B. CONFORTER L'ACTION DES SAFER COMME ACTEUR CENTRAL DE CET OBJECTIF
1. Des Safer trop souvent contournées
a) Un droit de préemption malmené
On sait qu'en outre-mer les marchés fonciers sont restreints et hautement spéculatifs. Le président Emmanuel Hyest de la FNSafer l'a rappelé lors de son audition25(*) : « En outre-mer, l'écart entre le prix du foncier agricole et celui de ses autres destinations est plus important qu'ailleurs. Il va de 1 à 800. Plus que jamais, la protection du foncier agricole s'avère indispensable a fortiori dans les territoires très contraints. L'enjeu est majeur ».
Dans l'Hexagone, la régulation du marché foncier agricole a été confiée aux Safer. Créées par la loi d'orientation agricole (LOA) du 5 août 1960 et placées sous tutelle des ministères de l'agriculture et des finances, les Safer sont des sociétés anonymes, sans but lucratif, avec des missions d'intérêt général, notamment celle d'assurer la transparence du marché foncier rural.
En outre-mer, l'implantation a été plus tardive : en 1966 à La Réunion, en 1967 en Guadeloupe et en 1968 à la Martinique.
Elle est aussi incomplète. Créée en 2021, la Guyane est toujours en attente de l'agrément du ministère de l'agriculture et n'est donc pas encore opérationnelle26(*) même si une nouvelle présidente a été désignée le 9 mai 2023. Lors de son audition, le ministre Marc Fesneau a annoncé que la présidente récemment élue serait agréée fin juin et que l'agrément de la Safer elle-même serait accordé, vraisemblablement à l'automne, après l'adoption du programme pluriannuel de celle-ci qui est un pré-requis, avec l'aide des services du ministère et de la FNSafer.27(*)
Mayotte n'a pas de Safer mais l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (EPFAM) créé en juin 2017 en fait office et dispose d'un droit de préemption comme une Safer. Le président de la FNSafer annoncé une mission pour prendre la mesure de la situation sur ce territoire28(*) à l'occasion d'un prochain déplacement à La Réunion. Mais il serait souhaitable que le projet de création d'une Safer à Mayotte fasse l'objet d'une étude spécifique et approfondie qui tienne compte des besoins propres à ce territoire.
En vertu de l'article L.141-1 du code rural, une Safer dispose de trois moyens d'acquisition de biens : par adjudication, à l'amiable et par préemption. Le droit de préemption (articles L.143-1 et suivants du code précité) lui permet d'être informé des projets de vente de biens ruraux par les notaires et d'acheter prioritairement le bien en lieu et place de l'acquéreur initial. Dans le cadre de la préemption, la Safer bénéficie d'un droit de révision du prix si elle considère celui-ci trop élevé au regard du marché. Dans ce cas, la Safer propose au vendeur un prix moindre. Le vendeur peut soit accepter de conclure au prix proposé, soit retirer le bien du marché, soit saisir le juge pour fixer le prix.
Les Safer jouent donc un rôle essentiel pour la préservation des terres agricoles. Comme l'a indiqué le président Emmanuel Hyest, « La raison d'être de la Safer réside dans la régulation du prix du foncier. Nous nous inscrivons dans le marché foncier, et nous le régulons. Notre rôle consiste à éviter l'emballement, les bulles spéculatives, etc. La Safer intervient au travers de son droit de préemption, sauf impossibilité (tel est le cas du marché sociétaire)... Dans les faits, la Safer préempte souvent peu. Elle préempte moins de 1 % des 320 000 déclarations d'intention d'aliéner reçues chaque année. Ces préemptions représentent environ 10 % de notre activité. Le reste se réalise à l'amiable. Toutefois, les préemptions sont un peu plus nombreuses outre-mer ».
