B. ENGAGER UNE RÉVOLUTION CULTURELLE AUTOUR DE L'AVENIR OCÉANIQUE DE NOTRE PAYS
1. De la France continentale à la France maritime
a) La nécessaire acculturation du fait maritime
(1) Un préalable : un changement radical de vision
Les Français n'ont pas assez pris conscience de la nature archipélagique de leur pays.
L'espace maritime occupe 70 % de la surface du globe mais les Français du continent ou des îles, de l'Hexagone ou des outre-mer « tournent, en majorité, le dos à la mer » . Il y a là, selon le CESER de France 30 ( * ) , un retard ou un paradoxe qu'il convient de dépasser dans le rapport à l'océan. Ce dernier propose deux pistes : d'une part, encourager l'acculturation au « fait maritime », d'autre part, donner toute sa place à la gouvernance territoriale afin d'incarner au plus près des territoires cette « France maritime ».
Concernant l'acculturation au fait maritime , lors de son audition, Dominique Vienne, président du Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) de La Réunion, a proposé une véritable révolution culturelle, à savoir passer du pacte jacobin au pacte océanien : « Nous proposons que, par ce pacte océanien, la Nation fonde son ambition maritime sur ses territoires. De facto, ces territoires d'outre-mer ne seraient plus gérés comme ils le sont depuis une vingtaine d'années, avec des enjeux de rattrapage. Certes, il faut accompagner ces territoires, mais nous devons en même temps adopter la logique de territorialisation de cette ambition maritime . Si nous restons dans une logique jacobine, nous perdrons la capacité de projection de cette ambition ». 31 ( * )
Concernant l'association des collectivités territoriales à la gouvernance des espaces maritimes, le CESER incite notamment à l'instauration de parlements de la mer dans les territoires.
Le groupe de travail « France maritime » du CESER encourage les exécutifs régionaux des régions maritimes à l'institution systématique d'une commission maritime ad hoc avec prérogatives étendues : vice-présidence, gestion de la mer et du littoral, mais également aménagement du territoire et prises d'avis systématiques sur les politiques d'équipement et d'infrastructures.
Pour soutenir cette mutation, il faudrait aussi un fléchage visible des financements reliés à l'ambition maritime plutôt qu'un saupoudrage : « À défaut de ce fléchage et d'une gouvernance en territoire de cette ambition, nous resterons dans une injonction uniquement fondée sur notre dimension géographique ». 32 ( * )
Proposition n° 3 : Mettre en place, au niveau de chaque collectivité ultramarine, des instances de gouvernance maritime partagées sous forme de commissions maritimes ad hoc compétentes en matière de gestion de l'espace du secteur mer et du littoral, de l'aménagement du territoire hinterland et de la formation.
Proposition n° 4 : Prévoir un fléchage des financements correspondant à la mise en oeuvre de la stratégie maritime dans les territoires.
Du reste, le désintérêt des Français pour la mer observé dans l'Hexagone est en train de changer . Selon le SGMer, les prises de position, les réactions sur les questions maritimes montrent que la population prend conscience que de nombreux enjeux de son développement économique, social, humain, se jouent sur la mer. Signe encourageant, toutes les régions littorales métropolitaines ont créé une direction régionale des affaires maritimes, alors que seule la Bretagne avait jusque-là réalisé un tel investissement.
De même, le bilan des cinq années écoulées n'est pas entièrement négatif du point de vue des outre-mer.
Selon le SGMer, les documents de bassin ont pu inspirer la politique du Gouvernement , car dans la même période, le CIMer a arbitré un nombre significatif de mesures pour les outre-mer. Au cours du quinquennat, sur 147 mesures arrêtées par le CIMer, 31 concernent les outre-mer , « témoignant de leur poids significatif dans les décisions maritimes du Gouvernement ». Sur ces 31 mesures, 7 sont totalement réalisées et mises en oeuvre, 16 sont toujours en cours de réalisation, conformément au calendrier prévu, et 7 aboutiront dans un calendrier plus long. Une seule mesure est considérée comme « totalement bloquée » : le d éveloppement des formations maritimes en outre-mer par l'ouverture dans chaque territoire d'au moins un établissement d'enseignement maritime 33 ( * ) .
Ces réflexions ont permis d'obtenir un état des lieux sur l'environnement marin des territoires de l'océan Indien et des Antilles, indispensable pour faire partie de la stratégie nationale . L'élaboration des stratégies a mis en avant un certain nombre de besoins pour poursuivre les travaux. Cela a conduit à cartographier dans certains territoires l'état de l'environnement, le climat, le littoral et les sujets de traits de côtes.
Les populations ultramarines prennent d'ailleurs progressivement conscience que la mer peut être source de richesses . Plusieurs territoires montrent la voie. En Guyane , il est question de la mise en place d'une structure de coordination de l'économie bleue et de porter une vision commune de ce qui pourrait être développé en mer, autre que la pêche. La Polynésie française est en train de développer une stratégie variée et intéressante autour de la mer, en faisant appel aux composants traditionnels comme la pêche et la croisière, mais aussi à des innovations et des territoires nouveaux. La Réunion fait des progrès importants en matière maritime, notamment son port qui est le seul à être devenu un hub régional et à accueillir des trafics régionaux pour les redistribuer sur l'ensemble de la zone. Un autre exemple de cette réussite réunionnaise est la relocalisation de la réparation navale sur les gros bateaux, qui avait été délocalisée à l'île Maurice.
(2) L'apport des outre-mer à l'acculturation océanique française
Indépendamment de leur faible poids dans les économies locales, la plupart des outre-mer entretiennent un lien puissant avec l'océan . Ce lien est particulièrement manifeste lors des grands rendez-vous sur le changement climatique. Les préoccupations des États insulaires menacés par la montée des eaux sont partagées par nos outre-mer. Le président Édouard Fritsch a même évoqué un « lien sacré », lors du sommet One Ocean Summit de Brest.
