmation. Jamais !
Pour les prévisions de fin d'année, il en va autrement. En novembre et décembre, le moment de vérité est alors proche, l'Insee publiant ses chiffres en mars : l'on ne peut plus raconter d'histoires. Il semble qu'en novembre ou décembre 2023 les services de Bercy faisaient une erreur technique que je qualifierais de normale, de 0,3 à 0,4 point de PIB ; cependant, le ministre ne l'a pas annoncé. Il aurait pu annoncer que le déficit pour 2023 ne serait pas de 4,9 points de PIB, mais de 5,2 ou de 5,3 points de PIB. Sans doute ne pouvait-il dire 5,5 points. Il a sans doute procrastiné.
Je peux, à défaut de l'absoudre, comprendre pourquoi : si nous avions modifié les prévisions de recettes fiscales et de cotisations sociales pour 2023, il aurait fallu modifier les chiffres pour 2024, car il faut prendre en compte l'effet base qui a un effet mécanique sur les recettes de l'année suivante. Il aurait donc fallu modifier la loi de finances initiale pour 2024 dès décembre 2023. Je ne vais pas vous rappeler comment la loi de finances initiale pour 2024 a été votée... Je comprends donc les hésitations du ministre à redéposer un amendement conduisant à faire revoter l'article d'équilibre. Je comprends, à défaut de justifier.
Faire apparaître les marges d'erreur est déjà possible, même si cela reste techniquement difficile. Dans les programmes de stabilité et dans le rapport économique, social et financier (RESF), par exemple, apparaissent des variantes de données macroéconomiques et deux scénarios différents. On s'intéresse à l'impact sur le déficit d'une hausse du prix du pétrole ou de la demande mondiale : on sait le faire. En revanche, faire cet exercice pour les prévisions de recettes est complexe car le budget exige des chiffres précis. Nous pourrions néanmoins aller en ce sens dans le RESF : ce n'est pas simple, mais je pense que c'est possible. S'il n'y a jamais eu qu'un scénario pour les lois de finances, j'ai le souvenir de programmes de stabilité présentant deux scénarios macroéconomiques pour les années suivantes, donc on peut aller dans ce sens.
M. Mathieu Plane. - L'écart de 2023 est historique : l'erreur est très importante pour une année en cours, alors que la prévision de croissance de 1 % était juste au regard des 0,9 % constatés. Cette erreur de 0,6 point de PIB, très importante, représente 16 milliards d'euros. Jamais il n'y a eu une telle erreur pour l'année en cours, ou alors en 2008 avec un effet très fort du second semestre sur la croissance. Si on corrige de la croissance, jamais on n'a eu une telle erreur sur les vingt dernières années. Cela interroge.
Concernant les marges de manoeuvre, il faut faire attention car on peut faire plusieurs scénarios de croissance, mais au sein des scénarios de croissance eux-mêmes, il faudrait des marges d'erreur liées à ces élasticités. Il serait sans doute intéressant de distinguer, dans l'évolution du déficit, ce qui relève de la croissance, des élasticités et des mesures nouvelles qui peuvent faire varier le déficit.
Après trois années durant lesquelles les recettes fiscales ont été dynamiques, le déficit public s'élevait en 2022 à 4,8 points de PIB. Si l'on retire les élasticités des recettes fiscales au PIB, très fortes au cours de ces trois années, le déficit s'élèverait en réalité à plus de 7 points de PIB. Le chiffre de 4,8 points de PIB masque le fait que nous avons accumulé beaucoup de recettes fiscales qui, à un moment donné, vont s'effacer, car à moyen terme, l'élasticité va revenir à 1. En masquant cela, on croit être proche du seuil de déficit de 3 % de PIB, mais ce n'est pas du tout le cas.
Le Trésor pourrait aussi fournir le détail de ses prévisions par impôt pour l'année en cours et l'année à venir. Il faudrait un tableau, comme ceux que produit l'Insee, avec les principaux impôts. Il est aujourd'hui très difficile de retrouver les chiffres prévus et les chiffres réalisés. Il nous faut pouvoir comprendre où se situent les erreurs - je parle aussi bien des impôts d'État et des cotisations sociales et patronales que de la fiscalité locale.
Concernant les sujets macroéconomiques, les questions sont nombreuses. Le déficit se situe à 5,5 points de PIB. Si nous souhaitons revenir à 3 points de PIB d'ici à 2027. Plus exactement, on doit réduire le déficit de 2,6 points de PIB, ce qui représente 80 milliards d'euros. Comment faire ces économies et quel impact auront-elles sur la croissance ? On a comme un phénomène magique : on annonce des milliards d'euros d'économies, dont on a du mal à documenter la montée en charge, et surtout on fait comme si elles étaient exogènes et n'affecteraient pas la croissance. Or les multiplicateurs budgétaires, s'ils sont plus ou moins élevés, sont une réalité : tous les modèles macroéconomiques - et le FMI a beaucoup travailler sur ces questions - intègrent un impact de ces économies sur la croissance. Si on pouvait faire 80 milliards d'euros d'économie si facilement, il n'y aurait pas de problème de finances publiques. Si la priorité est le rétablissement des finances publiques, il faut documenter toutes les économies de manière détaillée, en examinant leur impact sur la croissance. Aujourd'hui, nous ne sommes capables de réaliser des bouclages macroéconomiques qu'à la louche, ce qui nuit à notre crédibilité.
Sur l'élasticité des recettes fiscales au PIB, on n'a pas effacé tous les gains antérieurs, donc il est difficile d'attendre un quelconque rebond.
Nos prévisions en matière de croissance sont moins optimistes que celles du Gouvernement, qui ferme son écart de production et se retrouve avec une croissance dynamique tout en réalisant 80 milliards d'économies : c'est la quadrature du cercle. Si la priorité est de réduire les déficits, il faut absolument documenter les économies.
D'après moi, il ne convient pas de courir après un objectif nominal de déficit, car l'effet récessif sera certain. Nous aurons sans doute des difficultés à atteindre les 3 %. Si on essaie absolument de les atteindre, on devra renchérir sur les économies, entraînant des effets récessifs auto-entretenus. Ainsi, documentons et faisons un certain nombre d'économies ; si la croissance revient, tant mieux ; sinon, il ne faudra pas aller plus loin, cela pourrait devenir dangereux.
M. Olivier Redoulès. - Je commence par les questions macroéconomiques. Il est difficile de définir ce qu'est le plein emploi, y compris du point de vue des finances publiques. Revenir à 5 % de chômage ne veut pas dire créer 2 points de population active. Depuis 2019, nous avons créé environ 1,2 million d'emplois, soit 4 points de population active. Nous devrions déjà avoir atteint, comptablement, les 5 % de chômage. Cependant, il existe des effets de flexion, et les politiques de l'emploi affectent la nature même de la population active. Enfin, 400 000 apprentis ne représentent pas 400 000 salariés.
Au regard des finances publiques, c'est la masse salariale qui compte, c'est-à-dire non seulement l'emploi mais aussi les salaires, ce qui pose la question de la productivité. Or, si l'emploi a augmenté, une partie s'est traduit par des baisses de productivité. Cela n'est pas forcément une mauvaise nouvelle, car cela signifie que nous avons absorbé des populations plus éloignées de l'emploi, moins compétentes et moins expérimentées, mais il ne faut pas compter là-dessus, en tout cas pas à parité unitaire, pour les finances publiques : si on augmente fortement l'emploi, il y aura moins de productivité et donc une progression de la masse salariale plus faible et des salaires moyens plus faible. La baisse du salaire moyen réel par tête depuis quelques années est liée en partie à l'inflation, mais aussi à des effets de composition de la main d'oeuvre.
Concernant la question des effets récessifs des économies et le bouclage macroéconomique, sans exagérer les effets des multiplicateurs, les risques récessifs sont importants à l'heure où nous faisons des coupes budgétaires à la dernière minute et un peu brutalement, ne serait-ce que pour des raisons de désorganisation de l'appareil productif : certains perdent des marchés et doivent trouver de nouveaux clients et réallouer leur main d'oeuvre ou leurs capitaux. Les taux, élevés, devraient baisser, ce qui est plutôt positif. Cependant, la politique monétaire ne va pas forcément suivre notre trajectoire économique, ce qui modère cet optimisme. Tenir notre objectif de déficit demandera des économies plus importantes que celles qui ont été annoncées, mais je crains un choc violent : les coûts liés à la désorganisation de l'économie pourraient être très forts.
Le Gouvernement a pris une combinaison d'hypothèses optimistes, pour reprendre le jugement du HCFP, mais plutôt pour les années n + 1 et suivantes. Pour l'année en cours, à l'inverse des effets keynésiens, il semble qu'il y ait eu un arbitrage entre déficit et croissance. La croissance à 0,9 point de PIB était assez proche de la cible, mais c'est sans doute en partie parce que le déficit a filé, et que nous avons dû sous-estimer l'impact des stabilisateurs automatiques - dont fait partie l'impôt sur les sociétés - qui ont fortement joué. Cependant, le Trésor avait prévu une élasticité infra-unitaire pour 2023. On peut discuter de son niveau mais, en toute rigueur, il est difficile de prévoir l'élasticité.
Les intervalles de confiance seraient une solution idéale, mais très difficile à lire notamment dans la discussion budgétaire. Le vrai problème est la prise en compte de l'effet de base, afin de faire des prévisions fiables d'une année sur l'autre. Nous pourrions peut-être définir une base de prélèvements obligatoires plus basse pour construire le PLF de l'année suivante, que nous pourrions moduler ensuite. Cela semble peu complexe.
En matière d'élasticités, il faut distinguer le passé du futur.
Pour ce qui concerne le passé, du point de vue de la masse salariale, il y avait une élasticité infra-unitaire en raison des allègements de charge, puis de l'effet Smic et enfin de l'apprentissage. On a sans doute surestimé les recettes. La direction générale du Trésor l'avait sans doute pris en compte, mais étant donné l'importance de ces recettes, prendre comme hypothèse une élasticité globale inférieure à 1 serait justifié. L'immobilier - dont les transactions ne sont pas comptabilisées dans le PIB - a été un élément marquant : il y a eu moins de transactions et donc moins de DMTO.
J'en viens au futur. Il sera difficile de prévoir les recettes de l'impôt sur les sociétés à court terme ; elles seront sans doute assez basses en 2024. Pour la masse salariale, l'effet pourrait être contraire, car nous constatons une hausse des salaires réels. Enfin, les recettes de TVA dépendront du comportement des consommateurs et des choix de gestion de trésorerie des entreprises.
M. Vincent Delahaye. - La documentation des prévisions de recettes est indigente. Au niveau local, nous n'oserions présenter de telles prévisions. Aucun élément ne nous permet de justifier les chiffres qui nous sont fournis. Je ne suis donc pas étonné.
Je suis effaré que M. Ecalle nous dise que les prévisions techniques ne sont pas communiquées à la Cour des comptes. M. le rapporteur général y a-t-il accès ? Les demande-t-il chaque année ? Pourrions-nous obtenir des comptes rendus de ces prévisions ?
Concernant la TVA, j'avais demandé une étude. On ne fait que se réjouir des bonnes surprises et déplorer les mauvaises. En février 2024, la variation est de 10 milliards d'euros, sans aucune explication de Bercy. Je souhaiterais que la commission des finances réalise une étude rétrospective sur les explications qui ont été données en matière de variation de la TVA.
Pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, je suis surpris que l'on soit surpris ! Toutes les entreprises font leur déclaration fiscale avant le 30 juin. Nous disposons alors du résultat fiscal sur lequel se fondent les quatre acomptes trimestriels. Nous pourrions avoir dès la fin de l'été des prévisions très précises. Je ne comprends pas qu'on puisse se rendre compte au mois de janvier ou février qu'il manque un milliard d'euros de la part de la Banque de France.
Je ne comprends pas non plus qu'il n'existe pas de tableau de bord mensuel réalisé par les trésoreries départementales pour suivre régulièrement les recettes. Il faudrait au moins que les 20 % de trésoreries qui représentent 80 % des recettes assurent ce suivi.
Je suis effaré par le manque de documentation et d'information sur l'évolution des recettes. Si l'on continue comme cela, nous aurons des surprises chaque année, plus ou moins cachées par le ministre au dernier moment. Je suis pour le principe de prudence, mais fondé sur des chiffres et des scénarios précis.
M. Grégory Blanc. - Nous parlons non pas d'un problème de dérapage des dépenses, mais d'un problème de recettes fiscales qui ne sont pas à la hauteur des attentes.
J'ai bien compris qu'il est difficile de définir l'assiette des prélèvements. Nous sommes moins dans une période de politique monétaire que budgétaire, si bien que ne pas maîtriser l'assiette accentue les problèmes. Depuis plusieurs années, nous avons développé une fiscalité sur les flux ; or nous devons investir massivement dans les transitions, notamment la transition écologique. Ne faut-il pas fiscaliser les stocks, et donc le patrimoine ? Il est temps de mettre la question sur la table.
M. Éric Bocquet. - M. Ecalle a rappelé qu'à chaque alternance politique, la Cour des comptes réalise un audit. Cet audit est-il sincèrement nécessaire pour une équipe entrante ? J'imagine que Bercy et le Trésor assurent un suivi quotidien des recettes de l'État, a fortiori depuis que l'impôt sur le revenu est prélevé à la source. Les ministères doivent connaître l'état des finances au jour le jour. Un tel audit est-il une manoeuvre politique pour justifier devant l'opinion un état des finances publiques dégradé et un renoncement à certaines promesses ? Bref, est-ce que l'on nous ment en permanence sur l'état budgétaire et financier de notre pays ? Entre autres à nous, parlementaires ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Monsieur Plane, j'ai un petit doute concernant l'écart que vous soulignez en matière de cotisations sociales. Dans l'annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 comme dans l'évaluation des comptes nationaux des administrations publiques publiée par l'Insee, nous constatons certes une décélération remarquable ; cependant, la réduction de la masse salariale me semble avoir été anticipée. L'écart par rapport à la prévision ne semble pas disproportionné pour ce qui concerne les finances sociales.
Ensuite, il convient de souligner le cas de la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (CRIM), alors que l'écart à la prévision est de l'ordre de plusieurs milliards d'euros.
Enfin, dans quelle mesure l'entrée en vigueur de l'impôt mondial sur les multinationales, qui instaure une imposition minimale de 15 %, aurait-elle des conséquences sur le niveau d'impôt sur les sociétés perçu en France ?
M. Michel Canévet. - Voter la loi et contrôler l'action du Gouvernement sont des missions qui demandent de disposer d'outils et de procédures adéquats. Au 31 mars 2024, il y a 1 milliard d'euros en moins de recettes de TVA et 3,5 milliards d'euros de dépenses en moins par rapport au premier trimestre 2024. Or les dépenses de personnel et de fonctionnement, qui représentent la moitié des dépenses de l'État, augmentent de 8 à 9,5 % par rapport au premier trimestre 2023. Disposons-nous de chiffres plus affinés pour suivre l'évolution de la situation financière de l'État ?
Compte tenu de ces perspectives, pourrons-nous faire passer le déficit de 172 milliards en 2023 à 146 milliards d'euros en 2024 ? Arriverons-nous à atteindre cette cible ?
Mme Nathalie Goulet. - À qui se fier ? Les chiffres sont manifestement incertains ; pour voter les lois de programmation comme les lois de finances, nous devons faire avec. La situation se répercute dans nos territoires : voyez le dernier décret d'annulation de crédits. Comment voyez-vous le rôle du Parlement dans cet ensemble d'incertitudes ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Nous nous focalisons sur une erreur visible, qui a des conséquences réelles, certes, mais le vrai sujet reste la situation budgétaire du pays et la réduction de la dette dans le temps ; en effet, il nous faut réduire nos dépenses tout en maintenant la croissance.
Je comprends bien qu'il était difficile, comme M. Ecalle l'explique, de revoir toute la situation budgétaire. Je ne sais comment nous aurions pu intégrer une nouvelle prévision... je n'ai pas la réponse.
Concernant l'élasticité des recettes, nous sommes passés de trois ans de recettes élevées à un ressac. Doit-on écarter la thèse d'un effet conjoncturel ? Que devons-nous en tirer comme conclusion ?
En matière de prévisions techniques, nous souhaiterions tous avoir des chiffres précis. Le HCFP pourrait avoir accès aux prévisions du ministère, mais nous risquons d'inventer un deuxième bureau, qui fera la « petite » prévision technique, validée ensuite par un autre bureau, qui publiera la « vraie » prévision technique. Je crains qu'un regard politique ne vienne irriguer cette prévision technique. Comment faire, si ce n'est de se doter d'un scénario de croissance prudent et d'un scénario d'élasticité dégradé ?
M. Thierry Cozic. - Notre arsenal législatif est-il adapté, afin que les parlementaires disposent d'une information plus fiable ?
Monsieur Plane, vous avez déclaré à la radio qu'il semble difficile d'atteindre l'objectif de 3 % de déficit public en 2027 sans toucher à la fiscalité. De votre point de vue, quelles mesures fiscales faudrait-il privilégier ?
M. Jean-Baptiste Blanc. - Nous avons très peu d'informations sur le coût du zéro artificialisation nette (ZAN). Mes collègues de la mission d'information sur le financement du ZAN s'en sont encore émus hier, et nous allons saisir le Gouvernement. Connaissons-nous les conséquences de la raréfaction du foncier et de la désindustrialisation du pays ? Entraînent-elles des pertes de recettes ?
Mme Isabelle Briquet. - Les trois dernières années furent très favorables au regard des recettes fiscales. Les explications étaient les suivantes : plus on baisse les taux de prélèvement, plus on a de produits. Mais la mécanique s'est enrayée. La réduction du déficit ne peut se limiter à la seule réduction de la dépense, comme vous l'avez tous démontré. Pourtant, le ministre de l'économie annonce toujours une réduction du déficit à 3 % en 2027 sans toucher à la fiscalité. Est-ce tenable ?
M. Laurent Somon. - Monsieur Plane, on parle d'économies, mais sans évaluer leur impact sur la croissance et les effets récessifs. Quelle est la relation entre Bercy et le service d'évaluation des politiques publiques, qui devrait éclairer le Gouvernement sur l'impact des politiques qu'il propose, notamment en matière de recettes fiscales ?
Vos graphiques présentent les écarts entre les prévisions de recettes et les chiffres réalisés. En quoi faut-il encore plus de précisions et de transparence pour prendre les mesures correctives qui nous permettront de réduire le déficit public ?
M. Claude Raynal, président. - J'irai dans le même sens que M. Somon. L'administration dispose-t-elle de référentiels sur les effets récessifs des différentes économies envisagées ? On nous donne en permanence, quelle que soit la personne qu'on interroge, l'exemple de l'aide au développement, dont la diminution n'a pas d'effet récessif en France. Avez-vous des indications sur les dépenses qui seraient plus délicates à manier du point de vue de l'impact récessif ?
M. Olivier Redoulès. - La frustration est réelle en matière de suivi de la situation budgétaire : par exemple, pour ce qui concerne la forte baisse de recettes de TVA, la ligne d'explication contenue dans la dernière note de situation mensuelle budgétaire de l'État est incompréhensible.
Cela étant, instaurer un tel suivi n'est sans doute ni faisable ni souhaitable. Techniquement, les différents déficits sont calculés à partir de conventions de comptabilité nationale qui se fondent sur des hypothèses variées et enclenchent un certain nombre de processus au sein de l'Insee. Produire des notes de suivi trop fréquemment risque de créer du bruit et de l'imprécision. Il faut accepter une forme d'incertitude et en tirer les conséquences lors des choix budgétaires. Le suivi en temps réel a des limites.
Bercy pourrait sans doute produire plus de notes techniques, mais face à la complexité des directions et du partage d'informations, il faut sans doute accepter un degré d'incertitude impondérable, même si nous pourrions sans doute faire mieux, notamment grâce à la numérisation de l'économie et des technologies.
Je ne sais pas quel véhicule technique ou législatif encouragerait une approche plus prudente. Le Gouvernement pourrait, de lui-même, décider de ses propres marges d'erreur. Cependant, en 2017 et en 2019, le Gouvernement a fait un peu mieux que la prévision pour ce qui est du déficit. Nous pourrions imaginer que le Gouvernement propose une fourchette pour le déficit. L'essentiel sera de proposer des prévisions macroéconomiques prudentes et de prendre en compte l'effet de base.
Nous ne sommes pas en mesure d'évaluer les conséquences du ZAN. Cela pose la question de l'évaluation de l'incidence des réformes sur la croissance et les finances publiques. Nous ne savons pas bien évaluer, il faut donc être prudent quand on met en place des réformes. Des réformes qui partent de bonnes intentions peuvent produire des effets indésirables. De plus, le flux de réformes, important, complexifie l'exercice de prévision et engendre du bruit.
L'impôt international entre en vigueur en 2024. L'étude préalable témoigne d'une grande incertitude en matière de prévision de recettes. La fourchette d'incertitude est de plusieurs milliards d'euros.
L'année 2023 a montré un problème lié aux recettes, mais la question des dépenses se pose aussi. Notre niveau de prélèvements obligatoires est l'un des plus élevés. Par ailleurs, durant la crise, des dépenses qui n'étaient pas liées à la crise ont augmenté, comme la Cour des comptes l'a souligné dès 2020 et 2021.
Il me semble que le Gouvernement a une vision sur les potentiels effets récessifs. Cependant, le problème est que nous avons des difficultés à voir, sur la place publique, quelles sont les mesures qui seront mises en place : je rejoins les propos de M. Plane sur la documentation.
M. Mathieu Plane. - Il est difficile de savoir si l'on nous ment ; surtout, ce sont les finances publiques qui sont compliquées à comprendre. La situation est un peu hors norme, nous avons vécu des chocs inédits, il est difficile de faire des prévisions économiques dans ces conditions. Le choc lié au covid puis le choc énergétique, avec un retour d'inflation inédit depuis trente ou quarante ans, ont eu des effets importants sur les assiettes et les rentrées fiscales. Les aléas sont forts, pour les prévisions de croissance et de déficits.
En revanche, en raison d'une élasticité importante, les rentrées fiscales ont été importantes ces dernières années. Quand l'on constate que les 4,8 % de déficit masquent un niveau réel de 7 %, peut-on prendre les mêmes mesures budgétaires ? Voilà la question. Si on sait que le niveau de 4,8 % est artificiel et qu'il y aura plus de deux points qui devront être rattrapés, certaines décisions politiques doivent être prises bien en amont. Vous faites des choix politiques différents. Il s'agit de relire la situation en décomposant les effets de la crise, la croissance et les recettes fiscales très volatiles.
Un exemple : comment envisager l'assiette fiscale pour l'énergie carbonée ? La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est prélevée parce qu'on achète de l'essence. Si tout le monde passe à l'électrique, le manque à gagner peut devenir très important. Allons-nous compenser cette perte en taxant plus l'électrique ? Je ne pense pas que ce soit notre objectif. Autre exemple : nous vivons un choc très particulier dans la construction, dont nous ne savons s'il est conjoncturel ou structurel.
Tout cela exige que l'on ait une bonne compréhension du point de départ. La prévision donnée synthétise en fait une information très complexe.
Je ne sais pas si le Trésor suit en temps réel les recettes de l'impôt sur les sociétés. Un tableau de bord plus informatif serait intéressant. Un suivi mensuel des recettes de l'État existe, mais ces recettes ne représentent que 35 % des recettes publiques du pays. Pour 65 %, nous n'avons pas de suivi, en l'occurrence pour les cotisations et les recettes des collectivités locales.
Le dernier budget prévoyait un ralentissement des rentrées de cotisations sociales, mais il me semble que ce ralentissement a été plus fort que prévu. Pour dresser un tel constat, j'ai dû « bricoler » afin de retrouver l'information dans les textes budgétaires. Il ne s'agit que d'estimations, nous n'avons pas de tableau de bord qui nous permette de constater où sont les erreurs en fonction du type de recette.
Pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés au niveau mondial, force est de constater que l'assiette fiscale des multinationales, notamment des géants du numérique, est très volatile.
Les 2,6 points de PIB évoqués représentent environ 80 milliards d'euros, mais ce chiffre est défini hors effet du multiplicateur : on atteindrait un déficit de 2,9 points de PIB en 2027 si ces 80 milliards d'euros d'économie n'avaient aucun effet sur la croissance. Les multiplicateurs moyens de la dépense publique générique, dans la littérature, s'élevant environ à 1, les 80 milliards d'euros d'économies représentent environ 80 milliards d'euros de PIB en moins, soit 40 milliards d'euros de recettes publiques en moins. Pour atteindre l'objectif fixé, il faut en fait doubler la mise, à savoir faire 160 milliards d'euros d'économies. On entre alors dans une spirale de chocs très importants. Or peu d'économies ont des effets récessifs moindres - il s'agit de quelques consommations intermédiaires sur les fonctionnements et les achats.
Examinons la structure de la dépense publique. Plus de 50 % portent sur la protection sociale, dont 80 % concernent la santé et les retraites. Se pose la question de l'indexation des retraites. Avec le vieillissement de la population et la situation post covid, les dépenses de santé augmentent. Les dépenses de l'État sont constituées en grande partie de dépenses régaliennes et de dépenses d'éducation.
Restent enfin les collectivités locales. Réduire les dotations aux collectivités locales donne lieu à une réduction des investissements, alors même que l'investissement a un fort effet multiplicateur.
Tout le monde souhaiterait pouvoir réaliser 80 milliards d'euros d'économies sans effet sur la croissance. Mais la réalité en va autrement. Il va donc falloir documenter les dépenses.
De plus, au regard des enjeux, si l'on souhaite être crédible, il faut mettre toutes les questions sur la table. Il ne semble pas possible d'écarter la question de la fiscalité. Étant donné la marche à franchir, la dépense publique ne pourra être la seule solution. Faut-il un impôt exceptionnel post crise, comme il y a eu une aide exceptionnelle durant la crise ? Faut-il jouer sur la fiscalité de l'épargne et du patrimoine ? Voilà les choix politiques à faire.
Au regard des enjeux, soit l'on fait semblant que l'on sait et l'on fait des ajustements à l'aveugle - la trajectoire ne sera alors pas tenue, mais pourquoi pas ? -, soit l'on veut être crédible pour faire face au défi qui nous attend, et ainsi tout mettre sur la table et tout documenter.
M. François Ecalle. - Un audit des finances publiques a lieu à chaque grande alternance au cours des trente dernières années, et c'est le seul moment où le ministre autorise les directeurs du Trésor et du budget à transmettre les chiffres à des auditeurs extérieurs. Je précise que la Cour des comptes refait systématiquement ses propres estimations, indépendamment des notes transmises, en auditionnant les contrôleurs budgétaires ; le travail est important. Les différences d'estimation ne sont pas considérables. Les ministres de l'économie et du budget ne sont jamais très surpris.
Les raisons de ces audits sont bien politiques. C'est le moyen pour un nouveau gouvernement de justifier des mesures de redressement nouvelles.
Cela fait bien longtemps que j'ai renoncé à tirer quoi que ce soit des notes de situation mensuelle budgétaire. Les résultats des rentrées fiscales sont fortement perturbés par des procédures administratives de recouvrement des impôts, qui brouillent la lecture : la TICPE, par exemple, est recouverte par décade. Je pensais que la TVA permettait de tirer quelques conclusions, car elle est assez régulière. Je me souviens d'ailleurs avoir signalé publiquement une anomalie sur la TVA à l'été dernier, mais avec beaucoup de prudence. En effet, le calendrier de rétrocession aux collectivités locales et aux organismes de sécurité sociale, qui n'est pas fixe d'une année sur l'autre, rend les chiffres difficilement compréhensibles.
Bercy réalise des prévisions mensuelles de recouvrement, établies essentiellement par la direction générale des finances publiques, en fonction des calendriers. Je me rappelle que, il y a dix ans, nous disposions de notes inter-directions de recouvrement de recettes fiscales, chaque mois, qui comparaient le recouvrement réalisé par rapport aux prévisions du PLF ; cependant, ces notes étaient très difficiles à interpréter. Les débats étaient toujours nombreux entre les directions qui mettaient l'accent sur l'analyse des écarts et ceux qui, comme la direction du Trésor et l'ancienne direction de la prévision, se fiaient plutôt aux prévisions macroéconomiques sur la consommation, les revenus et les impôts.
Concernant l'impôt sur les sociétés, les grandes entreprises, qui sont les principales contributrices à l'impôt sur les sociétés, sont amenées à calculer leur dernier acompte versé au 15 décembre en fonction de leur prévision de bénéfices de l'année en cours. La prévision de recettes du dernier acompte est donc une prévision de la prévision que font les entreprises. Ainsi l'on multiplie les erreurs. Avoir des prévisions fiables est très difficile.
Concernant la mauvaise surprise de 2023 pour ce qui concerne les recettes, je précise qu'en 2022 nous avions atteint un niveau record de prélèvements obligatoires - jamais le taux de prélèvements obligatoires par rapport au PIB n'avait été aussi élevé - après avoir réalisé 50 milliards d'euros de baisse d'impôts et de cotisations sociales. Cela n'était pas normal. Les recettes fiscales et sociales ont été gonflées en 2021 et 2022 parce que des impôts comme l'impôt sur les sociétés amplifient toujours le rebond de l'activité. S'ajoute la situation de l'immobilier et des DMTO. Pour de nombreuses raisons, les chiffres aberrants sont le taux de prélèvements obligatoires et le déficit de 2022. L'année 2023 constitue un retour à la normale : après des baisses de 50 milliards d'euros d'impôt, il est finalement normal que le taux de prélèvements obligatoires diminue.
Les services de Bercy l'avaient prévu, avec une élasticité des prélèvements obligatoires de 0,6, mais sans anticiper l'ampleur du phénomène. Dans le programme de stabilité, Bercy continue à prévoir pour 2024 et 2025 une élasticité inférieure à 1, ce qui est sage : le phénomène n'est pas terminé. Ce n'est pas le déficit de 2023 qui est anormal, mais celui de 2022.
Enfin, le ministère dispose d'outils pour prévoir l'impact d'une réduction du déficit public, que ce soit par une baisse des dépenses ou une hausse des recettes, à savoir les mêmes instruments que l'OFCE. Bercy dispose du modèle dit Mésange (Modèle économétrique de simulation et d'analyse générale de l'économie), construit avec l'Insee, qui permet d'évaluer l'impact des politiques publiques.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je souhaite répondre à M. Delahaye. Nous avons interrogé le Gouvernement à la suite du décret d'annulation : le Gouvernement n'a pas répondu, et a dit que nous aurions les éléments dans le programme de stabilité. Nous continuons à interroger les différentes directions, nous essayons de comprendre.
Les échanges d'aujourd'hui sont utiles. Certains prétendent que les Français se fichent du fait que la dette dérive. Cependant, les sirènes se mettent parfois à hurler. Dans un contexte de tensions et de craintes, cela alimente le sentiment de défiance.
Notre souhait n'est pas celui d'un suivi budgétaire tatillon. Nous voulons pouvoir suivre la situation dans le temps long, notamment si nous voulons mener enfin des réformes véritablement structurelles.
