EXAMEN EN DÉLÉGATION
M. Stéphane Artano, président . - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi les conclusions de nos rapporteurs sur l'étude relative au logement outre-mer. Lors de notre réunion de programmation en décembre dernier ce sujet est arrivé en tête de vos propositions thématiques.
En effet, l'échec du premier Plan logement outre-mer (2015-2019), confirmé par la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2020, le retard déjà pris dans la mise en oeuvre du second plan (2019-2022) ainsi que le constat que nous pouvons tous faire dans nos territoires de l'aggravation des difficultés de nos concitoyens pour se loger, sont des phénomènes extrêmement préoccupants.
Malgré l'ampleur des problématiques à appréhender, je tiens à saluer le choix de la délégation, dans son ensemble, d'avoir retenu ce sujet ambitieux. Il permet d'évaluer une politique publique majeure de l'État et qui touche à la vie quotidienne des populations dans nos territoires.
Avant de céder la parole à Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard qui ont formé notre remarquable trio de rapporteurs, je voudrais vous faire part de ma très grande satisfaction pour la qualité du travail accompli.
Je vais vous livrer quelques éléments qui témoignent de l'importance et du sérieux de leurs travaux.
Cette étude a donné lieu précisément à 21 réunions plénières auxquelles il faut rajouter 3 auditions réalisées par les rapporteurs eux-mêmes, 7 tables rondes et 43 heures d'auditions.
Au total, 114 personnes ont ainsi pu être auditionnées et ceci malgré le contexte sanitaire.
Comme l'an dernier, aucun déplacement n'a pu être organisé. Toutes les auditions ont fait l'objet de visioconférences et ont été diffusées en direct puis en vidéos consultables à la demande. Les tables rondes et auditions géographiques avec Mayotte, la Polynésie française, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie ont permis de réunir chacune de nombreux acteurs, ce qui a donné lieu à des témoignages et des échanges particulièrement éclairants, confirmant la nécessité de revoir en profondeur cette politique.
Pour le présent rapport, les comptes rendus des auditions seront réunis dans un volume annexé au rapport d'information. Leur retranscription représente plus de 350 pages qui contribueront à enrichir le débat.
Nous savons tous que les départements et les régions d'outre-mer (DROM) et les COM font face à des contraintes spécifiques en matière de logement : un foncier constructible rare et cher du fait de leur géographie, des coûts de construction supérieurs à ceux de l'Hexagone et des évolutions démographiques rapides et hétérogènes complexifiant la planification...
Mais nos rapporteurs sont allés plus loin afin que leurs recommandations permettent de repenser profondément la manière de définir et de gérer la politique du logement dans les outre-mer. Leur diagnostic est étayé et leurs recommandations sont nombreuses puisqu'elles sont au nombre de 77, soit autant que le PLOM 2 qui a fait l'objet de leurs analyses critiques. C'est dire l'ampleur de la refondation qu'ils proposent !
Le choix de cette étude exprime en effet aussi notre profonde inquiétude quant à la réussite du nouveau plan 2019-2022 (dit PLOM 2). L'an prochain, à l'heure du bilan, nous risquons de nous retrouver à nouveau avec des objectifs non tenus et le constat récurrent d'une inadaptation des outils de la politique du logement aux besoins des territoires ultramarins dans leur diversité.
Je suis convaincu que nos propositions si vous les approuvez pourront nourrir, utilement et concrètement, le mouvement qui est en cours, en faveur d'une véritable territorialisation des politiques publiques dans les outre-mer afin qu'elles soient tout simplement plus efficaces.
Je vous rappelle, pour ceux qui voudront y assister, qu'une conférence de presse se tiendra, ici même salle Monory, tout à l'heure. Je vous propose sans plus tarder de céder la parole aux rapporteurs et en premier lieu à Victorin Lurel qui a eu en charge le cadre général de cette politique et de son financement.
M. Victorin Lurel, rapporteur . - Monsieur le Président, chers rapporteurs, chers collègues. Le deuxième Plan Logement outre-mer (PLOM), fixé pour les années 2019 à 2022, est aujourd'hui plus qu'à mi-parcours. Un bilan du déploiement de ce plan, qui promettait d'être davantage territorialisé que le premier PLOM, devait donc être réalisé. Ce bilan a surtout offert l'opportunité de réinterroger en profondeur l'efficacité de la politique du logement dans les outre-mer.