Stéphane Bijoux, député européen, a exprimé avec conviction ce lien existentiel à l'océan : « Je défends la pluralité des outre-mer et l'unicité de l'océan , qui relie nos territoires et nos destins ; je porte cette vision au Parlement européen. L'océan produit 50 % de l'oxygène mondial ; il est le climatiseur de la planète, mais aussi la première victime du réchauffement climatique. Il étouffe : il y a urgence à agir pour le protéger. Aussi, la problématique maritime doit être au coeur de nos initiatives et de nos projets. » 34 ( * )
Comme le souligne dans son rapport le sénateur Teva Rohfritsch 35 ( * ) , les outre-mer offrent à ce titre des opportunités d'initiatives et d'expérimentations mais aussi d'échanges et de co-construction avec l'Hexagone en usant des moyens numériques qu'aucune autre génération n'aura pu utiliser avec autant de pertinence. La création des Aires Marines Éducatives (AME) à Tahuata, aux Îles Marquises, en est la parfaite illustration. Ce mouvement vers une « école bleu océan » doit utilement intégrer une dynamique plus large d'animation de la « conscience bleue française », en commençant par « cultiver nos jardins ».
C'est également une opportunité de reconnaissance pour les outre-mer. Selon Annick Girardin : « Il existe une véritable demande des territoires ultramarins . C'est la première fois que l'on reconnaît la richesse que les territoires ultramarins apportent à notre pays. C'est une vraie reconnaissance de leur positionnement géographique et de ce qu'ils sont . »
Le CESER de France relève cependant le retard des collectivités sur cette prise en compte : « Toutes nos régions d'outre-mer n'ont pas fait l'effort de se doter d'un schéma régional « mer littoral », associé au schéma national « mer littoral ». Toutes nos régions d'outre-mer n'ont pas non plus fait l'effort de saisir l'opportunité de la loi NOTRe qui donne aux EPCI disposant d'une façade maritime l'obligation de prévoir un volet maritime. » 36 ( * ) Il considère aussi que les territoires ultramarins doivent de leur côté monter en compétence sur une stratégie formalisée des littoraux par l'intercommunalité, décliner la stratégie nationale pour la mer et le littoral, et renforcer la gouvernance.
Pour agir, il faut connaître. Or, les données manquent encore dans les outre-mer pour une bonne appropriation des enjeux. À cet égard, les clusters maritimes jouent un rôle important pour une meilleure connaissance des enjeux maritimes dans chaque territoire. En 2016, le Cluster maritime de Martinique, conjointement avec la direction de la mer en Guadeloupe, a lancé une étude pour quantifier l'économie maritime locale. En 2019, un cabinet d'étude, accompagné par le Cluster maritime de Guadeloupe, a suivi la même démarche. De même, le Cluster maritime de Nouvelle-Calédonie, accompagné par le Gouvernement, a publié un livre bleu. Enfin, chaque année, un baromètre de l'économie maritime est édité par le Cluster maritime de Polynésie française. Ces études sont un préalable essentiel, car elles permettent d'appréhender ce que représente l'économie maritime locale territoire par territoire. Il serait souhaitable que les territoires ne s'étant pas encore saisis de la question le fassent, afin de déterminer le poids social et économique de l'économie bleue pour chacun.
Un autre des enjeux pour les Clusters est celui de la visibilité : on peut citer des événements tels que le Forum de l'économie bleue en Polynésie française, la Journée de la mer à La Réunion, le Village maritime de la Route du rhum en Guadeloupe ou encore les États généraux de la mer en Nouvelle-Calédonie, qui permettent de rassembler ces différents interlocuteurs autour des sujets maritimes. Créer ces moments de concertation entre les Clusters permet d'améliorer et de lever certaines difficultés.
Preuve d'une évolution, Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française, a été chargé du premier groupe de travail dédié aux outre-mer au sein du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML).
Dans son rapport sur les thématiques ultramarines pour lequel il a sollicité les éclairages de ses collègues de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, il a présenté en novembre 2021, des préconisations pour une France résolument océanique.
Il note que toutes ces initiatives pour développer notre « océanité » seront vouées à l'échec sans l'adhésion des populations : « Cet exercice de mise en perspective des problématiques maritimes ultramarines ne sera utile que si elle permet de susciter un mouvement de cohésion encore plus forte de notre communauté au-delà des mers qui nous séparent . Aussi, faut-il poursuivre et intensifier nos échanges sur tous nos bouts de France, outre-mer comme en bord de terre. Ce travail inlassablement remis à l'ouvrage contribuerait à n'en point douter, à l'éveil ou plutôt au réveil d'une nouvelle conscience maritime française. Il nous faut proposer ainsi à tous les Français, d'outre-mer comme de l'Hexagone, un projet fédérateur, qui puisse les concerner toutes et tous et qui permet de sceller un sentiment encore plus fort d'appartenance à une nation maritime . Les outre-mer peuvent nourrir la réflexion nationale comme ils pourraient et devraient s'enrichir mutuellement. »
Vue depuis l'hémisphère Sud des territoires ultramarins et de leurs ZEE
*Antilles : Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin
Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer
b) Deux leviers essentiels : éducation et formation maritimes
(1) L'échec du système éducatif
La maritimisation des esprits passe également par des politiques publiques tournées vers la jeunesse qui doivent intégrer les enjeux de transmission et de développement de la culture de la France maritime et lui enseigner la connaissance de nos territoires océaniques .
Le développement des formations maritimes en outre-mer a été une des priorités du CIMer dès 2017.
L'offre éducative est restée néanmoins limitée et insuffisamment attractive . Les établissements scolaires relevant du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports proposent d'ores et déjà une carte des formations maritimes diversifiée , qui sera complétée par la création de lycées de la mer et de campus des métiers et des qualifications (CmQ). Ce ministère travaille aussi à une « coloration mer » des formations existantes au sein des établissements publics locaux d'enseignement .
Plusieurs académies ont aussi engagé des actions dirigées vers les élèves du premier et du second degré (école primaire et collège).
Sur chaque territoire ultramarin, l'Éducation nationale a pris l'engagement de créer des formations autour de la mer. Les premières formations ont été ouvertes au lycée professionnel Raymond Néris et à l'école de formation professionnelle maritime et aquacole de la Trinité en Martinique . Dès le collège, il faudrait donner une coloration maritime , avec des actions de sensibilisation, comme à Hao en Polynésie française avec une première découverte des métiers de la mer. Le service militaire adapté forme également des jeunes aux métiers de la mer.