Audition de M. Thomas Cazenave, ministre
délégué auprès du ministre
de
l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle
et numérique, chargé des comptes
publics
(Mardi 28 mai 2024)
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous arrivons presque au terme des travaux de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, en entendant, cet après-midi, le ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, avant d'entendre Bruno Le Maire après-demain.
Je rappelle que cette mission d'information a été déclenchée à la suite du constat d'un écart massif entre la prévision de déficit public pour 2023 de 4,9 % du PIB, incluse dans l'ensemble des textes adoptés par le Parlement à la fin de l'année dernière - loi de finances de fin de gestion pour 2023, loi de finances initiale pour 2024, loi de programmation des finances publiques - et son exécution, à 5,5 %, chiffre dévoilé par l'Insee le 26 mars dernier, mais dont la presse s'est fait l'écho dès le 20 mars.
Hors période de crise, cet écart négatif entre prévision et exécution est sans précédent. Si l'on corrige cet écart de l'erreur de prévision de croissance, il est tout simplement inédit.
Nous vous avons entendu, monsieur le ministre, minorer cet écart en vous concentrant sur les effets du changement de base de l'Insee. Celui-ci n'est toutefois à l'origine que de 0,14 point de l'écart, qui sans cela serait donc de 0,5 point.
L'écart est en réalité principalement lié à des recettes bien inférieures à la prévision, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés, de la TVA, des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), des cotisations sociales ou encore de l'erreur massive d'appréciation de recettes sur la nouvelle contribution sur la rente inframarginale de l'électricité (Crim).
Que s'est-il passé pour que cet écart de recettes, donc de déficit, soit si important ? Comment l'exécution a-t-elle pu s'écarter autant des prévisions des textes financiers adoptés en novembre et décembre 2023 ? Je souligne à cet égard que toute déviation observée sur 2023 se traduit nécessairement, par un effet base, sur le déficit 2024.
Le Gouvernement a-t-il sous-estimé l'ampleur de la déviation ? A-t-il manqué de prudence dans ses estimations de recettes ? Est-il resté sourd aux alertes de son administration ? Ou bien encore a-t-il retenu des informations essentielles qui auraient permis aux parlementaires de se prononcer sur un « vrai » budget - notez que je ne dis pas « sincère » ? Il n'est pas envisageable non plus qu'une telle situation se reproduise. Comment s'en assurer ? Quelles améliorations prévoyez-vous pour améliorer les prévisions ?
Vous le savez, monsieur le ministre, cette mission d'information a été déclenchée à la suite de la publication, par voie de presse, d'informations concernant le déficit public 2023, et ici, au Sénat, nous avons assez peu goûté ce contournement du Parlement, qui s'est d'ailleurs prolongé depuis que vous refusez de présenter un projet de loi de finances rectificative. Le rapporteur général Jean-François Husson a donc utilisé ses prérogatives et effectué un contrôle sur pièces et sur place le 21 mars dernier. Il a ainsi assuré la mission de contrôle de l'action du Gouvernement dévolue au Parlement par l'article 24 de la Constitution, en utilisant les prérogatives que lui confère l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
L'enjeu de l'information du Parlement est donc également crucial dans notre mission, en particulier à un moment où le déficit public, déjà très élevé, dérape à ce point et où celui-ci ne peut qu'affecter notre position à l'échelon européen à l'approche de l'entrée en vigueur des nouvelles règles budgétaires.
Cette audition est l'occasion pour vous, monsieur le ministre, de nous donner les éclairages nécessaires. Je vous donne donc la parole pour une intervention liminaire, à la suite de quoi le rapporteur général et moi-même, ainsi que les autres membres de la commission aurons, je n'en doute pas, des précisions à vous demander.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner de nouveau l'occasion de m'exprimer devant vous et de pouvoir donner toutes les explications sur la situation dans laquelle nous sommes.
Pour rentrer directement dans le vif du sujet et répondre à vos interpellations, je reviens sur l'écart constaté en 2023 concernant nos prévisions de solde public. Celui-ci a atteint - 5,5 % du PIB, contre - 4,9 % prévu en loi de finances de fin de gestion. Comment s'explique cet écart ?
D'abord, je veux redire qu'en 2023 nos dépenses ont été tenues. L'État et ses opérateurs ont moins dépensé que prévu, et ce à hauteur de 7 milliards d'euros par rapport au budget initial. Ce résultat a été permis par des mesures de pilotage prises en cours de gestion. Je pense notamment à la mise en réserve additionnelle de crédits faite à hauteur de 1,6 milliard d'euros au mois de mai 2023, ainsi qu'à un décret d'annulation de 5 milliards d'euros pris en septembre 2023.
La trajectoire de l'objectif national de dépenses d`assurance maladie (Ondam) a également été respectée. Les mesures de régulation ont permis de compenser notamment le coût des aides en trésorerie qui ont été accordées aux hôpitaux au titre de l'inflation et le dépassement des soins de ville. Les dépenses de santé liées à la crise sanitaire ont été significativement réduites, passant de près de 12 milliards d'euros en 2022 à 1 milliard d'euros en 2023.
Les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ont été dynamiques en 2023. La loi de programmation des finances publiques fixait pour 2023 une hausse des dépenses égale à l'inflation. Nous constatons aujourd'hui qu'elles ont augmenté plus fortement, de 5,9 %, là où l'inflation s'est élevée à 4,9 %.
En somme, la situation à laquelle nous faisons face, c'est bien celle de dépenses globalement tenues, mais de recettes affectées par un ralentissement économique mondial. Au total, ce sont 21 milliards d'euros de moindres recettes que nous avons constatées en 2023 par rapport à ce que nous anticipions lors des débats au Parlement en octobre et en novembre.
Voici le détail des raisons de ces moindres recettes.
D'abord, les recettes de l'impôt sur les sociétés (IS) se sont élevées à 4,4 milliards d'euros de moins que ce que nous anticipions dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion pour 2023. La dégradation - c'est un point très important - n'a été constatée qu'en décembre, au moment du dernier acompte, avec une baisse de 4,2 milliards d'euros par rapport à la prévision actualisée, et ce alors même que les encaissements de novembre étaient encore légèrement supérieurs à la prévision - de 0,5 milliard d'euros. C'est donc bien une dégradation subite et non prévisible à la date des textes budgétaires qui explique l'écart relatif à l'impôt sur les sociétés. La mécanique de l'impôt sur les sociétés en fait l'une des recettes les plus complexes à anticiper, avec une forte incertitude de prévision, y compris en fin d'année budgétaire. S'il est significatif en niveau, cet écart n'est pas inédit en proportion. Ainsi ont été observées une baisse de 5 %, en 2013, une hausse de 7 %, en 2018, et une hausse de 5 %, en 2022, par rapport aux prévisions.
J'en viens à la TVA, pour laquelle l'écart s'élève à - 4,3 milliards d'euros, dont 1,4 milliard d'euros affectant directement les recettes de l'État.
Cela tient à deux facteurs : premier facteur, un dynamisme moindre qu'anticipé en lien avec la conjoncture ; second facteur, des modifications des pratiques des entreprises en matière de remboursement de crédit de TVA. Il s'agit d'une réaction au contexte économique incertain avec des taux d'intérêt élevés qui pousse les entreprises à mobiliser davantage les leviers de trésorerie dont elles disposent, notamment s'agissant des remboursements de TVA.
Les recettes de l'impôt sur le revenu (IR) sont également moindres : - 1,4 milliard d'euros. Les recettes de prélèvement à la source ont ralenti à partir de septembre et ce ralentissement s'est confirmé en octobre. Il est important de souligner que ce calendrier est lié aux caractéristiques de cet impôt. Les taux de prélèvement sont principalement mis à jour à partir de septembre et d'octobre sur la base des déclarations. Le Gouvernement en a tenu compte en révisant à la baisse la prévision en PLFG (projet de loi de finances de fin de gestion) par rapport à celle qui avait été déjà révisée en septembre pour le projet de loi de finances. L'écart constaté entre la prévision actualisée et l'exécution est de - 2 %. Cette proportion-là non plus n'a rien d'inédit : - 3 % en 2013, + 3 % en 2022, par exemple.
Le rendement de la Crim n'a été que de 600 millions d'euros. La prévision initiale reposait sur des estimations d'évolution des prix de l'électricité élaborées en lien avec les services de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La forte baisse des prix de gros de l'électricité tout au long de l'année a affecté les estimations initiales de rendement. Les prix spot moyens ont ainsi été quasiment divisés par trois entre 2022 et 2023. Autre élément d'explication, la prévision était particulièrement complexe, compte tenu de la difficulté à prévoir la stratégie de vente des producteurs d'électricité. En synthèse, ce décalage s'explique essentiellement, d'abord, par le fait qu'il s'agit d'un impôt nouveau, donc difficile à calibrer, dont les modalités de recouvrement et de prévision sont plus complexes à estimer, ensuite, par une très forte baisse des prix d'électricité par rapport au contexte du PLF 2023, enfin, par la capacité à mobiliser et imputer les pertes pour ceux qui étaient redevables de la Crim.
En raison du ralentissement de l'économie, les cotisations sociales ont également été inférieures de 4,8 milliards d'euros aux prévisions et les prélèvements sociaux de 1,4 milliard d'euros. Ces moindres recettes sociales - cotisations sociales, CSG, taxes sur les salaires, forfait social - résultent du ralentissement économique observé à la fin de l'année 2023. Ainsi, l'augmentation de la masse salariale du secteur privé a finalement atteint 5,7 % contre une prévision du Gouvernement de 6,3 %, engendrant mécaniquement des moindres recettes de cotisations.
Comme vous le voyez, cette baisse de recettes est due à des aléas qu'il était très difficile de prévoir. Les experts que vous avez d'ailleurs sollicités lors de vos auditions ont pu le confirmer. Le directeur des études de l'institut Rexecode a souligné qu'avec l'information disponible à la fin du mois de novembre 2023, qui n'était pas connue au moment de l'examen du PLFG, il était particulièrement difficile de prévoir une telle baisse de nos recettes. Le directeur adjoint de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) a mis en avant des « aléas forts » dans une situation « hors norme », avec des chocs inédits rendant difficile de faire des prévisions économiques.
Sur l'impôt sur les sociétés, lors de son audition devant votre commission, François Écalle a souligné qu'avoir des prévisions fiables était très difficile, notamment parce que les grandes entreprises, qui sont les principales contributrices à l'impôt sur les sociétés, sont amenées à calculer leur dernier acompte, versé au 15 décembre, en fonction de prévisions de bénéfices de l'année en cours.
Par ailleurs, de tels écarts aux prévisions de recettes ont déjà été connus dans le passé. Ainsi, en 2013, les recettes ont chuté, ce qui a entraîné un écart de 25 milliards d'euros entre l'objectif en PLF et le déficit constaté. Il en a été de même en 2011 : l'État a vu ses recettes baisser de 700 millions d'euros pour l'IR et de près de 6 milliards d'euros pour l'IS.
Vos travaux portent également sur les modalités d'information du Parlement, sur la situation économique, budgétaire et financière. Je reviens donc sur les informations qui ont été transmises au Parlement pour vous redire que le Gouvernement n'a rien caché. Dans l'ensemble des notes et documents qui vous ont été transmis, vous avez pu constater que les informations sur les recouvrements de recettes étaient trop tardives - j'y insiste - pour être intégrées dans les textes financiers de fin 2023.
Le 7 décembre 2023, une note des services évoque « un risque de dégradation du déficit 2023 de 4,9 % à 5,2 % du PIB ». Les directions insistent sur l'ampleur des aléas entourant cette prévision et recommandent explicitement de ne pas communiquer sur ce fait. Cette note a d'ailleurs été partagée avec les parlementaires. Il est trompeur de ne citer qu'une partie de cette note, sans dire qu'elle souligne la nécessité de ne pas diffuser les chiffres dans l'attente de données fiabilisées. Par ailleurs, à cette date, la loi de fin de gestion 2023 a été promulguée depuis une semaine et ne pouvait pas être modifiée. Il n'y avait pas lieu non plus d'actualiser la prévision du PLF 2024, dont l'examen au Parlement était encore en cours jusqu'à mi-décembre, dans la mesure où - c'est un point important - les conséquences sur 2024 de ces informations nouvelles sur 2023 n'étaient pas connues. La note des directions indiquait noir sur blanc que la prochaine prévision de déficit 2024 serait faite en février de cette même année. Les administrations de Bercy en charge de la prévision écrivaient dans cette note que nous avons transmise le 29 mars à l'ensemble des membres des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat : « La prévision de solde public de la loi de finances de fin de gestion pour 2023 s'établit à - 4,9 % du déficit. Les dernières informations laissent toutefois anticiper un déficit plus prononcé. Il pourrait en effet s'établir à - 5,2 % du PIB. Cette révision du déficit public s'expliquerait principalement par une révision à la baisse des prélèvements obligatoires au regard des remontées comptables observées à date et par un moindre dynamisme que prévu de la masse salariale privée. Par ailleurs, le dynamisme des dépenses et des administrations publiques locales et la charge de la dette dégraderaient également le solde public. Il n'est pas recommandé de communiquer sur cette mise à jour encore entourée de nombreux aléas. » La conclusion de cette note précise le calendrier des travaux des services : « La prévision de solde public pour 2023 sera réactualisée par la direction du budget et la direction du Trésor, une fois l'exécution budgétaire de l'État connue en janvier, levant une partie des aléas identifiés. Le déficit 2023 sera ensuite notifié par l'Insee lors de la publication du compte provisoire le mardi 26 mars. » Les directeurs des administrations concernées concluent : « Dans la mesure où la prévision 2023 est encore sujette à de nombreux aléas, il n'est pas recommandé de communiquer sur cette mise à jour. »
Dans une note du 24 janvier 2024, ces mêmes services écrivent : « La dernière prévision publique de solde public pour 2023 est celle de la loi de finances de fin de gestion pour 2023, qui s'établit à - 4,9 % du PIB. Selon les dernières prévisions disponibles, notamment l'exécution budgétaire de l'État, le déficit 2023 serait plus dégradé et s'établirait à - 5,3 % du PIB, un niveau proche de celui prévu dans la note d'actualisation de décembre. Cette révision s'explique notamment par une moins-value importante des prélèvements obligatoires et le dynamisme des dépenses locales, partiellement compensés par une sous-exécution des dépenses de l'État. » Toujours dans la même note, « cette actualisation reste soumise à de nombreux aléas jusqu'à la publication des chiffres de déficit prévue par l'Insee le 26 mars ». Comme la note du 7 décembre 2023, la note du 24 janvier 2024 conclut : « Dans la mesure où la prévision 2023 est encore sujette à de nombreux aléas, il n'est pas recommandé de communiquer sur un chiffre précis de déficit public. »
Lorsque, le 16 février 2024, une prévision davantage fiabilisée est remontée à 5,6 % dans le cadre de la préparation technique du programme de stabilité, nous révisons notre croissance pour l'année 2024 de 1,4 % à 1 %, ce qui a été annoncé par Bruno Le Maire. Dès le 18 février, deux jours après, nous prenons immédiatement les mesures nécessaires pour ajuster nos dépenses ; un décret d'annulation est publié le 21 février, c'est-à-dire quelques jours après l'envoi de la note des services fiabilisant le déficit. Dès le 6 mars, nous avons eu l'occasion de dire, dans le cadre de nos auditions au Parlement, que le déficit serait nettement supérieur à la prévision.
Je tiens à revenir sur l'évolution de la dette publique. J'entends souvent que cette majorité serait à l'origine d'une hausse de la dette de 1 000 milliards d'euros depuis 2017. Cet argument est trompeur. En effet, s'intéresser à l'évolution de la dette en euros n'a pas de sens si, dans le même temps, on ne regarde pas l'évolution du PIB, car ce dernier détermine la capacité d'un État à rembourser sa dette.
Depuis 2017, le PIB a augmenté de 570 milliards d'euros, et ce malgré la crise du covid, puis celle des prix de l'énergie. Le ratio de dette sur PIB a progressé de 12 points depuis 2017, ce qui, étant donnée la valeur du PIB en 2023, représente une hausse non pas de 1 000 milliards d'euros, mais de 350 milliards d'euros.
Toujours sur la progression de la dette, je rappelle que certaines dépenses ont permis de protéger l'emploi et l'outil productif pendant la période de crise. Par ailleurs, nous avons maintenu le taux de chômage à 7,5 %. C'est d'ailleurs ce que souligne le FMI, qui salue la qualité de la réponse apportée à la crise du covid et à la crise inflationniste. Cette protection a eu un coût pour les finances publiques, mais son absence aurait été encore plus coûteuse en termes de faillites et d'explosion du chômage. Le Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications) a ainsi estimé que l'endettement français aurait été plus élevé de 10 points de PIB en l'absence de mesures de soutien face à la crise sanitaire en raison de la chute du PIB et de la destruction du tissu productif.
La politique que nous avons menée a fait ses preuves. Elle a permis de continuer à créer de l'emploi, de la croissance et d'ouvrir de nouvelles usines. Cette situation est à mettre en perspective avec l'évolution observée entre 2007 et 2012, période également frappée par la crise. Dans cette période, l'endettement public a augmenté de 26 %, principalement sous l'effet d'une hausse des dépenses sociales. L'emploi n'a pas été pour autant protégé et le chômage a augmenté durablement de deux points.
Je rappelle qu'il aura fallu attendre 2018 et le quinquennat d'Emmanuel Macron pour voir le déficit public revenir sous la barre des 3 % et notre pays sortir de la procédure pour déficit excessif. Aujourd'hui, l'enjeu est le retour progressif sous les 3 % d'ici à 2027. C'est l'objectif qui a été confirmé dans le cadre du programme de stabilité que nous vous avons présenté, qui nécessitera un effort partagé dont nous discuterons dans le cadre de la préparation et de l'examen des prochains textes financiers.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, merci de cette intervention qui a embrassé un certain nombre de sujets, même si certains avaient peu à voir avec l'objet de cette mission d'information.
Nous allons bien évidemment revenir sur chacun des points que vous avez évoqués. Néanmoins, il manque une conclusion à votre propos liminaire. Vous avez fait une conclusion factuelle, vous satisfaisant de votre action ; en revanche, rien concernant l'avenir. En effet, si toutes les valeurs de recettes sont sujettes à caution, comment bâtir un budget et, surtout, comment ne pas se retrouver à la fin de l'année prochaine avec un déficit non pas de 5,1 % du PIB comme vous le prévoyez aujourd'hui, mais de 5,6 % ? Après vous avoir entendu, j'ai l'impression que vous pourriez nous dire exactement la même chose l'année prochaine, en constatant une aggravation du déficit : on ne contrôle rien, certains éléments en tout cas sont peu faciles à cerner, etc. En d'autres termes, vous ne nous dites rien. Je vous rassure, cette audition sera l'occasion pour vous de nous dire des choses...
Ce qui compte, ce n'est pas uniquement de savoir ce qui s'est passé, même si c'est important, mais surtout de savoir comment faire pour avoir des chiffres crédibles à l'avenir.
Première question : certains interlocuteurs auditionnés par la commission des finances ont utilisé le terme de « pari » s'agissant des prévisions de recettes d'impôt sur le revenu et de TVA. Certes, des calculs sont faits, mais il reste une dimension aléatoire. C'est d'ailleurs ce que vous avez dit sur l'ensemble des recettes, notamment lorsque vous avez évoqué les entreprises qui avaient utilisé autrement le crédit de TVA. Reprendriez-vous à votre compte le terme de « pari » ? Le Gouvernement fait-il un pari quand il présente un projet de loi de finances, 2023 étant en quelque sorte un pari raté, notamment en ce qui concerne les prévisions de recettes ?
Généralement, les prévisions de recettes sont plutôt justes, avec quelques bonnes surprises, car ce sont des prévisions protectrices. En 2023, n'a-t-on pas un peu poussé les curseurs ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'aurais donc mieux fait de terminer mon propos liminaire pour répondre aux questions que vous abordez !
M. Claude Raynal, président. - C'est-à-dire, monsieur le ministre, qu'une partie de vos propos liminaires était en dehors du périmètre de la mission, je vous invite à y revenir pour faire une conclusion.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je ne reprends naturellement pas à mon compte le terme de « pari ». Ce serait faire offense au travail de toutes les directions de Bercy qui ont à coeur, notamment dans le cadre de la préparation du PLF, de proposer et de travailler sur les hypothèses les plus robustes. D'ailleurs je veux rendre hommage à la fois aux personnels de la direction du Trésor, de la direction du budget et de la direction générale des finances publiques, qui sont des grands professionnels guidés par l'intérêt général.
L'année 2023 est particulière. Nous avons subi des aléas très forts dans les années précédentes et, en 2023, nous sommes dans une forme de sortie de crise, qui peut parfois percuter nos propres modèles de prévision, par exemple nos élasticités. Il est difficile de remettre un modèle de prévision après de tels à-coups, des chocs économiques, exogènes ou plus endogènes. Par conséquent, 2023 est une année post-crise qui a probablement eu des impacts sur nos modèles de prévision.
Par ailleurs, il y a un élément tout à fait conjoncturel. Qui aurait pu anticiper qu'en toute fin d'année, notamment sur le rendement de l'IS, nous aurions un tel effet du ralentissement économique ?
Là où je vous rejoins, monsieur le président, c'est que l'on doit sans arrêt faire mieux, notamment dans la préparation de nos textes financiers. Nous avons donc lancé une mission confiée à l'inspection générale des finances (IGF) courant avril pour pouvoir tout remettre à plat, examiner précisément les écarts en exécution, faire un retour d'expérience sur le circuit de prévision, la prise en compte des remontées financières, l'identification des risques, faire des recommandations à l'avenir avec l'ensemble des administrations sur les modalités de construction des prévisions.
En effet, aussi bien le Parlement que le Gouvernement a besoin de disposer des prévisions les plus robustes possible. Nous sommes les premiers à déplorer qu'une vingtaine de milliards d'euros manquent dans les recettes ! L'IGF travaillera sur les modes de fabrication des estimations, la manière qu'ont les directions concernées de se nourrir les unes les autres. L'objectif est de parfaire nos modèles pour les rendre encore plus robustes. L'IGF travaille avec l'ensemble de nos directions et rendra son rapport en juillet.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -J'ai collecté plusieurs documents, notamment lors de mon déplacement à Bercy. Cette année, le Gouvernement s'était targué de présenter un budget à l'euro près. Entre les annonces et la réalisation, il y a eu comme un dérapage, voire une vraie dégradation... Les prévisions de recettes figurant dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2023 et le PLFG correspondaient-elles aux estimations faites et proposées par vos services ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Oui, nous avons intégré dans les textes financiers les éléments qui étaient en notre possession.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comment expliquez-vous, alors, un tel décalage entre la prévision et l'exécution ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vous renvoie à mon propos introductif : j'y ai expliqué, impôt par impôt, les écarts constatés. Voulez-vous que je reprenne cette explication ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous y reviendrons si besoin.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Impôt par impôt, j'ai essayé d'expliquer les écarts. Pour l'IS, jusqu'en novembre il n'y avait pas d'écart. C'est le dernier acompte, en décembre, qui nous a surpris. Pour les cotisations et l'IR, le fait est que la masse salariale a été légèrement inférieure à ce que nous attendions, en raison du ralentissement de l'activité économique en fin d'année.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est donc la situation mondiale qui serait responsable de l'écart... Cela ne me convainc pas, mais ce n'est pas à ce stade le plus important.
En 2023, le produit de l'IR a dépassé de 1,2 milliard d'euros les prévisions de la LFI - mais il a été inférieur de 1,4 milliard d'euros aux prévisions de la LFG. Comment expliquez-vous cet écart entre la prévision et l'exécution ? Comment expliquez-vous que celui-ci soit plus élevé en LFG qu'en LFI ? En fin de gestion, en principe, on est au plus près de la réalité et l'on connaît beaucoup mieux la situation.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - En ce qui concerne l'IR, voici les chiffres et les écarts entre la prévision et l'exécution - et nous prenons toujours les prévisions qui sont formulées par les administrations. La LFI 2023 prévoyait un produit de 87,3 milliards d'euros. Nous avons révisé ce chiffre - pour 2023 - à 90,7 milliards d'euros dans le PLF pour 2024 et nous l'avons abaissé à 90 milliards d'euros dans le PLFG pour 2023. Nous avons donc revu nos hypothèses au fil de l'année 2023. L'exécution établit ce produit à 88,6 milliards d'euros. Le décalage s'explique par un ralentissement des recettes. Je souligne ici qu'il existe un décalage entre les remontées comptables et la capacité à les prendre en compte. De plus, le taux de prélèvement à la source de l'IR est défini en septembre - alors que le dernier acompte de l'IS est prélevé le 15 décembre. Vous voyez que, quand nous avons pris connaissance d'éléments nouveaux d'information, nous en avons tenu compte dans le PLFG.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous n'avons pas la même explication de ces chiffres. Vous me dites que vous avez tenu compte et, pourtant, il y a eu un dérapage... En principe, quand on en tient compte, on corrige la trajectoire ; vous avez fait l'inverse.
De même, les recettes de TVA ont été inférieures de 2,4 milliards d'euros à la prévision figurant dans la LFG. Comment expliquez-vous ce décalage ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'insiste : nous avons revu à la baisse les prévisions de recette de l'IR, puisque le chiffre est passé de 90,7 milliards d'euros à 90 milliards d'euros. Nous avons tenu compte des moindres encaissements constatés.
Pour la TVA, nous étions à 96,6 milliards d'euros dans le PLFG et l'exécution a été de 95,2 milliards d'euros. L'écart est de 1,4 milliard d'euros par rapport à la révision en LFG. Il s'explique par une moindre activité en fin d'année, qui s'est aussi reflétée dans le produit de l'IS et par une modification des pratiques des entreprises, qui gèrent leur trésorerie de manière différente en période de taux d'intérêt élevés. Il est très difficile, vous en conviendrez, d'anticiper à l'euro près les comportements des entreprises !
En ce qui concerne la dépense, nous avons bel et bien géré le budget à l'euro près, puisque l'État a dépensé 7 milliards d'euros de moins que prévu.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ces propos sont audacieux, monsieur le ministre.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Permettez-moi de répondre à la question.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous êtes en audition, vous répondez à la question mais je suis dans mon rôle en instaurant avec vous un dialogue exigeant. Je vous demande de répondre aux questions. Nous n'avons pas les mêmes chiffres, alors que nous utilisons les vôtres !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je tire les miens du rapport du Sénat sur le PLFG. Pour la TVA, l'écart de 1,4 milliard d'euros résulte d'une moindre activité en fin d'année et de comportements différents des entreprises.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il n'est pas de 1,4 milliard, mais de 2,4 milliards d'euros si l'on prend le chiffre total - mais nous n'allons pas faire une bataille de chiffres...
M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'IS. Vous avez dit l'essentiel. Vous considérez qu'une grande partie de l'écart est liée à cet impôt, notamment à cause de la faiblesse des recettes liées au cinquième acompte, qui est versé en décembre. Connaissez-vous déjà le produit exact de ce cinquième acompte ? C'est en fin d'exécution, dans la LFG 2023, que la prévision de décembre s'est envolée, créant un écart de 4,2 milliards d'euros avec l'exécution. N'était-ce pas une prévision quelque peu gonflée de cette recette ? Elle reflétait sans doute l'idée que les choses allaient se poursuivre comme les années précédentes - de fait, les années précédentes, l'IS a progressé de manière significative. N'y a-t-il pas eu la tentation de penser que cela allait se poursuivre ? Ces 4,2 milliards d'euros représentent une grosse partie de l'écart.
Depuis le début, la réponse qui nous est faite consiste à parler du cinquième acompte, sans nous donner jusqu'à récemment de montant de celui-ci, ni pour l'année dernière ni pour cette année. D'une manière générale, on peut s'en étonner. Depuis des années, vos prédécesseurs nous disent qu'en baissant le taux de l'IS on augmente son produit. Chaque année, je souligne que cela ne fonctionne pas toujours ainsi. J'ai dirigé de petites entreprises, je connais bien l'IS ; qui plus est, je m'y suis beaucoup intéressé : c'est un impôt très variable, dont il faut se méfier. Le cinquième acompte est à la main des entreprises. On ne sait pas exactement ce qu'il s'est passé, mais nous avons l'impression que ce cinquième acompte a été vu de manière trop optimiste. N'est-ce pas dangereux de le comptabiliser, au fond ? L'État ne sait rien de ce cinquième acompte. Les entreprises décident, selon des intérêts qui leur sont propres, de le payer ou non.
N'aurait-il pas fallu faire preuve de plus de prudence ? Vous avez cité certaines phrases des consultants ou des économistes que nous avons invités, mais, évidemment, vous avez pris celles qui vous arrangeaient. Il y a des phrases qui ne vous arrangeaient pas, notamment sur la question de la prudence, que vous auriez pu citer. Lorsque l'on fait des prévisions, il ne faut peut-être pas compter le cinquième acompte pour zéro, mais il faut se montrer extrêmement prudent sur son estimation. Là, il vous coûte 4,2 milliards d'euros, ce n'est pas rien et nous ne pouvons pas nous le permettre. Qu'avez-vous à dire sur ce point ? Le mot « prudence » vous parle-t-il ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Nous ne connaissons pas encore le montant exact du cinquième acompte. Dès que nous le connaîtrons, nous vous le communiquerons.
M. Claude Raynal, président. - Mais vous avez le sentiment que c'est là que ça se joue...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - C'est plus qu'un sentiment : nous le constatons. Vous nous reprochez de ne pas avoir prévu à l'euro près le produit de l'IS. Mais personne n'y est jamais parvenu ! Depuis 2011, il y a eu des écarts négatifs à quatre reprises, de 4,5 % en moyenne, et à sept reprises des écarts positifs, de 13 % en moyenne. Il n'y a donc pas de spécificité en 2023 ; ce n'est pas la seule année où un écart a été observé sur le rendement de l'IS.
Vous proposez, monsieur le président, de ne pas comptabiliser le cinquième acompte. Les entreprises sont pourtant obligées de le payer, en fonction de leur taille, sous peine de pénalités. En outre, il se rattache bien à un exercice. Nous avons demandé à l'IGF de regarder comment les estimations de recettes sont faites. Je souhaite que cette question soit posée. Nous avons vu que c'était là que pouvait se jouer une partie de rendement de l'IS. Dans le passé, il y a toujours eu des écarts.
M. Claude Raynal, président. - La remarque sur le budget à l'euro près ne portait pas sur ce sujet. C'était une phrase générale dont vous connaissez l'auteur. Rien à voir avec l'IS qui, en effet, fluctue par nature.