Un premier constat s'impose : malgré les plans successifs et les outils mobilisés, les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des besoins de nos territoires. L'objectif de construction et de réhabilitation de 10 000 logements sociaux par an sur la période 2015-2019 n'a pas été tenu. En 2019, moins de 6 000 constructions neuves ont été financées et moins de 2 000 logements ont été réhabilités.
La tendance est même à la baisse continue depuis 2016, et seule l'année 2020 semble enregistrer une légère amélioration avec un total de 8 000 logements financés en construction et réhabilitation. Encore faut-il préciser que cet indicateur, souvent repris dans les communications du Gouvernement, n'est pas suffisant. Les durées de chantier étant longues, le nombre de logements financés doit être complété par celui du nombre de logements livrés. Or, en 2019, un peu moins de 4 300 constructions neuves ont été livrées dans les DROM. Deux phénomènes doivent également être notés : l'effondrement de l'accession sociale à la propriété sur les années 2018 et 2019 du fait de la suppression de l'allocation logement accession, ainsi que la forte baisse de la production de logements locatifs très sociaux (LLTS).
Un deuxième constat - paradoxal au regard de l'ampleur des besoins actuels et futurs - fait apparaître une baisse continue depuis 2014 des crédits de la Ligne budgétaire unique (LBU), l'outil principal de soutien de l'État en faveur du logement social dans les DROM. Fixées autour de 270 millions d'euros dans les années 2010, les autorisations d'engagement de la LBU s'établissent depuis 2018 autour de 220 millions d'euros, soit une diminution de près de 25 %. Pour justifier cette diminution, le ministère des outre-mer pointe la sous-consommation de la LBU. Cette logique doit cependant être remise en cause : plutôt que de réduire d'année en année les crédits sous prétexte qu'ils sont sous-consommés, la priorité devrait être d'en améliorer la consommation.
À cet égard, le manque d'ingénierie de l'État - et non pas seulement celui des collectivités - doit être davantage pointé. Faute de moyens humains à la hauteur, le pilotage budgétaire par la DGOM reste encore trop artisanal pour anticiper et mieux répondre aux risques de sous-consommation. L'exécution de la LBU pourrait aussi être améliorée si elle ne se concentrait pas de façon aussi significative en fin d'exercice. Par ailleurs, les critères de ventilation géographique de la LBU restent peu objectifs et le mode de décision de réaffectation très opaque. Les aides fiscales, de plus en plus portées par les dispositifs de crédits d'impôt, doivent également être mieux pilotées. Il reste ainsi très dommageable de ne pouvoir disposer de la localisation des logements ayant bénéficié de ces dispositifs.
Face à ces constats d'échec, la solution doit passer par une meilleure mobilisation des financements disponibles et par une véritable territorialisation de la politique du logement.
La LBU et les aides fiscales ne doivent pas occulter le troisième outil de soutien au logement dans les DROM : les offres de prêts et les aides des agences nationales comme la Banque des territoires, Action Logement, l'ANAH et l'ANRU mais aussi des collectivités via les garanties d'emprunt. Si un nouvel écosystème de financements semble aujourd'hui se dessiner, la vigilance doit rester de mise pour en assurer le déploiement effectif. C'est ainsi le cas avec Action Logement qui prévoit une enveloppe spécifique outre-mer au sein de son Plan d'investissement volontaire (PIV), dont la mise en oeuvre dans les DROM devra être évaluée concrètement.
Un autre acteur s'est par ailleurs imposé dans le paysage du logement outre-mer avec CDC Habitat qui a racheté les parts de 8 SIDOM et permis d'assainir leur situation financière. Il faut cependant noter que le produit de cette vente n'a pas été intégralement reversé, comme pourtant promis, en faveur du logement en outre-mer. Dans ce paysage, un acteur reste encore trop faiblement impliqué : l'ANAH n'intervient aujourd'hui dans les DROM qu'en faveur des propriétaires bailleurs et non des propriétaires occupants, ce qui limite fortement le déploiement des aides à l'amélioration de l'habitat. S'agissant des collectivités, celles-ci peuvent en principe apporter des garanties d'emprunt pour les opérations des bailleurs sociaux. Plusieurs contraintes, comme l'obligation pour un EPCI d'avoir validé son Programme local d'habitat (PLH) pour apporter sa garantie, limite cependant de fait ce soutien.