En matière de formation aux métiers de la mer, le Secrétaire général de la mer 37 ( * ) reconnaît l'échec : « La formation aux métiers maritime en outre-mer constitue le point faible de notre bilan. La décision avait été prise au CIMer de développer dans chacun des territoires d'outre-mer au moins un établissement maritime, collège ou lycée. Nous en sommes très loin. »
L'objectif d'un lycée maritime par territoire était peut-être trop ambitieux à mettre en oeuvre . Il faut, sans doute, poursuivre la piste de la création d'un volet maritime (optionnel ou non, à définir) dans les lycées généraux . Frédéric Moncany de Saint-Aignan 38 ( * ) a rappelé que : « La question de la création d'un lycée maritime par territoire ultramarin est un objectif qui a été fixé lors des différents comités interministériels de la mer (CIMer). Or, pour mettre en place des lycées maritimes viables, il est nécessaire que des élèves souhaitent s'y inscrire et puissent trouver des débouchés, une fois sortis ».
Cette ambition doit donc être relancée, à commencer par le développement de classes maritimes dans les collèges et lycées existants . Il conviendrait notamment de promouvoir le Brevet d'initiation à la mer (BIMer), qui permet à des classes volontaires de troisième de développer un enseignement sur les enjeux maritimes.
Le Brevet d'initiation à la mer (BIMer)
Le BIMer est un diplôme qui valide un niveau d'initiation aux activités professionnelles et à la culture scientifique et technique dans le domaine de la mer.
Pour valider ce diplôme, les élèves suivent pendant une quarantaine d'heures, réparties sur une année, des cours théoriques sur les activités professionnelles et la culture scientifique et technique dans le domaine de la mer. Ils participent également à des sorties pédagogiques qui peuvent consister en des visites d'entreprises (chantier naval, installation portuaire, etc.), des rencontres avec des professionnels de la mer qui travaillent à terre ou en mer et sont initiés à la pratique d'activités nautiques.
Proposition n° 5 : Promouvoir le Brevet d'initiation à la mer (BIMer) dans tous les collèges et lycées, en particulier dans les régions maritimes.
Il est certain que l'enjeu concerne l'Hexagone comme les territoires ultramarins . Comme l'a indiqué la ministre Annick Girardin lors de son audition 39 ( * ) , il existe des besoins considérables en matière d'officiers de marine marchande, qui obligeront à doubler, d'ici à 2027, les formations à l'École nationale supérieure maritime (ENSM) . Cette école a aujourd'hui des capacités insuffisantes pour répondre aux besoins des navires sous pavillon français, mais aussi à ceux des pays étrangers, car il existe une forte demande d'officiers français très bien formés. La ministre a précisé qu'avec l'ENSM elle travaillait sur la place des outre-mer dans les écoles, sur les relais dans les territoires ultramarins pour en faire la promotion, ainsi que sur la capacité à accueillir les ultramarins dans les lycées de l'Hexagone : quelle est l'offre d'accompagnement, comment accroître le partenariat et la coopération entre les différents lycées ?
Par ailleurs, il faut davantage développer la formation continue dans l'Hexagone et dans les territoires ultramarins. La ministre a invité les sénateurs à lui signaler les projets qui leur paraîtraient insuffisamment soutenus, afin de savoir si les dynamiques mises en place fonctionnent.
Mais le développement de ces formations soulève la question de leur attractivité. Le changement doit d'abord s'opérer dans les familles. Pour remédier à cela, il faudrait convaincre les jeunes et leurs familles que le sujet maritime apporte des opportunités et que la mer n'est pas que porteuse de risques et de dangers.
Il manque aussi un état des lieux des perspectives d'emploi pour chaque territoire. Il serait donc nécessaire de réaliser une étude GPEC (gestion pour l'emploi et les compétences) par territoire. Ce type d'étude a été réalisé à La Réunion sur le volet de l'emploi naval et peut servir d'exemple.
Ensuite, il s'agit de s'assurer que les formations répondent aux enjeux identifiés et qu'elles soient connectées aux formations continues dispensées par les écoles d'apprentissage maritime . C'est le cas en Martinique, à La Réunion ou à Mayotte. On peut également évoquer l'exemple des centres des métiers de la mer en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Mais rien n'existe à cet effet en Guadeloupe et en Guyane.
Proposition n° 6 : Réaliser une étude GPEC (gestion pour l'emploi et les compétences) par territoire pour mieux orienter les jeunes vers les métiers de la mer.
Proposition n° 7 : Développer des classes « enjeux maritimes » dans les établissements scolaires par des partenariats avec les grandes fondations et des personnalités engagées dans le monde maritime.
(2) Des initiatives prometteuses dans les outre-mer à amplifier
Initiative prometteuse, le réseau de l'AEFE soutient une initiative de classe à Enjeux Maritimes dans les établissements scolaires en France ou à l'étranger , dans laquelle un, plusieurs ou tous les professeurs vont « maritimiser » un ou plusieurs thèmes de l'année. Le premier exemple en est donné par le Lycée français de Barcelone, dans le réseau AEFE.
Il s'agit d'aborder un thème sous l'angle de ses liens avec la mer dans le but de faire prendre conscience de la richesse, des menaces et des enjeux des océans. Cette prise de conscience doit nourrir les réflexions des élèves sur le concept de citoyenneté à la fois à terre comme en mer et ouvrir leurs horizons pour leurs futurs choix d'orientation. Le dispositif s'appuie sur des fonds documentaires et des intervenants, experts de leurs domaines et bénévoles qui interviennent en classe à la demande.
Dans son rapport devant le CNML, Teva Rohfritsch insiste pour sa part sur le triptyque « sensibiliser, éduquer, et former » pour l'éveil maritime et formule des préconisations en faveur d'une « conscience bleue française » telles que :
? adapter encore davantage nos programmes scolaires à l'éveil d'une « conscience bleue française » en proposant une approche transversale et pluridisciplinaire par l'océan ;
? systématiser et mettre en réseau les Aires Marines Éducatives (AME) pour agir auprès des jeunes générations ;
? développer les accès à la culture de l'Océan en lien avec les collectivités territoriales : muséologie, lieux publics d'accès à l'information sur les océans, espaces de loisirs ou de manifestations culturelles ;
? lancer des appels aux initiatives Terre-Mer, des programmes d'initiation aux océans et des échanges étudiants (création d'un programme européen dédié), des plateformes digitales thématiques, des bourses d'études ou de recherches sur les thématiques marines, financer des programmes didactiques grand public sur les océans, les outre-mer.
Il prévoit aussi des formations qualifiantes aux « emplois bleus », et des volets enseignements supérieurs et recherche.
