C. LES PROGRÈS DU PLAN CHLORDÉCONE IV
1. Une nouvelle structuration et un budget augmenté
Le plan chlordécone IV, lancé en 2021 pour une durée de 7 ans, a tenté de répondre aux critiques et recommandations émises dans le cadre de ces évaluations et du rapport d'enquête réalisé à l'Assemblée nationale 136 ( * ) .
Ce plan, qui dispose d'un budget de 92 millions d'euros, a été structuré autour de trois stratégies thématiques (« santé - environnement - alimentation », « santé - travail » et « socio-économique » qui correspondent respectivement à 59 %, 1,5 % et 5,6 % du budget prévisionnel) et trois stratégies transversales (« communication », « recherche » et « formation et éducation » qui correspondent respectivement à 4,4 %, 29,1 % et 0,4 % du budget prévisionnel). En s'appuyant sur les acquis des plans précédents, ce plan a pour objectif de protéger la population des risques sanitaires, soutenir l'agriculture et la pêche et tendre vers le « zéro chlordécone » dans l'alimentation, développer les recherches sur la chlordécone, et rétablir la confiance de la population antillaise envers l'État grâce à une meilleure information et une action en commun.
Du point de vue financier, ce plan bénéficie d'une hausse des moyens, avec une augmentation d'environ 20 % du budget annuel par rapport au premier plan chlordécone, le mieux doté jusqu'alors avec un budget de 33 millions d'euros pour 3 ans (2008-2010).
Le système de pilotage du plan a été réformé avec la création d'un Comité de pilotage stratégique national, co-présidé par la directrice générale des outre-mer et le directeur général de la santé et rassemblant un représentant de chacun des ministères compétents, des représentants des préfectures de Guadeloupe et de Martinique, des collectivités territoriales et des élus nationaux, et des Comités de pilotage locaux, présidés par les préfets et associant l'ensemble des parties prenantes (élus, professionnels agricoles, professionnels de santé, experts, associations environnementales et de consommateurs). En outre, un poste de directeur de projet chargé de la coordination interministérielle du plan a été créé, dans le but d'assister les directeurs généraux des outre-mer et de la santé et de suivre la bonne mise en oeuvre des mesures du plan et leur exécution budgétaire.
2. Une recherche mieux coordonnée
Un Comité de pilotage scientifique national (CPSN) a été créé afin de programmer, animer et coordonner les actions de recherche. Présidé par le Pr Guido Rychen, il s'appuie sur la Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles (CLoReCA) qui réunit les acteurs de la recherche aux Antilles, des représentants de l'État, des associations et les collectivités afin d'organiser un dialogue sur les questions scientifiques et répondre aux attentes de la population et des élus. Cette structuration, qui bénéficie d'un chargé de mission recruté à temps plein, entend répondre aux défaillances constatées dans les plans précédents et porter une recherche ambitieuse sur la chlordécone.
Un premier appel à projets pleinement consacré à la chlordécone, soutenu par l'Agence nationale de la recherche, la collectivité territoriale de Martinique et la région Guadeloupe a permis de financer 6 projets pour un total de 8,8 millions d'euros 137 ( * ) . À titre de comparaison, depuis les 17 années d'existence de l'ANR, 12 projets ont été financés dans le cadre des appels à projets génériques pour un total de 5,2 millions d'euros 138 ( * ) .
Le plan offre de nouvelles perspectives quant à la mobilisation des sciences humaines et sociales. Les projets soumis dans le cadre de l'appel à projets lancé par l'ANR en 2022 devaient nécessairement intégrer un axe de travail sur l'identification des freins et des leviers aux échanges et aux interactions entre science et société. De même, le programme de recherche pluridisciplinaire mené par l'Institut national du cancer comporte un axe de travail sur l'expérience individuelle, les mobilisations sociales et les dispositifs institutionnels liés à la contamination par les pesticides. Enfin, on peut noter que la vice-présidence du CPSN a été confiée à M. Justin Daniel, professeur de science politique à l'Université des Antilles, ce qui témoigne d'une volonté de donner une place plus importante à ces disciplines.
3. Une indispensable inclusion de la population
Contrairement aux plans précédents, le plan chlordécone IV a été construit grâce à la contribution de groupes de travail associant services de l'État, collectivités locales, représentants de la société civile et organisations professionnelles. Bien que les réunions publiques initialement prévues au premier semestre 2020 n'aient pas pu être conduites du fait de la crise sanitaire, les citoyens ont été invités à s'exprimer sur les mesures du projet de plan au travers d'une consultation publique organisée à l'automne 2020, via des permanences organisées dans plusieurs mairies et un site internet dédié. Plus de 1 500 contributions écrites émanant de citoyens, d'associations et de professionnels ont ainsi proposé des améliorations.