Pour gagner en efficacité, la politique du logement outre-mer doit permettre une meilleure mobilisation des financements. Mais elle doit également être davantage et plus concrètement territorialisée. Promesse du PLOM 2, cette territorialisation impose de mieux prendre en compte les particularités de chaque territoire pour développer une stratégie qualitative et non pas seulement quantitative. Pour ce faire, il reste indispensable d'améliorer dans les DROM les structures de concertation et de coordination des acteurs du logement véritablement décisionnels. Aujourd'hui, les conseils départementaux de l'habitat et de l'hébergement (CDHH) ne constituent bien souvent que des « chambres d'enregistrement » sans définition de choix opérationnels.
Sans oublier la spécificité de leur statut, les COM peuvent constituer des modèles en matière de politique de l'habitat : la Polynésie française ou Saint-Pierre-et-Miquelon ont ainsi mis en place des stratégies territoriales qui prennent en compte l'ensemble des aspects de la politique de l'habitat et qui associent les différents acteurs. Il conviendrait d'instituer une instance collégiale à caractère exécutif, déclinée en 4 niveaux pour être plus opérationnelle : un conseil de concertation réunissant tous les acteurs locaux ; un comité de financeurs pour s'assurer du montage des opérations ; un comité de pilotage, plus restreint pour assurer le suivi et être véritablement décisionnel et enfin des groupes de travail thématiques selon les besoins.
Cette territorialisation doit aussi passer par une meilleure représentation des outre-mer dans les instances nationales du logement. Le ministère des outre-mer n'est membre ni du conseil d'administration de l'ANAH ni de celui de l'ANRU. La présence d'un parlementaire ultramarin au conseil d'administration de l'ANAH permettrait de s'assurer de l'engagement de l'agence dans ses territoires. Les agences nationales, comme Action Logement, la Banque des territoires et CDC-Habitat doivent désigner des référents locaux dans chacun des territoires et multiplier les missions d'études sur le terrain. Pour cela, il faut régler le conflit entre l'USH et l'USHOM qui pose des problèmes de responsabilité et de légitimité.
Enfin, l'État doit assurer l'accompagnement des collectivités et faciliter leurs moyens d'action en soutien aux bailleurs sociaux. Les plateformes d'aide à l'ingénierie, déployées à Mayotte et en Guyane, doivent être mises en place dans les autres DROM, en calibrant davantage les moyens en fonction des besoins.
Meilleure mobilisation des financements et véritable territorialisation de la politique du logement permettront donc de rénover les cadres d'action pour assurer le succès du PLOM 2 et des plans qui seront amenés à lui succéder.
Mme Micheline Jacques, rapporteure . - Monsieur le Président, chers rapporteurs, chers collègues. 33 000 : c'est le nombre de familles en attente d'un logement social rien que sur l'île de La Réunion. Ce chiffre, rappelé à l'occasion de la visite de la ministre du logement Emmanuelle Wargon dans l'océan Indien, alerte sur l'ampleur de la crise du logement dans nos territoires. Aujourd'hui, si 80 % de la population des DROM est éligible au logement social, seuls 15 % y résident effectivement. Face à cette situation, les freins doivent être levés pour soutenir la réhabilitation et la construction de logements sociaux. Si beaucoup de mesures ont été prévues par le PLOM 2, leur mise en oeuvre doit aujourd'hui être accélérée !
Je commencerai par deux défis majeurs : celui du foncier aménagé et celui de l'adaptation des normes. Ces deux chantiers sont capitaux si l'on veut baisser les coûts des opérations et construire davantage en outre-mer.
Le foncier avait fait l'objet d'une étude triennale de la délégation entre 2015 et 2017. Les acteurs du logement auditionnés lors des tables rondes thématiques ont tous insisté sur la nécessité de disposer de davantage de foncier aménagé. Les Fonds régionaux d'aménagement fonciers et urbains (FRAFU) doivent en principe permettre de constituer des réserves foncières et de réaliser des équipements d'aménagement. Mais leur financement, basé sur la LBU et sur des contributions des collectivités locales et de l'Union européenne, reste insuffisant pour répondre aux enjeux.
La table ronde consacrée à la Guyane a été également l'occasion de mesurer les défis posés par l'Opération d'intérêt national (OIN), développée en Guyane, qui devrait conduire à la réalisation de 23 000 logements d'ici 2027. Si l'État s'est engagé à transférer gratuitement des terrains, les cessions prennent du temps et sont morcelées. Par ailleurs, à Mayotte, si le projet d'OIN a été acté, les mesures d'application n'ont toujours pas été prises. Pour rendre le foncier plus abordable, les outils des baux réels solidaires (BRS) permettent d'opérer une dissociation entre le foncier et le bâti pour assurer aux plus modestes un accès à la propriété et mériteraient d'être développés dans tous les territoires.
