D. FLUIDIFIER LE DIALOGUE SOCIAL DANS UNE ENTREPRISE DÉMATÉRIALISÉE
1. L'utilisation par les syndicats de la messagerie électronique
En matière de communication, le code du travail prévoit que les moyens d'action traditionnels suivants sont obligatoirement mis à la disposition des syndicats :
- l'affichage des communications syndicales s'effectue librement sur des panneaux réservés à cet usage. Les panneaux sont mis à la disposition de chaque section syndicale suivant des modalités fixées par accord avec l'employeur 171 ( * ) ;
- les publications et tracts de nature syndicale peuvent être librement diffusés aux travailleurs de l'entreprise, dans l'enceinte de celle-ci, aux heures d'entrée et de sortie du travail 172 ( * ) ;
- le contenu des affiches, publications et tracts est librement déterminé par l'organisation syndicale, « sous réserve de l'application des dispositions relatives à la presse » 173 ( * ) .
S'agissant des outils numériques, la loi est moins prescriptive . Aux termes de l'article L. 2142-6 du code du travail, issu de la loi « El Khomri » de 2016, un accord d'entreprise peut définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l'entreprise.
À défaut d'accord, les organisations syndicales présentes dans l'entreprise et satisfaisant aux critères de respect des valeurs républicaines et d'indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans peuvent mettre à disposition des publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l'intranet de l'entreprise, lorsqu'il existe.
L'utilisation à des fins de diffusion des informations syndicales de la messagerie de l'entreprise n'est donc possible qu'avec l'accord de l'employeur, ou si un accord d'entreprise le prévoit.
La loi précise en revanche que l'utilisation par les organisations syndicales des outils numériques mis à leur disposition doit satisfaire l'ensemble des conditions suivantes :
- être compatible avec les exigences de bon fonctionnement et de sécurité du réseau informatique de l'entreprise ;
- ne pas avoir des conséquences préjudiciables à la bonne marche de l'entreprise ;
- préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message.
Or, la crise sanitaire due à l'épidémie de covid-19 et la dispersion forcée des salariés qui en a résulté ont fait apparaître le besoin, dans ces circonstances exceptionnelles, de maintenir le lien entre les membres de la communauté de travail et leurs représentants. Ce besoin a vocation à devenir durable à l'heure où le travail à distance entre dans les moeurs et où les entreprises sont plus généralement engagées dans des processus de dématérialisation.
Il serait donc opportun d'autoriser l'utilisation par les syndicats de la messagerie électronique de l'entreprise pour communiquer avec les travailleurs, dans les limites déjà prévues par le code du travail et dans celles définies dans l'entreprise par une charte de bonnes pratiques.
Cette modernisation des moyens de communication mis à la disposition des syndicats pourrait contribuer à l'effort à réaliser en direction des jeunes afin de susciter leur adhésion : le taux de syndicalisation augmente en effet avec l'âge et les jeunes générations semblent se tourner vers de nouvelles formes de mobilisation.
Préconisation n° 16 : permettre aux organisations syndicales d'utiliser, dans le cadre d'une charte de bonnes pratiques, la messagerie électronique de l'entreprise pour diffuser des informations aux salariés
2. La pérennisation de certains assouplissements exceptionnels
Dans le cadre des mesures d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, les procédures d'information et de consultation du CSE et les règles de la négociation collective ont été exceptionnellement assouplies afin de garantir la continuité du dialogue social et de la vie de l'entreprise.
En particulier, s'agissant de la négociation et de la conclusion des accords d'entreprise dont « l'objet est exclusivement de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 ainsi qu'aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation », certains délais ont été raccourcis par ordonnance 174 ( * ) jusqu'au 10 octobre 2020 :
- le délai dans lequel les accords qui ont recueilli la signature d'organisations syndicales de salariés représentant entre 30 % et 50 % des suffrages exprimés peuvent faire l'objet d'une demande de consultation des salariés a été ramené à 8 jours 175 ( * ) à compter de la signature de l'accord ;
- le délai à compter duquel cette consultation peut être organisée a été réduit à 5 jours 176 ( * ) ;
- dans les entreprises de moins de onze salariés dépourvues de délégué syndical et d'élu, jusqu'au 10 août 2020 177 ( * ) , les accords ont pu faire l'objet d'une consultation du personnel au terme d'un délai minimum de 5 jours 178 ( * ) ;
- les élus qui souhaitaient négocier dans les entreprises de plus de cinquante salariés dépourvues de délégués syndicaux ont disposé d'un délai de 8 jours 179 ( * ) pour le faire savoir.