M. Rodrigue Trèfle, président de la Safer Guadeloupe, et président du groupe outre-mer des Safer a insisté sur le rôle de la Safer Guadeloupe dans la réussite de la réforme foncière de 1981 : « Ainsi, la Guadeloupe a dû initier dans les quarante dernières années une politique publique d'État : la réforme foncière. Aujourd'hui, cette réforme concerne environ 8 000 hectares de terres, 700 agriculteurs installés et 25 % de la surface agricole utile (SAU) de Guadeloupe. ». Cette réforme agraire a permis à la faire l'acquisition de 10 500 hectares, sur d'anciens domaines sucriers. Les quelque 700 agriculteurs, regroupés en 38 groupements fonciers agricoles (GFA), ont été installés sur 7 100 hectares. Chaque exploitant en a ainsi obtenu un d'au moins 7 hectares.
La gouvernance des Safer permet d'assurer un débat entre tous les acteurs du monde rural pour prendre des décisions partagées, comprises et acceptées, « une sorte de parlement du foncier agricole », selon l'expression du président Hyest. Elles jouent le rôle d'un observatoire du foncier agricole, dispositif de suivi et d'alerte lors des opérations foncières et immobilières, voire tiennent un inventaire du foncier agricole disponible. Elles achètent du foncier agricole, régulent les prix, puis l'orientent vers des agriculteurs qui maintiennent l'activité agricole via un cahier des charges.
Toutefois dans la pratique, l'intervention des Safer en outre-mer est confrontée à des freins considérables.
Les marchés fonciers en outre-mer sont restreints, avec un faible volume de transactions, et peu transparents. Or, les Safer ne peuvent intervenir que sur les notifications reçues, ce qui ne serait pas fait de manière exhaustive, selon plusieurs sources.
En Guyane, l'installation récente de la Safer et le contexte spécifique du domaine privé de l'État ne permettent pas de pouvoir caractériser précisément les transactions de foncier agricole. Il existe un nombre de transactions croissant, soit par cession de baux emphytéotiques soit par ventes, mais aucune veille n'est actuellement pratiquée sur les prix de vente des terres agricoles pratiqués en Guyane.
Une difficulté particulière concerne aussi la préemption partielle. Le droit de préemption partielle s'exerce difficilement sur les biens mixtes ou partiellement constructibles. Lorsqu'elle souhaite n'acheter que la partie agricole d'un bien et qu'il lui est demandé d'en acquérir la totalité, la Safer est rarement en mesure de trouver un attributaire en un mois et encore moins d'établir un projet financier. En outre, les adjudications bénéficient au plus offrant.
Le droit de préemption partielle n'est pas opérant car dans 95 % des cas le vendeur demande à tout acheter. La loi autorise le vendeur à retirer son bien de la vente dans un délai de six mois. De fait, il le retire dans la majorité des cas. Même en cas d'accord sur le prix, il s'avère souvent nécessaire d'aller en justice pour obliger le notaire à rédiger l'acte. Comme l'a indiqué M. Emmanuel Hyest, « le poids de la propriété bâtie par rapport aux surfaces agricoles est parfois tel que nous ne pouvons intervenir ».
D'où l'idée d'une garantie de l'État pour les préemptions partielles... Il conviendrait de déterminer un mécanisme permettant à la formuler une offre validée par les commissaires du gouvernement et couvrant le prix. Pour optimiser l'exercice du droit de préemption par les Safer, la garantie de l'État pour les préemptions partielles serait utile.
