B. DE PREMIERS ÉLÉMENTS DE BILAN QUI NE PERMETTENT PAS DE TIRER DES CONCLUSIONS DÉFINITIVES

1. Malgré un bilan quantitatif positif, tous les effets escomptés sur la dynamique du dialogue social ne se font pas encore sentir
a) Un dynamisme quantitatif en partie en trompe-l'oeil

Les données quantitatives indiquent que la négociation collective est depuis plusieurs années engagée dans une dynamique positive, tant au niveau de l'entreprise que de la branche.

D'après le bilan de la négociation collective en 2019 publié par la direction générale du travail (DGT), le nombre d'accords d'entreprise a connu une forte croissance avec 103 700 accords et autres textes conclus en 2019, dont 80 780 accords et avenants, en augmentation de 30 % par rapport à 2018 . Cette augmentation est même de 44 % dans les entreprises de 1 à 20 salariés.

Dans le détail, on ne recense toutefois que 61 340 textes élaborés dans le cadre de négociations collectives entre directions d'entreprise et représentants du personnel (délégués syndicaux, élus ou salariés mandatés), soit 59 % du total, ce qui représente une baisse de 5 points par rapport à l'année précédente. Pour le reste, 22 370 textes (22 %) ont été approuvés par consultation directe des salariés, leur proportion restant stable, et 19 090 (18 %) ont été signés par l'employeur uniquement, en augmentation de 3 points par rapport à 2018.

Cette vitalité de la négociation d'entreprise est notamment liée à la mise en oeuvre des dispositions introduites par les ordonnances de septembre 2017, et en particulier des nouveaux outils à la disposition des petites entreprises.

La négociation de branche est également dynamique avec environ 1 380 accords conclus en 2018 et 1 100 accords en 2019. Parmi les principaux thèmes abordés par ces accords en 2019, la DGT recense les salaires (418 textes), l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (229), la formation professionnelle et l'apprentissage (200) ainsi que la protection sociale complémentaire (135). Quelques branches se sont saisies des sujets liés aux contrats de travail (CDD et CTT) ouverts à la négociation par les ordonnances de 2017 (4 accords signés).

S'agissant de la mise en oeuvre de la fusion des institutions représentatives du personnel, on dénombrait, au 2 juin 2020, 81 371 CSE mis en place (couvrant près de 10,8 millions de salariés) et 39 354 procès-verbaux de carence (représentant environ 1,1 million de salariés) 126 ( * ) .

b) Un bilan qualitatif décevant

D'un point de vue plus qualitatif, Marcel Grignard et Jean-François Pilliard, co-présidents du comité d'évaluation des ordonnances de 2017 qui ont été auditionnés par le rapporteur, constatent une appropriation lente et conservatrice des réformes par les acteurs du dialogue social .

Ainsi, les organisations syndicales étant opposées à la réforme de 2017 et les employeurs en ayant eu une approche « court-termiste », la mise en place du CSE a généralement été peu travaillée en amont. La négociation sur la mise en place du CSE, dont le calendrier était contraint par la loi, s'est souvent résumée à un exercice convenu et formel et s'est concentrée sur la question des moyens accordés aux élus. Le comité estime que les partenaires sociaux se sont ainsi privés d'un levier d'amélioration de la qualité du dialogue social.

Le bilan d'étape de la fusion des IRP ne permet donc pas de constater une forte dynamique nouvelle en faveur du dialogue social . Elle a pu, cependant, creuser les écarts entre entreprises en améliorant la qualité du dialogue social là où elle était déjà bonne.

c) Des réformes pas encore pleinement digérées

Il semble que l'appropriation de la réforme, qui vient après beaucoup d'autres, soit difficile tant pour les employeurs que pour les salariés. Un accompagnement plus fort des acteurs aurait été souhaitable. Le comité d'évaluation des ordonnances relève en effet un déficit important en matière de pédagogie des réformes .

Plus généralement, il apparaît que les entreprises ne se sont pas saisies de toutes les opportunités ouvertes par les réformes en matière de négociation collective, à l'image de la possibilité de conclure un accord de méthode fixant l'agenda des négociations. Là encore, les ordonnances de 2017 ont plutôt permis aux entreprises les plus actives et innovantes de se renforcer mais n'ont pas amélioré la situation dans les entreprises où la négociation collective était faible.