Parmi les initiatives récentes qui fleurissent, beaucoup méritent d'être amplifiées et diffusées dans l'Hexagone comme dans les outre-mer car elles vont dans le bon sens et renforcent les synergies.
Proposition n° 8 : Mobiliser l'Éducation nationale pour développer une « conscience bleue française » préconisée par le rapport Rohfritsch au Conseil national de la mer et des littoraux.
Autre exemple, une initiative du ministère des outre-mer est actuellement menée avec l'Ifremer. Une opération d'école flottante sur l'océan Indien a été lancée au profit de jeunes Réunionnais et de jeunes Mahorais. Des jeunes ont embarqué sur le bateau Marion Dufresne pendant dix jours pour une navigation de La Réunion vers les îles Éparses, et depuis Mayotte vers le volcan sous-marin. Elle réunit des jeunes scientifiques, doctorants et universitaires réunionnais et mahorais travaillant autour des problématiques de la mer, des apprentis cuisiniers, électriciens, mécaniciens. Des jeunes élèves d'écoles d'art hexagonales s'associent avec leurs photos, leurs carnets de croquis et leurs vidéos pour raconter cette aventure. Un partenariat avec France Télévisions a été négocié pour diffuser cette expérience.
Des initiatives locales montrent une réelle prise de conscience . La Guadeloupe met en place une plateforme des métiers du maritime. La Martinique a fortement avancé. À La Réunion, plusieurs initiatives ont été portées avec le ministère de l'éducation nationale.
Le campus des métiers et des qualifications de la mer en Martinique (CMQ2M)
La formation initiale et la formation professionnelle sont des enjeux vitaux pour la Martinique qui voit s'expatrier, chaque année, près de 3 000 jeunes, inquiets des opportunités de carrière sur l'île. Pôle Emploi, missions locales, collectivité territoriale, associations... se sont mobilisés mais sans un plan commun pour atteindre les objectifs.
En septembre 2021, le Campus des Métiers et des Qualifications de la Mer de Martinique (CMQ2M) labellisé par le ministère de l'éducation nationale a été officiellement lancé. Il s'agit d'une initiative pour mettre en synergie les besoins des entreprises de la filière économie bleue et la mise en place de parcours de formation appropriés à ces besoins, favorisant ainsi l'employabilité des jeunes.
Le campus des métiers et des qualifications regroupe un réseau d'établissements de formation et du secteur économique de la mer pour développer des parcours de formation aux métiers de la mer.
Il est conçu comme un moyen de rapprocher l'école et les besoins des entreprises, de valoriser les métiers de la mer et de favoriser ainsi le développement des compétences des jeunes et de l'emploi sur le territoire martiniquais, dans des domaines allant de la protection de l'environnement marin à la maintenance nautique, en passant par le transport maritime, la pêche ou les activités de plaisance...
Porté par l'académie de Martinique et soutenu par la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), le Campus des métiers et des qualifications de la mer est le premier campus de Martinique labellisé par le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Concrètement, le CMQ2M propose :
- une offre de formation en réseau au bénéfice des jeunes relevant de la formation initiale et continue , des actifs et des adultes en recherche d'emploi, avec notamment comme établissements de référence : le lycée professionnel Raymond Néris, l'École de Formation Professionnelle Maritime et Aquacole (EFPMA) de Trinité et l'université des Antilles ;
- un partenariat rénové avec des acteurs du monde de l'entreprise (exerçant dans le champ de l'économie bleue) et de la recherche.
La gouvernance du CMQ2M, est actuellement assurée conjointement par le recteur d'académie et le président du conseil exécutif de la CTM, avec trois objectifs principaux :
- mise en synergie des besoins des entreprises du monde marin et mise en place de parcours de formation dans un véritable objectif de continuum « Bac -3/+3 » permettant d'aller vers des formations Bac +5 avec la recherche élargie autour de la mer ;
- amélioration de l'employabilité des jeunes ;
- développement économique du territoire avec une approche de cohérence multi-sites sur la zone Antilles-Guyane.
La mise en oeuvre de la politique du CMQ2M est assurée par le comité d'orientation stratégique (COS) qui regroupe les acteurs de la formation (EFPMA, LP Néris, Université des Antilles), du monde économique (Cluster maritime de la Martinique, Grand port de la Martinique, la SARA...) et des représentants de l'éducation nationale, de la direction de la mer et des communautés intercommunales de la Martinique.
Le comité a préconisé la mise en place d'un « volet université de la mer » par la création de formations avec un volet Recherche à l'Université des Antilles , en particulier dans le domaine de la biodiversité.
Ce CMQ2M est positionné comme un point d'entrée important dans la formation et la valorisation des métiers de la mer. À ce titre, 3 axes d'action stratégique ont été retenus :
- renforcement du réseau des acteurs du campus (organismes de formation publics/privé, entreprises, direction de la mer, cluster maritime, pôle emploi...) ;
- mise en concordance de la formation des jeunes et des besoins exprimés par les entreprises dans l'intérêt du développement de la filière et du respect de la biodiversité marine ;
- déploiement de dispositifs de valorisation de la culture maritime auprès des jeunes (Brevet d'initiation à la mer, interventions auprès du public scolaire, renforcement de l'initiation à la voile et développement de la pratique traditionnelle de la yole...). Le Brevet d'initiation à la mer ou BIMer est mis en place au LP Neris à compter du mois de février 2022 avec une première promotion de 20 élèves qui passeront l'examen au mois de juin 2022. L'idée pour le campus des métiers consiste à déployer le BIMer dans d'autres établissements scolaires de la Martinique à partir de la rentrée 2022-2023.
L'objectif du CMQ2M est de répondre à un besoin d'amélioration de l'employabilité et des compétences des jeunes martiniquais(es) et plus largement de tous les publics de la formation et certification professionnelles tout au long de la vie (FCTLV), dans les filières maritimes.
Source : Cluster maritime de Martinique
Proposition n° 9 : Généraliser les plateformes des métiers du maritime dans tous les territoires ultramarins.
2. Un contexte exceptionnellement favorable
a) La présidence française du Conseil de l'Union européenne
(1) L'opportunité de porter une vision française au sein du Conseil de l'Union européenne incluant les outre-mer
2022 pourrait être une année charnière pour la mobilisation autour des enjeux maritimes.
La présidence du Conseil de l'Union européenne en particulier est l'opportunité de promouvoir une vision française au sein de l'Union européenne et dans les négociations internationales.