Le chantier de l'adaptation des normes doit également être mené à terme, l'inadaptation normative étant un des facteurs du renchérissement des coûts. Quatre ans après le rapport de la délégation, quelques progrès ont été enregistrés notamment via la constitution d'une commission locale de normalisation à La Réunion et de cellules économiques régionales de la construction en Guadeloupe et à la Martinique. Mais l'absence de ces structures dans les territoires, pourtant promises par le PLOM 2, est aujourd'hui dommageable.
Surtout, un travail important reste à conduire avec la Commission européenne pour obtenir la dérogation au marquage CE et la mise en place d'un « marquage RUP » pour faciliter l'importation de produits de l'environnement régional des outre-mer. Le travail mené par la Nouvelle-Calédonie, avec le référentiel RCNC, peut servir de modèle en la matière.
J'en viens maintenant aux problématiques plus spécifiques de l'habitat indigne, de la mixité sociale et de la réhabilitation. Ce sont là trois thèmes majeurs à traiter si l'on veut assurer un accès pour toutes les populations à un logement décent et abordable.
L'habitat indigne, qui expose ses occupants à des risques pour leur santé et leur sécurité, concerne plus de 110 000 logements dans les DROM. Dans certaines COM, la situation est particulièrement préoccupante, comme à Saint-Martin où moins de 40 % des ménages disposent de l'eau chaude dans leur logement. Alors qu'il se concentrait auparavant dans certaines zones urbaines, le phénomène de l'habitat indigne est aujourd'hui beaucoup plus diffus, rendant son identification et son traitement plus difficiles.
Les opérations de démolition se sont accélérées à Mayotte et en Guyane, depuis la loi ELAN de 2018. Mais, pour éviter de ne faire que déplacer des bidonvilles, ces opérations doivent associer en amont et en aval les populations pour identifier des solutions pérennes de relogement. Les actions des ADIL (présentes partout sauf à Mayotte) et celles des associations (comme la Fondation Abbé Pierre, uniquement présente dans l'océan Indien) doivent être encouragées. Surtout, des solutions innovantes doivent également être recherchées.
Les opérations d'autoconstruction et d'autoréhabilitation peuvent apporter des réponses, comme le prouve le projet de résorption du talus Majicavo de Koungou à Mayotte. Cependant elles sont encore trop peu utilisées, notamment du fait du manque de soutien des assurances.
Le défi sur nos territoires est aussi d'assurer la mixité sociale et de garantir des loyers abordables pour les populations. Il faut rappeler que La Réunion et la Guadeloupe connaissent les loyers de logements sociaux les plus élevés de France, proches des niveaux de l'Ile-de-France. Pour les ménages les plus modestes, existe dans les DROM l'offre de logements à loyers très sociaux (LLTS). Bien que le PLOM 2 fixe un objectif de 30 % de LLTS dans le parc social d'ici 2022, les opérations de LLTS restent insuffisantes : elles sont difficiles à équilibrer et les garanties apportées par les départements sont trop limitées. Il convient d'ouvrir d'autres possibilités de cofinancement.
Le développement d'opérations de construction de logements sociaux est aujourd'hui freiné par les réticences de certaines communes, par les faiblesses du secteur du BTP et par les difficultés en matière de formation. La mixité sociale doit être encouragée, en intégrant également une stratégie à destination de l'offre intermédiaire et du parc privé. L'outil du Prêt locatif social (PLS), dont les plafonds correspondent à ceux du logement intermédiaire, permettent de participer à l'objectif de mixité sociale. Or, le financement des logements en PLS est limité par la fixation d'un quota ; son augmentation est aujourd'hui indispensable.
J'en termine avec les enjeux d'amélioration de l'habitat et de la réhabilitation. S'agissant de l'amélioration de l'habitat privé, le compte n'y est pas. Les aides nationales sont soient inexistantes, soient très faiblement déployées. Ainsi, l'aide « Habiter facile », qui permet des travaux pour l'autonomie de la personne, n'est pas disponible dans les DROM. Quant à MaPrimeRenov', qui finance les travaux de rénovation énergétique des logements, seulement 700 dossiers ont été engagés pour l'année 2020 dans l'ensemble des DROM, en outre essentiellement concentrés à La Réunion.
