N° 859

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 2021

RAPPORT D' INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le financement des aires protégées ,

Par Mme Christine LAVARDE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, MM. Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » a présenté le mercredi 29 septembre 2021 devant la commission des finances les conclusions de son contrôle budgétaire sur le financement des aires protégées.

Alors que la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a dressé une première évaluation de l'état mondial de la biodiversité dont les résultats sont particulièrement alarmants, l'une des voies d'action pour la préservation de la biodiversité repose sur la création et la gestion d'aires protégées . En janvier 2021, la France s'est dotée d'une nouvelle stratégie nationale pour les aires protégées (SNAP) à horizon 2030 , qui repose sur l' objectif d'un réseau géré d'aires protégeant 30 % du territoire national, dont 10 % sous « protection forte ». Les moyens alloués aux structures gestionnaires suivent toutefois un rythme bien plus lent que les annonces de création ou d'extension d'aires, qui se sont récemment multipliées, comme lors du congrès mondial de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui s'est tenu à Marseille début septembre.

I. LES AIRES PROTÉGÉES : UNE ORGANISATION ET UN FINANCEMENT COMPLEXES ET ÉCLATÉS

A. LES AIRES PROTÉGÉES, DES ESPACES INDISPENSABLES À LA PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET QUI PARTICIPENT AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DES TERRITOIRES

D'après la définition donnée par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), reprise par le ministère de la transition écologique, une aire protégée est « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d'assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ». De nombreux outils sont toutefois associés aux aires protégées et instaurent des niveaux de protection gradués.

La gestion de ces différents types d'aires protégées mobilise différents acteurs , qui peuvent varier pour les mêmes outils. La multiplicité de ces outils d'aires protégées et de leurs structures gestionnaires apparaît à la fois comme une source de flexibilité , car elle permet d'apporter la réponse la plus adaptée aux spécificités locales, mais aussi de complexité, tant en terme de pilotage de politiques publiques que de lisibilité pour les citoyens .

S'il n'existe pas aujourd'hui de définition du « bénéfice » rapporté à la gestion de la nature , ces espaces génèrent de nombreuses externalités positives, pour les territoires et l'économie , bien loin de l'idée de la « mise sous cloche » de la nature , coupée de toute activité humaine. Les aires protégées sont ainsi le vecteur d'écotourisme, d'attractivité des territoires et d'emplois non délocalisables et participent à de nombreuses politiques (développement économique, aménagement du territoire, etc ).

B. UN FINANCEMENT DES AIRES PROTÉGÉES TRÈS ÉCLATÉ, MOBILISANT UNE PLURALITÉ D'ACTEURS PRINCIPALEMENT PUBLICS

Le financement de la politique de la biodiversité a été profondément remanié par la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018. La suppression des subventions pour charge de service public versées par le programme 113 aux opérateurs de la biodiversité traduisait un certain désengagement de l'État du financement de la politique de la biodiversité, et marquait un transfert de ce financement à l'Office français de la biodiversité (OFB), opérateur lui-même majoritairement financé par les contributions des agences de l'eau . En 2021, la mission « Écologie, développement et mobilité durables » consacre 72,1 millions d'euros au financement des aires protégées, et l'OFB 87,5 millions d'euros. L'État a toutefois consenti un effort budgétaire pour les aires protégées dans le cadre du plan de relance (60 millions d'euros d'ici 2023).

De nombreux opérateurs de l'État participent également au financement des aires protégées :

- les agences de l'eau , dont les missions ont été élargies au financement des interventions en faveur de la biodiversité et des milieux marins par la loi « biodiversité » de 2016, y consacrent environ 25 millions d'euros par an . Certaines fédérations de structures gestionnaires ont toutefois pu indiquer rencontrer des difficultés à mobiliser des financements des agences de l'eau sur le volet terrestre (le principale de « l'eau paye l'eau » semble toujours guider les redevances des agences) ;

- l'Office nationale des forêts (ONF) , gestionnaire de 257 réserves biologiques , consacre au titre d'actions spécifiques pour la biodiversité, emblématiques des aires protégées, entre 30 et 40 millions d'euros par an , soit 4 à 5 % de son budget total ;

- le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL) participe à l'action foncière en acquérant des sites, puis en les mettant en gestion auprès prioritairement des collectivités.

Au total, les crédits alloués par l'État et ses opérateurs en 2021 aux aires protégées sont compris entre 230 et 250 millions d'euros environ.