Annick Girardin a assuré que la France portera une ambition maritime forte pour la présidence française de l'Union européenne . La ministre a cité notamment le travail en amont effectué autour de la Mission Starfish 2030 de l'Union européenne - une mission pour maintenir, protéger et restaurer les milieux aquatiques océan -, le traité sur les plastiques, Ecamed et la notion de « Bien commun » (BBNJ) ainsi que des réflexions sur un GIEC de l'océan.
Sophie Brocas, directrice générale à la DGOM, a évoqué le rôle de son ministère comme avocat du rôle de ces territoires auprès de la Commission européenne et de l'Union européenne, qui manquent de sensibilité sur les régions ultrapériphériques (RUP) : « En effet, seulement trois États membres en possèdent, la France, l'Espagne et le Portugal . De plus, concernant ces deux derniers, leurs régions ultrapériphériques sont proches de la métropole. L'éloignement de la France avec ses RUP crée une adversité particulière mais aussi une agilité potentielle plus importante . Le ministère doit faire progresser la sensibilité de l'Union européenne à ces questions, et je ferais valoir ces aspects lors d'une prochaine réunion des préfets de région à Bruxelles. Nous le porterons également dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne . » 40 ( * )
Le CESER de France a confirmé cette méconnaissance profonde aux conséquences néfastes et les attentes que la présidence française suscite : « Je vous invite à examiner un document d'Eurostat sur la présidence française de l'Union européenne. Vous y verrez l'Europe dessinée de manière très réductrice, une Europe continentale avec les petits confettis de la République que sont les outre-mer, alors que l'Europe océanique, par ses États membres, couvre toute la surface de la Terre. Si l'Europe ne comprend pas que les enjeux indopacifiques nous réclament de ne plus penser « continent », mais « océan », nous raterons ce rapport de force géopolitique qui s'installe actuellement. Nous attendons de cette présidence française du Conseil de l'Union européenne que la France se rappelle par exemple que Mayotte et La Réunion constituent les deux seuls espaces de projection européens dans l'océan Indien . Si nous ne changeons pas de regard, nous pensons que notre rapport de force avec les puissances émergentes comme la Chine tournera en notre défaveur ». 41 ( * )
Même sentiment chez le député Stéphane Bijoux pour qui la Présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) représente une opportunité pour les outre-mer , « afin de s'imposer au coeur des stratégies européennes ». 42 ( * ) Nous aurons, au cours de la PFUE, plusieurs rendez-vous importants. « On constate une convergence sur les axes de travail et les opportunités à saisir lors de cette présidence...Nous aurons l'occasion de pousser fort pour le Blue deal européen pour la mer , lors de la réunion de haut niveau organisée en Martinique au mois de janvier, si les conditions sanitaires le permettent. » 2
Mikaa Mered, secrétaire général de la Chaire Outre-mer de Sciences Po, a rappelé la chance pour l'Europe que représentent les outre-mer dans la zone indopacifique : « La France est une puissance d'équilibre dans cette zone, pas uniquement grâce à ses moyens aériens, navals ou spatiaux, mais aussi grâce à sa fameuse présence directe. Elle compte 1,6 million de ressortissants ultramarins dans cette région. Depuis le départ des Britanniques, elle est le seul pays de l'UE disposant de possessions territoriales submergées et immergées au sud de l'équateur. Cet élément n'a, à mon sens, pas encore été valorisé à sa juste valeur dans la politique française de l'Union européenne. Nous pouvons espérer que le One Ocean Summit permettra de remettre le sujet sur le tapis. La PFUE permettra peut-être de le porter pour que les outre-mer soient bien représentés. » 43 ( * )
Les enjeux sont également financiers pour les outre-mer à travers l'accès aux différents fonds européens , comme l'a bien noté Mikaël Quimbert, adjoint à la sous directrice des politiques publiques, à la DGOM : « Concernant les freins et les faiblesses, les fonds européens sont le principal levier sur le plan financier, comme le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui deviendra FEAMPA dans la prochaine programmation avec l'ajout de l'aquaculture. Dans les outre-mer, ce fonds est le moins bien consommé, à cause d'un manque de structures et d'entreprises pour monter des projets. Ce fonds dispose d'un dispositif d'aide au fonctionnement, mais nous n'arrivons pas à mobiliser ces fonds, car certaines entreprises n'ont pas de statut, ne déposent pas de comptes, n'ont pas de centre de gestion. Ces entreprises sont bien souvent des sociétés unipersonnelles. Un véritable travail de fond est nécessaire pour les inscrire dans des organisations collectives, comme des associations de producteurs ou des coopératives . 44 ( * )
(2) La protection de l'océan, l'émergence d'un objectif commun
Organisé dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, One Ocean Summit s'est tenu à Brest du 9 au 11 février 2022.
S'appuyant sur le modèle des sommets « One Planet », il visait à donner une impulsion politique forte à l'agenda européen et international des enjeux maritimes, en particulier pour faire aboutir les négociations multilatérales qui impactent l'océan. Plus de 40 pays se sont retrouvés autour d'engagements pour la protection de la biodiversité marine et la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce sommet a constitué peut-être un tournant. Il a permis de rehausser le sujet de la protection des océans au niveau des chefs d'États et de gouvernement alors que cette problématique a longtemps été laissée à un niveau technique.
En ouverture de la Séquence de haut niveau du 11 février 2022, le Président Emmanuel Macron a fait référence aux outre-mer en saluant les élus ultramarins présents à cet événement d'envergure internationale et en déclarant : « Les outre-mer sont aussi notre fierté . Si la France est la deuxième puissance maritime au monde, c'est parce que nous avons nos outre-mer ».
Ce sommet a acté plusieurs engagements importants pour les outre-mer, tous bassins océaniques confondus : lutte contre la pollution plastique, décarbonation du transport maritime, amélioration de la connaissance des océans...