Concernant La Réunion, le président de la Safer29(*) a déploré également des méthodes de contournement en citant plusieurs exemples :
- l'exemption de construction pour des parcelles de moins de 2 500 mètres contourne le droit de préemption quand les terrains concernés sont situés dans des zones A ou N. Il faut attendre trois ans pour effectuer le contrôle, recourir à une médiation et demander en justice la résiliation de la vente, surtout quand l'acquéreur n'est pas agriculteur. Il conviendrait sans doute de revoir le texte pour limiter les exemptions aux terrains à bâtir, en excluant les terrains majoritairement situés en zone A, surtout en périmètre irrigué ;
- le démembrement de propriétés, par le biais de ventes en nue-propriété et de conservation de l'usufruit en viager, constitue une autre technique de détournement du droit de préemption. En effet, la revente au bout de trois ans permet à des personnes n'étant pas agriculteurs d'acquérir en pleine propriété des terres agricoles sans que la Safer puisse intervenir ;
- la vente d'un terrain, précédée de la conclusion d'un bail emphytéotique de 99 ans, décourage aussi l'exercice du droit de préemption. À Mayotte, l'EPFAM est confrontée à des difficultés d'intervention du même type, comme l'a précisé son président lors de la table ronde organisée30(*) : « La commission départementale nous demande d'intervenir de façon systématique en préemption sur les petites parcelles, ce qui n'est pas sans conséquences sur l'ambiance sociale du territoire. On nous annonce parfois des prix à 40 euros pour que nous ne préemptions pas les parcelles. Par ailleurs, nous ne préemptons pas quand l'achat est réalisé par un agriculteur déclaré. Nous voyons également apparaître des montages avec des sociétés écran à vocation agricole pour échapper à la préemption mais nous sommes très vigilants ».
Mayotte est confrontée à la problématique du morcellement, avec des ventes de terrains de 200 m2, en plein espace agricole ou naturel. Face à ce phénomène, M. Soumaila Moeva, président du Syndicat des Jeunes Agriculteurs de Mayotte, milite pour la mise en place d'une commission sur le morcellement agricole31(*).
b) Introduire plus de transparence et faire mieux travailler ensemble les acteurs fonciers
Tous les territoires sont confrontés à ces problématiques de contournement dont les effets sont le morcellement et l'urbanisation rampante.
Pour être efficace, chaque Safer devrait pouvoir s'appuyer sur la complémentarité avec les structures foncières, comme l'a souligné M. Emmanuel Hyest : « Les collectivités locales et le monde agricole ont compris que les Safer regardent le territoire à travers un prisme agricole. Les EPF ne disposent pas de la même capacité. En effet, leur rôle consiste à dégager des terrains destinés à l'urbanisme. La différence est majeure ».
Entre les Safer et les EPF, la complémentarité a d'ailleurs été inscrite dans la loi. De nombreuses conventions sont conclues entre EPF, Safer et régions. Elles permettent de conduire et de financer des opérations conjointes sur des enjeux mixtes. Il est essentiel que les acteurs se concertent et échangent.
Il est important que les politiques soient cohérentes et que les données soient partagées (Safer, notification/commission départementale d'aménagement foncier (CDAF), procédure Terres incultes et Morcellement/CDPENAF, avis sur les autorisations de construire). Les données doivent être accessibles pour que chacune des structures puissent prendre des décisions homogènes.
La coordination entre les 3 instances centrales que sont la SAFER, l'EPF et l'ONF mériterait d'être renforcée. Elle pourrait porter notamment sur les sujets suivants :
- les projets de reboisement avec le conseil et l'expertise de l'ONF et une réflexion sur la réalisation des travaux ;
- les projets de compensation au défrichement ;
- les programmes vert foncier qui visent à végétaliser certaines zones urbaines ou périurbaines, etc.
Le rôle de l'EPFAM à Mayotte
Lors de la table ronde du 23 mars 2023, M. Yves-Michel Daunar, directeur général, a rappelé les spécificités de la situation de Mayotte32(*).
L'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (EPFAM) créé en juin 2017 exerce les missions d'une Safer. Il a commencé à exercer son droit de préemption en octobre 2019. L'établissement veille aussi à éviter le mitage et le morcellement du foncier agricole.
En matière d'aménagement agricole, il travaille avec la commune de Bandrélé sur l'aménagement d'un pôle agricole, avec l'État sur l'aménagement d'une parcelle de 56 hectares. L'objectif est d'agir de manière expérimentale et de voir comment les méthodes peuvent être déclinées à l'échelle du territoire (aspect hydraulique agricole, recherche de circuits courts, mise en place de fermes urbaines, accompagnement à l'installation d'agriculteurs).
