B. ADOPTION DE STRATÉGIES À LONG TERME : L'HYPOTHÈSE D'UN RÉCHAUFFEMENT LIMITÉ À 1,8 °C D'ICI LA FIN DU SIÈCLE, TOUTEFOIS AFFAIBLI PAR UN MANQUE DE CRÉDIBILITÉ DE NOMBREUX ÉTATS
L'Accord de Paris ambitionne, à son article 4.1, de « parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais (...) et à opérer des réductions rapidement par la suite (...) de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle ».
Afin d'atteindre cet objectif de neutralité climatique - ou de zéro émission nette - dans la deuxième moitié du siècle, les États parties sont invités à « formuler et communiquer » des « stratégies à long terme de développement à faible émission de gaz à effet de serre » (article 4.19).
Neutralité carbone et neutralité climatique
La neutralité climatique correspond à un équilibre entre les émissions d'origine humaine des gaz à effet de serre (carbone, méthane, protoxyde d'azote...) et les absorptions dans des puits de carbone naturels conservés ou aménagés par l'homme, ou dans des installations de captage et de stockage du carbone (CO2).
La neutralité carbone ne tient compte que des émissions d'origine humaine de carbone (CO2).
48 Parties 10 ( * ) - représentant 69,8 % des émissions de gaz à effet de serre - ont ainsi soumis des stratégies à long terme, prévoyant notamment l'atteinte de la neutralité climatique ou carbone, à des échéances temporelles cependant différentes, comme le permettait au demeurant l'Accord de Paris 11 ( * ) .
Parmi ces 48 États parties, certains ont annoncé l'adoption d'une stratégie à long terme pendant la COP. C'est, par exemple, le cas de l'Inde, avec un objectif de neutralité carbone d'ici 2070. Peu avant la COP, la Chine et la Russie avaient également annoncé viser cet objectif à échéance 2060, tout comme l'Australie à échéance 2050 12 ( * ) . La COP26 a donc contribué à instaurer une dynamique propice à l'adoption de stratégies à long terme , dans une moindre mesure cependant que la dynamique de renouvellement des CDN, quant à elle explicitement prévue par l'Accord de Paris.
Principales cibles des stratégies à long terme
Zéro émission nette / neutralité climatique :
Islande (0,01 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre) : 2040 ;
Suède (0,06 %) : 2045 ;
Union européenne (6,81 %), Royaume-Uni (0,9 %), États-Unis (11,84 %), Australie (1,27 %), Vietnam (0,74 %) : 2050 ;
Nigéria (0,73 %) : 2060.
Neutralité carbone :
Corée du Sud (1,38 %) : 2050 ;
Chine (23,92 %), Russie (4,07 %) : 2060 ;
Inde (6,84 %) : 2070.
Autres engagements :
Indonésie (3,48 %) : atteindre 540 MtCO2e d'ici 2050, avec une étude approfondie de « l'opportunité de progresser rapidement vers le zéro émission nette d'ici 2060 » ;
Japon (2,36 %) : réduire les émissions de 80 % d'ici 2050 et atteindre « une société décarbonée aussi tôt que possible dans la seconde moitié du siècle » ;
Canada (1,56 %) : réduire les émissions de 80 % d'ici 2050 par rapport à 2005 ;
Mexique (1,42 %) : réduire les émissions de 50 % d'ici 2050 par rapport à 2000 ;
Afrique du Sud (1,06 %) : atteindre des émissions comprises entre 212 MtCO2e et 428 MtCO2e d'ici 2050 ;
Thaïlande (0,88 %) : atteindre le zéro émission nette « aussi rapidement que possible dans la seconde moitié du siècle ».
Manquent encore à l'appel de nombreux États particulièrement émetteurs 13 ( * ) : Indonésie (3,48 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre), Brésil (2,90 %), Iran (1,69 %), République démocratique du Congo (1,39 %), Arabie Saoudite (1,30 %), Turquie (0,97 %), Pakistan (0,90 %), Argentine (0,81 %), Malaisie (0,79 %), Égypte (0,67 %), Venezuela (0,57 %), Kazakhstan (0,55 %), Colombie (0,55 %), Émirats Arabes Unis (0,54 %) et Ukraine (0,54 %).
Selon les différentes analyses 14 ( * ) faites pendant la COP26, le réchauffement en fin de siècle pourrait atteindre 1,8 °C (avec un intervalle de confiance de 1,5 °C-2,4°C), dans l'hypothèse d'un respect des CDN nouvelles ou actualisées et des stratégies à long terme. Le maintien des températures sous le seuil de 2 °C serait alors atteint avec une probabilité d'au moins deux tiers . Les températures devraient alors augmenter jusqu'à 1,9 °C au milieu du siècle avant de décliner à 1,8 °C d'ici 2100.
L'adoption de nouvelles stratégies à long terme pendant la COP26 contribuerait ainsi à réduire les températures de 0,2 °C, par rapport à la trajectoire pré-COP 26 (2 °C). Cette réduction est très largement imputable à l'annonce de l'Inde d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2070.
