EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 11 juillet 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial, sur les actions écoresponsables des pouvoirs publics.

M. Claude Raynal, président - Nous examinons à présent la communication de M. Jean-Michel Arnaud sur les actions écoresponsables des pouvoirs publics.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial. - L'urgence climatique n'est plus à démontrer ; le sixième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec), publié le 20 mars 2023, rappelle l'impérieuse nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Dans ce cadre, même si les pouvoirs publics ne représentent qu'une part modeste de l'ensemble des dépenses de l'État, ils ont un poids symbolique majeur et peuvent, via l'exemplarité, avoir un effet d'entraînement sur les autres administrations et sur les entreprises.

Il m'a donc semblé utile d'étudier comment la présidence de la République, les deux assemblées et le Conseil constitutionnel mobilisent leurs moyens matériels, budgétaires et humains pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.

Mon travail s'organise autour de trois axes.

Le premier axe a consisté à comprendre où en était chacune des institutions dans la connaissance de ses émissions, dans sa trajectoire vers la neutralité carbone et dans la mise en oeuvre de plans d'action.

Tout d'abord, chacune des institutions a un objectif volontariste de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La présidence de la République s'inscrit dans la trajectoire de réduction des émissions fixée par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et vise ainsi une neutralité carbone d'ici à 2050. Les assemblées, quant à elles, ont fait le choix d'anticiper cette échéance : de huit ans pour l'Assemblée nationale, qui souhaite réduire les consommations énergétiques de 60 % d'ici à 2042 ; de dix ans pour le Sénat, qui s'est fixé un objectif de neutralité carbone à l'horizon de 2040. Il me paraîtrait donc souhaitable que la présidence de la République, à l'instar des deux assemblées, anticipe l'atteinte de la neutralité carbone avant l'échéance de 2050.

Ensuite, l'ensemble des pouvoirs publics étudiés dans le cadre du présent contrôle ont adopté - ou sont en train d'adopter - une stratégie de développement durable définissant des axes prioritaires. Ces démarches sont à saluer. La présidence de la République a mis en place un plan d'action responsabilité sociétale des organisations (RSO). Le Sénat s'est doté d'une stratégie environnementale avec deux grands objectifs : être neutre en carbone à l'horizon de 2040 et l'objectif de « zéro plastique, zéro gaspillage, zéro déchet ». Le Conseil constitutionnel, dont les enjeux budgétaires et donc d'émissions sont somme toute modestes, s'est doté lui aussi d'un plan d'action pour le développement durable. De son côté, l'Assemblée nationale a mis en place un groupe de travail transpartisan chargé de rendre un rapport et de faire des propositions. Les travaux qu'elle mène sont disponibles en ligne. Un rapport intermédiaire a déjà été publié.

Le second axe de mon travail a consisté à étudier les moyens matériels et budgétaires déjà mis en oeuvre par grands secteurs d'émissions. Je ne mentionnerai pas toutes les actions menées, car vous en retrouverez une grande partie dans le rapport, mais je m'arrêterai sur quatre secteurs importants.

Je commence par les déplacements, premier poste d'émissions. Dans ce domaine, les parcs automobiles ont tous fait l'objet d'un « verdissement » très important au cours des dernières années. En ce qui concerne l'aviation, particulièrement pour la présidence de la République, qui représente 82 % des émissions liées aux déplacements, j'ai échangé avec le directeur général des services de l'Élysée, qui m'a expliqué les différentes actions menées pour réduire cette empreinte carbone, mais aussi les contraintes inhérentes à l'activité présidentielle.