Les aides régionales divergent selon les territoires et les acteurs déplorent un éparpillement des dispositifs, des critères à rallonge et une faible communication sur les mesures accessibles. Un guide spécifique sur ces aides, précisant les outils de financement, gagnerait à être mis en place.
Les outre-mer, et tout particulièrement les Antilles, restent marqués par l'ampleur du phénomène de la vacance de logements, qui concernent près de 120 000 logements dans les DROM. Le travail d'identification des causes de cette vacance (indivision, habitat devenu indigne, difficultés passées entre locataires et propriétaires...) est un préalable nécessaire. Pour lutter contre ce phénomène, il conviendrait de créer un opérateur spécifique, sur le modèle de celui existant dans l'Hexagone. Des solutions innovantes, comme les baux à réhabilitation, doivent également être développées. Par ailleurs, alors qu'elle était prévue par la loi EROM de 2017, la taxe sur les logements vacants n'est toujours pas mise en oeuvre dans les DROM.
S'agissant du renouvellement urbain, si 15 villes ultramarines sont éligibles au programme « Action coeur de ville », un important retard a été pris et doit être aujourd'hui comblé. Pour lutter contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols, les aides à la démolition doivent être encouragées. Enfin, la question du retraitement de l'amiante se heurte à l'absence de filière locale de désamiantage et rejoint la problématique plus générale du recyclage des matériaux de démolition.
Beaucoup reste donc à faire !
M. Guillaume Gontard, rapporteur . - Monsieur le Président, chers collègues. Dans la troisième et dernière partie du rapport, j'aimerais vous exposer les raisons pour lesquelles, malgré toutes les difficultés qui ont été rappelées par Victorin Lurel et Micheline Jacques, l'habitat dans les outre-mer peut être un modèle d'adaptation et d'innovation pour répondre aux nouveaux défis de la politique du logement. Ceci pour trois raisons principales.
D'abord, les outre-mer sont de véritables laboratoires des évolutions des besoins de logements et des modes d'habitat.
Ensuite, ils sont déjà un terrain d'expérimentation pour l'adaptation de dispositifs et de procédures innovants.
Enfin, les outre-mer ont un formidable potentiel de systèmes constructifs locaux, adaptés aux nouveaux défis du logement, comme le réchauffement climatique, qu'il conviendrait surtout de mieux promouvoir et mutualiser.
Vous le savez, les outre-mer concentrent sur des espaces contraints l'ensemble des défis qui impactent fortement la demande de logements.
Le premier défi majeur est d'ordre démographique. Le vieillissement, particulièrement accéléré aux Antilles, nécessite un véritable plan stratégique comme le préconise le rapport Broussy sur l'adaptation de l'habitat au vieillissement, publié en mai 2021. En 2050, la Martinique sera le département le plus vieux de France et ce rapport parle même d'un « scénario catastrophe ». Ce plan devrait, à mon sens, être élargi aux autres territoires également touchés par la transition démographique comme La Réunion - nos collègues Viviane Malet et Nassimah Dindar l'ont suffisamment souligné - et aux collectivités d'outre-mer (COM) tout aussi concernées. Toutes les solutions d'hébergement doivent pouvoir être envisagées, du maintien à domicile au développement d'établissements spécialisés, en tenant compte notamment des attitudes socioculturelles de chaque territoire où accueillir les anciens chez soi reste une réalité, une pratique, voire un devoir. Je suggère à cet égard deux pistes qui ont été avancées lors des auditions : étendre dans les DROM le régime du forfait autonomie pour les personnes âgées afin de développer des résidences autonomie et les conventions relatives à l'accompagnement du vieillissement signées entre les bailleurs sociaux et la CNAV.
Le travail de prospective sur les évolutions démographiques dans les outre-mer ne peut être la transposition des projections réalisées pour l'Hexagone. La Cour des comptes notamment a souligné combien l'outil Otelo qui estime les besoins en logements en France métropolitaine est inadapté, ne serait-ce qu'à cause des flux migratoires ou de la part de l'habitat informel. Fiabiliser l'évaluation des besoins de logements dans les départements (DROM) et collectivités d'outre-mer (COM) qui sont également en déficit de données est un objectif qu'il faut absolument atteindre pour aider à la prise de décisions.
