LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DU DÉPLACEMENT
Déplacement en Martinique
(du lundi 17 au jeudi 20 avril 2023)
Lundi 17 avril 2023 |
Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF)
Vincent PFISTER, directeur adjoint, Miguel ANAIS, technicien territoires ruraux
Assemblée de Martinique
Lucien SALIBER, président, Monette TAUREL, présidente de la commission politique agricole, alimentation et artisanat, Marie-Georges DRONNIER, directeur de cabinet du président et Kora BERNABÉ, conseillère territoriale
Chambre d'agriculture
Émile ROSALIE, 3ème vice-président, Frantz Gustave FONROSE, 1er secrétaire adjoint, Gilles MOUTOUSSAMY, chef du service développement et Jean-Marc JUSTINE, conseiller pour le foncier
Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA)
Jean-Baptiste MANUEL, secrétaire général et Audrey DRELA, élue en charge des questions foncières
Jeunes agriculteurs
Marc-André PASTEL, président et Audrey DRELA, élue en charge des questions foncières
Organisation patriotique agriculteurs Martinique (OPAM)
Christian DACHIR, secrétaire général, représentant de l'OPAM au Conseil d'administration de la SAFER
Mardi 18 avril 2023 |
Société d'intérêt collectif agricole (SICA) Canne Union
Éric EUGÉNIE, consultant et Stéphane BOUYET, gérant
Association martiniquaise de fruits et légumes (AMAFEL)
Ruidice RAVIER, vice-présidente et présidente de l'organisation de producteurs de produits agricoles diversifiés (SICA 2M)
Mercredi 19 avril 2023 |
Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) Martinique
Louis-Félix GLORIANNE, président et Robert CATHERINE, directeur
Association des producteurs de plantes, fleurs et feuillages et pépiniéristes de Martinique
Marcelino HAYOT, président
Union des producteurs de banane de la Martinique (BANAMART)
Alexis GOUYÉ, président, Sébastien THAFOURNEL, directeur opérationnel, Miguel GUITEAU, producteur, Laurent PRUDENT, producteur et Ulysse MUDARD, producteur
Jeudi 20 avril 2023 |
Collectivité territoriale de Martinique
Serge LETCHIMY, président, Monette TAUREL, présidente de la commission politique agricole, alimentation et artisanat et Évelyne BIRON, service de l'agriculture et du foncier agricole
CARNET DU DÉPLACEMENT
La Martinique
(du 17 au 20 avril 2023)
Lundi 17 avril 2023
Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF)
Arrivée la veille, la délégation s'est rendue à la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF), pour une première réunion de travail avec M. Vincent Pfister, directeur-adjoint, et M. Miguel Anais, technicien forêt et territoire. Mme Catherine Conconne, sénatrice de la Martinique, s'est jointe à cet entretien.
M. Pfister a rappelé le contexte (concertation sur le pacte et la loi d'orientation et d'avenir agricoles avec la CTM et la chambre d'agriculture) et a indiqué que le foncier constituait un frein à deux niveaux : pour l'installation des jeunes et pour l'accroissement de la production vers la souveraineté alimentaire. Deux types d'agriculture coexistent : l'agriculture traditionnelle (exploitations de petite taille en pluriactivités) et l'agriculture plus intensive, capitalistique et organisée (banane, canne). Les jeunes agriculteurs ont un problème d'accès au foncier car il y a peu de transmission, les terres sont souvent morcelées entre les héritiers de manière illégale (« flou des parcelles »), sont soumises à la spéculation et deviennent improductives. Outre la question des constructions illégales sur des terres agricoles, la Martinique est confrontée à une problématique de terres en friche, estimée à 8 000 ou 9 000 hectares sur les 22 000 hectares de surface agricole utile (SAU). Seules trois communes ont mis en oeuvre la procédure « terres incultes » prévue dans le code rural. Parallèlement, le rendement des grandes productions tend à baisser avec la sécheresse.