Les décisions de l'établissement sont prises après avis de la commission départementale ad hoc, comme le prévoit le code rural, et dont la composition est basée sur celle des conseils d'administration des Safer. L'objectif est d'associer les professionnels de l'agriculture aux décisions qui sont prises sur le territoire, notamment en matière de préemption.
En termes de préemption, il a reçu, depuis 2019, 714 déclarations d'intention d'aliéner, portant sur 233 hectares de foncier, avec un prix moyen de 22,78 euros par m2. En 2022, les prix ont atteint environ 30 euros. De nombreuses transactions portent sur de très petites parcelles, 85 % couvrant moins de 5 000 m2 qui est la surface minimum permettant à un maraîcher de vivre. 65 % des parcelles couvrent moins de 1 000 m2, pour une surface médiane de 550 m2. Par conséquent, la majorité des petites parcelles qui sont mises sur le marché n'ont pas une vocation agricole.
L'objectif de l'établissement est de permettre aux agriculteurs de s'installer dans de bonnes conditions. Il les accompagne également dans l'élaboration de leurs bilans prévisionnels, dans la recherche de financements auprès du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) ou des banques.
La première acquisition en 2019 concernait une exploitation de 5 hectares que l'ancien propriétaire n'arrivait pas à vendre et qu'il commençait à démembrer, alors qu'elle disposait de serres et de réseaux hydrauliques. L'EFAM est intervenue pour la maintenir dans l'espace agricole mahorais.
Au cours de la même audition, M. Yves-Michel Daunar, directeur général, a aussi pointé des difficultés importantes.
Mayotte est confrontée à la problématique du morcellement, avec des ventes de terrains de 200 m2, en plein espace agricole ou naturel.
Le foncier à Mayotte est relativement onéreux. L'EPFAM a installé 18 agriculteurs sur les terres dont il est propriétaire, après avoir évalué leur vocation à devenir des agriculteurs professionnels. Si les personnes présentes sur le foncier ne souhaitent pas devenir agriculteurs professionnels, l'établissement les indemnise et installe de nouveaux propriétaires. Certaines personnes disposent parfois d'un titre de propriété qui n'a pas été enregistré, ce qui génère des conflits.
Les préemptions réalisées par l'établissement sont très mal vécues sur le territoire. Compte tenu de la politique de l'établissement en matière de préemption, les notaires et les géomètres sont de plus en plus menacés par leurs clients, d'autant que l'EPFAM a une action en révision de prix quasi systématique, dès que le prix du foncier dépasse 40 euros.
L'EPFAM fonctionne sans dotation de l'État. C'est grâce à la volonté du conseil départemental qu'il a réussi à fonctionner. Sur le dernier exercice, l'EPFAM a acquis pour près de 3 millions d'euros de foncier et perçu des recettes de location à hauteur d'environ 10 000 euros.
L'accès à l'eau pose aussi des difficultés. L'EPFAM mène des tests avec la DAAF sur le secteur de Trévani et essaye d'installer des agriculteurs.
Les agriculteurs ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés d'accès au foncier. Par exemple, le président d'Abattoir de Volailles de Mayotte (AVM) cherche 24 hectares de foncier mais l'État, qui possède 350 hectares de foncier à Trévani, n'est pas en mesure de l'aménager car le foncier est squatté par 132 agriculteurs, dont seule une dizaine est « siretisée » et cotise.
L'EPFAM a aussi le projet de récupérer du foncier agricole appartenant au conseil départemental et d'y installer, dans des conditions satisfaisantes, des agriculteurs afin de leur permettre de dégager des revenus suffisants, tout en contribuant à l'autonomie alimentaire du territoire.
Source : Table ronde sur Mayotte
2. Garantir un financement pérenne et autonome
a) La précarité financière structurelle des Safer outre-mer, frein à leur efficacité
Les caractéristiques des marchés fonciers outre-mer brident l'intervention des Safer outre-mer et limitent le rôle de préservation du foncier agricole qu'elles ont pu jouer dans l'Hexagone.
