E. L'EXEMPLE BRITANNIQUE : MALGRÉ LE BREXIT, UN CLIMAT NORMATIF FAVORABLE AUX ENTREPRISES
En Grande-Bretagne, la volonté d'alléger les normes pesant sur les entreprises se heurte à une complexification liée à la mise en oeuvre juridique du Brexit.
Les représentants des PME, rencontrés à Londres le 2 juin 2023, ont ainsi estimé que les conséquences du Brexit et de la transition présentaient « un moment opportun pour l'introduction de propositions de réforme réglementaire pour réduire considérablement le fardeau réglementaire des petites entreprises en minimisant le volume des exigences réglementaires pour les entreprises », car les PME britanniques, qui comptent entre 50 et 249 employés consacrent en moyenne plus de 22 jours de travail par mois à la réglementation. Ils regardent avec intérêt l'expérience de la province canadienne de la Colombie-Britannique au Canada où un ministre a été désigné pour superviser les progrès du Ministère vers un objectif de réduction de la réglementation d'un tiers en trois ans, au motif que « lorsque les performances des entreprises sont entravées par un ralentissement économique, les entreprises deviennent encore plus conscientes de la nécessité d'une réforme de la réglementation », ce qui a été le cas avec la crise du COVID.
Cependant, les entreprises britanniques ont manifesté leur préférence pour la stabilité de la complexité si la simplification s'accompagne d'incertitudes.
1. La complexité de l'abrogation de la législation européenne
La thématique du « take back control », au coeur du Brexit, se traduit par une volonté de se débarrasser aussi vite que possible de l'héritage normatif hérité de l'Union européenne afin que le Royaume-Uni puisse retrouver son identité juridique basée sur la common law et gagner en compétitivité à travers une « agilité normative » accrue, mais aussi d'une vision politique, cherchant à rendre visible les changements promis par le Brexit dont les effets négatifs sont de plus en plus documentés.
Ainsi, le gouvernement britannique a lancé en 2021 une consultation sur la réforme du cadre pour une meilleure réglementation (Framework for Better regulation) qui vise à prévoir une réglementation plus souple et adaptable, reposant davantage sur la Common Law et l'action des régulateurs sectoriels. Ce travail faisait suite à un rapport de la Taskforce on Innovation, Growth and Regulatory Reform (TIGRR) de juin 2021 et a été retranscrit dans un rapport, début 2022, sur les « bénéfices du Brexit ».
Ces travaux proposent un encadrement réglementaire beaucoup plus souple et adaptable, conférant des pouvoirs étendus aux régulateurs, qui seraient en mesure de favoriser la concurrence et l'innovation, notamment à travers l'expérimentation de « bacs à sable réglementaires » (regulatory sandboxes). En contrepartie, la responsabilité de ces régulateurs devant le Parlement serait accrue pour s'assurer de leur efficacité et de l'atteinte de leurs objectifs. La mise en oeuvre de ces principes s'applique progressivement, dans les secteurs tels que la finance ou le numérique notamment.
Dans un premier temps, le recensement du corpus législatif hérité de l'UE a conduit à identifier 2 417 textes, présentés dans un tableau de bord et publiés en juin 2022. Cependant, postérieurement, plus de 1 400 textes supplémentaires ont été identifiés.
Le projet de loi « Retained EU Law Bill »216(*) présenté au Parlement le 22 septembre 2022 doit opérer le basculement vers ce nouvel univers juridique. Or, ses délais très contraints217(*) et sa mécanique implacable, avec une clause d'extinction (« sunset clause »), n'ont pas manqué pas d'inquiéter les acteurs économiques notamment en raison du risque élevé de double insécurité juridique qui serait créé, d'une part, par le vide juridique lié à la disparition de la norme, et, d'autre part, par le risque de jurisprudences contradictoires émanant des juges britanniques. Par ailleurs, un abaissement des standards en vigueur sur le marché britannique pourrait créer des coûts supplémentaires pour les entreprises déjà confrontées à un contexte économique difficile. Enfin, le Committee of Public Accounts de la Chambre des communes a récemment publié un rapport dans lequel il souligne que les régulateurs britanniques « luttent pour recruter et conserver les compétences dont ils ont besoin pour réglementer efficacement » dans leurs rôles nouveaux et élargis après la sortie de l'UE.
Dans ce contexte, le nouveau gouvernement de Rishi Sunak a revu à la baisse ce projet de « dénormalisation européenne » massive d'autant plus irréaliste que le Gouvernement entend supprimer des dizaines de milliers d'emplois de fonctionnaires alors qu'il faudrait 400 personnes au sein du seul ministère en charge des affaires, de l'énergie et de la stratégie industrielle (BEIS) pour passer en revue les 300 textes législatifs hérités de l'Union européenne. Une approche moins systémique et plus stratégique et sectorielle de la législation, centrée sur les secteurs clés pour la croissance (numérique, sciences de la vie, industries « vertes », services financiers, industrie de pointe), devrait conduire à ralentir le processus de révision.