Par ailleurs, on oublie aussi trop souvent que certains de ces territoires sont caractérisés par des structures familiales (plus d'enfants par exemple) et des modes de vie (tournés vers l'extérieur) qui leur sont propres. Cela a été rappelé avec force lors des tables rondes sur la Guyane, Mayotte et lors des auditions sur la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Il faut donc à la fois en tenir compte et intégrer des évolutions sociologiques observées partout ailleurs comme l'augmentation des familles monoparentales ou la décohabitation des jeunes ménages. Le parcours résidentiel des familles doit impliquer plus de modularité dans les habitations et prendre davantage en compte la diversité des publics (personnes handicapées, personnes âgées, jeunes travailleurs, étudiants, familles nombreuses...). Il convient donc de développer cette adaptabilité des logements en associant davantage les acteurs du BTP et mobiliser les possibilités de la loi ELAN pour développer l'offre de logements évolutifs, tout en associant étroitement des architectes locaux.
Après la démographie, l'exposition aux risques naturels constitue un autre défi majeur pour les outre-mer. La délégation a conduit entre 2017 et 2019 une étude en deux volets comportant notamment des propositions pour améliorer la résistance du bâti, restées malheureusement sans beaucoup de suite en l'absence du projet de loi annoncé. Cinq ans après le passage de l'ouragan Irma, évènement véritablement traumatique, on constate combien les populations ont été résilientes.
Dans trois domaines au moins, cette surexposition aux risques donne aux outre-mer une avance certaine et une réelle expertise : le risque cyclonique (Antilles, Polynésie, Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie), le risque sismique (Antilles, Mayotte) et plus généralement le réchauffement climatique. Les solutions développées dans les outre-mer devraient servir de source d'inspiration, d'échanges et de références. Je propose que l'ingénierie technique territoriale soit donc étroitement associée aux politiques de logement à ce titre.
Je propose aussi de promouvoir l'architecture bioclimatique basée sur des savoir-faire traditionnels offrant des solutions, en particulier de ventilation, plus adaptées, efficaces et moins onéreuses. Il faut privilégier les techniques locales et déjà expérimentées plutôt que de durcir la réglementation para-cyclonique par exemple. Les architectes auditionnés ont rappelé qu'ils savaient concilier les différents risques dans la conception de l'habitation mais aussi proposer des solutions de refuges adaptées.
Véritables « laboratoires à ciel ouvert », les outre-mer sont des terres d'innovation et d'expérimentation, ce que l'on ne dit pas assez !
Les grandes tendances de l'habitat de demain y sont déjà perceptibles et identifiées : densification des villes, décarbonation des procédés constructifs (hybridité des systèmes constructifs, inertie des façades, réduction des énergies grises...), recours à la conception bioclimatique et à l'architecture vernaculaire, augmentation des matériaux de récupération ou issus du recyclage, traitement des espaces publics extérieurs comme régulateurs thermiques...
Des réalisations fondées sur une vision plus large des enjeux de la construction, incluant désormais davantage les dimensions écologique, sociale et culturelle, sont déjà prometteuses : éco-quartiers, habitat participatif ou collaboratif, programme OPHROM (opérations d'habitats renouvelés dans les outre-mer), habitat léger ou tiny houses... . Vous trouverez dans le rapport les exemples qui nous ont été donnés au fil des auditions.
Je crois qu'il faut encourager ces pratiques innovantes, intégrées dans le paysage local et surtout associant les usagers. Il faut de manière volontariste flécher encore davantage les financements publics sur le développement de ces nouveaux programmes, comme les éco-quartiers. On doit réfléchir à certains assouplissements des règles d'urbanisme pour l'habitat léger dans des zones circonscrites afin d'offrir des solutions d'hébergement plus rapides et moins chères. Pour soutenir l'innovation, il convient aussi de simplifier les processus de validation des innovations (ATEX) pour les rendre plus accessibles aux entreprises ultramarines qui sont de taille réduite et surtout comme l'a suggéré CDC Habitat réussir à bâtir une filière de recherche et développement sur l'habitat innovant en partenariat avec de grands organismes nationaux et avec des financements européens en prenant appui sur l'expertise des outre-mer. Je rappelle qu'il existe six universités ultramarines (universités des Antilles, de Guyane, de La Réunion, de Mayotte, de la Nouvelle- Calédonie et de Polynésie française) avec un total de 33 000 étudiants, dont 16 % de niveau master, qui devraient être plus fortement impliquées.