Comme il fluctue par nature, d'ailleurs, il faut être particulièrement prudent sur son évolution. Or vos services ont émis des alertes sur la faiblesse de son produit...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'ai reçu une note le 7 décembre, qui portait sur les recettes et indiquait que les estimations étaient trop fragiles. Vous disposez de la même information que moi.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je reprends vos chiffres, monsieur le ministre. Pour l'IS, la prévision en LFI était de 55,3 milliards d'euros. En LFG, ce chiffre passait à 61,3 milliards d'euros. Ce n'est pas le Parlement qui est intervenu : ce sont les prévisions du Gouvernement. La réalisation a été de 56,8 milliards d'euros, très proche de ce qui avait été initialement prévu. C'est une manière de vous poser de nouveau la question, avec vos chiffres : pourquoi de tels écarts en LFG ? Si près du but, selon quelle logique le Gouvernement a-t-il retenu des chiffres aussi déviants par rapport aux prévisions initiales de votre administration ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vous répète que les informations dont nous disposions en novembre étaient bonnes et en ligne avec nos prévisions. C'est le dernier acompte qui a fait apparaître un écart. La prévision en LFI pour 2023 était de 55,3 milliards d'euros, vous avez raison.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cela m'arrive !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - L'exécution est de 56,8 milliards d'euros, vous avez raison également. Le chiffre révisé pour 2023 dans le PLF pour 2024 est de 61,3 milliards d'euros, et nous l'avons repris dans le PLFG. Au moment où nous avons fait les hypothèses pour le PLFG, nous avions plutôt de bonnes nouvelles sur les recettes. Ce qui s'est passé s'est produit non pas au printemps, en octobre ou en novembre, mais en décembre.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Puisque vous avez sorti vos notes, je vous citerai celle-ci, qui provient de la DGFiP et date du 12 juin : « Cette nouvelle estimation induirait une révision du niveau des recettes d'IS attendues en 2023 d'environ - 6 milliards d'euros » par rapport à la prévision en programme de stabilité. Une annotation manuscrite complète ainsi : « La probabilité d'un ajustement négatif significatif sur l'IS encaissé en 2023 par rapport à la prévision est désormais élevée. » C'est une note du 12 juin.
Je n'arrive pas à comprendre. Qu'il y ait des erreurs et des corrections, cela me paraît tout à fait naturel et légitime. Pour autant, vos explications ne correspondent ni à la réalité des chiffres ni à la matérialité des notes.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je répète que nous essayons d'ajuster en fonction des informations qui sont les nôtres. Au moment du débat budgétaire, en octobre, en novembre, nous n'avions pas d'informations négatives à intégrer dans les textes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'agit de votre administration !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Les notes et les remontées comptables n'indiquaient pas un écart à la cible. Tout s'est joué sur le dernier acompte, comme je vous l'ai dit.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Très bien, nous publierons les éléments de la DGFiP datant de juin 2023, pour la clarté et la transparence du débat.
M. Claude Raynal, président. - En tout cas, monsieur le ministre, nous retenons que cette question du cinquième acompte est au coeur de la mission que vous avez confiée à l'IGF. Sachant que cet acompte est à la main des entreprises, il est évident que, selon ce que celles-ci décident, vous avez tel ou tel chiffre. Ce ne serait pas idiot, dans une période où vous cherchez à faire baisser le déficit public, de faire en sorte que l'on ait plutôt de bonnes surprises en fin de gestion, quitte à élaborer des estimations trop prudentes en début d'exercice.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La Crim est un impôt nouveau. Comment expliquez-vous l'écart entre la prévision en LFG sur les acomptes des périodes P2 et P3, c'est-à-dire allant du 1er décembre 2022 au 31 décembre 2023, qui s'élevait à 2,4 milliards d'euros, et le montant de 400 millions d'euros constaté en exécution ? Le prix spot, dans la même période, était passé de 97 à 115 euros le mégawattheure.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - La difficulté, avec la Crim, était d'estimer correctement le produit d'un impôt nouveau. Il n'y a pas d'historique, et il faut pouvoir imputer des déficits précédents, pour EDF par exemple. Nous avons donc dû tenir compte de la complexité intrinsèque à cet impôt.
Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur général, la baisse très forte des prix de l'électricité a fait effondrer le rendement attendu. Cette forte baisse des prix de gros était attendue, pas nécessairement à ce rythme-là, mais c'était plutôt une bonne nouvelle. Le prix spot entre 2022 et 2023 a été divisé par trois. Nous avions travaillé avec la CRE pour essayer d'avoir l'estimation la plus précise. Quand nous avons des nouvelles, nous les intégrons systématiquement. C'est la raison pour laquelle nous sommes passés de 12,3 milliards d'euros à 3,7 milliards d'euros pour 2023 dans le PLF 2024. Dans le PLFG, nous avons encore revu ce chiffre à la baisse. Vous voyez bien que nous essayons de nous adapter aux informations dont nous disposons. Manifestement, nous n'avons pas réussi à formuler l'estimation la plus précise possible. C'est la raison pour laquelle nous avons indiqué que nous souhaitions y revenir pour 2024, afin de nous assurer que les rendements que nous avions prévus seront bien les rendements effectifs pour l'État.
Un travail a été lancé par un certain nombre de députés sur la taxation des énergéticiens et vise à revenir vers un dispositif plus simple, plus efficace, pour atteindre le rendement attendu. C'est une forme d'adaptation aux réalités que nous avons constatées. Peut-être faut-il revoir le dispositif pour qu'il ait un mode opératoire plus simple, y compris dans les prévisions de recettes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est plutôt qu'après être parti très haut, à 12 milliards d'euros - ce que vous avez l'honnêteté de reconnaître -, votre point de mire aujourd'hui, ce que vous appelez le rendement attendu, est à 3 milliards d'euros. Vous prenez cette décision, et c'est votre droit, en tenant compte du niveau des prix de l'énergie et de la situation des énergéticiens. Il faut se replacer dans le débat que nous avons eu à l'époque. La ministre qui était alors au banc sur le sujet de l'énergie nous avait amenés à voter en confiance et à l'aveugle, et nous l'avons fait. Aujourd'hui, vous dites que l'État pense qu'il faut obtenir 3 milliards d'euros des énergéticiens. Vous avez reconnu que l'estimation avait visiblement été mal calibrée. De fait, entre 12 milliards d'euros et 400 à 600 millions d'euros, il y a de la marge ! Honnêtement, je ne sais pas s'il faut maintenir votre objectif de 3 milliards d'euros. Il serait intéressant, dans les débats budgétaires, que vous nous expliquiez la raison pour laquelle les énergéticiens devraient fournir une recette supplémentaire de ce montant.
L'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB est passée de 1,5 en 2022 à 0,4 en 2023. Puissant retournement ! Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu être - encore - plus prudent dans vos prévisions de recettes pour 2023 ? Nous avons le sentiment d'une grande dégringolade...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - L'une des principales difficultés dans l'estimation des recettes réside en effet dans celle des élasticités, qui ont elles-mêmes été bousculées par les retournements de l'activité économique. C'est la raison pour laquelle, sous la supervision de l'inspection générale des finances et avec l'ensemble de mes services, j'ai entrepris d'étudier les hypothèses d'élasticité qui ont un effet sur les rendements des impôts.
D'autres gouvernements, y compris au sein d'autres majorités, ont régulièrement été confrontés à cette difficulté d'estimation des élasticités, à laquelle se heurtent également les modèles de prévision utilisés par le Trésor, la direction du budget ou encore la direction générale des finances publiques.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - On peut dire que vous n'avez pas eu de chance. Je parlais de grande dégringolade, parce que toutes les erreurs d'estimation ont été convergentes - par défaut de prudence ou en raison d'un mauvais pari, je l'ignore...
Vous avez rapidement évoqué la masse salariale. Là encore, les prévisions gouvernementales de la loi de finances de fin de gestion pour 2023 semblaient très, voire trop optimistes. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) l'avait d'ailleurs signalé. Comment expliquez-vous cette estimation visiblement mal calibrée en fin d'année ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - La raison, encore une fois, est la baisse d'activité en toute fin d'année 2023. Nous avons constaté un écart entre l'hypothèse sur la masse salariale et son exécution. C'est aussi ce qui explique les moindres recettes issues de la TVA et de l'impôt sur les sociétés.
M. Claude Raynal, président. - Pourtant, les prévisions sur la masse salariale étaient les seules que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) jugeait optimistes. Toutes les autres prévisions étaient considérées comme « plausibles ». Sur ce point, le HCFP avait totalement raison.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Aucun prévisionniste ne s'attendait à cette évolution de la masse salariale, ce qui montre à quel point l'exercice est délicat. En tout cas, nous avons bien constaté cet écart.
Je vous renvoie de nouveau au ralentissement de l'activité observé en fin d'année, qui est d'ailleurs cohérent avec l'évolution de tous les prélèvements obligatoires. Il était difficile de le prévoir.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Et pourtant, lors de l'élaboration de la loi de finances de fin de gestion pour 2023, nous touchions à la fin de l'année.
Par ailleurs, le taux de croissance de l'année 2023 était relativement conforme aux prévisions du Gouvernement. D'un côté, vous n'auriez pas anticipé le ralentissement de l'activité ; mais de l'autre, vous aviez correctement estimé le niveau de croissance ! Vos propos me paraissent incohérents, du moins contradictoires.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je ne sais pas si ces remarques appellent une réponse de ma part.
M. Claude Raynal, président. - Avant d'en venir à la seconde partie de l'audition, qui sera consacrée au manque d'information du Parlement et à ses prérogatives en matière de contrôle, je donne la parole aux sénateurs pour une première série de questions.
M. Thierry Cozic. - Dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, vous avez indiqué que les recettes de l'État étaient finalement moindres que ce qui était attendu - à hauteur d'environ 7 milliards - et que, dans le même temps, les dépenses de fonctionnement des collectivités étaient dynamiques.
Dans les colonnes du magazine L'Express, le Président de la République a récemment affirmé : « Hormis une dérive des dépenses initialement prévues qui est du fait des collectivités territoriales, il n'y a pas de dérapage de la dépense de l'État. »
Monsieur le ministre, l'augmentation des dépenses des collectivités est liée à deux facteurs indépendants de leur gestion - le transfert des charges de l'État vers les collectivités et l'inflation. Les propos du Président de la République sont non seulement infondés, ils sont aussi malhonnêtes.
Les collectivités contribuent depuis des années à l'amélioration des comptes publics, contrairement à l'État, qui connaît un dérapage structurel de ses dépenses. La dette des collectivités est stable et connaît même une légère diminution depuis trente ans. Elle est passée de 9 % du PIB en 1995 à 8,9 % en 2023, tandis que la dette de l'État, qui était de 40,1 % du PIB, s'établit désormais à 89,7 %.
À la différence de l'État, les collectivités sont tenues au respect de la règle d'or qui les empêche d'emprunter pour financer leurs dépenses de fonctionnement. Avec 1 000 milliards d'euros - une hausse que vous ramenez à 350 milliards - de dette supplémentaire en six ans, le Président de la République et le Gouvernement seraient bien avisés de ne pas donner de leçons à ceux qui tiennent un budget à l'équilibre chaque année !
Dans ce contexte, notamment dans le cadre de cette mission d'information, est-il honnête de tenir les collectivités territoriales responsables du dérapage des dépenses de l'État ? Par ailleurs, pouvez-vous chiffrer l'effet des décisions du Gouvernement qui ont eu une incidence directe sur le budget des collectivités ? Je pense notamment à la revalorisation du point d'indice.
M. Stéphane Sautarel. - En évoquant l'évolution des dépenses de l'État, vous avez omis de mentionner qu'à la sortie d'une période de dépenses exceptionnelles, aucune décision n'avait réellement été prise sur la dépense structurelle - dont acte. C'est pourtant un enjeu d'importance dans la dégradation des finances publiques.
La fin de gestion pour 2023 ne révèle-t-elle pas un manque d'anticipation ? Il serait lié, selon vous, à la sortie de crise qui a marqué cette même année. Néanmoins, la période post-crise avait précisément été dopée à l'argent public - ce dont nous nous étions en partie réjouis à l'époque. Ainsi, si 2023 a été une année de vache maigre, du point de vue des recettes, c'est que seul l'argent public injecté dans l'économie et la consommation, les années précédentes, avait permis de maintenir les rentrées fiscales à un certain niveau !
Vous avez donc manqué d'anticipation. En revanche, je me demande si vous n'en faites pas désormais preuve en pointant du doigt le rôle des collectivités locales dans la dérive des finances publiques, pour préparer une coupe sombre dans le budget de celles-ci. En effet, les causes des malheurs de nos finances publiques sont toujours externes au Gouvernement - qu'il s'agisse de la conjoncture mondiale ou des mauvais contribuables français ! Je me demande donc si les collectivités territoriales ne seront pas le prochain bouc émissaire...
Mme Isabelle Briquet. - J'ai pleinement conscience que couper brusquement les aides aux entreprises reviendrait à dégrader leur compétitivité et à augmenter notre déficit commercial. Néanmoins, la Cour des comptes pointe très régulièrement de grosses lacunes dans l'évaluation de nos politiques publiques, notamment concernant les aides aux entreprises, qui sont chiffrées entre 120 milliards et 170 milliards d'euros.
Je m'interroge notamment sur les exonérations de charges sociales, d'autant plus que pour les salaires supérieurs à 1,6 fois le Smic, elles ne produisent plus d'effet, ni sur l'emploi ni sur la compétitivité. Malgré la communication gouvernementale sur l'évaluation de nos politiques publiques, en sept ans, le suivi de certaines dépenses se révèle souvent bien trop partiel, voire superficiel.
À l'heure où les comptes publics se dégradent, ne faudrait-il pas conditionner davantage certaines aides aux entreprises ?
M. Grégory Blanc. - Les écarts entre les prévisions et l'exécution ont conduit nombre de commentateurs à s'interroger sur la sincérité budgétaire. Nous y reviendrons dans la seconde partie de l'audition. Dans la lignée des questions de MM. Cozic et Sautarel, se pose la question de savoir s'il y a trop, ou pas assez d'anticipation.
J'ai été très surpris d'entendre Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, interrogé lors de son audition sur le mur d'investissement de la transition écologique, répondre que les calculettes aboutissaient à la conclusion suivante : les collectivités peuvent financer le choc de la transition écologique grâce à l'emprunt. Ces propos avaient déjà été tenus, notamment par le Gouvernement.
Quels sont les modèles de calcul de la Caisse des dépôts et consignations ? Je suppose que vous les connaissez.
Grâce à un report de crédits de 2023, 7 milliards d'euros avaient été accordés aux aides à la rénovation énergétique en 2024. En février 2024, des coupes ont été annoncées dans le budget de MaPrimeRénov' ou encore du fonds vert. Comment comptez-vous demander aux collectivités de financer la transition écologique à budget constant ?
Mme Ghislaine Senée. - Les propos du Président de la République ont en effet fortement agacé les collectivités territoriales.
Certes, il y a toujours eu des écarts entre les prévisions et l'exécution dans le passé. Cela étant, cette fois, la surprise a été particulièrement déplaisante. Nous sommes l'un des plus mauvais élèves au regard du pacte de stabilité et de croissance et des engagements en matière de réduction du déficit public.
Quand aurons-nous une explication précise sur le dernier acompte sur l'impôt des sociétés, qui aurait généré 4,2 milliards d'euros de recettes de moins que prévu ? On a bien compris qu'il s'agissait en fait d'une prévision de prévision, mais on aimerait une explication. Ce sont surtout les grandes entreprises qui contribuent à cet impôt : en dehors du ralentissement de l'économie mondiale, cet écart serait-il lié au rôle joué par les sociétés financières ou les cabinets de conseil, ou encore à l'impact des outils de défiscalisation ?
Les recettes sont difficiles à prévoir. Cependant, vous faites le pari de maintenir un niveau de recettes aussi bas que possible et de réduire les dépenses de l'État au maximum. Pensez-vous réellement que nous parviendrons à ramener le déficit public à 4,1 % du PIB en 2025 ? Quelles sont vos garanties ?
M. Marc Laménie. - D'un côté, nous avons dépensé 7 milliards d'euros de moins que prévu. De l'autre, l'État a touché 21 milliards de recettes de moins qu'attendu. Or la première source de ces recettes, la TVA, est désormais aussi affectée au budget des collectivités territoriales. La suppression de la taxe d'habitation a posé de réels problèmes, puisque l'État reste le premier financeur des collectivités. La fin de la redevance audiovisuelle a également provoqué une baisse de recettes pour ces dernières, à hauteur de 3 milliards d'euros. Sa suppression était-elle un bon choix ?
Par ailleurs, tous vos services, sur nos territoires respectifs, font de leur mieux pour aider l'ensemble des contribuables. Néanmoins, qu'en est-il de la lutte contre la fraude ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Monsieur le ministre, lorsque le rapporteur général vous a demandé si vous aviez retenu les prévisions faites par vos services dans l'élaboration du projet de loi de finances pour 2024, vous avez répondu qu'elles avaient été intégrées à votre travail. Ont-elles bel et bien été retenues ou seulement prises en compte ? La différence est notable.
La situation mensuelle du budget de l'État en 2023 m'a étonnée. En effet, à partir du mois de juin, on constate que les recettes fiscales mensuelles en cumulé sont toujours significativement inférieures à celles de 2022. L'écart est de - 6 milliards d'euros en juin, - 8,7 milliards en juillet, - 7,5 milliards en août, 6,8 milliards en septembre, - 6,2 milliards en octobre, - 2,3 milliards en novembre et - 7,4 milliards en décembre.
Le constat est particulièrement frappant pour deux impôts en particulier. En 2023, les recettes de l'impôt sur les sociétés sont inférieures à celles de 2022 de 4,6 milliards d'euros en juin, de 4,5 milliards en juillet, de 4,6 milliards en août, de 5 milliards en septembre. La tendance est la même pour la TVA, avec 4,9 milliards de moins en juillet, 4,8 milliards en août, 5,8 milliards en septembre et 8,2 milliards en octobre, pour finir avec une différence de 5,6 milliards d'euros. Ces écarts importants, pendant plusieurs mois d'affilée, vous ont-ils alerté ?
M. Jean-Marie Mizzon. - Ma question concerne un décalage préoccupant entre recettes annoncées et encaissées, concernant une taxe que je contribue personnellement à alimenter - la fiscalité appliquée au tabac.
L'étude d'impact jointe au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 prévoyait une hausse de 375 millions d'euros, qui a été ramenée à 214 millions d'euros dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale. Dans ce rapport pour 2023, la douane montre à l'inverse non pas une hausse, mais une baisse de 200 millions d'euros, soit une différence de plus de 500 millions d'euros avec les engagements pris devant le législateur. Cet écart pose non seulement un problème de lisibilité budgétaire, mais aussi de santé publique, le produit de cette fiscalité étant intégralement versé à l'assurance maladie.
Comment expliquer une telle différence ? Dans quelle mesure faut-il y voir l'impact du commerce parallèle de tabac ? Comment abordez-vous, à l'aune de ces éléments, une éventuelle hausse du prix du tabac ?
Par ailleurs, comment l'État peut-il avoir confiance dans ses politiques de santé publique en matière de réduction du nombre de fumeurs tout en misant sur une augmentation des recettes liées au tabac ?
M. Michel Canévet. - Vincent Delahaye, qui a dû s'absenter, s'interrogeait sur la pertinence d'une modification législative visant à inciter les chefs d'entreprise à prévoir le versement de l'impôt sur les sociétés de façon un peu plus étalée sur l'année, afin d'éviter cette incidence sur le cinquième acompte.
M. Christian Bilhac. - Les prévisions ne sont jamais exactes : tout le monde le sait autour de cette table ! C'est un peu comme la météo : la réalité est rarement conforme aux estimations.
Néanmoins, quand les prévisions des élus locaux se révèlent un peu moins optimistes qu'au moment de l'élaboration du budget, ceux-ci s'adaptent. Ils font des économies de manière à présenter des comptes à l'équilibre comme l'impose la loi à la fin de l'exercice.
Je ne comprends donc pas pourquoi l'État n'est pas capable de faire de même. Comment ne pas réagir plus tôt, dès lors que l'on constate que les comptes se dégradent ?
Par ailleurs, j'avais retenu que la dette s'élevait à 1 000 milliards d'euros. Mais vous nous avez expliqué la recette : prenez 1 000 milliards d'euros de dette, mettez-les dans une cocotte, ajoutez un peu de PIB, faites cuire à feu doux, laissez réduire... et il ne reste que 350 milliards ! Les établissements bancaires qui nous ont prêté ces 1 000 milliards d'euros apprécient-ils votre plat cuisiné ou préfèrent-ils revenir à l'ingrédient d'origine ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Monsieur Cozic, je ne pense pas qu'il y ait de malentendu sur l'évolution des dépenses des collectivités territoriales. Dans la loi de programmation sur les finances publiques, le Gouvernement prévoyait pour 2023 une évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités égale à l'inflation, soit à hauteur de 4,9 %. Or ces dépenses ont crû plus vite que l'inflation, puisque leur progression s'est élevée à 5,9 %. Alors que l'État a dépensé 7 milliards d'euros de moins que prévu, les collectivités ont dépensé plus.
Pour l'année 2024, nous attendons des collectivités, non pas qu'elles réduisent leurs dépenses de fonctionnement, mais qu'elles veillent à ce que celles-ci évoluent un peu moins vite que l'inflation - pour s'établir à un taux inférieur de 0,5 % à celui de l'inflation. C'est l'hypothèse que nous avons retenue.
Nous avons mis en place de nombreux dispositifs pour accompagner les collectivités dans les crises successives que nous avons traversées. Je pense à la création du fonds vert, du fonds de secours des départements, de l'amortisseur électricité, ou encore à l'augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à deux reprises, à l'élargissement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), de la dotation relative aux titres sécurisés et de la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux (DPEL).
Monsieur Sautarel, votre question me permettra de répondre à celle de Mme Carrère-Gée, nous nous appuyons toujours sur les travaux de nos services, qui nous soumettent des propositions d'évolution, par exemple des recettes ou des dotations. Que les choses soient claires : ce n'est pas dans un bureau, au détour d'un échange avec Bruno Le Maire, un soir, que nous estimons les recettes de TVA et de l'impôt sur le revenu ! Des modèles sophistiqués, issus des travaux des directions, construisent les prévisions dont nous discutons ensuite. Si l'évolution des dépenses de l'État - le choix d'investir une politique publique ou un programme - est bien sûr un acte politique discrétionnaire, les évolutions sous-jacentes à la croissance, à la TVA ou aux cotisations sont des données fournies par nos services.
Concernant les coupes sombres dans le budget des collectivités, je pense vous avoir répondu. Nous n'avons pas repris les contrats de Cahors. Nous attendons des collectivités qu'elles modèrent la croissance de leurs dépenses de fonctionnement. Je trouve que c'est un bon accord, qui doit néanmoins se matérialiser pour que nous en constations les résultats à la fin de l'année.
Madame la sénatrice Briquet, vous dites que la Cour des comptes pointe des lacunes dans l'évaluation des aides aux entreprises. Une revue de dépenses sur les aides aux entreprises a été lancée il y a quelques mois. C'est un sujet auquel nous prêtons attention. Par ailleurs, à l'occasion de la conférence sociale d'octobre 2023, les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer ont été chargés par Élisabeth Borne, alors Première ministre, d'étudier l'impact des allègements des cotisations sociales et leur éventuelle révision afin de faciliter la mobilité salariale professionnelle et d'encourager les hausses de salaire actuellement freinées par le calcul des cotisations sociales. En effet, augmenter un salarié de 100 euros représente un coût de 400 euros pour son employeur.
Monsieur le sénateur Blanc, je ne sais pas quelles sont les modalités de calcul de la Caisse des dépôts et consignations qui ont été partagées avec vous par son directeur général, n'ayant pas assisté à son audition. Je suppose qu'il entendait par là que la situation financière des collectivités territoriales, dans leur immense majorité, est plutôt bonne. Plusieurs d'entre vous l'ont signalé : leur niveau d'endettement a baissé et elles ont des capacités d'investissement.
Les collectivités territoriales jouent un rôle majeur dans la transition écologique au regard de leurs compétences en matière de gestion des déchets, de l'eau, des transports ou encore des bâtiments publics. Aussi, nombre d'investissements relèvent de leur responsabilité. Nous encourageons les communes à s'y engager, au travers notamment du fonds vert, doté à sa création d'un budget de 2 milliards d'euros qui a été pérennisé en 2024, même si nous avions pour ambition de le faire passer à 2,5 milliards.
Malgré le décret d'annulation, le budget de MaPrimeRénov' est toujours en hausse. Les crédits disponibles à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) augmentent de 800 millions d'euros.
Madame Senée, nous recevrons les liasses fiscales des grandes entreprises, qui sont soumises au cinquième acompte, au début du mois de juillet. Leur analyse nous permettra de comprendre l'évolution de ce cinquième acompte.
Nous avons bien pour objectif d'atteindre un déficit de 5,1 % du PIB en 2024 et de 4,1 % en 2025. Cela représente en effet un effort important.
Monsieur le sénateur Laménie, la suppression de la taxe d'habitation a été compensée à l'euro près. Concernant la redevance audiovisuelle, les collectivités n'en étaient pas destinataires.
Concernant la lutte contre la fraude, mon prédécesseur, Gabriel Attal, a établi en mai 2023 un plan extrêmement ambitieux en matière fiscale, sociale et douanière. D'ailleurs, une vingtaine de dispositions législatives figurent dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2024. Nous avons augmenté les contrôles fiscaux, avec un doublement, depuis 2019, du nombre de redressements des personnes les plus fortunées. Après un an de mise en oeuvre, ce plan produit des résultats, dont nous pourrons vous présenter le bilan.
Madame la sénatrice Carrère-Gée, nous intégrons 100 % des données que les services nous fournissent. Par exemple, l'hypothèse de TVA qu'il faut retenir est un travail des administrations. Je le redis : nous ne retravaillons pas, à l'improviste, les hypothèses utilisées dans le cadre du projet de loi de finances.
Les moindres recettes fiscales, que vous évoquez entre 2022 et 2023, et les 7 milliards d'euros que vous évoquez en 2023 sont principalement liées au transfert supplémentaire de TVA aux collectivités territoriales et à la sécurité sociale. Ce n'est que le 7 décembre que nous avons commencé à identifier de premiers éléments ayant un impact sur le déficit de l'État et donc le déficit public : nous les avons alors abordés avec prudence.
Monsieur Mizzon, le prix du tabac en France est l'un des plus élevés de l'Union européenne. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a arrêté une trajectoire sur la fiscalité sur le tabac. Par ailleurs, les fabricants eux-mêmes peuvent augmenter le prix. C'est précisément ce qui s'est passé. Vous avez raison d'évoquer le trafic de tabac et de souligner que la douane agit sans relâche pour lutter contre la contrebande. Lors de l'opération Colbert II, menée en mars 2024, nous avons collecté 27 tonnes de tabac contrefait, contre 9 tonnes l'an dernier : c'est trois fois plus.
Bruno Le Maire et moi avons écrit aux deux commissaires en charge pour leur rappeler notre souhait d'avancer sur l'harmonisation des prix du tabac en Europe. Ce fléau alimente en effet la grande criminalité.
Monsieur le sénateur Canévet, attendons l'exploitation des liasses que nous recevrons en juillet pour savoir s'il faut faire évoluer soit nos modèles de prévision et d'estimation des recettes, soit le dispositif de collecte. Il est encore tôt pour se prononcer, mais nous vous partagerons volontiers nos analyses.
Monsieur Bilhac, les élus s'adaptent en cas de coup dur, vous avez raison. Néanmoins, il y a toujours un écart entre les comptes administratifs et le budget : il est très rare que la différence soit à l'euro près. Elle est parfois même significative. Et en cas de difficultés, l'État accompagne les collectivités. Je pense notamment au bouclier face à l'inflation ou à l'amortisseur électricité.
Concernant la recette de réduction de la dette, je salue d'abord votre humour, M. Bilhac ! Je vous invite à lire l'analyse très détaillée qu'a publiée l'OFCE il y a quelques jours. On y lit qu'analyser la dette en euros courants n'a pas de sens. Aussi, les 1 000 milliards d'euros de dette publique supplémentaire avancés correspondent plutôt à une augmentation de 350 milliards d'euros depuis 2017.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur l'écologie, je vous propose d'attendre de voir les crédits qui seront réellement mobilisés en 2024. Des coupes budgétaires ont été annoncées en février. Il y a eu aussi de nouvelles annonces. Je pense qu'il y aura sûrement un projet de loi de finances rectificative, car tenir vos prévisions relève quasiment d'une mission impossible.
Concernant les différences de lecture, la note du 7 décembre 2023 du Trésor et de la direction du budget envisageait un déficit public à 5,2 % du PIB pour 2023 au lieu du taux de 4,9 % prévu dans les textes financiers en cours d'examen. Cet écart aurait dû vous alerter pour les résultats de 2023 et, du fait d'un effet base, pour le déficit public pour 2024, alors estimé à 4,4 % du PIB.
Pour que l'examen du projet de loi de finances au Parlement ait un sens, autant intégrer et prendre en compte les informations disponibles.
Dans ces conditions, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas déposé un amendement crédible sur l'article d'équilibre et l'article liminaire au lieu de persister dans l'erreur ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Précisément pour les raisons que j'ai évoquées en répondant à Mme Carrère-Gée. On ne s'amuse pas à bidouiller les prévisions comme cela. C'est le fruit d'un travail sérieux réalisé par des équipes de la direction du budget et de la direction du Trésor.
C'est ce qui figure explicitement dans cette note à laquelle vous faites référence. Il y est indiqué qu'il faut attendre une nouvelle prévision pour 2024 qui sera réalisée par la direction générale du Trésor, dans le cadre du budget économique d'hiver, en février. Il est également précisé que « les aléas entourant cette prévision pour 2023 sont extrêmement importants », sans même parler de 2024.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur le ministre, on fait de la politique...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Moi, je ne fais pas de politique, je vous réponds précisément et techniquement.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Bien sûr que si, vous faites de la politique ! Vous êtes ministre, vous êtes au gouvernement, vous êtes aux affaires.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Que cela vous plaise ou non, les services ont été très clairs : le 7 décembre, pas d'informations, trop d'aléas et pas de conséquences pour 2024. Je ne sais pas comment vous le dire. Nous n'avions pas d'autres informations à ce moment-là,...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Bien sûr que si !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - ... hormis le fait qu'il y a un risque, mais qu'il est trop tôt pour le confirmer. Ce sera le cas en début d'année. À ce moment-là, Bruno Le Maire et moi-même changeons la prévision de croissance et prenons un décret d'annulation.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vais vous donner un autre élément de réponse.
Vous nous avez expliqué tout à l'heure que vous aviez inventé en matière budgétaire et de décision le « quarante-huit heures chrono ». En effet, vous avez une nouvelle alerte par une note le 16 février et, le 18 février, le ministre prend les nouvelles décisions. Je doute qu'une décision d'annulation de 10 milliards d'euros puisse être prise en 48 heures. Heureusement que l'on ne prend pas une décision dans ces délais ! Ce serait faire peu de cas de tout ce que vous venez de nous dire, et qui est justement l'inverse, à savoir prendre des décisions en tenant compte des éléments des services et des notes.
