IV. LA SIMPLIFICATION DE LA VIE DES ENTREPRISES EST UNE PRÉOCCUPATION CONSTANTE DANS D'AUTRES ÉTATS EUROPÉENS
A. UNE PRISE DE CONSCIENCE PAR L'UNION EUROPÉENNE DE LA NÉCESSITÉ DE MIEUX LÉGIFÉRER
La force de cette approche de l'Union européenne est la volonté politique constante de simplification, intégrée à toutes les étapes du processus de décision. Elle est également liée aux outils utilisés, avec une méthodologie robuste et un calculateur de charges administratives qui semble particulièrement performant.
1. Le « Mieux légiférer » européen
Depuis deux décennies, les efforts de réduction et de simplification de la réglementation sont intégrés à la production normative européenne. La Commission examine régulièrement dans quelle mesure les charges inutiles peuvent être évitées, en particulier pour les PME.
La simplification est une déclinaison des principes de subsidiarité et de proportionnalité, pierres angulaires des traités de l'Union européenne, systématiquement appliqués aux propositions législatives de la Commission.
La proportionnalité se concentre sur l'incidence financière et administrative de la législation proposée, afin de garantir que les mesures réglementaires n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs législatifs et stratégiques visés. Ces incidences doivent être réduites au minimum et être proportionnées aux objectifs à atteindre. Pour la Commission, cela signifie mettre en oeuvre des politiques ambitieuses de la manière la plus simple et la moins coûteuse possible, en évitant les lourdeurs administratives inutiles.
L'approche de l'Union européenne en matière de réduction de la charge administrative a évolué au fil des ans, avec l'expérience acquise notamment dans le cadre du programme d'action 2007-2012 de réduction des charges administratives. À l'époque, il avait été constaté qu'une approche purement axée sur la réduction des coûts présentait des inconvénients importants. En raison de problèmes de disponibilité, de transparence et de fiabilité des données, l'estimation des charges administratives dans les États membres était un exercice coûteux et complexe. Bien que l'objectif de réduction de la charge ait été fondé sur une vaste collecte de données, ses avantages pour les entreprises sur le terrain n'ont pas pu être démontrés clairement.
La Commission met désormais l'accent sur l'équilibre entre les coûts et les avantages (quantifiés ou autres) qu'entraîne la révision de la législation. Cela garantit que les raisons à l'origine de la législation, à savoir les avantages, entrent dans l'équation. L'approche tient également compte des coûts cumulés pour les particuliers et les entreprises dans un domaine d'action donné et en couvrant de nouvelles initiatives.
HISTORIQUE DES EFFORTS DE L'UNION
EUROPÉENNE 2002 -- Le programme «Mieux légiférer» a constitué une première étape vers la simplification et l'amélioration de la législation de l'UE. Il a introduit l'obligation de procéder à des analyses d'impact et de consulter les parties prenantes pour toute nouvelle initiative proposée par la Commission. 2005 -- Un programme glissant de simplification est lancé ; il a couvert 164 mesures durant la période 2005-2009 faisant partie du programme de travail annuel de la Commission. 2007 -- La Commission lance le programme d'action pour la réduction de la charge administrative; un groupe de haut niveau est créé pour la conseiller sur sa mise en oeuvre. 2012 -- A la fin du programme d'action, la Commission a atteint son objectif de réduire de 25 % la charge administrative des entreprises découlant de la législation de l'UE (économies annuelles estimées à 30,8 milliards d'euros). La consultation sur les dix actes législatifs les plus contraignants pour les PME est réalisée. 2012 -- le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT) est lancé. 2015 -- La Commission publie une étude (ABRplus) examinant comment 12 mesures contenues dans le programme d'action ont été appliquées et dans quelle mesure les avantages promis ont été obtenus. 2015 -- La Commission met en place un groupe de haut niveau chargé de la conseiller sur la manière de simplifier la législation (plateforme REFIT). 2017 -- La Commission améliore la plateforme REFIT en intégrant la simplification et la réduction des charges dans chaque évaluation et révision de la législation existante. 2018 -- La Commission publie le premier examen annuel de la charge. 2020 -- La Commission met en place la plateforme « Prêts pour l'avenir » afin de soutenir les travaux sur la simplification et la réduction des charges. 2021 -- La Commission complète REFIT par l'approche « un ajout, un retrait » afin de garder le contrôle sur les charges récurrentes Source : « Une meilleure
réglementation: unir nos forces pour améliorer la
législation » ; communication de la Commission au
Parlement européen, |
a) La simplification à toutes les étapes du processus normatif européen
La Commission européenne est chargée de planifier, préparer et présenter les nouvelles propositions législatives et politiques de l'UE. Ce travail est guidé par le programme de travail annuel de la Commission. La Commission est également chargée d'évaluer la législation de l'UE et de proposer des améliorations si nécessaire. Lorsqu'elle propose de nouveaux actes législatifs, la Commission doit évaluer leur impact escompté. La prospective est un élément clé de la mise en place de politiques à l'épreuve du temps dans tous les secteurs, l'accent étant particulièrement mis sur les domaines numérique, géopolitique, socio-économique et de l'écologie.