La publication d'un bilan annuel du plan qui indique l'avancement des différentes mesures, leur exécution budgétaire et les résultats des analyses conduites constitue une amélioration en termes de transparence 139 ( * ) . La présentation de ce bilan aux élus guadeloupéens et martiniquais par M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des Outre-mer, et Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des professions de santé, est également à saluer, bien que des actions de communication à l'égard de la population soient également nécessaires.
Concernant la communication des connaissances scientifiques, la rédaction d'un « point de situation 2022 sur les connaissances scientifiques » 140 ( * ) par le Comité de pilotage scientifique national (CPSN) devrait permettre de lutter contre la circulation de fausses informations. Cependant, des efforts devront être réalisés afin de faire connaître l'existence de ce document et en assurer la diffusion parmi la population. Dans le cadre des « Rencontres chlordécone 2022 », de courtes vidéos ont également été produites par le Carbet des sciences, association martiniquaise de médiation scientifique, afin que des chercheurs puissent répondre aux questions de la population 141 ( * ) . En complément, il serait pertinent, qu'avec l'appui de la Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles (CLoReCA) et un soutien financier du plan chlordécone IV, les chercheurs antillais mobilisés sur cette thématique puissent organiser des conférences destinées au grand public pour transmettre ces informations.
Le colloque scientifique organisé dans le cadre des « Rencontres chlordécone 2022 » a eu le mérite de réunir en une unique session les recherches portant sur l'environnement, la santé et les sciences humaines sociales. En revanche, les journées d'information destinées à la société civile étaient organisées de manière séparée. Au cours des prochaines éditions, il serait souhaitable qu'un rapprochement ait lieu entre ces évènements et qu'une place plus importante soit offerte au mouvement associatif au sein du colloque scientifique, dans une démarche de démocratie sanitaire inspirée de la lutte contre l'épidémie de sida.
La mise en place d'ateliers et d'activités pédagogiques destinés à sensibiliser les populations aux problématiques liées à la chlordécone et aux méthodes pour se prémunir d'une contamination, comme la création d'un jeu de société (dénommé « chlordicus ») et d'un « escape game » ainsi qu'une pièce de théâtre « Djol dou » et un spectacle « Joséphine2b » sont autant d'initiatives de communication complémentaires.
Enfin, la formation de professionnels de santé doit être accélérée et proposée à l'ensemble des soignants antillais afin que ceux-ci puissent être en mesure de répondre aux questionnements de la population sur cette thématique. La formation d'enseignants et d'éco-délégués doit également être poursuivie, ceux-ci pouvant ensuite jouer un rôle de relais de confiance auprès de la population. Dans cette perspective, il convient de souligner la démarche de l'Agence régionale de santé (ARS) de Martinique qui a récemment mis en place un appel à projets afin de mobiliser des associations locales et différents acteurs locaux pour porter les messages de prévention.
* 136 « Plan stratégique de lutte contre la pollution contre la chlordécone », 2021 ( https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_chlordecone_iv_fevrier_2021-2.pdf ).
* 137 Agence nationale de la recherche, « Appel à projets sur la pollution par la chlordécone aux Antilles : six projets de recherche lauréats », 2022 ( https://anr.fr/fr/actualites-de-lanr/details/news/appel-a-projets-sur-la-pollution-par-la-chlordecone-aux-antilles-six-projets-de-recherche-laureats/ ).
* 138 Parmi ces 12 projets, 8 portaient exclusivement sur la chlordécone, 3 sur la chlordécone et d'autres molécules et 1 sur l'utilisation de sargasses pour traiter la pollution due à la chlordécone.
* 139 « Plan stratégique de lutte contre la pollution par la chlordécone 2021-2027. Premier bilan annuel. Situation au 31 mars 2022 », 2022
* 140 Comité de pilotage scientifique, « Point de situation 2022 sur les connaissances scientifiques » 2022 ( https://www.chlordecone-infos.fr/sites/default/files/documents/Livretchlordecone2023.pdf ).
* 141 Ces vidéos sont disponibles sur la chaîne YouTube de l'association, voir : https://www.youtube.com/playlist?list=PLptVk_qLsXeHTx6fbSZzoHrE5FxU2Aatz