Le chantier-test sera bien entendu celui de la performance énergétique des bâtiments, avec l'actualisation en cours de la Règlementation spécifique thermique acoustique et aération mise en place en 2016 pour les DOM, (appelée « RTAA DOM »), et l'introduction demain de la RE2020. Compte tenu des difficultés de toutes sortes qui ont été pointées sur l'évaluation même de cette performance, il convient sans doute de mettre en place une réglementation thermique pour les DROM adaptée à chaque bassin océanique. Cela a été souligné également, il faudrait déjà commencer par faciliter l'accès aux dispositifs d'amélioration énergétique existant dans l'Hexagone, comme MaPrimeRenov' dont la diffusion est encore dérisoire outre-mer.
Enfin, pour apporter des solutions pérennes, il faut promouvoir les systèmes constructifs locaux et mutualiser davantage les bonnes pratiques. Chaque territoire ultramarin dispose de savoir-faire traditionnels qu'il faudrait non seulement sauvegarder mais aussi valoriser. À cet égard, un effort particulier doit être déployé de manière urgente, avec l'aide des organisations professionnelles, en faveur de la formation d'artisans spécialisés dans l'utilisation de matériaux locaux biosourcés.
La priorité est donc de soutenir les filières locales intégrant les matériaux biosourcés. La renaissance de la filière de la brique de terre comprimée (BTC) à Mayotte doit ainsi être soutenue et étendue à d'autres expérimentations. Il convient d'encourager partout dans les outre-mer la constitution de filières associant architectes, bureaux d'études, entreprises et donneurs d'ordres autour de ces matériaux. Les plateformes de rénovation notamment doivent pouvoir accompagner et conseiller les porteurs de projets.
Les auditions ont montré qu'il existe des potentialités multiples, liées aux richesses naturelles des outre-mer : pin des caraïbes, bambou, bagasse, vétiver, falcata, amarante (bois violet), angélique, gaïac, wacapou, wapa (bois guyanais)... On peut lors de la construction d'équipements publics recourir davantage aux matériaux locaux. À titre d'exemple, l'écomusée Te Fare Natura à Moorea (Polynésie française), que le Président de la République visitera fin juillet, a été conçu pour mettre en avant le bois et le style locaux.
Partout où une solution alternative existe, il faut s'efforcer de substituer au béton des matériaux locaux beaucoup plus efficaces compte tenu des conditions climatiques (humidité, salinité de l'air, etc.). Limiter les importations de ciment et intégrer cet objectif dans la conception du bâtiment entraîneraient selon les acteurs du logement auditionnés une baisse substantielle des coûts de construction.
Dans cette perspective, au fil des auditions, de nombreuses propositions ont été émises comme développer au niveau régional des pôles d'expertise ou dynamiser les échanges sur l'habitat. De tels échanges existent entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada bien qu'entravés par la problématique des normes européennes, et mériteraient d'être davantage développés pour La Réunion et Mayotte, avec Madagascar et l'Afrique du Sud et pour les Antilles avec le Brésil et les États-Unis.
L'habitat constitue indéniablement un levier de développement pour la coopération régionale (c'est le pari fait par la Nouvelle-Calédonie par exemple, avec le projet d'habitat océanien pour les États du Pacifique comme Fidji ou le Vanuatu)...
En conclusion, pour mutualiser toutes ces réflexions, je crois qu'il est temps et qu'il est nécessaire d'organiser dès que possible des Assises dédiées à la construction outre-mer. Le PLOM 2 s'achevant théoriquement en 2022, l'État serait bien avisé d'y songer dès à présent et d'aller y puiser les facteurs du rééquilibrage. L'idée a fait l'unanimité tant auprès des organismes nationaux (USH, FEDOM, Action Logement, AQC...) que des responsables locaux.
Ces Assises, qui réuniraient l'ensemble des acteurs du secteur du logement outre-mer, seraient à la fois la vitrine et la plateforme des modes d'habiter dans les outre-mer. La Délégation aux outre-mer pourrait, me semble-t-il, jouer un rôle moteur dans le lancement de ce projet.
M. Stéphane Artano, président . - Merci chers collègues pour vos interventions. Je me tourne vers nos collègues pour d'éventuelles questions aux rapporteurs.