Les objectifs de simplification de l'UE sont les suivants :
- Supprimer les obstacles et les formalités administratives qui ralentissent les investissements et la construction des infrastructures du XXIe siècle, en collaborant avec les États membres, les régions et le niveau local, ainsi qu'avec les principaux acteurs concernés ;
- Simplifier les consultations publiques avec un «appel à participations» sur le portail « Donnez votre avis »182(*) ;
- Introduire l'approche « un ajout, un retrait » afin de réduire au minimum les charges pour les citoyens et les entreprises en accordant une attention particulière aux conséquences et aux coûts de l'application de la législation, en particulier pour les petites et moyennes entreprises ;
- Intégrer les objectifs de développement durable des Nations unies, afin de veiller à ce que les propositions législatives contribuent au programme de développement durable à l'horizon 2030 ;
- Perfectionner la manière dont l'amélioration de la réglementation aborde et soutient les objectifs de durabilité et la transformation numérique ;
- Intégrer la prospective stratégique dans l'élaboration des politiques afin que celles-ci soient adaptées à l'avenir, par exemple en tenant compte des grandes tendances émergentes dans les domaines écologique, numérique, géopolitique et socio-économique.
L'effort de simplification des recommandations présentées peut cependant être altéré au cours du processus législatif de l'UE et lors de la transposition183(*).
Les efforts de simplification sont donc également attendus de la part du Parlement européen et du Conseil, lesquels sont invités à examiner attentivement les modifications de fond qu'ils proposent, afin de préserver les acquis REFIT des propositions de la Commission. De la même manière, les États membres devraient tenir compte de cette dimension lors de la mise en oeuvre de la législation de l'UE sur le terrain et devrait fournir les données nécessaires pour éclairer les évaluations et les analyses d'impact de la Commission.
Ces efforts déployés par l'Union pour simplifier la législation, éviter une réglementation excessive et réduire les charges réglementaires, sont présentés dans le Annual Burden Survey, dont la dernière édition date de 2021.
Une conférence de haut niveau de décembre 2021 sur l'union des forces pour la prochaine génération d'une meilleure réglementation s'est concentrée en particulier sur le rôle de la réduction et de la simplification des charges pour parvenir à une reprise économique. Les discussions de la conférence ont fortement souligné la nécessité de préserver un équilibre entre les coûts et les avantages de la législation, d'intégrer la prévoyance dans l'ensemble de l'élaboration des lois qu'il s'agit d'améliorer dans un effort conjoint.
Lors d'un entretien à Bruxelles avec M. Luc Hendrickx, directeur de SME united, organisation européenne représentant les petites et moyennes entreprises, le 16 mars 2023, il a été rappelé que : « vouloir exempter les PME d'une réglementation européenne n'est pas une bonne approche. D'une part, cela risque de les mettre hors du marché. D'autre part, cette exclusion est fictive puisque les PME sont dans les chaînes de valeur des grandes entreprises soumises à la réglementation et doivent la répercuter à leur tour. Les PME doivent également, pour accéder aux marchés publics, s'aligner sur les autres entreprises quand bien même elles seraient exemptées du respect d'une réglementation ». Du point de vue de l'organisation européenne, la priorité n'est pas moins de règlementation mais une meilleure règlementation, plus claire avec moins de charges.
b) Le programme REFIT est une supervision générale de l'activité normative de l'UE
Le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT) a été lancé en 2012 afin de simplifier la législation de l'UE et de réduire les coûts inutiles, tout en continuant de garantir son efficacité, tout en préservant les objectifs politiques et des normes élevées, dans l'intérêt à la fois du grand public et des entreprises.
Vos rapporteurs ont rencontré, le 16 mars 2023 à Bruxelles, Mme Antonina Cipollone, cheffe d'unité « Evaluation et analyse d'impact » au sein du Secrétariat général de la Commission européenne, chargée de la plateforme «Prêts pour l'avenir», du programme REFIT et de l'outil « OIOO » (« one it, one out »).
