D. ASSOUPLIR LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DE COLLECTIVITÉS
Les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales ont suggéré de permettre l'adaptation de la répartition des compétences au sein du bloc communal en fonction des réalités locales (proposition n° 21).
De fait, le Sénat s'est préoccupé depuis plusieurs années de cette question de la territorialisation de l'action publique au sein des intercommunalités. Ainsi la commission des Lois avait-elle pu, en 2016, examiner une proposition de loi permettant un exercice territorialisé de compétences au sein des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de cinquante communes au moins 28 ( * ) .
Il s'agissait notamment de faire face à la constitution de très grandes intercommunalités rurales. De même, dans leur deuxième rapport d'étape 29 ( * ) , les rapporteurs de la mission de contrôle et d'information de la commission des Lois sur la mise en oeuvre des dernières lois de réforme territoriale, Mathieu Darnaud, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, avaient établi un diagnostic comparable, recommandant une réflexion sur la mise en oeuvre des compétences dans le cadre des nouveaux périmètres intercommunaux : « a diversité et la superficie de leur circonscription d'exercice, mêlant agglomérations et communes rurales, appellent des modes de gestion différenciés. C'est une des conditions du maintien du niveau de service aux administrés, d'un développement équilibré du territoire intercommunal ... ».
La répartition actuelle est en effet très rigide en ce qu'elle ne permet pas la prise en compte des nécessités du terrain, des spécificités des intercommunalités et des communes membres. C'est vrai dans les intercommunalités rurales, comme le notait Michel Fournier, président de l'AMRF : « En matière de différenciation, nous attendons qu'un regard spécifique soit porté sur certains territoires ruraux et certaines collectivités de petite taille, par exemple dans le domaine de l'habitat. Or le projet de loi 4D fait la part belle à l'intercommunalité. On a l'impression, et nous ne l'avons pas caché à Jacqueline Gourault, que tout doit passer par l'intercommunalité. Il est inconcevable d'en faire un passage obligé, voire un censeur. En tant que communes rurales, nous souhaitons une différenciation entre les actions de cadre intercommunal et les actions de cadre communal. Il faut laisser aux communes la possibilité d'initier des politiques de développement autonomes . » 30 ( * ) .
C'est aussi vrai dans les intercommunalités urbaines, notamment dans les métropoles. Comme le rappelait Patrick Le Lidec 31 ( * ) , lors du colloque sur l'adaptation locale de l'organisation territoriale organisé par la délégation en mars 2018 : il ne faut pas confondre territorialisation des compétences avec certaines modalités de territorialisation que l'on pourrait appeler d' exécution , de représentation ou de consultation :
- dans le premier cas, la territorialisation d'exécution , seuls des services sont territorialisés sans que cela ne change le contenu et la mise en oeuvre de la politique publique concernée ;
- dans le deuxième cas, la territorialisation de représentation , des élus sont chargés, au sein d'un ensemble, de représenter ce dernier sur certaines portions de son territoire ;
- la troisième modalité, la territorialisation de consultation , consiste à permettre la consultation des instances politiques territorialisées (par exemple les maires) sur certaines politiques publiques.
Le point commun de ces formes de territorialisation et leur différence de fond avec la territorialisation des compétences est que le pouvoir de décision et d'adaptation de la politique publique demeure centralisé.
Déjà, dans le sondage CSA commandé par la délégation, les élus locaux plaçaient l'assouplissement de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités sur le podium des priorités, avec la simplification des normes et la suppression des doublons entre l'État et les collectivités. La réponse était particulièrement nette pour les élus municipaux (14% des réponses données en premier et 44% en deuxième) et départementaux (21% des réponses données en premier, 41% en deuxième).
La consultation nationale confirme leurs attentes en la matière, puisque 94% des élus sont favorables à une adaptation de la répartition des compétences entre communes et intercommunalités en fonction des réalités locales, seuls 6% y étant défavorables.
Seriez-vous favorable à ce que les élus
locaux puissent adapter la répartition
des compétences
communes-intercommunalités en fonction des réalités
locales ?
Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021
* 28 Proposition de loi permettant un exercice territorialisé de compétences au sein des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de cinquante communes au moins, n° 758 (2015-2016) de MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud et plusieurs de leurs collègues, déposée au Sénat le 5 juillet 2016.
* 29 Sénat, Quand la réforme rencontre les territoires - Deuxième rapport d'étape de la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale, Rapport d'information de MM. Mathieu Darnaud, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, fait au nom de la commission des Lois, n° 730 (2015-2016), 29 juin 2016.
* 30 Audition du 29 janvier 2021.
* 31 « Les formes de territorialisation qui voient le jour sont en quelque sorte des éléments qui servent à "faire passer la pilule" : une fois qu'on a centralisé l'exercice d'une compétence, on met en place des mécanismes de consultation de ceux qui apparaissent comme dépossédés » in Actes du colloque du 15 mars 2018 sur L'adaptation locale de l'organisation territoriale, les rapports juridiques des collectivités territoriales entre elles et avec leurs groupements , Rapport d'information de M. Jean-Marie Bockel, Mme Françoise Gatel, MM. Éric Kerrouche et Philippe Mouiller, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 579 (2017-2018), 19 juin 2018, p. 74.