Une zone d'ombre importante existe au niveau statistique : sur 2 700 exploitants, seuls 1 700 font l'objet d'une déclaration de surface ; pour l'accès aux aides (par exemple en cas de calamités naturelles) 1 200 environ se déclarent, les 500 autres ne se manifestant pas. On estime que 70 % de la production s'effectuent hors organisation et s'écoulent en ventes directes.
Le défi pour la DAAF est de pouvoir mieux appréhender les perspectives de souveraineté alimentaire. Parmi les pistes de réflexion, sont étudiés la substitution d'une aide surfacique aux aides à la production pour soutenir l'agriculture traditionnelle et l'accès pour les exploitations enclavées sur des terres accidentées et souvent non mécanisables. Lafaiblesse des retraites constitue aussi un obstacle à la transmission ainsi que le montant de la taxe réclamée par l'ONF pour la remise en terres agricoles de terres en friche.
M. Pfister a insisté sur le rôle protecteur de l'avis conforme de la CDPENAF. Sinon, l'impact sur le foncier agricole serait encore pire.
Assemblée de Martinique
À l'Assemblée territoriale, la délégation a rencontré son président M. Lucien Saliber, en présence de Mme Monette Taurel, conseillère territoriale chargée de la politique agricole, de l'alimentation et de l'artisanat, de Mme Evelyne Biron du service de l'agriculture et du foncier agricole, et de Mme Kora Bernabé, conseillère territoriale.
Le président a fait un historique de la propriété des terres arables en Martinique, a évoqué la problématique des transmissions (les avancées et les difficultés d'application de la loi Letchimy) ainsi que la question des friches.
Il a évoqué la baisse de la démographie qui se répercute sur les effectifs des lycées agricoles alors que parallèlement, le nombre d'allocataires du RMI explose sur le territoire. Il a aussi indiqué que la CTM a fait voter une délibération afin d'engager des négociations avec les propriétaires d'exploitations supérieures à 30 hectares pour redistribuer 1 000 hectares de terres au profit de jeunes.
Lors d'un tour de table, de nombreux sujets ont été abordés concernant le système des aides - dont le processus est très long - et profite à ceux qui produisent le plus, le manque de techniciens au niveau de la chambre d'agriculture et des structures d'exploitation, le manque d'attractivité des métiers agricoles, le rôle de la Safer...
Mme Kora Bernabé, conseillère territoriale, a formulé diverses propositions : compte tenu de l'absence de mesures suffisamment incitatives pour obliger un propriétaire à vendre ou louer ses terres et que la procédure des terres incultes est peu appliquée, l'État devrait obliger à mettre en valeur ou en location les terres agricoles laissées en friche ; dans les procédures de prescription, les photos cadastrales anciennes devraient être accessibles ; dans les zones boisées, il faudrait pouvoir aussi utiliser la procédure dite des « terres incultes » ; il faudrait davantage d'accompagnement pour le montage des projets et l'installation des jeunes (il serait utile que l'instruction des demandes d'aides auprès de la chambre d'agriculture relève d'un « satellite » réunissant des instances comme la DAAF ou la CTM) ; pour la structuration des filières, il faudrait un opérateur pour le maraîchage comme à La Réunion...
Sur le problème sensible des habitations agricoles, le président Saliber a mis en garde contre le mitage des terres « qui arrive tôt ou tard ». Mme Bernabé a insisté sur la question des vols qui conduit à organiser la surveillance. La solution serait dans le contrôle strict des permis de construire qui devraient être réservés aux exploitants ayant fait leurs preuves (engagement sur plus de 15 ans avec des résultats).
Selon les participants, pour créer de la valeur, il conviendrait aussi de diversifier l'activité agricole (tourisme, produits variés), de libérer davantage les initiatives (plus de transparence) et que la question de la recherche de financements - notamment au niveau européen - soit opérée par des personnes compétentes (des résultats intéressants ont été obtenus au Lamentin et au Carbet).
La question de l'irrigation et de l'accès à l'eau est un sujet de préoccupation croissant mais qui requiert de lourds investissements et génère des coûts d'entretien élevés. Un schéma d'irrigation dans le cadre du SDAGE - schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux - a été adopté pour la période 2022-2024 mais ne semble pas avoir été mis en place.