Ont également été raccourcis , par dérogation aux dispositions légales ou conventionnelles applicables dans l'entreprise, les délais applicables à la communication de l'ordre du jour du CSE (à 2 jours au lieu de 3) et du CSE central (à 3 jours au lieu de 8) dans le cadre de leur information ou de leur consultation sur les « décisions de l'employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 » 180 ( * ) . Les délais dans lesquels cette information et cette consultation interviennent ont par ailleurs été adaptés par décret 181 ( * ) , comme le retrace le tableau ci-dessous.
Adaptation temporaire des délais liés
à l'information
et à la consultation du CSE (décret
n° 2020-508 du 2 mai 2020)
Objet du délai |
Délai prévu par le code du travail |
Délai fixé par le décret du 2 mai 2020 |
Délai de consultation en l'absence d'intervention d'un expert |
2 mois (art. R. 2312-6) |
8 jours |
Délai de consultation en cas d'intervention d'un expert |
2 mois (art. R. 2312-6) |
12 jours (CSE central)
|
Délai de consultation en cas d'intervention d'une ou plusieurs expertises dans le cadre de consultation se déroulant à la fois au niveau du comité central et d'un ou plusieurs comités d'établissement |
3 mois (art. R. 2312-6) |
12 jours |
Délai minimal entre la transmission de l'avis de chaque comité d'établissement au comité central et la date à laquelle ce dernier est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif |
7 jours (art. R. 2312-6) |
1 jour |
Délai dont dispose l'expert, à compter de sa désignation, pour demander à l'employeur toutes les informations complémentaires qu'il juge nécessaires à la réalisation de sa mission |
3 jours (art. R. 2315-45) |
24 heures |
Délai dont dispose l'employeur pour répondre à cette demande |
5 jours (art. R. 2315-45) |
24 heures |
Délai dont dispose l'expert pour notifier à l'employeur le coût prévisionnel, l'étendue et la durée d'expertise |
10 jours (art. R. 2315-46) |
48 heures à compter de sa désignation ou, si une demande a été adressée à l'employeur, 24 heures à compter de la réponse apportée ce dernier |
Délai dont dispose l'employeur pour saisir le juge pour chacun des cas de recours prévus à l'article L. 2315-86 |
10 jours (art. R. 2315-49) |
48 heures |
Délai minimal entre la remise du rapport par l'expert et l'expiration des délais de consultation du comité mentionnés aux second et troisième alinéas de l'article R. 2312-6 |
15 jours (art. R. 2315-47) |
24 heures |
Le rapporteur est favorable à un assouplissement du formalisme du dialogue social et de la négociation collective en entreprise, considérant qu'une plus grande fluidité permet des échanges plus directs et plus nourris. L'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) tire en effet un bilan positif des assouplissements exceptionnels permis pendant l'état d'urgence sanitaire.
Selon une enquête menée en septembre 2020 par l'ANDRH auprès de ses adhérents, 84 % d'entre eux se sont prononcés en faveur d'une pérennisation de ces mesures exceptionnelles en matière de dialogue social.
Saisi par plusieurs organisations syndicales d'un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d'État a toutefois jugé, dans une décision du 19 mai 2021 182 ( * ) , que le Gouvernement n'était pas habilité à adapter les délais de consultation du CSE sur le fondement de la loi d'urgence du 23 mars 2020 et a donc annulé les dispositions contestées de l'ordonnance du 22 avril 2020 ainsi que le décret qui s'y rattache 183 ( * ) .
À la lumière de cette expérience, il pourrait néanmoins être procédé à une revue d'ensemble de ces délais afin de déterminer lesquels pourraient utilement être réduits de manière pérenne sans porter atteinte à la liberté syndicale ni aux droits du CSE.
Préconisation n° 17 : envisager, en la sécurisant juridiquement, une pérennisation de certains assouplissements des délais et procédures permis pendant la crise sanitaire
* 171 Article L. 2142-3 du code du travail.
* 172 Article L. 2142-4 du code du travail.
* 173 Article L. 2142-5 du code du travail.
* 174 Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, article 11 bis .
* 175 Au lieu d'un mois en application du 2 e alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail.
* 176 Au lieu de 8 jours en application du 3 e alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail.
* 177 Ordonnance n° 2020-737 du 17 juin 2020.
* 178 Ce délai est normalement de 15 jours en application de l'article L. 2232-21 du code du travail.
* 179 Au lieu d'un mois en application de l'article L. 2232-25-1 du code du travail.
* 180 Ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19, modifiée par l'ordonnance n° 2020-507 du 2 mai 2020 adaptant temporairement les délais applicables pour la consultation et l'information du comité social et économique afin de faire face à l'épidémie de covid-19.
* 181 Décret n° 2020-508 du 2 mai 2020 adaptant temporairement les délais relatifs à la consultation et l'information du comité social et économique afin de faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19.
* 182 Conseil d'État, décision n° 441031 du 19 mai 2021.
* 183 Cette décision a une portée limitée en pratique puisque les dérogations concernées n'étaient plus applicables.