Ce qui est assez surprenant dans ces notes, c'est tout ce qui a trait à la communication. Pour ma part, je ne vous ai jamais parlé de communication. La communication n'interdit d'ailleurs pas l'action. Vous avez des alertes sur les données brutes - Marie-Claire Carrère-Gée notamment en a fait état - ou sur des moindres recettes.
Certes, nous n'avons pas la même lecture de ces notes, mais ce n'est pas un sujet d'opposition ou de majorité : c'est un sujet budgétaire. C'est la première fois, hors période de crise, sous la Ve République, que le solde budgétaire est aussi dégradé, avec des prévisions qui dévissent de cette manière. Quand on claironne souvent des annonces très favorables, il faut affronter ce qui est moins favorable pour corriger le tir suffisamment tôt.
C'est exactement ce qu'a fait la majorité sénatoriale lorsqu'elle a proposé au Gouvernement une trajectoire pour les cinq ans de la loi de programmation des finances publiques. Je vous invite à la relire ou à en prendre reconnaissance. À l'époque, Bruno Le Maire nous avait expliqué que c'était une folie, que c'était beaucoup trop brutal et qu'on allait lever les Français contre le Gouvernement. Vous estimiez que c'était impossible, je ne partage pas votre point de vue.
Certes, cette note recommandait de ne pas communiquer, mais proposait de prendre des mesures de redressement, en particulier sur les dépenses de fin de gestion. Confirmez-vous cela ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vous le redis, monsieur le rapporteur général, même si je pense que l'on n'arrivera pas à se mettre d'accord : sur la base d'une telle note, on ne s'amuse pas à modifier le PLF 2024.
La note du 7 décembre arrive après l'adoption du PLFG. On ne discute donc plus de l'année 2023. Les seules conséquences que vous voulez en tirer, c'est pour le débat sur 2024 ; or cela n'a aucune conséquence sur 2024 ! Au contraire, les services indiquent qu'ils travailleront des hypothèses pour 2024 dans les semaines ou les mois à venir.
On ne fait pas un travail à la petite semaine : il ne s'agit pas de modifier deux ou trois trucs du PLF, alors qu'il n'y a aucun élément sur 2024 et que le PLFG a été adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous dites n'en avoir pas tenu compte, mais, dans les auditions comme dans la note, on vous demande de mieux piloter certaines dépenses. D'ailleurs, vous agissez tout de suite, notamment sur le budget de la mission « Défense ». J'ai lu les notes. Pour ma part, je m'en tiens aux faits, même si, sur leur traduction et leur mise en oeuvre, nos orientations diffèrent.
M. Claude Raynal, président. - Je fais une analyse de même nature.
Les notes donnent des informations techniques et précisent qu'il faut regarder leur évolution dans le temps et ne pas communiquer. Je trouve d'ailleurs curieux que les services proposent au ministre de ne pas communiquer sur des notes ou sur des chiffres - c'est le ministre qui décide.
La question, c'est bien l'action. Nous vivons un moment très particulier. Le PLF est un exercice de plus en plus compliqué, puisque l'Assemblée nationale ne l'examine pas vraiment et que le Sénat, qui, lui, l'examine, est peu écouté. Au final, cet exercice est totalement sous contrôle de l'exécutif. Cela ne me choque pas, c'est ainsi. En revanche, entretemps, des alertes sont lancées, mais ne sont pas prises en compte et il n'y a aucune information du Parlement.
Il n'est pas satisfaisant que l'on étudie un budget reposant sur un certain nombre de prévisions, alors qu'il y a des alertes négatives à peu près à tous les étages. Évidemment, à la fin, c'est au ministre d'en tirer les conséquences qu'il souhaite, et non aux services de lui dire ce qu'il doit faire.
Quand on reprend les événements, aurait-il été pire de modifier l'article d'équilibre en considérant qu'il fallait prendre en compte cette situation, peut-être sur une valeur moyenne à définir, et d'introduire cette notion dès le PLF 2024 de sorte que cette situation soit connue, au lieu de le faire faire un mois et demi après le vote - ou l'absence de vote d'ailleurs, dans le cadre de la procédure définie par l'article 49 alinéa 3 de la Constitution ? Voilà la question qui se pose à vous : fallait-il en parler avant ou après ? C'est un peu comme le capitaine Haddock qui se demande si sa barbe doit être sur la couverture ou en dessous. Pour notre part, nous considérons qu'il aurait fallu modifier l'article d'équilibre, puisque c'est le socle de toute l'année 2024. Vous nous dites que, non, vous n'aviez pas à le faire ; nous pensons au contraire que oui, au moins pour partie.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le 17 décembre 2018, un amendement à l'article liminaire tendait à actualiser les prévisions de déficit nominal et structurel pour l'année 2018 au vu des nouvelles données disponibles. En particulier, les prévisions de recettes fiscales y étaient ajustées à la baisse pour la TVA et les remboursements et dégrèvements de l'IS. L'exécutif avait alors recouru à cette solution pour modifier sa position et la rendre plus conforme à la réalité, par une meilleure réactivité.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - L'exemple que vous prenez n'a rien à voir avec la situation actuelle, puisqu'il reflète la crise des gilets jaunes.
Je suis en désaccord avec vous, monsieur le président, car la note que vous évoquez porte actualisation de la prévision du déficit public pour 2023. Elle est datée du 7 décembre 2023. D'un point de vue budgétaire, l'année est terminée, puisque le PLFG a déjà été adopté - ce qui est un vrai changement puisqu'il est examiné plus tôt que les anciens projets de loi de finance rectificative de fin d'année des années précédentes. Or cette note porte sur 2023. Elle indique que les estimations sont fragiles et que des incertitudes fortes persistent, car des remontées comptables manquent encore. Les services nous disent alors qu'ils pourront actualiser les prévisions pour 2024 en février. Nous n'allions pas modifier un article d'équilibre sans avoir levé les aléas. D'ailleurs, monsieur le président, cette note indique que le déficit pourrait atteindre 5,2 %. Mais le chiffre réel sera encore différent ! C'est bien la preuve que les informations qui figurent dans cette note ne sont pas suffisamment solides pour être définitivement intégrées.
Pour l'année 2023, elle arrive trop tard, le débat est terminé. Pour l'année 2024, il n'y a rien dans cette note qui nous permet d'actualiser nos prévisions. On ne peut pas improviser des actualisations alors que les modèles de prévision nécessitent un travail qui mobilise l'ensemble des directions. Nous avons souhaité disposer d'abord d'une remise à plat précise de l'ensemble des estimations et d'une meilleure évaluation de l'élasticité par l'IGF.
Modifier l'article d'équilibre du PLF 2024 sur cette base-là me semble donc impossible. Il n'y a rien sur l'année 2024 dans cette note !
Pour vous répondre, monsieur le rapporteur général, chaque année, nous procédons à des gels, à des reports... La directrice du budget nous recommande de piloter les crédits 2023, et c'est ce qu'on a fait. Ce sont des actes réglementaires classiques, qui n'ont rien à voir, monsieur le président, encore une fois, avec l'année 2024. D'ailleurs, cette note sera vite caduque, parce que ses estimations sont fausses.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Elles sont partiellement exactes. Tout y est négatif : cela donne une tendance...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Elles sont loin de la réalité, puisque nous finirons à 5,5 %.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Elles en sont un peu éloignées. En 2018, ce n'était pas le même contexte, mais la facture fut moins douloureuse : la crise des gilets jaunes a coûté autour de 12 milliards d'euros, je crois. Nous étions intervenus après l'adoption de la loi de finances rectificative. Vous n'êtes peut-être pas d'accord, mais c'est un fait.
Le 20 février 2024 - ce n'est pas entre le 16 et le 18 février, les 48 heures magiques lors desquelles le Gouvernement a réagi -, sur France Inter, vous avez dit, s'agissant du déficit public pour 2024 : « Nous maintenons notre objectif de 4,4 % ». Pourtant, à cette date, vous avez entre les mains une note du Trésor, que vous avez citée tout à l'heure, datée du 16 février et annonçant, pour 2024, un déficit de 5,7 % du PIB. Entre 4,4 % et 5,7 %, il y a plus que l'épaisseur du trait ! Cela représente quelque 35 milliards d'euros... Pourquoi avoir choisi à ce moment-là, monsieur le ministre, de ne pas faire état du chiffre de 5,7 % ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - D'abord, je préfère donner la primeur des informations à la représentation nationale.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quelle pirouette ! Vous avez fait l'inverse !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Il faudrait savoir, monsieur le rapporteur général ! Vous m'auriez probablement reproché de faire l'inverse. J'en suis certain, car nous commençons à nous connaître.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Non, non, on a une honnêteté intellectuelle !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'ajoute que, comme vous le savez, ce n'est pas le Gouvernement qui communique sur le déficit public, c'est l'Insee. Le 6 mars, j'étais devant vous avec Bruno Le Maire et nous avons clairement dit que le déficit public serait nettement plus élevé que prévu.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous me parlez de 2023, quand je parle de 2024.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Ce n'est pas Bercy qui calcule et publie le montant du déficit public, j'y insiste : c'est l'Insee.
M. Claude Raynal, président. - Il n'y a pas de doute ! C'est l'Insee qui fournit le chiffre du déficit, nous ne le contestons pas. Mais vous savez où vous allez vous situer.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Non.
M. Claude Raynal, président. - Vous ne savez pas si l'Insee vous dira 5,5 % ou un autre chiffre, certes. Le Trésor vous annonce 5,7 % pour 2024. Nous ne vous demandons pas de reprendre ce chiffre de 5,7 %, mais abandonnez au moins celui de 4,4 %, voilà tout.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - C'est ce que nous avons fait le 6 mars, devant vous.
M. Claude Raynal, président. - Au moment où vous avez été interrogé, vous auriez pu dire que le chiffre serait un peu supérieur...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Au moment où vous nous interrogiez ici...
M. Claude Raynal, président. - Et sur France Inter ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - France Inter n'est pas la commission des finances de l'Assemblée nationale ni celle du Sénat ! Mais devant vous, nous disons que le déficit public sera plus élevé.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous vous êtes trompé depuis le début, je vais reformuler ma question. Vous nous avez affirmé maintenir votre objectif à 4,4 % de déficit pour 2024. Ne vous énervez pas sur 2023, prenez les bonnes fiches !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - C'est toujours un plaisir de débattre avec le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous nous répondez comme si nous étions incompétents...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vais prendre le temps nécessaire pour vous expliquer.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je m'en tiens aux chiffres...
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Le changement de méthode de l'Insee a eu un impact sur 4 milliards d'euros... C'est l'Insee qui définit sa méthode et qui nous donne ensuite son chiffre du déficit public. Dans ce cas, l'institut a changé de méthode.
M. Claude Raynal, président. - Nous sommes tous d'accord sur ce point.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'ai l'impression de devoir le redire. J'explique pourquoi l'Insee, qui publie le déficit public, a changé sa méthode, notamment dans son traitement de l'Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (Erafp), ce qui a aggravé le chiffre du déficit public que l'institut a ensuite annoncé.
M. Claude Raynal, président. - Actuellement, votre cible est de 5,1 %, mais le Parlement n'a aucune capacité à juger de la faisabilité de ce chiffre. Je ne redirai pas, pour la énième fois, ce que vous savez en tant qu'ancien parlementaire : un PLFR aurait permis, au-delà des difficultés à présenter un tel texte, de voir quels étaient les critères pour arriver à cette cible de 5,1 %. Nous n'avons pas d'informations sur la manière dont ce chiffre est atteint, avec quelles perspectives, dans quel contexte, etc.
Vous partagez avec nous, je le crois, une difficulté : comment pouvons-nous, nous, le Parlement, avoir le sentiment de voter sur des chiffres de solde crédibles ? Vous dites que de tels écarts se produisent régulièrement, mais c'est extrêmement rare à un tel niveau de différence ! Comment faire mieux à l'avenir ? Au-delà de la mission de l'IGF, dont vous nous communiquerez les résultats, quelles sont les voies pour y parvenir ?
Nous rencontrons une difficulté permanente à analyser vos chiffres. Certes, ce souci existait déjà il y a plusieurs années, mais il est bien plus important dans la période actuelle. Votre mission, tout comme celle du ministre des finances, est bien d'avoir des finances publiques mieux gérées.
Quelles sont vos recommandations pour que nous puissions mieux croire à ce chiffre de 5,1 % et comment pourrions-nous être mieux informés sur la manière dont il est obtenu lorsqu'il n'y a pas de PLFR ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Il n'y a pas eu d'audition au Sénat lors de la présentation du programme de stabilité. Nous avons échangé avec l'Assemblée nationale sur ce programme, sur la cible de 5,1 %, et sur la manière dont nous allons atteindre cette cible. Nous aurions dû avoir un échange à ce moment-là, peut-être à votre initiative, pour vous expliquer ce chiffre et la manière de l'atteindre.
Nous vous avons transmis des informations sur les conséquences du décret d'annulation de 10 milliards d'euros. Celui-ci reste totalement conforme aux dispositions de la Lolf, initiative parlementaire, donc à l'intention du Parlement au moment du vote de la Lolf et même de sa révision : nous aurions pu aller jusqu'à 12 milliards d'euros, mais nous nous sommes arrêtés à 10 milliards.
Atteindre 5,1 % de déficit public nécessite un effort supplémentaire de 10 milliards d'euros, au-delà du décret d'annulation. L'État devra faire des efforts complémentaires d'environ 5 milliards d'euros. C'est compatible avec la réserve de précaution - qui s'élevait, au moment de l'audition sur le programme de stabilité, à 7,4 milliards d'euros. La réserve de précaution fait partie des outils classiques de bonne gestion et de pilotage de la dépense. Elle sert à faire face à des aléas. Nous mobilisons cette réserve avec l'ensemble des outils de pilotage pour bien piloter l'exécution de la dépense.
Nous n'avons jamais caché que nous demandons aux collectivités territoriales, conformément à la loi de programmation des finances publiques, entre 2 et 2,5 milliards d'euros d'efforts, pour que leurs dépenses évoluent un peu moins vite que l'inflation. Il n'y a pas besoin de PLFR sur ce sujet, non plus que pour les 5 milliards d'euros d'économies de l'État quand la réserve de précaution atteint 7,4 milliards d'euros.
Ensuite, nous prévoyons des mesures sur les recettes. Les parlementaires de la majorité à l'Assemblée ont lancé un travail sur les rentes. J'ai évoqué la taxation des énergéticiens. La Crim n'a pas rapporté les sommes attendues. Nous étions prêts à rouvrir ce sujet, entre autres. Nous attendons le résultat des travaux des parlementaires qui permettront d'enrichir, dans le débat budgétaire, des mesures pour 2024 afin d'avoir le rendement attendu et atteindre l'objectif de 5,1 % de déficit.
Les dernières publications sur la croissance indiquent que l'acquis de croissance s'élevait, en avril, encore à 0,5 %, là où nous avons une hypothèse de croissance de 1 %. Nous sommes donc en ligne avec les hypothèses sous-jacentes à la cible de 5,1 %.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La note du Trésor du 16 février 2024 sur le budget économique d'hiver mentionne des « hypothèses favorables retenues dans la loi de programmation des finances publiques », chiffrées à 0,8 % du PIB en 2025, soit plus de 20 milliards d'euros. Elle précise que « l'administration ne retient pas ces hypothèses favorables dans ses propres prévisions ». Elle indique qu'il s'agit « d'économies non documentées, d'une évolution favorable du solde des collectivités territoriales et des recettes non fiscales ». Pouvez-vous préciser quelles sont ces hypothèses favorables ? Est-ce de bonne gestion qu'il existe un tel différentiel entre les prévisions techniques de votre administration et ce que vous retenez dans vos projets de loi de programmation et dans votre communication ? Cette note dit l'inverse de vos propos. Vous vous détachez ainsi de votre position qui était de suivre quasi religieusement les orientations proposées par votre administration.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Il n'y a rien de nouveau dans cette fabrication de notre trajectoire budgétaire. Lorsque les services indiquent ne pas intégrer des hypothèses favorables, c'est qu'il reste à documenter un certain nombre de mesures avant de les intégrer dans le tendanciel, c'est-à-dire à politiques publiques constantes. Nous avons toujours rendu publiques ces mesures. Rappelez-vous, pour 2025, nous avions évoqué les chiffres de 12 milliards d'euros d'économies - 6 milliards pour l'État, 6 milliards pour la sécurité sociale... Ces 12 milliards d'euros restent à documenter par les revues de dépenses. Nous avons toujours été transparents, devant vous comme à l'Assemblée nationale. Compte tenu de la révision de la croissance à la baisse et des mauvaises nouvelles de 2023, j'ai annoncé que le montant des économies à documenter serait probablement plus proche de 20 milliards d'euros que de 12 milliards. C'était le 6 mars.
C'est comme lorsque nous réalisons des hypothèses d'évolution des dépenses des collectivités territoriales : nous n'avons pas beaucoup de leviers puisqu'il n'y a plus les contrats de Cahors. Voilà des hypothèses favorables... C'est un procédé classique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il n'y avait rien sur les revues de dépenses.
M. Thomas Cazenave, ministre - C'est marqué dans la note !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous avons une connaissance imparfaite des revues de dépenses, nous vous en avons demandées les résultats. Il faudra bien informer le Parlement.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - C'est bien ce qui est mentionné dans la note : « 12 milliards d'euros d'économies restant à documenter, notamment par les revues de dépenses. » C'est bien le mécanisme que nous avons annoncé, en toute transparence. Nous avons toujours été clairs sur ce sujet.
M. Michel Canévet. - Les parlementaires ont besoin d'informations ; or nous disposons des informations sur la situation financière de 2024 qui datent du 31 mars. Nous sommes fin mai... Serait-il possible d'obtenir des chiffres plus récents ? Fin mars, nous avions une baisse de 1,3 milliard d'euros de TVA par rapport au premier trimestre 2023, une réduction de 0,4 milliard d'euros de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), et en revanche, les dépenses de personnel augmentaient de 3 milliards d'euros et celles de fonctionnement de 1,5 milliard d'euros. Il y a déjà un décalage extrêmement significatif des recettes, mais aussi un accroissement des dépenses par rapport au premier trimestre 2023. Que dites-vous de cette situation ? Est-ce un problème ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - À la fin du premier trimestre, nous considérons que nos recettes sont en ligne avec les hypothèses retenues dans le nouveau programme de stabilité.
M. Claude Raynal, président. - Vous comprenez nos préoccupations, notamment sur la manière dont la prévision sera effectuée l'année prochaine. Nous suivrons attentivement les évolutions que vous déciderez à la suite de la mission d'inspection et les décisions prises pour améliorer la compréhension des choses.
Auparavant, les recettes s'écartaient très peu des prévisions affichées. Désormais, nous serons très attentifs au moment du PLF pour savoir sur quelles bases ces recettes sont calculées et comment elles évoluent dans le temps. Nous partageons avec vous ce souci supplémentaire, car l'objectif, in fine, est bien d'améliorer les finances publiques de notre pays.
Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de
l'économie, des finances
et de la souveraineté industrielle
et numérique
(Jeudi 30 mai 2024)
M. Claude Raynal, président. - Nous arrivons au terme des auditions de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, en entendant ce matin le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire.
Je rappelle que cette mission d'information a été déclenchée à la suite du constat d'un écart extrêmement significatif entre la prévision de déficit public pour 2023 de 4,9 % du PIB, incluse dans l'ensemble des textes adoptés par le Parlement à la fin de l'année dernière - loi de finances de fin de gestion 2023, loi de finances pour 2024, loi de programmation des finances publiques -, et son exécution, à 5,5 %, chiffre dévoilé par l'Insee le 26 mars dernier, mais dont la presse s'est fait écho dès le 20 mars.
Que s'est-il passé pour que cet écart de déficit soit si important ? Comment l'exécution a-t-elle pu s'écarter autant des prévisions des textes financiers adoptés en novembre et décembre 2023 ?
Monsieur le ministre, il nous semble qu'il aurait fallu être beaucoup plus prudent, en particulier sur votre estimation de recettes. Ainsi en est-il de la contribution sur les rentes inframarginales par exemple. De même, l'hypothèse d'un gonflement des recettes d'impôt sur les sociétés en fin d'année - en espérant une bonne nouvelle qui n'est pas venue, mais qui avait eu lieu les années précédentes -, pour tenir l'objectif de déficit de 4,9 % dans vos prévisions, ne nous semble pas avoir été solidement contredite par Thomas Cazenave.
Nous aimerions donc que vous nous fassiez part de vos explications, après celles de votre ministre délégué Thomas Cazenave qui ne nous a pas toujours convaincus.
Historiquement, l'apparition du Parlement et de la démocratie est étroitement liée au vote de l'impôt et du budget. De ce fait, nous devons disposer de données fiables. Comment y parvenir ? Quelles améliorations prévoyez-vous pour rendre les prévisions plus satisfaisantes ?
Vous le savez, monsieur le ministre, cette mission d'information a été déclenchée car c'est par voie de presse que nous avons appris la forte dégradation du déficit public 2023, notamment à la suite d'une fuite à l'issue d'une réunion à l'Élysée. Devant ce contournement du Parlement - nous aurions aimé être alertés autrement que par la presse -, le rapporteur général Jean-François Husson a très logiquement utilisé ses prérogatives et effectué un contrôle sur pièces et sur place le 21 mars dernier - nous n'en abusons pas. Il a ainsi assuré la mission de contrôle de l'action du Gouvernement dévolue au Parlement par l'article 24 de la Constitution, en utilisant les prérogatives que lui confère l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
L'enjeu de l'information du Parlement est donc également crucial dans notre mission, en particulier à un moment où le déficit public, déjà très élevé, dérape à ce point, et où celui-ci ne peut qu'affecter notre position au niveau européen à l'approche de l'entrée en vigueur des nouvelles règles budgétaires. Hier matin, nous recevions une délégation de députés allemands. Il a fallu les rassurer sur ces sujets.
Pour finir, j'aimerais vous rappeler vos propos au début de l'examen du PLF pour 2024. « Ce projet de loi de finances garantit un déficit public de 4,4 % pour 2024, objectif que Thomas Cazenave et moi tiendrons », disiez-vous, avant de poursuivre : « Nous avons toujours tenu nos objectifs en matière de déficit, sauf pendant la période exceptionnelle du covid-19. Je tiens donc à ce que notre parole conserve la même crédibilité pour les années qui viennent ».
Nous sommes sortis du covid-19 et vous n'avez pas tenu vos objectifs, ni pour 2023, où l'écart avec les prévisions en fin d'année dernière est de 0,6 point de PIB, ni pour 2024, où l'écart qui se profile, à la suite du programme de stabilité (PStab), est de 0,7 point de PIB, puisqu'au lieu de ces 4,4 %, le déficit prévu s'élèverait à 5,1 %.
Est-ce à dire, donc, que votre parole a perdu toute crédibilité ?
Cette audition est l'occasion pour vous, monsieur le ministre, de nous donner les éclairages nécessaires. Je vous donne donc la parole pour une intervention liminaire, à la suite de quoi le rapporteur général et moi-même, ainsi que les autres membres de la commission auront, je n'en doute pas, des précisions à vous demander.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Merci, monsieur le président. Je suis très heureux de répondre aujourd'hui aux interrogations de la mission d'information et je vous prie de bien vouloir m'excuser à l'avance de prendre tout le temps nécessaire pour répondre aux graves accusations qui ont été formulées par certains sénateurs depuis quelques mois. J'ai toujours fait preuve, depuis sept ans que je suis ministre de l'économie et des finances, de sincérité, d'honnêteté et de sens de la vérité. Toutes les allégations selon lesquelles j'aurais délibérément dissimulé au Parlement des informations qui étaient à ma disposition sont graves et infondées, et je compte bien prendre le temps nécessaire pour en faire justice.
Il est plus intéressant pour le peuple français que nous comprenions ce qui s'est passé, plutôt que nous accusions. Et que nous regardions comment réduire la dépense publique dans notre pays, accélérer le désendettement et la baisse des déficits, plutôt que de faire de mauvais procès à un ministre des finances qui, depuis sept années, chiffres à l'appui, a toujours fait preuve de sincérité dans ses budgets, dans le respect des déficits et dans le désendettement, à l'exception de la période du covid.
Je vais donc essayer de m'attacher à comprendre pourquoi il s'est produit un événement exceptionnel. Effectivement, une année sur sept ans, le déficit, au lieu d'être à 4,9 % comme je m'y étais engagé, a brutalement dérapé à 5,5 %. Je tenterai d'expliquer, en faisant l'archéologie administrative et politique de ces événements, comment cela est arrivé, pour quelles raisons et, surtout, comment nous pouvons faire pour que ces phénomènes ne se reproduisent pas. Toutefois, toute personne qui a occupé mes fonctions sait parfaitement que les prévisions de déficit ne sont pas une science exacte et qu'elles sont soumises à des aléas conjoncturels très forts, notamment sur l'impôt sur les sociétés (IS) et sur la conjoncture économique qui a été révisée dans tous les pays européens. Je compte bien sur cette mission d'information pour que l'on oublie les accusations infondées et graves et que l'on revienne à des propos plus responsables.
Quels sont les instruments de pilotage dont dispose le ministre des finances pour garantir cette sincérité et ce sens de la vérité qui sont au coeur de mon engagement politique depuis vingt ans et dont j'ai toujours fait preuve dans toutes les fonctions ministérielles que j'ai occupées ?
Je dispose d'abord des évaluations de croissance qui sont produites par la direction générale du Trésor. Ces évaluations sont d'ailleurs souvent plus exactes que celles des prévisionnistes. La plupart d'entre eux prévoyaient en 2023 soit une récession, soit une croissance de 0,5 %. La prévision du Trésor était de 1 %, nous avons réalisé 0,9 %. Sincérité, vérité.
Je dispose également de remontées d'informations qui sont produites par la direction générale des finances publiques (DGFiP). Sur une base mensuelle, ce sont les recettes de TVA et les recettes d'impôt sur le revenu (IR) ; sur une base trimestrielle, ce sont les recettes d'impôt sur les sociétés. Je suis tout à fait prêt à regarder avec le Parlement si, sous une forme ou une autre, le rapporteur général et le président de la commission des finances ne pourraient pas avoir accès à ces informations dont ils verront qu'elles sont très fluctuantes, incertaines et ne sont pas des données tant que toutes les remontées comptables n'ont pas eu lieu. Le ministre des finances ne détient pas un compteur exact à l'euro près des recettes fiscales. Cela n'existe pas, tout simplement du fait des variations en fonction de la conjoncture et des remontées fiscales.
La base trimestrielle de l'impôt sur les sociétés est le point le plus important, parce que, sur le cinquième acompte de l'IS, l'information définitive arrive beaucoup plus tard que le moment où j'aurais pu informer, lors de l'examen du budget, le Sénat ou l'Assemblée nationale.
Enfin, je dispose des prévisions d'exécution du budget de l'État qui sont produites par la direction du budget (DB) et des prévisions de solde public provenant de la direction générale du Trésor. Tous ces éléments sont à l'entière disposition de la commission des finances. Je précise que toutes ces informations comprennent chaque fois des marges d'erreur significatives et qu'elles sont soumises à des aléas conjoncturels importants. J'insiste sur ce point, toutes les données dont je dispose, de la direction générale des finances publiques, de la direction du budget et de la direction générale du Trésor ne sont jamais définitives. Vous n'avez pas chaque mois une recette de TVA remontée à l'euro près. Aucun montant précis ne pourrait être établi à la fin de 2023. Ce sont des évaluations avec des variations et des marges d'erreur significatives, en particulier sur l'impôt sur les sociétés, qui dépend non seulement des bénéfices qui vont être réalisés, et donc de la situation conjoncturelle, mais aussi des choix qui sont opérés par les entreprises, notamment en termes de provisions. Et personne ne connaît à l'avance ces montants, issus de choix souverains que nous ne maîtrisons pas.
J'en viens à la chronologie de l'examen budgétaire et de toutes les décisions que j'ai prises à la fin de 2023 et au début de 2024. Là aussi, je prendrai le temps nécessaire par souci d'exhaustivité, de sincérité et de vérité. En effet, on ne peut pas accuser le ministre des finances d'avoir dissimulé quoi que ce soit, alors que, une fois encore, il est en fonction depuis sept ans et a toujours fait preuve de sincérité et d'honnêteté. Prenons le temps de rétablir la vérité des faits. Dans un monde politique qui - hélas ! - est en train de dériver largement et d'abolir la frontière entre la vérité et le mensonge, je fais partie de ceux qui croient à cette frontière.
Première étape : le projet de loi de finances pour 2024. Celui-ci a été déposé, présenté en conseil des ministres par le ministre des finances et le ministre délégué chargé des comptes publics le 27 septembre 2023 à 10 heures. Le Haut Conseil des finances publiques avait été saisi le 15 septembre 2023. Ce projet de loi de finances prévoyait un déficit à 4,9 % en 2023. Était-ce crédible ? Oui. Était-ce sincère ? Oui.
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis de 2023 relatif au PLF et au PLFSS pour l'année 2024. À la neuvième page de cet avis, il a estimé que la prévision de croissance pour 2023 du Gouvernement était plausible grâce à une croissance plus dynamique que celle qui était attendue au deuxième trimestre. Le Haut Conseil a d'ailleurs reconnu l'erreur de son évaluation de croissance. Celle-ci est désormais proche des autres prévisions disponibles.
Au paragraphe 58 de la page 15, le Haut Conseil estime le 22 septembre 2023 que les prévisions de prélèvements obligatoires sont plausibles pour 2023.
Deuxième étape : le projet de loi de fin de gestion pour 2023. Nous avons saisi le Haut Conseil des finances publiques le 20 octobre pour ce deuxième texte. Les informations remontées par les notes de la direction générale des finances publiques faisaient état d'une baisse de l'impôt sur les sociétés de 700 millions d'euros par rapport au PLF. Cette note de la DGFiP a été consultée par la commission des finances.
J'en viens à mon deuxième document : une note au ministre du 16 octobre 2023 de la direction générale des finances publiques sur le suivi budgétaire de l'impôt sur les sociétés et sur la situation à la fin de septembre 2023 à l'issue du troisième acompte. Cette note fait effectivement état d'une baisse possible de recettes de 600 millions d'euros par rapport à la prévision de 2023, révisée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Elle établit que le rendement de l'acompte de septembre 2023 de l'impôt sur les sociétés s'élève à 14,5 milliards d'euros, l'autolimitation étant estimée à moins 700 millions d'euros. Qu'est-ce que l'autolimitation de l'IS ? C'est la réduction de versements d'acomptes qui est prévue au 4 bis de l'article 1668 du code général des impôts (CGI), qui dispose : « L'entreprise qui estime que le montant des acomptes déjà versés au titre d'un exercice est égal ou supérieur à la cotisation totale d'impôt sur les sociétés dont elle sera redevable [...] avant imputation des crédits d'impôt, peut se dispenser de nouveaux versements d'acomptes ». Ce point technique est très important, car il établit que les entreprises ont toute liberté, si elles le souhaitent, de réduire le montant de l'acompte en fonction des éléments que je viens d'indiquer.