Le programme REFIT permet à la Commission d'examiner systématiquement le potentiel de simplification et de réduction des charges dans toutes les évaluations et dans toutes les propositions de révision de la législation. REFIT est donc une responsabilité partagée entre la Commission, le Parlement européen, le Conseil et les États membres.
Depuis 2017, il exige que toutes les évaluations doivent examiner comment la législation peut être simplifiée et rendu moins lourde et que toutes les études d'impact des révisions législatives doivent analyser le potentiel de réduction et de simplification des charges.
L'UE insiste sur le vecteur de la numérisation pour simplifier : « Aider les particuliers et les entreprises à adopter des solutions numériques en créant un environnement juridique européen propice peut contribuer à réduire la complexité de la législation relative au marché unique et augmenter sa résilience ».
La Commission assure le suivi du programme REFIT par le biais d'un tableau de bord, qui donne un aperçu des initiatives de simplification et de leur statut dans un large éventail de domaines politiques.
Ce processus permet de suivre ces initiatives tout au long de leur cycle de vie. Dans le tableau de bord, l'accent est mis sur les conclusions des évaluations et analyses d'impact, liées aux économies de coûts et possibilités de simplification. Le tableau de bord comprend également des informations sur le résultat du processus législatif, en particulier lors de la modification des amendements introduits par le Parlement européen et le Conseil ayant un impact substantiel sur les objectifs REFIT et les mesures proposées par la Commission.
Depuis 2020, REFIT est également intégré dans le plan de planification et de programmation stratégique de la Commission.
La Commission a incorporé dans son plan stratégique 2020-2024 un indicateur de la proportion de révisions incluant des mesures de réduction des charges. Cet indicateur obligatoire est communiqué par tous les services concernés de la Commission dans leurs rapports annuels d'activité. Ces rapports énumèrent également les initiatives potentiellement significatives de réduction et de simplification des charges.
2. Un souci de la simplification tout au long du cycle de vie d'une initiative normative européenne
La dimension REFIT est prise en considération dès le départ, avec la validation politique d'une initiative. Elle est ensuite suivie dans les évaluations et analyses d'impact. Toutes les évaluations et les bilans de qualité évaluent les coûts et avantages résultant d'une initiative, et tirent les leçons liées à la charge réglementaire potentielle, la complexité ou les inefficacités de la législation. Ces conclusions éclairent les évaluations d'impact ultérieures.
Lorsque la Commission prépare une proposition de révision de la législation, les évaluations d'impact identifient le potentiel de réduction de la charge et de simplification et les quantifient dans la mesure du possible. L'option qui sera préférée sera celle qui prendra compte de la nécessité de simplifier et d'accroître l'efficacité sans affecter les objectifs généraux de la législation.
L'exposé des motifs accompagnant les propositions de la Commission comprend une section REFIT, expliquant les améliorations proposées à la législation d'origine en termes de complexité et de charge réglementaire.
Dans la mesure du possible, des informations quantifiées sont fournies. S'il n'y a pas de proposition pour simplifier ou réduire les coûts réglementaires, les notes explicatives doivent le justifier.
Une bonne qualité de la législation implique également que celle-ci soit claire et facile à respecter. La Commission cherche à supprimer les dispositions obsolètes et à apporter les modifications ultérieures regroupées en un seul acte. Cela se matérialise par des codifications et des refontes de la législation existante, afin d'en faire une législation plus accessible et plus compréhensible.
En 2021, deux propositions de codification de la Commission ont été adoptées par le Parlement et le Conseil, tandis que deux autres déposées par le Commission les années précédentes étaient encore en cours de procédure législative. En 2021, la Commission a également déposé trois nouveaux projets de codification de propositions et 11 propositions de refonte pour le Parlement européen et le Conseil.
Enfin, un principe d'accompagnement des entreprises a été énoncé dans la dernière communication de la Commission sur l'amélioration de la règlementation du 29 avril 2021184(*) : « Pour se conformer à ces normes et bénéficier des avantages qui en résultent, les entreprises doivent souvent investir dans la mise à niveau de leurs chaînes de production, la réduction des dommages environnementaux, l'amélioration de la santé publique ou le relèvement du niveau de protection des consommateurs ou des travailleurs. Si les entreprises ne profitent pas toujours directement de ces changements, elles peuvent néanmoins tirer parti de nouvelles perspectives d'activité, obtenir un avantage concurrentiel ou bénéficier d'avantages indirects, comme l'existence de conditions de concurrence équitables au sein du marché unique. Lorsque les besoins en investissements sont particulièrement élevés et correspondent à des objectifs d'action importants, l'UE et/ou les États membres proposent des instruments spécifiques pour accompagner les adaptations nécessaires ».