Certaines mesures sont en outre spécifiques aux territoires ultramarins français ou leur bénéficieront tout particulièrement :
- la création d'aires marines protégées : la France s'est engagée à atteindre dès 2022 l'objectif de 30 % d'aires protégées ;
- la création de la seconde plus vaste aire marine protégée au monde dans les Terres australes (1,6 million km 2 ) par extension de la réserve naturelle nationale à l'ensemble des espaces maritimes des îles Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam ;
- la lutte contre la pêche illégale ou les mauvaises pratiques de pêche : coopération diplomatique des marines nationales dans le renseignement pour la lutte contre la pêche illégale, avec l'appui de l'Agence européenne de contrôle des pêches, qui bénéficiera notamment à la Guyane ou au canal de Mozambique (Mayotte, îles Éparses). On note aussi le développement de techniques de pêche pour protéger les tortues marines dans le cadre de la pêche des crevettes tropicales sauvages importées dans l'Union européenne, mesure qui bénéficiera à la biodiversité des rivages amazoniens et à la pêche légale guyanaise ;
- la lutte contre la pollution : engagement d'un programme pluriannuel de traitement des décharges à risques situées en zone littorale, notamment en outre-mer. Dès 2022, la dépollution de la décharge littorale de l'Anse Charpentier en Martinique sera engagée ;
- un océan de solutions : la coalition internationale pour les écosystèmes marins et le carbone bleu, portée par la France, sera dotée d'un fonds dédié rassemblant gouvernements, acteurs non gouvernementaux et privés pour accélérer l'investissement dans les puits de carbone marins. L'Union européenne et la France s'engagent à contribuer à la dotation initiale du fonds. Visant notamment les mangroves et les herbiers sous-marins, cette mesure devrait particulièrement bénéficier aux territoires ultramarins tropicaux ;
- l'adoption prochaine d'une stratégie nationale polaire, marquant un réinvestissement dans la recherche polaire (Terres Australes et Antarctiques Françaises, Saint-Pierre-et-Miquelon).
Fait remarquable, une collectivité ultramarine, la Polynésie française, a été pleinement associée à ce sommet et a contribué à son succès. Son gouvernement a pris solennellement plusieurs engagements forts, en cohérence avec les objectifs généraux :
- créer une aire marine protégée « Rahui Nui » de 500 000 km 2 dans l'est polynésien (Australes, Marquises et Gambier) soit l'équivalent de la superficie de l'Hexagone pour être finalisée à l'horizon 2030 ;
- protéger les lagons et coraux ; ces écosystèmes coralliens représentent une superficie de 15 000 km 2 , soit 20 % des atolls dans le monde. Des zones de mouillages obligatoires seront instaurées pour limiter l'impact des bateaux ;
- réserver près de 500 000 km 2 de leurs eaux côtières à la pêche vivrière et artisanale, marquant un retrait de 20 % la superficie accessible à la pêche professionnelle actuelle ;
- poursuivre le processus de reconnaissance de l'UNESCO pour l'archipel des Marquises (patrimoine naturel et culturel mondial) et celui des Australes (réserve de biosphère) ;
- accueillir un One Island Summit .
Les engagements de la Polynésie française à Brest
« La culture polynésienne me rappelle que l'océan est le temple le plus sacré, c'est un lieu saint, inspirant à la fois crainte et respect . », a déclaré Édouard Fritch à Brest indiquant que son territoire était prêt à accueillir le sommet One Island Summit en septembre 2023 à Tahiti. Un engagement salué par le Président de la République qui a affirmé que l'État français serait aux côtés de la Polynésie française « pour approfondir la connaissance des différentes îles et pour la création et la gestion des différentes aires » . Après avoir rappelé que la Polynésie française est déjà engagée depuis longtemps dans la préservation de la nature, Édouard Fritch a annoncé l'engagement de son territoire dans une vision concrète qui se décline en quatre ambitions :
- « la préservation du coeur de nos îles ;
- la restauration du lien terre-mer ;
- la gestion durablement de notre zone économique ;
- la construction du grand mur bleu du Pacifique ».
Il a ainsi pris quatre engagements :
« Nous devons marquer cette rencontre de Brest par des actions, la Polynésie va s'engager, et nous sommes capables de prendre quatre grands engagements qui portent sur une superficie de plus d'1 million de km 2 , près de deux fois la superficie de l'Hexagone. » Une annonce ambitieuse qu'a explicitée le Président de la Polynésie française : « Le premier, multiplier les réserves de biosphère, nous finalisons l'inscription des îles marquises au patrimoine mondial de l'Unesco et l'inscription des îles australes en réserve de biosphère. Cet engagement, s'ajoute aux espaces Polynésiens.
« Le deuxième engagement, c'est la protection des zones côtières avec un zonage côtier d'une superficie maritime de plus de 500 000 km 2 , réservé uniquement à la pêche artisanale et vivrière qui sera finalisé avant la fin de l'année, en relation avec les populations de nos archipels. Cette protection côtière marque un retrait de 20 % des zones de pêche professionnelle, et je vous rappelle qu'en Polynésie, la pêche professionnelle est réservée uniquement aux Polynésiens.
« Le troisième engagement, il s'agit de protéger nos lagons et les coraux, avant la fin de l'année, nous protégerons toutes les espèces de coraux en Polynésie. Nos écosystèmes coralliens représentent une superficie de 15 000 km 2 , cette action va donc concerner 20 % des atolls dans le Monde. De plus, nous allons créer des zones de mouillages obligatoires pour en limiter l'impact. Ces trois premiers engagements polynésiens représentent un espace maritime de 500 000 km 2 protégés, pratiquement la superficie de l'Hexagone.
« Le quatrième engagement est le plus important, c'est une nouvelle aire marine protégée de plus de 500 000 km 2 . Cette année, à l'occasion des 20 ans de notre sanctuaire marin, située dans la partie Sud-est de notre zone économique. Nous comptons ainsi à l'horizon 2030, finaliser ce projet, poursuivre le classement des zones naturelles intégrales de certaines de nos îles, initier des études pour la désignation de nouvelles aires de biosphère, solliciter enfin la reconnaissance de la Polynésie française en zone marine particulièrement vulnérable. »
Source : Discours d'Edouard Fritch, président de la Polynésie française, One Ocean Summit, 11 février 2022
Un tel évènement représente une reconnaissance du monde maritime et l'espoir d'une dynamique dont on ne peut que se féliciter .
Enfin, le succès de cet événement est de nature à donner une forte impulsion aux négociations internationales maritimes. Les travaux du One Ocean Summit sont le point de départ d'une série de rendez-vous internationaux pour lesquels les thématiques autour de l'Océan sera central.
