C. PERTES ET PRÉJUDICES : UN TROISIÈME PILIER DE LA GOUVERNANCE CLIMATIQUE À BÂTIR

La notion de « pertes et préjudices » fait référence aux dommages inévitables du changement climatique qui ne pourront pas faire l'objet d'adaptation, que ces dommages résultent d'événements soudains (cyclones, vagues de chaleur) ou de processus à évolution lente (comme l'élévation du niveau de la mer ou la désertification). Les « pertes et préjudices » sont parfois considérés comme les « effets résiduels » du dérèglement climatique, survenant malgré les mesures d'atténuation et d'adaptation .

Évalués pour les seuls pays en développement à un montant compris entre 290 milliards et 580 milliards de dollars par an jusqu'en 2030 , et entre 1 130 à 1 740 milliards de dollars en 2050 (respectivement dans l'hypothèse d'un réchauffement de 2.5 et de 3.4 °C d'ici la fin du siècle) 42 ( * ) , les « pertes et préjudices » font aujourd'hui l'objet d'une reconnaissance institutionnelle plus limitée que les deux autres piliers de la gouvernance climatique internationale, l'atténuation et l'adaptation.

Pourtant, COP après COP, la question de l'assistance technique et du financement des « pertes et préjudices » occupe une place croissante dans la négociation internationale et constitue une source de tensions additionnelles entre pays développés et pays vulnérables.

Si la COP26 a esquissé des pistes, elles demeurent pour l'heure très éloignées des besoins soulevés par les pays en développement. À l'avenir, cet écart devra nécessairement être comblé pour garantir la survie du cadre de coopération climatique .

1. La lente reconnaissance des « pertes et préjudices », troisième pilier de la gouvernance climatique internationale

Lors de la COP19 de 2013, un mécanisme international de Varsovie , dédié aux « pertes et préjudices », a été créé. Trois missions principales lui ont été confiées 43 ( * ) :

- améliorer la connaissance et la compréhension des approches globales de gestion des risques ;

- renforcer le dialogue et la coordination entre les parties prenantes ;

- renforcer l'action et le soutien par le financement, la technologie et le renforcement des capacités.

Si le mécanisme international de Varsovie visait à améliorer « la compréhension, l'action et l'appui », seul le premier volet de ce triptyque, a véritablement fait l'objet d'une véritable prise en charge par ce mécanisme, par la production de rapports techniques.

Deux ans plus tard, l'Accord de Paris de 2015 est venu compléter la reconnaissance institutionnelle des « pertes et préjudices », avec un article consacré à ce sujet - l'article 8 - sans toutefois prévoir de dispositifs nouveaux en matière d'assistance technique ou de soutiens financiers.

En 2019, la COP25 de Madrid a souhaité répondre à cette attente, en prévoyant la création d'un « réseau de Santiago », chargé de « catalyser » l'assistance technique en matière de « pertes et préjudices » , notamment en facilitant la compilation et le partage d'informations sur les financements disponibles. Néanmoins, le réseau ne s'est pour l'heure matérialisé que par la mise en place d'un site Internet , sous l'égide de la CNUCC.

Si la dernière décennie a donc contribué à une lente reconnaissance des « pertes et préjudices » , l'écart manifeste entre les actions engagées et les besoins identifiés, ainsi que l'absence de financements dédiés, constituent une source de tensions supplémentaires entre pays développés et pays vulnérables , s'ajoutant aux différends déjà évoqués en matière de financements dédiés à l'atténuation et à l'adaptation.

2. À Glasgow, les appels aux financements des « pertes et préjudices » restés lettre morte

Sur le volet de l'appui technique , le « Pacte de Glasgow pour le climat » exhorte tout d'abord les pays développés à apporter des fonds destinés à garantir le fonctionnement effectif du « réseau de Santiago » et à soutenir l'assistance technique . Glasgow pourrait ainsi répondre à l'insuffisance du caractère opérationnel du réseau lancé en 2019 à Madrid.

Sur le second volet , celui des financements , la décision finale esquisse certes des perspectives - en prévoyant l'établissement d'un « dialogue de Glasgow », lancé pour une durée de deux ans, visant à discuter des modalités de mobilisation des fonds vers des activités visant à éviter, minimiser et traiter les « pertes et dommages ». Toutefois, elle n'apporte aucune solution concrète , bien que des propositions aient été formulées au cours des négociations - notamment par la coalition des pays développés et des grands émergents (« G77+Chine ») - pour créer un fonds dédié aux « pertes et préjudices » et pour enjoindre les pays en développement à mobiliser un troisième flux financier, aux côtés de l'atténuation et de l'adaptation, dans le nouvel objectif chiffré collectif de financements climatiques devant être élaboré pour les années postérieures à 2025 (voir supra ).

Pour l'heure, seules l'Écosse (2 millions de livres) et la Wallonie (1 million d'euros) se font formellement engagées à des financements spécifiques aux « pertes et préjudices ».

Pourtant, sans réponse adéquate apportée à la question des « pertes et préjudices », la crise de confiance entre pays du Nord et pays vulnérables pourrait se creuser plus largement , menaçant la survie même du cadre de coopération climatique. Les conséquences géopolitiques d'une inaction des pays développés pourraient même être plus larges, la commission constatant ainsi avec inquiétude le rapprochement entre les pays en développement et la Chine face à l'incapacité des Américains et des Européens à faire progresser ce volet de la négociation climatique.

La France et l'Union européenne pourraient donc identifier, d'ici la COP27, des sources de financement pérennes et sécurisées - tant pour les pays développés et que les pays en développement - pour combler l'écart entre les réponses aujourd'hui apportées et l'étendue des dommages présents et à venir.

Des mécanismes d'annulation de dette publique en cas de survenue d'une catastrophe climatique pourraient par exemple être mobilisés, comme l'avait déjà envisagé la résolution du Sénat n° 22 (2021-2022) du 2 novembre 2021 .

En définitive, l'instauration du « mécanisme de Glasgow » enjoignant l'ensemble des parties à avancer d'ici deux ans sur la question des financements en matière de « pertes et préjudices », doit être perçue comme une issue positive de la COP26 et pourrait contribuer à faire sortir les négociations de leur inertie, pour autant toutefois que l'ensemble des États se saisissent de cette opportunité .

En matière de finance climatique, le résultat de la COP26 s'avère donc particulièrement décevant : si les négociations ont permis d'établir les règles d'application de l'article 6 relatif aux dispositifs de marché, la question des financements en direction des pays en développement - en matière d'atténuation, d'adaptation ou des « pertes et préjudices » - n'a pas connu d'avancées suffisantes pour apaiser la crise de confiance entre pays du Nord et pays du Sud .

À cet égard, la COP27 s'annonce déjà comme un rendez-vous crucial, d'autant plus qu'elle se déroulera sur le continent africain, en Égypte, particulièrement sensible à ces enjeux. Sans réponse rapide de la communauté internationale aux problématiques de finance climatique, la crise de confiance pourrait s'ancrer plus encore et paralyser durablement la négociation climatique .

L'instauration du « mécanisme de Glasgow » enjoignant l'ensemble des parties à avancer d'ici deux ans sur la question des financements en matière de « pertes et préjudices », doit être perçue comme une issue positive de la COP26 et pourrait contribuer à faire sortir les négociations de leur inertie, pour autant toutefois que l'ensemble des États se saisissent de cette opportunité .


* 42 Integrated Assessment for Identifying Climate Finance Needs for Loss and Damage: A Critical Review | SpringerLink .

* 43 Pertes et préjudices : les effets néfastes du changement climatique sur les systèmes humains et naturels | IDDRI

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