Ce dernier principe a toutefois encore été peu mis en pratique.
a) Des outils : l'analyse d'impact et le « test PME »
L'analyse d'impact se fonde sur environ 17 critères d'impacts économiques, sociaux relatifs :
- aux impacts sur le commerce et les investissements internationaux ;
- à l'impact sur le fonctionnement du marché intérieur ;
- à la subsidiarité, à la proportionnalité, ainsi qu'à la valeur ajoutée de l'action communautaire de la proposition ;
- aux impacts sur les petites et les micro-entreprises, etc.
Au fil des ans, les co-législateurs ont ajouté de nouveaux filtres comme :
- un test sur la dimension extérieure de la compétitivité (« competitiveness proofing ») ;
- un test relatif à l'incidence de la proposition sur les petites et moyennes entreprises (Think Small First principle) ;
- un test sur la compatibilité des initiatives de la Commission avec l'économie numérique (« digital proofing »).
Plusieurs pays de l'OCDE se sont cependant inspirés de cette approche185(*), les Pays-Bas étant le pays pionnier qui a introduit la méthode permettant de quantifier monétairement les charges administratives, selon le Standard Cost Model, ce qui a permis de les réduire de 25 % en 5 ans dès 2010.
L'Institut syndical européen186(*) considère toutefois que « l'ensemble des critères qualitatifs (social-emploi, santé et impacts territoriaux notamment) de la toolbox ne sont pas repris de façon systématique et approfondie dans les analyses d'impact » et qu'ils « orientent les initiatives de la Commission européenne, par priorité, vers la prise en compte de la compétitivité au regard des autres objectifs de l'UE (environnement, emploi et protection sociale, santé notamment) et que les indicateurs qualitatifs sont moins valorisés que les facteurs « coûts ». Il regrette que « peu d'informations filtrent sur la méthodologie utilisée pour réaliser les analyses d'impact. Quels organismes ou institutions les réalisent ? Sur la base de quel cahier des charges ? L'intégrité des preuves est-elle assurée ? L'indépendance des contractants est-elle garantie (car il existe un réel marché du conseil) ? Quel est le coût réel de ces études ? ». Au total, comme en France, les analyses d'impact serviraient « plus souvent de justification à la proposition législative que d'exercice préliminaire indépendant ».
Lors de l'Assemblée européenne des PME des 28-30 novembre 2022, réunie à Prague, un atelier a été consacré au « test PME ». À l'initiative des trois organisations européennes SMEunited, Eurochambres et BusinessEurope, 26 analyses d'impact ont été vérifiées sur la base de 4 indicateurs afin d'évaluer si les impacts sur les PME des législations envisagées avaient bien été mesurés et pris en compte. La vérification effectuée fournit un bilan mitigé. Seulement 69 % des analyses d'impact prennent en compte les conséquences sur les PME. Les impacts indirects sont négligés alors qu'ils devraient être également réduits, voire éliminés, par des mesures d'atténuation.
Plusieurs recommandations ont donc été proposées :
· En application du principe « think small first », la Commission européenne doit réfléchir aux besoins des PME dès le début du processus d'analyse d'impact, notamment via une participation systématique et plus inclusive des représentants des PME,
· Les analyses d'impact doivent consacrer des chapitres dédiés à une évaluation approfondie de l'impact sur les PME afin de consolider ces informations de manière claire et transparente,
· Les analyses d'impact doivent faire la distinction entre les différentes catégories de PME (micro, petites et moyennes) afin de permettre une analyse plus granulaire et ciblée de l'impact de chaque initiative,
· Les analyses d'impact doivent également explorer les « conséquences involontaires » sur les PME.
Mme Martina Dlabajova, eurodéputée tchèque et co-présidente de l'intergroupe PME du Parlement européen, a considéré en conclusion que :
· Le « test PME » doit s'appliquer au niveau européen mais aussi national,
· Le « test PME » doit être obligatoire,
· Le Parlement européen devrait refuser d'examiner toute initiative législative émanant de la Commission européenne qui ne serait pas passée par le crible du « test PME ».
b) Une règle : « one in, one out »
Comme en France187(*), la présidente de la Commission européenne von der Leyen a défini une approche « one in, one out » (« un ajout, un retrait ») dans la législation de la Commission et de compensation de toute nouvelle charge pour les entreprises et les citoyens (résultant de propositions législatives de la Commission) en réduisant les charges existantes dans le même domaine.
