II. LA VERTICALISATION DES CONTRATS DE MAINTENANCE AÉRONAUTIQUE : UNE RÉFORME QUI NE DOIT PAS ÊTRE DÉVOYÉE
L'attention portée au niveau de disponibilité technique opérationnelle (DTO) des équipements des armées tient à son lien de causalité évident avec la capacité d'assumer les niveaux d'engagement les plus élevés demandés. La DTO dépend largement du plan de transformation du maintien en condition opérationnelle (MCO) qui a été défini pour chaque milieu. Les coûts de MCO, hormis leur lien étroit avec les objectifs d'activité, sont dépendants des politiques contractuelles, du paysage industriel (environ deux tiers des marchés de MCO sont passés de gré à gré), de la montée en puissance des nouveaux parcs, de leur degré de complexité et de la capacité à maintenir des flottes existantes au-delà de leur durée de vie prévisionnelle. Dans ce contexte, les actions pour maîtriser les coûts de MCO et améliorer la DTO partagent plusieurs axes communs :
- le renforcement de la gouvernance qui doit fixer les objectifs et les grandes orientations ;
- le positionnement des maîtrises d'ouvrage déléguées (structures de soutien), acteurs centraux de leur milieu d'exercice ainsi que le rôle et le statut des maîtrises d'oeuvres industrielles (MOI) étatiques qui préservent l'autonomie d'action et contribuent à la défense des intérêts de l'État ;
- et une juste répartition des charges entre les services étatiques (armées et services industriels) et les opérateurs privés pour gagner en performance globale , tout en préservant des niveaux d'autonomie, de résilience et de réactivité adaptés aux exigences opérationnelles. La nécessité de mieux responsabiliser les industriels, à travers des contrats de moyenne ou longue durée englobant l'ensemble du MCO d'un équipement a dicté les grandes lignes de ces réformes de la maintenance.
La verticalisation implique maîtrise d'ouvrage, services de soutien et maîtrises d'oeuvres étatiques autant que les opérateurs privés, responsabilisés autour de contrats globaux de moyen et long terme, au service de l'amélioration de la performance des parcs d'équipement.
Dans le milieu aéronautique, la transformation du MCO, portée par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), se traduit par de nouveaux contrats de soutien verticalisés et globalisés confiant à un maître d'oeuvre unique un périmètre d'actions couvrant la quasi-intégralité d'un aéronef et la gestion logistique des stocks sur une longue durée. Ces contrats assignent des objectifs de performance les engageant sur une amélioration de la disponibilité globale d'une flotte ou de pièces de rechange et sont rémunérés en fonction de l'atteinte de ces objectifs. La verticalisation des contrats donne de la visibilité aux industriels retenus pour organiser leurs prestations, leur chaîne d'approvisionnement et de sous-traitance et planifier leurs investissements sur le long terme, ce qui doit permettre de maîtriser les coûts dans la durée. Ces contrats donnent déjà des résultats positifs, comme le montrent :
- l'amélioration de la disponibilité de la flotte Rafale grâce aux réductions des délais d'attente de décision et d'attente de pièces. Le contrat Ravel impose à l'industriel de limiter les indisponibilités de son fait à un maximum de 20 % du parc, soit un gain de 10 % par rapport à la situation initiale à la notification du contrat. Un avenant a prévu de rééquiper des Rafale pour pallier les effets de l'exportation vers la Grèce . En 2021, cet engagement se traduira, à parc équivalent, par une augmentation de la disponibilité de 4 appareils qui sera portée à 10 appareils d'ici 2022 ; |
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(c)État-major des armées |
- l'augmentation de la disponibilité de l'A400M grâce aux dispositifs favorisant la disponibilité des pièces de rechange et à l'engagement du SIAé a permis l'accroissement du nombre d'heures d'utilisation de chaque appareil . Sans cette progression, l'opération Apagan de rapatriements de ressortissants en Afghanistan le 15 août 2021 n'aurait pas pu avoir lieu dans les mêmes conditions. |
- la création d'un guichet de pièces de rechange pour les flottes Cougar et Caracal sur toutes les bases concernées et d'un pôle technique à Bordeaux dans le cadre du contrat Chelem. Le MCO de 5 Cougar destinés à la formation a été entièrement externalisé. Les autres Cougar sont maintenus par l'armée de terre ce qui garantit le maintien de la compétence MCO sans attente de pièces ou de décisions ;
- ou le quasi-doublement d'activité de la flotte Fennec de l'armée de Terre en 2020 par rapport à 2018 . Ce contrat prévoit la fourniture d'une activité annuelle nominale de 4000 heures de vol (mais 5000 heures réalisées en 2020), à comparer aux 3000 heures de vol réalisées les années précédentes. Il n'y a ainsi plus de rupture dans la formation des pilotes de l'armée de terre.
La verticalisation appelle toutefois les remarques suivantes :
- à isopérimètre, les contrats de verticalisation veillent à ce que le coût à l'heure de vol n'augmente pas . En revanche, la mise en oeuvre des contrats se traduit par une remise à niveau des stocks, qui avaient souvent subi un sévère sous-investissement les années précédentes. Le besoin de crédits en début de contrat peut donc donner l'impression que la verticalisation se traduit par une hausse des coûts de MCO, ce qui n'est pas le cas, les acteurs étatiques du MCO y veillent ;
- la tentation existe de recherche d'un optimum économique arbitrant entre deux variables majeures : l'activité et la Disponibilité Technique (DT), fournie à partir de pièces de rechanges et de réponses techniques transmises par l'industriel titulaire du marché et par l'action des unités de maintenance des armées. Il est notable que cette réflexion se tient alors que la DT est désormais protégée par une classification . Le raisonnement visant à réduire une supposée « sur-disponibilité » pour financer plus d'heures d'activité n'est pas rationnel économiquement et techniquement. Il conduirait à une surusure des équipements et à l'érosion plus rapide du capital technique des armées . La commission sera particulièrement attentive à ce que la DT ne devienne pas la variable d'ajustement dans un contexte budgétaire qui sera particulièrement difficile à tenir à partir de 2023 , année d'une augmentation extrêmement conséquente des crédits tels que prévus par la loi de programmation militaire ;
- enfin, le plan de charge du SIAé doit être l'objet d'une attention particulière. La répartition de l'entretien des matériels aéronautiques entre le SIAé et les industriels privés, s'appuyant sur les compétences existantes ou sur l'analyse des compétences à acquérir, s'effectue prioritairement pour assurer l'autonomie et la résilience des forces . Pour les parcs proches des aéronefs civils, le soutien par des industriels privés est privilégié (Falcon, Airbus A330). Pour les parcs spécifiquement militaires, le soutien de niveau industriel est généralement confié au SIAé (Rafale, Mirage 2000, Alphajet). Pour les parcs dont le volume d'activité de maintenance est important, l'activité est partagée entre le SIAé et l'industrie privée pour garantir une plus grande résilience globale et optimiser l'outil industriel. Pour maintenir les compétences du SIAé et des forces, il est essentiel de maintenir un niveau d'activité suffisant sur le matériel, en rapport avec les effectifs concernés et le périmètre de compétences à préserver. Enfin, le SIAé doit pouvoir équilibrer son budget . En l'occurrence, il lui est nécessaire d'obtenir la pleine responsabilité de la maintenance des 10 C-130 J de la nouvelle unité franco-allemande d'Évreux.