Pas moins de six réunions internationales sont déjà prévues d'ici la fin de l'année 2022 sur ce sujet. L'OMC est chargée en février de trouver un accord pour réguler la surpêche. Au Kenya, les États discuteront d'un traité contraignant sur la production de plastique. En mars, à New York les discussions porteront sur la haute mer qui représente 60 % des océans du globe. Une conférence de l'ONU sur les océans se tiendra en juin au Portugal, la COP Biodiversité en mai en Chine et la COP Climat en novembre en Égypte.
b) Une dynamique portée aussi par les régions ultrapériphériques
(1) La présidence martiniquaise de la Conférence des présidents des RUP
Une sorte d'« alignement des planètes » va également permettre de mettre en lumière et défendre les intérêts des régions ultrapériphériques au sein de l'Union européenne.
La Conférence des présidents des RUP est la principale structure de coopération politique et technique entre les présidents des organes exécutifs des Açores, des Canaries, de la Guadeloupe, de la Guyane, de Madère, de Martinique, de Mayotte, de La Réunion et de Saint-Martin. La présidence de la Conférence est exercée successivement par chaque RUP, pour une durée d'au moins un an.
Depuis la XXVI ème Conférence annuelle des présidents des régions ultrapériphériques qui s'est tenue le 18 et 19 novembre 2021, à Ponta Delgada, Açores, le président du conseil exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique Serge Letchimy, assure la présidence de la Conférence des présidents des RUP jusqu'en novembre 2022 .
Pendant un an, c'est donc la Martinique qui est chargée de « porter et défendre les intérêts des territoires d'outre-mer européens », auprès des instances communautaires.
La conjonction de la PFUE et d'une présidence française de la conférence des présidents des RUP est inédite et pourrait s'avérer favorable aux intérêts français. C'est du moins ce qu'en pense le député européen Stéphane Bijoux : « J'ai eu la chance de partager un moment fort, aux Açores, à la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques, où tous les acteurs se sont accordés sur un alignement des planètes en faveur d'avancées pour les outre-mer, dans des dossiers extrêmement importants. La PFUE et la présidence des RUP portée par la Martinique permettront de jouer la carte de toutes les synergies pour valoriser nos régions . Notre richesse première, ce sont les hommes, les femmes et les enfants de nos territoires, en plus des richesses issues de l'agriculture, de la pêche et de la biodiversité. » 45 ( * )
Réunie en janvier 2022, la Conférence des RUP a défini la vision qui sera proposée à la Commission européenne et deviendra la stratégie officielle de l'Union européenne si elle est adoptée. Les priorités de la présidence martiniquaise sont : l'impératif de différenciation avec le potentiel de l'article 349 du TFUE ; le développement de stratégies de bassins ambitieuses pour une riche diplomatie territoriale ; l'autonomie alimentaire ; la prise en compte des valeurs écosystémiques ; l'indépendance énergétique .
En mai 2022, la Commission européenne a prévu de proposer sa nouvelle stratégie à l'égard des RUP. La présidence assurée par la Martinique est donc l'occasion de promouvoir des solutions adaptées à nos départements d'outre-mer tenant compte de leurs besoins, leurs spécificités et leurs valeurs ajoutées à la construction européenne.
(2) Pour un Blue deal européen avec les RUP
Dans cette même perspective, il est à noter que de nombreux travaux récents et rapports mettent l'accent sur les enjeux proprement maritimes des régions ultrapériphériques et formulent des initiatives proposant une véritable vision d'avenir pour celles-ci axées sur l'économie bleue.
En septembre dernier, la Commission du développement régional du Parlement européen a adopté à Strasbourg les rapports des députés réunionnais Stéphane Bijoux et Younous Omarjee qui s'intitulent respectivement « Vers un renforcement du partenariat avec les Régions ultrapériphériques de l'Union » et « Sur une nouvelle approche de la stratégie maritime pour la région atlantique ».
Selon Stéphane Bijoux, « Alors que l'Europe s'engage dans la concrétisation d'un Pacte Vert, elle doit aussi impérativement déployer un Pacte Bleu pour protéger, développer et valoriser le potentiel maritime et océanique de ses territoires . » Le député européen note également que les RUP sont en première ligne « des façades afro-atlantiques et indo-océaniques » de l'Europe. Cette position géostratégique importante impose de permettre aux RUP de développer une stratégie régionale de partenariat et d'échanges avec leurs voisins, « l'Europe devant, quant à elle, veiller à ne pas entraver l'équilibre des relations régionales des RUP en signant des Accords de Partenariat Économique ou des Accords de Libre Échange avec des Pays tiers qui n'intègrent pas la nécessité de protéger les intérêts des RUP ». Son rapport porte l'ambition de placer les RUP, non pas à la périphérie, mais bien au coeur de l'action publique européenne.
Pour sa part, Younous Omarjee prône, entre autres, qu'une stratégie industrielle soit élaborée au niveau du bassin Atlantique, avec une forte composante environnementale et socio-économique de l'économie bleue (pêche et tourisme durables, énergies marines renouvelables).