Ce mécanisme nécessite de comparer les coûts découlant des propositions de la Commission pour les citoyens et les entreprises avec les coûts supprimés par propositions dans le même domaine politique.
La communication 2021 « Pour une meilleure réglementation » expose les grands principes de l'approche qui « permet de s'intéresser non plus seulement aux charges résultant d'actes législatifs spécifiques mais plus largement à l'accumulation des charges dans chaque domaine d'action, et d'avoir ainsi un meilleur aperçu des coûts imposés chaque année dans l'ensemble des domaines d'action »188(*). Il s'agit d'une approche « culturelle » de la politique publique européenne qui invite les décideurs non seulement à garantir la réalisation des objectifs stratégiques mais aussi à s'intéresser de plus près à la manière d'y parvenir.
Ainsi, il n'existe pas d'approche mécanique, par exemple en proposant le retrait d'un acte législatif existant pour chaque nouvelle proposition d'acte législatif. La Commission cherche plutôt à compenser les charges que font peser certaines propositions législatives sur les citoyens et les entreprises par des allégements introduits par d'autres propositions relevant du même domaine d'action : « cela ne signifie pas que chaque nouvelle législation nécessitera le retrait d'une loi existante, mais seulement que les charges pesant sur les personnes et les entreprises sont compensées dans toute la mesure du possible. Nous chercherons à réduire la charge en réalisant des économies dans le même domaine politique. Mais cela ne se fera jamais au détriment de nos normes environnementales, sociales ou socio-économiques »189(*).
Cependant, comme la législation au niveau de l'UE vise généralement à remédier à la fragmentation réglementaire dans les différents États membres en se substituant à 27 systèmes nationaux différents, « ces gains d'efficacité seront pris en compte en tant que retraits », ce qui peut contribuer à limiter la portée de l'allégement de la charge administrative, lequel ne peut se réduire à une simple substitution de l'origine, nationale ou européenne, de la charge supplémentaire.
Par ailleurs, la compensation des coûts est assez flexible avec des aménagements « pour rendre le système plus souple » :
· flexibilité à l'intérieur de la période de référence -- si un «retrait» ne peut être désigné dans le programme de travail de la même année, il en sera fait état l'année suivante ;
· échanges entre domaines d'action dans certaines circonstances exceptionnelles -- si la proposition de législation qui impose des coûts («ajout») est jugée nécessaire mais qu'il n'est pas possible de trouver un «retrait» dans le même domaine, la Commission peut décider de puiser le «retrait» dans un autre domaine d'action.
· exemptions dans certaines circonstances exceptionnelles - s'il existe une volonté politique de réglementer mais qu'il n'est pas possible de désigner une compensation dans le même domaine (par exemple lorsqu'une réglementation concerne des domaines d'action émergents dans lesquels il est nécessaire de combler un vide réglementaire), la Commission peut décider de soustraire la réglementation à l'approche «un ajout, un retrait».
La méthodologie est détaillée dans une boîte à outils190(*) de la Commission pour une meilleure réglementation, document de 608 pages qui fournit des orientations pratiques sur la manière d'estimer les coûts et de les déclarer.
Pour soutenir ce processus, le calculateur « un entrant, un sortant » a été conçu pour permettre une agrégation comparable des coûts dans l'ensemble de la Commission.
Outil interne des services de la Commission, pour calculer et enregistrer les coûts administratifs nouveaux et supprimés, ainsi que la charge administrative pour chaque proposition couverte par la simplification et l'exercice de réduction des charges, il utilise la norme européenne du modèle de coût standard, basé sur le temps nécessaire pour effectuer une obligation, multiplié par le coût horaire moyen de la main-d'oeuvre (tarif)191(*).
De même, l'outil permet de calculer la charge sur une base unitaire (par exemple, essai clinique, voyage, etc.). De plus, il permet une évaluation ponctuelle des frais de gestion.