Après les déplacements, la rénovation énergétique des bâtiments représente des dépenses importantes, mais qui constituent en même temps une source d'économies à long terme. Les assemblées sont engagées dans des politiques de rénovation, via notamment l'acquisition du label Haute Qualité environnementale (HQE) pour certains de leurs bâtiments. C'est ainsi le cas de la rénovation, au Sénat, des deux bâtiments des 26 et 36 rue de Vaugirard et, à l'Assemblée nationale, de l'hôtel de Broglie. De son côté, la présidence de la République a développé deux projets emblématiques. Le premier est celui d'une géothermie sur nappe à 65 mètres de profondeur pour le circuit d'eau chaude de l'hôtel d'Évreux, afin de réduire de 80 % les émissions de CO2 et de diviser les factures de fluides par deux ou trois. Le coût total du projet s'élèvera à 5 millions d'euros. Le second est celui d'une crèche pour le personnel, sur le site de l'Alma, labellisée E3C1, ce qui correspond à un haut niveau de performance énergétique. Le budget de l'opération s'élève à 2,6 millions euros et son financement a été assuré par la vente d'un immeuble situé au 14 rue de l'Élysée.

Troisième secteur : la restauration collective des pouvoirs publics, concernée par les dispositions de la loi de 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi Égalim), notamment par l'objectif d'un taux d'approvisionnement de 50 % de produits durables et de qualité, dont 20 % de produits issus de l'agriculture biologique. Les pouvoirs publics ont saisi cette occasion pour repenser leur stratégie, afin d'atteindre ou de se rapprocher de ces critères. Par ailleurs, en m'appuyant sur l'initiative, à l'étude au Sénat, d'un « ticket carbone », je pense que l'idée de mettre en place un signal visuel destiné à sensibiliser le consommateur à l'émission de CO2 engendrée par la confection du repas qui lui est servi serait une option intéressante à explorer.

Quatrième secteur, enfin : les espaces verts et la biodiversité, avec un mot notamment sur les 22 hectares du jardin du Luxembourg, dont le Sénat est propriétaire et qui constituent un exemple en matière de réduction de l'empreinte environnementale. Plusieurs actions entreprises l'illustrent. Il y a, d'abord, la mise en place du tri des déchets puisque 16 abris-bacs ont été installés, ce qui représente une dépense de 200 000 euros en 2022. Il y a aussi la préservation de la biodiversité, qui se traduit par l'abandon du désherbage chimique et l'utilisation d'engrais organique. Ensuite, il y a la maîtrise de la consommation d'eau, avec l'acquisition d'un nouveau logiciel de gestion de l'arrosage. Enfin, il faut noter des efforts en matière de maîtrise de la dépense énergétique pour le chauffage des serres. À ce titre, une étude sur l'opportunité d'installer des panneaux solaires est en cours. À cet égard, je pense que la mise en place d'installations photovoltaïques - si elle s'appuie sur les services de protection du patrimoine - représenterait un enjeu symbolique fort, car bien que l'énergie produite serait très modeste au regard des besoins, cela constituerait un facteur d'accélération de la transition énergétique.

Le troisième et dernier axe de mon rapport a consisté à observer les outils dont les pouvoirs publics disposent pour pérenniser leur action.

Le premier outil est celui de la commande publique, qui s'est « verdie » au cours des dernières années au travers de différentes lois, notamment la loi Climat et résilience, qui vise à ce que 100 % des marchés publics soient dotés d'une clause ou d'un critère portant sur les aspects environnementaux. Au cours des entretiens que j'ai menés, le rôle essentiel de la commande publique m'a été confirmé. J'observe d'ailleurs qu'il faudrait valoriser davantage l'économie circulaire dans les marchés publics. Ce pourrait être une des pistes à explorer par les pouvoirs publics.

Le second point concerne les outils permettant d'accompagner la transition, par exemple ceux qui visent à piloter les consommations énergétiques des bâtiments. Toutes les institutions s'équipent ainsi d'outils de suivi des consommations énergétiques, l'objectif étant de passer d'une logique globale, assez générale et uniforme, à un ajustement permanent des chauffages, en lien direct avec l'activité humaine.

Il faut également mentionner le projet du Sénat d'un budget carbone, qui consiste à attribuer un quota d'émissions de tonne équivalent CO2 pour un poste de dépense. En l'occurrence, il serait attribué pour les programmes de déplacements à l'étranger. Je précise qu'au Sénat comme à l'Assemblée nationale les déplacements des sénateurs dans leur circonscription se situent en dehors du champ visé par ce projet.

