B. À PLUS COURT TERME, DES PISTES INTÉRESSANTES D'AMÉLIORATION DU SYSTÈME SONT PRÉSENTÉES

1. Une proposition bienvenue de renforcement de la gouvernance des finances locales, rendu nécessaire par la place croissante de la fiscalité partagée

La Cour des comptes a rappelé l'importance de l'enjeu du renforcement de la gouvernance des finances locales, condition sine qua non de succès de toute réforme compte tenu de la diversité des situations locales. Elle plaide ainsi pour une meilleure association des collectivités territoriales à la préparation des projets de lois de finances et de programmation des finances publiques.

Pour ce faire, elle présente deux pistes :

la mise en place d'une autorité indépendante chargée d'émettre un avis sur les projets de lois relatifs aux collectivités territoriales et de veiller au respect des principes d'équilibre des finances locales, de compensation des transferts de compétences et suppressions de fiscalité et de réduction des inégalités entre collectivités ;

la consolidation du comité des finances locales (CFL) comme instance de concertation sur les mesures du projet de loi de finances ayant un impact sur les collectivités territoriales et une déclinaison de ce comité par niveau de collectivités pour renforcer le dialogue sur les critères de répartition des impôts nationaux et sur la péréquation horizontale.

Les associations d'élus auditionnées par la commission des finances qui ont abordé la question ont indiqué leur préférence pour la seconde option, qui présente l'avantage de partir de l'existant et du CFL. Selon François Rebsamen, entendu au nom de France urbaine, celui-ci reste en effet une « émanation des collectivités territoriales » qui, cependant « ne doit pas se perdre dans des analyses de décrets » et « doit plutôt se concentrer sur les lois de finances ».

Les rapporteurs rejoignent pleinement la Cour sur la nécessité de refonder la gouvernance des finances locales, en associant le Parlement, l'Exécutif et les élus locaux. Pour porter pleinement ses fruits, la coopération doit également être mieux structurée et intervenir dès le premier semestre de l'année, afin que les collectivités territoriales puissent réellement être associées à la préparation du projet de loi de finances pour les mesures qui les intéressent, ainsi qu'à celle du débat d'orientation des finances publiques pour lui conférer une dimension pluriannuelle.

L'enjeu de la gouvernance revêt une importance particulière dans un contexte de recours croissant à la fiscalité partagée. En effet, pour prendre un exemple, toute décision affectant désormais les recettes de TVA aurait un impact direct sur les collectivités territoriales. La piste évoquée par la Cour de « clauses de rendez-vous » sur les critères de partage d'impôt nationaux, par exemple sur la durée de la programmation, adossée à « un suivi de la correcte compensation des transferts de compétences en vertu de l'article 72-2 de la Constitution » est à cet égard tout à fait intéressante. Elle fait écho à la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat en 2020, tendant notamment à modifier cet article de façon à prévoir un « réexamen régulier » des droits à compensation13(*), dont la mise en oeuvre suppose une gouvernance appropriée.

2. Des recommandations pour rendre le système plus simple et lisible, dont certaines sont toutefois discutables

La Cour des comptes formule en outre plusieurs recommandations visant à rendre le système de financement des collectivités territoriales plus simple et plus lisible.

Elle préconise notamment d'engager un travail d'actualisation des dispositifs hérités du passé.

En premier lieu, la Cour souligne l'importance de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, dont la vétusté porte atteinte à la légitimité et partant à l'acceptabilité sociale de l'impôt local. Les rapporteurs ne peuvent que la rejoindre à cet égard, et rappellent que la commission des finances s'était fortement opposée, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, au décalage de deux ans du calendrier de révision issu de la loi de finances initiale pour 202014(*) et devant initialement prendre pleinement effet à compter de 2026, mais n'avait pas été suivie15(*).

La Cour évoque la suppression des dotations figées issues de la compensation de la fiscalité dite « morte », telles que la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) ou encore la dotation pour transferts de compensation d'exonérations de fiscalité locale (DTCE). Cette piste est également intéressante, à condition qu'elle fasse elle-même l'objet d'une compensation aux collectivités territoriales, par exemple via la fiscalité partagée.

Les rapporteurs ajoutent que le chantier, mentionné supra, de réforme de la DGF et en particulier de la dotation forfaitaire en son sein, contribuerait également à cet objectif d'actualisation du système.

Il est plus difficile de suivre la Cour dans ses recommandations tendant à simplifier les règles de répartition des impôts locaux.