Lors de leur création, les Safer bénéficiaient d'un financement important de l'État. Or, au cours des années, cette dotation publique s'est beaucoup amenuisée et s'établirait autour de 250 000 euros par an33(*).
Les Safer d'outre-mer bénéficient encore d'un financement spécifique (une subvention du ministère de l'agriculture34(*)) et d'un fonds de péréquation des Safer, similaire à celui des chambres d'agriculture, mais qui demeure très insuffisant35(*).
Sur certains territoires, le manque de ressources empêche véritablement la faire face à ses missions, comme l'a indiqué M. Robert Catherine, directeur de la Safer Martinique36(*) : « La Martinique connaît les mêmes problématiques, de manière encore accrue. En effet, les superficies y sont plus réduites. Or, moins de 500 hectares sont notifiés chaque année à la Martinique. À titre de comparaison, 23 000 hectares sont notifiés dans les Pays de la Loire. Nous avons ainsi des difficultés pour équilibrer les comptes. De plus, nos capacités financières ne nous permettent pas de préempter ces terres dans leur intégralité. La loi pour l'avenir de l'agriculture et de la forêt (LAAF) de 2014 permet certes d'opérer une préemption partielle. Cependant, un propriétaire conserve la faculté de demander la vente de l'intégralité de son bien, y compris lorsque la Safer s'est mise d'accord au préalable avec le Conservatoire du littoral. Du coup, les Safer ne parviennent pas à intervenir ».
En outre, l'absence de financement pérenne prive les Safer d'autonomie et les rend dépendantes de subventions, à renégocier avec les collectivités. Chaque année, elles doivent donc solliciter un financement auprès des collectivités territoriales afin de boucler leur budget et assurer au moins leurs frais de fonctionnement. Cet apport demeure fragile (il est soumis à un vote), d'où la difficulté pour ces mener des projets à long terme.
Ainsi par exemple, la Safer Martinique bénéficie actuellement d'un financement annuel de l'ordre de 500 000 euros. Pour autant, elle ne sait jamais si ce financement sera reconduit, ni quand il sera assuré. Ces incertitudes pèsent sur la gestion. Une modification du financement la rendrait plus indépendante, sans remettre en question le contrôle de l'État. En effet, deux commissaires du gouvernement siègent en son sein et disposent d'un droit de veto sur toutes les décisions.
b) À situation exceptionnelle, ressources exceptionnelles
Il est donc nécessaire de repenser pour les outre-mer le modèle économique des Safer.
Par le passé, plusieurs pistes ont été avancées : augmentation du fonds de péréquation géré par la FNSafer37(*), prélèvement sur la taxe spéciale d'équipement, taxe sur les transactions immobilières, partage des dotations des EPF...
En 2013, dans leur rapport d'information, Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard38(*) préconisaient une recette fiscale dédiée pour les Safer. Cette recette consistait en un prélèvement sur la taxe spéciale d'équipement (TSE) prévue pour les établissements publics fonciers urbains par l'article 1607 ter du code général des impôts. Le montant affecté aux Safer pourrait être de 2 euros par habitant. Ce montant de 2 euros serait intégré au plafond de 20 euros fixé pour la TSE par l'article 1607 ter du code général des impôts.
La Safer Martinique a réactualisé cette proposition : « Nous avions formulé une proposition il y a cinq ou six ans. Elle consistait, sur le modèle des EPF, en une taxe affectée de deux euros par habitant. Cette proposition n'a malheureusement pas été validée. Notre proposition est aujourd'hui assez proche. Elle consisterait à faire peser cette taxe, non sur les collectivités locales, mais sur le vendeur et/ou l'acquéreur. En effet, en Martinique, les 500 notifications annuelles représentent une valeur d'environ 45 millions d'euros. Avec 1 à 2 % de ce montant, les Safer pourraient fonctionner sans peser sur les collectivités ».