Chambre d'agriculture
Au cours de l'après-midi, la délégation a été reçue à la chambre d'agriculture par M. Frantz Gustave Fonrose, premier secrétaire adjoint, et son équipe technique.
Ils ont admis que le sujet foncier est à l'origine de frictions et de mal-être. Les terres subissent une pression financière très forte. Un agriculteur qui arrive à la retraite dispose d'une pension très faible, y compris après quarante ans d'activité, et sa tentation est de « spéculer » sur ses terres plutôt que de les transmettre. L'urbanisme rattrape les terrains agricoles (conflits d'usage) et les lois actuelles sont inadaptées aux outre-mer, comme par exemple la loi Climat et résilience de 2021 qui interdit de construire sur des terrains ayant une déclivité supérieure à 30 %.
Les terres agricoles ne sont pas suffisamment protégées. Si elles relèvent généralement du domaine privé, elles devraient néanmoins être considérées comme un bien commun destiné à nourrir la population d'aujourd'hui et de demain.
Pour M. Jean-Marc Justine, le code forestier surprotège la forêt et rend difficile le retour à l'agriculture. L'emboisement est très rapide compte tenu du climat dès que l'exploitation s'arrête. Il existe des projets de diversification intéressants s'articulant autour de propriétés agricoles et qui donnent de la plus-value (restauration, hébergement à la ferme, visites pédagogiques...).
M. Gilles Moutassamy a évoqué la grande difficulté de faire appliquer la procédure légale des terres incultes et seules trois communes y ont eu recours récemment, pour une surface limitée à quelques centaines d'hectares. De plus, cette procédure n'a touché que des personnes à la retraite alors qu'elles visaient des exploitants encore en activité pour la transmission à des jeunes. Sur l'idée d'un fonds agricole inspiré du fonds de commerce proposée le sénateur Thani Mohamed Soilihi, qui permettrait à l'exploitant âgé de garder la propriété de ses terres tout en partageant l'activité, M. Émile Rosalie a évoqué diverses expériences (coopératives, SARL avec des jeunes louant le bien à une structure sociétaire...), tout en soulignant les difficultés de gestion pérenne de ce type de structure. Il a évoqué les expériences difficiles d'installation en mode probatoire sur un ou deux ans.
Ont également été abordés la politique de la Safer, le poids de l'ONF, ou encore l'inégal accès aux aides européennes qui génère un profond sentiment d'injustice.
Au cours de l'après-midi, la délégation a pu échanger au Lamentin avec des représentants de la FDSEA, du Syndicat des Jeunes Agriculteurs et de l'OPAM.
FDSEA, Jeunes Agriculteurs, OPAM
Dans le vaste bâtiment du Lamentin, où ces structures sont regroupées, la délégation a eu une série d'entretiens pour recueillir le point de vue des représentants des agriculteurs.
Avec le secrétaire général de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA), M. Jean-Baptiste Manuel, ont été évoqué divers sujets : l'indivision, l'attachement sentimental aux terres agricoles, le poids de l'économie informelle, la transmission et les terres en friche.
Le rôle de la fédération est d'accompagner les exploitants à travers des groupes d'échanges notamment sur le départ en retraite en raison des pensions très faibles. Ont été pointés les problèmes de communication et de coordination entre les acteurs du secteur, la recrudescence des vols et des prédations (attaques de chiens errants) ainsi que les effets déjà très sensibles du dérèglement climatique et l'impact de l'utilisation de la chlordécone sur l'agriculture martiniquaise.
Avec la présidente du Syndicat des Jeunes Agriculteurs de Martinique, Mme Audrey Drela, élue de la structure en charge des questions foncières, la délégation a échangé sur l'inquiétante perte de terres agricoles chaque année, le phénomène incontrôlé des constructions illégales, et les problèmes liés à indivision (les successions ne sont pas réalisées, le sentiment de fort attachement empêche la mise en vente, les agriculteurs sont souvent dans l'espoir d'un déclassement en terrain constructible...).