La difficile « digestion » de cette série de réformes par les acteurs suggère que les entreprises ne se saisiront de certaines de leurs potentialités que dans une deuxième étape. Il paraît donc prématuré de tirer dès à présent des conclusions générales et définitives de ces réformes dont il y a lieu de penser que l'objectif - donner du pouvoir aux acteurs de la négociation collective - reste pertinent.

En outre, il ressort de nombreuses auditions menées par le rapporteur que les entreprises éprouvent une lassitude compréhensible à l'égard des réformes et qu'elles attendent désormais davantage de calme et de sécurité. Dans l'attente des conclusions définitives du comité d'évaluation, il convient donc de donner la priorité à l'accompagnement des acteurs afin qu'ils s'approprient les réformes , en mettant l'accent sur les TPE-PME. Le cadre relativement souple mis en place par les ordonnances de 2017 offre de nombreuses possibilités que les acteurs doivent maintenant se donner les moyens d'utiliser.

Préconisation n° 2 : préserver à court terme la stabilité du nouveau cadre du dialogue social mis en place par les ordonnances de 2017

2. Si les ordonnances ont apporté une simplification bienvenue, certaines réformes semblent avoir manqué leur objectif
a) Une simplification bienvenue

Les ordonnances de 2017 ont été inspirées par l'idée que les acteurs de terrain sont les mieux placés pour savoir de quoi ils ont besoin. Elles ont ainsi globalement apporté, du point de vue de la plupart des praticiens et observateurs, une réelle simplification du cadre du dialogue social dans l'entreprise . En particulier, la création du CSE a clarifié le paysage des institutions représentatives du personnel. La suppression du CHSCT a ainsi permis d'instaurer un fonctionnement plus simple en évitant notamment les doubles consultations.

Dans les PME de onze salariés et plus sans délégué syndical, le CSE a par ailleurs permis de faciliter la négociation collective.

Toutefois, les organisations syndicales, qui étaient opposées à cette réforme, accueillent la nouvelle instance de manière globalement négative , considérant qu'elle entraîne avant tout une diminution du nombre d'élus et une baisse importante des moyens mis à leur disposition. Il convient cependant de ne pas se focaliser sur cette question des moyens mais plutôt de considérer qu'une meilleure efficience bénéficie à l'ensemble de l'entreprise sans remettre en cause la centralité du dialogue social.

b) L'apparition de certains effets indésirables

Comme le relève le comité d'évaluation des ordonnances de 2017, les réformes ont engendré un double mouvement de décentralisation de la production de normes vers l'entreprise , lequel a permis un rééquilibrage notable, et de centralisation du dialogue social au sein de l'entreprise avec la fusion des institutions représentatives du personnel.

Pour de nombreuses personnalités auditionnées par le rapporteur, la question de la proximité reste entière dans ce nouveau cadre. Faute de négociation, les accords de mise en place du CSE ont rarement prévu la mise en place de représentants de proximité comme la loi le leur permet. Il en résulte une centralisation parfois excessive et une perte du lien de proximité qui s'avèrent plus marquées dans les entreprises à établissements multiples.

Quant à l'usage des outils de flexisécurité , il reste limité quantitativement en dépit de leur simplification. En particulier, très peu de PME se sont engagées dans cette voie qui nécessite une certaine expertise. Pour l'économiste Christine Erhel, l'usage des APC demeure en pratique marqué par un déséquilibre en faveur des employeurs qui ne répond pas à leur objectif initial. Les co-présidents du comité d'évaluation des ordonnances ont également exprimé leur crainte que les APC donnent lieu à des dérives et deviennent, plutôt qu'un outil efficace pour traiter de manière négociée les enjeux économiques et sociaux, un moyen de soutenir une course à la réduction des coûts salariaux en amoindrissant les garanties collectives des branches. En juin 2020, 371 APC avaient été conclus. Dans le contexte précédant la crise de la covid-19, ils étaient le plus souvent à durée indéterminée et ne prévoyaient pas de « clause de retour à meilleure fortune ».

c) Des réformes n'ayant pas ou peu produit d'effet

Parmi les innovations apportées par les dernières réformes, le conseil d'entreprise représente un échec manifeste . Une quinzaine seulement d'entreprises se sont saisies de cet outil transformant le CSE en instance unique de négociation collective. Il est au demeurant improbable que les délégués syndicaux, dont l'accord est nécessaire, renoncent volontairement à leur monopole de négociation dans l'entreprise. À moins qu'un mécanisme incitatif ne soit imaginé, ce dispositif pourra difficilement s'avérer opérationnel.