L'IS aurait donc pu être en baisse en fonction de la libéralité laissée aux entreprises. Là encore, ce n'est pas une remontée comptable à l'euro prêt, où l'État sait exactement où en est la jauge. C'est l'entreprise qui a la faculté de décider, au titre de l'article du CGI précité, de faire passer, ou non, en bénéfice fiscal, un certain nombre de sommes.
Sur la base de ces remontées, néanmoins, l'IS était en baisse possible de 700 millions d'euros par rapport au PLF. Nous sommes le 16 octobre. Selon la même direction générale des finances publiques, les recettes d'impôt sur le revenu pouvaient être en augmentation de 400 millions d'euros par rapport au programme de stabilité. Une note pour les ministres du 4 octobre 2023 sur le suivi mensuel de l'impôt sur le revenu à la fin août 2023, juste avant la note sur l'IS, de la direction générale des finances publiques, estimait que les dépenses d'impôt sur le revenu du mois d'août étaient inférieures de 200 millions d'euros à la prévision du programme de stabilité (PStab) et que nous pourrions avoir une augmentation d'impôt sur le revenu de l'ordre de 400 millions d'euros : « Les recettes d'IR net cumulées depuis janvier après retraitement seraient de 45,5 milliards d'euros et en plus-values de 400 millions d'euros par rapport à la prévision ». C'est le point 2 de la note du 4 octobre 2023 de la direction générale des finances publiques.
Nous avons donc une évaluation de 700 millions d'euros en moins sur l'IS et de 400 millions d'euros en plus sur l'impôt sur le revenu.
Une troisième note du 9 octobre 2023 concerne le suivi budgétaire de la taxe sur la valeur ajoutée au 31 août 2023. Le point 2 de cette note établit que la TVA nette budgétaire d'août pourrait être en augmentation de 600 millions d'euros par rapport au projet de loi de finances pour 2024, en raison du dynamisme des recettes. Là encore, c'est une évaluation et non une certitude.
J'ajouterai un dernier élément : les discussions techniques entre les services, auxquelles le ministre ne participe pas, qui sont consignées et auxquelles vous avez accès, ont indiqué mi-octobre que les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pouvaient être inférieurs en raison du ralentissement marqué du marché immobilier.
En définitive, sur des notes qui datent du 4 octobre pour l'IR, du 9 octobre pour la TVA et du 16 octobre pour l'IS, nous avons fin octobre 700 millions d'euros de moins-values possibles sur l'IS, 400 millions d'euros de plus-values possibles sur l'IR, 600 millions d'euros de plus-values possibles sur la TVA. Nous avons donc 300 millions d'euros de recettes fiscales supplémentaires prévues fin octobre, selon les estimations de mes services, auxquels s'ajoute une incertitude sur les DMTO.
Tout cela confirme un point fondamental : la très grande prudence dont j'ai fait preuve comme ministre des finances dans la gestion de ces informations. Même en ayant une évaluation de plus-values de recettes fiscales de la part de mes services, en tenant compte de la grande incertitude sur l'IS - notamment la possibilité, pour les entreprises, de passer en provision, en raison de la dégradation de la situation économique et de l'augmentation des taux d'intérêt, d'une part du bénéfice fiscal, ce qui réduit d'autant le cinquième acompte d'IS -, j'ai révisé, pour le projet de loi de finances de fin de gestion, de 500 millions d'euros à la baisse ma prévision de prélèvements obligatoires par rapport au projet de loi de finances. Sincérité, honnêteté, vérité et responsabilité.
Par ailleurs, je rappelle que nous avions de moindres dépenses, notamment de ministères, pour 1,7 milliard d'euros. Plus de recettes fiscales, moins de dépenses des ministères ; et pourtant, une révision des prélèvements obligatoires pour tenir compte de l'incertitude du cinquième acompte de l'IS, et, en deuxième lieu, le maintien des déficits à 4,9 % dans le projet de loi de finances de fin de gestion. Je ne pense pas que l'on puisse m'accuser d'irresponsabilité ou de dissimulation ; au contraire !
De nouveau, se prononçant le 27 octobre 2023 sur ce projet de loi de finances de fin de gestion confirmant un déficit public de 4,9 % pour 2023, le Haut Conseil a estimé cette évaluation comme « plausible ». Dans son avis relatif au projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023, en son point 31, à la page 7, il estime également que la prévision de prélèvements obligatoires pour 2023 ajustée par le Gouvernement et la prévision de déficit à 4,9 % sont plausibles. S'agissant des recettes, il estime leur prévision plausible tout en faisant état - cela a justifié les 500 millions d'euros de provision dont je parlais tout à l'heure - de risques et d'aléas importants concernant le rendement de l'impôt sur les sociétés, rendement qui est au coeur du débat.
Ce projet de loi de finances de fin de gestion, qui inclut un déficit à 4,9 % du PIB, une évaluation des recettes et une évaluation de la croissance tous validés - et même confirmés par rapport à sa dernière évaluation - par le Haut Conseil, a été adopté par le Parlement le 22 novembre 2023, et la loi de finances de fin de gestion a été promulguée le 30 novembre 2023. À cette date, tout est jugé sincère et conforme par l'ensemble des instituts qui évaluent les propositions du Gouvernement, notamment par le Haut Conseil.
La troisième étape est l'examen du budget. L'examen parlementaire du projet de loi de finances pour 2024 a démarré le 27 septembre 2023, pour se clore le 21 décembre 2023.
Une première alerte sur le déficit m'a été fournie par une note d'actualisation de la direction générale du Trésor, qui est la seule administration en charge de l'évaluation consolidée du déficit public maastrichtien ; elle évalue en se fondant sur des remontées comptables qui, une fois encore, restent incertaines à ce stade. Il s'agit de la fameuse note du 7 décembre 2023, qui va bientôt devenir aussi célèbre que la dépêche d'Ems. Cependant, à la différence de la dépêche d'Ems, qui était une et unique, la note du 7 décembre était la note n° 8466 du Trésor pour l'année 2023. Cette note est signée par le directeur général du Trésor et par la directrice du budget. Elle révise à 5,2 % du PIB la prévision de déficit public pour 2023, en insistant sur les « nombreux aléas » qui entourent cette prévision, et en recommandant explicitement de ne pas rendre publique cette évaluation. La presse s'est beaucoup émue de cette note et s'est beaucoup répandue ; je pense donc qu'il est bon de la lire intégralement.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous auriez pu la communiquer plus rapidement...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je communique tous les documents que la commission des finances souhaite qu'on lui transmette. En revanche, monsieur le rapporteur général, je n'accepterai jamais, jamais que, dans mes fonctions de ministre des finances, on m'accuse de dissimulation.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Si c'est à moi que vous vous adressez, monsieur le ministre, il faut le dire clairement.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je cite la note : « Il n'est pas recommandé de communiquer sur cette mise à jour encore entourée de nombreux aléas ». La recommandation des deux directeurs est parfaitement légitime. À cette date, soixante-dix jours de débats parlementaires sont derrière nous et il ne nous reste d'une dizaine de jours ouvrés pour achever l'examen du budget. Il faut donc, avant de mettre le sujet, politiquement, sur la table, être sûr et certain de le faire sur le fondement de faits rigoureux et exacts. Je n'aurais pris la responsabilité de divulguer ces informations que si elles avaient été définitives et certaines. Or les prévisions de cette note se sont avérées lacunaires pour certaines et inexactes pour d'autres. Si je les avais diffusées, j'aurais donc semé le doute et l'inquiétude inutilement, alors même que beaucoup de ces prévisions ne se sont pas révélées exactes.
La note a d'abord été lacunaire sur un point essentiel : la moins-value sur l'impôt sur les sociétés, pourtant décisive pour expliquer l'écart du déficit public réalisé par rapport à la prévision. Les informations sur les moindres recettes d'impôt sur les sociétés n'étaient pas encore connues et ne figuraient pas dans cette note. C'est-à-dire que l'élément clef qui a expliqué très largement le dérapage du déficit ne figure pas dans la note du 7 décembre 2023 ; cet élément n'est mentionné ni par la direction générale du Trésor ni par la direction du budget.
Ensuite, au sujet des dépenses de l'État, cette note est inexacte. Les dépenses sont estimées être en baisse de 300 millions d'euros par rapport à la prévision de la loi de finances de fin de gestion. En réalité, la baisse des dépenses de l'État a été de 6 milliards d'euros, notamment en raison des économies que nous avons engagées, mais aussi en raison de la sous-exécution de certains programmes budgétaires.
Ainsi, si j'avais divulgué ces informations du 7 décembre, en admettant que je m'affranchisse des recommandations de mes deux directeurs, j'aurais divulgué au Parlement des informations lacunaires et inexactes. J'estime donc avoir agi correctement en ne divulguant pas ces informations, que mes directions même recommandaient de ne pas rendre publiques.
Ma responsabilité de ministre des finances n'est pas de crier au loup auprès du Parlement et des représentants du peuple lorsque les informations sont lacunaires et inexactes, mais, sur le fondement de cette note, de convoquer les directions et de leur demander ce qu'il en est réellement. C'est ce que j'ai fait le 12 décembre. Voilà la différence entre le travail administratif et le travail politique du ministre. Je pense les avoir accomplis, l'un comme l'autre, rigoureusement et correctement. Le 12 décembre, j'ai donc réuni les directeurs des finances publiques, du Trésor et du budget. Je leur ai indiqué que, sur le fondement de la note qu'ils m'avaient transmise, il était nécessaire de prendre des décisions de gestion pour réduire la dépense de l'État et parer à toute éventualité.
Ces décisions de gestion, prises mi-décembre, sont par ailleurs les seules décisions possibles à ce stade de l'exécution du budget. Pourquoi divulguer des informations qui sont incertaines, s'il n'est pas possible d'agir par la suite ? Ce qui compte c'est la décision, la décision publique du ministre des finances, qui, en exécution, prend les seules mesures qui sont à sa disposition.
Voilà les quatre points majeurs que je veux donc porter à la connaissance de la commission des finances du Sénat : premièrement, les informations dont je disposais n'étaient ni établies ni certaines, et il s'agissait de prévisions que mes services recommandaient de ne pas diffuser ; deuxièmement, ces informations m'ont amené à prendre toutes les mesures de précaution nécessaires en gestion, seule décision qui était à ma main ; troisièmement, ces informations portaient exclusivement sur la situation des finances publiques en 2023 et ne tiraient pas de conséquences sur la situation de 2024 ; quatrièmement, toutes les décisions possibles ont été prises en temps et en heure et le Parlement a été informé dès lors que ces informations ont été confirmées, comme je vais vous le montrer maintenant.
J'en viens donc à la quatrième étape, après l'examen du projet de loi de finances. Le 21 décembre 2023, une note du directeur général des finances publiques m'avertit du risque que le rendement du cinquième acompte de l'impôt sur les sociétés soit inférieur de 4,2 milliards d'euros par rapport aux prévisions. Au fond, cette note du 21 décembre est peut-être plus importante que celle 7 décembre, car c'est la première qui montre que les recettes de l'impôt sur les sociétés sont bien inférieures à ce qui avait été anticipé. Il s'agit de la note de la direction générale des finances publiques, adressée aux ministres, sur le suivi budgétaire de l'impôt sur les sociétés. Cette note est trimestrielle, contrairement aux notes sur la TVA et sur l'impôt sur le revenu, qui sont mensuelles. Je la cite : « À fin décembre 2023, les recouvrements d'impôt sur les sociétés net seraient en deçà de la recette nette inscrite en loi de finances de fin de gestion pour 2023. Cette moins-value de 4,2 milliards d'euros s'explique principalement par un rendement de l'acompte de décembre moins important que prévu. » La note établit également que ce chiffre de 4,2 milliards d'euros reste incertain le 21 décembre 2023.
Ces chiffres restent à confirmer lors de la clôture des comptes 2023, qui n'intervient qu'au premier trimestre 2024. Le 11 janvier 2024 a lieu le remaniement ministériel et je suis confirmé dans mes fonctions de ministre des finances. Le 19 janvier 2024, la direction générale des finances publiques et la direction du budget, dans une note commune, confirment que les recettes nettes du budget général s'établissent à 280 milliards d'euros, soit 7,8 milliards d'euros en dessous de la prévision établie en loi de finances de fin de gestion.
Je cite donc la note du 19 janvier 2024 de la direction générale des finances publiques et de la direction du budget intitulée Évaluation du solde budgétaire de l'année 2023 : « Le solde budgétaire provisoire en date comptable du 15 janvier 2024 est évalué à -173,3 milliards d'euros, en dégradation de 2 milliards d'euros par rapport au déficit budgétaire prévisionnel affiché en loi de finances de fin de gestion. Les recettes nettes du budget général s'établissent à 280 milliards d'euros, soit -7,8 milliards d'euros en dessous de la prévision établie en loi de finances de fin de gestion ».
Cette note confirme également que la moins-value est due à titre principal à une baisse des recettes fiscales nettes de l'impôt sur les sociétés. Nous avions alors pris des mesures de réduction des dépenses de l'État de 6 milliards d'euros, mesures de fin de gestion, et, pour un certain nombre de postes de dépenses de l'État, les dépenses étaient moindres. Malgré les 7,8 milliards d'euros de recettes nettes du budget général en moins, nous avons fait preuve d'anticipation, grâce à ces mesures de gestion de « refroidissement de la machine », qui ont permis d'économiser 6 milliards d'euros : ainsi, le 24 janvier, au moment où je m'exprime en conseil des ministres sur le déficit budgétaire de l'État, l'écart reste contenu à un peu moins de 2 milliards d'euros.
Je résume donc, pour que chacun comprenne bien ce point essentiel. Dès qu'il y a eu des informations disponibles sur des risques de pertes de recettes, nous avons pris les mesures d'anticipation et de correction nécessaires, si bien que, au moment où une perte de recettes peut effectivement se confirmer - ce n'est pas encore définitif à ce stade - l'écart à la cible s'élève à 2 milliards d'euros, soit 0,1 point de PIB. Nous sommes bien le 24 janvier.
Ainsi, ne laissons pas entendre, comme certains l'ont fait dans la presse, que nous savions dès le 24 janvier que le déficit s'élevait à 5,5 %, parce que cela est simplement et rigoureusement un mensonge. D'après tous les documents dont je viens de faire état, qui sont tous publics et qui ont tous été transmis à la commission des finances, l'écart est alors de 2 milliards d'euros, soit un écart de 0,1 point de PIB. Je n'ai alors aucun autre élément à ma disposition pour établir un chiffre de déficit plus élevé.
Ces éléments sont d'ailleurs explicitement mentionnés dans le compte rendu public du conseil des ministres du 24 janvier, qui a été transmis au Parlement : « Le déficit du budget de l'État s'établirait ainsi pour 2023 à 173,3 milliards d'euros, en détérioration de 2,0 milliards d'euros par rapport à la prévision de la loi de finances de fin de gestion pour 2023 ».
La direction générale du Trésor établit ensuite que le déficit pourrait être plus important que ce qui vient d'être annoncé, en raison du dynamisme de la dépense locale. Une note de la direction générale du Trésor le dit le 24 janvier 2024 ; elle établit que le déficit pourrait finalement s'établir à 5,3 % du PIB en raison des remontées sur le dynamisme de la dépense locale.
En février 2024, le 16 février très exactement, une nouvelle note de la direction générale du Trésor ajoute à ces éléments - moins de recettes, plus de dépenses des collectivités locales - un scénario macroéconomique moins favorable. C'est le 16 février 2024 seulement qu'apparaît ce chiffre d'un solde 2023 à -5,6 % du PIB.
Tous ces éléments constituent ce qu'on pourrait appeler une perfect storm, une « super tempête », qui s'est produite sur quelques mois, et qui s'est matérialisée très précisément mi-février 2024. C'est le point sur lequel je veux insister.
Nous pourrons avoir toutes les discussions voulues sur l'état de la dépense, pour savoir si elle est trop élevée, s'il faut réduire le déficit, si l'on doit accélérer le désendettement - sur ces sujets, tous les débats sont permis, et vous connaissez mes positions ; le rapporteur général et moi-même pourrons nous retrouver.
Toutefois, je veux établir que tous ces éléments se sont conjugués à un moment précis, à la mi-février 2024. Le 16 février très précisément, tous les éléments se conjuguent pour produire cette « super tempête » sur les comptes publics de la Nation : des recettes fiscales moins élevées, une dépense locale un peu plus importante que prévue et une dégradation de la conjoncture internationale.
J'ajoute à cela deux points très importants. Le premier point est que le ralentissement économique n'est pas français, il est mondial. Entre le 16 février et la fin du mois, tous les principaux États de la zone euro révisent leurs chiffres de croissance, l'Allemagne et l'Italie en particulier. Les révisions sont parfois extrêmement importantes, créant un environnement économique beaucoup moins favorable, ce qui a un impact sur les déficits.
Le deuxième point est que des requalifications comptables participent de cette « super tempête ». Tous les éléments dont nous pouvions penser qu'ils ne seraient pas requalifiés en déficit l'ont finalement été, pour un montant avoisinant les 5 milliards d'euros. Des recettes moins élevées, la décision des entreprises de passer en provision ce qui aurait pu constituer des recettes d'impôt sur les sociétés, ce dans des proportions beaucoup plus élevées que prévu, des dépenses des collectivités locales dynamiques, des requalifications comptables maximales, pour 5 milliards d'euros, et un ralentissement économique mondial ont donc conduit, fin février, à ces 5,5 % de déficit. Voilà comment nous en sommes arrivés à ce dérapage du déficit français.
Des éléments sont communs à d'autres pays de la zone euro, comme le ralentissement économique mondial, et d'autres nous sont propres, comme les requalifications comptables, les recettes moins élevées d'impôt sur les sociétés et un passage en provision de montants beaucoup plus importants que ce que nous avions anticipé.
J'insiste également sur le fait que, à chaque étape, j'ai pris les décisions nécessaires : pilotage des dépenses de l'État pour anticiper une perte de recettes éventuelle le 12 décembre ; annonce de l'accélération de la sortie du bouclier tarifaire sur l'électricité le 21 janvier 2024, pour une économie de 5 milliards d'euros ; le 18 février, immédiatement après la note du Trésor établissant que le dérapage pouvait être plus important, décision de réduire de 10 milliards d'euros les dépenses de l'État pour 2024 et annonce de la révision de la prévision de croissance.
Enfin, je termine par le point qui est au coeur des débats de la commission. À aucun moment, rien n'a été caché, ni à la représentation nationale ni aux Français. Au contraire, les éléments d'information solides et fiables ont à chaque fois été donnés immédiatement, lorsqu'ils ont été confirmés par mes services. Le 19 février 2024, soit trois jours après la note dont je vous parle - seulement trois jours ! -, j'ai communiqué publiquement sur le fait que nous ne tiendrions pas la cible de 4,9 % du déficit pour 2023. Le 6 mars, j'ai alerté le Parlement lors d'auditions au sein de la commission des finances, en indiquant que le déficit public serait cette fois, je reprends mes mots, « significativement au-dessus de 5 % ». Nous sommes le 6 mars ! La note du Trésor date du 16 février 2024. Je ne pense pas que quinze jours puissent être considérés comme un délai déraisonnable, sachant que la communication publique avait été faite juste avant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m'excuser d'avoir été un peu long, mais je souhaitais donner tous les éléments techniques nécessaires pour établir la vérité des faits et la responsabilité qui est la mienne.
J'en viens très rapidement à des questions qui me paraissent essentielles.
Premièrement, comment améliorer l'information régulière de la commission des finances, du président des commissions des finances à l'Assemblée nationale et au Sénat et des rapporteurs généraux sur les états comptables des recettes fiscales ? Je suis ouvert à toute proposition à ce sujet, sous réserve que ces éléments ne soient pas nécessairement divulgués publiquement, parce qu'ils pourraient concourir à un affaiblissement de la Nation si l'on apprenait qu'il y aurait une baisse des recettes fiscales à un moment donné, alors que cette baisse pourrait être compensée ultérieurement. Toutefois, je suis prêt à travailler avec les deux commissions des finances, pour éventuellement donner un plus grand accès aux remontées comptables des recettes fiscales aux commissions des finances, de l'Assemblée nationale et du Sénat, afin que nous puissions en discuter de manière plus régulière.
Deuxièmement, une telle erreur s'est produite une fois en sept ans, mais ne peut pas se reproduire une seconde fois. J'ai écrit à l'ensemble des administrations concernées de mon ministère pour le leur signifier. Je reconnais bien volontiers, car je prends mes responsabilités, qu'une erreur a forcément été faite dans l'évaluation des recettes fiscales, notamment pour l'impôt sur les sociétés, par défaut de remontées des informations comptables. Je sais parfaitement que l'article du code général des impôts que j'ai cité laisse la liberté aux entreprises de passer en provisions les sommes qu'elles veulent, mais il faut que nous disposions des éléments informatiques nous permettant d'évaluer la recette d'IS en fonction du niveau de ces provisions, qu'il s'agisse des entreprises financières ou des autres. Un travail doit être fait pour corriger cette erreur, que - j'y insiste - je reconnais, afin qu'elle ne se reproduise jamais.
Voilà les différents éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, avec la volonté d'établir la vérité, d'améliorer l'information du Parlement et de corriger les erreurs qui ont pu être faites par mes administrations, dont j'assume toute la responsabilité.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cette brève introduction...
Nous sommes là pour nous dire les choses, et c'est ce que vous avez fait. Je voudrais revenir sur les notions de vérité et mensonge, dont les contours sont flous. Prenons un exemple. Vous avez déclaré hier sur Europe 1 : « 10 milliards d'euros d'économies, aucun soutien ». Est-ce la vérité, un mensonge ou entre les deux ? Vous considérez qu'aucun soutien ne vous a été apporté. En tant que président de la commission de finances, je vous rappelle que la commission vous a fait des propositions d'économies lors de la discussion du PLF, même si je ne les soutenais pas à titre personnel. Ces propositions ont été refusées ; elles ont été reformulées durant le premier trimestre de 2024. On ne peut donc pas dire que vous n'avez pas eu de soutien sur ce plan.
De même, nous vous avons aussi fait des propositions concernant les recettes qui, elles non plus, n'avaient pas trouvé d'écho jusqu'à présent. Aujourd'hui, le groupe majoritaire à l'Assemblée nationale reprend une de nos propositions sur la taxation des rachats d'actions, et vous avez l'air intéressé par une « taxation des riches », une formule que ne renierait pas le G7 !
Nous avions donc fait des propositions pour rééquilibrer les comptes publics : vous ne pouvez pas dire à la radio que vous n'avez eu aucun soutien. Pour nous, c'est un mensonge !
Je crois qu'avec notre commission, nous sommes intéressés par votre tonalité : vous avez souhaité recadrer les choses, et vous l'avez fait avec des éléments qui sont pour partie exacts. Nous évoquerons plus loin dans la discussion les points que nous pouvons éventuellement contester. Mais cela change terriblement du ton très péremptoire que vous utilisez habituellement, comme lorsque vous dites que « ce projet de loi de finances garantit un déficit de 4,4 % pour 2024 et nous le tiendrons, nous avons toujours tenu nos objectifs, etc. ». C'est une phrase, il y en a mille : vous vous connaissez, monsieur le ministre.
Il faut changer de ton, car vous nous avez donné toutes les raisons qui montrent que, justement, sur ces questions, on ne peut pas être péremptoire ! Trop d'éléments échappent au ministre des finances : ce n'est pas la France seule qui décide de son taux de croissance, il faut prendre en compte l'environnement international. Il en est de même pour l'impôt sur les sociétés. Vous nous dites qu'une part de cet impôt est imprévisible, en particulier - vous avez raison - sur le cinquième acompte, mais il en a toujours été ainsi !
Nous souhaiterions que vous preniez des précautions oratoires lors de votre présentation du budget pour évoquer les résultats que vous attendez. Certes, on peut avoir de bonnes surprises, mais quelquefois on en a de mauvaises... En ce qui concerne les recettes, il faudrait un intervalle de confiance. La barre avait été mise trop haut en 2023, et les recettes ont finalement été plus basses que prévu dans les secteurs que vous avez développés. Un intervalle permettrait de fixer deux valeurs entre lesquelles pourraient être comprises les recettes.
Comme lors de l'audition de Thomas Cazenave, je n'ai pas votre conclusion. La question fondamentale est la suivante : qu'est-ce qui nous garantit que le déficit sera cette année de 5,1 % du PIB, comme vous nous l'avez annoncé ? Si l'on suit votre raisonnement, tout peut arriver. On pourrait tout aussi bien atteindre 5,1 % que 5,7 % du PIB. Quels chiffres et quelle trajectoire peut-on retenir de manière certaine ? Nous vous encourageons à en choisir une qui permette d'avoir une bonne surprise, car il est toujours préférable d'améliorer le solde en fin d'année.
Votre propos introductif nous permet de confirmer qu'il faut cesser de dire de façon péremptoire que vous tiendrez la trajectoire fixée et employer un ton plus proche de la vérité : avec autant d'éléments aléatoires, il faut faire preuve de prudence dans les solutions que vous avancez.
Je voudrais évoquer la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (Crim), un impôt qui, de l'avis général, est difficile à évaluer : estimé au départ à 12 milliards d'euros, puis à 7 milliards, à 3 milliards, il a permis de récolter 600 millions d'euros. Quand on crée ce type d'impôt, n'aurait-on pas intérêt à faire une recette de constatation la première année ? Faire un premier chiffrage à 12 milliards d'euros était au moins osé. Vous m'accordez peut-être que c'était un chiffrage un peu politique. Il y avait une dépense très élevée, il fallait une recette très élevée. Puis la dépense a diminué et on s'est réajusté. Là aussi, il aurait fallu faire preuve de prudence.
J'en viens à la question de la baisse de l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 %, à laquelle j'étais favorable. On peut espérer sur le long terme un effet en termes d'investissement, puisqu'on permet aux entreprises d'investir davantage avec l'argent qui est remis à leur disposition. Mais cela prend du temps ! Comme pratiquement dès la première année les recettes ont augmenté, vous avez dit qu'il était possible d'accroître le produit tout en baissant les impôts. Ce n'est pas aussi direct que cela, comme je l'ai souvent dit, mais vous avez balayé mon argument. Mais l'impôt sur les sociétés est extrêmement mouvant, c'est ce que vous venez de nous dire. Et cette année il l'a été avec un produit observé significativement à la baisse. Je le répète, l'effet se voit - si on arrive à le voir - sur une période de dix ans, pas d'une année sur l'autre. Il vaut mieux tenir un discours de vérité.
Vous avez fait une remarque sur le fait que nous vous aurions mis en cause. En tant que président de la commission des finances, je ne peux l'accepter. Quand il y a des difficultés, c'est la responsabilité du ministre qui est engagée, et non celle des services. Je ne crois pas que le ton des membres de la commission des finances ait été déplaisant. La mise en cause ne vous concerne pas personnellement : elle vise la mission que vous exercez et la responsabilité qui est la vôtre.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Comme vous, monsieur le président, je n'ai jamais aimé les gens péremptoires. Mais ce n'est pas être péremptoire que de défendre son budget : cela fait partie de mes fonctions de ministre des finances. En revanche, j'aime la clarté et la fermeté. Nous avons un point non pas de divergence, mais de discussion philosophique ; pour moi, il y a une vraie différence entre la vérité et le mensonge.
Sur les mesures d'économie, je confirme que vous en avez suggéré certaines, mais celles que j'ai proposées n'ont reçu que peu de soutien. Quand j'ai annoncé le rétablissement de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) pour un montant moins élevé que celui d'avant la crise, je ne peux pas dire que j'ai été très soutenu...
Pourquoi faut-il faire preuve de fermeté quand on défend le budget - bien sûr sans donner l'air d'être péremptoire ? Tout simplement parce que c'est bon pour les Français ! Je prendrai un exemple. Depuis un an et demi, on m'explique que notre pays sera en récession en 2023. Ce sont non pas le Sénat ni l'Assemblée nationale qui l'ont dit, mais de nombreux spécialistes de l'économie. Cette idée se diffuse dans l'opinion publique et, au bout du compte, les Français ne croient plus en eux-mêmes. Quand on leur explique qu'ils sont mauvais et que les choses vont très mal se passer, on constate que la croissance est de 0,9 point, très proche de la prévision du Gouvernement. C'est le rôle du ministre de l'économie et des finances de défendre une position positive. Je le redis, ce n'est pas être péremptoire, c'est croire dans son pays.
Depuis le début de l'année, j'entends tous les commentateurs dire que la croissance sera nulle au premier trimestre. C'est désespérant pour les Français ! Un institut très célèbre explique qu'il est impossible que notre pays dépasse 0,5 point de croissance en 2024, et pourtant nous y sommes déjà ! J'y insiste, ce n'est pas être péremptoire, c'est simplement défendre avec enthousiasme nos entrepreneurs, nos salariés, nos ouvriers et tous ceux qui se battent.
Là où je vous rejoins aussi, monsieur le président, c'est qu'il n'y a effectivement pas de science exacte en matière économique. Vous avez cité l'Allemagne, qui est un très bon exemple. Nous pensons que les Allemands sont forcément vertueux et rigoureux, et que nous le sommes moins. Ce n'est pas vrai ! L'année dernière, ce ne sont pas 5, 10 ou 15 milliards d'euros qui ont été requalifiés en dépenses de l'État fédéral allemand par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, mais 60 milliards d'euros, qui avaient été retirés du budget par le ministre des finances. Les approximations et les incertitudes ne sont pas forcément le fait de la France, elles peuvent être aussi la réalité outre-Rhin.
Quant à la prévision de croissance pour l'Allemagne, elle a été fixée jusqu'au début de l'année 2024 à 1,3 %, puis révisée à 0,2 %, soit 1,1 point de moins ! Là encore, les aléas qui entourent la prévision économique ne sont pas le seul fait de notre pays.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous allons revenir sur les sujets avec méthode. Vous avez dit au début de votre propos, monsieur le ministre, que vous alliez faire un peu d'archéologie, alors allons-y !
À plusieurs reprises, dans une posture tendue, vous avez évoqué des accusations graves, voire mensongères. Je veux dissiper toute mauvaise interprétation de votre propos : pouvez-vous donc préciser votre pensée ? Vous êtes ici dans un bâtiment de la République, une ancienne chapelle, et vous ne venez pas invoquer le pardon, mais vous présenter devant la commission des finances, qui participe du rôle du Parlement, qui est de contrôler et d'évaluer l'action du Gouvernement. Je rappelle que tout est parti d'une information consécutive à une réunion qui s'est tenue à l'Élysée le 20 mars dernier. Vous faites erreur si vous considérez que le travail que nous faisons ne relève pas de notre responsabilité en tant que parlementaires. Vous êtes ici non pas devant un tribunal, mais devant les représentants de la Haute Assemblée, et nous travaillons tout à fait sereinement.