Les initiatives normatives européennes ne se contentent pas d'ajouter des coûts ou de les supprimer. De nombreuses initiatives mènent les deux de front. Ils ajoutent des coûts tout en introduisant en même temps des économies de coûts. Le calculateur répond à ces situations.
c) Un pilote politique : un vice-président de la Commission européenne en charge de la simplification
Vos rapporteurs ont rencontré, le 16 mars 2023 à Bruxelles, M. Carsten Schierenbeck, conseiller chargé de la meilleure réglementation et Mme Camille Hubac, conseillère, au cabinet de M. Maros Sefcovic.
La Commission a en effet créé un groupe d'experts de haut niveau, le « Fit for Future Platform », en mai 2020 pour identifier des opportunités, simplifier et moderniser la législation européenne existante et supprimer les charges inutiles provenant de la législation de l'UE. Ce groupe aide la Commission à améliorer la législation de l'UE, en lui remettant des avis sur les possibilités de simplification, de réduction de la charge et de modernisation en ce qui concerne la législation actuelle.
La Plateforme, présidée par le Vice-président de la Commission responsable des relations interinstitutionnelles et de l'administration, Maro efèoviè, complète l'avis de la Commission avec les opinions et l'expérience de ses membres. Elle est constituée d'experts de haut niveau composé de représentants des administrations nationales, des régions, des employeurs, les syndicats, les petites et grandes entreprises ainsi que les consommateurs, la santé et des organisations environnementales et non gouvernementales, le Comité des régions et le Comité économique et social européen.
Au cours de son mandat de cinq ans, la Plateforme est chargée de soutenir les efforts de la Commission pour :
· réduire les charges et les coûts inutiles ;
· simplifier la législation européenne existante ;
· veiller à ce que les politiques de l'UE soient tournées vers l'avenir et pertinentes à la lumière des nouveaux développements et des progrès technologiques.
Ces objectifs comprennent l'exploitation du potentiel de la numérisation pour la réduction et la simplification des charges.
UN PREMIER PROGRAMME DE TRAVAIL POUR 2021 La plateforme Fit for Future a adopté son premier programme de travail annuel au printemps 2021. Le programme annuel a été établi par Les membres de la plateforme, sur proposition et en accord avec secrétariat général de la Commission. Il comprenait principalement des évaluations majeures de la réglementation et des révisions législatives effectuées par la Commission et pris en compte les contributions fournies par les États membres, celles envoyés par les PME du réseau, le Comité des Régions et RegHub, ainsi que le Comité économique et social européen. Le programme de travail annuel 2021 s'articule autour de quatre axes clés : numérisation, étiquetage efficace, obligations d'autorisation et simplification de la législation de l'UE. Il comprenait 15 sujets. La plate-forme a recueilli des preuves tout au long de l'année et a formulé des suggestions lors de diverses rondes de consultation. La force des opinions vient des solutions concrètes que les membres de la Plateforme - représentant différents intérêts et positions - proposent et définissent conjointement. Malgré les circonstances difficiles (travail à distance), la plateforme a adopté et complété l'ensemble de ses 15 avis du programme de travail pour 2021. Dans l'ensemble des avis, les membres ont soumis plus de 150 contributions, qui ont abouti à la formulation de 90 suggestions précises. Celles-ci concernent le potentiel de simplification de la législation de l'UE dans des domaines tels que la concurrence, la finance, la santé, l'environnement, les statistiques, les transports, douanes et marché unique. |
Tous les avis de 2021 ont été pris en compte dans les travaux préparatoires de la Commission.
Les individus et les organisations peuvent également contribuer aux travaux de la Plateforme en fournissant des commentaires sur la plate-forme « Exprimez-vous : simplifiez ! ». Grâce à ce portail, les parties prenantes peuvent partager leurs points de vue et leurs expériences sur tout élément du programme annuel de la plateforme Fit for Future ou suggérer d'autres sujets à prendre en compte par la Plateforme.
La plateforme collabore en outre avec le « réseau des émissaires des PME », qui fournit des conseils et des contributions, en particulier sur les charges et la complexité de la législation, affectent les petites et moyennes entreprises. Ses travaux bénéficient également de la contribution du Comité du réseau « RegHub » des Régions qui fédère des autorités locales192(*), qui recueillent des expériences sur la mise en oeuvre des politiques de l'UE en consultant les parties prenantes localement.