Selon M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, la question de la capacité d'intervention des Safer fait partie des réflexions portées lors de la concertation dans le cadre du futur projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles (PLOA). Ainsi, toute mesure spécifique aux Safer ultramarines devra être appréciée au regard des réflexions plus globales liées à l'ensemble des Safer. L'affectation d'une part de la TSE aux Safer est une piste qui mérite d'être explorée lors des débats en projet de loi de finances (PLF).
Toutefois, plusieurs obstacles s'y opposent.
En principe, le statut de société anonyme des Safer n'apparaît pas compatible avec la perception d'une taxe affectée. Il n'est pas d'usage d'affecter des taxes à des sociétés anonymes. Elles sont plutôt affectées, le cas échéant, à des établissements publics. C'est le cas notamment pour les établissements publics fonciers.
Le ministère de la transition écologique émet aussi des réserves sur ce nouveau prélèvement. M. Christophe Suchel, adjoint au sous-directeur, sous-direction de l'aménagement durable, direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), a indiqué que : « La taxe spéciale d'équipement est évoquée de façon récurrente depuis plusieurs années. Cette taxe est attribuée aujourd'hui aux établissements publics fonciers. Un plafond est fixé par les textes à hauteur de 20 euros par habitant et par an. Dans certains territoires, notamment la Guyane, ce plafond n'est pas atteint et des débats ont lieu chaque année, considérant qu'il serait possible d'augmenter le montant de cette taxe de 2 euros, par exemple, pour affecter le produit de cette taxe au fonctionnement des Safer. Ce sujet sera discuté dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances par le Parlement. Nous voyons bien le bénéfice que pourraient retirer les Safer d'une taxe affectée ».
Nonobstant, la nécessité de doter rapidement les Safer d'outre-mer de moyens financiers à la hauteur de leurs missions et de l'urgence foncière doit prévaloir.
Proposition n° 3 : Renforcer les moyens des Safer outre-mer :
- en instaurant un prélèvement additionnel affecté sur la taxe spéciale d'équipement (TSE) ;
- en apportant la garantie de l'État sur les emprunts des Safer en cas de préemption partielle ;
- en agréant au plus tôt la Guyane, afin de la rendre opérationnelle avant fin 2023 ;
- en expertisant le projet de création d'une Safer pour Mayotte.
c) La Guyane : un retard préjudiciable
L'agriculture guyanaise s'inscrit dans une dynamique positive : augmentation du nombre d'exploitations, de la SAU et de la production, volonté de beaucoup d'agriculteurs de s'inscrire dans une démarche agroécologique (incluant l'agroforesterie)...
Lors de son audition, le ministre Marc Fesneau a fait des annonces qui devraient permettre à la Guyane d'être opérationnelle fin 2023.
Mais le projet de la Safer remonte à six ans. Il est né de négociations entre les services de l'État et la profession agricole dans le cadre d'un mouvement social qui a conduit à l'accord de Guyane en avril 201739(*).
À cette occasion, la nécessité de protéger et valoriser les terres agricoles guyanaises face aux enjeux de développement agricole, de préservation de l'environnement et de lutte contre la spéculation a été mise en exergue. Un groupement d'intérêt public (GIP) Safer a été la première concrétisation de cet accord de 2017. Composé à 90 % des membres habituels du conseil d'administration de la Safer, il a bénéficié de fonds du ministère de l'agriculture permettant le lancement de cette structure.
La Safer a été créée en mai 2021 en tant qu'institution contribuant à la gestion du foncier agricole guyanais. Mais la Safer n'est pas opérationnelle, car elle n'a pas encore obtenu l'agrément lui permettant de mettre en place un plan d'action stratégique.
La stratégie de développement agricole prévue au schéma d'aménagement régional (SAR) piloté par la CTG, vise à doubler la SAU pour atteindre 75 000 hectares en 2030 (Agreste Guyane 2019) afin de nourrir les 600 000 habitants que comptera la Guyane en 2050.