En ce qui concerne l'IS, l'écart constaté est majeur. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoyait 55,2 milliards d'euros de recettes et la loi de finances pour 2023 55,3 milliards d'euros, pour terminer en exécution à 56,8 milliards d'euros. Dans le PLF de fin de gestion, donc en fin d'exercice, vous avez augmenté de 6 milliards d'euros cette prévision. Il y a de quoi se poser des questions : la prévision était-elle réaliste au départ et avez-vous procédé à un gonflement des recettes prévues quelque peu artificiel ? Est-ce pour compenser un moindre produit espéré de la Crim ? Je ne sais pas.
Une note du 12 juin de la direction générale des finances publiques évoque une révision de recettes d'IS à la baisse en 2023 d'environ 6 milliards d'euros par rapport à la prévision du PStab.
Enfin, une note du 11 juillet du Trésor, dont on connaît l'importance, précise que la dégradation de l'environnement macroéconomique et l'effet sur les recettes de l'IS de la baisse de cinq points de l'estimation du bénéfice fiscal 2022 conduisent à dégrader les recettes prévues des prélèvements obligatoires d'environ 8 milliards d'euros en 2023 et 2024.
Confirmez-vous les éléments que je viens de porter à la connaissance de l'ensemble des membres de la commission ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Il me semble avoir répondu sur le deuxième point en indiquant que les 6 milliards d'euros résultent à la fois des moindres dépenses prévues pour 2023 dans le cadre du bouclier fiscal et de mesures de précaution...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'évoquais les recettes et non pas les dépenses.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Vous m'interrogez sur un écart de 6 milliards d'euros : je pense vous avoir présenté une « archéologie » détaillée en matière de recettes et je peux la reprendre mot pour mot en ce qui concerne les recettes d'IS, à moins que je n'aie pas bien compris votre question.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Reprenons les éléments : le premier correspond à l'estimation effectuée par la DGFiP dans sa note du 12 juin 2023, document que vous n'avez pas évoqué dans votre présentation, mais dont j'ai pris connaissance lors de ma visite à Bercy, le 21 mars 2024. Ladite estimation évoquait une révision à la baisse du niveau de recettes d'IS d'environ 6 milliards d'euros par rapport à la prévision du PStab ; une annotation manuscrite indique même que « la probabilité d'un ajustement négatif significatif sur l'IS encaissé en 2023 par rapport à la prévision est désormais élevée ». Cette note date bien du début de l'été 2023.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Jusqu'au mois de novembre 2023, les recettes d'IS sont supérieures de 2 milliards d'euros à ce qui était prévu dans le projet de loi de finances pour 2023. Jusqu'à ce même mois de novembre, les recettes sont en ligne avec la loi de finances de fin de gestion. Après le PStab, il y a le PLF 2024. L'écart de 4,4 milliards d'euros s'est cristallisé sur le seul mois de décembre 2023. Je ne peux pas être plus précis.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous avons un désaccord sur ce point, monsieur le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Une fois encore, les recettes d'IS ont été supérieures de 2 milliards d'euros jusqu'en novembre 2023 à ce qui était prévu dans le projet de loi de finances pour 2023.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est bien le point que j'étais en train de souligner.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je maintiens cette affirmation : il n'y avait donc aucune raison, sur la base des informations dont je disposais...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous suivez les recommandations de vos services, mais votre propos recèle des contradictions avec les éléments dont je dispose...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Monsieur le rapporteur général...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Dans le cadre de cette audition, nous sommes en droit de réagir à vos propos et de citer des notes factuelles que je n'interprète aucunement. Je m'en tiens aux données de l'État.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Remontons au 12 juin 2023 si vous le souhaitez. Évoquez-vous bien la note de la DGFiP indiquant que le bénéfice fiscal de 2022 progresserait de 2 %, et non pas de 7 %, comme le prévoyait le PStab ? Je suis là pour faire toute la transparence et apporter toute la vérité à la commission, et je souhaite donc m'assurer que vous vous référez à la note qui évoque la possibilité de procéder à une révision à la baisse du niveau de recettes attendues en 2023, à hauteur de 6 milliards d'euros. Sommes-nous d'accord sur ce point ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Oui.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Tenant compte de ces éléments, nous avons donc révisé notre prévision de recettes d'IS, dont le montant est passé de 67,4 milliards d'euros au PStab pour 2023 à 61,3 milliards d'euros dans le PLF pour 2024.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Dans ce cas, monsieur le ministre, pourquoi avez-vous augmenté les recettes inscrites dans le projet de loi de finances de fin de gestion de 6 milliards d'euros ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Il existe deux montants de 6 milliards d'euros, qui sont très différents.
Il faut distinguer les recettes de l'État de fin d'année des moindres recettes attendues au titre de l'IS en 2023, qui sont bien deux éléments différents.
La note du 12 juin 2023 établit que le bénéfice fiscal de 2022 évoluerait de 2 % et non pas de 7 %, comme le prévoyait le PStab pour 2023, ce qui induirait « une révision du niveau de recettes attendues en 2023 d'environ moins 6 milliards d'euros ». Nous en tenons alors compte pour la révision des recettes d'IS, en les estimant non plus à 67,4 milliards d'euros, mais à 61,3 milliards d'euros, soit une diminution de 6 milliards d'euros. Tous ces documents sont publics et connus, et je ne laisserai pas dire que nous n'avons pas fait preuve de transparence et de vérité.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les recettes fiscales prévues devaient donc être moindres, mais cela ne vous a pas empêché d'ajouter 6 milliards d'euros dans le PLFG.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Il ne s'agit pas de la même chose. Vous évoquez à juste titre les pertes de recettes d'IS, qui soulèvent d'ailleurs la question clé de la méthode d'évaluation du bénéfice fiscal. Je rejoins l'avis du président de la commission sur ce point : en raison des provisions passées par les entreprises, ledit bénéfice est soumis à des variations plus importantes que prévu, d'où les pertes de recettes dont nous débattons.
N'aurions-nous ni tiré les conséquences de cette perte de recettes, ni informé le Parlement à ce sujet ? Non, trois fois non ! Tout d'abord, la révision de la prévision de recettes d'IS du PStab au PLF 2024 à hauteur de 6 milliards d'euros, de 67,4 à 61,3 milliards d'euros, est publique. Par ailleurs, il y a une sous-consommation d'un certain nombre de dispositifs déployés pour faire face à la crise inflationniste, ainsi que quelques mesures d'économies en gestion, ce qui correspond au total de 6 milliards d'euros d'économies que j'ai évoqué pour la fin 2023. Je le répète : ces éléments étaient publics, nous avons pris les décisions qui s'imposaient et nous n'avons pas laissé filer 6 milliards d'euros dans la nature.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je suis en total désaccord avec votre analyse.
Dans une note du 11 juillet 2023, ensuite, il est ainsi fait état d'une prévision aggravée du déficit public : « l'actualisation des budgets économiques d'été conduit à une prévision de solde public de -5,2 % du PIB en 2023 et -4,7 % du PIB en 2024 », contre -4,9 % en 2023 et -4,4 % en 2024 pour les prévisions officielles dans le PStab d'avril 2023. Pourquoi ne pas avoir tenu compte des alertes des services, qui indiquaient dès juillet 2023 que le solde serait probablement très dégradé par rapport à la prévision ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Principalement en raison du caractère dégradé des estimations de croissance. Nous avons ensuite confirmé une prévision de croissance à 1 %.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pas au mois de juillet.
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'ai confirmé cette prévision de croissance en septembre. Ce choix s'est avéré plus précis que ce que laissaient entendre les prévisions économiques, puisque nous avons atterri à 0,9 %.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cela me paraît contradictoire avec vos propos liminaires...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je souhaitais insister sur un deuxième élément, en prenant, si vous me pardonnez, tout le temps nécessaire à ma démonstration.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pour le coup, nous vous accordons bien volontiers notre pardon.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Maintenir la prévision de croissance à 1 % était la bonne décision, alors que tous voulaient que je révise ce taux à 0,5 % ou à 0,6 %. De fait, la croissance française a été très proche de cette prévision.
Quant à l'évaluation du déficit à hauteur de 5,2 % du PIB, je rappelle que j'ai dû tenir compte, comme à chaque fois, d'éléments incertains : ces derniers s'étant avérés négatifs, j'ai pris les décisions de correction nécessaires en septembre 2023 sous la forme d'un décret d'annulation de crédits à hauteur de 5 milliards d'euros. En termes de gestion, j'ai donc pris les décisions nécessaires pour corriger les évaluations négatives qui pouvaient avoir des impacts sur le déficit. À partir du moment où j'avais pris cette difficile décision d'annulation de crédits, j'étais donc particulièrement fondé à confirmer un déficit de l'ordre de 4,9 % du PIB.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Fin novembre et début décembre...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Ma prévision de croissance a été bonne, tandis que mes décisions de gestion, courageuses et nécessaires, visaient à contenir le déficit à 4,9 % du PIB. Si cette dernière estimation n'avait pas été crédible, le Haut Conseil des finances publiques ne l'aurait pas jugée plausible à deux reprises, en septembre et en octobre.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le Haut Conseil a aussi indiqué, dans un courrier adressé à la Première ministre Élisabeth Borne, que l'information qui lui a été transmise est « en conséquence trop peu détaillée pour permettre une appréciation suffisamment informée du réalisme des recettes et des dépenses ».
M. Bruno Le Maire, ministre. - Excusez-moi, monsieur le rapporteur général, mais ce sont bien les rapports du Haut Conseil des finances publiques qui font foi. Nous sommes dans une démocratie et des règles s'appliquent : d'une part, le ministre de l'économie et des finances fait des propositions sur le budget sous le contrôle des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat ; d'autre part, les propositions de budget présentées au conseil des ministres sont validées par des rapports et des avis du Haut Conseil des finances publiques. Ces derniers établissent, jusqu'à la fin de l'année 2023, que les évaluations de déficit du Gouvernement sont plausibles.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je ne l'ai pas contesté, j'ai simplement livré à l'ensemble des membres de la commission une information utile.
Je poursuis : à la fin novembre 2023 et au début décembre 2023, la DGFiP exprime à nouveau son pessimisme sur les recettes de l'impôt sur le revenu et de la TVA, avec un manque à gagner estimé à 1 milliard d'euros par rapport à la prévision du projet de loi de finances de fin de gestion. En outre, dans la note du 7 décembre que nous avons déjà évoquée, la direction générale du Trésor et la direction du budget envisagent à nouveau un déficit public s'élevant à 5,2 % du PIB et non pas à 4,9 % du PIB. Cet écart aurait dû vous alerter sur les résultats de 2023 et, par conséquent, sur les prévisions de déficit pour 2024, déficit que vous estimiez alors à 4,4 % du PIB.
Le 11 décembre 2023, votre Gouvernement a déposé au Sénat des amendements à l'article liminaire et à l'article d'équilibre du projet de loi de finances, puis des amendements sur les mêmes articles à l'Assemblée nationale, le 14 décembre 2023, pour « mettre à jour les prévisions sous-jacentes au PLF pour 2024 concernant le déficit et les grands agrégats de finances publiques ». De fait, vous avez maintenu à ce moment une prévision de solde public à 4,9 % du PIB, alors même que vos administrations avaient tiré le signal d'alarme.
Pourquoi n'avez-vous pas alors proposé une correction des chiffres, à la fois pour 2023 et pour 2024 ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je veux bien reprendre toute l'argumentation que j'ai développée précédemment, mais je ne corrige pas des chiffres de déficit sur la base de présomptions qui, une fois encore, se sont avérées lacunaires sur certains points et fausses sur d'autres. Il relève de ma responsabilité de prendre toutes les décisions en gestion quand elles sont possibles : je l'ai fait à chaque moment, en prenant le décret d'annulation de 5 milliards d'euros de crédits que je viens de citer, puis le décret d'annulation au début de l'année 2024, mais sur la base d'évaluations fiables et définitives, et non pas à partir d'éléments d'information dont l'administration avait elle-même souligné le caractère incertain et peu fiable.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous occupiez déjà votre poste en 2018 - c'est l'avantage et la singularité de la situation. Un amendement à l'article liminaire du PLF avait alors été déposé à l'Assemblée nationale le 17 décembre, en nouvelle lecture, pour « actualiser les prévisions de déficit nominal et structurel pour l'année 2018 au vu de données nouvelles disponibles à ce stade de l'année ». Toujours selon cet amendement, « les prévisions de recettes fiscales sont ajustées à la baisse s'agissant de la TVA et des remboursements et dégrèvements de l'impôt sur les sociétés ». J'en conclus que deux situations identiques vous ont conduit à prendre deux décisions différentes.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je ne suis pas d'accord, monsieur le rapporteur général : les recettes de la TVA peuvent être plus fiables que les recettes d'IS, et vous confondez les dégrèvements d'IS avec les provisions et les recettes du cinquième acompte dudit impôt. Il faut donc distinguer les sources fiables - les recettes de TVA et les dégrèvements d'IS - des incertitudes sur l'IS et son cinquième acompte : d'un montant de 4,4 milliards d'euros, ces dernières expliquent très largement la dégradation des comptes publics en 2023.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Permettez-moi de ne pas partager votre point de vue et de reprendre vos propos précédents : vous avez bien expliqué qu'il était toujours question de données brutes, évaluatives, susceptibles de connaître des rebonds à la hausse ou à la baisse sur les mois suivants.
M. Bruno Le Maire, ministre. - La remarque est juste en cours d'année, mais pas en fin d'année pour la TVA.
M. Claude Raynal, président. - Le politique décide, et c'est heureux : les administrations vous font remonter des éléments que vous appréciez - c'est votre rôle - pour prendre des décisions. En 2018, vous avez considéré que ces éléments pouvaient justifier une modification de l'article d'équilibre, à un moment sans doute plus facile de notre histoire budgétaire...
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'ai parfois l'impression qu'une accusation à charge est menée et je souhaiterais y répondre.
M. Claude Raynal, président. - Mais non !
M. Bruno Le Maire, ministre. - L'actualisation de l'article liminaire se fait sur le fondement de recommandations des administrations. En 2023, la recommandation de mon administration était claire : il y a trop d'incertitudes, il n'est pas nécessaire de réviser l'article d'équilibre. Ma décision, et j'en assume toute la responsabilité, a alors consisté, au regard des incertitudes entourant le cinquième acompte de l'IS et les recettes fiscales, à suivre cette préconisation.
M. Claude Raynal, président. - Il s'agit bien de votre responsabilité, comme vous venez de le dire...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je pense avoir indiqué, depuis le début de cette audition, que j'assumais l'entière responsabilité des décisions qui ont été prises.
M. Claude Raynal, président. - Il vous est arrivé de suivre le schéma inverse en décidant de maintenir une prévision de croissance différente de celle établie par votre administration à +0,8 %. Il n'est nullement question de remettre en cause votre responsabilité : le rapporteur général a simplement relevé que vous aviez adopté deux attitudes différentes, en fonction de la situation politique du moment.
En 2018, une modification des prévisions ne posait pas de problème particulier, car le déficit public était alors inférieur à 3 % ; en 2023, avec un déficit déjà élevé, vous avez décidé de ne rien modifier : c'est votre choix, alors que vous auriez pu, dès la fin de l'année, prendre en compte le fait que tous les feux étaient au rouge. On ne sait pas ce qu'on aurait fait à votre place, mais chacun reste à sa place. Vous avez pris cette décision, avant que nous « votions » - je reste prudent sur ce terme, compte tenu des conditions d'adoption du PLF - sur une base qui n'avait pas été retravaillée à la baisse. Les conditions dans lesquelles nous avons travaillé sur le PLF 2024 sont problématiques.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je porte un regard très différent du vôtre : vous laissez entendre que tous les signaux étaient au rouge à l'automne 2023...
M. Claude Raynal, président. - En décembre !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Tous les indicateurs n'étaient pas négatifs, comme je l'ai démontré. Fin octobre 2023, les recettes d'IR et de TVA étaient respectivement supérieures aux prévisions de 400 millions d'euros et de 600 millions d'euros, tandis que les chiffres de croissance, censés être négatifs, étaient meilleurs qu'attendu. Il n'est donc pas possible d'affirmer que tous les feux étaient au rouge fin 2023 et qu'il était urgent de corriger l'article d'équilibre, car cela ne correspond pas à la réalité des faits.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce n'est pas ce qui est dit, monsieur le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Le président de la commission des finances vient pourtant d'indiquer que tous les signaux étaient négatifs et que cela aurait dû m'amener mécaniquement à corriger l'article d'équilibre.
M. Claude Raynal, président. - Cela aurait « pu » vous amener, plus précisément.
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'ai pris une décision différente et j'en assume toute la responsabilité, comme j'ai l'habitude de le faire pour toutes les décisions prises dans mon ministère. Certains signaux, qu'il s'agisse de la croissance, des recettes d'IR ou des recettes de TVA, ont été positifs jusqu'à la fin de l'année 2023, le réel sujet ayant trait à l'IS.
Quant à l'année 2018, comparaison n'est pas raison : la situation économique et politique n'était pas la même, puisqu'il était plus aisé d'apporter des modifications budgétaires avec une majorité absolue à l'Assemblée nationale.
En 2023, deux éléments ont significativement perturbé nos évaluations de recettes : d'une part, la décrue très rapide de l'inflation - et l'inflation perturbe les prévisions économiques ; d'autre part, la situation des taux, qui a sans doute - nous n'avons pas encore de conclusion définitive à ce sujet - amené une grande partie des entreprises à passer en provisions des éléments qu'elles auraient pu placer en bénéfice fiscal.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur le ministre, vous venez à nouveau d'affirmer que nous tenions des propos accusatoires. Pouvez-vous accepter que le Parlement interroge le ministre dans le cadre de la mission d'information ? Interroger, est-ce accuser ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Absolument pas. Chacun est dans son rôle...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le propos est évidemment exagéré et vous déformez les attitudes, ce que je n'accepte pas, ni au titre de ma fonction, ni à l'endroit du Sénat.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Pour ma part, ce que je n'accepte pas, ni au titre de mes fonctions, ni à l'égard du Gouvernement, c'est que le rapporteur général de la commission des finances dise que le Gouvernement n'a jamais cherché à redresser la situation et qu'il a fait preuve de rétention d'informations, comme vous l'avez déclaré le 21 mars.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est pourtant vrai.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je suis personnellement mis en accusation...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il ne s'agit pas d'une accusation. Vous ne représentez pas l'ensemble du Gouvernement - vous avez une fonction en son sein. Une rétention d'informations, ce n'est pas du tout la même chose. Je vous sais suffisamment adepte de la langue française pour que le propos soit tenu pour ce qu'il porte, ce qui permettra à notre échange de se poursuivre de manière courtoise, même s'il peut être vif.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Il restera courtois et sa vivacité ne me dérange pas. En revanche, je ne peux pas accepter qu'on accuse le Gouvernement et celui qui, en son sein, est responsable des finances de la Nation, de rétention d'informations. Je ne m'y suis jamais livré.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'en viens à votre passage sur TF1, le 18 février, au cours duquel vous avez évoqué le décret d'annulation de 10 milliards d'euros de crédits. Vous avez alors annoncé maintenir votre objectif d'un déficit public à 4,4 % du PIB en 2024, comme si l'annulation précitée pouvait permettre d'atteindre cet objectif.
Vous disposiez pourtant, à ce moment-là, d'une note de vos services prévoyant un déficit public de 5,7 % du PIB en 2024, soit un écart de 1,3 point qui représente 35 milliards d'euros. Vous savez donc, à cet instant, que l'objectif de 4,4 % est inatteignable en 2024, ce qui ne vous empêche pas de continuer à communiquer autour de ce chiffre. Considérez-vous que cette manière de procéder était raisonnable ? Pourquoi ne pas avoir présenté plus franchement les éléments dont vous disposiez ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Vous conviendrez que nous basculons sur l'année 2024 : j'espère avoir établi, pour l'année précédente, que j'ai fait preuve de transparence à chaque moment quant aux informations sérieuses dont je disposais et que j'ai pris les décisions qui s'imposaient pour éviter tout dérapage des finances publiques.
La note du 16 février que vous évoquez établissait un déficit à politique inchangée. En premier lieu, il me semble que ma responsabilité à l'égard des Français ne consistait pas à semer la panique en indiquant que le déficit allait atteindre 5,7 % du PIB, mais à prendre les mesures nécessaires pour contenir les conséquences d'un déficit supérieur aux prévisions pour 2023. En second lieu, toute révision de l'objectif de 4,4 % du PIB est de nature politique et supposait donc des discussions tant au sein du Gouvernement qu'avec le Président de la République et avec les parlementaires, notamment ceux de la commission des finances et ceux de la majorité, afin de fixer un nouvel objectif raisonnable.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je confirme donc qu'entre votre prise de parole sur TF1 et le 20 mars, date à laquelle une fuite a été organisée par l'entourage de l'Élysée, aucune information n'a été adressée au Sénat, pas plus au président de la commission des finances qu'à son rapporteur général. Seule ma visite à Bercy, le 21 mars, m'a permis de découvrir ces données.
Au regard des conditions dans lesquelles le projet de loi de finances a été étudié et voté, notamment au Sénat, comprenez qu'un écart de 35 milliards d'euros puisse nous irriter, car nous sommes bien loin de l'épaisseur du trait. Mon rôle n'est pas d'affoler outre mesure le pays : simplement, le Parlement a le droit d'être informé en temps et en heure, tout en tenant bien sûr compte des exigences de confidentialité de certaines données.
Nous ne pouvons pas accepter d'attendre un article de presse pour être informés : j'ai immédiatement réagi et ne regrette aucunement mon action, car nous devons la vérité aux Français. Ma visite à Bercy a d'ailleurs prouvé son efficacité, puisque nous disposons de davantage d'éléments depuis cette date. Cette démarche n'a rien d'accusatoire : il ne s'agit que du travail de contrôle qui échoit au Parlement.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je suis très attaché au rôle de contrôle du Parlement et distingue cette mission de l'accusation de rétention d'informations, que je n'accepterai jamais.
Pour en revenir au débat, j'ai indiqué, lors de mon audition du 6 mars par la commission des finances du Sénat, que le déficit serait significativement supérieur à 5 % du PIB. Il me semble donc que la représentation nationale a été informée de cet ajustement ; de plus, donner un chiffre plus précis aurait été prématuré.
J'ajoute une précision sur l'année 2018 : l'amendement auquel vous avez fait référence était un amendement de coordination à l'article liminaire qui tirait les conséquences des mesures annoncées par le Président de la République à la suite du mouvement des gilets jaunes. Il ne s'agissait donc pas seulement d'une actualisation sur la base d'une anticipation d'une baisse des recettes, mais aussi d'une prise en compte des dépenses supplémentaires annoncées.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je maintiens l'ensemble de mes observations.
Je note, par ailleurs, que la prévision de croissance de 1 % pour 2024 que vous avez annoncée le 18 février, puis confirmée devant notre commission le 6 mars, et qui figure dans le programme de stabilité, diffère de celle qui figure dans les notes de vos services, qui tablaient sur 0,8 %. S'agit-il d'un choix politique visant à se montrer plus ambitieux que les prévisions de l'administration ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je rappelle que nous avons subi, pendant trois mois, des critiques tous azimuts de la part d'une série d'instituts de conjoncture, selon qui la croissance française ne dépasserait pas 0,5 % en 2024. Permettez-moi de redire, avec le recul qui est le mien en tant que ministre de l'économie, qu'annoncer de manière répétée aux Français des résultats médiocres a un côté déprimant pour nos compatriotes, alors qu'on arrive déjà à la fin du premier trimestre 2024 à 0,5 point d'acquis de croissance.
J'estime que mon rôle de ministre de l'économie ne se réduit pas à tenter de me rapprocher le plus possible du taux de croissance effectif, mais qu'il consiste aussi à montrer que la croissance est portée par une ambition. J'ai décidé de maintenir la prévision à 1 % sur la base de deux éléments, à commencer par les réformes de structure : je pense en particulier à la réforme de l'assurance chômage, grâce à laquelle le nombre de personnes en emploi augmentera, ce qui signifie davantage de croissance, donc davantage de cotisations et davantage de recettes. Le second élément correspond à une anticipation d'une baisse des taux de la Banque centrale européenne (BCE), baisse qui devrait avoir des effets positifs sur l'investissement des ménages et des entreprises.
Nous verrons si nous nous rapprochons de l'objectif que j'ai fixé pour la fin de l'année 2024, mais j'insiste sur la différence entre les prévisionnistes et le ministre de l'économie : les erreurs des premiers n'intéressent personne.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous parlions de vos services et non pas des prévisionnistes.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Comme le soulignait le président de la commission, il m'appartient de prendre des décisions politiques. Or, afficher un objectif de croissance est également une décision politique : mon rôle consiste à fixer une ambition, pas simplement une évaluation.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je suis d'accord avec vous sur ce sujet, mais vous en parlerez avec le ministre délégué chargé des comptes publics : il a indiqué qu'il n'était pas là pour faire de la politique, ce qui m'a sérieusement inquiété.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je me félicite pour ma part de faire de la politique.
M. Claude Raynal, président. - Vous avez évoqué la zone grise qui sépare le mensonge de la vérité. Le 24 janvier, vous avez fait, à l'occasion d'un conseil des ministres, une communication très positive sur l'exécution du budget de l'État en 2023. D'après celle-ci, « le solde budgétaire est proche de celui prévu en loi de finances de fin de gestion pour 2023, les recettes moindres que prévu étant compensées par une très bonne maîtrise des dépenses ». Au même moment, une note de vos services annonçait un déficit public - toutes administrations publiques confondues, cette fois - qui s'élèverait à 5,3 % du PIB au lieu des 4,9 % prévus.
Or vous savez très bien que la population française ignore, lorsqu'elle vous écoute sur ce point, la différence entre le budget de l'État et le budget englobant l'ensemble des administrations publiques : si votre phrase est juste, est-elle pour autant franche et compréhensible par tous ? N'y a-t-il pas une forme de tromperie dans cette explication ? Votre message du 24 janvier pourrait se résumer par la formule « Dormez tranquilles, braves gens », et même « Dormez tranquille, monsieur le président de la commission des finances du Sénat ». Je me suis moi-même dit, en vous écoutant, que tout était sous contrôle.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je suis soucieux du bon sommeil du président de la commission des finances du Sénat, donc j'évite toute inquiétude inutile. Je n'ai rien à ajouter à ce que vous avez dit. Le compte rendu du conseil des ministres en question porte sur l'exécution budgétaire 2023. Libre à vous de la surinterpréter de façon positive, mais les chiffres communiqués étaient rigoureusement exacts, même s'ils n'englobaient en effet pas le budget de l'ensemble des administrations. Je les redonne : des recettes inférieures de 7,8 milliards d'euros, la correction de 6 milliards d'euros dont j'ai parlé précédemment, 2 milliards d'euros de déficit supplémentaire.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le 28 février, à l'occasion de l'examen du décret d'annulation du 21 février et en application de l'article 57 de la Lolf, j'ai demandé au Gouvernement les dernières prévisions de solde public expliquant le plan d'économies. Pour être précis, je vais citer la question : « Préciser le niveau qu'atteindrait en 2024 le déficit public, en pourcentage du PIB, sans les annulations de crédit portées par le décret d'annulation ». Je cite votre réponse, rapide, en date du 5 mars : « l'ensemble des informations pertinentes sera pris en compte et détaillé dans le programme de stabilité ».
Dans le cadre d'un exercice accompli de transparence et de partage de l'information, j'imagine, vous n'avez donc transmis aucun élément à la commission des finances, alors que ces prévisions existaient puisque je les ai découvertes dans une note du Trésor du 16 février 2024, avec une prévision de solde de -5,7 % du PIB. Pourquoi avoir décidé de ne pas transmettre cette information au Parlement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je le répète, monsieur le rapporteur général : je suis ouvert à toute évolution en matière de transmission des documents, qu'il s'agisse des documents de la direction générale du Trésor, de la direction générale des finances publiques ou de la direction du budget. Une telle évolution doit garantir la bonne information du rapporteur général et du président de la commission des finances, mais aussi la confidentialité des informations. Je sais que nous vivons dans une ère de transparence totale mais si je parlais sur la place publique à chaque fois que la direction générale du Trésor me dit que, si l'on ne fait rien, on risque d'atteindre 6 % ou 7 % de déficit, ce serait la panique. Quand je reçois des informations, je prends des décisions...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - ...vous auriez dû en parler, monsieur le ministre. Il s'agit d'une obligation fixée par les dispositions de la Lolf. Je m'étonne que la lettre de la Lolf, au-delà de son esprit, n'ait pas été respectée. Il ne s'agit pas seulement de réfléchir à ce qu'il faudra faire demain ; cela aurait déjà dû être hier.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je ne crois pas que la Lolf établisse que l'ensemble des documents qui sont à la disposition du ministre des finances doivent être automatiquement transmis à la commission des finances. Je vérifierai ce point.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'agit de l'article 57 de la Lolf.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous regarderons. Je vais demander à mes conseillers de regarder immédiatement. Je suis tout à fait disposé à ce qu'un échange d'informations plus régulier et plus transparent ait lieu entre la commission des finances et le ministre des finances, mais ce à quoi je suis opposé...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - ...vous comprenez que je puisse considérer qu'il s'agit d'une rétention d'informations...
M. Bruno Le Maire, ministre. - ...ce à quoi je suis opposé, c'est à la divulgation, sur la place publique, d'éléments qui pourraient inquiéter nos compatriotes de façon inutile ou fragiliser la situation budgétaire française. À cet égard, je rappelle qu'à chaque fois qu'une déclaration négative sur les finances publiques est faite, qu'elle repose ou non sur des faits avérés, le spread entre l'Allemagne et la France s'accroît.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous pourrions peut-être nous faire confiance. Dans le cadre des responsabilités que nous exerçons, on ne peut pas dire que le président Claude Raynal et moi-même ayons recours à une communication abusive. Il faut éviter les amalgames et les propos accusatoires.
M. Claude Raynal, président. - De nombreuses informations nous sont déjà envoyées et je ne crois pas qu'une seule d'entre elles se soit déjà retrouvée dans la presse. Cela peut être le cas lorsqu'il y a des projets d'acquisition de parts d'entreprise par l'État : nous sommes informés immédiatement, sans que cela n'ait jamais été transmis à la presse. Recevoir les informations pertinentes nous permet de bien préparer le travail et les découvrir dans la presse est difficile à supporter. Ces pratiques ne datent pas de votre arrivée au ministère ; il s'agit d'une vieille histoire.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je propose que nous définissions une méthode claire et rigoureuse de transmission des informations. En effet, toute déclaration, que l'on soit président de la commission des finances, rapporteur général ou ministre des finances, a un impact direct sur la dette, les entreprises et les ménages français. Monsieur le rapporteur général, quand vous avez fait des déclarations le 21 mars, qui donnaient le sentiment que la gestion budgétaire du Gouvernement était calamiteuse, le spread français a pris 3,5 points de base, ce qui signifie que les conditions de financement de notre économie se sont détériorées. Je suis ouvert à une meilleure méthode, à la transmission d'un plus grand nombre de documents et à des échanges plus réguliers, mais nous devons faire attention à ce que...