M. Marc-André Pastel, président du syndicat, a déploré le peu de succès des groupements fonciers agricoles, contrairement à la Guadeloupe, qui éviteraient le morcellement car les intéressés ne sont pas prêts travailler en collectif. Il a présenté le travail de son association pour fournir une « boîte à outils » à l'attention des futurs retraités et la lutte encore peu développée contre les terres en friche menée par la CTM (concernant en ce moment trois communes seulement sur 34). Mme Audrey Drela a évoqué le problème des ressources de la Safer et plaidé pour une ressource pérenne (par exemple une taxe sur les transactions financières). Elle a mentionné le problème des maisons sur des terrains agricoles qui les renchérissent et les empêchent d'être préemptées en totalité. Parmi les autres freins à l'action de la Safer, M. Pastel a pointé le coût du bornage.
Concernant les jeunes, Mme Audrey Drela a précisé que beaucoup étaient en reconversion et a donné des exemples encourageants d'installations collectives avec mise à disposition de terres pour 6 ans renouvelables. M. Pastel a défendu la diversification depuis l'amont jusqu'à l'aval avec l'agro-tourisme et la vente directe avec des incitations à cultiver plutôt qu'à la cession, assorties d'un vrai accompagnement technique, fort et global, notamment pour développer les zones agricoles. Il a estimé qu'il faudrait développer les zones agricoles protégées aménagées (ZAPA), dont une seule fonctionne à l'heure actuelle. D'un point de vue général, malgré les signalements auprès des communes, le syndicat considère qu'il y a beaucoup trop de clientélisme, et qu'il faudrait faire appliquer les zonages (PEAN, ZAN) avec une vraie volonté politique d'aménagement et de viabilisation des terrains enclavés.
Quant à l'Organisation Patriotique Agriculteurs Martinique (OPAM), son secrétaire général M. Christian Dachir a fait un large rappel de l'histoire du syndicalisme agricole en Martinique, en rappelant les spécificités du sol et du relief martiniquais. Il a plaidé pour un retour aux engins à chenilles afin de conserver la couche arable qui tend à s'éroder sous l'effet des intempéries. Il a évoqué les problèmes d'attractivité en raison desquels la SAU est actuellement sous-exploitée (la Martinique ne couvrirait en fait que 4 % de ces besoins réels). Il a également pointé la mauvaise gestion des parcelles en prônant plus de « qualité, quantité et régularité » et une agriculture plus intensive. Ont également été évoqués les problèmes de financement et de dépendance de la Safer vis-à-vis de la CTM, le manque d'ouvriers agricoles dans ce secteur et le recrutement des travailleurs étrangers, ainsi que le scandale de la chlordécone.
Mardi 18 avril 2023
Société d'intérêt collectif agricole (SICA) Canne Union
La délégation s'est rendue sur le domaine du Galion à la Trinité qui appartient depuis huit générations à une même famille. Il s'étend sur 1 600 hectares dont 1 000 sont actuellement cultivés. Le gérant M. Stéphane Bouyet et M. Éric Eugénie, consultant, ont précisé que 750 hectares étaient cultivés en direct et 250 hectares par de petits producteurs, essentiellement consacrés à la banane et à l'élevage. Encore 450 hectares sont en forêt dans le cadre d'un plan de gestion. 150 hectares ne sont pas cultivés en raison du sol (bosquets, mangroves...).
Avant de parler d'autosuffisance alimentaire, ces responsables ont souhaité mettre en avant un certain nombre de difficultés : la non-application de la loi EGAlim sur l'approvisionnement des cantines, la pluviométrie variable et le manque d'irrigation (alors que de gros investissements ont profité à La Réunion, la Martinique n'a pas de schéma d'irrigation, ne ferait ni recherche ni forage), la sous-consommation des crédits FEADER (40 %), l'évolution préoccupante de la filière canne, le grignotage des terres agricoles y compris celles en AOC (contentieux sur la propriété Neisson), le manque de main-d'oeuvre locale et le recours aux réfugiés haïtiens ou immigrés de Sainte-Lucie, l'avenir incertain de l'unique sucrerie restant à la Martinique située au Galion, l'absence de contrôle sur le maraîchage et la production informelle, la mauvaise gestion de la banque de terres...