Pour sa part, le référendum ouvert à l'employeur pour valider un accord minoritaire reste un outil peu usité car il est à double tranchant, même si le dispositif est en théorie jugé intéressant pour surmonter certains blocages. Un référendum peut en effet devenir un facteur de division dans l'entreprise alors que son but était de favoriser le compromis. Par ailleurs, la CPME signale que cette procédure peut être coûteuse pour les TPE-PME qui n'ont d'autre choix que de passer par un prestataire extérieur pour mettre en place une consultation à distance.

3. La crise sanitaire a révélé certaines potentialités et limites des réformes
a) Le dialogue social face à la crise

Pendant la crise sanitaire, la négociation collective a été un levier permettant aux entreprises de s'organiser pour faire face à la pandémie . D'après le bilan 2019 de la DGT, une vingtaine d'accords de branche et près de 6 000 accords d'entreprise ayant pour objet de faire face aux conséquences de la crise sanitaire avaient été conclus au 15 juin 2020. Au niveau national et interprofessionnel, deux accords ont été conclus sur le télétravail 127 ( * ) et sur la santé au travail 128 ( * ) .

Ce recours à la négociation collective a été encouragé par les pouvoirs publics, plusieurs dispositifs d'urgence étant conditionnés à la conclusion d'un accord. Il en va ainsi de la possibilité pour l'employeur d'imposer aux salariés la prise de congés payés, prévue par l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 129 ( * ) , de la possibilité d'adapter les règles relatives au nombre de renouvellements et au délai de carence applicables aux CDD et aux contrats de travail temporaire, ouverte par la loi portant dispositions urgentes du 17 juin 2020 130 ( * ) , ou du dispositif d'activité partielle de longue durée (voir encadré ci-dessous). Dans ce contexte, les APC sont également apparus comme un recours dans le but de maintenir l'emploi et d'éviter les procédures de licenciements économiques : leur nombre a augmenté plus fortement en 2020 avec 340 accords signés contre 202 en 2019 et 150 en 2018.

Les accords APLD

L'article 53 de la loi du 17 juin 2020 portant dispositions urgentes liées à la crise sanitaire a institué un dispositif spécifique d'activité partielle , introduit par amendement au Sénat, dénommé « activité réduite pour le maintien en emploi » ou activité partielle de longue durée (APLD) 131 ( * ) , destiné, dans le contexte de la crise économique déclenchée par la pandémie de covid-19, à assurer le maintien dans l'emploi dans les entreprises confrontées à une réduction d'activité durable mais n'étant pas de nature à compromettre leur pérennité.

L'employeur peut bénéficier de ce dispositif sous réserve de la conclusion d'un accord collectif d'établissement, d'entreprise ou de groupe, ou de la conclusion d'un accord collectif de branche étendu , définissant la durée d'application, les activités et les salariés concernés par l'activité partielle spécifique, les réductions de l'horaire de travail pouvant donner lieu à indemnisation à ce titre ainsi que les engagements spécifiquement souscrits en contrepartie, notamment pour le maintien de l'emploi. L'entreprise qui souhaite bénéficier du régime d'APLD en application d'un accord de branche élabore, après consultation du CSE, un document définissant les engagements spécifiques en matière d'emploi.

Un décret en Conseil d'État en date du 28 juillet 2020 a précisé le contenu de ces accords, qui doivent notamment définir les modalités d'information, tous les trois mois au minimum, des organisations syndicales signataires et des IRP sur leur mise en oeuvre 132 ( * ) .

Le décret précise que la réduction de l'horaire de travail ne peut être supérieure à 40 % de la durée légale . Cette limite ne peut être dépassée que dans des cas exceptionnels résultant de la situation particulière de l'entreprise, sur décision de la Dreets et dans les conditions prévues par l'accord collectif, sans que la réduction de l'horaire de travail puisse excéder 50 % de la durée légale.