Mme Victoire Jasmin . - Je tiens à remercier et à féliciter les rapporteurs, et vous-même monsieur le Président, pour le résultat du travail que vous avez accompli. J'approuve en effet la justesse des informations présentées : les différentes interventions de nos collègues reflètent tant les auditions que les besoins de nos territoires et les préoccupations de nos concitoyens. Je n'ai pas de question, mais je ne peux que tous vous féliciter.
Mme Marie Mercier . - Je souhaite féliciter les rapporteurs mais également vous dire que j'ai appris énormément grâce à cette étude. Je dois dire que je méconnaissais ce sujet. L'image que l'on peut avoir des outre-mer ne correspond pas à la réalité que vous avez vraiment bien su nous faire toucher du doigt. Je vous remercie pour cela.
M. Victorin Lurel, rapporteur . - Il s'agit d'un rapport qui se veut aussi exhaustif que possible.
J'ajouterais trois remarques, dont la première concerne les aides des collectivités, notamment du département, de la région et maintenant des EPCI. En matière d'amélioration de l'habitat, il existe des aides parfois importantes, pouvant aller de 10 000 euros à 20 000 euros. Il faudrait disposer d'un focus sur ces aides en matière d'amélioration de l'habitat. Il s'agit d'ailleurs aussi d'un sujet très politique, qui crée de nombreux contentieux, que l'on ne peut ignorer.
Deuxième remarque, nous proposons que les cotisations versées à la CGLLS et à la FNAP soient réorientées vers la LBU pour abonder les surcoûts architecturaux, ancienne ligne du FRAFU. Je souscris à cela, mais le fait de le verser à la LBU me pose problème au vu des difficultés que nous avons aujourd'hui pour évaluer les politiques publiques et contrôler l'action de l'État en matière de logement dans les outre-mer. En effet, ces sommes seraient versées dans le tronc commun, dans l'opacité de gestion. N'existe-t-il pas une mesure ou un dispositif plus direct pour financer les FRAFU ? Je suis d'accord pour abonder les FRAFU et les conforter avec des fonds européens, mais le fait de demander aux outre-mer de verser à la LBU pose, du point de vue de la législation, une petite difficulté. Si cela doit rester en l'état, cela ne me pose aucun souci, mais j'attire votre attention sur ce point.
Dernière remarque, bien décrite dans le rapport, concernant la concurrence, ou plutôt l'émulation, entre Action Logement et la CDC sur les prêts versés. Lorsqu'Action Logement verse des prêts ou des subventions, il n'y a pas d'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). En revanche, il y a exonération lorsque c'est une banque ou la CDC. Il y a là une asymétrie qu'il serait souhaitable de creuser en tentant d'évaluer en amont toutes ses conséquences. Cela paraît être un détail, mais c'est un désavantage pour les bailleurs sociaux qui fait que l'on ne va pas forcément utiliser les crédits du PIV. Il y là une limite que je veux pointer afin que cette asymétrie en législation, en PLF ou en PLFSS soit réglée.
J'ajoute que sur le conflit entre l'USHOM et l'USH, il y a selon moi un problème de représentation, de représentativité, de légitimité. Laisser pourrir la situation en jouant sur les relations de chacun - un jour on cite l'USH et vice-versa pour l'USHOM - ce n'est pas acceptable et je pense que nous devons le dire. L'État et notamment la CGLLS, qui est une institution d'État, devraient pouvoir peser dans le règlement amiable de ce conflit.
Mme Victoire Jasmin . - Je voudrais également insister sur le fait qu'aujourd'hui, les PLH sont encore en cours d'adoption. Puisqu'il y a eu une remarque concernant l'implication des collectivités locales, il serait nécessaire de générer une impulsion entre la DEAL et les différents partenaires pour favoriser l'adoption de ces programmes locaux de l'habitat.
M. Stéphane Artano, président . - Chers collègues, merci pour vos remarques qui ont bien été entendues et prises en considération. Dans ces conditions, je vous propose donc d'adopter le rapport.
Le rapport d'information ayant été adopté, j'aimerais remercier Micheline Jacques, Victorin Lurel et Guillaume Gontard pour la qualité des travaux et leur investissement. Nous disposons pour la première fois, depuis bien longtemps, d'une synthèse et de propositions complètement transversales à l'ensemble des outre-mer, dont certains décideurs, y compris parisiens, auront besoin pour avoir des pistes concrètes sur lesquelles avancer.
Je vous remercie toutes et tous pour vos contributions. Je propose de lever cette séance et vous donne rendez-vous tout à l'heure pour la conférence de presse.
La Délégation sénatoriale aux outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.