En janvier 2022, Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, a réuni ses homologues portugais et espagnol et les présidents des 9 régions ultrapériphériques (RUP), pour adopter un document de position commune afin de contribuer à l'actualisation du partenariat stratégique de la Commission européenne avec les RUP. Quatre grandes priorités ont été identifiées : la relance économique, la transition écologique et numérique, l'accessibilité et l'adaptation des politiques européennes sur l'agriculture et la pêche. Ce document commun a été présenté à la Commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, Élisa Ferreira. Sur cette base, le ministre et Serge Letchimy tiendront une réunion en Martinique en mai 2022 , pour échanger sur la nouvelle stratégie à l'égard des RUP que la Commission européenne entend présenter à cette date. L'économie bleue et la pêche y tiennent une place importante avec quatre grandes priorités stratégiques et une dizaine de mesures opérationnelles proposées. 46 ( * )
De nombreuses difficultés actuelles pourraient faire l'objet d'avancées dans ce contexte. Selon Denis Robin du Secrétariat général de la mer : « La transposition automatique sur nos territoires de la réglementation de l'Union européenne sur les questions maritimes et littorales par exemple est une source de frein » 47 ( * ) . L'accès aux fonds européens, notamment sur le plan maritime, n'est pas aisé car l'Europe impose aussi une réglementation stricte. « Par exemple, l'Union européenne interdit les subventions à l'augmentation des capacités des moyens de pêche et à leur modernisation. Elle a tout de même accepté de faire une exception pour les territoires d'outre-mer, montrant que la spécificité ultramarine a été prise en compte, mais avec des conditions telles, qu'aujourd'hui , nous n'avons toujours pas su mettre en oeuvre ces fonds d'aide aux flottilles de pêche ultramarines . L'Europe demande des états précis et des historiques des ressources de pêches dans les ZEE françaises en outre-mer et nous rencontrons des difficultés à apporter ce type d'éléments. » 2
Pour sa part, Stéphane Bijoux, député européen, défend un Blue deal pour aller plus loin dans l'intégration des RUP : « Le Pacte vert représente l'étendard de la présente mandature européenne. Je défends l'établissement d'un Blue deal sur le même modèle, qui inclut la pêche, le transport - le coût du fret maritime a considérablement augmenté - la protection de la biodiversité et l'exploration des fonds marins, et dont les outre-mer doivent constituer le moteur. La Commission européenne a présenté une stratégie bleue autour de plusieurs priorités : la décarbonation des transports, la création d'infrastructures vertes, l'amélioration des connaissances sur l'océan et l'attractivité des métiers de la mer. Nous devons davantage tirer parti de nos zones économiques exclusives (ZEE) ». 48 ( * )
Il estime que les contraintes insulaires peuvent devenir des atouts , notamment en matière de pêche et de tourisme durable « à condition de disposer d'infrastructures intelligentes. La création de passerelles entre l'économie et l'écologie sera source d'emploi dans les RUP ». Les outre-mer montrent aussi la voie en matière de défense de la biodiversité : « De fait, 80 % de la biodiversité européenne se trouve en outre-mer. Nous devons investir ce champ, d'autant que les RUP sont en première ligne face au réchauffement climatique, dont les effets apparaissent déjà. Je salue, à cet égard, le travail réalisé par les scientifiques aux Antilles, à La Réunion et dans les territoires du Pacifique ». 49 ( * ) Les territoires ultramarins bénéficient également d'une position géostratégique essentielle dans la zone indopacifique et peuvent participer à une contre-offensive face à la volonté de puissance de la Chine.
Le Conseil économique et social européen (CESE) fin 2021 a également été saisi, sur les atouts des RUP . Au nom du CESE, Joël Destom a remis son rapport en janvier 2022, axé sur les aspects économiques et commerciaux. Selon lui, les RUP disposent, grâce à la mer, de quatre atouts majeurs : une barrière défensive ; un trait d'union entre les territoires, les peuples et les cultures ; un vecteur commercial et des ressources.
Il considère que ces « territoires de rattrapage » doivent devenir des « territoires d'anticipation » . Les RUP doivent ainsi se positionner comme des incubateurs . Elles doivent entrer dans la course technologique, afin d'être capables d'affronter la concurrence mondiale, notamment dans le secteur touristique . Prenant l'exemple de Saint-Barthélemy, le plan d'action proposé s'articule autour d'un triple objectif : la gestion maritime, le tourisme bleu et la sécurité alimentaire . Selon lui, les territoires peuvent démontrer leur capacité à être aux avant-postes du projet européen .
L'ensemble de ces réflexions vise en définitive à placer les questions maritimes au coeur du « Green Deal » et du « Plan d'investissement » que prépare la Commission européenne . L'économie maritime est en-effet au coeur des enjeux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment au sein du secteur du transport maritime. Elle joue également, à travers les énergies marines, un rôle majeur dans le développement des énergies renouvelables et de l'indépendance énergétique de l'Union européenne. Enfin, une meilleure protection des océans, qui subissent gravement les effets du changement climatique et des pollutions, est vitale car ils produisent la moitié de l'oxygène sur terre.
Pour l'ensemble de ces raisons, un projet de Blue deal défendue par les députés européens doit inspirer la prochaine stratégie de la Commission européenne à l'égard des RUP.
Proposition n° 10 : Soutenir le projet de Blue deal européen afin de placer les questions maritimes au coeur de la stratégie de la Commission européenne pour les régions ultrapériphériques (RUP).
Enfin, on notera que le CESER accorde une grande importance à l'intégration des collectivités ultramarines dans l'action diplomatique nationale et européenne . Pour Dominique Vienne, président du CESER de La Réunion, et représentant des Outre-mer au CESER de France ; « il serait très important qu'à compter de 2022, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, via sa direction à l'action extérieure des collectivités territoriales, ne permette plus de déplacement qui n'associe pas les outre-mer . Les ambitions passent aussi par les actes. Cette évolution constituerait un vrai changement de paradigme. » 50 ( * )
Il serait intéressant, selon lui, d'utiliser le nouvel instrument financier mis en place par la Commission européenne, pour développer le voisinage, la coopération et le co-développement international (NDICI) et pour créer ainsi une dimension « l'Europe dans le monde » au profit des territoires ultramarins. Doté d'un budget de 70,8 milliards d'euros sur la période 2021-2027, il soutient l'action de l'UE pour défendre et promouvoir ses intérêts et ses valeurs dans le monde.
Proposition n° 11 : Associer systématiquement les collectivités ultramarines aux visites et réunions de haut niveau organisées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères lorsqu'elles concernent leur bassin océanique.
* 30 Audition CESER, 20 janvier 2022.
* 31 Ibid.
* 32 Audition de Dominique Vienne, président du Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) de La Réunion, 20 janvier 2022.
* 33 Audition SGMer, 4 novembre 2021.
* 34 Table ronde Europe, 2 décembre 2021.
* 35 Rapport au Conseil national de la mer et des littoraux. La France sur mer - thématiques ultramarines.
* 36 Audition de Dominique Vienne, président du Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) de La Réunion, 20 janvier 2022.
* 37 Audition SGMer, 4 novembre 2021.
* 38 Audition Cluster maritime français, 18 novembre 2021.
* 39 Audition d'Annick Girardin, ministre de la mer, 21 octobre 2021.
* 40 Audition DGOM, 4 novembre 2021.
* 41 Audition CESER, 20 janvier 2022.
* 42 Table ronde Europe, 2 décembre 2021.
* 43 Audition du 14 octobre 2021.
* 44 Audition DGOM, 4 novembre 2021.
* 45 Table ronde Europe, 2 décembre 2021.
* 46 https://www.outre-mer.gouv.fr/pfue2022-outremer-document-de-position-commune-aux-3-etats-membres-et-aux-9-regions
* 47 Audition SGMer, 4 novembre 2021.
* 48 Table ronde Europe, 2 décembre 2021.
* 49 Ibid.
* 50 Audition CESER, 20 janvier 2022.