2. Deux instances pour simplifier la norme britannique
a) Une instance de simplification ex ante
Le Better Regulation Executive (BRE) est une structure administrative du ministère des affaires et du commerce, qui dirige le programme de réforme réglementaire au sein du gouvernement et est responsable de l'amélioration de la réglementation dans l'élaboration des politiques commerciales218(*). Il s'agit notamment de :
- la publication d'orientations sur la manière de mettre en oeuvre le cadre pour une meilleure réglementation, le suivi de l'objectif d'impact sur les entreprises et la publication d'un rapport annuel ;
- l'objectif d'impact sur les entreprises (Business Impact Target) et la publication d'un rapport annuel, ainsi que la fourniture de conseils et de soutien aux Better Regulation Unit (BRU). Chaque ministère dispose d'une unité chargée de l'amélioration de la réglementation (BRU), qui supervise ses processus d'amélioration de la réglementation et donne des conseils sur la manière de respecter les exigences transversales.
Par ailleurs, le Comité de politique réglementaire (RPC) fournit une évaluation indépendante du coût de la nouvelle réglementation sur les entreprises et examine les évaluations ministérielles d'impact pour s'assurer qu'elles sont adaptées à l'objectif.
Les départements ministériels sont tenus de suivre les directives de meilleure réglementation et les exigences légales, de préparer des évaluations d'impact en indiquant le coût de la nouvelle réglementation sur les entreprises, lequel doit être validé par le RPC.
Les administrations sont assistées par le Better Regulation Executive pour mettre en oeuvre les principes d'amélioration de la réglementation. Organe de contrôle indépendant, il fournit un contrôle externe, transparent et en temps réel sur la qualité de l'argumentation et des analyses prônant les changements réglementaires qui affectent les entreprises et la société civile. Il émet des avis, contribue à garantir que les décisions sur les propositions législatives reposent sur une solide base de données factuelles, donne aux entreprises et au public l'assurance que les revendications du gouvernement sur la réforme réglementaire sont crédibles. Il ne se prononce pas sur l'opportunité du projet de norme.
Il n'est obligatoirement saisi que si le projet de norme a un coût direct net annuel sur les entreprises supérieur à 5 millions de livres sterling. En deçà, son avis est facultatif.
Il organise des consultations publiques ouvertes, y compris de la part d'acteurs internationaux, et équitables visant à maximiser la transparence et à solliciter les points de vue des parties prenantes à un stade précoce, selon les « Principes de consultation du gouvernement » (publiés en 2012, révisés en 2018), qui incluent l'obligation de prendre en considération les observations des parties prenantes. La consultation est en ligne et régulièrement publiée (sur gov.uk).
La méthode d'évaluation de l'impact de la réglementation (AIR) est utilisée pour toutes les propositions réglementaires importantes (sous réserve d'un seuil) afin de s'assurer que les décisions politiques sont prises sur la base de preuves solides, que les alternatives (y compris les possibilités non réglementaires) ont été examinées, que les impacts sociaux, environnement, commerce, risques, impacts spécifiques sur les petites et micro-entreprise, ont été étudiées.
L'impact sur les PME est particulièrement prise en considération. L'étape du « small and micro business assessment » (SaMBA) pour les entreprises de moins de 10 salariés, obligatoire depuis 2015, encourage les départements et les régulateurs à réfléchir à l'impact que la mise en oeuvre d'une réglementation donnée aura sur les petites ou micro-entreprises. Si l'impact est disproportionné, les PME sont exemptées ou la norme leur est appliquée de façon différenciée219(*).
Enfin, 5 ans après l'édiction de la norme, celle-ci est, depuis 2015, systématiquement passée en revue (« Post Implementation Review », PIR) afin de déterminer son prolongement, son amendement, son retrait, ou son remplacement.
b) Une instance de simplification ex post
La Law Commission, organisme statutaire indépendant, est composée de 5 commissaires, dont le président est un juge (pour un mandat de 3 ans), les 4 autres membres, juristes, étant nommés pour un mandat de 5 ans, lesquels sont assistés de 50 fonctionnaires.
Son objectif est de :
- veiller à ce que le droit soit aussi équitable, moderne, simple et rentable que possible ;
- mener des recherches et des consultations afin de formuler des recommandations systématiques à l'attention du Parlement ;
- codifier le droit, éliminer les anomalies, abroger les textes obsolètes et inutiles et réduire le nombre de lois.
Le collège des 5 commissaires doit statuer à l'unanimité pour proposer l'abrogation de lois devenues obsolètes, mais aussi de nouvelles lois, de manière à moderniser et simplifier la législation, d'éviter des coûts inutiles et que les gens soient induits en erreur par des lois qui ne sont plus applicables.