M. Claude Raynal, président. - ...vous ne pensez pas plutôt que c'est la fuite du dîner de l'Élysée - qui a eu lieu avant l'intervention du rapporteur général - qui a entraîné cette hausse ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je dis simplement que toute déclaration non maîtrisée sur les finances publiques...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - ...parce que la déclaration gouvernementale a été maîtrisée ?
Je vais relire l'article 57 de la Lolf : « Tous les renseignements et documents d'ordre financier et administratif qu'ils demandent, y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l'administration, réserve faite des sujets à caractère secret concernant la défense nationale et la sécurité intérieure ou extérieure de l'État et du respect du secret de l'instruction et du secret médical, doivent leur être fournis ». Je précise qu'il s'agit du président et du rapporteur général de la commission des finances.
J'ai demandé les documents dont nous parlons par écrit, dans le cadre de ma fonction. Nous avons été éconduits. Vous pouvez comprendre que je n'en sois pas satisfait. C'est la raison pour laquelle j'ai dit - et je le maintiens - que, à ce moment-là, vous avez retenu de l'information. « Retenu » donne le substantif « rétention ».
M. Bruno Le Maire, ministre. - Tous les documents demandés par le président de la commission et le rapporteur général leur sont transmis par le ministre des finances. Il me semble que cela a toujours été le cas.
M. Claude Raynal, président. - En 2023, des revues de dépenses ont été conduites au printemps mais très peu d'éléments en sont ressortis. Le rapport sur l'évaluation de la qualité de l'action publique de juillet 2023 donnait juste la liste de ces revues et nous n'avons jamais reçu les rapports finaux des cinq missions menées par les administrations, malgré l'envoi d'un courrier envoyé le 17 octobre 2023 et d'une relance. Ces revues de dépenses devaient être utilisées pour construire le projet de loi de finances pour 2024, qui, d'ailleurs, ne les mentionne pas. Serez-vous plus transparents ou plutôt, pour éviter d'employer les mots qui fâchent, serez-vous meilleurs sur cette question ? Cette année, les revues de dépenses sont censées dégager 6 milliards d'euros. Recevra-t-on bientôt ces rapports ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Sera-t-on plus transparent ? Non, parce que je ne pense pas pouvoir l'être davantage que je ne le suis depuis sept ans. Meilleur ? Oui, on peut toujours l'être.
Le rapport sur les revues de dépenses réalisées ces derniers mois sera remis le mois prochain. Il pourra être transmis aux commissions des finances pour examen et faire aussi l'objet d'une réunion de la commission. En effet, un débat sur les revues de dépenses et les économies nécessaires à la réduction des déficits serait utile et précieux. Je pense avoir fait preuve d'une transparence totale et pris des décisions en temps et en heure sur les comptes publics.
M. Claude Raynal, président. - Revenons sur un autre thème délicat : la pratique des reports de crédits. Lors des discussions sur le PLF 2024, nous nous sommes opposés à la levée du plafond de 3 % des reports de crédits pour plusieurs dizaines de programmes budgétaires. Vous avez expliqué devant le Sénat - à moins que ce ne soit le ministre délégué aux comptes publics - que ces reports résultent soit des contraintes de gestion, soit de votre volonté de tenir des engagements pris dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion. Or, dans les documents que nous avons obtenus, nous avons reçu confirmation que ces reports de crédits, planifiés tout au long de l'automne, résultent plutôt d'arbitrages rendus en faveur des ministères qui souhaitent recycler les sous-consommations de crédits et ainsi bénéficier d'une « cagnotte » pour l'année suivante.
Pourquoi ne pas dire les choses plus ouvertement lors de la discussion du PLF, afin que le Parlement comprenne pourquoi on lui demande de vider ainsi de sa substance l'un des principes de la loi organique et du vote du budget par le Parlement ? Le report des crédits doit être mineur et clair. Or, depuis plusieurs années, il s'agit de sommes colossales. Cette pratique a un impact. En effet, d'un côté, on annule 10 milliards d'euros de crédits et, de l'autre, on ouvre 16 milliards d'euros de report de crédits. On a du mal à suivre. Quel regard portez-vous sur cette question ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Les reports de crédits ne constituent pas une cagnotte puisque le principe est de reporter à l'année suivante des crédits correspondant à des engagements pris pendant l'année écoulée. Il s'agit donc d'opérations de gestion. Peut-être sont-elles d'un montant trop élevé...
M. Claude Raynal, président. - ...16 milliards d'euros.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Oui, 16 milliards d'euros sur un budget qui avoisine les 500 milliards d'euros.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ces reports de crédits, pour reprendre une expression du langage commun, « c'est abusé ». La pratique a cours depuis 2020 et nous parlons tout de même de 16 milliards d'euros de crédits, qui ont été ouverts, à l'époque, sur des crédits d'urgence et du plan de relance. Nous l'avons déjà souligné et dénoncé dans des rapports budgétaires du Sénat, en pointant une mauvaise pratique, ce que les directions de Bercy ont confirmé. Selon la règle et la pratique, les montants doivent plutôt s'élever à 3 ou 4 milliards d'euros. Dans ces temps difficiles, comment faire comprendre aux Français que, d'un côté, vous annoncez avec gravité sur une grande chaîne de télévision une première coupe sombre de 10 milliards d'euros et que, de l'autre, vous laissez filer de façon insidieuse le fait que vous récupérez pour 2024 des crédits non consommés en 2023, en dehors de toute opération de contrôle, mise à part celle à la discrétion du Parlement. Je l'ai déjà dit : il ne s'agit pas d'une pratique qui doit perdurer. Malgré les annonces, les crédits sont aujourd'hui plus importants que ce qui a été voté, même après le décret d'annulation de 10 milliards d'euros. Pour l'opinion, cette pratique n'entraîne pas l'adhésion et ne facilite pas la confiance.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je partage totalement l'objectif de réduire les reports de crédits, et ils sont en diminution par rapport à 2021. On raisonne comme si l'on n'avait pas connu, voilà quatre ans, la crise économique la plus grave depuis 1929, ou comme si nous n'avions pas engagé un plan de relance de 100 milliards d'euros. Celui-ci a un effet de traîne, des autorisations d'engagements ont été ouvertes à cette occasion, une consommation qui se fait année après année, ce qui explique largement les reports de crédits exceptionnels. Il faut en effet les réduire, mais tenons compte de cette situation inédite ! À ce propos, le plan de relance a été particulièrement bien exécuté, puisque nous sommes le premier pays de la zone euro à avoir retrouvé notre activité d'avant-crise.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, nous sommes prêts à vous entendre sur ce point, mais vous êtes un peu gêné. Certes, on comprend les effets de traîne de la dépense budgétaire ; cela étant, au moment où l'on veut rééquilibrer les comptes, reporter tous les crédits n'est pas de bonne méthode.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est une mauvaise pratique.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je partage totalement votre avis à ce sujet. C'est pourquoi nous les avons réduits. Je ne dis pas que c'est suffisant, mais la direction est la bonne.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous auriez juste dû suivre le Sénat, puisque nous avions supprimé ces reports de crédits.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Et le plan de relance ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il est terminé.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, nous allons passer aux questions liées à l'avenir. Comment rétablir la confiance ? Avant cela, je donne la parole aux commissaires des finances.
Mme Christine Lavarde. - Monsieur le ministre a déploré le manque de soutien lorsqu'il avait souhaité réaugmenter la TICFE. Au Sénat, nous étions prêts à aller beaucoup plus loin.
M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est vrai !
Mme Christine Lavarde. - Vous avez évoqué le dynamisme de la dépense locale. Nous avons récemment eu une réunion de travail avec la ministre Dominique Faure, qui indiquait que les collectivités locales n'avaient pesé que pour 0,2 point dans le déficit. Comment conjuguer ces deux informations ?
Quant aux outils techniques à mettre en oeuvre, des économistes ont dit qu'il était très difficile de piloter la recette. Comment peut-on avoir une remontée d'informations des directions départementales des finances publiques et du niveau régional vers le niveau national et en temps réel ? Avec les outils numériques, on peut supposer qu'il est possible d'avoir au jour le jour les états d'encaissement. Peut-on améliorer la prévisibilité en la matière ?
M. Thierry Cozic. - Monsieur le ministre, je vous écoute avec beaucoup d'attention. Vous seriez la victime consentante des turpitudes de votre administration, sur laquelle vous faites semblant de ne pas vous défausser ! Nous pourrions vous donner crédit de vos arguments si vous n'étiez pas aux responsabilités depuis près de sept ans. Vous êtes le deuxième ministre de la République et cette position ne vous permet pas de vous défausser sur quiconque. Le Président de la République vous l'a d'ailleurs rappelé en personne, il y a un mois.
Les chiffres sont sans appel : en sept ans, ce sont près de 1 000 milliards d'euros de dette en plus. On est loin du sérieux budgétaire dont vous vous délectez. Notre dette publique atteint le niveau historique de 3 000 milliards d'euros. La situation dans laquelle nous sommes est le résultat direct des politiques néolibérales que le Gouvernement porte. Les taux d'intérêt ne cessent d'augmenter, le fardeau de la dette ne fait que s'alourdir pour représenter des dépenses prévisibles de 70 milliards d'euros en 2027. De plus, l'inflation n'a pas allégé cette charge. L'on constate une croissance anémique et un déficit budgétaire sans précédent. Nous assistons à un dangereux « effet boule de neige » où les intérêts s'accumulent et font croître sans cesse notre endettement.
Monsieur le ministre, vous avez plongé notre pays dans un véritable mur de la dette. Les coupes budgétaires que vous recherchez partout ne changeront rien à cette trajectoire. Elles stérilisent la croissance, essentielle à la maîtrise de l'endettement ; pire encore, elles attisent les mouvements populistes que vos choix politiques n'ont cessé d'alimenter. Comment pensez-vous réduire notre dette sans toucher aux recettes ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Monsieur le ministre, le calendrier évoqué au début de la réunion s'est superposé à un calendrier politique, avec la démission de la Première ministre et la nomination d'un nouveau Premier ministre, M. Attal, le 9 janvier. Ce dernier était-il au courant de la situation budgétaire avant son discours de politique générale du 30 janvier ? Il avait alors déclaré son intention de poursuivre et de renforcer les revues de dépenses et indiqué que les premières propositions d'économies pour le prochain PLF seraient annoncées dès le mois de mars et devraient donner lieu rapidement à des échanges avec la représentation nationale. Son intention de ne pas recourir à un projet de loi de finances rectificative était donc claire, mais je ne vois pas venir les pistes d'économies pour 2024...
M. Jean-Raymond Hugonet. - Monsieur le ministre, je vous écoute avec grande attention. Cette affaire fait l'objet de deux dimensions : financière et humaine. Sur la première, les questions pertinentes du rapporteur général montrent une différence d'appréciation. À propos de la note du Haut Conseil des finances publiques, j'ai recherché la définition du terme « plausible » : c'est ce qui semble devoir être admis et donc également exclu. Sur la dimension humaine, je m'associe aux propos du président Raynal, car il s'agit d'un retour de bâton. Monsieur le ministre, avec M. le ministre délégué chargé des comptes publics, vous avez été péremptoires. Là encore, si je reprends la définition du mot « péremptoire », l'adjectif qualifie ce qui détruit toute objection et contre quoi on ne peut rien répliquer.
Lors de votre présentation, vous avez renforcé cette musique sur l'augmentation constatée des dépenses des collectivités, sachant que, en février 2023, vous aviez déclaré qu'il fallait passer ces dépenses au peigne fin. Or l'article 72 de la Constitution prévoit la libre administration des collectivités territoriales.
La semaine dernière, le Président de la République n'a quant à lui pas été péremptoire - comme à son habitude - mais provocateur en rendant, de façon irresponsable, les collectivités responsables de la dérive des finances publiques. Souscrivez-vous à ses propos ?
Enfin, vous avez fait référence au peuple français, que nous représentons, et l'article 24 de la Constitution confie même au Sénat la représentation des territoires. En n'étant aucunement péremptoire, mais simplement déterminé, je puis vous dire que le discours du Président de la République est suicidaire pour notre pays ; sachez, de plus, que nous ne laisserons jamais porter atteinte aux collectivités territoriales, qui ne sont en rien responsables de la dérive scandaleuse des finances publiques, alors qu'elles doivent voter des budgets en équilibre. Preuve en est la dernière circulaire de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) demandant, contre l'avis des directions consultées, l'élargissement des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), alors même que chacun sait qu'ils ne fonctionnent pas.
M. Laurent Somon. - Vous avez affirmé que l'erreur survenue ne devait pas se reproduire. Comment comptez-vous vous en assurer compte tenu de l'incertitude pesant sur la prévision des recettes et des circonstances qui caractérisent l'environnement économique international ? Ne faudrait-il pas envisager grâce à la dématérialisation une remontée plus rapide des données concernant les recettes fiscales, ou bien encore ne conviendrait-il pas de plafonner la possibilité de provision de la dernière part de l'IS ?
Par ailleurs, pourquoi vous obstinez-vous à refuser un PLFR ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - S'agissant des collectivités locales, madame Lavarde et monsieur Hugonet, distinguons les faits de l'aspect politique. Les collectivités locales ont contribué à hauteur de 4 milliards d'euros au dérapage des finances publiques, soit un montant relativement modeste, même s'il équivaut à 0,15 % du PIB. N'opposons pas les uns aux autres : nous devons tous nous engager dans la réduction des dépenses publiques afin de dégager un excédent budgétaire qui nous permettra de faire face à n'importe quelle crise économique ou sanitaire à l'avenir. Tel doit être notre objectif.
En effet, une crise majeure se produit tous les dix ou vingt ans, qui nous conduit à puiser dans les réserves financières publiques pour amortir le choc. Cette intervention a été nécessaire, et je la revendique, monsieur Cozic : la dette supplémentaire a sauvé des emplois, des entreprises et des usines. Par conséquent, je pense qu'il est sage que nous nous fixions pour objectif de dégager des excédents dans le budget afin de nous protéger.
Personne ne peut contester que le millefeuille territorial, dont les collectivités territoriales ne sont pas elles-mêmes responsables, a un coût. Le rapport d'Éric Woerth devrait permettre de l'établir assez clairement. Simplifions-le et donnons davantage d'indépendance aux collectivités pour qu'elles n'aient pas à subir directement les conséquences de décisions nationales telles que l'augmentation du point d'indice, qui alourdissent leurs charges. Surtout, gardons à l'esprit que la maîtrise des finances publiques relève de l'intérêt supérieur de la Nation française : dans le cas contraire, les taux d'intérêt augmentent et la dette nous coûte collectivement plus cher.
Concernant le pilotage des recettes, je suis favorable à l'amélioration des remontées de recettes, même si elle nécessite un changement informatique assez lourd, car la marge d'incertitude reste trop importante et peut être réduite.
Monsieur Cozic, je suis le patron de Bercy depuis sept ans et je ne me suis jamais défaussé sur mon administration en dix années de vie ministérielle. J'assume donc toute la responsabilité des décisions prises par le ministère de l'économie et des finances. En ce qui concerne l'augmentation de la dette, face à des crises aussi graves que celles du covid ou de l'inflation, des dispositifs coûteux tels que les prêts garantis par l'État (PGE) ou le bouclier tarifaire étaient indispensables pour sauver des emplois et des entreprises. Je suis persuadé que vous auriez pris les mêmes décisions à ma place pour protéger nos compatriotes.
Pour ce qui est de la réduction de la dépense publique et de la dette, nous devons nous fixer un objectif de long terme, c'est-à-dire l'excédent budgétaire, avec une étape intermédiaire, à savoir un retour du déficit en deçà de la barre des 3 % en 2027. Je le dis sans être péremptoire, mais avec beaucoup de fermeté : la tâche sera difficile et exigera beaucoup de détermination.
Notre stratégie repose sur trois piliers : la croissance, qui reste le meilleur outil pour réduire la dette - c'est un sujet sur lequel je peux avoir des désaccords avec certains partenaires européens, mais je crois qu'il ne faut pas casser notre croissance ; des réformes de structure, dont la réforme de l'assurance chômage, en cours, et la simplification, au sujet de laquelle un projet de loi est actuellement examiné par le Sénat ; enfin, la réduction de la dépense publique sur la base des revues de dépenses dont le rapport vous sera transmis dans les jours qui viennent.
Madame Carrère-Gée, je tiens à vous rassurer : le Premier ministre est bien tenu informé de manière régulière et complète de la situation budgétaire du pays. Nous travaillons main dans la main avec le Président de la République et le Premier ministre sur ce sujet.
Monsieur Hugonet, si nos échanges peuvent permettre d'établir ma bonne foi et de définir une nouvelle méthode de travail entre la commission des finances du Sénat et mon ministère, notamment en matière d'échanges de notes d'information et de remontées comptables, je pense que nous aurons fait oeuvre utile. J'espère même que nous contribuerons à une prise de conscience collective et à démontrer que le rétablissement des comptes publics est dans l'intérêt de la croissance et de la prospérité.
Enfin, monsieur Somon, les prévisions d'IS peuvent à l'évidence être améliorées, notamment l'évaluation du cinquième acompte. Dès lors qu'une très mauvaise surprise est survenue sur une année, ma recommandation sera simple : mieux vaut avoir des prévisions moins optimistes et être surpris favorablement plutôt que l'inverse.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je pense que vous n'avez pas facilité les choses : en tant que patron de Bercy, vous avez laissé filer le déficit de l'État, passé de 78 milliards d'euros en 2017 à 155 milliards d'euros.
Quant aux relations avec le Parlement, une décision du Conseil constitutionnel rendue le 24 juillet 1991 sur la conformité d'une loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier précisait qu'« une loi de finances rectificative doit être déposée dans le cas où il apparaît que les grandes lignes de l'équilibre économique et financier définies par la loi de finances de l'année se trouveraient, en cours d'exercice, bouleversées ».
J'ai compris, au regard de vos propos, que tel était le cas. Si la loi de finances initiale pour 2024 prévoyait un déficit de l'ordre de 4,4 % du PIB, vous avez confirmé qu'il pourrait se dégrader à 5,1 %, en tenant compte d'un décret d'annulation de 10 milliards d'euros de crédits et de l'annonce de nouvelles mesures d'économies pour un même montant. Tout cela pourrait aboutir à un écart total de 40 milliards d'euros. Ne jugez-vous pas que les grandes lignes de la loi de finances pour 2024 sont bouleversées ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - L'honnêteté et la sincérité me conduisent à dire que les grandes lignes de ladite loi sont en effet profondément modifiées, à la fois par le chiffre du déficit pour 2023 et par la révision de la croissance. Ce constat étant posé, il importe de conserver une trajectoire crédible de rétablissement des finances publiques en revenant sous la barre des 3 % et en appliquant la stratégie en trois points que je décrivais précédemment : croissance, baisse des dépenses et réformes structurelles.
Faut-il passer par la voie réglementaire ou par une loi de finances rectificative ? J'ai fait connaître ma position assez clairement pour ne pas avoir à revenir dessus. Dans un État bien dirigé, une fois qu'une décision a été prise par le chef de l'État, il faut s'y tenir.
M. Claude Raynal, président. - J'en viens à deux questions relevant de l'information au Parlement. Vous avez indiqué votre ouverture de principe à l'amélioration des relations entre le ministère et le Parlement. En période de crise, il semble naturel qu'il y ait des écarts en matière de prévision. En revanche, ce que nous avons connu cette année est particulier. Comment faire pour que le Parlement soit alerté lorsqu'un écart significatif est prévu entre le texte voté et l'exécution ?
Ce qui est redoutable, c'est ceci : on dirait que notre fonction est de lire la presse le soir ou le matin, et ainsi d'avoir une information utile. Ce n'est pas tout à fait notre fonction. On lit les journaux pour voir comment l'information que l'on a déjà eue est interprétée.
De plus, il arrive que des journalistes nous appellent pour que nous commentions des informations que nous sommes censés avoir et que nous n'avons pas ; cela ne peut pas durer. On doit respecter nos fonctions et on doit respecter le Parlement pour ce qu'il est. Celui-ci n'a pas de fonction de décision mais il doit être informé assez tôt lorsqu'il y a un risque, même si ce dernier vient seulement d'être identifié. Bien sûr, en la matière, les précautions de confidentialité doivent rester la règle. Êtes-vous prêt à travailler sur une méthode pour ces cas précis, dont d'ailleurs nous espérons qu'ils ne se reproduiront pas ?
J'en viens à la question des notes relatives à la macroéconomie et à la situation des finances publiques, qui sont adressées aux ministres à l'occasion des budgets économiques d'hiver et d'été. Certes, la nature de ces notes pourrait varier en fonction de la personne censée les recevoir, selon qu'il s'agisse du ministre, des rapporteurs généraux et présidents des commissions des finances, voire de la Cour des comptes et du Haut Conseil des finances publiques. Cependant, elles sont très intéressantes et permettent d'avoir accès à la vision de l'administration sur ces sujets. Nous aimerions avoir accès à ces notes - qui pourraient se trouver modifiées de ce fait -, à cette connaissance qu'il est très difficile d'obtenir par ailleurs. Que proposez-vous sur ces deux questions relatives à l'information au Parlement ?
Enfin, il faut rétablir la confiance. Quand nous recevrons vos chiffres pour le PLF 2025, nous les considèrerons avec une attention particulière. Jusqu'à présent, on pouvait ne pas être d'accord sur certaines mesures mais les chiffrages étaient considérés comme bons. La question de la confiance des Français se pose aussi. En effet, les diminutions de dépenses ont un impact sur eux, comme les mesures en matière de chômage par exemple. Si ces décisions ne produisent aucun effet et que le déficit reste inchangé, c'est désespérant. Il faut recréer cette relation de confiance ; comment voyez-vous les choses à ce sujet ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Depuis sept ans, l'objectif est de réduire les déficits et de revenir sous le seuil de 3 %. Lors de mes trois premières années en tant que ministre des finances, nous avons réduit le déficit, qui est passé de 3,8 % à 2,3 % en 2018 et à 2,4 % en 2019. J'ai donc rétabli les finances publiques du pays. Ensuite, nous avons dû faire face à des crises, qui ont entraîné de fortes dépenses. Il faut revenir à cette réduction des déficits et au rétablissement des comptes, maintenant qu'il n'y a plus ni covid ni inflation.
Si nous pouvons tirer de cet accident de parcours de 2023 des leçons en termes de qualité du travail entre le Parlement et le Gouvernement sur les finances publiques, tant mieux. Si cela peut participer à renforcer la confiance entre le Parlement et le Gouvernement en la matière, tant mieux. Et si cela permet de donner plus d'éléments de contrôle au Parlement sur l'exécution ou les prévisions du Gouvernement, tant mieux.
Je suis venu pour défendre une seule chose : les décisions que j'ai prises et l'information que j'ai donnée au Parlement pendant ces sept dernières années. Je m'en suis toujours tenu aux mêmes règles : transparence, information et vérité.
Je suis prêt à définir un nouveau cadre susceptible d'assurer une meilleure information du Parlement, pour permettre à ce dernier d'exercer un meilleur contrôle et pour renforcer la confiance entre l'exécutif et le législatif sur le sujet stratégique des décisions budgétaires. L'établissement d'un nouveau cadre suppose de définir de manière rigoureuse la manière dont l'information transmise est divulguée sur la place publique. En effet, une information communiquée de façon brute, sans les décisions qu'elle va entraîner, peut inquiéter de façon inutile. La transmission par le Trésor d'une information brute de déficit ou de dette, alors que le Gouvernement n'en a pas encore tiré les conséquences en termes de politique budgétaire et économique, peut avoir des effets dramatiques sur le marché, notamment en termes d'écart des taux entre l'Allemagne, la France et un certain nombre d'autres grands pays européens.
Je mettrai donc sur la table trois éléments : meilleure information, meilleur contrôle et confidentialité des informations.
En ce qui concerne les informations, je suis prêt à travailler sur trois points. D'abord, que faisons-nous des notes de remontée fiscale, mensuelles et trimestrielles, sur l'impôt sur le revenu, sur la TVA et sur l'impôt sur les sociétés ? Comment mieux associer les commissions des finances, en particulier les présidents et rapporteurs généraux, à la connaissance de ces informations, sans que vous ayez besoin de les demander ? Je suis prêt à considérer ce point-là, qui est très sensible puisqu'un tel partage n'a jamais eu lieu sous la Ve République. Il faudra considérer avec attention les conditions nécessaires pour s'assurer qu'on n'expose pas de documents confidentiels sur la place publique.
Je fais la même proposition pour les notes macroéconomiques du Trésor, qui ne peuvent être transmises que si la confidentialité est garantie. En effet, il s'agit de la politique économique de la Nation française. Qu'elle soit exposée au regard de la commission des finances, de son président et de son rapporteur général, ne me pose aucune difficulté mais elle ne doit pas être exposée au vu et au su de tous ; il s'agirait d'une faute politique lourde.
Enfin, au regard de l'intérêt et de la profondeur de nos discussions d'aujourd'hui, des réunions beaucoup plus régulières pourraient être utiles, y compris dans des formats différents, rassemblant par exemple le rapporteur général, le président de la commission, le ministre des finances et le ministre délégué aux comptes publics. Des décisions difficiles nous attendent en matière de finances publiques, pour atteindre nos objectifs de réduction des déficits. La tenue de réunions plus régulières et sur une base différente me paraîtrait utile. Voilà les trois propositions que je fais ce matin à la commission des finances du Sénat.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour ces propositions, monsieur le ministre. Cette audition a démontré plusieurs choses, à commencer par le caractère inédit de la configuration politique que nous connaissons : les meilleurs spécialistes auraient difficilement pu imaginer que le scrutin majoritaire aurait conduit à l'élection d'une Assemblée nationale qui semble issue d'un scrutin proportionnel, privant le Gouvernement des facilités offertes par une majorité absolue.
Je tiens à rappeler que les conditions d'examen de la loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027 nous ont laissé un goût amer. La majorité sénatoriale avait en effet formulé une trajectoire avec des propositions d'économies que vous avez balayées d'un revers de main, les jugeant aussi inatteignables que brutales. J'observe simplement que nous proposions ces mesures sur cinq ans et que vous proposez un exercice plus douloureux encore, cette fois sur une période de trois ans.
Vous avez regretté un manque de soutien politique : à l'époque, vous disposiez pourtant de propositions de notre part. De la même manière, lors de l'examen budgétaire passé, le Sénat vous avait proposé un plan d'économies de 7 milliards d'euros, qui a été tenu pour nul et non avenu. Le procès en démagogie et en irresponsabilité est donc irrecevable : nous avons, comme vous, le sens des responsabilités, et nous portons avec la même sincérité et la même honnêteté intellectuelle et politique que vous des propositions pour le pays.
En outre, je maintiens mon propos du 21 mars relatif à la rétention d'informations. Il ne s'agit pas de mettre l'accent sur nos querelles, mais de rappeler que chacun doit être respecté.
Enfin, alors que vous êtes en poste depuis un certain temps, je note que vos propos ont été assez rapidement contredits par la réalité à plusieurs reprises. Vous avez ainsi déclaré sur TF1 le 18 février : « Nous tiendrons l'objectif de 4,4 % de déficit public en 2024, je m'y engage, de même que nous tiendrons celui de revenir sous les 3 % de déficit public en 2027 ». Au moment où vous prononciez ces mots, vous disposiez pourtant de documents de votre administration vous invitant à une grande prudence. Le fait d'avoir tenu des propos excessivement optimistes devrait inciter à une forme d'humilité ou de modestie.
En conclusion, nous avons pu confronter nos points de vue et nous établirons un rapport d'information qui démontrera que le Sénat doit pouvoir jouer un rôle, en lien avec le Gouvernement, afin de procéder à une indispensable régénération de nos pratiques compte tenu de la perte grandissante de confiance des Français à l'égard de leurs institutions et de leurs dirigeants.
Je m'honore d'avoir pu mener ce dialogue, parfois un peu vertement. La force des convictions doit l'emporter et, surtout, nous sommes attendus sur la vérité des comptes publics et des perspectives à venir. Pour toutes ces raisons, je souhaite, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous remercier les uns et les autres.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je remercie le président, le rapporteur général et l'ensemble des sénatrices et des sénateurs pour cette longue audition, qui a permis de faire la lumière sur les décisions prises depuis six mois en matière de finances publiques, ainsi que sur les informations mises à votre disposition.
Je maintiens ma position : toutes les informations ont été données en temps utile au Parlement et aux Français ; de la même manière, toutes les décisions nécessaires ont été prises en temps utile afin de corriger les conséquences de recettes fiscales moins élevées que prévu. Le véritable sujet est d'éviter que cette mauvaise surprise liée aux recettes fiscales ne se reproduise dans les années à venir. Pour moi, c'est le sujet central, plus que de savoir ce qu'a fait ou décidé le ministre.
Selon moi, trois choses sont bonnes pour la France. En premier lieu, il nous faut disposer de comptes sains, car ils créent la confiance nécessaire, tant pour l'investissement des entreprises que pour la consommation des ménages, qui n'ont pas à anticiper une augmentation des impôts. Sur cet aspect, je compte sur les propositions du Sénat, auxquelles nous accorderons la plus grande attention.
En deuxième lieu, il nous faut disposer de réserves financières pour faire face aux éventuelles crises à venir. Dès lors qu'une crise survient, nous rajoutons une couche de dette de 10, 15 ou 20 points supplémentaires, sans jamais revenir en arrière. C'est là que réside la spécificité française : quand les autres pays européens rétablissent la situation une fois la crise passée, nous maintenons la dépense exceptionnelle en la considérant comme acquise.
Après avoir correctement protégé les Français pendant la crise, j'entends désormais revenir à l'équilibre et reconstituer des réserves financières. Après des crises aussi graves que celles du covid ou de l'inflation, un changement historique pour le pays consisterait à rompre avec cette tradition de maintien du niveau de dépenses publiques et à accepter, pour la première fois depuis une quarantaine d'années, de revenir à la normale, c'est-à-dire en deçà du seuil des 3 % à l'horizon 2027, voire, pourquoi pas, de dégager un excédent budgétaire. S'il faudra du temps pour y parvenir, l'essentiel consiste à partager cette ambition.
Enfin, il est impératif d'améliorer la qualité du travail entre le Gouvernement et le Parlement sur les questions de finances publiques. Nous vivons en effet dans un monde dépassé, dans lequel le niveau d'information des parlementaires et de la commission des finances est sans doute insuffisant. Une fois encore, je suis prêt à travailler à un cadre bien plus rigoureux et ouvert, afin que nous cherchions à atteindre, en bonne intelligence, cet objectif partagé de rétablissement des comptes publics.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie de valider le bien-fondé de ma visite à Bercy, puisque les pratiques vont évoluer. Je le note.
M. Claude Raynal, président. - Nous terminons ainsi sur une note ouverte. Je vous remercie, monsieur le ministre.
Examen en
commission
(Mercredi 12 juin 2024)
M. Claude Raynal, président. - Le rapporteur général et moi-même vous présentons ce matin les conclusions qui nous paraissent devoir être tirées de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.