La Martinique a perdu ainsi en moyenne 1 000 hectares de SAU par an et près de la moitié de ses exploitants en 10 ans. M. Eugénie a insisté sur l'importance primordiale de l'eau regrettant l'absence de retenues collinaires, l'insuffisant curage du barrage de La Monzo et l'absence de nouveaux forages (compétences DEAL et BRGM).
La délégation a ensuite visité l'habitation Le Galion où sont commercialisés les rhums Baie des trésors, une des étapes des circuits de spiritourisme qui se développe avec succès en Martinique.
AMAFEL
La délégation s'est aussi rendue dans le quartier du Bois rouge à Ducos pour rencontrer Mme Ruidice Ravier, vice-présidente de l'Association martiniquaise de fruits et légumes (AMAFEL) et fondatrice de la SICA 2M (Maraîchers de Martinique). Cette remarquable association vise à assurer la défense des producteurs de fruits et légumes de Martinique, maîtriser durablement la valorisation de la production agricole de leurs membres, renforcer l'organisation commerciale des producteurs et pérenniser la production sur le territoire de la Martinique.
Mme Ruidice Ravier a souligné le défi difficile de l'autosuffisance compte tenu du caractère insulaire de la Martinique, du rythme de l'urbanisation, des conséquences de la crise de la chlordécone, du manque d'irrigation... Elle a fait part d'un sentiment d'abandon qui l'a conduit à créer en 2008 la SICA sans accompagnement. Elle réunit aujourd'hui près de 200 producteurs cultivant sur des petites superficies (deux ou trois hectares) mais dont les rendements ont malheureusement tendance à diminuer (épuisement des sols, pas de possibilité de mises en jachère).
Compte tenu des difficultés actuelles, les petits producteurs devraient pouvoir bénéficier selon elle d'un « ballon d'oxygène » financier (pour payer les semences, les intrants et la main-d'oeuvre), évoquant par exemple une aide de 5 000 euros par exploitant.
Ont également été évoqués les prix de vente pratiqués par les grandes surfaces, les bailleurs qui refusent de rendre les terres aux propriétaires, et le faible nombre de jeunes candidats à l'installation.
Mercredi 19 avril 2023
Safer
Dans leur présentation, le président Louis-Félix Glorianne, et M. Robert Catherine, son directeur, ont tenu à souligner le problème de la main-d'oeuvre car sociologiquement l'agriculture n'est pas valorisée et a même une connotation négative (métiers réputés pénibles, faibles rémunération), d'où le recours à la main-d'oeuvre étrangère. Par ailleurs, pour s'installer il est parfois difficile d'accéder à une formation réservée parfois aux seuls chômeurs.
Le foncier n'est pas si rare mais sa valorisation se heurte à de nombreux problèmes, notamment la mise en oeuvre de la procédure des terres en friche (volonté politique), la pollution à la chlordécone, ou encore la protection des terres boisées (on pourrait mettre davantage d'arbres fruitiers et échanger des terres en faisant un système de compensation).
Il n'y a qu'entre cinq et dix installations par an, ce qui est largement insuffisant. Il y a une lourdeur administrative (il faut compter presque trois ans pour une installation), les autorisations de défrichement coûtent trop cher.
La Safer est aussi confrontée à un problème structurel de financement et d'outils juridiques. Elle doit souvent faire de la préemption partielle (en cas de terres mixtes) ce qui amène à faire des conventions complexes avec l'EPF (achat ensemble et revente de la partie agricole). Autre outil possible, la convention de mise à disposition (ou CMD) de six ans renouvelables une fois sous statut de fermage pose toutefois un problème au-delà des 12 ans. Par ailleurs, la procédure des terres en friche soulève des problèmes d'interprétation avec l'ONF.
Enfin, ils ont attiré l'attention sur l'accès aux fonds POSEI notamment sur sa lourdeur administrative ; en effet, les services de l'État ne sont pas entièrement connectés entre eux pour les listes d'attestation. Il faudrait prioritairement mettre en place un « guichet unique » des services publics de l'État.