Les collectivités locales participent activement au financement des aires protégées, mais leur contribution reste très difficile à chiffrer :

- les départements exercent une politique en matière d'« espaces naturels sensibles », financée par une part de la taxe d'aménagement, assise sur les autorisations d'urbanisme pour compenser l'artificialisation des sols, dont les recettes représentaient en 2015 434 millions d'euros ; seulement 271 millions d'euros étaient toutefois affectés à la politique ENS ;

- en tant que « cheffes de file » en matière de biodiversité, les régions participent également au financement des PNR, des réserves naturelles régionales, ou encore de sites CELRL. Contrairement aux départements, elles ne bénéficient toutefois pas de ressource spécifique pour le financement de la biodiversité et donc des aires protégées. Elles sont également gestionnaires des fonds européens, qui restent les principaux financeurs de la politique « Natura 2000 ».

II. LA QUESTION DES BESOINS HUMAINS ET FINANCIERS NÉCESSAIRES POUR RÉPONDRE AUX OBJECTIFS DE LA NOUVELLE STRATÉGIE N'EST AUJOURD'HUI PAS ENCORE TRANCHÉE

A. DES MODES DE FINANCEMENT VARIABLES SELON LES OUTILS DE PROTECTION, MAIS UNE DYNAMIQUE IMPORTANTE DE RECHERCHE DE FINANCEMENTS SUR PROJET

S'agissant des outils « réglementaires » : les parcs nationaux restent majoritairement financés par l'OFB et des subventions de l'État. Ces deux financements représentent 88 % de leurs ressources. Les réserves ont engagé une démarche de recherche de financements sur projet plus importante, compte tenu, pour les réserves nationales, d'un gel de leurs dotations jusqu'en 2021.

Les outils contractuels mobilisent principalement les financements des collectivités locales. S'agissant des PNR, les recettes issues de cotisations statutaires représentent les 2/3 des recettes de fonctionnement : cette structure de recettes les rend très sensibles à la contrainte budgétaire des collectivités.

B. DES MOYENS DIFFICILEMENT COMPATIBLES AVEC LES OBJECTIFS AFFICHÉS PAR LA NOUVELLE STRATÉGIE POUR LES AIRES PROTÉGÉES POUR 2030

Les structures gestionnaires d'aires protégées font face à un poids important des dépenses de personnel dans leur budget . Par exemple le budget global des 11 parcs nationaux s'établit à 80 millions d'euros en 2020, en progression de 15 % depuis 2016 , à un rythme sensiblement identique à celui de l'augmentation de la ressource principale, mais la masse salariale représente un poids important dans le total des dépenses (68 % en 2020) et croissant (+12 % par rapport à 2016), ce qui au regard de la relative stabilité de la ressource budgétaire principale finançant le fonctionnement, limite la capacité des parcs à financer d'autres types de dépenses. Les dépenses de personnel représentent en moyenne 85 % des dépenses des réserves naturelles, et pour les PNR , dont les budgets s'élèvent à 183 millions d'euros en 2017, les charges de personnel représentent 65 % des dépenses de fonctionnement, soit 1,63 million d'euros par parc. Pourtant, l'extension du réseau des aires protégées (augmentation du nombre de parcs nationaux, de réserves naturelles, ...) n'est pas allée de pair avec une augmentation des emplois pour les structures gestionnaires .

La situation financière des structures gestionnaires est hétérogène, mais la plupart des structures ont indiqué être confrontées de manière récurrente aux tensions de trésorerie résultant d'importants délais de recouvrement des crédits issus de programmes européens. En outre, les parcs nationaux présentent des capacités d'autofinancement réduites et des niveaux bas de trésorerie, ce qui les rend vulnérables face aux catastrophes susceptibles d'affecter leurs équipements (exemple de la tempête Alex dans le Mercantour) et limite leur réactivité pour porter des projets au nom des collectivités adhérentes .

Si le contrôle a permis d'étudier l'évolution des moyens alloués aux structures gestionnaires et de leur budget depuis quelques années, il est particulièrement regrettable que le Gouvernement n'ait pas procédé à une évaluation des besoins des structures avant la publication de la nouvelle stratégie pour les aires protégées (SNAP) pour 2030.

Pourtant, cette stratégie rehausse les objectifs de la France en matière de protection de son territoire, ce qui implique inévitablement l'extension ou la création d'outils de protection forte, et partant, des moyens nouveaux ou additionnels aux moyens existants pour les structures gestionnaires. Alors même que les structures connaissent déjà des difficultés pour exercer leurs missions de protection, exacerbées dans un contexte de surfréquentation concernant de plus en plus d'aires protégées, ces objectifs ont été définis sans évaluation préalable des besoins financiers, en fonctionnement ou en investissement, et des ressources humaines qui devraient les accompagner.