Des incertitudes importantes pèsent néanmoins sur ces modélisations. Ces incertitudes s'ajoutent d'ailleurs à celles déjà identifiées concernant les estimations des engagements pour 2030.
Tout d'abord, dans la plupart des cas, les cibles et actions de court terme définies dans les CDN demeurent mal alignées avec l'objectif à long terme d'atteinte de la neutralité carbone ou climatique d'ici le milieu du siècle ou peu de temps après.
Ce manque de crédibilité des engagements de long terme semble en tout état de cause de nature inhérent à leur nature : si de nombreux leaders mondiaux pourraient avoir à rendre des comptes pour les CDN s'achevant en 2030, tel n'est pas le cas pour les stratégies à long terme dont l'échéance est fixée, au plus tôt, à 2050.
Par ailleurs, l'Accord de Paris étant moins prescriptif concernant les stratégies à long terme que pour les CDN, leur contenu, plus vague, n'est pas uniformisé entre les différents États.
Certains pays fortement émetteurs ont ainsi pris des engagements à long terme, mais sans faire référence à l'objectif de neutralité climatique (ex. Canada, Mexique), ou en le faisant uniquement à titre secondaire (ex. Indonésie, Japon).
Certaines stratégies à long terme s'appuient par ailleurs sur la notion de « neutralité carbone » (ex. Chine, Inde, Russie, Corée du Sud) plus restreinte que celle de « neutralité climatique » ou de zéro émission nette - visée par l'article 4.1 de l'Accord de Paris - faisant craindre un effort de réduction moindre des gaz à effet de serre autres que le CO 2 . À cet égard, il faut noter que la Chine, l'Inde et la Russie - respectivement premier, deuxième et cinquième plus gros émetteurs de méthane au monde - n'ont pas rejoint l'accord conclu à Glasgow pour limiter les émissions de CH4 (voir infra ).
Ces flexibilités sont d'ailleurs permises par l'article 4.19 de l'Accord de Paris, qui ne contraint pas les États à s'appuyer sur le concept de neutralité climatique pour formuler leurs stratégies à long terme.
Des doutes existent enfin quant à la part de compensation carbone que les États entendent mobiliser pour l'atteinte de leurs objectifs de long terme. À titre d'exemple, l'Australie, qui a très récemment annoncé vouloir atteindre la neutralité climatique d'ici 2050, a dans le même temps affirmé de ne pas envisager la fermeture de ses mines et centrales à charbon. Derrière ce paradoxe apparent, il faut sans doute percevoir la volonté du gouvernement du Premier ministre, Scott Morrison, d'investir massivement dans la compensation carbone, en s'appuyant notamment sur les mécanismes de marché prévus à l'article 6 de l'Accord de Paris (voir infra ). Il est toutefois évident que le recours à la compensation sera plafonné par la capacité d'absorption limitée des puits carbone et par le fait que le mécanisme de développement durable - marché carbone mondial prévu à l'article 6.4 de l'Accord de Paris - devra permettre une « atténuation globale des émissions mondiales » (voir infra ).
Sans uniformisation minimale et sans plus grande précision quant à leur contenu, les stratégies à long terme pourraient devenir l'alibi des États ne souhaitant pas s'engager trop rapidement dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre . L'imprécision de ces stratégies viendrait alors directement affecter l'ambition des CDN, clés de voûte de l'édifice climatique bâti à Paris en 2015.
Lors de la COP27 de 2022, la France et l'Union européenne devront donc faire de la clarification du contenu des stratégies à long terme une priorité de négociation en appelant les autres États à 15 ( * ) :
- se référer expressément à la notion de neutralité climatique dans la formulation de leur stratégie ;
- préciser la part prise par les mécanismes de compensation dans l'atteinte de cette cible.
Une attention devra également être portée sur les États particulièrement émetteurs n'ayant pas encore soumis de stratégie à long terme afin qu'une part plus large des émissions mondiales soit couverte par ce volet de l'Accord de Paris.
* 10 En intégrant l'Inde et la Russie, qui ont très récemment formulé des engagements de long terme, sans soumettre formellement, à ce jour, de document aux Nations Unies.
* 11 Pour le détail des stratégies de long terme, pays par pays, consulter cette base de données : https://www.climatewatchdata.org/lts-explore
* 12 Parmi les autres annonces de stratégies de long terme faites pendant la COP26, on peut évoquer : le Népal (zéro émission nette d'ici 2045), Israël (zéro émission nette d'ici 2050), la Thaïlande (neutralité carbone d'ici 2050 et zéro émission nette d'ici 2065), le Vietnam (zéro émission nette d'ici 2050) et le Nigéria (zéro émission nette d'ici 2060).
* 13 Les États cités représentent chacun plus de 0,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et, en cumulé, 17,1 % de ces émissions.
* 14 Sont notamment prises en compte les analyses du programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), du Climate Action Tracker (CAT), ou encore du Climate Resource.
* 15 Cette clarification pourrait passer par un renforcement de l'article 4.19 de l'Accord de Paris.