ADDUAM
À l'Agence de Développement Durable d'Urbanisme et d'Aménagement (ADDUAM) de Martinique située au coeur de Fort-de-France, la délégation s'est entretenue avec Mme Anne Petermann, en charge de la production et des études, et M. Kristof Denise, directeur adjoint. L'ADDUAM a pour vocation d'accompagner ses partenaires dans les champs de l'urbanisme et de l'aménagement, afin de mieux coordonner et maîtriser le développement urbain de la Martinique. Fonctionnant sous forme d'association (loi 1901) réunissant les collectivités locales et l'État, l'ADDUAM est un organisme de réflexions et d'études partenarial, composé de membres de droits et de membres adhérents.
L'agence est à l'origine de nombreuses études notamment sur l'artificialisation du sol en Martinique.
Comme l'a précisé M. Denise, la question agricole dépasse la question agricole et rejoint la problématique du logement et des équipements sur l'île.
Les échanges ont porté sur les pressions croissantes sur le foncier agricole, les conflits d'usage, l'importance de la CDPENAF comme lieu d'échanges et de préservation (et l'utilité des réunions préparatoires), le vieillissement de la population agricole, les risques de disparition pesant sur la petite agriculture.
Association des producteurs de plantes, fleurs et
feuillages
et pépiniéristes de Martinique
M. Marcelino Hayot, président de l'association des producteurs de plantes, fleurs et feuillages et pépiniéristes de Martinique (spécialiste de la botanique et auteur entre autres d'un ouvrage sur les espèces végétales exotiques envahissantes), a reçu la délégation dans ses locaux des Trois-Îlets.
Cette association encourage le retour des espèces endémiques de la Martinique, soutient la professionnalisation des acteurs de ce secteur (la Martinique était appelée autrefois Madinina, l'île aux fleurs).
Pour M. Marcelino Hayot, l'indivision est le problème majeur ainsi que l'artificialisation des petites surfaces. Il a présenté à la délégation son combat de plus de 10 ans pour l'agroforesterie et fait visiter le site où a été créée une vaste réserve d'eau et un parc d'animation. Il a appelé l'attention sur la contamination à la chlordécone qui ne permet plus de faire de culture maraîchère mais qui n'empêche pas de cultiver comme on le voit en Belgique et en Allemagne.
Sur les problèmes de location des terres, il a confirmé les risques fréquents de loyers impayés (y compris de la part des locataires de la banque de terre créée par la CTM), d'où l'idée de prévoir des paiements mensuels pour les baux afin de rompre plus rapidement le contrat si besoin. Il a également indiqué le recours à la main-d'oeuvre haïtienne, surtout dans le nord de l'île.
S'agissant de la question essentielle de l'accès à l'eau, il a rappelé l'irrégularité des précipitations et leur répartition, en préconisant des réserves d'eau et peut-être un jour la nécessité bientôt de prévoir des tours d'eau. Il a défendu l'idée d'une obligation de recyclage comme à Sainte-Lucie et évoqué les aléas de certaines productions comme la fleur exotique. Il a également pointé la lourdeur des questions administratives et comptables, ainsi que l'intérêt d'avoir une équipe administrative dédiée.
Il a aussi évoqué le potentiel agricole, suggérant notamment le développement du hors-sol et de certaines nouvelles techniques comme l'aquaponie mais en relevant une protection insuffisante des terres dans les documents d'urbanisme dont certains n'ont pas été modifiés depuis les années 80.
BANAMART
La délégation a rencontré les représentants de l'Union des Producteurs de Banane de la Martinique BANAMART réunis autour de son président M. Alexis Gouyé : M. Sébastien Thafournel, directeur opérationnel, MM. Miguel Guiteau, Laurent Prudent, Ulysse Mudard, producteurs.
L'union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique réunit 500 producteurs et 4 500 salariés. Sur 8 000 hectares, ils produisent environ 240 000 tonnes de bananes soient 50 % de l'emploi agricole de la Guadeloupe et 80 % de l'emploi agricole de la Martinique. Elle réalise des actions communes notamment celle de défense de cette production agricole auprès des instances nationales et communautaires.