Enfin, la transition écologique d'une institution est impossible sans associer et mobiliser tous les acteurs, notamment le personnel. Dans cette perspective, l'ensemble des institutions a mis en place un accès intranet présentant les plans et les actions entreprises en matière de développement durable. Toutefois, l'enjeu est aussi et surtout de permettre aux personnes extérieures à l'institution d'avoir accès aux actions entreprises. Aussi les institutions pourraient-elles renforcer leur communication en ce domaine, par exemple, en mettant en place un accès facile à un onglet dirigeant l'usager du site internet des institutions vers une page consacrée aux actions menées en matière environnementale.

Au travers de ce rapport, j'ai souhaité présenter les efforts menés par les pouvoirs publics dans la lutte contre le changement climatique et rappeler que l'objectif, au bout du compte, est bien de permettre à chacun de s'approprier la démarche d'écoresponsabilité, dont nous parlons régulièrement à nos concitoyens.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour cette excellente initiative qui nous permet, d'une part, d'illustrer ce qui se fait de manière concrète et, d'autre part, de mesurer le décalage entre les déclarations parfois ambitieuses et la capacité d'agir de nos institutions. Nous voyons ainsi les efforts qu'il faudra encore déployer pour arriver au même niveau d'engagement que celui que nous proposons, voire que nous imposons, à nos concitoyens.

M. Vincent Capo-Canellas. - Ce rapport fournit beaucoup de pistes de réflexion et d'approfondissements que je souhaite saluer. Élaborer des solutions pour le Sénat n'est pas simple, car, d'une part, le bâti est ancien et, d'autre part, on connaît la part importante des déplacements dans les émissions de CO2.

Je ferai trois remarques. La première concerne les véhicules : la comparaison entre le Sénat et l'Assemblée nationale est délicate parce que cette dernière n'a pas internalisé tout son parc. La deuxième porte sur les suggestions concernant la restauration : nous allons tâcher de les suivre, mais je précise que les restaurants du Sénat font l'objet d'un contrat de concession de service public ; une nouvelle mise en concurrence doit intervenir prochainement. Enfin, je vous remercie d'avoir rappelé que le jardin du Luxembourg est géré par le Sénat, qui représente ainsi une contribution environnementale, qu'il faut saluer, pour Paris. J'en profite pour remercier nos jardiniers et aides-jardiniers.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial - En effet, il existe parfois un décalage entre les textes que nous adoptons et les réalisations. Néanmoins, je constate du côté des pouvoirs publics une volonté partagée d'avancer.

Il y a bien une illusion d'optique concernant les véhicules, puisque le Sénat et l'Assemblée nationale n'ont pas le même mode de gestion. Cependant, le passage à l'hybridation prend de l'ampleur.

Pour ce qui concerne la restauration, il y aura bien sûr une mise en concurrence, mais je veux souligner aussi la nécessité de détecter de meilleures sources d'approvisionnement, notamment en Île-de-France, c'est-à-dire d'établir des contacts avec des représentants agricoles, des maraîchers en particulier, en les sensibilisant au principe de commande publique des pouvoirs publics, de sorte qu'ils y répondent directement au lieu de passer par le marché de Rungis.

Par ailleurs, l'ambition du Sénat « zéro plastique, zéro gaspillage, zéro déchet » se donne comme horizon 2026 et nécessite, par conséquent, d'importants efforts supplémentaires, notamment de la part des sénateurs, parfois réticents à l'idée d'utiliser les poubelles de tri disposées dans divers points du bâtiment. Il faut également sensibiliser le personnel.

Enfin, le jardin du Luxembourg est en effet la perle de Paris. Il est considéré comme le troisième parc le plus beau au monde par des structures qui évaluent les jardins publics. Cette pépite bénéficie d'une mobilisation remarquable de la part de notre personnel.

La commission a adopté les observations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.