Dans ce cadre, le pourcentage de l'indemnité et le montant de l'allocation d'activité partielle peuvent être majorés dans des conditions et dans les cas déterminés par décret, notamment selon les caractéristiques de l'activité de l'entreprise.

Ces dispositions sont applicables aux accords collectifs et aux documents transmis à l'autorité administrative pour validation ou homologation au plus tard le 30 juin 2022 . Sauf si une loi prévoit sa prolongation, il restera donc assez peu de temps, à la sortie de la crise sanitaire, pour que ce dispositif prenne la dimension attendue. Selon la DGT, 64 accords de branche et environ 8 850 accords d'entreprise relatifs à l'APLD ont été conclus depuis la mise en place du dispositif.

Par ailleurs, le dialogue social dans l'entreprise s'est réorganisé avec créativité à la faveur des assouplissements prévus dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, notamment en matière d'utilisation de la visioconférence pour les réunions du CSE. Ainsi, les épisodes de confinement ont été révélateurs de l'importance du dialogue social et de la souplesse permise par les réformes.

Les questions de santé au travail ont naturellement été au premier plan en 2020. Cette situation a confirmé que les organisations syndicales font difficilement le deuil du CHSCT et déplorent généralement sa suppression. La fusion des instances présente cependant l'avantage d'avoir décloisonné les questions de santé et sécurité et les questions sociales et économiques . Pour l'ANDRH, la crise a montré que la disparition d'un CHSCT autonome n'est pas de nature à porter atteinte à la prise en compte des enjeux de santé et de sécurité au travail et a plutôt fluidifié le dialogue sur ces thématiques.

b) Des instances à ne pas surcharger

Il n'en reste pas moins que, dans cette nouvelle entité dont le rôle et les attributions sont conséquents, les représentants du personnel, qui ont souvent conservé la culture des anciennes IRP, n'ont pas nécessairement la capacité à hiérarchiser les priorités ou à travailler en délégation. Pour Marcel Grignard et Jean-François Pilliard, le CSE reste « une instance en devenir ».

Une consultation menée par l'Anact en janvier et février 2021 a montré que si le dialogue social s'est globalement intensifié depuis le début de la crise, l'adaptation des moyens n'a pas toujours suivi 133 ( * ) .

Or, plusieurs projets ou propositions de loi en discussion 134 ( * ) envisagent d'alourdir les attributions d'un CSE dont les ordres du jour sont déjà surchargés. Il est ressorti des auditions menées par le rapporteur que, dans les entreprises où le dialogue social est suffisamment dynamique, les IRP s'étaient déjà emparées depuis longtemps de sujets tels que la transition écologique sans qu'une disposition législative soit nécessaire. Dans des entreprises où le fonctionnement du CSE est plus difficile, ajouter de nouvelles consultations impératives ne rendrait pas service aux partenaires sociaux. Une des leçons à tirer de la crise est que le dialogue social gagnerait sans doute en efficacité s'il était recentré sur la vie de l'entreprise et sur les préoccupations immédiates des salariés.

Préconisation n° 3 : recentrer sans les alourdir de manière impérative les compétences du CSE sur la vie de l'entreprise et les préoccupations immédiates des salariés

Enfin, la très faible participation à l'élection des représentants des salariés des très petites entreprises organisée du 22 mars au 6 avril 2021 (5,44 %) reflète les conditions exceptionnelles d'organisation du scrutin en période de crise sanitaire, mais aussi le manque de visibilité des instances de représentation des salariés concernés.


* 126 Rapport intermédiaire du comité d'évaluation des ordonnances Travail du 22 septembre 2017, publié le 28 juillet 2020.

* 127 Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 pour une mise en oeuvre réussie du télétravail.

* 128 Accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020 pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail.

* 129 Ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos.

* 130 Loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

* 131 Un premier dispositif d'APLD avait déjà été créé en 2009 avant d'être supprimé par la loi de sécurisation de l'emploi de 2013.

* 132 Décret n° 2020-926 du 28 juillet 2020 relatif au dispositif spécifique d'activité partielle en cas de réduction d'activité durable.

* 133 Cf. https://www.anact.fr/covid-19-dialogue-social-intensifie-adaptation-des-moyens-limitee .

* 134 C'est notamment le cas de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail ou du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

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