Les chiffres clés de la filière indiquent son importance : 310 exploitations réparties sur 22 communes (la filière banane est un acteur essentiel du maintien de la ruralité de l'aménagement du territoire de la Martinique), 6 000 hectares - soit un peu plus 25 % de la SAU de la Martinique -, premier exportateur et importateur majeur de l'île. Une très grande majorité est constituée de petites exploitations familiales produisant moins de 300 tonnes. L'exploitation « bananes » représente 6 000 hectares sur les 22 000 hectares de la SAU Martinique, mais la diversification est progressive : cacao, fleurs, maraîchage, ananas, arboriculture. La production pour le marché local s'élève à environ 4 600 tonnes.
La filière représente ainsi 3 500 salariés agricoles (80 % des salariés agricoles permanents martiniquais), 7 500 emplois directs et indirects. À l'égard des planteurs, le groupement assure l'approvisionnement en outils et intrants nécessaires à la production et à l'emballage, l'organisation de la logistique liée aux expéditions, le préfinancement des aides, la gestion et le suivi des dossiers d'aides, l'encadrement technique et les centres de formation pour les chefs d'exploitation et leurs salariés...
La filière reste dynamique mais fait face à de nombreuses contraintes : baisse importante du prix import en Europe, la cercosporiose noire, maladie du bananier, qui n'a cessé de se renforcer, l'impact de la crise en Ukraine sur les intrants, la concurrence des pays non européens (demande de clauses miroirs), la baisse des rendements liés notamment au changement climatique, l'érosion du nombre d'exploitants et d'exploitations. Les dirigeants se sont montrés prêts à accompagner le projet de modernisation agricole de la CTM (agroécologie) en regrettant la méthode qui consisterait à opposer les productions entre elles.
Entretien avec le président du conseil exécutif de la CTM
Recevant les rapporteurs au siège de la CTM, le président de la collectivité M. Serge Letchimy a salué la démarche de la délégation axée sur l'autonomie alimentaire qui est de nature à dépassionner le débat compte tenu de l'histoire agraire de la Martinique marquée par la période esclavagiste.
Ce département fait face à une diminution « vertigineuse » de la SAU (la pression foncière est forte avec les besoins de construction). L'évolution est donc préoccupante et il faut l'arrêter, c'est un objectif vital pour la Martinique qui n'a que 20 % d'autonomie alimentaire (même si certaines filières ont des taux plus élevés). Il a noté d'ailleurs que La Réunion faisait mieux et que son objectif personnel était de doubler le taux d'autonomie pendant sa mandature. La question est donc : comment trouver les 1 000 hectares nécessaires à l'autosuffisance sur ce territoire ?
Pour cela, il faudrait mobiliser les grandes plantations qui appartiennent toujours à une petite minorité de la population ; les autres ont souvent des superficies réduites de deux ou trois hectares, sur des terrains pentus. La plupart des terrains arables sont plantés en canne et banane. Il faut aussi développer les petites exploitations et favoriser l'installation des jeunes (par le biais de coopératives notamment) et l'expérimentation de nouveaux produits d'agroécologie. 180 demandes de parcelles ne sont pas satisfaites actuellement.
Il a évoqué plusieurs pistes : une réforme de la Safer portant sur les synergies à trouver avec l'Établissement public foncier, les moyens d'éviter les contournements du droit de préemption, le financement, le pouvoir de police sur les questions agricoles, le meilleur accompagnement des agriculteurs par rapport au foncier (lequel n'est pas seulement une source de transaction), les moyens de sécuriser la retraite et d'améliorer la situation financière des retraités agricoles.
Il faut aussi plus de diversification et la collectivité demande aussi un pouvoir d'adaptation normative afin de faire contribuer sous une forme ou une autre les propriétés de plus de 30 hectares pour établir des baux ruraux location, etc.
Enfin, il a plaidé pour une grande loi foncière, fédérant les moyens financiers pour développer une stratégie agricole d'accès à la terre et de développement des filières de production, ainsi que pour régler des problèmes de terres liés à la période coloniale (régularisation des certains occupants de longue date sans titre, soit environ une quarantaine de petits quartiers).