Afin de permettre aux structures gestionnaires d'aires protégées de remplir leurs missions de protection, il est désormais indispensable de les doter de moyens humains et financiers adaptés, compte tenu des objectifs fixés par la SNAP et des évolutions récentes des usages d'espaces naturels - qu'il s'agisse du développement récent de tourisme « vert », ou du développement plus constant des activités et sports de nature au sein d'espaces naturels.

III. UN FINANCEMENT DES AIRES PROTÉGÉES À CONFORTER ET À DIVERSIFIER

A. CONFORTER L'ENGAGEMENT BUDGÉTAIRE DE L'ÉTAT ET DE SES OPÉRATEURS ET OPTIMISER LES RESSOURCES EXISTANTES

Si elle est réclamée par plusieurs organisations représentatives de structures gestionnaires d'aires protégées, la revalorisation des dotations versées par l'État ne paraît pas opportune avant la réalisation de l'évaluation précise des besoins , en fonctionnement et en investissement, qui sera remise d'ici la fin de l'année par la mission commune de l'Inspection générale des finances et du CGDD. Des pistes d'amélioration des modes de financement peuvent toutefois d'ores et déjà être dégagées : par exemple, un engagement lisible de l'État dans le temps apparaît indispensable pour sécuriser les projets des structures gestionnaires.

Par ailleurs, il faut désormais tendre vers une fiscalité d'incitation à la protection de la biodiversité : la non-compensation progressive par l'État de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les sites Natura 2000 a été fortement pénalisante pour les petites communes allant même jusqu'à remettre en cause leurs engagements vis-à-vis de l'animation du réseau Natura 2000. Les critères restrictifs d'éligibilité à la « dotation biodiversité » ont pu exclure de nombreuses collectivités pourtant engagées en faveur de la protection de zones naturelles. Un recalibrage bienvenu est proposé dans le projet de loi de finances pour 2022.

B. DIVERSIFIER LE FINANCEMENT PAR LE MÉCÉNAT CIBLÉ

La diversification vers des financements « sur projet » est souhaitable, mais nécessite toutefois non seulement des moyens humains , car elle implique de mobiliser des agents pour le montage des projets, mais également un bon niveau de trésorerie, notamment pour la mobilisation des fonds européens . S'il faut faciliter la mobilisation de ces fonds par la mise en place d'outils d'appui aux porteurs de projets en termes d'avance de trésorerie , il importe également de « booster » les ressources propres des structures gestionnaires , qui représentent aujourd'hui une part marginale de leurs recettes. L'implication du secteur privé en tant que financeur, par le biais du mécénat, constituerait une piste intéressante, lorsqu'il se limite à quelques actions ciblées (mécénat de compétences ou en « nature ») .

C. UNE PARTICIPATION DES USAGERS AUX FINS ÉCONOMIQUES DES AIRES PROTÉGÉES DOIT ÊTRE ENVISAGÉE

Aujourd'hui, si certaines redevances s'appuient sur les pressions exercées par l'activité humaine sur les écosystèmes, la majeure partie des atteintes à la biodiversité liées à des activités anthropiques ne font pas l'objet d'une taxe . La mise en oeuvre d'une nouvelle fiscalité affectée à la biodiversité a pu être évoquée . Compte tenu de la situation économique, et des statuts des structures qui ne leur permettent pas toujours de percevoir une fiscalité affectée, la création de nouvelles taxes ne paraît pas souhaitable. Surtout, cette taxation « écologique » conduirait à accroître la dépendance du financement des aires protégées à la poursuite d'atteintes à la nature.

En revanche, si l'accès aux aires protégées doit rester libre et gratuit, une contribution financière peut légitimement être attendue des usages « économiques » des espaces protégés. Afin de donner une valeur aux services rendus par les aires protégées - autrement dit de traduire en pratique l'idée selon laquelle « la nature ne rend pas des services gratuits » -, une participation financière des usagers aux fins économiques des aires protégées doit être envisagée . Les aires protégées sont en effet devenues aujourd'hui le support d'activités économiques, qu'elles soient sportives ou culturelles, qui représentent une pression supplémentaire sur les aires protégées et génèrent davantage de coûts d'entretien . Une telle contribution n'aurait pas vocation à s'appliquer aux familles ou personnes membres de fédérations de randonnées, pédestre ou cycliste, utilisant ces espaces à titre gratuit, ni aux structures associatives, qui proposent par exemple des sorties découvertes au sein d'espaces protégés, et ne poursuivent pas de but lucratif.

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