Souvenons-nous : dans la foulée d'un dîner ayant eu lieu à l'Élysée le 20 mars dernier, la presse a fait état d'un chiffre qui ne nous avait jamais été communiqué : un déficit public de 5,6 % en 2023, alors que, depuis septembre 2023 et jusqu'à la dernière prévision disponible, celle de la loi de finances pour 2024 adoptée définitivement le 19 décembre, la prévision était de 4,9 %.
Dès le lendemain, le rapporteur général s'est rendu à Bercy, mettant en oeuvre les attributions qui lui sont conférées par l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), et il a obtenu confirmation de ce chiffre. La semaine suivante, juste après la publication du chiffre officiel de l'Insee, à savoir - 5,5 %, nous avons décidé de lancer cette mission, qualifiée de « flash », puisqu'elle s'achève aujourd'hui après onze semaines seulement de travaux. Le rapporteur général en a été le rapporteur, j'en ai assuré la présidence ; nous avons mené ce travail conjointement, dans le souci de comprendre, mais surtout d'améliorer l'information dont le Parlement dispose en matière de finances publiques, afin de ne plus découvrir les informations dans la presse. Nous vous présenterons donc à deux voix le résultat de nos travaux, que nous proposons à la commission d'adopter.
C'est un travail exceptionnel que nous avons mené par l'exploitation des notes et documents transmis en application de la LOLF par les administrations de Bercy ; soulignons que celles-ci ont parfaitement joué le jeu. Nous sommes entrés en immersion dans la manière dont les prévisions de finances publiques se préparent au sein du Gouvernement ; nous avons pu mieux comprendre le fondement, et parfois la fragilité, des estimations de recettes et de déficit inscrites dans les textes budgétaires, les alertes de l'administration et les réponses, ou l'inaction, du Gouvernement, la transparence et, trop souvent, l'opacité de la communication budgétaire.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je commencerai par le constat : un déficit public à 5,5 % du PIB constitue un niveau jamais atteint hors période de crise.
Sous la Ve République, des niveaux plus élevés n'ont été relevés que trois fois : lors de la récession de 1993, au lendemain de la crise financière de 2008 et, enfin, lors de la crise sanitaire récente. Aucune crise comparable ne justifie le déficit public de l'année 2023, qui a par ailleurs doublé depuis 2017, passant de 77 milliards d'euros à 154 milliards d'euros. Et ce doublement est de la responsabilité de l'État et de ses opérateurs, puisque leur déficit a progressé exactement de ces 77 milliards d'euros entre les deux dates. Si la dépense locale a été plus élevée que prévu en 2023, conduisant à une augmentation du déficit des collectivités par rapport à la prévision, il est en revanche éminemment contestable de rendre les collectivités territoriales responsables de la dégradation des comptes publics.
Ce niveau de déficit était une surprise. C'est d'ailleurs la première raison qui a justifié cette mission : il s'agissait de comprendre comment un tel écart entre la prévision et l'exécution avait été possible. Nous nous sommes penchés sur les précédents depuis le début du siècle. Nous n'avons observé un tel écart qu'en 2008, lors de la crise financière.
Mais la situation de 2023 est tout autre ! Cette fois-ci, l'écart entre les prévisions et l'exécution est dû non pas à une erreur de prévision de croissance, celle-ci s'étant élevée à + 0,9 % en 2023, proche du + 1 % prévu, mais à un niveau de recettes plus faible qu'espéré. À politique fiscale inchangée, un même niveau de croissance peut affecter différemment le déficit public, en particulier parce que les prélèvements obligatoires ne réagissent pas toujours avec la même intensité - on parle d'« élasticité » - à la croissance du PIB. Ainsi, en 2023, l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB, qui est en moyenne de 1, a atteint le niveau particulièrement bas de 0,4, après des années 2021 et 2022 exceptionnelles, avec une élasticité de 1,2 et 1,5, qui ont vu des niveaux de recettes eux aussi exceptionnels. Si l'élasticité n'avait pas été aussi forte en 2022, le déficit aurait ainsi pu avoisiner 7 % du PIB.
Le retournement de 2023 avait été anticipé par le Gouvernement, qui prévoyait une élasticité faible, de 0,6. Mais son ampleur avait été sous-estimée. L'année 2023 apparaît, de ce point de vue, comme une normalisation après les niveaux exceptionnels des années précédentes ; il était sans doute difficile de l'apprécier précisément, mais ce n'était pas impossible, puisqu'une élasticité de 0,2 avait été observée en 2013.
M. Claude Raynal, président. - Après ces considérations d'ordre macroéconomique, nous avons analysé précisément les documents dont nous disposions pour identifier l'origine de l'écart entre prévision et exécution.
Je commence par l'État. En recettes, le fort écart par rapport à la prévision est d'abord dû à une prévision quelque peu hasardeuse. En dépenses, les fameuses « économies » revendiquées par le Gouvernement en fin d'année sont en trompe-l'oeil.
Nous savons que le produit de l'impôt sur les sociétés est difficile à prévoir. Le budget de l'État repose de plus en plus sur de telles recettes volatiles, puisqu'il a abandonné plus de la moitié de la recette de la TVA. Le Gouvernement nous explique que la moins-value d'impôt sur les sociétés en fin d'année est due à un cinquième acompte moins élevé que prévu. En réalité, il avait fait une prévision de cinquième acompte, net de l'autolimitation, de + 3 milliards d'euros, niveau très élevé par rapport au passé, et qu'aucune considération précise ne justifiait. L'exécution a été de - 2,4 milliards d'euros, soit un écart de plus de 5 milliards d'euros. En remontant le film de l'année 2023, nous avons découvert - plus exactement, le ministre de l'économie et des finances nous a révélé, lors de son audition - que c'est dès le programme de stabilité, au mois d'avril, qu'une estimation très surprenante du produit de l'impôt sur les sociétés avait été établie : 67,4 milliards d'euros, soit 12 milliards d'euros de plus que l'estimation qui avait fondé la loi de finances initiale quatre mois plus tôt. Mais le programme de stabilité ne donnait aucune explication à ce sujet.
Si un doute émerge de nos travaux, c'est que, pour maintenir la prévision de déficit public inchangée, dans un contexte où le produit de la contribution sur la rente inframarginale d'électricité (Crim) s'effondrait, il fallait bien que d'autres recettes progressent. En effet, ce qui a changé entre la loi de finances initiale et le mois d'avril, c'est la prévision du produit de la Crim, qui avait été chiffré à 12 milliards d'euros en loi de finances initiale et n'a finalement rapporté que 626 millions d'euros. L'estimation initiale se fondait sur un prix spot de l'électricité supérieur à 500 euros par mégawattheure, situation qui, au cours des années récentes, s'est vérifiée uniquement pendant quelques semaines en août et septembre 2022, c'est-à-dire au moment de l'écriture de la loi de finances. Le prix était déjà retombé au moment de l'adoption de celle-ci. Entre 12 milliards d'euros et 626 millions d'euros, la moins-value est record, - 95 %. Certes, parallèlement, le coût du bouclier tarifaire et d'autres mesures destinées à atténuer la crise énergétique étaient également réduits, mais l'erreur de prévision pour cette recette se situe tout de même à plusieurs milliards d'euros.
Plus globalement, plusieurs graphiques de notre rapport vous montreront que les recettes fiscales en 2023 ont finalement toutes été inférieures à des prévisions gouvernementales mal justifiées et imprudentes.
Il n'était pas non plus prudent de s'accrocher toute l'année à un objectif de déficit de 4,9 %, devenu inaccessible.
Nous proposons de fixer désormais des estimations plus prudentes : par exemple, ne pas faire de prévisions, qui sont plutôt des prédictions, sur le cinquième acompte d'impôt sur les sociétés net de l'autolimitation, car ce montant, positif ou négatif selon les années, dépend des anticipations et des stratégies des entreprises. Il ne peut pas être réellement prévu.
J'en viens aux collectivités. Le solde prévu au moment de l'examen du budget 2023 était de - 0,1 % du PIB, puis de - 0,3 % du PIB lors de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion. Le solde exécuté s'est trouvé légèrement en deçà, à - 0,4 % du PIB. Les grandes tendances - dynamisme de l'investissement local et baisse des recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) - avaient certes été identifiées en fin d'année 2023, mais elles avaient été sous-estimées.
Le solde des administrations de sécurité sociale, qui avait été anticipé à + 0,7 % du PIB lors de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023, s'est révélé en retrait, à + 0,5 % du PIB, principalement du fait d'une estimation trop optimiste de l'évolution de la masse salariale, à l'origine d'une surestimation des cotisations et contributions sociales. Dans la mesure où ces dernières représentent 28 % des recettes publiques, une erreur, même faible, de prévision sur cette masse salariale a des conséquences importantes sur la prévision des recettes publiques.
Enfin, l'effet du passage de la base 2014 à la base 2020 des comptes nationaux effectuée par l'Insee sous l'impulsion d'Eurostat est à l'origine de 0,14 point - sur 0,6 point - d'écart entre la prévision du projet de loi de finances de fin de gestion 2023 et l'exécution.
Cette forte dégradation du déficit pour 2023 aura, du fait d'un effet « base », un impact important sur l'année 2024, qui pourrait se trouver encore renforcé en raison d'une faible élasticité des prélèvements obligatoires au PIB. Cet effet « base » explique pour une grande part la révision de la prévision de déficit de 4,4 % à 5,1 %. Avant toutes les mesures d'économies envisagées depuis le décret d'annulation du 21 février, la prévision technique de déficit public était même de 5,7 % pour 2024, très loin des 4,4 % de la loi de finances initiale !
Après ce panorama de l'exécution budgétaire de l'année 2023 et de ses effets sur 2024, comment le Gouvernement a-t-il réagi ? Disons-le clairement, nous jugeons qu'il n'a pas fait assez et que ce qu'il a fait, il l'a fait trop tard.
Dès la préparation du PLF 2023, le niveau exceptionnellement élevé des élasticités enregistrées en 2021 et 2022 aurait dû être davantage pris en compte. En particulier, l'exécution 2023 a montré que l'impact de la baisse du taux d'impôt sur les sociétés, de 33 % à 25 %, devait être plus nuancé que ne l'indique le Gouvernement, qui expliquait fréquemment que cette diminution aurait pour effet mécanique une hausse du produit de l'impôt. Nous pensons que l'impératif de prudence doit conduire le Gouvernement à une présentation d'intervalles de confiance dans ses prévisions de croissance et de solde public, ce qui, j'insiste, a déjà existé par le passé.
A contrario, l'imprudence du Gouvernement a porté atteinte à la crédibilité de la France et de son Gouvernement. Elle a finalement abouti à la dégradation de la notation de la France par Standard & Poor's, le 31 mai 2024, que l'agence de notation a largement justifiée par le dérapage budgétaire de l'exercice 2023. À cet égard, je vous laisse savourer ici les propos de l'actuel ministre de l'économie et des finances lorsque la notation de la France avait connu une dégradation, par la même agence, en 2013 : « Cette dégradation est un carton rouge à la politique économique et budgétaire de François Hollande. » On aurait envie de reprendre ses propos aujourd'hui...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur les dépenses de l'État, lors de leur audition, les ministres n'ont eu de cesse de mettre en avant le « pilotage » de la dépense réalisé par le Gouvernement au cours de la « perfect storm », pour reprendre les mots du ministre de l'économie et des finances. Nous avons déjà vu que cette « tempête parfaite » résultait largement d'une prévision aussi imparfaite qu'imprudente...
Qu'a donc fait le pilote pour redresser la barre ? Comment a-t-il réussi cette performance, ce tour de magie, de réduire de 6 milliards d'euros la dépense au cours des trois ou quatre dernières semaines de l'année ?
En réalité, ce n'est pas dans les dernières semaines d'une année qu'on peut agir très significativement sur la dépense. Les mesures prises relèvent d'économies de constatation ou de simples décalages de dépenses.
Ainsi le Gouvernement a-t-il décalé 1,6 milliard d'euros de dépenses de la mission « Défense » vers 2024, transférant du déficit d'une année à l'autre ; il a reporté le financement de la fin du guichet d'aide aux entreprises énergo-intensives à 2024, pour 2,4 milliards d'euros et, enfin, il a constaté que les collectivités n'avaient pas eu recours au filet de sécurité contre les prix de l'énergie autant qu'il avait été prévu, soit une économie de constatation de 1,3 milliard d'euros.
S'agissant des reports de crédits, ils sont donc utilisés pour réduire le déficit d'une année tout en augmentant celui de l'année suivante. Ce n'est malheureusement pas une surprise pour nous, qui dénonçons depuis maintenant trois années l'abus de cette technique. Les travaux de notre mission nous ont permis de voir ce que nous soupçonnions déjà : les reports de crédit sont une politique systématique de gestion budgétaire. À travers les négociations entre les ministères et Bercy se développe un circuit budgétaire parallèle à celui de l'autorisation en loi de finances, qui se perpétue d'année en année. Il est nécessaire que le Gouvernement mette fin à cette pratique. Il faut par ailleurs qu'il en informe réellement le Parlement, car ce circuit budgétaire est aujourd'hui absent du tableau d'équilibre des lois de finances alors qu'il pèse in fine sur le budget exécuté et sur la dette souscrite.
Cette mauvaise pratique budgétaire s'ajoute aux autres : la loi de finances initiale pour 2024 a prévu des crédits en hausse pour l'ensemble des ministères. Un mois et demi plus tard seulement, le Gouvernement annule - excusez du peu ! - 10 milliards d'euros en urgence. Au même moment, 16 milliards d'euros de crédits sont reportés, donc ajoutés à la gestion 2024. Ce pilotage par à-coups se substitue à une politique budgétaire solide qui permettrait à la fois de redresser les comptes publics et de donner tant au Parlement qu'aux gestionnaires de programmes budgétaires la visibilité nécessaire.
Venons-en au traitement par le Gouvernement des informations dont il dispose concernant la situation économique et budgétaire de la France, dans sa relation avec le Parlement. Nous observons une forme de procrastination coupable d'un gouvernement qui ne tient pas compte des alertes de son administration.
Nous le reconnaissons, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances de fin de gestion 2023 et du PLF 2024, il était difficile pour le Gouvernement de retenir des hypothèses différentes de déficit tant pour 2023 que pour 2024.
Mais une dégradation assez nette commence à se faire sentir à partir de fin octobre : deux notes du 30 octobre concernant les recettes d'impôt sur le revenu et de TVA indiquent des moins-values par rapport aux prévisions. Cette dégradation se confirme par une note du 27 novembre 2023 indiquant une diminution sérieuse des recettes de TVA par rapport aux prévisions et comprenant une remarque manuscrite lourde de sous-entendus du directeur général des finances publiques indiquant : « Ce n'est pas une bonne nouvelle... ». Cette série d'indices converge vers une première révision à la baisse de la prévision de solde public pour 2023 à hauteur de - 5,2 % du PIB, communiquée au ministre dans une note du 7 décembre 2023.
Bien que cette note recommande de ne pas communiquer autour de cette prévision encore entourée de forts aléas, la mission d'information rappelle que la décision d'actualiser ou non les articles liminaire et d'équilibre du projet de loi de finances résulte d'un choix politique.
En l'occurrence, pour le PLF 2024, cette absence d'actualisation a privé les parlementaires des informations dont le Gouvernement disposait sur la réalité de la situation budgétaire du pays, des informations certes imparfaites, mais plus proches de la réalité que les prévisions initiales. Elle a en particulier empêché les députés, appelés à se prononcer sur une motion de censure déposée par l'opposition dans le cadre de la procédure prévue par l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, de voter en pleine connaissance de cause.
Le manque de rigueur du programme de stabilité pour 2024-2027 et l'absence de projet de loi de finances rectificative confirment que le Gouvernement ne mesure pas l'enjeu et ne prend pas suffisamment en compte ce que lui dit son administration.
La mission d'information a ainsi découvert que les prévisions de croissance retenues pour 2024 dans le programme de stabilité, + 1 %, différaient des prévisions techniques préparatoires à ce document et issues des services, + 0,8 %. Ce faisant, elle a identifié une réelle confusion dans la nature de l'exercice de prévision, qui est, par nature, technique, mais qui, sous l'influence du Gouvernement, devient politique. Alors que Bruno Le Maire assume que les chiffres de croissance encadrant le budget constituent une ambition ou un objectif, ils ne sont jamais présentés comme tels, mais toujours, comme il se doit, comme des prévisions. Ils ont par ailleurs un effet direct sur les prévisions de déficit public, qui, dès lors, peuvent être considérées non plus comme des prévisions, mais plutôt comme des objectifs, voire des « voeux pieux ».
M. Claude Raynal, président. - Le dernier chapitre du rapport, en forme de conclusion, est consacré à l'information du Parlement.
Les informations dont nous disposons ne sont pas simples à obtenir. Le Gouvernement préférerait ne pas expliquer trop précisément les fondements des chiffres qu'il inscrit dans les textes financiers. C'est pourquoi nous proposons que les notes techniques des administrations soient mises à disposition de manière plus aisée, mais avec toutes les garanties de sécurité nécessaires, au président et au rapporteur général des commissions de chacune des deux assemblées, sans qu'ils aient besoin de faire à chaque fois un contrôle sur pièces et sur place à Bercy. Nous préconisons aussi que les commissions des finances soient saisies en cas d'alerte sur une possible sortie des estimations hors des intervalles de confiance donnés dans le dernier texte financier.
Le programme de stabilité, en particulier, qui peut-être le seul texte disponible pendant les neuf premiers mois de l'année, est aussi celui pour lequel le scénario est présenté de la manière la plus sommaire : il devrait être, au minimum, accompagné d'une présentation de l'ensemble des hypothèses de recettes, impôt par impôt, sous-jacentes au scénario financier ainsi communiqué à nos partenaires européens.
Par ailleurs, comme pour le Parlement, nous pensons que l'information du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) doit être améliorée. Son mandat a en effet été élargi par la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, qui prévoit que les avis du Haut Conseil portent sur le réalisme des recettes et des dépenses inscrites dans les textes financiers. Il paraît dès lors indispensable de lui donner aussi accès aux notes fournies par l'administration, qu'il s'agisse des prévisions de recettes fiscales, de croissance, ou de déficit public.
Pour améliorer l'information dont dispose le Parlement, le HCFP gagnerait à être saisi en cas de « recalibrage » du projet de loi de finances au cours de la discussion d'automne du PLF. Il serait saisi d'un document de mise à jour des hypothèses macroéconomiques pour l'année en cours et de ses conséquences sur l'année à venir, document présenté par le Gouvernement et pouvant donner lieu à des amendements d'actualisation sur les articles liminaire et d'équilibre.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur ces sujets relatifs à l'information, le ministre de l'économie et des finances a affiché une relative volonté d'ouverture lors de son audition. On pourrait s'en réjouir, mais je rappelle qu'il n'a pas toujours respecté les obligations qui lui incombent actuellement en vertu de LOLF, en particulier de son article 57, comme je le lui ai rappelé.
En effet, à l'occasion du décret d'annulation du 21 février 2024, le ministère des finances a reçu un questionnaire signé par le Président de la commission et par moi-même, dans lequel il lui était demandé le niveau qu'atteindrait le déficit public sans les annulations portées par le décret. Nous avons reçu pour toute réponse un renvoi au programme de stabilité à venir. Pas de réponse, donc. Or, dans le cadre de nos travaux, nous avons découvert qu'une note du Trésor du 16 février 2024 comportait précisément l'information que nous demandions. Elle faisait état - nous l'avons dit précédemment - d'une prévision de solde de - 5,7 % du PIB pour 2024, au lieu des - 4,4 % encore rappelés par le ministre sur TF1 lors de son annonce du décret d'annulation. Cette information, disponible, n'a donc pas été transmise à la commission des finances, en violation manifeste de l'article 57 de la LOLF, que le ministre des finances a visiblement totalement occulté de sa mémoire.
C'est un exemple supplémentaire d'une forme de - le terme lui déplaît beaucoup, à tort - rétention d'information. C'est dommage ; c'est même coupable. Je pense qu'il faudra y remédier. Nous gagnerions à avoir une information mieux partagée, afin que chacun puisse se déterminer ensuite.
M. Marc Laménie. - Je vous remercie de ce travail d'enquête. Vous évoquez l'absence de loi de finances rectificative cette année. Rappelons qu'il y en avait eu plusieurs en 2020. Insistez-vous, dans vos recommandations, sur l'obligation pour le Gouvernement d'en présenter aujourd'hui ? Par ailleurs, avez-vous travaillé sur la question de l'endettement ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je félicite à mon tour notre président et notre rapporteur général, dont le rapport fera, je le crois, partie des travaux de référence importants du Sénat.
À mon sens, outre la dimension rétrospective, il serait intéressant d'avoir une quantification de l'effet base de ce qui s'est produit en 2023, ainsi qu'une analyse de ses conséquences sur le budget pour 2024, afin que les Français puissent se faire une idée claire de la situation et des perspectives.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je remercie notre président et notre rapporteur général, ainsi que toutes les équipes ayant participé à ce travail.
L'audition du 30 mai dernier, très intéressante et de haute tenue, a permis de montrer que la réalité était assez éloignée de ce que le ministre des finances pouvait nous indiquer. La surestimation et les reports des crédits sont des grosses ficelles.
Allons-nous pouvoir garder la main sur les propositions que nous serons amenés à formuler lors des prochains projets de loi de finances ? L'audition a mis en lumière que des chiffres étaient sous-estimés et que des éléments étaient cachés à la représentation nationale. Mais comment allons-nous pouvoir cranter les choses dans un contexte aussi difficile pour notre pays ? Nous ne savons pas qui sera au pouvoir demain...
Mme Isabelle Briquet. - Je salue le travail qui a été effectué et les recommandations qui sont formulées, notamment s'agissant du rôle et de l'information du Parlement.
Mon point de vigilance concerne les collectivités locales. Nous constatons une volonté de les mettre à contribution, mais je sais pouvoir compter sur l'ensemble du Sénat pour qu'elles fassent l'objet d'un traitement particulier. En ces temps troublés, où certains risques pointent à l'horizon, elles sont le gage d'une stabilité démocratique. Je crois qu'il importe de les préserver et de leur donner les moyens d'action nécessaires. Elles seront bien utiles au pays.
M. Pascal Savoldelli. - Je vous remercie de ce travail, qui est d'intérêt général. Je voterai ce rapport, même si je n'aurais sans doute pas écrit exactement la même chose que ses auteurs sur certains points, par exemple sur le bien-fondé des agences de notation.
Mais quelle est la portée de tels travaux, qui obtiennent souvent l'approbation majoritaire, voire unanime, des membres d'une mission ? Si nous avons une unanimité sur les quinze recommandations, donnons-nous le mandat de les faire vivre !
M. Grégory Blanc. - Je souligne la qualité du rapport, qui montre le besoin d'un « atterrissage » démocratique dans la gestion des finances publiques. Certaines pratiques inhabituelles pouvaient se comprendre durant la crise sanitaire, mais il faut aujourd'hui se remettre dans le droit fil des règles républicaines. Dans la séquence actuelle, il est important de réaffirmer le contrôle démocratique de l'action du Gouvernement par le Parlement. Je voterai le rapport.
Je pense qu'en tant que parlementaires, nous devons contribuer à mieux définir le principe de la sincérité budgétaire dans le cadre des textes financiers.
Vous soulignez à juste titre la nécessité d'un projet de loi de finances rectificative en cas de modification importante des prévisions sous-tendant la loi de finances initiale. Nous sommes d'accord sur le principe. Mais il y a besoin de précisions sur sa traduction concrète. Par exemple, à partir de quel montant ?
À l'instar de Pascal Savoldelli, j'aimerais savoir quelle sera la suite. Comment pouvons-nous, en tant que parlementaires, nous saisir de ce rapport pour qu'il ait une traduction législative ? Nous devons prendre des initiatives.
Mme Christine Lavarde. - Je remercie les auteurs du rapport. J'aimerais avoir des précisions sur la mise en oeuvre de deux recommandations, auxquelles je souscris.
Selon le ministre, pour améliorer le suivi des recettes, il faudrait changer intégralement le système informatique de Bercy. Avez-vous des informations complémentaires sur la durée et les coûts d'un tel chantier ?
Dans votre esprit, les intervalles de confiance mentionnés dans le rapport seraient-ils également soumis à l'avis du Haut Conseil des finances publiques ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je souhaite ajouter une suggestion de forme. Ne faudrait-il pas mentionner en premier l'exigence de respect par le Gouvernement de l'article 57 de la loi organique, qui constitue davantage qu'une simple recommandation, avant de détailler les recommandations ?
M. Claude Raynal, président. - Nous pourrions aussi présenter les choses ainsi. Mais il importe en tout cas d'afficher clairement cette exigence.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce qui m'a frappé lorsque j'ai interrogé le ministre, c'est qu'il y avait une forme, que j'espère feinte, d'ignorance sur certains éléments sur lesquels nous l'interrogions.
Aux termes de la loi organique, le Gouvernement doit donner des informations. Des notes internes qui contenaient des éléments pertinents ne nous ont pas été communiquées alors qu'il y a une obligation légale de le faire. C'est plus que de la rétention d'information. Je n'ai pas voulu engager de polémique...
Les suites données à notre rapport dépendront des gouvernements futurs, ainsi que de leur volonté, ou non, d'informer la représentation nationale, quelle que soit la configuration politique de l'Assemblée nationale. Ce qui s'est passé en l'occurrence n'est pas satisfaisant.
Monsieur Laménie, nous pensons évidemment qu'il faut une loi de finances rectificative ; j'avais d'ailleurs interrogé le ministre en reprenant une décision du Conseil constitutionnel sur le sujet. Je crois que l'on n'y échappera pas. Il y a des reports de crédits, et des revues de dépenses vont arriver. Ceux qui seront aux affaires demain feront certainement un point zéro. Je pense que la situation va être très tendue.
C'est pourquoi il faut acter la nécessité d'une meilleure information du Parlement. Nous le voyons bien, le fait d'enjamber le Parlement nuit plus que la tenue d'un dialogue dans lequel chacun soutient évidemment ses positions, mais avec la possibilité in fine d'avoir des trajectoires partagées.
Madame Briquet, nous sommes la chambre des collectivités locales ; il est normal que nous soyons attentifs à leur sort. Mais, au regard de la situation actuelle, je ne pense pas qu'il faille exonérer par principe tel ou tel secteur des administrations de l'effort. En revanche, je crois qu'il faut se fonder sur la réalité de la « contribution » de chacun au déficit. Et les chiffres de celle de l'État sont édifiants. Se défausser sur les collectivités locales serait un très mauvais signal. Pour autant, cela ne dispense pas ces dernières de participer à la recherche d'une meilleure efficacité de la dépense publique. Il faudrait parvenir à des diagnostics communs. Mais, à mon avis, l'exercice sera difficile, car il faudra examiner le rôle passé des uns et des autres ; et je note qu'il y a eu dans le passé un quinquennat particulièrement douloureux pour les finances des collectivités locales...
M. Claude Raynal, président. - Monsieur Laménie, le rapport ne portait pas sur l'endettement, mais c'est un véritable sujet par ailleurs.
Je précise que la position personnelle du ministre de l'économie et des finances - soyons justes à son égard - était de déposer un projet de loi de finances rectificative. Il y a même eu une polémique quasi publique entre lui et le Président de la République sur le sujet. Certes, on peut toujours procéder à des gels de crédits. Mais quand on passe des gels de crédits aux annulations, cela relève de la politique, et le Parlement doit être consulté, d'où la nécessité d'un projet de loi de finances rectificative.
Je rejoins notre rapporteur général : on ne peut pas accepter que les collectivités locales ou leurs groupements considèrent que les finances nationales ne les concernent pas. Certes, il faut évidemment les protéger et commencer par rappeler qu'elles ne sont pas responsables de la dégradation des comptes publics. Mais il convient de définir des priorités. Si la défense, l'éducation nationale ou la santé sont prioritaires aujourd'hui, cela signifie que des investissements locaux le sont moins. Mais pour qu'il soit possible de mener la réflexion sur le sujet, il faudrait de la confiance. Or nous ne sommes pas dans un climat de confiance. Le serons-nous avec les gouvernements futurs ? La question reste ouverte...
Monsieur Blanc, la sincérité budgétaire est une vraie question. Simplement, elle s'évalue a posteriori plutôt qu'à la lecture d'une loi de finances initiale. Le rapport contient des éléments intéressants à cet égard : en l'occurrence, nous considérons qu'il y a eu un rééquilibrage fictif. Il s'agit donc d'une insincérité budgétaire volontaire. Le bon critère en matière de sincérité budgétaire, c'est l'existence, ou non, d'une volonté politique de tricher. Une mauvaise appréciation de la croissance future ne relève pas de l'insincérité budgétaire. En l'espèce, le rapport montre a posteriori que des pratiques budgétaires ayant eu cours peuvent, elles, relever d'une telle qualification.
Peut-il y avoir une traduction législative de nos recommandations ? Oui, nombre d'entre elles pourraient figurer dans une proposition de loi organique. Mais le devenir de celle-ci dépend, là encore, de la future composition de l'Assemblée nationale. La publication des intervalles de confiance pourrait ainsi être prévue par une loi organique. Un système d'alerte en cas de sortie de ces intervalles pourrait aussi être prévu par la loi organique, tout comme un éventuel recalibrage au moment de la transmission au Sénat du projet de loi de finances, ou encore une saisine du HCFP à ce moment-là.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Madame Carrère-Gée, je précise que la dernière information dont nous disposons sur le déficit pour 2024 est la note de la direction du Trésor de février dernier, qui l'évaluait à 5,7 %. Cette note sera actualisée au mois de juillet, en tenant compte du décret d'annulation de crédits et d'autres mesures. Il faudra être très attentif à ce qui sera intégré à cette nouvelle évaluation ; nous ferons le nécessaire pour qu'elle nous soit communiquée.
Madame Lavarde, oui, dans l'esprit de notre recommandation, les intervalles de confiance devraient bien être soumis au HCFP. Au-delà de l'utilité de ces informations pour le débat politique entre une majorité et ses oppositions, il serait quand même pertinent de les fournir au Haut Conseil, qui s'est parfois plaint de manquer d'informations pour son analyse.
Quant au système d'information de Bercy, nous ne sommes pas allés plus loin dans notre étude sur ce point, mais cela pourrait constituer un problème, au vu du temps nécessaire pour mener ce genre de chantiers. L'incident qui a donné lieu à cette mission d'information montre que nous avons besoin de disposer d'éléments. Pour mener à bien notre travail, nous nous sommes appuyés sur ceux que nous ont fournis l'État et ses administrations, sans avoir besoin de chercher ailleurs. Nous n'avons pas de défiance vis-à-vis des chiffres qui nous sont donnés, que chacun peut interpréter comme il le veut.
Les recommandations sont adoptées.
La commission a adopté le rapport d'information et en a autorisé la publication.