Elle présente ses recommandations au gouvernement sous la forme de rapports d'abrogation de lois, publiés avec un projet de loi, ou de « législation secondaire », qui recouvre, en France, le domaine réglementaire. Elle intervient sur le stock mais non sur le flux (sur les projets de lois du gouvernement).
La mise en oeuvre de ses recommandations d'abrogation se fait par le biais de projets de loi spéciaux, qui peuvent faire l'objet d'une procédure d'examen accélérée s'ils sont jugés « non controversés ».
Depuis 1965, 19 projets de loi de ce type ont été adoptés, abrogeant plus de 3 000 lois dans leur intégralité.
La Law Commission est tenue de soumettre au gouvernement des « programmes pour l'examen de différentes branches du droit en vue d'une réforme ». Tous les trois ou quatre ans, elle procède ainsi à une large consultation, en demandant des suggestions de projets appropriés à inclure dans ses programmes. La décision d'inclure ou non un projet se fonde sur les éléments suivants :
- la nécessité de réformer le droit,
- l'importance des questions qu'il couvrira,
- la disponibilité des ressources en termes d'expertise et de financement,
- l'aptitude du projet à être traité par la Commission.
Plus des deux tiers des propositions de la Commission en matière de réforme du droit ont été mises en oeuvre. Lorsque la Law Commission publie un rapport, le ministre concerné doit fournir une réponse, provisoire dès que possible (au plus tard six mois après la publication du rapport), puis une réponse finale, dans un délai maximal d'un an à compter de la publication du rapport.
Le processus est très transparent. Quand un projet concerne les entreprises, les parties prenantes (dont les clients) sont consultées afin de trouver des recommandations acceptables par tous. La méthode de consultation permet de faire évoluer le projet de simplification en fonction des sollicitations.
La méthode est consensuelle et si les parlementaires conservent un droit d'amendement sur les projets issus des travaux de la Law Commission, le gouvernement fait en sorte qu'ils ne dénaturent pas le processus en y associant l'opposition.
À titre d'exemple, la Law Commission se penche actuellement sur la révision de lois vieilles de plusieurs décennies concernant les locataires professionnels, utilisées par les entreprises qui louent des magasins, des bureaux et d'autres locaux commerciaux220(*).
La Law Commission permet à l'administration de travailler sur des sujets complexes et chronophages ou intéressant peu les politiques. Ses recommandations aident les entreprises ou la société en mettant à l'agenda des réformes auxquelles il ne serait pas procédé sans son intervention.
* 216 https://researchbriefings.files.parliament.uk/documents/CBP-9638/CBP-9638.pdf
* 217 Il fixe l'échéance finale de la législation héritée de l'UE au 23 juin 2026, soit 10 ans jour pour jour après le référendum sur le Brexit.
* 218 Sa compétence ne concerne pas les dispositions réglementaires en matière d'impôts, de droits ou de prélèvements ; les marchés publics ; les subventions ou autres aides financières par ou au nom d'une autorité publique ; les mesures qui auront effet pendant une période de moins de 12 mois. ; les dispositions relevant de la compétence législative des administrations décentralisées (c'est-à-dire le Parlement écossais, l'Assemblée nationale du Pays de Galles et l'Assemblée d'Irlande du Nord).
* 219 Liz Trust, alors Premier ministre, avait annoncé, le 2 octobre 2022, son intention d'étendre ces exemptions aux entreprises de moins de 500 employés pour les réglementations futures et révisées, ce qui signifie que 40 000 entreprises supplémentaires auraient été « libérées de la bureaucratie future et des formalités administratives qui sont coûteuses et fastidieuses pour toutes sauf les plus grandes entreprises ». L'exemption devait être appliquée « de manière proportionnée pour garantir la protection des droits des travailleurs et d'autres normes, tout en réduisant la charge pour les entreprises en croissance ». L'extension potentielle du seuil aux entreprises de 1 000 employés était évoquée, une fois que l'impact sur l'extension actuelle sera connu.
* 220 La loi de 1954 sur les propriétaires et les locataires (Landlord and Tenant Act 1954) donne aux entreprises le droit d'acquérir un nouveau bail pour leurs locaux à l'expiration du bail existant - ce que l'on appelle la « sécurité d'occupation ». Or, les personnes qui s'appuient sur cette loi la jugent rigide, bureaucratique et obsolète, ce qui entraîne des coûts et des retards supplémentaires pour les propriétaires et les locataires et empêche l'occupation rapide et efficace des locaux dans les grandes rues et centres commerciaux. Ainsi, de nombreux propriétaires et entreprises qui concluent des baux décident désormais d'exclure la « sécurité d'occupation », ce qui prive les entreprises de leur droit de longue date à un nouveau bail. L'étude de la Law Commission examinera les problèmes posés par la législation existante en vue d'élaborer un cadre juridique moderne qui soit largement utilisé et permettra de soutenir la résilience à long terme des rues commerçantes, en s'assurant que la législation actuelle est adaptée au marché commercial actuelle.