Dans le cadre du programme de travail annuel de la Plateforme, le Comité du réseau RegHub des Régions a travaillé en 2021 sur les obstacles que rencontrent les administrations locales et régionales dans le déploiement des projets d'infrastructure et des solutions proposées. Cela fait suite à une demande spéciale du président de la plateforme, le Vice-Président Maro efèoviè, étant donné l'importance de cette question pour la maîtrise des transitions, verte et numérique, et la réalisation des objectifs européens du Green Deal. Pour identifier les projets d'infrastructure à fort intérêt, le RegHub a mené deux consultations au printemps et à l'automne 2021. L'analyse du rapport se concentre sur les problèmes liés aux infrastructures de transport, le déploiement du haut débit ainsi que l'impact environnemental des évaluations et infrastructures vertes.
d) Un organe indépendant de contrôle des efforts de simplification
La Commission européenne a créé en 2015 le « comité d'examen de la réglementation », organisme indépendant193(*), composé de 7 et bientôt 9 membres194(*), qui conseille le collège des commissaires. Vos rapporteurs ont eu un entretien, le 16 mars 2023, avec M. Rytis Martikonis, président de ce Comité.
Il garantit la qualité portant sur les analyses d'impact et les évaluations, dès les premiers stades du processus législatif. Les travaux du comité relatifs aux analyses d'impact renforcent les évaluations ultérieures, et inversement. Il publie des rapports annuels sur les travaux entrepris pour mener à bien sa mission.
Le comité vérifie la qualité des estimations de coûts présentées dans les analyses d'impact. Il vérifie les bilans de qualité et les évaluations importantes de la législation en vigueur, et émet des avis et des recommandations à leur sujet. Il conseille également le secrétariat général de la Commission sur la politique d'amélioration de la réglementation.
Les avis du comité contiennent des recommandations adressées aux services de la Commission sur la manière d'améliorer les projets de rapports. Le comité ne prend aucune décision concernant des initiatives ou des objectifs stratégiques: ce rôle appartient au collège des commissaires.
Les avis émis par le comité sur les analyses d'impact peuvent être « favorables », « favorables avec des réserves » ou « défavorables ». En ce dernier cas, le projet de rapport doit être réexaminé et présenté de nouveau au comité pour que la Commission puisse poursuivre la procédure. Lorsque le comité a rendu deux avis défavorables, seul le vice-président chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective peut soumettre l'initiative au collège des commissaires pour décider s'il y a lieu ou non de poursuivre la procédure. Toutes les analyses d'impact et les avis correspondants du comité sont publiés en ligne, une fois que la Commission a adopté la proposition concernée. Les rapports des évaluations et des bilans de qualité, ainsi que les avis correspondants du comité, sont également publiés en ligne.
Preuve de l'efficacité du processus, selon son président, « si 4 avis doublement défavorables ont été rendus en 2021, dont l'un concernant le projet de directive sur le devoir de vigilance, aucun ne l'a été en 2022. Suite à ces avis, le Conseil a accordé plus d'attention aux estimations de coûts lors de son examen et a également communiqué sur son expérience dans son rapport annuel. Il a plus clairement distingué les différentes catégories de coûts et mieux quantifié les coûts administratifs et les économies. Le pourcentage d'évaluations d'impact qui fournissent au moins une quantification des coûts et bénéfices est passé de 80 % à 90 %, tandis que les évaluations pleinement quantifiées sont passées de 30 % à 50 % »195(*).
L'avis du comité accompagne le projet d'initiative et l'analyse d'impact tout au long du processus décisionnel de la Commission.
Le comité ne se prononce pas en opportunité et n'examine pas toutes les évaluations de la Commission. Seul un certain nombre d'évaluations importantes sont sélectionnées chaque année, sur la base de la pertinence et des priorités politiques de la Commission, soit 70 à 80 par an. En cas d'urgence cependant, l'avis n'est pas sollicité.
Cela a été le cas pour le « Green Deal », présenté le 1er février 2023196(*) comme réponse à l'Inflation Reduction Act américain, qui prévoit un nouvel assouplissement des règles sur les aides d'État jusqu'à fin 2025, une réorganisation de budgets européens existants en faveur du développement de l'économie verte et une accélération des procédures d'autorisation des projets de « clean tech »197(*), ainsi qu'une législation pour le développement de l'industrie décarbonée, ou « Net-Zero Industry Act », visant à accélérer les procédures d'autorisation et à alléger la charge administrative.
e) Un objectif : simplifier pour accélérer la transition écologique
La simplification comme instrument de compétitivité, d'agilité et d'accélération de nos économies dans la transition écologique est en effet l'une des priorités de la Présidente von der Leyen énoncées lors de son discours du 16 mars 2023 à la session plénière du Parlement européen sur la préparation de la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023 : « Avec le règlement pour une industrie à zéro émission nette, il est donc question essentiellement de rapidité et d'assouplissement. Nous sommes en train de simplifier les formalités d'autorisation. Nous travaillons actuellement avec des sas réglementaires. Nous allons mettre en place des régimes d'aide d'État plus simples. Et nous allons autoriser des allégements d'impôts et l'utilisation flexible des fonds européens. Donc, en un mot, le règlement pour une industrie à zéro émission nette garantira non seulement une rapidité et une simplification accrues, mais prévoira aussi un financement ».