De nombreuses difficultés sont à relever sur ce territoire et le retard constaté sur la Safer est préjudiciable :
- comme l'a indiqué M. Arnaud Matrenchar lors de son audition40(*), faute d'agrément, la Guyane ne peut exercer son droit de préemption. Par conséquent, on constate que certains terrains agricoles de ce territoire sont vendus en prévision d'une spéculation immobilière ;
- des problématiques de défrichage et d'habitat se posent. Les agriculteurs veulent pouvoir accéder aux services publics, y compris au numérique. Leur installation ne doit plus être aussi pénible qu'auparavant. Le métier d'agriculteur doit être rendu attractif... ;
- les demandes d'attributions foncières, notamment en zone péri-urbaine, sont difficiles à obtenir ; les délais d'instruction sont longs (deux ans en moyenne) et le retard de la Safer complique également la reprise ou le rachat de terres d'agriculteurs retraités ou en cessation d'activité. Le littoral (entre Cayenne et Kourou) est ainsi sujet à une réorientation de la destination des terres agricoles vers du résidentiel ;
- pour l'installation des jeunes, la difficulté d'accès au foncier représente le premier frein ; le deuxième étant lié aux investissements nécessaires pour transformer la forêt en espace agricole (défriche, installation des cultures et prairies). Si 1 100 hectares de foncier sont en moyenne attribués chaque année pour des projets agricoles, très peu aboutissent à des installations effectives à l'échéance de 5 ans. La pluriactivité de près de la moitié des exploitants professionnels constitue un troisième obstacle à la mise en place d'une activité agricole, dans la mesure où le montant des aides à l'installation est réduit.
À cela s'ajoutent de grandes fragilités dans les organisations professionnelles, qui ne répondent que partiellement aux attentes des agriculteurs, que ce soit en termes technique, économique ou organisationnel.
* 25 Audition de la FNSafer, 2 mars 2023.
* 26 La nomination de Chantal Berthelot à la présidence du Conseil d'Administration de la Guyane, est intervenue le 9 mai 2023 ; le président de la collectivité Gabriel Serville a mis en exergue les questions de la production agricole et la valorisation de l'eau. Également au coeur des enjeux : la demande de la Guyane d'un accompagnement financier pluriannuel.
* 27 Audition du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire le 20 juin 2023.
* 28 Audition de la FNSafer le 2 mars 2023.
* 29 Table ronde La Réunion, le 1er juin 2023.
* 30 Table ronde Mayotte, le 23 mars 2023.
* 31 Table ronde Mayotte, le 23 mars 2023.
* 32 Table ronde Mayotte, le 23 mars 2023.
* 33 Programme 149 de la mission agriculture, annexé à la loi de finances 2023.
* 34 Ces subventions sont mentionnées à l'article R.141-12 du code rural et de la pêche maritime, et sont limitées aux seules sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural de Corse, de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion. La répartition répond aux critères suivants :
- l'étroitesse de leur marché foncier accessible, inversement proportionnelle à la surface agricole utile de leur zone d'action ;
- leur activité, représentée par le nombre d'acquisitions et de rétrocessions réalisées au cours des trois dernières années.
* 35 Audition de l'ODEADOM, le 6 avril 2023.
* 36 Audition de la FNSafer, le 2 mars 2023.
* 37 Il est intéressant de noter que la FNSafer a ainsi modifié ses statuts de façon à prendre en charge l'ensemble de leurs coûts de déplacement. Rodrigue Trèfle, ici présent, est le président du groupe des Safer d'outre-mer. Il participe aux réunions de la FNSafer.
* 38 Rapport d'information n° 1510 (2022- 2013) de Chantal Berthelot et Hervé Gaymard fait au nom de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale.
* 39 Table ronde Guyane, le 13 avril 2023.
* 40 Audition de l'ODEADOM, le 6 avril 2023.