L'objectif de simplification de la fiscalité partagée par l'attribution d'une fraction unique par strate et par impôt paraît difficile d'atteinte. En l'état, une fraction de TVA est en effet déjà affectée aux communes, intercommunalités, départements et régions. Un travail pourrait toutefois utilement être engagé pour déterminer les conditions dans lesquelles les différentes fractions du même impôt affectées à une même strate pourraient être refondues (à titre d'exemple, les régions perçoivent des fractions de la TVA au titre de la compensation de la suppression de leur DGF et de la CVAE, les départements et EPCI perçoivent également des fractions de ce même impôt au titre de la compensation de la réforme de la taxe d'habitation et de la suppression de la CVAE). Un tel travail impose une certaine vigilance car ces compensations obéissent aujourd'hui à des règles distinctes, qui correspondent à des engagements pris par le Gouvernement auprès des collectivités territoriales dans les contextes particuliers des réformes dont elles sont issues.

De même, la suppression de toute multi-affectation d'impôt local implique, au nom de l'objectif de simplification, de porter atteinte à l'autonomie fiscale d'une strate au profit d'une autre. Ainsi en est-il de la proposition de la Cour de mettre fin à la multi-affectation des IFER au profit du seul bloc communal.

Plus problématique encore est la proposition de supprimer les pouvoirs de taux existants à plusieurs niveaux pour un même impôt. Cette situation existait à l'échelle de deux strates différentes s'agissant de la TFPB avant la réforme de la taxe d'habitation et la redescente aux communes de la part départementale. À cet égard, seules les taxes foncières sont concernées par une superposition de pouvoirs de taux, exercés par les communes et les intercommunalités. À nouveau au nom du seul objectif de simplification, la Cour va jusqu'à « envisager de confier la fixation du taux uniquement au niveau intercommunal, charge à lui de répartir ensuite les recettes fiscales selon une répartition décidée avec les communes ». Il s'agirait là d'une atteinte très forte et sans précédent à l'autonomie financière des communes, et la constitutionnalité d'une telle mesure n'est pas assurée16(*).

3. La nécessité de renforcer la capacité du système à faire face aux crises

Enfin, la Cour des comptes, instruite par l'expérience des crises pandémique et inflationniste, rappelle l'importance de renforcer la capacité du système de financement des collectivités à faire face aux retournements conjoncturels.

Elle relève à ce titre la nécessité de renforcer les dispositifs de péréquation.

Les rapporteurs ne peuvent qu'y souscrire, cette préoccupation entrant pleinement en résonnance avec des travaux récents de la commission des finances17(*). Comme expliqué supra, les années récentes ont donné lieu à des avancées en la matière pour les régions et surtout les départements, avec l'institution du fonds national de péréquation des DMTO, doté de 1,6 milliard d'euros et constituant ainsi le premier dispositif en volume.

Les rapporteurs soulignent que la péréquation verticale doit également jouer son rôle. Dans le contexte de diminution puis de stabilité de la DGF qui a caractérisé la période récente, la progression des dotations de péréquation (DSU, DSR...) était de fait, conformément aux règles de répartition de la DGF, financée par l'écrêtement des dotations forfaitaires des autres collectivités territoriales, ce qui constitue une forme de dévoiement de la péréquation verticale. La loi de finances initiale pour 2023 a représenté une avancée à cet égard, avec une progression du montant global de la DGF correspondant à la croissance de ses composantes péréquatrices.

L'autre piste évoquée par la Cour est celle du développement de mécanismes d'auto-assurance, avec notamment la possibilité de déroger aux règles de la gestion budgétaire pour pouvoir mettre en réserve une partie des recettes fiscales des « bonnes années » et les réinjecter dans le budget de la collectivité en cas de retournement conjoncturel. Un dispositif de cette nature, applicable aux DMTO des départements, a été institué pour la première fois en 202218(*) à la demande de l'ADF. Une réflexion pourrait être engagée à cet égard au sein des autres strates de collectivités.


* 13 Proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales déposée par MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues, adoptée par le Sénat en première lecture le 20 octobre 2020.

* 14 Article 146 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 15 Article 106 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 16 Dans une décision récente, le Conseil constitutionnel a considéré que les EPCI ne constituaient pas des collectivités territoriales au sens de l'article 72 de la Constitution, de telle sorte qu'au sein du bloc communal, le principe d'autonomie financière ne s'applique qu'aux communes (Décision n° 2022-1013 QPC du 14 octobre 2022, Communauté d'agglomération Vienne Condrieu Agglomération).

* 17 Voir le rapport d'information n° 73 (2021-2022) de MM. Charles Guené et Claude Raynal « Pour un fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales plus proche des réalités locales », fait au nom de la commission des finances, déposé le 20 octobre 2021.

* 18, Article 12 du décret n° 2022-1008 du 15 juillet 2022 portant diverses mesures relatives aux dotations de l'État aux collectivités territoriales, à la péréquation des ressources fiscales, à la fiscalité locale et aux règles budgétaires et comptables applicables aux collectivités territoriales, codifié à l'article R. 3321-4 du code général des collectivités territoriales.