La simplification est l'un des outils à la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l'inflation - IRA), du gouvernement américain réservant les 340 milliards d'euros de subventions et crédits d'impôt pour soutenir les énergies renouvelables, l'hydrogène et d'autres technologies propres aux biens fabriqués aux États-Unis ou utilisant des produits qui le sont, risquant ainsi de conduire à une nouvelle vague de délocalisations des entreprises européennes.
La réponse de l'Europe est l'assouplissement des règles en matière de financement national afin de rendre les aides plus accessibles et la simplification des démarches administratives pour le photovoltaïque et l'énergie éolienne, les pompes à chaleur, le stockage de l'énergie et les électrolyseurs.
Cette stratégie environnementale et sanitaire prévoit de fixer des objectifs environnementaux très ambitieux, associés à un renforcement des exigences en matière sanitaire. Cependant, dans le contexte actuel, aucune entreprise n'a la capacité de réaliser la totalité des exigences qui lui sont demandées. En outre, les dispositifs de soutien public sont assez peu utilisés par certaines entreprises réticentes à s'engager dans un processus d'obligations règlementaires, même « accompagnées », au profit de projets volontaires ou d'anticipation d'obligation règlementaire à venir.
Un travail de priorisation dans le temps de ces nouvelles normes environnementales pourrait être effectué sur la base de deux critères : d'une part, la pertinence de la mesure pour atteindre les objectifs climatiques de décarbonation, d'autre part, le niveau de robustesse scientifique de l'action proposée.
* 182 https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say_fr
* 183 Commission européenne : « Améliorer la réglementation: pourquoi et comment »,
https://commission.europa.eu/law/law-making-process/planning-and-proposing-law/better-regulation_fr
* 184 « Une meilleure réglementation: unir nos forces pour améliorer la législation » ; communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions du 29 avril 2021 COM(2021) 219 final.
* 185 « One-In, X-Out: regulatory offsetting in selected OECD countries », OCDE, 2019.
* 186 « L'Union européenne à l'épreuve du « Mieux légiférer » De l'urgence de changer de logique pour sauver le projet européen ! » Eric Van den Abeele, février 2019, Institut syndical européen.
* 187 Circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact et l'application.
* 188 « Une meilleure réglementation: unir nos forces pour améliorer la législation » ; communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions du 29 avril 2021 COM(2021) 219 final.
* 189 Discours du Vice-President efèoviè à la conférence de haut niveau : « Joining forces for the next generation of Better Regulation », 2 December 2021.
* 190 br_toolbox-nov_2021_en_0.pdf (europa.eu).
* 191 D'autres méthodes d'estimation sont autorisées s'il est démontré que la disponibilité des données est limitée. Par exemple, lorsque des informations détaillées ne sont pas disponibles pour les composants de base de la formule du modèle de coût standard (c'est-à-dire le temps et tarif), une estimation du coût d'une obligation d'information par une société/personne peut être fournie à la place.
* 192 Il comprend 46 entités régionales dont 3 régions françaises : Bretagne, Hauts-de-France et Corse.
* 193 Tous les membres travaillent pour le comité à temps plein, sans occuper d'autres responsabilités politiques. Leur mandat, de trois ans non renouvelable, peut être prolongé d'un an au maximum dans des circonstances exceptionnelles. Le comité agit indépendamment des services chargés d'élaborer les politiques et de tout organe, institution, bureau ou agence de l'UE.
* 194 Un directeur général de la Commission qui préside le comité ; trois hauts fonctionnaires de la Commission ; trois experts recrutés en dehors de la Commission. Deux autres experts indépendants devraient être bientôt désignés afin de renforcer l'indépendance du comité.
* 195 Entretien du 15 mars 2023.
* 196 https://commission.europa.eu/system/files/2023-02/COM_2023_62_2_EN_ACT_A%20Green%20Deal%20Industrial%20Plan%20for%20the%20Net-Zero%20Age.pdf
* 197 Ce terme regroupe tous types de technologies, techniques et produits industriels ayant une plus-value environnementale